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Ce livre est particulièrement bien venu. Il rappelle que l’accès et la réussite dans l’enseignement supérieur sont une composante essentielle de la transition juvénile des jeunes adultes présentant un besoin éducatif particulier (BEP) : ils augmentent leurs chances d’accès à l’emploi et renforcent leurs possibilités d’inscription sociale. Ce livre présente surtout l’intérêt de s’intéresser à une population peu prise en compte dans les travaux existants sur les étudiants à BEP : les étudiants présentant une pathologie rare, notamment du fait d’une maladie comme le cancer. Or, comme le montre ce livre, ces étudiants peuvent se trouver dans une errance diagnostique rendant difficile la reconnaissance institutionnelle nécessaire à l’accès aux soutiens requis. L’effet invalidant de la pathologie s’en trouve renforcé au point d’exiger des étudiants de déployer plus d’énergie pour se concentrer ou d’augmenter leurs difficultés à concilier les temps sociaux. Leurs conditions d’études en deviennent plus difficiles et aléatoires que pour la moyenne des étudiants à BEP : ils interrompent plus fréquemment leurs études que ces derniers, sont plus fréquemment exposés au redoublement ou à une réorientation obligée ; ils sont également plus dépendants des sessions de rattrapage aux examens. Par ailleurs, à l’instar de nombre d’étudiants à besoins éducatifs particuliers, leur accès à l’enseignement supérieur n’est pas synonyme d’une défamiliarisation et d’une plus grande indépendance à l’égard de leur famille comme c’est le cas pour la population estudiantine d’une manière générale. Cette « dépendance » à la famille est renforcée par une inaccessibilité des établissements d’enseignement supérieur qui assujettit l’accès et la réussite dans l’enseignement supérieur à la mobilisation de la famille et des pairs. Le risque est grand d’entretenir les inégalités sociales entre ces étudiants et la population générale et de rendre difficile pour les familles de concilier les temps sociaux1.

 Mais ce livre présente également l’intérêt de relier l’ambition inclusive aux formes institutionnalisées de reconnaissance signifiées aux étudiants par les acteurs de l’enseignement supérieur. Ces formes institutionnalisées de reconnaissance s’expriment dans les modalités d’accès à l’enseignement supérieur ainsi que dans les conditions d’études. Celles-ci reflètent la référence normative qui préside à la distinction entre le normal et le pathologique. Elles constituent des marqueurs sociaux révélateurs de l’intégrité sociale reconnue aux individus et forment des supports identificatoires à partir desquels se forgent les représentations de soi, s’envisagent les schèmes d’appartenance2. Les dynamiques de catégorisation sous-jacentes à l’attribution des soutiens et des aides sont des actes de nomination. Elles attestent de la distance qui existe entre l’identité personnelle revendiquée par la personne et l’identité sociale qui lui est reconnue par son environnement. La négation du droit matérialisée par les orientations forcées reflète, quant à elle, le moindre degré de respectabilité sociale dans lequel sont tenues les personnes3.

Les modalités de soutien et d’accompagnement reflètent le type de solidarité accordé à l’étudiant et participent de la qualification sociale de l’anomalie physiologique. L’absence de soutiens et d’empathie (si modeste soit-elle), la dépossession de la maitrise du temps, la perte de contrôle de la représentation de soi transforment les études en moments où se révèle le manque de considération accordé aux personnes concernées. Ces pratiques témoignent d’un déni de reconnaissance qui explicite la signification accordée par la société à l’anomalie physiologique : certaines personnes interviewées par Lucas Sivilotti jugent que les institutions les mettent davantage en difficultés qu’elles ne les soutiennent ; d’autres associent la demande d’aide ou de soutien à un risque de stigmatisation préjudiciable à leur reconnaissance en tant qu’étudiants par la communauté universitaire. 

Ce déni de reconnaissance participe du désencastrement social et identitaire autour duquel s’opère la transmutation de l’anomalie physiologique en stigmate. Les difficultés rencontrées par les étudiants et leurs familles ne sont donc pas de simples obstacles révélateurs d’une restriction de participation sociale plus ou moins supportable et supportée par les individus. Elles sont des symboles de stigmate qui reflètent la singularité de formes d’appartenance sociale devant être perpétuellement conquises et qui explicitent l’écart qui sépare l’identité réelle des individus de leur identité virtuelle4. A l’image d’une râpe, ce déni de reconnaissance transforme les échanges sociaux en moments durant lesquels se dévoile le handicap, c’est-à-dire la signification sociale attribuée à l’anomalie physiologique. Il vulnérabilise le rapport de soi à soi et de soi à autrui et transforme l’accès à l’enseignement supérieur en un facteur de désenchantement et de déréalisation de soi. Ce déni de reconnaissance érode l’épaisseur sociale qui fait la citoyenneté et par laquelle il est possible d’avoir comme tout un chacun une égale prétention au respect et à l’estime sociale5. Les composantes fonctionnelles ou médicales de la pathologie en viennent à devenir le principal repère autour duquel se structurent les identités sociales et personnelles au risque de contribuer à essentialiser les difficultés rencontrées par les étudiants.6 Comme le montre ce livre, certains étudiants en sont conduits à être « empêchés de réfléchir à ce que l’on veut faire », à prendre « l’habitude de ne pas anticiper les choses », à être « un peu dans le vide ». Leur disposition à mobiliser leurs droits et à recourir aux services dédiés aux étudiants handicapés s’en trouvent réduites au risque de s’en trouver vulnérabilisés. 

