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La Sauve-Majeure et ses sauvetés dans les Landes orientales

À propos de :
Marquette, J. B. (1996) : “Le rôle des prieurés et des sauvetés de La Sauve dans le peuplement du Bazadais méridional, du Marsan et du Gabardan”, in : L’Entre-deux-Mers et son identité. L’Abbaye de La Sauve Majeure, t. I, 183-214.

L’espace landais a généré un réseau de villes et d’habitats groupés beaucoup moins dense que dans d’autres régions du Bassin Aquitain. Ce thème de recherche qui a marqué Charles Higounet et ses élèves a été une constante de la vie scientifique de Jean Bernard Marquette. On mesure l’importance progressive que ce thème a pris dans ses travaux sur les Landes au fait qu’il n’y a pas de développement sur les villes ou sur les créations urbaines médiévales dans les trois chapitres qu’il a rédigés dans Landes et Chalosse (1983). Dans un premier temps, c’est aux castelnaux et aux bourgs castraux que Jean Bernard Marquette s’est surtout intéressé, dans sa thèse et ses premières publications, à l’instar de Benoît Cursente, un autre élève de Charles Higounet, dont la thèse sur les castelnaux du Gers est publiée en 1980. Ces créations seigneuriales et royales retiennent alors plus l’attention de J. B. Marquette que les bastides et les sauvetés, pour reprendre les termes du triptyque résumé à grands traits par Charles Higounet, dans la caractérisation des grands types d’habitat groupé s’étant succédés en Gascogne entre le XIe et la fin du XIIIe siècle. L’occasion d’élargir la focale et d’aller plus franchement sur les premiers termes de ce triptyque est arrivée en 1995, avec ce gros article. Jean Bernard Marquette y aborde de front et pour la première fois à l’échelle régionale cette première génération d’habitats groupés générés par l’Église dans l’espace landais, surtout connue à l’époque pour les réalisations dépendantes de l’abbaye de Saint-Sever, comme la célèbre sauveté de Mimizan.

Le colloque organisé par deux de ses anciens élèves (Bernard Larrieu et l’auteur de ces lignes) était consacré à l’histoire de la plus importante abbaye bénédictine du Sud-Ouest, celle de La Sauve Majeure, à l’occasion du 900e anniversaire de la mort de son fondateur, l’abbé Gérard de Corbie (1079-1095). Huit ans après le premier colloque du CLEM (Comité de liaison de l’Entre-deux-Mers) qui marqua le début d’un long compagnonnage, Jean Bernard Marquette présenta devant les ruines majestueuses de l’abbaye une communication sur les possessions de La Sauve à l’est des Landes, principalement à travers le rôle que ces prieurés et églises ont eu dans le peuplement des campagnes gasconnes. La grande abbaye bénédictine et ses possessions ne lui était pas inconnues. Le projet d’édition du grand cartulaire de La Sauve Majeure, commencé par Charles Higounet et dont il avait suivi l’avancement, était sur le point d’aboutir (édition par Arlette Higounet en 1996). J. B. Marquette avait par ailleurs pu exploiter l’énorme fonds d’archives de l’abbaye de La Sauve, conservé aux AD de la Gironde, pour sa thèse, ses premiers travaux sur Bazas ou Langon, et pour diriger des travaux d’étudiants. 

