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L’évêque, le roi et les bourgeois à Bazas au XIIIe siècle

À propos de :
Marquette, J. B. (1996) : “Le rôle des prieurés et des sauvetés de La Sauve dans le peuplement du Bazadais méridional, du Marsan et du Gabardan”, in : L’Entre-deux-Mers et son identité. L’Abbaye de La Sauve Majeure, t. I, 183-214.

En 1984, Jean Bernard Marquette publie un article, divisé en deux livraisons des Cahiers du Bazadais, portant sur Bazas au XIIIe siècle. Il s’agit d’une contribution qui s’impose par son volume et que, pour l’histoire de Bazas au Moyen Âge, Jean Bernard Marquette a complétée à plusieurs reprises, aussi bien vers les XIe et XIIe siècles, que vers le XIVe siècle. Pour l’histoire d’une ville si chère à son cœur, tant pour ses attaches familiales que pour la place qu’y occupent les Amis du Bazadais, ces publications renouvellent en profondeur des connaissances reposant jusque-là sur les travaux de lointains devanciers. Signe de complémentarité entre ces publications que la présente réédition permet de souligner : c’est dans les articles de 2003 sur les Ladils que l’on trouve la cartographie du détroit de la ville longuement décrit en 1984.

Cet article s’inscrit dans un contexte historiographique particulier. En ce début des années 1980, l’histoire urbaine est devenue pour Jean Bernard Marquette un terrain de recherche majeur. Il dirige alors, à la suite de Charles Higounet, la collection des Atlas Historiques des villes de France, dont les premiers titres viennent d’être publiés, au premier rang desquels les Atlas historiques de Bazas et de Mont-de-Marsan qu’il a lui-même rédigés (1982). La première grande synthèse sur l’histoire de la France urbaine au Moyen Âge vient d’être publiée, sous la direction de Georges Duby (1980). La maquette de l’Atlas historique n’accordant pas alors beaucoup de place au texte de la notice historique, il est fort probable que les recherches menées dans les sources que ne connaissaient pas ses devanciers pour la publication de l’Atlas de Bazas étaient aussi pensées pour être valorisées par des publications. Une autre opportunité en a accéléré le calendrier : le 4 juin 1983, Jean Bernard Marquette prononce une conférence à Bazas, dans le cadre des fêtes du 750e anniversaire de la reconstruction de la cathédrale de Bazas et du 700e anniversaire de la conclusion du contrat de paréage de 1283 entre le roi d’Angleterre et l’évêque de Bazas. C’est le texte de cette conférence, repris et développé, qui est publié en 1984. Ce gros article de 85 pages (et de 293 notes infrapaginales) est donc centré sur le XIIIe siècle, pour contextualiser l’accord de paréage du 16 juillet 1283 entre le roi d’Angleterre Édouard Ier et l’évêque et le chapitre de Bazas. L’évolution des rapports de force entre l’évêque et le chapitre, le roi-duc et la municipalité en constituent la toile de fond. Les sources sont principalement issues de la chancellerie anglaise, dont les Rôles gascons alors édités jusqu’en 1317. 

L’article est divisé en trois parties chronologiques : 1) Origine et évolution de la seigneurie ecclésiastique (XIe siècle – 1242) ; 2) Le temps des crises : l’échec de la commune bazadaise (1242-1274) ; 3) La mainmise du roi-duc sur la seigneurie ecclésiastique (1274-1294). Il est complété par trois annexes soulignant la dimension prosopographique de cette recherche et comprenant les versions du paréage de 1283, les listes des représentants de la communauté de Bazas au XIIIe siècle (dont les maires) et celles des officiers du roi-duc (prévôts, connétables, juges des appels, collecteur de fouage). Ce sont de très utiles compléments aux listes d’officiers du roi-duc en Gascogne de ces mêmes décennies établies par Jean-Paul Trabut-Cussac. 

