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Les graffites gaulois de Banassac
et leur analyse socio-linguistique

de

Mes remerciements les plus vifs aux étudiants du séminaire de BA 3 de la filière de langues et littératures anciennes de l’Université libre de Bruxelles, avec qui j’ai pu examiner les graffites gaulois de Banassac et dont les remarques et questions m’ont beaucoup apporté pour le présent article. Un tout grand merci aussi à Theresa Roth (Philipps-Universität Marburg) et à Eugène Warmenbol (Université libre de Bruxelles) pour leur aide bibliographique et à María José Estarán Tolosa (Universidad de Zaragoza) pour nos discussions. Le présent article a été rédigé en 2015 ; la publication tardive a empêché une mise à jour bibliographique complète.

Définition du corpus

À Banassac (Lozère, France) ont été retrouvés les vestiges d’un important atelier producteur de céramique sigillée, actif selon une datation récente entre les années 90 à 120 et la seconde moitié du IIe siècle p.C.1. Dans le présent article, nous souhaitons analyser la visée communicative et la fonction socio-linguistique de six graffites retrouvés sur le site, qui forment selon nous un ensemble unitaire : qui a gravé ou fait graver ces brèves inscriptions à Banassac, pour quel public, en vue de transmettre quel message, dans quel contexte social ?

Ont été retrouvés à Banassac au total dix graffites qui peuvent être considérés comme gaulois2. Notre étude porte sur six de ces textes, ceux qui ont été retrouvés dans l’enclos Monestier. L’un d’entre ces six textes contient à vrai dire une forme latine, au moins étymologiquement, pastellata, “parfumée”, mais, appartenant au même contexte archéologique que les cinq textes proprement gaulois, il doit être interprété avec ceux-ci3.

Parmi les quatre autres graffites, deux se limitent à une forme onomastique et surtout le lieu de leur découverte ne semble pas documenté4. Nous ne les prenons pas en compte dans la présente étude. Un autre graffite a été écrit après cuisson sur la panse d’un petit vase Dragendorff 33 ; il s’agit d’un fragment de bordereau de compte, retrouvé au cours de fouilles sur le terrain Boudon de la Roquette. Ce texte n’appartient pas au même genre épigraphique et n’a pas été retrouvé au même endroit que les inscriptions que nous analysons ici5. Un quatrième texte, gravé avant cuisson sur le fond extérieur d’un vase Dragendorff 37, a lui aussi été retrouvé sur le terrain Boudon de la Roquette et n’appartient donc pas au groupe que nous étudions ici. Au reste il se rattache à la classe des inscriptions qui contiennent la forme aricani. Cette classe comprend surtout des objets trouvés à La Graufesenque, autre centre de production de céramique sigillée ; son analyse linguistique et socio-linguistique pose de gros problèmes6.

Lieu de découverte

Des six textes que nous prenons en compte, cinq ont été découverts en 1937 lors des fouilles de Charles Morel dans l’enclos Monestier. Il est vrai que pour l’un d’entre eux, l’inscription RIG II, 2, L-53 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4, Pierre-Yves Lambert, suivi par le volume dirigé par Alain Trintignac dans la Carte archéologique de la Gaule, considère que le lieu de découverte est incertain. Cependant les notices de Joseph Vendryes rattachent clairement la trouvaille au reste du groupe et aux fouilles de 1937 dans l’enclos Monestier7.

La seule inscription qui n’a pas été découverte en 1937 est l’inscription CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1, qui été retrouvée au XIXe siècle. Mais même ce texte semble provenir des environs immédiats de l’enclos Monestier. Les notices relatives à sa découverte, il est vrai, sont divergentes. Selon Pierre-Yves Lambert et la Carte archéologique de la Gaule8, l’inscription a été découverte dans le champ Lou Clauzellou dans la première moitié du siècle, et ce champ appartenait à la famille Monestier. Le champ pouvait du reste être proche de l’enclos de cette famille. L’objet aurait été acheté en 1872 par l’abbé Cérès avec une partie des trouvailles des fouilles du champ Lou Clauzellou. Toutefois Joseph Vendryes9 indique que l’abbé Cérès a fouillé en 1871 dans l’enclos Monestier lui-même, immédiatement au voisinage du site fouillé en 1937. Il semble considérer que l’inscription CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1, qui est issue de la collection Cérès, provient de ces fouilles de 1871. Les informations fournies par Joseph Vendryes sont confirmées par des remarques publiées plus tard par Charles Morel lui-même : celui-ci écrit10 d’une part qu’il a fouillé en 1937 à proximité des fouilles de l’abbé Cérès et d’autre part que l’inscription CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 provient bien des fouilles de l’abbé Cérès11.

L’enclos Monestier12 a livré par ailleurs les vestiges d’ateliers de potiers. C’est donc d’un contexte où se trouvaient des ateliers que proviennent les graffites. Les six textes du groupe que nous commentons ont été gravés avant cuisson, sur argile déjà dure, ce qui est capital pour leur interprétation socio-linguistique13.

Texte des inscriptions

Le texte des six inscriptions, dans l’édition du RIG, est le suivant :

CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 (sur la face externe d’une coupelle ; diamètre extérieur de 10,2 cm selon le RIG II, 2, L-50)

neddamon
delgu 
uacat linda
“Je contiens la boisson des suivants.”

RIG II, 2, L-51 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 2 (sur la face externe d’une coupelle comparable à la précédente, dont le diamètre est de 9,9 cm selon le RIG II, 2, L-51)

lubi uacat rutenica uacat onobíía
tíedi uacat ulano uacat celicnu

RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3 (sur la face externe d’une coupelle comparable aux précédentes ; diamètre 9,3 cm selon le RIG II, 2, L-52)

billicotas uacat rebellias
tioinuoru uacat siluanos

RIG II, 2, L-53 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4 (sur l’extérieur de la panse d’un petit vase ovoïde avec col ; diamètre d’environ 7,5 cm selon le RIG II, 2, L-53)

citan uacat ate uacat solos
lubi uacat tarcot uacat esoes

RIG II, 2, L-54 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 5 (sur le fond d’un vase à décors moulés Dragendorff 37, du côté externe ; diamètre originel 16 cm selon Vendryes 1956, 184)

camriaca
]ridru
uacat
]roca

Trintignac, éd. 2012, 144, n° 10, inscription mentionnée par le RIG II, 2, p. 151 (sur la face externe d’une coupelle comparable à celles des trois premières inscriptions, dimensions non indiquées)

pastellata
“parfumée”

La lecture de ces inscriptions, gravées en alphabet cursif latin, n’est pas complètement sûre. Les textes RIG II, 2, L-51 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 2, RIG II, 2, L-53 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4 et RIG II, 2, L-54 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 5 doivent être considérés comme tout à fait incertains, ce qui aggrave encore les difficultés d’interprétation.