L’entreprise s’inscrit dans un courant de recherche sur la morphogénèse du village médiéval partagé alors par de plus en plus de chercheurs, comme en témoigne l’organisation, en 1989, à Aix-en-Provence du troisième congrès international d’archéologie médiévale consacré à L’environnement des église et la topographie religieuse des campagnes médiévales (DAF 46, 199)-4), puis, en février 1993, de la table-ronde de Montpellier, Morphogénèse du village médiéval IXe-XIIe s. L’étude de Jean Bernard Marquette est balisée par les travaux de ses prédécesseurs sur les sauvetés, signalés dès les premières lignes (Paul Ourliac, Charles Higounet, Gérard Pradalié). Ce qui ne l’empêche pas de noter – un constat qui vaut toujours aujourd’hui-, qu’il n’y a pas de répertoire des sauvetés à l’échelle du Sud-Ouest, contrairement au Comminges. C’est que l’objet se révèle moins évident qu’il n’y paraît. Outre que bon nombre de localités ayant été ou mérité d’être qualifiées de la sorte n’ont pas conservé de sources écrites pour en témoigner, il apparaît aussi qu’une large part des groupements d’habitats générés par l’Église n’ont pas été considérés comme des sauvetés au Moyen Âge. Aussi, dans un plan en trois parties, s’attache-t-il à revenir d’abord sur la notion de sauveté à partir des textes du fonds de La Sauve. L’étude des termes utilisés dans les chartes et les notice du Grand cartulaire (salvamentum, libertas, securitas, salvitas) à propos de la fondation de l’abbaye et des premiers privilèges reçus par l’abbé Gérard, révèle des situations documentaires complexes où la part des interpolations et des modifications est importante, ce qui limite la portée des conclusions sur l’usage de la notion même de sauveté. Au demeurant, Jean Bernard Marquette peut-il écrire : “Nous savons donc parfaitement ce qu’il convient d’entendre par sauveté dans le cas de La Sauve et de Tregey : il s’agit d’un territoire aux limites bien définies, à l’intérieur duquel par concession ducale et par reconnaissance des autres détenteurs de la haute justice, les habitants qui y résident même temporairement échappent en principe à toute autre juridiction que celle de l’abbé. Ces mêmes personnes bénéficient de cette sécurité en dehors du territoire de la sauveté de manière permanente pour les bourgeois, temporaire pour les voyageurs au cours de leur voyage, à l’intérieur bien sûr, des limites du duché. Tout homme de quelque condition qu’il soit, sauf dans des cas précis – meurtriers, voleurs, brigands – peut trouver refuge et asile à l’intérieur de la sauveté”.

Pour dépasser les ambiguïtés du vocabulaire, Jean Bernard Marquette aborde dans les deux parties suivantes ce que sont les dépendances de La Sauve Majeure dans les diocèses d’Auch et de Bazas (partie méridionale), soit sur un huitième des 16 diocèses sur lesquels s’étendent les possessions de l’abbaye à la fin du XIIe siècle. En 1197, dans la bulle de confirmation des possessions de la Sauve par le pape Célestin III, cela représente 11 prieurés et leurs dépendances (Notre-Dame du Bourg à Langon, Niac, Lagardère à Ruffiac ; Gabarret, Lucader à Losse, Mauvezin, Gel à Labastide d’Armagnac, Perquie, Bougue, Delmont (Mont-de-Marsan), et Canenx). Sans le dire explicitement, Jean Bernard Marquette s’affranchit quelquefois de cette liste. L’enquête est d’abord élargie au diocèse d’Aire, dont les prieurés de Mauvezin, Gel, Perquie, Bougue et du Mont sont étonnamment intégrés au sein de la liste de 1197 dans celui d’Auch. L’article intègre aussi, au gré des études de cas, d’autres dépendances ayant été provisoirement rattachées à La Sauve, comme Casteljaloux (1131), Saint-Barthelemy de Labarde en Bazadais, ou Saint-Vincent de Xaintes, aux portes de Dax (avant 1124).

