Paru dans : Les Cahiers du Bazadais, n° 16, 1969, 31-38.
Monuments et œuvres d’art
à caractère religieux
Commune de Grignols (suite)
Église Saint-Jean du Mazerol

Elle s’élevait en bordure du chemin allant de Saint-Loubert à Campin, au sommet d’une légère éminence dominant le plateau environnant1. Nous ne savons pratiquement rien de son architecture, aucun historien ou archéologue n’ayant daigné nous laisser une description de cette chapelle. La seule image qu’il nous en reste est celle, reproduite ci-contre, qui figure dans l’ouvrage d’André Rebsomen consacré aux rives de la Garonne et de ses affluents, publié en 1913. Cette vue représente la façade occidentale et le clocher. Celui-ci était un clocher-mur ressemblant fort à celui de Saint-Loubert ou de Sadirac. Il présentait un double rétrécissement dont les plans inclinés étaient soulignés par un larmier et était percé de deux baies en arc plein cintre. Le portail était surmonté d’un arc surbaissé et l’ensemble était bâti, semble-t-il, en assez bel appareil. Selon toute vraisemblance, il n’y avait qu’une nef, terminée par un chœur à chevet plat (fig. 1).
L’église fut détruite à la suite d’une décision prise par la municipalité de Grignols le 11 février 1929. L’argument invoqué est toujours le même : la ruine de l’édifice ; elle est due, mais on oublie toujours de le dire, au mauvais entretien des bâtiments municipaux, car une construction ne s’effondre pas en une année. La pierre, provenant de la destruction de l’église, était destinée aux chemins, mais l’opération ne fut certainement pas très rentable car, comme cela arrive fréquemment, si le parement des murs était en moellons, l’intérieur n’était qu’un garnissage de terre. Le Conseil municipal décida de confier la démolition à une entreprise qui dut exécuter son travail assez rapidement. Le terrain sur lequel était édifiée l’église a été vendu il y a quelques années.
A. Rebsomen, La Garonne et ses affluents de la rive droite…, 1913, p. 110 et p. 113, Fig. 92.
Archives municipales, Registres de délibération du Conseil municipal.
Église Saint-Michel de Campin
Située au sommet d’une colline, comme l’était naguère celle du Mazerol, l’église de Campin détache encore sur le ciel la silhouette curieuse de son clocher au sommet plat (1). Elle domine ainsi le chemin allant du Mazerol à Sadirac qui serpente au milieu des champs et des bosquets. Bien orientée, entourée de son cimetière champêtre et de très beaux cyprès, elle voisine avec un hameau de quelques habitations (fig. 2). Le site est certainement occupé depuis fort longtemps comme en témoigne la découverte, faite à la fin du siècle dernier, d’un trésor gallo-romain et de sarcophages, peut-être d’époque barbare2.
Le plan de l’édifice est des plus simples puisqu’il ne comporte qu’une nef prolongée par un chœur à chevet plat.
La nef, longue d’environ 12 mètres pour une largeur de 5,80 mètres, s’ouvre en contrebas d’un portail d’où l’on descend par cinq marches, dont deux s’élargissent dans la nef (fig. 3). La dénivellation est d’environ 0,90 mètre. Les murs, très épais, sont revêtus intérieurement d’un enduit qui rend l’appareil invisible. Au-dehors, sur le mur méridional, il apparaît constitué de moellons assez bien appareillés de 15 à 18 cm de haut pour 20 à 40 cm de large. Les deux fenêtres ouvertes dans ce mur l’ont été, de toute évidence, plus tard. Larges de 1,25 mètre, elles sont, au-dedans, ébrasées latéralement et dans le bas et s’ouvrent à 2,50 mètres du sol de la nef tandis que leur linteau droit atteint presque le plafond. Au dehors, elles sont couronnées par un arc plein cintre taillé dans un seul bloc dont les arêtes, ainsi que celles des piédroits, sont chanfreinées.

Le plafond de la nef, en plâtre sur lattis, est en fort mauvais état. Quant au sol de ciment, c’est un des plus lamentables que l’on puisse imaginer. Cet ensemble bien prosaïque est, heureusement, complété par le chœur ou du moins son ouverture. Celle-ci est constituée par un arc triomphal brisé, à double rouleau, dont les arêtes externes sont chanfreinées et qui repose sur des piédroits identiques (fig. 4).
Ceux-ci possèdent, côté nef, une base très simple et sont surmontés, au départ de l’arc, par une imposte en forme de bandeau chanfreiné. Sur le chanfrein, le sculpteur a dégagé des têtes de monstres : trois de chaque côté, à la retombée de l’arc interne et quatre à celle de l’arc externe, réparties, de chaque côté, en deux paires. Une d’entre elles a disparu et une autre n’a sans doute jamais été sculptée. On ne saurait dire s’il s’agit de têtes d’hommes ou d’animaux : le nez est épaté, la bouche très large, les oreilles immenses ; certaines têtes tirent la langue. Il est difficile d’aller plus loin dans le domaine de la monstruosité et de la laideur. L’ensemble, empâté par les badigeons successifs, gagnerait beaucoup à être décapé (fig. 5).

