« La décadence de Faust commence avec son nom », écrit en 2001 Jean de Palacio, qui mentionne le docteur Festus (Rodolphe Töpffer), le docteur Fox et Monsieur Phoque (tous deux par Jean Richepin), Faustroll (Alfred Jarry), et clôt la liste avec « le Parafus de Gaston Danville », une nouvelle dans laquelle Faust « perd deux lettres (FaUSt), mais y gagne un préfixe, à la vérité suspect (le même que dans paraphrase ou parodie)1 ».
L’on peut poursuivre l’inventaire de ce qui s’annonce « petit » dès le nom même et que le burlesque, l’ironie ou la dévaluation achèvent de minimiser : entre 1846 et 1898, Franz Falk et Friedrich Spielhagen optent tous deux pour Faustulus, le premier dans une brève scène humoristique2, le second en revanche dans un roman souvent réédité3. L’on songe au Petit Faust d’Hervé qui fit salle comble entre Paris et Londres dès 18694 ; au « petit-fils de Faust » de Félicien Champsaur, dont le diable même ne veut pas (1885)5 ; ou encore au personnage du doctor Faustino de Juan Valera dans un roman espagnol paru en livraisons (1874-1875)6. Plusieurs de ces textes relèvent d’une veine caricaturale bien installée au cours du XIXe siècle en Europe et portée à son paroxysme à la fin-de-siècle.
Le théâtre n’est pas en reste. Bien des piécettes et formes marginales récusent les grandes compositions et font un pied de nez aux modèles établis en rivalisant d’inventivité bouffonne :
- 1868 : Henry Walker, Faust in Five Minutes, A Musical Medley Historiette (chanson burlesque interprétée par le chanteur comique Howard Paul dans le rôle de Méphistophélès)
- 1869 : Francis Cowley Burnand, Very Little Faust and More Mephistopheles (burlesque)
- 1871 : Marc Monnier, Faust, tragédie de marionnettes (avec un Faust gendarme)
- 1877 : Henry James Byron, Little Doctor Faust (burlesque)
- 1894 : Alfred Leslie, Little Mr. Faust (burlesque)
Plusieurs de ces chansons ou intermèdes n’ont survécu qu’à grand-peine : ce sont des divertissements brefs, bons pour un prélude, un entracte, un lever de rideau. Ils arrachent au spectateur blasé, gavé de Faust et de la vogue des Faust, un sourire après dîner sur une scène de vaudeville, de café-concert ou de petit théâtre. Rendons donc hommage à ces historiens de la culture, penseurs du phénomène de décadence ou historiens du théâtre, Sander L. Gilman, Jean de Palacio ou Jean-Claude Yon, qui s’y sont penchés en leur consacrant un article ou une réflexion7.
Ces formes d’expression secondaires, qui rapetissent, amoindrissent, inversent ou revisitent l’histoire de Faust dans ses formes les mieux connues, n’ont pourtant pas moins contribué à inscrire la trame faustienne et ses personnages attitrés dans le paysage culturel. Elles suscitent tout autant l’émotion par le rire ou le sourire que les grandes œuvres le font par les larmes, le saisissement ou l’effroi. Ni la parodie ni la dévaluation ne réussissent à détrôner le modèle peut-être parce que le burlesque et le comique sont de longue date partie prenante de la légende de Faust. La trace en est par exemple visible dans les anecdotes farcesques de l’écrit anonyme fondateur, L’Histoire du Dr Faust publiée par l’imprimeur protestant Johann Spies (1587). Et même le Faust I de Goethe a été étudié comme « comédie masquée » par Dieter Borchmeyer ou entre tragédie et comédie par Philippe Wellnitz8. Quant aux petits Faust, par leur brièveté même, ils s’impriment sur l’esprit mieux que la longue pièce éclatée et complexe du Faust I de Goethe ou l’opéra lentement élaboré de Charles Gounod dans ses diverses versions.
Où donc placer les petits Faust par rapport à ces monuments culturels ? Quelle importance leur donner ? Mon hypothèse est que certaines de ces formes d’expression secondaires, qui revisitent, amoindrissent, voire inversent les œuvres canoniques, ouvrent la voie, par leur inventivité, audace ou liberté esthétique, aux expérimentations avant-gardistes. Deux créations, aux deux extrémités de la fourchette chronologique envisagée dans ce volume, voire au-delà, prennent à partie l’une Goethe, l’autre Gounod. Si Le docteur Faust, poème-ballet (Der Doktor Faust, Ein Tanzpoem) de Heinrich Heine devance la période ici considérée de trente-trois ans (1847–1851), il est en avance sur son temps et remarquablement rendu par József Divéky dans un livre en 1912. Pour « petit » qu’il soit par le genre (le ballet) et le qualificatif Nebenwerk (œuvre « annexe » ou de « second ordre »9), cette création puissante ne s’en prend pas seulement à Goethe. Elle lance un défi à la réalisation scénique, défi toujours d’actualité comme on le verra. À ses côtés, Le Tout Petit Faust d’Émile Cohl (1910), bref film aux figurines animées dont le titre se passe de commentaire, s’en prend au Faust de Gounod.