La deuxième partie de l’article est une suite d’études de cas du plus grand intérêt où sont abordés successivement l’histoire de chacun de ces prieurés et églises (fondation, dotations, patrimoine), et l’analyse de leur plan à l’aide du cadastre napoléonien. Sept cartes et plans appuient la démonstration, servies par une sémiologie rodée dans la collection des Atlas Historiques, permettant d’identifier les formes caractéristiques d’anciens habitats groupés (fossés, enceinte, bourgs, ouvrages de terre, lots, etc ), qu’il est possible de confronter avec les données textuelles. L’auteur aborde d’abord un premier groupe de fondations liées à la présence d’un bourg castral (Gabarret, Mauvezin, Perquié, Notre-Dame du Bourg de Langon) ; puis dans un deuxième groupe, les fondations proprement rurales. La documentation étant inégale, on ne connait la composition du temporel que dans les cas de Gabarret, Notre-Dame du Bourg à Langon et Niac. Si la notion de sauveté, explicitement attachée à quelques-unes de ces dépendances sauvoises (Gabarret, Lagardère, Bougue), ne donne pas lieu à des formes particulièrement identifiables, Jean Bernard Marquette constate néanmoins qu’elle varie d’un cas à l’autre. Dans le cas de Gabaret, où le vicomte du Gabardan reste seul juge (contrairement à La Sauve où l’abbé a reçu une immunité, libertas), la sauveté est réduite à la securitas (droit d’asile dans le bourg). Dans le cas de la sauveté de Bougue, le duc transfère la liberté (immunité) et la sécurité (comme à La Sauve), à la différence près qu’il n’y pas dans ce cas de territoire délimité. Le cas de Lagardère (commune de Ruffiac) est encore différent dans la mesure où ce qui est une sauveté de peuplement avérée par les textes (délimitation, droits de justice au prieur sur les habitants de la sauveté), n’est pas éclairée par une concession en bonne et due forme conservée, comparable aux cas précédents. L’étude de ce dernier cas, où sont croisés les textes, la toponymie ancienne et les plans, permet à Jean Bernard Marquette d’identifier l’emplacement de cette sauveté disparue et d’écarter son assimilation avec une autre sauveté voisine, fondée par les Templiers, à Auzac.

La troisième partie de l’article est plus prospective. L’ambition est de suivre l’évolution de ces prieurés et dépendances depuis la fin du Moyen Âge, puisque l’étude des plans du cadastre napoléonien, révèle, en même temps que des traces remontant aux premiers temps de ces habitats groupés, des signes de transformation, voire d’abandon ultérieurs, comme à Lagardère ou Perquié, un site où s’est tenu un synode en 1141 mais où l’on ne décèle pas de traces du bourg, du castrum, de l’enceinte ou du prieuré. Jean Bernard Marquette observe d’abord la chute des revenus des prieurés sauvois en raison des crises de la fin du Moyen Âge et des guerres de Religion (fatales aux prieurés de Perquié et Gabarret), la diminution de leur nombre, l’évolution des revenus de plus en plus limités aux dîmes, les usurpations de droits seigneuriaux, mais aussi la perte des archives, sauf exception notables comme, dans le cas de Bougue un terrier de 1474 ou un accord sur les rentes acquittées par les habitants en 1340 (12 gerbes de froment, autant de seigle et un carton de mil, devenues en 1660 12 gerbes de seigle par bouvier et 6 par brassier). 

Le développement le plus original de cette partie vient ensuite : pour apprécier le rôle que ces prieurés, sauvetés et dépendances de la Sauve ont eu sur le phénomène du regroupement de l’habitat, Jean Bernard Marquette élargit le corpus des cas observables aux autres types d’habitats agglomérés de cette période. D’abord avec les habitats fondés en relation avec un prieuré d’un autre établissement religieux, comme ceux des Templiers implantés à Cours et Romestaing (et fondateurs de la sauveté d’Auzac). Ensuite, avec les bourgs castraux (9 en Bazadais méridional, 1 en Gabardan, 2 en Marsan). Enfin avec les bastides, créées en Bazadais (Montpouillan en 1365, Lados en 1281, Saint-Sauveur en 1318-1323, Cours v. 1297), en Marsan (Saint-Gein, 1284, Rodeboeuf, c. 1315, Grenade 1289, Cazères 1315, Castetcrabe 1275-1276, Arthez, Montégut, Montguilhem) et en Juliac (Arouille en 1289, Betbezer avant 1325, la Bastide 1291, Saint-Justin 1288). Or, la destinée de ces dernières fondations n’a pas été plus brillante. Ainsi, sur les 7 bastides fondées en Marsan, 6 ont été abandonnées ou désertées, des échecs qui s’ajoutent à ceux du bourg castral de Perquié et de la sauveté de Bougue, alors que, dans le même temps, Roquefort et Mont-de-Marsan ont réussi, ainsi que Villeneuve-de-Marsan, une fondation vicomtale dont on ne sait pas grand-chose (pas de charte de franchises, ni de coutumes, un plan ne rappelant rien d’un village de fondation). L’exposé, appuyé sur une riche carte de synthèse compilant pas moins de 85 sites entre la Garonne et l’Adour appartenant aux différents types d’habitat groupé, fait finalement ressortir le facteur le plus déterminant dans la réussite ou l’échec d’un habitat groupé, quel que soit son statut : sa proximité avec une voie routière. 