Analyse linguistique : les textes les plus intelligibles

De toutes ces inscriptions, seule la première et la dernière sont susceptibles d’une analyse linguistique suffisamment étayée.

La forme pastellata peut être analysée comme un dérivé du substantif pastillus qui désigne en latin une “pastille”, notamment destinée à rafraîchir l’haleine. Il se peut donc que la forme dérivée pastellata, au féminin, soit dérivée de pastillus, au sens à la vérité légèrement plus vaste en extension de “parfum, substance parfumée”, et que la forme dérivée signifie “parfumée”. En ce cas pastellata serait à comparer à uinosa “vineuse”, adjectif latin attesté sur une inscription peinte sur un vase à boire découverte à Thérouanne (Pas-de-Calais, France), CIL XIII 10018, 185.

Joseph Vendryes, dont nous suivons ici l’analyse14, considère que les deux formes rentrent dans une série plus large d’anthroponymes féminins attestés sur d’autres objets en céramique gallo-romains. L’inscription renverrait donc à une destinataire à qui l’objet pourrait être offert. Jérôme Carcopino a proposé une variante de cette conclusion qui nous paraît plus probable15 : il fait observer que uinosa au moins est probablement une qualification de l’objet en céramique lui-même, un vase à boire. De fait, l’emploi comme épithète pour une destinataire ne serait guère flatteur et selon nous est peu probable. Cette hypothèse, étendue à pastellata, suppose que les deux objets sont destinés à contenir des boissons qualifiées respectivement de uinum “vin” ou de pastillus “parfum, substance parfumée”, ce qui est fort plausible, et que la désignation du support, sous-entendue dans les inscriptions, est un féminin justifiant l’accord avec uinosa “vineuse” et pastellata “parfumée”. Encore plus plausible à notre avis serait une analyse des deux adjectifs comme renvoyant non pas exactement au contenant céramique, mais par métonymie à la boisson contenue dedans, “vineuse” ou “parfumée”.

Le lexème pastellata est considéré par Joseph Vendryes16 comme latin. De fait, sa base est un substantif latin et la dérivation est probablement latine. Mais pastellata, dans l’inscription de Banassac, quelle que soit l’explication de la voyelle -e-, peut éventuellement, en synchronie, représenter un emprunt culturel du gaulois (ou du moins d’une variété de gaulois) à partir du latin, c.-à-d. un emprunt à la fois du référent et de sa désignation linguistique17. Ceci vaut aussi pour la base de dérivation pastillus elle-même. De tels emprunts, avec intégration dans le lexique de la langue cible, sont chose courante et ne supposent pas de déclin linguistique de cette dernière. La morphologie de la forme, avec un nominatif féminin singulier en -a, est commune aux deux langues18.

Depuis l’analyse proposée par Joseph Vendryes en 195519, il est admis que le texte CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 comporte le génitif pluriel du superlatif “proche, voisin”, un verbe à la première personne du singulier de l’indicatif présent actif signifiant “tenir”, probablement au sens de “contenir [un liquide]”, et l’accusatif pluriel neutre d’un lexème signifiant “boisson, ce qui est bu”. Le texte a pu en outre être analysé comme comportant (ou non) une syntaxe recherchée et un ordre des termes poétique, ce que nous n’examinons pas en détail ici20.

Le texte fait référence à une pratique attestée par ailleurs dans les sociétés de langue celtique, mais aussi sur des inscriptions latines des Gaules, celle de faire circuler un vase à boire parmi les participants d’un banquet. Le support de l’inscription, une coupelle, est si petit qu’il ne peut pas être supposé que le contenu de la coupelle doive être partagé entre plusieurs personnes. En revanche, l’inscription “je contiens la boisson des suivants” peut indiquer que la coupelle est destinée à être vidée, puis aussitôt remplie à nouveau par et pour un autre buveur21 ; au niveau illocutoire elle équivaut à une invitation à ne pas garder en main la coupelle trop longtemps22.

Analyse linguistique : un premier texte difficile

L’analyse des autres inscriptions est considérablement plus difficile et nous nous limitons ici à un petit nombre d’éléments qui nous paraissent sûrs et qui fournissent matière à un commentaire socio-linguistique.

L’inscription RIG II, 2, L-51 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 2 contient une forme d’impératif, lubi, qui signifie certainement “apprécie, aime”23. Après cette forme se trouve ce qui est probablement un vocatif féminin singulier, rutenica, renvoyant à l’interlocutrice de l’injonction lubi. Ce vocatif est celui d’un adjectif dérivé de l’ethnonyme des “Rutènes”, la cité voisine de celle des Gabales sur le territoire de laquelle se trouve Banassac. La forme peut être interprétée étymologiquement comme un adjectif “celle qui est Rutène”. Mais il n’est pas possible de déterminer si rutenica est employé comme un idionyme “Rutenica” ou avec son fonctionnement étymologique comme adjectif “la / une femme qui est Rutène”, ni, dans le cas où la deuxième hypothèse serait correcte, si cet adjectif est spécifique, visant une Rutène définie dans le contexte d’énonciation, ou générique, visant toute Rutène24. La présence d’idionymes certains sur l’inscription RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3 oriente à notre sens vers les deux premières solutions par opposition à la troisième : rutenica est probablement soit un nom propre soit une qualification visant une personne définie.