Deux remarques avant d’y venir. D’une part, le jeune ou le petit Faust est un personnage en proie à la représentation. La force des images a pris d’assaut son esprit. Aveuglé, il ne vit que par elles, et lorsque l’objet de son désir s’offre à lui, la réalité se modèle sur la projection, le phantasme ou la peinture. L’image qu’il s’en est faite suffit, il n’a plus besoin de conquêtes. Le dramaturge autrichien Franz Grillparzer note dans un Faust parodique qu’il projetait dès 1811 : « car nous n’aimons aujourd’hui que l’image que peint notre imagination ; la jeune fille que nous croyons aimer n’est que le tableau auquel tout un chacun appose les couleurs10 ». À l’Acte V du poème-ballet de Heine, par exemple, la naïve fille du bourgmestre est un « portrait de vierge aux boucles blondes de l’école hollandaise » (avec une valeur ironique, j’y reviendrai). De l’autre, une épaisseur critique escorte le petit scénario faustien. La première version que Heine fit traduire en français se réduit au seul canevas (Gerdès, 1847), mais le poème-ballet est une œuvre triple : il est précédé d’une lettre ouverte à Benjamin Lumley, commanditaire de l’œuvre et administrateur de Her Majesty’s Theatre à Londres, où le ballet ne fut pas monté ; et il sera suivi en 1851 d’une longue annexe intitulée « Erläuterungen » (« Explications11 »). La lettre et l’annexe fourmillent de remarques critiques au point que Heine pensa publier indépendamment la seconde. Dès les années 1850, Faust est donc une matière culturelle dense, institutionnalisée (par le biais de Goethe), et étayée par les volumes de la collection de Johann Scheible Der Kloster, qui avait diffusé de nombreux documents, des pièces populaires et l’anonyme Historia imprimée par Spies. Tout se passe comme si le savoir jamais atteint, qui pèse sur le docteur dans le monologue inaugural de Goethe, était devenu un lourd manteau d’écrits que Faust traîne derrière lui. La veine parodique donne d’ailleurs à cet aspect la forme malicieuse d’un cours. Le Petit Faust d’Hervé s’ouvre sur une salle de classe où l’on explique Faust monté sur les planches, et le Faust d’Hervé est un maître d’école aguiché par une Marguerite délurée. Ne serait-ce que par ce second degré, ouvertement affiché, les petits Faust méritent donc notre attention en tant que laboratoires de pensée critique.
Par quels moyens outrepasseraient-ils les limites de leur catégorie, la petite classe où ils règnent, pour se mesurer à la grande ? Par quels biais jouent-ils dans la cour des grands ? Et qu’apportent-ils en termes d’histoire culturelle ?
Faust, poème-ballet de Heinrich Heine
Le canevas du ballet, version fortement intertextuelle, hybride et spectaculaire de la légende de Faust, est une réfutation acerbe du Faust I de Goethe. La phrase inaugurale (« cabinet d’étude, grand, à voûte, de style gothique ») décalque la didascalie du premier monologue nocturne de Goethe (« Dans une pièce gothique, étroite, à haute voûte, Faust s’agite sur son fauteuil, devant son pupitre ») pour l’élargir. Le cabinet étroit qui s’agrandit n’est pas qu’un détail. Tel un pignon creux, la référence inaugurale cache une chausse-trappe et un plaidoyer du petit dans les « Explications » : Goethe eut à sa disposition toutes les ressources de la langue allemande dont il joue comme d’un orgue, plaide Heine, lui, il ne propose qu’un « maigre livret » (magres Libretto), de pauvres moyens, une écriture sommaire (in aller Kürzer) ; Goethe en fit l’œuvre d’une vie, Heine ne disposa que de quatre semaines, concédées par Lumley qui lui passa commande ; Goethe est un dieu (sein langes blühendes Götterleben), Heine, le « malade affligé » (bekümmerter Kranker), exilé de longue date à Paris (où il mourra en 1856). Et pourtant, l’auguste auteur a trahi Faust selon la lettre-préface de Heine, qui retrace la genèse et l’évolution de la légende sur un patron explicitement biblique : « Abraham engendra Isaak, Isaak engendra Jacob, mais Jacob engendra Judas, dans les mains duquel le sceptre restera éternellement12 ». Faust n’est-il pas la Bible des Allemands ? Ce Judas n’est autre que Goethe. De fait, n’a-t-il pas trahi l’esprit de Faust ? N’a-t-il pas remplacé la damnation et la ruine finales par une ascension céleste ? N’a-t-il pas dépouillé le sujet du solide pacte infernal pour le plonger dans l’incertitude, tronqué sa puissante symétrie contre l’incomplétude ? Ne l’achève-t-il pas dans le Faust II « comme une farce frivole – peu s’en fallait que je ne dise : comme un ballet13 » ?