La première partie de l’article revient sur l’originalité du diocèse et de la cité de Bazas. Dès après sa restauration, c’est-à-dire au milieu du XIe siècle, à la suite de l’éclatement de l’ancien évêché des Gascons. Faute de comte ou de vicomte face à lui, l’évêque est le seul seigneur de la cité. Une situation que l’on retrouve à Lectoure, comme l’auteur l’a bien remarqué, mais aussi à Agen, et sur laquelle Jean Bernard Marquette transpose l’appellation de seigneurie alleutière, seulement attestée dans les documents de la fin du XIIIe siècle. Vers 1140, suite au conflit avec l’évêque d’Agen, une coseigneurie ecclésiastique est établie avec les chanoines, dont l’auteur en reconstitue les limites, en postulant que le territoire de la prévôté ducale, connu au XIIIe siècle, est le résidu de la seigneurie épiscopale dont il situe le “démembrement” à la reconquête de Richard de Cornouailles de 1224. Le XIIIe siècle est une période de croissance urbaine, avec un nouveau quartier (Notre-Dame du Mercadil), le nouveau portail de la cathédrale (années 1230) et la maturation progressive d’un corps de ville dont on glane des indices de la structuration dans les sources de la chancellerie anglaise (mentions de prud’hommes en 1205, d’un commun conseil en 1219, d’un maire et de prud’hommes en 1232, d’un maire et de jurats en1234, d’une commune en 1252). Cela permet à l’auteur de proposer, pour la première fois, une liste des premiers maires, mais aussi des prévôts représentant le roi, et dont la mise en place, à partir de 1243, est le signe manifeste des empiètements royaux croissants, comme en témoigne la saisine par le roi de la mense épiscopale pendant la vacance du siège (1242-1243). 

Les luttes des principales familles de la bourgeoisie bazadaise (les Ladils et les Marquès), constituent l’arrière-plan de la deuxième partie de l’article. Elles sont impliquées dans les factions qui s’opposent lors de la révolte contre Simon de Montfort (1249-1252), dont la plainte adressée au Parlement de 1252 permet à l’auteur de décrire les étapes, depuis l’émeute de 1249, faites de prises d’armes, d’homicides et de l’implication remarquée des populares. L’auteur reconstitue les éléments du patrimoine de ces familles bourgeoises, révèle leurs alliances avec la petite aristocratie (ainsi celle des Carbonel avec les Noaillan) et pose l’hypothèse que le choix des Ladils contre Simon de Montfort est lié aux connivences de ces derniers, bien implantés à la Réole et autour, avec la puissante famille réolaise des Piis. Les immixtions royales se poursuivent après le séjour du roi en 1243, puis dix ans plus tard, à Noël 1253 (“le plus long qu’un souverain ait jamais fait à Bazas”, indique l’auteur). Jean Bernard Marquette interprète les ingérences de Simon de Montfort et d’Henri III comme l’effet de la faiblesse de l’évêque et du chapitre, incapables de maintenir la paix civile : “Ainsi éclate au grand jour, écrit-il, le mal qui menace le pouvoir de tous les seigneurs ecclésiastiques et qui finira par les emporter : l’incapacité dans laquelle ils se trouvent de se faire obéir. Dès que le climat général se détériore tant soit peu, ils sont immédiatement débordés”. Les deux reconnaissances du 19 mars 1274, celle de l’évêque Guillaume de Piis et celle des représentants de la communauté bazadaise, soulignent un climat de tensions persistant, puisque l’évêque déclare avoir été spolié de la justice de Bazas. Un premier accord du 28-29 juin 1274, entre l’évêque et le sénéchal, revient sur quelques-unes des dispositions les plus contestées des reconnaissances du 19 mars. Quatre ans plus tard, une sentence arbitrale rendue le 12 novembre 1278, entre l’évêque et son chapitre et les officiers du roi-duc, établit un nouveau statu quo. Les premiers, qui affirment que Bazas et son détroit, les biens temporels possédés dans le diocèse ainsi que la justice haute et basse sur ces biens leur appartiennent en « alleu franc, pur et libre », acceptent finalement de les tenir en fief du roi-duc. “Moyennant donc, écrit J.B. Marquette, l’abandon de leur condition de seigneurs alleutiers et la promesse d’entrer dans la vassalité du roi, l’évêque et le chapitre demeuraient ainsi les maîtres de la cité et de son détroit”. 