En revanche les trois formes suivantes sont à notre avis trop obscures pour être commentées25. C’est seulement à propos de la forme celicnu qu’il est possible d’émettre des hypothèses d’analyse. Il s’agit sans aucun doute d’une forme du même lexème qui est attesté dans l’inscription CIL XIII 2880 = RIG II, 1, L-13 sous la forme celicnon. L’inscription d’Alésia CIL XIII 2880 = RIG II, 1, L-13 mentionne à l’accusatif singulier le lexème celicnon comme désignation d’un référent offert à une divinité, dans un contexte où est documentée une association de forgerons. Il s’agit d’une dédicace sur pierre qui devait être intégrée dans un monument important. L’interprétation est facilitée par l’existence d’une forme gotique kelikn qui désigne un bâtiment ou une salle et qui représente probablement26 un emprunt à une langue celtique. La forme celicnon d’Alésia désigne très certainement un édifice ou local offert à la divinité en relation avec l’association de forgerons. L’édifice coïncide sans doute avec un bâtiment documenté archéologiquement, le monument dit d’Ucuetis, qui se trouve à septante-cinq mètres environ du lieu où a été retrouvée l’inscription CIL XIII 2880 = RIG II, 1, L-1327. Ce monument semble être le local de réunion des forgerons d’Alésia, dans lequel ceux-ci célèbrent notamment un culte à la divinité Ucuetis. Il ne nous semble pas légitime de poser une autre interprétation pour celicnu à Banassac, qui doit lui aussi renvoyer à un bâtiment ou à une salle d’usage collectif28.

La forme celicnu est attestée apparemment soit au datif singulier, ce qui est sémantiquement et pragmatiquement inattendu pour la désignation d’un référent non animé, quelle que soit l’interprétation correcte de celicnu29, soit à l’instrumental singulier, si du moins ce cas existe en gaulois30.

Analyse linguistique : un deuxième texte difficile

Tout aussi difficile, mais tout aussi important pour l’interprétation socio-linguistique des graffites de Banassac, est le texte RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3.

Cette inscription comporte deux formes qui sont immédiatement intelligibles, au moins partiellement, billicotas et siluanos. Elles sont liées à deux idionymes, deux noms propres de potiers, qui sont attestés tous deux non pas à Banassac, mais à La Graufesenque31. La forme attestée à La Graufesenque pour le premier nom propre est billicatos32. Si l’on tient compte de ce que Banassac a probablement été fondé par des potiers qui venaient de La Graufesenque33, il est probable que ce sont bien les personnages de La Graufesenque qui sont mentionnés sur le graffite de Banassac. La forme billicotas peut être interprétée comme une déformation volontaire du nominatif masculin singulier billicatos ou comme un adjectif à l’accusatif pluriel dérivé de ce nom propre, également avec déformation34. En tout état de cause elle comporte un lien motivé avec l’idionyme. La forme siluanos est le nominatif masculin singulier de l’idionyme correspondant, sans déformation.

Les deux formes intermédiaires posent des problèmes d’analyse qui rendent toute interprétation incertaine. Néanmoins il est possible qu’il s’agisse de deux formes verbales ou du moins de deux prédicats dont le sujet correspond respectivement à billicotas et à siluanos, si billicotas est le nominatif masculin singulier déformé du nom du potier35. Une autre analyse envisageable est que les formes de la ligne 1 sont à l’accusatif pluriel et sont l’objet de la forme verbale tioinuoru, dont le sujet serait siluanos36. En ce cas l’opposition entre les deux lignes ne renverrait pas à deux énoncés indépendants, mais à un objet indiqué à la ligne 1 opposé à un sujet et à l’action effectuée par celui-ci, mentionnés à la ligne 2.

Sans entreprendre une analyse morphologique ou étymologique, nous croyons en tout cas identifier un chiasme voulu entre les deux lignes, forme onomastique + forme non onomastique / forme non onomastique + forme onomastique, souligné par une paronomase ou par une figura etymologica à la première ligne : quelles que soient l’origine et la signification de l’élément billi- du composé billicotas et de la base -bell- de rebellias37, l’écho au moins phonétique entre les deux est tel qu’il doit correspondre à une volonté de jeu de mot de la part de l’auteur. Un tel usage poétique du langage, à des fins d’amusement, peut aussi être reconnu dans l’interversion des voyelles du second élément du composé billicotas par rapport aux formes attestées par ailleurs pour cet idionyme. Au total, l’inscription nous semble un texte stylistiquement recherché, destiné à opposer de manière amusante deux noms propres de potiers aux noms tous deux liés aux arbres.

Analyse linguistique : deux textes obscurs

Les deux derniers textes du groupe que nous étudions, RIG II, 2, L-53 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4 et RIG II, 2, L-54 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 5, posent des difficultés d’interprétation et même de lecture telles qu’il n’est pas possible d’en analyser le contenu. Le seul point significatif pour notre étude est la présence de la forme d’impératif lubi “apprécie, aime” à la ligne 2 du texte RIG II, 2, L-53 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4, qui indique une visée communicative et un type de formule comparables à ce que documente l’inscription RIG II, 2, L-51 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 2.

Analyse socio-linguistique : le message des inscriptions

L’ensemble des traits que nous venons d’analyser est fort insuffisant pour une interprétation complète des six graffites. Mais les éléments sûrs sont suffisamment nombreux pour proposer une hypothèse sur le lieu d’où ceux-ci proviennent, la visée communicative qui était celle de leurs auteurs et l’usage qui était fait de leurs supports.

Un point important est que les six graffites ont été retrouvés, semble-t-il, au même endroit (sans doute dans la même strate), dans un lieu où se trouvaient par ailleurs des ateliers de potiers ; en outre ils ont été gravés avant cuisson, donc par les potiers eux-mêmes, ou du moins par leurs proches.

Il nous semble que la forme de datif ou d’instrumental celicnu, dans ce contexte d’activités de production, doit bel et bien être rapprochée de la forme celicnon d’Alésia, laquelle renvoie à un local géré collectivement par un groupe d’artisans où s’effectuent notamment des activités cultuelles. La forme celicnu peut elle aussi renvoyer à une salle gérée par des artisans, ici les potiers dont les ateliers sont dans le voisinage immédiat : non seulement le référent peut être du même type dans les deux textes, en l’espèce un local à usage de sociabilité collective, mais le signifié même du lexème doit renvoyer à ce type de local, quels qu’en soient les sèmes exacts. Comme à Alésia, le celicnu de Banassac doit être une schola d’artisans, en l’occurrence non pas de forgerons mais de potiers38.