Avec son ironie coutumière pour arme, Heine répond précisément au « ballet » débilité de Goethe par sa propre création, un ballet nouvelle manière où le diabolique règne. Il puise dans le « petit » : le théâtre forain (les pièces de marionnettes) dont il cite des passages frappants, et les brochures populaires vendues dans les foires. Ses cinq actes s’articulent autour du sabbat et de son rite obscène (Acte III), introduit par un pacte spectaculaire ; ils se terminent par une gigantesque main noire, sortie des entrailles de la terre, qui s’empare du docteur, représenté à l’Acte V comme un médicastre fanfaron. Tel un décapant, l’esthétique des tréteaux nettoie Faust de la rouille des questions métaphysiques. Sexualisé, mené par sa libido, Faust entre en tentation littéralement comme on entre dans la danse et sur les pointes, initié aux arts noirs par une ballerine démoniaque, Méphistophéla. En se muant en danseur fantasque, l’ex-docteur hausse le genre élu par Heine au second degré et fait de la danse l’instrument de l’initiation diabolique. Le duo du ballet entre le protagoniste masculin et sa partenaire, source de tension amoureuse attendue, se multiplie par trois : Faust signe le pacte avec la danseuse-diablesse, suppôt des forces démoniaques, et entre dans la danse avec le corps de ballet de l’Enfer ; il se livre après la ronde du sabbat à l’Archisposa ou Domina, l’épouse de Satan, reconnaissable à son chausson d’or ; et quand il s’en détourne dégoûté, il courtise en dansant la blonde fille du bourgmestre (sorte de Marguerite de village). Une chorégraphie étourdissante orchestre une farandole de figures et un prodigieux défilé de pas et d’esthétiques que toute tentative de relevé réduirait à l’inventaire sans imagination.
Désormais doublement femme, tantôt Méphistophéla, tantôt Archisposa ou Domina, le diable séduit sans rémission, menant l’intrigue à une fin inéluctable. Si Heine n’est pas le créateur d’un diable au féminin, la nouveauté de cette conception n’a pas manqué de choquer ou de charmer les esprits. Théophile Gautier note dans La Presse à l’annonce de la commande de Lumley à Heine :
Où diable ce grand Goethe avait-il la tête de faire remplir le rôle du tentateur par un escogriffe à teint verdâtre et à chevelure rousse ? Le petit pied d’une danseuse, retenu par le bout de l’orteil dans son étui de satin n’est-il pas autrement satanique et propre à pousser la damnation que le sabot de cheval qui termine le pantalon rouge de ce pauvre cuistre de Méphisto ; […]. Il appartenait à Henri Heine de faire trouver ridicule une idée de Goethe14.
L’amoureux de Carlotta Grisi espérait que Carlotta, déjà engagée par Lumley, dansât le rôle. Au-delà du désir qui le travaillait au corps, il appuya sa réflexion esthétique sur le ballet et le mime comme arts du silence par le biais de la suite gravée que le Faust de Goethe avait inspirée à Moritz Retzsch. Les « petits » arts n’étaient pas que de ballet : le renouveau venait aussi de l’acide de la gravure15.
Le second degré, la densité et la forte intertextualité du canevas ont donné lieu à une riche annotation dans l’édition critique des œuvres de Heine en allemand. Aux côtés des pas attendus, la parodie pointe sans cesse du nez, l’interprétation carnavalesque y est de mise et la rupture de ton, trait stylistique majeur de Heine, règne. On pourrait parler de parodie assimilée (en mode d’écriture pleinement intégré) tant chaque scène et pas y trouvent une réplique dissonante. Spectacles, parades d’images, d’images dans l’image, et métamorphoses monstrueuses ajoutent du sensationnel, comme l’« arabesque grotesque » de l’Acte I qui n’en est pas moins un cortège aguichant de ballerines. Ce ballet hors du commun cherche de plus à échapper à la pesanteur, alors même que Heine, cloué à son grabat-tombeau parisien (Matrazengruft zu Paris16), est atteint d’une maladie de la moelle épinière dont il mourra paralysé. Comme le dit bien Max Niehaus :
Il investit dans la danse sa sensibilité religieuse, son sentiment de la nature, les émotions amoureuses les plus délicates, la passion sauvage, le pur comme l’obscène. La danse tourne à l’expression de la démonie, au souffle des forces diaboliques17.