Cet article d’une grande densité s’appuie sur des études de cas disparates, dont il ressort des conclusions pas forcément convergentes se prêtant en tous cas mal à la modélisation ou à l’abstraction théorique à laquelle invite le concept de sauveté. Après cette publication, Jean Bernard Marquette n’a pas poursuivi l’étude vers d’autres parties de l’espace landais, comme vers le Dacquois ou le pays de Born, alors que l’édition du cartulaire de Dax et celle du fonds de Saint-Sever ont enrichi le corpus d’habitats ecclésiaux signalés par les textes (le cartulaire de Dax évoque ainsi une domus dans le cimeterium de Saint-Girons, n° 173). L’enquête sur ces habitats groupés de fondation médiévale dans les Landes ou leurs environs a cependant été enrichie depuis, avec les travaux de Benoît Cursente pour proposer une nouvelle typologie d’habitats groupés, ceux de Nelly Pousthomis ou Stéphane Abbadie sur les bourgs monastiques, JeanneMarie Fritz (mottes et bourgs castraux du Marsan), Cédric Lavigne sur les bastides, Anne Berdoy sur les castelnaux du sud landais ou de Roland Viader sur les sauvetés. Sans oublier les mémoires universitaires, en général des monographies (Montfort-en-Chalosse par Violaine Lafourcade 1999, Hastingues par Coralie Lapeyre, 2005, vicomté d’Uza par Virginie Parcolet 2014, Gabarret par Alexis Raymond 2019). 

Tous ces travaux s’inscrivent dans un profond renouvellement des connaissances sur la morphogenèse des villages ecclésiaux depuis les colloques d’Aix et de Montpellier évoqués plus haut, grâce notamment à la multiplication des opérations d’archéologie préventive et funéraire dans l’environnement immédiat des églises et aux progrès de l’analyse des parcellaires par archéo-géographie. On saisit mieux les processus de territorialisation de l’asile prévu dans les statuts de Paix et Trêve de Dieu, et plus largement les effets polarisateurs des églises sur l’habitat entre les IXe et XIIIe siècles (M. Lauwers, D. Iogna Prat). Si l’objectif n’est plus à la réalisation d’un répertoire des sauvetés en Gascogne, ce dont Jean Bernard Marquette regrettait l’absence en 1995, on dispose désormais d’assez de matière pour réaliser une synthèse des connaissances sur les différentes formes de nucléarisation de l’habitat dans l’espace landais durant la grande phase de croissance médiévale (XIe-début XIVe s.). Dans cette perspective, l’article de 1995 sur “Le rôle des prieurés et des sauvetés de La Sauve dans le peuplement du Bazadais méridional, du Marsan et du Gabardan” ainsi que la carte de synthèse qui l’accompagne constituent un excellent point de départ. 

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Pessac
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EAN html : 9782356136541
ISBN html : 978-2-35613-654-1
ISBN pdf : 978-2-35613-655-8
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
3 p.
Code CLIL : 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Boutoulle, Frédéric, “La Sauve-Majeure et ses sauvetés dans les Landes orientales”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 3. Regards sur une œuvre, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 35-38. [URL] https://una-editions.fr/marquette-la-sauve-majeure-et-ses-sauvetes-dans-les-landes-orientales
Illustration de couverture • L’église Saint Pierre de Flaujac : façade ouest (Carte postale Bromotypie Gautreau, Langon).
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