Cette hypothèse nous paraît être corroborée et précisée par ce qui est analysable du contenu des inscriptions. Le texte CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 fait référence à des pratiques qui relèvent du banquet. Il est enjoint au lecteur de penser aux personnes qui attendent leur tour pour boire. Que l’objet soit fonctionnel, destiné à servir effectivement de coupe à boire, ou au contraire destiné à être montré dans un contexte de réunion, il renvoie selon nous à l’une des destinations du celicnu, à savoir servir de lieu d’expression à la sociabilité des potiers, notamment dans le cadre de banquets39.

La mention de noms de potiers sur l’inscription RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3 et celle, possible, d’un idionyme féminin renvoyant à une personne précise sur le texte RIG II, 2, L-51 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 2 sont selon nous des indices que les destinataires de la série de textes n’étaient pas le grand public, ni même des clients déterminés ayant passé commande, mais bel et bien des personnes directement connues et fréquentées par les potiers eux-mêmes, dans le cadre des activités de sociabilité du celicnu. Ainsi seulement peut s’expliquer la mention de ces personnes sur des objets retrouvés dans un seul et même local voisin d’ateliers de potiers.

À propos des deux potiers, le message RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3 comporte une composition stylistiquement marquée apparemment destinée à l’amusement du lecteur, que ces potiers fréquentent le celicnu ou qu’ils soient au contraire des rivaux ou des prédécesseurs (par exemple du point de vue commercial). L’impératif lubicommun aux graffites RIG II, 2, L-51 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 2 et RIG II, 2, L-53 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4 indique quant à lui une même visée communicative, en l’espèce l’adresse à un lecteur ou une lectrice à qui l’on demande d’apprécier quelque chose. Dans la seconde de ces deux inscriptions aucune forme onomastique sûre n’est présente, mais les difficultés de lecture et d’interprétation du texte empêchent toute certitude sur ce point ; dans la première en revanche rutenica peut être la destinataire de l’injonction, connue des potiers qui fréquentaient le celicnu. Il est possible que les destinataires de l’injonction lubi aient été invités à apprécier quelque chose lors de banquets au cours desquels étaient employés ou montrés les vases.

Cinq des six textes sont gravés sur la face externe de vases, dont quatre sont des coupelles qui peuvent être utilisées pour une boisson ou du moins être fictivement considérées comme des vases à boire. Ces quatre vases à boire et ces cinq textes faciles à voir autour de l’objet sont fort compatibles avec l’hypothèse d’une conservation et d’un usage des objets dans le cadre de pratiques de sociabilité entre potiers. Le sixième texte, l’inscription RIG II, 2, L-54 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 5, est gravé sur le fond d’un vase à boire à décors moulés Dragendorff 37. Par ses dimensions, cet objet est comparable aux autres objets porteurs de graffites. Le fait que l’inscription est gravée sous le fond peut indiquer que le texte est lisible seulement lorsque le vase est utilisé40. Quoi qu’il en soit, fonctionnel ou non, cet objet, lui aussi, fait allusion par sa seule présence à des activités de banquet, sans préjudice d’éventuelles manipulations effectives dans le cadre de festins collectifs.

Analyse socio-linguistique : pratiques de sociabilité des potiers ou publicité destinée au public ?

L’analyse que nous proposons est donc la suivante : les graffites ont été gravés par les potiers eux-mêmes ou par leurs proches, sur des vases destinés à un usage bien précis dans un local collectif qui leur appartenait, au cours de pratiques de sociabilité faisant intervenir des personnes définies qu’ils connaissaient personnellement. Telle n’est cependant pas l’analyse la plus courante de la fonction et de la visée communicative des graffites que nous étudions.

Joseph Vendryes, lors de la publication princeps de cinq des six textes, a émis l’hypothèse d’une fonction commerciale pour toute la série : les formules seraient destinées à séduire une clientèle qui puisse avoir envie de les lire en se servant du vase qui en est le support41. Cette hypothèse est à la rigueur envisageable pour l’inscriptionCIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 qui est susceptible d’être un message émis à l’intention de n’importe quel lecteur, puisque valable dans toute situation de banquet42. Mais elle ne l’est en aucun cas pour les textes qui mentionnent des individus précis. Comme l’indique Joseph Vendryes lui-même, pour le cas de billicotas et de siluanos, on “peut se demander si l’inscription ne contiendrait pas une allusion à quelque incident de la vie commune, auquel les deux potiers auraient été mêlés”35. Cette interprétation ne rend pas compte non plus de la présence du lexème celicnu dans le texte RIG II, 2, L-51 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 2 : ce lexème renvoie à un lieu de sociabilité collective précis. Surtout, et cela vaut même pour l’inscription CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1, cette analyse n’explique pas le fait que toute la série a été découverte au même endroit, apparemment dans une seule et même couche archéologique.

L’hypothèse d’une fonction commerciale, en vue de la vente au public, a été reprise par la suite par Robert Marichal, qui précise, notamment à propos de la série que nous commentons, que les graffites avant cuisson en gaulois devaient être destinés à “une élite (…) capable non seulement de lire cette écriture cursive que les ignorants écrivaient très mal et qu’ils devaient donc déchiffrer très péniblement, mais même d’en apprécier la beauté, comme les plus cultivés des Pompéiens, et qui, cependant, connaissait encore bien la langue gauloise et, semble-t-il, prenait plaisir à la lire, un peu, peut-être, il est vrai, comme nous aimons parfois à lire sur des poteries-souvenirs quelques phrases de patois”43. Cette analyse, non plus que la précédente, ne nous paraît pas pouvoir être retenue, surtout qu’elle implique des hypothèses sur le déclin du gaulois selon les classes sociales qui ne doivent pas nécessairement être retenues.