C’est dire le défi de cette création pour toute troupe ou corps de ballet, même expérimentés, devant une bacchanale de formes mâtinant le classique de grotesque, le sacré de diabolique, le gracieux de monstrueux, le royal de trivial. La poésie, elle, est dans ce mélange qui coupe le souffle.
Des difficultés accumulées (culturelles, de financement et de gestion, notent les commentateurs18) ont empêché sa création. Lumley le qualifia d’« impossible ballet ». Hermann Schiff, le cousin de Heine, se demanda : « le docteur Faust, ballet périlleux, contraire au règlement de la police ?19 ». Dans une étude récente, David Conway étudie trois mises en scène du XXe siècle, la première à Prague en 1926, la deuxième à Sidney en Australie en 1941, la troisième, Abraxas, sur une partition de Werner Egk et une chorégraphie de Marcel Luipart, lui-même interprète du personnage de Faust, en 1948 à Munich sous occupation américaine, pour conclure sur le fait que seule la représentation tchèque est à la hauteur du cran de Heine. Abraxas fut interdit au bout de cinq représentations pour cause d’obscénité et outrage au sentiment religieux. C’était dans une ville dévastée et dans la disette, et la scène finale où la foule écrase Faust et Marguerite reflétait le sentiment ambiant20. Avant ces tentatives, autour de 1900, le cirque d’Arthur Schumann fit du ballet un numéro mêlé d’éléments issus des Volksbücher de Karl Simrock, par ailleurs auteur d’une pièce pour marionnettes dont Heine s’était inspiré. Le petit genre semblait voué aux tréteaux pour de bon. On recula pourtant devant l’audace d’une Méphistophéla en lui préférant un plus classique Méphistophélès21. Dans le peu qui en reste, l’indéniable fascination pour la scène du sabbat se mêle à des numéros attendus dans un style médiévisant. La sarabande diabolique traverse en diagonale le verso de la couverture du programme mais les stéréotypes iconographiques, dominants dans la deuxième moitié du XIXe siècle en Allemagne, avaient eu raison de Heine22.
Entre le cirque et ces trois représentations, une réalisation majeure prit la forme d’un livre pensé par József Divéky, artiste tchèque talentueux et polyvalent dont les nombreuses réalisations entre les pays, y compris pour les Wiener Werkstätte et le cabaret Fledermaus, incluent aussi des marionnettes et des décors pour un petit théâtre. De fait, le livre avait déjà mis en scène l’audace du ballet d’emblée, avant même le décès de Heine. En 1851, l’édition originale allemande parut sous une couverture quasiment muette mais illustrée par Spiller von Hauenstein. Au recto, le titre Faust (sans autre indication) figure mystérieusement sur le poitrail et sous le regard d’un Satan-bouc aux ailes de chauve-souris (fig. 1) alors que le verso montre un serpent triomphant, dernière incarnation de Méphistophéla.

Ce recto reflète l’Acte IV, où Méphistophéla (la coquette ballerine) et le corps de ballet satanique ont raison d’Hélène de Grèce (la beauté nue) dans « l’île de Vénus Aphrodite » où Faust s’est refugié après le sabbat. Les ailes du bouc forment un fond de scène, ou un rideau, et mettent en valeur l’affrontement des deux figures comme sur une scène ; mais les grandes fleurs qui les portent soulignent plutôt une allégorie de discorde esthétique. La pointe satanique de la danseuse (Gautier) brave la beauté grecque posée comme sur un piédestal dans sa pose statuesque.
Soixante ans plus tard, en 1912, Divéky use du livre comme d’un franc espace scénique avec la hardiesse des avant-gardes. Bien que parue à Berlin chez Morawe et Scheffel, l’édition, restreinte à 400 exemplaires, était l’œuvre des fins imprimeurs Dietsch et Brückner à Weimar en deux encres, noire et rouge, reprises dans les lettrines inaugurales d’acte ; elle était aussi ponctuée par des lithographies polychromes, et reliée à la main à la manufacture de Gustav Fritzsche à Leipzig. Trois lieux-clés du livre en Allemagne (Berlin, Weimar, Leipzig) s’étaient réunis pour la réalisation. À l’aide de ces moyens, Divéky n’a en effet point illustré, mais théâtralisé le volume, et exploité la lithographie en couleurs pour traduire chaque acmé par une double page lithographiée. Il a ainsi installé au cœur des actes la scène, le spectacle et le rythme du ballet. Cette dimension s’annonce dès les gardes spécialement conçues (fig. 2) :

on peut y voir une forte stylisation des flammes de l’Enfer qui attendent Faust mais aussi un rappel des couleurs frappantes des ballets russes, par exemple Schéhérazade de Léon Bakst et Michel Fokine (1910). La donnée est inhabituelle et contraire à l’iconographie du Faust de Goethe qui se décline le plus souvent en noir, blanc et gris. Appliquées d’entrée de jeu, ces couleurs éclatantes transposent la controverse de traitement entre Goethe et Heine en controverse non-couleur/couleurs sur l’objet-livre même. Comme une scène légèrement surélevée, les doubles pages lithographiées, plus larges que hautes, proposent des instantanés stylisés, aux nombreux personnages, déclinés en groupes et plans divers. Les pointes des danseuses se terminent en sabots de faunesses dès l’Acte I (fig. 3) :

le petit pied satanique de Gautier y trouve une réalisation exemplaire. Divéky, qui vécut pour un temps à Bruxelles, l’aurait-il lu ? Sur sa scène de papier se déroule un ballet à double ou triple fond où, derrière la scène représentée, l’Enfer (formes noires) guette. Au cœur du livre rougeoie le sabbat (fig. 4).

