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Olivier Buchsenschutz : un parcours

Les chercheurs de notre génération ont eu la chance de vivre, à compter des années soixante-dix, un changement complet des pratiques de l’archéologie en France. Dans les trente dernières années les recherches sur le territoire métropolitain ont connu un essor inespéré. De la loi sur les monuments historique en 1913, à celle sur l’archéologie en 1941, sans compter les innombrables tentatives avortées, jusqu’au rapport Soustelle en 1975, les “Antiquités Nationales”, pour reprendre un terme inventé pendant la Révolution, avaient été constamment négligées. Elles n’ont pris leur place dans le champ scientifique que durant les trois dernières décennies du XXe siècle, et la France dispose maintenant de ressources équivalentes à celles de principaux pays européens, ce qui n’était pas le cas durant la période précédente.

Ce renversement des pratiques et des approches scientifiques a été mené par une génération de chercheurs qui sont entrés dans la profession au sens large (CNRS, Université, directions régionales des antiquités, Afan puis Inrap, Musées et collectivités locales) après la grande secousse culturelle et politique de 1968. Je ne pense pas exagérer les conséquences du “mouvement de mai 1968” en suggérant que les transformations qu’a connu l’archéologie en France sont largement dépendantes du débat d’idées qui a traversé alors tout le pays. De cela dont témoignent le prémonitoire appel d’Henri Seyrig pour un “Institut Français d’Archéologie” et les débats de la commission d’archéologie réunie à l’institut d’art et d’archéologie de l’université de Paris pendant l’occupation de la Sorbonne.

J’avais côtoyé Olivier Buchsenschutz les années précédentes dans nos communes études d’histoire, mais j’ai eu la chance de le rencontrer vraiment durant cette période, et j’ai pu apprécier dès cette époque la vigueur de sa vocation d’archéologue et son approche si particulière du métier. Olivier m’a déclaré un jour qu’il avait choisi l’archéologie parce que c’était une discipline intellectuelle qu’on ne pouvait pas pratiquer sans certaines dispositions manuelles. L’archéologue ne reconstruit pas le passé en s’appuyant seulement sur des idées et des textes, il doit accepter l’épreuve du réel que constitue le terrain. Tout ceux qui ont eu la chance d’assister au séminaire d’André Leroi-Gourhan et de participer au chantier de Pincevent savent ce que cela veut dire. Olivier a tiré de cette réflexion et de ces expériences toutes les conséquences, à Levroux d’abord, puis sur ses autres chantiers, il a su inaugurer des techniques nouvelles d’observation et de documentation, et surtout créer une chaîne technique qui maîtrisait l’ensemble des données, de la prospection à l’excavation et jusqu’à la publication. L’archéologue est comme l’alpiniste, il doit maîtriser l’ensemble des facteurs nécessaires au bon résultat de la course pour l’un, de la fouille pour l’autre. Les deux pratiques exigent un bon équilibre entre prévision et adaptation au terrain, entre réflexion et improvisation. Ces qualités, Olivier Buchsenschutz les possède, à l’instar de quelques autres protohistoriens de sa génération, comme Michel Py ou Pierre Pétrequin qui, chacun dans son genre, ont pratiqué la fouille comme une ascèse, mais aussi comme un “acte technique efficace”.