Dès après la communication dont est tiré l’article de 1971 de Robert Marichal, Michel Lejeune a proposé une autre analyse socio-linguistique des graffites gaulois, et en particulier de ceux de Banassac44. Il souligne la présence d’idionymes, en particulier féminins, parmi ces textes. Selon lui, deux interprétations sont possibles. Ou bien les noms propres sont très courants et les potiers sont sûrs de trouver un acheteur ou une acheteuse intéressée – et les graffites relèvent bien d’une adresse à des acheteurs potentiels. Ou bien les graffites, tout en étant destinés à un lectorat d’acheteurs, répondent à une commande de la part de personnes précises. La première hypothèse semble intrinsèquement improbable. La seconde a l’avantage d’expliquer pourquoi les textes contiennent des formules onomastiques répondant à des individus définis. Elle représente donc un progrès par rapport à celle d’un message à l’intention de tout acheteur. Mais, comme le remarque Michel Lejeune lui-même45, ces deux hypothèses ne rendent pas compte d’un fait, toujours le même : les six graffites de Banassac ont été découverts en un seul et même lieu, et il n’est guère plausible qu’il s’agisse de pièces de rebut et que d’autres pièces comparables aient circulé, dont pas une seule n’aurait été retrouvée. En outre, aucune des deux hypothèses ne rend compte de l’emploi du lexème celicnu.

Une alternative encore plus satisfaisante, mais partielle, a été proposée par Robert Marichal lui-même en réponse aux remarques de Michel Lejeune46. Parmi les dix graffites, le texte RIG II, 2, L-54 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 5 est gravé sous le fond du vase. Pour un pareil texte, selon Robert Marichal, l’hypothèse d’une commande est peu convaincante. Le texte, d’après lui, n’est pas assez ostensible pour qu’un commanditaire, soucieux d’amuser ou d’impressionner, ait voulu le faire graver. Il s’agit donc au moins pour ce texte et pour tout graffite gaulois gravé sous un fond de vase, au-delà des textes de Banassac, non pas d’inscriptions répondant à une commande, mais d’inscriptions gravées par les potiers à titre de cadeaux destinés à être offerts à leurs proches. Il y a lieu, selon Robert Marichal, de distinguer ces textes de ceux qui sont gravés sur des faces latérales, lesquels sont proposés à la vente. Cette hypothèse rend compte de manière parfaitement satisfaisante de la présence d’idionymes renvoyant à des personnes précises dans les inscriptions gravées sous un fond de vase. En revanche elle revient à supposer que les cadeaux comportaient une mise en scène moins flatteuse pour le ou la dédicataire que les vases à texte gravé sur la panse, répondant à une commande, ce qui est arbitraire. D’autre part, la distinction entre textes gravés sous fond de vase et textes gravés sur face latérale ne rend pas compte de ce que les graffites de Banassac ont été retrouvés non seulement dans la même ville, mais même exactement dans le même contexte archéologique, indépendamment de la position du champ épigraphique sur l’objet support47. Cette analyse, elle non plus, ne rend pas compte de l’emploi du lexème celicnu.

En revanche, il nous semble que l’hypothèse que les six textes de notre corpus renvoient à des productions faites spécialement pour un lieu de réunions collectives et pour ceux et celles qui y participaient rend compte de tous les aspects des textes ; le cas de l’inscription RIG II, 2, L-54 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 5 indique en particulier que les objets étaient destinés à être manipulés effectivement, ou peut-être à être exposés en permanence sur un meuble.

Conclusion : gaulois et latin à Banassac

L’existence des six graffites destinés à être lus au cours de pratiques de sociabilité entre potiers, dans un local destiné à cet effet, renvoie à son tour à la question des usages respectifs du gaulois et du latin à Banassac. De fait, outre les graffites de leur local de réunion, outre les quelques autres graffites retrouvés à Banassac, que nous n’avons pas étudiés, outre les estampilles de leurs produits48, les potiers de Banassac ont composé de nombreuses inscriptions latines, qui sont des légendes en capitales inscrites sur les moules destinés à la fabrication des objets en terre cuite. Il n’y a aucun doute sur le fait que les objets ainsi fabriqués, pour lesquels l’inscription fait partie de la décoration, étaient destinés à la vente et à une grande diffusion. De fait, les vases concernés, qui sont des bols Dragendorff 37, ont été retrouvés non seulement à Banassac même, mais aussi dans toute l’aire de diffusion des céramiques de Banassac. Les textes sont soit des messages génériques de bonheur, soit plus précisément une série d’acclamations à des peuples divers, probablement perçus comme acheteurs potentiels49. En voici deux exemples :

  • CIL XIII 10012, 12 : VENI AD ME AMICA
  • CIL XIII 10012, 5 : REMIS FELICITER

Ces inscriptions destinées à la clientèle, et flattant en particulier la fierté des cités nommément indiquées dans les textes, sont toutes en latin.

Il y a donc à Banassac une distribution complémentaire très nette, presque sans exception, entre l’usage écrit du latin (dans la communication destinée au public acheteur) et celui du gaulois (dans des graffites destinés à un usage collectif par les potiers eux-mêmes). Le latin est peut-être présent marginalement dans les graffites si pastellata de l’inscription Trintignac, éd. 2012, 144, n° 10 est bien une forme latine motivée comme telle et non pas un emprunt du latin vers le gaulois. La seconde interprétation nous semble cependant fort probable.

Hypothèses générales

Il est bien sûr difficile de déduire de cette opposition entre les usages écrits du latin et du gaulois quelque conclusion que ce soit pour les usages oraux des deux langues, et même pour leurs usages écrits dans d’autres contextes. D’autre part, l’étude que nous avons menée nécessiterait d’être prolongée par une analyse des autres inscriptions de Banassac et aussi des textes provenant du site à peine antérieur de La Graufesenque, où sont notamment attestés d’autres exemples du lexème lubi50.

Néanmoins, il nous semble que la distribution complémentaire fort sensible qu’attestent les inscriptions de Banassac renvoie à une distinction très nette faite par les potiers entre usages du latin et usages du gaulois. Les potiers étaient pleinement capables de faire la différence entre les deux langues51 et de choisir en connaissance de cause dans quel contexte utiliser chacune des deux. Le latin, langue de prestige, est la langue de la communication publique destinée à un lectorat ouvert et indéterminé, comprenant éventuellement d’autres locuteurs de gaulois. Le gaulois, pour sa part, est susceptible d’usages fort variés dans la communication collective entre potiers, y compris dans des textes qui présentent plus ou moins nettement une recherche formelle52 ; le latin intervient ici seulement via ce qui peut être un simple emprunt culturel du gaulois depuis le latin53. Rien n’oriente vers une analyse en termes de déclin du gaulois, malgré le caractère dissymétrique de la diglossie attestée à Banassac, où le prestige attaché à chacune des deux langues est fort différent.