À la dernière double page, désormais au premier plan, l’Enfer a gain de cause pendant que Faust en costume d’Arlequin, menotté, se tord dans les flammes devant Méphistophéla qui brandit le pacte (fig. 5).

Comble de rappels et de renvois visuels (autant que le ballet l’est de textuels), l’iconographie de Divéky reproduit aussi le second degré du ballet de Heine par ses nombreux effets de scène secondaire glissée dans la scène principale. La typographie des quatre premiers actes finit en pyramide inversée en accentuant la tension dramatique. En outre, sept lettrines et trois vignettes synthétisent les enjeux tout en les stylisant23.
On ne s’étonnera pas de la belle fortune de ce livre : il fait partie des vingt-cinq réalisations d’exception choisies pour fêter les 75 ans des éditions Insel en 1987 (dans une typographie simplifiée), et un extrait de la scène de damnation orne la couverture de Faust Parodien (1989) souvent réédité. Heine a créé ce ballet audacieux en 1847. Il a fallu soixante-cinq ans et un artiste d’avant-garde pour qu’il soit traduit par des moyens graphiques sur un autre support qui joue à merveille du rythme, du pas de danse, de la stylisation et de la répétition qui masquent ou dévoilent l’impudence. Il prouve que le livre dit « illustré » ne peut se réduire au rapport du texte et de l’image, tant il est un objet culturel complexe et un médium.
Le Tout Petit Faust d’Émile Cohl
Réalisé en 1910, Le Tout Petit Faust est considéré comme le premier film d’animation à l’aide de marionnettes articulées. Cohl y met à dure épreuve le Faust de Gounod, qui avait gommé les enjeux du Faust de Goethe en l’édulcorant. Delacroix avait éloquemment noté dans son journal : « Un compositeur fait un Faust, et il n’oublie que l’Enfer ; le caractère principal d’un semblable sujet, cette terreur mêlée de comique, il ne s’en est pas douté24 ». Pourtant le succès ne s’était pas fait attendre. À preuve, l’opéra-bouffe d’Hervé, Le Petit Faust, lui aussi acclamé en dehors des frontières françaises, qui, dès 1869 (et la seconde version de l’œuvre de Gounod acceptée à l’Opéra de Paris), s’en prend à Gounod. Cohl les connaissait tous deux. À la une de La Nouvelle Lune d’André Gill, son maître, il avait publié une charge de Léa d’Asco en « Nouvelle Marguerite » lors d’une reprise du Petit Faust à la Porte-Saint-Martin25. Abusé par la similarité des deux titres, Donald Crafton attribue Le Tout Petit Faust à la passion de Cohl pour l’opéra-bouffe d’Hervé26, mais il ne peut y avoir de doute. Tous les cartons de ce petit film (125 mètres, 6 minutes 25 secondes), projeté aussi aux États-Unis sous le titre The Beautiful Margaret, reprennent le livret de Barbier et Carré, les librettistes de Gounod : « Cohl utilise comme intertitres certains leitmotiv de l’opéra, que le grand public connaissait par cœur27 ». De même, le petit théâtre qu’il avait construit reflète les décors de Joseph Thierry et Charles Cambon – il suffit de les comparer aux lithographies d’Eugène Lami d’après Gounod qui avaient contribué à le populariser.
Pour créer l’animation, Cohl a dû modifier pas à pas les mouvements de ses pantins articulés, photographier l’une après l’autre leurs postures, et monter les photos en séquence. Dans leur gestuelle heurtée, ses marionnettes aux rôles aisément identifiables dans des décors en carton-pâte, s’inclinent frontalement devant les spectateurs comme par habitude acquise devant les applaudissements. Les effets de « scène dans la scène » sont courants grâce à des rideaux de fortune tirés sur des petits théâtres dressés à la va-vite dans le décor ou des fonds de scène qui se défont dévoilant d’autres spectacles dans le mini-spectacle. Cohl met par là à nu la dramatisation à effets, la typification qui a gagné les personnages de Gounod, et son intrigue. Réduite et dépouillée dans sa version minimaliste, forcée d’éviter les grands tableaux (la cathédrale, le sabbat), la pièce se centre sur l’histoire d’amour.