(photo CRDP : P. Bardou).
Ce bel ensemble ouvre, malheureusement, sur un chœur sans aucun intérêt : sol en ciment, plafond en plâtre avec, dans l’axe, une niche abritant une statue de la Vierge, en plâtre elle aussi ! Deux baies distribuent la lumière : celle de droite, ouverte à 1,67 mètre du sol, large de 1,05 mètre, présente de larges ébrasements et un petit linteau plein cintre ; celle de gauche, élevée à 2,48 mètres du sol, plus étroite, possède un linteau droit.
Une porte ouverte dans le mur méridional donne accès à une petite sacristie moderne.
Or, si l’on examine ce chœur de l’extérieur, l’impression est tout à fait différente. On constate, en effet, qu’il est bâti en très bel appareil ainsi que les contreforts d’angle et le clocher surmontant l’arc triomphal. Murs et contreforts sont d’ailleurs pris dans le même soubassement dont l’appareil est sensiblement plus grand que celui du reste des murs. Cet appareil s’arrête à environ un mètre au-dessous du niveau de la toiture, où il est remplacé par un mur de moellons médiocres. La coupure se situe au niveau du linteau des baies ouvertes sur les faces nord et est. Celle de l’est possède un linteau et des arêtes en pierre chanfreinés mais n’est pas visible à l’intérieur car le mur oriental du chœur, comme à Saint-Loubert, a été doublé, à une époque récente, d’une cloison. Le linteau de celle du nord est en bois. La baie méridionale, plus grande, a été ouverte plus tard. De toute évidence, ce chœur est resté inachevé et était destiné à être plus élevé et voûté d’une croisée d’ogives.

Le clocher, étayé à sa base par deux contreforts à larmier, est élevé sans reprise de maçonnerie et, s’il se soude parfaitement au chœur, la coupure avec la nef est, par contre, très nette. La partie supérieure dans laquelle sont ouvertes deux baies en arc brisé présente toutes les caractéristiques des clochers fortifiés de la fin du Moyen Âge. On note ainsi, sur la face ouest, la présence de plusieurs rangs de corbeaux : tout d’abord sur le côté droit, légèrement au-dessus du toit, deux corbeaux, puis à la base des baies, un autre, enfin sur les deux faces, au départ des arcs des baies, quatre sur la face ouest et sept sur celle de l’est. Sur la face ouest, au-dessous de la rangée inférieure de corbeaux, on aperçoit, au niveau du toit, une ouverture, aujourd’hui obstruée, à laquelle on devait accéder depuis les combles de la toiture. Or, au-dessus, dans le piédroit sud de la baie méridionale du clocher, on peut distinguer une autre ouverture. Il est donc probable que la partie méridionale du clocher est aménagée intérieurement ; peut-être y a-t-il eu un escalier qui permettait d’aller des combles aux baies des cloches ? On peut remarquer d’ailleurs que le clocher est plus large dans sa partie méridionale, comme le souligne le décrochement du massif de maçonnerie sur ses deux faces, à proximité de la baie méridionale.
L’église s’ouvre, à l’ouest, par un portail en arc plein cintre, composé de quatre voussures très simples se prolongeant par des piédroits semblables. Ces voussures sont très largement en retrait les unes par rapport aux autres, puisque celle de l’extérieur mesure 3,77 mètres de diamètre et celle de l’intérieur seulement 1 mètre. Cet ensemble est visiblement plaqué contre le mur occidental de la nef. En effet, l’ouverture percée dans le mur ouest de l’église se prolonge au-dessus et en arrière de la dernière voussure ; elle est surmontée par un linteau, puis par un petit arc plein cintre (fig. 3). Toute cette façade, ainsi que le mur ouest de la nef sont en très bel appareil. Afin d’éviter le versement des murs sous la poussée des arcs du portail, on a construit, dans le prolongement du mur de la façade, deux petits contreforts. Le mur nord de la nef est, lui aussi, étayé par deux contreforts modernes en fort mauvais état.