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Notes

  1. À propos de la céramique de Banassac, de sa production et de sa diffusion, cf. Bémont & Jacob, éd. 1986, 103-110, Fabrié 1989, 26, et plus récemment Trintignac, éd. 2012, 81-82 et 137-143.
  2. Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 à n° 10.
  3. Il s’agit des inscriptions Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 à n° 5 et n° 10 ; cf. aussi Vendryes 1956 ainsi que le RIG II, 2, L-50 à L-54 et p. 151. L’inscription qui est peut-être en latin est le texte Trintignac, éd. 2012, 144, n° 10, mentionné aussi par Vendryes 1956, 178 et par le RIG II, 2, p. 151. L’une des inscriptions en gaulois, RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1, est au CIL XIII sous le numéro 10016, 13.
  4. Il s’agit des inscriptions Trintignac, éd. 2012, 144, n° 7 et n° 8 ; cf. aussi RIG II, 2, p. 151.
  5. Il s’agit de l’inscription RIG II, 2, L-55 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 6.
  6. L’inscription retrouvée à Banassac est le texte RIG II, 2, L-35.7 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 9. Pour les inscriptions aricani et leur analyse fort incertaine, cf. RIG II, 2, L-35.1 à L 35.7.
  7. Ceci se dégage de la comparaison des remarques que Vendryes 1956 fait à la p. 172, à la p. 178 et aux p. 182-184, pace RIG II, 2, L-53 et Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4. L’indication donnée par Joseph Vendryes est confirmée par le fouilleur lui-même, Morel 1968 [1957], 85-86.
  8. Cf. RIG II, 2, L-50 et Trintignac, éd. 2012, 143, n° 1.
  9. Vendryes 1956, 172. Pour les fouilles de l’abbé Cérès de 1871, voisines de celles de 1937, cf. aussi Trintignac, éd. 2012, 134.
  10. Morel 1968 [1957], 78-79 et 85-86.
  11. Le RIG II, 2, L-50, qui est suivi par Trintignac, éd. 2012, 143, n° 1, ne donne pas d’explication sur le désaccord avec les remarques de Joseph Vendryes et de Charles Morel.
  12. La publication princeps de l’inscription CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 donne pour seule indication de provenance la mention de Banassac. Cf. Héron de Villefosse 1872, 141. Ce savant indique qu’il a “gardé bien longtemps le petit vase de la trouvaille de Banassac”, ce qui est fort vague. Il publie l’inscription lors de la séance du 16 octobre 1872 de la Société nationale des antiquaires de France. L’indication “bien longtemps” peut renvoyer à plusieurs mois, et n’indique en tout cas pas si l’objet a été acheté en 1872 par l’abbé Cérès ou découvert par lui l’année d’avant. Aucune indication de provenance précise ne figure non plus au CIL XIII 10016, 13.
  13. Cf. pour quatre des six textes Vendryes 1956, 172 et 182, RIG II, 2, L-50 à L-52 et L-54, et Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 à n° 3 et n° 5. Un cas problématique pourrait être celui de l’inscription RIG II, 2, L-53 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 4. Selon Vendryes 1956, 182, le texte a été gravé après cuisson. Mais Marichal 1971, suivi par Trintignac, éd. 2012, 144 et par le RIG II, 2, L-53, a montré que cette inscription, comme les autres graffites de Banassac que nous analysons, a été gravée avant cuisson, et plus précisément “lorsque le vase est sec, l’argile durcie et que l’engobe séché et poli a imbibé la pâte”. L’inscription Trintignac, éd. 2012, 144, n° 10, quant à elle, mentionnée par Vendryes 1956, 178 et par le RIG II, 2, p. 151, n’est pas discutée sur ce point par les auteurs de ces publications. À en juger par les photographies fournies par Vendryes 1956, fig. 2 et par le RIG, II, 2, p. 151, elle a été gravée avant cuisson sur argile dure elle aussi : les traits ne sont pas particulièrement épais ni les bords ourlés de craquelures, contrairement à des traits gravés après cuisson ; d’autre part le style n’a pas refoulé la pâte sur les bords au point de former un relief considérable, contrairement à ce qui se passe pour des traits gravés avant cuisson sur pâte molle.
  14. Vendryes 1956, 178, lequel pose un lexème non attesté *pastella comme base de pastellata. Cette hypothèse ne nous paraît pas nécessaire : le dérivé en *-ā-to- peut être issu directement du lexème thématique attesté pastillus. Pour une telle opération de dérivation en latin cf. Leumann 19775, 333.
  15. Carcopino, in Vendryes 1956, 186. Cf. aussi Marichal 1974, 280, n. 7.
  16. Vendryes 1956, 178, suivi par le RIG II, 2, p. 151.
  17. Pour la notion d’emprunt culturel cf. Myers-Scotton 1992, 34.
  18. Lambert 20184, 56-57 pour la désinence -a en gaulois.
  19. Vendryes 1955.
  20. Cf. sur tous ces points le bilan proposé par le RIG II, 2, p. 154 et par Lambert 20184, 141. Pour les trois lexèmes, cf. Delamarre 20183, 139, 203 et 233.
  21. Pour la petite taille de la coupelle, cf. Vendryes 1956, 177-178. Il est même envisageable que l’objet fasse allusion à des pratiques de banquet, mais qu’il s’agisse d’un objet miniature destiné à être montré, et non à être utilisé effectivement comme vase à boire. Cf. Lambert 20184, 141. Cf. aussi p. 283.
  22. Cf. sur ce point les remarques fondatrices de Vendryes 1955, 11-12 et 16-17 ainsi que 1956, 177-178. Voir en dernier lieu le bilan proposé par de Bernardo Stempel 1997, 100-101 et par le RIG II, 2, L-50.
  23. Pour la forme lubi et le lexème auquel elle appartient, cf. Marichal 1971, 201-204 et 1974, 277-279, Lejeune in Marichal 1971, 210-211, Lejeune 1971, 43-45, Fleuriot 1975, 444, RIG II, 2, L-51, Lambert 20184, 65, 141-143 et 145-146 ainsi que Delamarre 20183, 209.