Pourtant du premier carton, « Maudites, la science, / la prière et la foi / Maudite sois-tu patience ! / À moi, Satan, à moi ! » (monologue de Faust) jusqu’à « Anges purs, anges radieux / Portez mon âme au sein des cieux ! » (Marguerite), on reconstitue en souriant une version de l’opéra qui a son propre charme. On peut visionner le film soit dans la version restaurée à partir d’une copie nitrate de la Cinémathèque complétée d’un marron sur le site des archives Gaumont ou dans une version accessible en ligne qui conserve plusieurs intertitres d’origine28. En voici une rapide description avec l’appui de quelques photogrammes : la scène représente une version grotesque à souhait du cabinet poussiéreux de Faust où Méphistophélès surgit dans son costume d’opéra à la double plume typique ; il rajeunit Faust en un tour de main et évoque Marguerite ; au fond de la scène, cornues et alambics fondent magiquement et Marguerite apparaît (avec son rouet) dans un miroir (fig. 6) ; le pacte est signé, Faust et Méphistophélès s’inclinent devant les spectateurs (fig. 7) [Gounod, Acte I]. Décor de kermesse où Valentin fait ses adieux et confie sa sœur à Dieu et à Siebel pendant que Méphistophélès se moque ; valse des couples et apparition de Marguerite aux nattes blondes ; Faust offre de l’accompagner mais Marguerite refuse énergiquement (fig. 8) ; elle s’en va dignement, non sans lui lancer un dernier regard (fig. 9) [Gounod, Acte II]. Siebel devant la maison de Marguerite apporte un bouquet de fleurs ; plutôt que le traditionnel coffret, Méphistophélès y dépose un grand coffre ; Marguerite paraît et s’incline devant les spectateurs (dans l’opéra, ce sera bientôt le moment de sa grande aria « Je ris de me voir… »). Elle file son rouet et découvre les bijoux (fig. 10), pendant que Faust et Méphistophélès entrent dans le jardin, conduits par Marthe ; le coffre disparaît mystérieusement dans sa maison ; aveux des amoureux saisis en gros plan et (fig. 11) carton « Voici la nuit ! Laissez-moi ! » [Gounod, Acte III, qui se clôt par Faust séduisant Marguerite]. Retour des soldats ; Siebel ne réussit pas à empêcher Valentin de rentrer chez Marguerite séduite et abandonnée ; chanson moqueuse de Méphistophélès ; duel truqué et mort de Valentin [Gounod, Acte IV]. Marguerite prostrée dans la prison ; Faust cherche à l’entraîner mais, en voyant Méphistophélès qui les presse de partir, elle invoque le ciel ; le mur de la prison fond ; ascension miraculeuse de Marguerite parmi les anges (fig. 12), Méphistophélès disparaît, Faust prie à genoux [Gounod, Acte V].
Cohl a pu penser aux poupées animées pour plusieurs raisons : Le Tout Petit Faust est un Faust pour de grands enfants et l’expression « pour les grands enfants » marque au XIXe siècle plusieurs nouvelles créations, parfois grinçantes29. Son choix renvoie aussi à un motif clé de Faust, le rajeunissement, qui lui permet une nouvelle vie de plaisirs (c’est l’air de Gounod « Ardente jeunesse, / À moi les désirs, / À moi ton ivresse, / À moi les plaisirs ! »). Dans des décors de pacotille, caricatures des décors d’opéra typifiés, les poupons tiennent lieu de réalisation littérale du motif : piécette pour les bambins, jeu de bébés, Le Tout Petit Faust montre la corde des effets de grand spectacle grâce au pied de la lettre, un élément clé de la poétique de la décadence30. Cohl y prit grand plaisir et se fit photographier à plusieurs reprises avec ses poupées ou en train de les actionner dans le castelet (fig. 13a et b).


Or, dans cette forme parodique à souhait, dans le divertissement par la marionnette, apparaît un élément qui sera exploité par les avant-gardes : le mouvement saccadé, la mécanique de la succession interrompue, la gestuelle artificielle et l’inexpressivité qui viennent remplacer les grands gestes et les mimiques expressives des interprètes. L’écran de Cohl devient une surface de projection où vient se démanteler ce Faust qu’on ne connaît que trop : le savoir qu’on a en a, tout comme la tragédie du savoir. De cette crispation du geste et de la tension, naît la poétique de la secousse et du heurt qui intéressa Jarry et ouvrit la voie au ballet triadique et expérimental d’Oskar Schlemmer et Hannes Winkler.