Pour autant, ce dernier accord ne règle pas tous les sujets de conflits. Les tensions et homicides se poursuivent, comme les appels au roi de France en application des clauses du traité de Paris. Les immixtions du roi et de ses officiers reprennent de plus belle, avec le concours des Bazadais les plus en vue qui trouvent dans l’administration ducale des opportunités de carrière : ainsi, A. G. Markès devient bayle de Lomagne, Ramon Markès receveur d’Agenais puis lieutenant du sénéchal pour les Landes, Pierre de Barde chargé d’administrer les revenus de l’île d’Oléron. Les négociations reprennent dès 1280, sous l’égide du sénéchal Jean de Grailly et de Bérard de Got, archidiacre d’Agen, et aboutissent au contrat de paréage du 16 juillet 1283, dont les clauses les plus importantes mettent fin à l’autorité exclusive des seigneurs ecclésiastiques sur la ville et sa banlieue, même si l’évêque recouvre sa qualité de seigneur alleutier perdue en 1278. Une enclave dans la cité est prévue que le chapitre peut clore. 

Jean Bernard Marquette replace cette suite de limitations dans le contexte des progrès de l’administration royale au détriment des seigneuries ecclésiastiques, ce qui se fait principalement par le biais de paréages plus ou moins imposés, comme à Saint-Sever (1270), Lectoure (1274), Condom (1283), le Mas d’Aire-sur-Adour (1289). Ceci étant, pour peu que l’on élargisse la focale, c’est aussi dans le mouvement des chartes de coutumes que cette suite d’accord prend place, comme invitent à le voir les lettres royales enregistrées dans les Rôles gascons de ces mêmes années, concernant Sauveterre-de-Guyenne, Puymirol, Saint-Osbert, Castelnau-sur-Gupie, Miramont, Labastide- d’Armagnac, Valence-d’Agen, Villeréal, Saint-Pastour. Chartes de coutumes et paréages des seigneuries ecclésiastiques sont donc les deux faceettes de ce mouvement de cristallisation coutumière qui atteint son apogée pendant le règne d’Édouard Ier, notamment durant son troisième et dernier séjour en Gascogne (1286-1289). 

Notons, également que pas plus en 1283 qu’en 1274 ou 1278 il n’est fait allusion à l’existence d’un organisme représentatif de la communauté, une jurade par exemple, non plus qu’à la cession d’une parcelle de responsabilité politique à cette communauté. C’est une constante à Bazas : la bourgeoisie n’apparaît pas au premier plan des accords, elle est souvent même effacée et l’organisation communautaire évanescente. Elle dispose cependant d’un sceau (attesté en 1274 et 1278), ainsi que d’un maire issu de la bourgeoisie bazadaise. Mais contrairement aux grandes cités de la région (Bordeaux, Bayonne, Dax), la communauté bazadaise n’a pas laissé de cartulaire municipal ou de trace d’une maison commune.

La sensibilité à la question de l’allodialité, à laquelle Jean Bernard Marquette n’échappe pas, est donc avant tout celle des hommes des années 1270. Au-delà de la seigneurie épiscopale de Bazas, on la perçoit dans chacune des déclarations des Recognitiones feodorum de 1274, voire dans le mécanisme des reprises en fief passées à cette époque au bénéfice du duc d’Aquitaine, roi d’Angleterre. On la retrouve aussi dans le thème de la supposée allodialité de la Gascogne avant le traité de Paris, une construction historique qui a fait couler beaucoup d’encre depuis les travaux de Pierre Chaplais. Même si Jean Bernard Marquette de ne l’a pas relevé, le dossier de Bazas apporte un éclairage insoupçonné sur l’émergence et la diffusion du concept d’allodialité, aussi bien au niveau des seigneuries qu’à celui de l’ancien duché, dans le contexte du renforcement de l’administration royale. On note, sans trop savoir s’il y a un lien de cause à effet (corrélation n’est pas causalité) que dans la préparation du paréage de juillet 1283, figure dans la commission des procureurs du roi le chanoine de Saint-Seurin, Raimond de Laferreire, un des clercs qui, selon P. Chaplais et G. Pépin, est à l’origine de l’élaboration de la thèse de l’allodialité de la Gascogne. 

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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356136541
ISBN html : 978-2-35613-654-1
ISBN pdf : 978-2-35613-655-8
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
4 p.
Code CLIL : 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Boutoulle, Frédéric, “L’évêque, le roi et les bourgeois à Bazas au XIIIe siècle”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 3. Regards sur une œuvre, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 39-42. [URL] https://una-editions.fr/marquette-l-eveque-le-roi-et-les-bourgeois-a-bazas
Illustration de couverture • L’église Saint Pierre de Flaujac : façade ouest (Carte postale Bromotypie Gautreau, Langon).
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