  24. Pour l’ensemble de ces hypothèses d’analyse cf. Vendryes 1956, 180 (fonctionnement adjectival conservé), Marichal 1971, 204 et Lejeune in Marichal 1971, 209 et 211 (fonctionnement comme idionyme), ainsi que RIG II, 2, L- 51.  Il est possible, comme le supposent Fleuriot 1975, 444, le RIG II, 2, L-51 et Lambert 20184, 142, que l’adjectif rutenica ne soit pas un vocatif féminin, mais un accusatif neutre pluriel, et qu’il détermine éventuellement la forme suivante, onobíía. Fleuriot considère que rutenica signifie “rutènes, des Rutènes” et modifie onobíía qui selon lui signifie “liquides de vie”. Le RIG II, 2, L-51 et Lambert 20184, 142 observent qu’à La Graufesenque un potier nommé Ruta(e)nus est documenté, qui pourrait avoir aussi exercé à Banassac par la suite ; cf. aussi Bémont & Jacob, éd. 1986, 284 à propos de ce potier. Il se pourrait donc que rutenicasignifie en fait “[du potier] Ruta(e)nus” et modifie onobíía que le RIG II, 2, L-51 et Lambert 20184, 142 comprennent hypothétiquement comme “coupes”. Ces deux analyses nous semblent peu probables en raison du fait, souligné à juste titre par Marichal 1971, 204, que l’impératif lubi est suivi dans un autre graffite gaulois, RIG II, 2, L-37, retrouvé à La Graufesenque, de ce qui semble à nouveau un vocatif féminin singulier, Sincera. Pour cette dernière forme l’interprétation de sincera comme un accusatif neutre pluriel, également proposée par le RIG II, 2, L-37 et par Lambert 20184, 146, donne un sens “[vins] purs” ou “[eaux] pures”, concevable sémantiquement, mais dans lequel le pluriel se justifie difficilement pragmatiquement et référentiellement. En outre, la présence d’anthroponymes à Banassac au moins sur l’inscription RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3 rend elle aussi probable que rutenica désigne un être humain. Le fait que la forme onobíía n’a pas reçu d’interprétation sûre, cependant, rend par contrecoup incertaine l’analyse de la forme précédente rutenica.
  25. Pour un bilan des propositions, cf. RIG II, 2, L-51 et Lambert 20184, 142.
  26. Si la voyelle longue ou en tout cas fermée notée par -e- dans le mot gotique, dont l’importance est soulignée par Eska 1990, 66-67 et par Szemerényi 1995, 313, renvoie bien à une voyelle longue en gaulois et non à un phénomène de réinterprétation lors de l’emprunt (par exemple la remotivation d’une voyelle dont le timbre gaulois n’avait pas de correspondant exact en gotique), alors le mot gaulois comprend probablement un [ē] issu d’*-ey-. Pour la monophtongaison d’*-ey- en gaulois cf. Lambert 20184, 44. Pour l’étymologie possible de celicnon cf. Russell 2013, 208-210, qui rejette la proposition plus complexe d’Eska 1990, 68-69 : selon Paul Russell, il peut s’agir d’un dérivé en *-ikno- de la base héritée *keylyo- “compagnon”, au sens de “petit lieu de sociabilité”, le suffixe ayant au moins étymologiquement un signifié diminutif.
  27. Le monument est ainsi nommé parce qu’y a été retrouvée l’inscription latine CIL XIII 11247, dédicace à Ucuetis et à sa parèdre Bergusia. Cette dédicace corrobore l’hypothèse que la dédicace à la même divinité Ucuetis CIL XIII 2880 = RIG II, 1, L-13, qui doit provenir d’un monument important, provient du monument d’Ucuetis ou d’une installation liée à lui, et a été déplacée secondairement ; peu économique serait au contraire l’hypothèse de deux sanctuaires d’Ucuetis sur le plateau d’Alésia, l’un contenant l’inscription CIL XIII 11247 et l’autre l’inscription CIL XIII 2880 = RIG II, 1, L-13. Pace Szemerényi 1995, 309, le fait que l’inscription CIL XIII 2880 = RIG II, 1, L-13 ne mentionne pas la parèdre du dieu Ucuetis ne prouve en rien qu’elle ne provient pas du même contexte que l’inscription CIL XIII 11247, qui mentionne aussi Bergusia. Le statut subordonné de Bergusia sur l’inscription CIL XIII 11247 est manifesté par le fait qu’elle n’est pas qualifiée de *dea, contrairement à Ucuetis, mentionné le premier et qualifié de deo. Cette parèdre subordonnée peut donc sans difficulté être omise dans une autre inscription du même sanctuaire.
  28. Nous suivons Vendryes 1956, 180, Lejeune 1979, le RIG II, 1, L-13 et II, 2, L-51, Eska 1990, 64-65, Lambert20184, 52, 100-102 et 141-142 ainsi que Delamarre 20183, 113 pour l’analyse des deux formes celicnon et celicnu.
  29. Fleuriot 1975, 449-450 pose pour celicnu de l’inscription de Banassac une interprétation “vase”, qu’il juge compatible avec l’analyse comme “bâtiment” de la forme d’Alésia, parce qu’il considère que le signifié étymologique est “objet rond fait au tour”. Il nous paraît, comme à Lejeune 1979, 260, que l’existence de deux signifiés aussi différents que “vase rond” et “bâtiment rond” pour un seul et même lexème est très peu probable, d’autant plus que le monument d’Ucuetis à Alésia n’est pas rond. D’autre part, l’hypothèse que l’un des deux emplois répond à une métaphore occasionnelle, dans un corpus aussi restreint, serait arbitraire.
    Koch 1983, 182 et 201-203 ainsi que 1985, 9 et 14, puis Szemerényi 1995, 306-310 et 314, quant à eux, posent la même interprétation “vase” aussi bien pour la forme d’Alésia que pour celle de Banassac. Ceci est extrêmement improbable pour celicnon à Alésia, puisque le support matériel est un élément en pierre intégré dans un support de grandes dimensions et ne peut donc en aucun cas renvoyer à l’offrande d’un vase, qui ne légitime jamais un monument en pierre important, point négligé également par Russell 2013, 208. De ce fait, l’interprétation devient peu plausible aussi pour celicnu à Banassac.