***
Quelle place accorder à ces créations sur l’échelle culturelle ? Si l’on compare le poème-ballet de Heine et le Faust de Goethe, note Ariane Neuhaus-Koch, la comparaison ne peut avantager Heine. Mais, ajoute-t-elle, Heine combine de manière surprenante, car dialectique, profondeur culturelle et philosophique d’un côté et grâce dansante de l’autre, ce qui place son ballet bien au-dessus des créations habituelles du genre31. Et si l’on tenait compte de la parodie et du « petit » ? Heine et Cohl s’en prennent en fait à des Faust établis comme œuvres du patrimoine, canonisées par le commentaire abondant, les éditions monumentales, et une iconographie qui héroïse et germanise à outrance. Petitesse et parodie agissent sur elles comme une matière corrosive. Elles enlèvent par leur causticité les couches superposées de stéréotypes qui ont fait perdre à l’histoire de Faust et à l’esthétique qui l’accompagne leur aspérité. On note chez Cohl en 1910 sa Marguerite aux joues rebondies et aux nattes blondes. Trente-huit ans plus tard, à Munich occupée par les Américains, même dans Abraxas, ce ballet qui choqua tant, la fille du bourgmestre porte des nattes blondes (il est vrai que l’ouverture de l’Acte V fait ironiquement tableau). Dans deux sur les trois représentations du ballet au XXe siècle, elle s’appelle d’ailleurs Margarete, une entorse qui installe dans le canevas de Heine, le spectre de Goethe. Les stéréotypes sont coriaces. À preuve, un dessin caricatural d’Henriot dans Le Journal amusant de 1908 : « Depuis que toutes les Marguerite de Faust, en province, coupent leurs nattes pour ressembler à celle de l’Opéra32, le prix des cheveux blonds a énormément diminué », dit le marchand de cheveux à une cliente potentielle (fig. 14).

Trente-huit ans plus tard, dans Abraxas, le stéréotype est encore vivant. Entre les mains de Cohl et de Heine, le petit Faust est donc un mode acerbe et corrodant. C’est dans sa virulence que naissent des propositions et des formules esthétiques novatrices, le livre comme médium, la caricature du geste et le mouvement saccadé. Ils sont déjà d’avant-garde.
Notes
- Jean de Palacio, « Décadence de Faust », dans Alain Montandon (dir.), Mythes de la décadence, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2001, p. 37.
- Franz Falk, « Ein neuer Faust und der alte Satan », Der Humorist, 299 et 301, 15 et 17 décembre 1846, recueilli dans Waltraud Wende-Hohenberger & Karl Riha (dir.), Faust Parodien : Eine Auswahl satirischer Kontrafakturen, Fort- und Weiterdichtungen mit einem Nachwort, Frankfurt, Insel, coll. « Insel Taschenbuch », 1989, p. 41-48.
- Friedrich Spielhagen, Faustulus, Roman, Leipzig, L. Staackmann, 1898. Sur les romans de Valera et de Spielhagen, voir Isabel Hernández, « Fausto vs. Faustino… y vs. Faustulus. Acerca de la desintegración del mito fáustico en las novelas de Juan Valera (1874-1875) y Friedrich Spielhagen (1898) », dans Arno Gimber & Isabel Hernández (dir.), Fausto en Europa, Visiones de los demonios y el humor fáustico, s.l., Editorial Complutense, 2009, p. 181–199.
- Hector Crémieux et Adolphe Jaime, Le Petit Faust : opéra-bouffe en trois actes, en quatre tableaux, musique de Hervé, Paris, Michel Lévy Frères, 1869 (Paris, Folies-Dramatiques, 23 avril 1869).
- Félicien Champsaur, « Le Petit-fils de Faust », Entrée de clowns, dessins de [suivent les noms de 34 illustrateurs], Paris, Jules Lévy, 1885 [1886], p. 52-67 ; sur ce texte, voir mon article « Le Faust d’un épigone par le texte et par le crayon : sur “Le Petit-fils de Faust” de Félicien Champsaur », dans Denise Blondeau et Béatrice Dumiche (dir.), Faust, modernisation d’un modèle, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 141-155.
- Dans Revista de España ; puis en volume : Juan Valera, Las Ilusiones del doctor Faustino, Sevilla / Madrid, Librería de Fernando Fé / Librería de Hijos de Fé, 1879, 2 vol.
- Outre Jean de Palacio (n° 1), voir Sander L. Gilman, « Very Little Faust… parodies of German Drama on the Mid-Nineteenth-Century Drama Stage », Arcadia, vol. VIII, n°s 1-3, 1973, p. 18-44, et Jean-Claude Yon, « Drames et parodies : Faust sur les scènes parisiennes », dans Hector Berlioz. La Damnation de Faust, Légende dramatique en quatre parties, Bastille 1994-1995, Paris, Opéra de Paris, 1994, p. 111-120.