 Le terrain pour Olivier ce n’est pas seulement la fouille, c’est aussi la reconstitution des techniques de fabrication et d’aménagement de la nature utilisées par les hommes du passé. Là encore, l’influence de Leroi-Gourhan et bien sûr celle de Marcel Mauss, ont facilité un travail mémorable de reconstitution du “murus gallicus” et bien d’autres expériences du même type. J’ai souligné le fait que notre génération d’archéologues avait dû construire un cadre administratif autant que scientifique de la discipline archéologique. Les protohistoriens comme Olivier ont affronté avec détermination une autre difficulté, celle de forger les instruments d’une discipline “coincée” entre l’archéologie classique et l’archéologie préhistorique. À la rentrée d’octobre 1968 Olivier a inauguré le premier enseignement de protohistoire à l’Institut d’art et d’archéologie grâce à la confiance de Gilbert Charles Picard, de Pierre Demargne et de Jean Deshayes. Ce fut notre chance que les maîtres de différentes générations aient ouvert grand les portes de l’archéologie classique aux autres disciplines de l’archéologie, et que soit possible à Paris ce que J.P. Millotte avait créé à Besançon ou Jean Pouilloux à Lyon. Dans ces années où bien des choses semblaient possibles qui paraissaient si lointaines auparavant, Olivier s’est investi dans son métier d’enseignant, réunissant les compétences nécessaires avec l’aide de J.P. Millotte, de C. Peyre et de J.P. Demoule. Il a bientôt créé à Levroux un chantier de fouille pilote et s’est lancé dans une entreprise innovatrice, la carte archéologique de la France.

La carte archéologique imaginée par Olivier n’était pas un recensement des sites connus, elle se voulait, dans la ligne directe des enseignements de Jacques Bertin, une réflexion sur le systèmes graphiques au service de l’archéologie, elle préfigurait ce que nous considérons actuellement comme des systèmes d’information géographiques, et elle a servi de banc d’expériences à nombre de bases de données développées par Olivier et ses collègues et étudiants au fil du temps. L’engagement d’Olivier Buchsenschutz dans un pareil projet l’a conduit à rejoindre le CNRS et à y développer une recherche originale sur les sociétés celtiques. Cette inflexion de carrière, si elle lui a donné plus de temps pour le terrain, ne l’a pas éloigné de l’Université où il a continué à enseigner sans discontinuer. L’archéologie des âges du Fer est désormais une discipline qui a bien essaimé dans la plupart des universités françaises, et dont témoignent le nombre de docteurs formés par Olivier. Son activité au sein d’une ENS jusque-là plus sensible aux mondes classiques et orientaux est un autre signe de cet engagement didactique autant que scientifique. Comme en témoignent ces Mélanges, Olivier a su être un passeur entre générations, entre régions et, bien sûr, entre pays. Sa collaboration avec Ian Ralston, l’un des plus francophiles protohistoriens britanniques, ses relations avec les universités allemandes, dont témoigne son invitation comme professeur à Munich, ses liens avec les collègues tchèques et italiens, illustrent son engagement international.

Olivier Buchsenschutz, c’est un style fait de discrétion et de ténacité, de fidélité et de précision, c’est une puissance de travail dont témoignent les chantiers menés avec célérité et d’exemplaires publications, c’est aussi et surtout un homme de foi et d’engagement qui jamais n’a ménagé son temps et son dévouement pour le bon développement de la protohistoire, autant que pour accueillir chaleureusement de très nombreux étudiants. Ce bouquet qui lui est offert est un témoignage d’affection et, en même temps, une réflexion sur la qualité du chemin parcouru.

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Pessac
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EAN html : 9782356134929
ISBN html : 978-2-35613-492-9
ISBN pdf : 978-2-35613-493-6
Volume : 1
ISSN : 2827-1912
Posté le 08/05/2024
Publié initialement le 01/02/2013
2 p.
Code CLIL : 3385 ; 4117
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Schnapp, Alain, “Olivier Buchsenschutz : un parcours”, in : Krausz, Sophie, Colin, Anne, Gruel, Katherine, Ralston, Ian, Dechezleprêtre, Thierry, dir., L’âge du Fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 1, 2024, 23-24, [en ligne] https://una-editions.fr/olivier-buchsenschutz-un-parcours [consulté le 08/05/2024].
doi.org/10.46608/basic1.9782356134929.4
Illustration de couverture • D'après la couverture originale de l'ouvrage édité dans la collection Mémoires aux éditions Ausonius (murus gallicus, Bibracte ; mise en lumière SVG).
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