  30. Comme le suggère Lambert 20184, 142.
  31. Vendryes 1956, 181-182, Lambert 1994, 216-219 et 20184, 143 ainsi que le RIG II, 2, L-52.
  32. Bémont & Jacob, éd. 1986, 280 et 285 pour les graphies attestées.
  33. Trintignac, éd. 2012, 82.
  34. Dans le premier cas billicotas est un nominatif masculin singulier qui comporte l’interversion arbitraire des deux dernières voyelles par rapport à billicatos. Dans le second, l’interversion n’est pas purement arbitraire, mais correspond en partie au besoin d’employer la désinence d’accusatif pluriel -as, éventuellement susceptible d’être analysée comme féminine. Cf. Vendryes 1956, 182, le RIG II, 2, L-52 et Lambert 20184, 143.
  35. Vendryes 1956, 182.
  36. Lambert 1994, 216-219 et 20184, 143 ainsi que le RIG II, 2, L-52.
  37. Le nom propre billicatos, comme sa déformation billicotas, est un composé dont le premier élément, attesté par ailleurs, est billi- : cf. Vendryes 1956, 182. Ce premier élément peut signifier “arbre” : cf. Delamarre 20183, 75. Dans la forme rebelliasre- est soit le préfixe latin “en retour” soit le préverbe perfectif et potentiel *pro- du gaulois : cf. RIG II, 2, L-52 et Lambert 20184, 143.
  38. Sur la fonction du monument d’Ucuetis à Alésia comme schola, cf. Provost, éd. 2009, 404-405 et 408.
  39. Cf. n. 22 à propos de la petite taille de la coupelle.
  40. Marichal 1974, 280 écrit qu’il s’agit d’un texte “clandestin”. Cependant une autre hypothèse serait que l’objet soit exposé en permanence, sur un meuble, le fond tourné vers les personnes qui ont accès à la pièce. Ceci n’exclurait pas que l’objet puisse par ailleurs être utilisé pendant les banquets.
  41. Vendryes 1956, 185 : “une maison de commerce comme la fabrique de Banassac [a] jugé utile d’orner ses produits de formules en langue gauloise pour flatter et attirer sa clientèle”. Cf. aussi Vendryes 1956, 174.
  42. Vendryes 1955, 10-11 pour l’hypothèse d’un ornement destiné à embellir l’objet à l’intention d’acheteurs futurs, dans le cas précis de cette inscription.
  43. Marichal 1971, 207-208.
  44. Lejeune dans Marichal 1971, 209-210.
  45. Lejeune dans Marichal 1971, 210.
  46. Marichal 1974, 279-281.
  47. Marichal 1974, 280, n. 6 reconnaît que le texte RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3 mentionne des individus précis, ce qui n’est guère compatible avec l’hypothèse d’un objet proposé à la vente, qu’il adopte pour cette coupelle où le champ épigraphique est sur une face latérale. Il suppose qu’il s’agit d’une “sorte de slogan publicitaire”, dont la pertinence, cependant, échappe.
  48. À propos de celles-ci, cf. en dernier lieu Trintignac, éd. 2012, 140-143.
  49. Pour les inscriptions en latin, cf. en dernier lieu Trintignac, éd. 2012, 140. Les textes sont recensés au CIL XIII 10012, 1 à 17. La série qui mentionne des peuples précis ne renvoie pas à un courant d’exportation bien établi dirigé exclusivement vers le peuple concerné. Trintignac, éd. 2012, 140 mentionne ainsi la découverte à Nîmes d’un vase mentionnant les Trévires.
  50. Sur les inscriptions RIG II, 2, L-35.1, L-35.2 (?), L-36, L-37 A et L-37 B.
  51. Ce qui semble être le cas à La Graufesenque aussi : cf. Adams 2003, 687-724 et Lambert 2011. Au demeurant, l’hypothèse inverse d’un déclin du gaulois si radical que même le système grammatical de la langue ne soit plus maîtrisé comme tel et que les auteurs des textes aient largement emprunté des traits latins par incapacité à fabriquer des formes proprement gauloises, dès le Ier ou le IIe siècle de n. è., est extrêmement invraisemblable. Un tel degré de confusion est atteint à un stade avancé dans le déclin d’une langue, à l’époque où apparaissent des semi-locuteurs qui n’ont jamais appris la langue complètement ou qui l’ont oubliée. Cf. Sasse 1992, 61-62. Or le gaulois, dans d’autres sites il est vrai, est bien attesté encore au IIIesiècle. Cf. Lambert 1998-2000, en particulier p. 61-62 : le texte complexe de la tuile de Châteaubleau, qui ne présente aucun trait manifeste de déclin de la langue, date au plus tôt du début du IIIe siècle.
  52. Cf. les inscriptions CIL XIII 10016, 13 = RIG II, 2, L-50 = Trintignac, éd. 2012, 143-144, n° 1 et RIG II, 2, L-52 = Trintignac, éd. 2012, 144, n° 3.
  53. Cf. l’inscription Trintignac, éd. 2012, 144, n° 10.
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Pessac
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EAN html : 9791030008265
ISBN html : 979-10-300-0826-5
ISBN pdf : 979-10-300-0827-2
ISSN : en cours
17 p.
Code CLIL : 4117
licence CC by SA

Comment citer

Dupraz, Emmanuel, “Les graffites gaulois de Banassac et leur analyse socio-linguistique”, in : Roure, Réjane, avec la collaboration de Lippert, Sandra, Ruiz Darasse, Coline, Perrin-Saminadayar, Éric, éd., Le multilinguisme dans la Méditerranée antique, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux , collection Diglossi@ 1, 2023, 273-290 [en ligne] https://una-editions.fr/les-graffites-gaulois-de-banassac [consulté le 02/05/2023]
10.46608/diglossia1.9791030008265.17
Illustration de couverture • Relevés de divers graffitis en phénicien, ibère, étrusque, gallo-grec, grec, latin, hiéroglyphes (DAO par Réjane Roure, Coline Ruiz-Darasse, Sandra Lippert, Bruno d'Andrea) sur une photo d'Alix Barbet (thermes de Stabies à Pompéi).
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