- Dieter Borchmeyer, « Faust – Goethes verkappte Komödie », dans Franz Norbert Mennemeier (dir.), Die großen Komödien Europas, Tübingen/Basel, Francke Verlag, coll. « Mainzer Forschungen zu Drama und Theater », 2000, p. 199-225 ; et Philippe Wellnitz, « Fausto I : un texto entre la tragedia y la comedia », dans Fausto en Europa, p. 79-91.
- Max Niehaus, Himmel, Hölle und Trikot. Heinrich Heine und das Ballett, München, Nymphenburger Verlagshandlung, 1959, p. 354.
- Franz Grillparzer, « Faust-Notizen », dans Faust Parodien, p. 11 : « denn wir lieben in der Zeit nur das Bild, das unsere Phantasie malt; das Mädchen, das wir zu lieben glauben, ist nichts, als die Leinwand, auf welche jene die Farben aufträgt ».
- Voir en français la belle traduction de Marie-Ange Maillet, dans Heinrich Heine, Écrits mythologiques (Esprits élémentaires, la déesse Diane, Le docteur Faust, Les dieux en exil), Paris, Les Éditions du Cerf, 2004, p. 85-134.
- Ibid., p. 90.
- Ibid., p. 110 ; Heinrich Heine, Der Doktor Faust, ein Tanzpoem, mit Zeichnungen von Jószef Divéky, Frankfurt am Main, Insel Verlag, 1987, p. 59 : « wie eine frivole Farce, — ich hätte fast gesagt wie ein Ballett ».
- La Presse, 31 mai 1847, p. 1.
- Voir Evanghelia Stead, Goethe’s Faust I Outlined: Moritz Retzsch’s Prints in Circulation, Leiden, Brill, 2023, p. 309-310, 321-322, 356. [https://brill.com/display/title/62944].
- Heine, « Nachwort zum Romanzero », dans Romanzero, Gedichte. 1853 und 1854, lyrischer Nachlass, éd. Frauke Bartelt et Alberto Destro, Hamburg, Hoffmann und Campe, 1992, p. 177.
- Niehaus, p. 353 : « In den Tanz kleidet er sein religiöses Empfinden, sein Naturgefühl, die zartesten Liebesregungen, wilde Leidenschaft, Reines wie Obszönes. Der Tanz wird zum Ausdruck der Dämonie, des Rauches der teuflischen Kräfte ».
- David Conway, « The Real Faust: Heine’s Faust Ballet Scenario 1846-1948 », dans Lorna Fitzsimmons & Charles McKnight (dir.), The Oxford Handbook of Faust in Music, Oxford, Oxford University Press, 2019, p. 481.
- Hermann Schiff, Die Waise von Tamaris, eine Tanznovelle, Hamburg, Hoffmann und Campe, 1855, p. 259 : « Doctor Faust ein gefährliches, polizeiwidriges Ballet? »
- David Conway, art. cit., p. 496, 498-499.
- Voir Ritchie Robertson, « Heinrich Heine: “Der Doktor Faust. Ein Tanzpoem” », dans Frank Möbus, Friederike Schmidt-Möbus & Gerd Unverfehrt (dir.), Faust: Annäherung an einen Mythos, Göttingen, Wallstein, 1995, p. 113-115.
- Ibid., p. 115, cat. n° 57.
- On peut feuilleter cet ouvrage sur le site de la Herzogin Anna Amalia Bibliothek. [ https://haab-digital.klassik-stiftung.de/viewer/!thumbs/764393553/1/]. Malheureusement les doubles pages ne sont pas numérisées ensemble.
- Eugène Delacroix, Journal, éd. Michèle Hannoosh, Paris, José Corti, 2009, p. 1410 (23 avril 1863).
- La Nouvelle Lune, 12, 19 mars 1882.
- Donald Crafton, Emile Cohl: Caricature and Film, Princeton, Princeton University Press, 1990, p. 144.
- Pierre Courtet-Cohl et Bernard Génin, Émile Cohl. L’inventeur du dessin animé, Sophia-Antipolis, Omniscience, 2008, p. 90.
- Voir Wikimedia Commons, la médiathèque libre : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_tout_petit_Faust_(1910).webm
- Par exemple, Hermann Paul, Alphabet pour les grands enfants : album inédit, Paris, H. Simonis Empis, s.d.
- Sur l’importance du pied de la lettre, voir É. Stead, Le Monstre, le singe et le fœtus, Genève, Droz, 2004, p. 39-40, 228-229.
- Heine, Elementargeister Die Göttin Diana Der Doktor Faust Die Götter im Exil, éd. Ariane Neuhaus-Koch, [Hamburg], Hoffmann und Campe, 1987, p. 681.
- Serait-ce la production du 25 janvier 1908 à l’Opéra de Paris avec Jeanne Hatto dans le rôle ? Dans les clichés qu’on a gardés, elle a de longues tresses enroulées sur les oreilles…