Le décor de l’église est des plus médiocres : les murs de la nef et du chœur ont, en effet, été passés au badigeon et on a cru utile d’y dessiner un quadrillage de pierres ! Le mobilier est sans intérêt : des fonts baptismaux modernes en marbre blanc, un bénitier en marmorite et un autel en plâtre, les inévitables statues sulpiciennes et un chemin de croix de la même veine. Le confessionnal et la chaire en bois sont des plus simples, de même la grille du chœur en fer forgé. L’église de Campin renferme, cependant, un intéressant autel en bois, relégué contre le mur méridional de la nef et qui mérite qu’on s’y attarde quelque peu. La table, haute de 1,11 mètre, large de 1,95 mètre et profonde de 0,90 mètre, repose sur un socle galbé, placé lui-même sur une petite estrade. Le socle, peint en faux marbre brèche rouge et encadrement de faux marbre veiné gris et jaune, est décoré d’un double cœur doré, flamboyant. Au-dessus de la table et reposant sur une petite banquette, on aperçoit un très beau tabernacle en bois sculpté et doré d’une grande finesse d’exécution. Du christ qui le surmontait, il ne reste plus qu’un bras encore fixé à une croix en bois. De part et d’autre du tabernacle se trouvaient naguère deux chandeliers en bois sculpté et doré ; il n’en reste plus qu’un. Par contre, deux anges ont pu encore résister aux pilleurs d’église : hauts de 47 centimètres, agenouillés sur des nuées, ils reposent sur un socle à moulures dorées et caisson peint en faux marbre noir. Tous deux sont taillés dans une pièce de bois recouverte d’un enduit, à l’exception des ailes qui ont été rapportées. Ils sont, sauf le visage et les bras couleur chair, entièrement dorés. Celui de droite se frappe la poitrine des deux mains, celui de gauche les tient jointes. À la différence de ces deux pièces, qui ne sont pas sans une certaine naïveté, le tabernacle est l’œuvre d’un excellent menuisier. La porte en plein cintre est ornée d’un triangle trinitaire entouré de nuages et de rayons. Elle ouvre entre deux colonnes en avancement de style composite, reposant sur des socles et supportant une corniche. Juste au-dessus de la porte, on distingue un décor de rinceaux et de fleurs très finement sculptés. La corniche, peinte en doré et vert noir et décorée de petites rosettes dorées, supporte un fronton orné de deux cœurs rayonnants. Cet ensemble doit dater de l’extrême fin du XVIIIe siècle ou, peut-être, du début du XIXe siècle. C’est le dernier autel en bois du canton de Grignols. L’abandon dans lequel il se trouve est véritablement navrant.
L’église de Campin est un édifice assez complexe, mais il n’est pas impossible de retrouver les diverses étapes de sa construction. Les parties les plus anciennes sont, sans conteste, la façade et la nef qui datent, au plus tard, du XIIIe siècle mais qui ont été édifiées en deux fois. À une époque postérieure, certainement au XIVe siècle, on a élevé le clocher et le chœur actuels, peut-être sur l’emplacement d’une abside primitive que l’on aurait alors démolie, mais la chose n’est pas certaine. La construction de ce chœur s’explique par les besoins du culte, mais aussi pour des raisons défensives. Comme ceux d’Insos, de Lucmau et de Monclaris, le clocher de Campin fut, sans aucun doute, aménagé à des fins militaires. Mais à Campin, compte tenu du fait que le sommet du clocher n’était pas terminé par un pignon, les corbeaux soutenaient des hourds en bois qui devaient véritablement en couronner le sommet. Nous aurons souvent l’occasion de parler de ces clochers fortifiés du Bazadais qui – nos recherches nous l’ont prouvé – ont réellement servi, en particulier durant les vingt dernières années du XIVe siècle, comme élément essentiel d’un réduit défensif constitué par l’ensemble de l’église. Le chœur de Campin, avec ses puissants contreforts et ses ouvertures très étroites, confirme cette impression. Normalement, il aurait dû s’élever plus haut, peut-être jusqu’au niveau des baies du clocher comme à Monclaris. Il existe d’ailleurs dans l’architecture du chœur de ces deux édifices des analogies frappantes. Notons, d’autre part, que les ouvertures de la nef sont modernes et que l’ensemble, mis à part la porte d’entrée, était pratiquement aveugle.
Même si l’église de Campin n’est pas un édifice exceptionnel, elle présente un intérêt archéologique certain, surtout si l’on songe à l’état lamentable dans lequel se trouvent les églises voisines d’Auzac et de Monclaris. Il serait donc souhaitable, comme cela a été fait à Saint-Loubert, que des travaux de remise en état soient rapidement entrepris.
E. Guillon, Les châteaux… de la Gironde, 1869, t. IV, p. 221.
E. Feret, Essai sur l’arrondissement de Bazas, 1893, p. 33.
A. Rebsomen, op. cit., p. 110 et p. 113, fig. 93 (vue de la face ouest).