Ce livre invite en cela à mettre à distance toute acception utilitariste de l’ambition inclusive se satisfaisant d’une présence physique dans les dispositifs de droit commun, au détriment des conditions intervenant dans l’acceptation d’autrui et du sentiment d’existence qu’éprouvent les jeunes adultes. Sa description des conditions d’études relie l’accès à l’enseignement supérieur et la réussite universitaires des étudiants à la valeur transitionnelle des trajectoires post-scolaires induites par les pratiques des établissements scolaires et universitaires. Cette valeur transitionnelle réside dans les supports identificatoires trouvés par les intéressés durant le processus de transition pour intérioriser et endosser de nouvelles identités et prendre et assumer les responsabilités incombant aux étudiants7. Ces supports identificatoires découlent des stratégies d’accessibilisation des environnements universitaires développées tout au long du processus de transition vers l’enseignement supérieur et au sein des établissements : ils renvoient aux synergies créées entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur d’une part ; ils concernent, d’autre part, les synergies entre l’enseignement supérieur et les services administratifs et/ou les services du secteur social et médico-social pour soutenir la cohérence et la cohésion des trajectoires et réduire ou prévenir l’obligation de lutte dont parlent les étudiants. 

Ces supports identificatoires comprennent aussi les conceptions de l’excellence promues par les modes d’orchestration de l’accessibilité revendiqués par les politiques d’établissement. Lorsque l’accessibilité est associée à une source de performance et d’équité pour l’établissement, les enseignants chercheurs font de la pédagogie inclusive une composante pleine et entière de l’activité enseignante. Ils voient dans les aménagements et soutiens le moyen de rendre les enseignements accessibles au plus grand nombre tout en étant adaptés à chacun. Lorsque les politiques d’établissement résument l’accessibilité de l’université à une accessibilisation physique des lieux, les établissements peinent à informer adéquatement les étudiants sur les services d’appui existants et les aménagements possibles. Ils assujettissent l’inscription à l’université ainsi que le déroulement des études, comme le montre certains entretiens, à la sensibilité individuelle des acteurs de la communauté universitaire et à leur bricolage héroïque. Ces modes d’orchestration de l’accessibilité placent l’exigence d’autogestion et d’autocontrôle au cœur de la réussite universitaire. Ils conduisent, comme le montre ce livre, les étudiants à préférer s’inscrire dans des filières offrant un suivi plus soutenu que celui proposé aux étudiants par la plupart des universités. Ils souhaitent réduire les risques d’échec en échappant aux faux rythmes universitaires, aux chausses trappes inhérentes à une apparente liberté octroyée par une institution déléguant aux étudiants l’organisation du temps et de l’espace. 

Ces supports identificatoires s’organisent aussi autour du « foyer apparent » du stigmate8 suggérée par les dynamiques d’évaluation du besoin. Quand le « foyer apparent » du stigmate est rapporté à l’inaccessibilitéde l’environnement universitaire, les craintes de stigmatisation et les enjeux d’étiquette qui entourent l’accès aux soutiens et aux aménagements sont d’une acuité moindre que lorsqu’il est inféré à un trouble ou à un besoin. Les aménagements et les soutiens s’en trouvent référés aux exigences du métier d’étudiant et sont moins considérés par les étudiants comme des « privilèges » que des composantes de la réussite universitaire de tout étudiant. Leur inclination à signaler leurs besoins ou leur particularité s’en trouve renforcée. Associés à des supports identificatoires, la pédagogie inclusive, comme les aménagements et les soutiens président aux rôles sociaux auxquels accèdent les jeunes adultes à l’issue de la terminale et aux possibilités qui leurs sont données de se familiariser avec les règles en vigueur dans l’établissement d’enseignement supérieur. S’y joue leur affiliation à l’institution, leur apprentissage du métier d’étudiant. S’y joue également leur aptitude à convertir les apprentissages et les savoirs en ressources mobilisables en situation pour s’adapter à l’évolutivité des contextes jalonnant le processus de transition vers l’enseignement supérieur et le cursus universitaire. Ces supports identificatoires conditionnent le rapport aux soutiens et le recours aux droits lorsqu’ils conduisent la communauté universitaire à faire de l’accessibilisation de l’environnement universitaire le moyen d’assurer la réussite du plus grand nombre par-delà l’existence d’un trouble ou d’un besoin formellement reconnu par des instances administratives. 

Ce livre montre de surcroit que l’inaccessibilité des environnements universitaires engonce la transition juvénile dans des formes de reconnaissance invisibles qui atteignent l’intégrité personnelle et sociale des personnes. Il rappelle que les droits individuels sont des droits affirmatifs à créer des environnements ouverts à tous. Il invite à voir dans l’accessibilité des biens, services et environnements une propriété sociale à travers laquelle se conjugue le « droit à » bénéficier de droits avec le « droit de » se comporter et d’être vu, au premier chef, comme un étudiant et, plus généralement, comme un sujet de droits. Ce livre conduit à relier l’accessibilité de l’université aux formes d’intégrité sociale conférées aux étudiants par la possibilité d’exercer le métier d’étudiant, c’est-à-dire à maitriser l’ensemble de règles, de connaissances et de savoir-faire que les étudiants doivent apprendre pour être des étudiants, et être reconnus comme tels9

Il suggère de relier l’accessibilité de l’enseignement supérieur à l’effet capacitant des pratiques. Cet effet capacitant réside dans le « prendre part » permis à l’étudiant : celui-ci résulte de stratégies d’admission soutenant sa transition vers l’enseignement supérieur en : cherchant à informer les membres de la communauté universitaire sur les conditions nécessaires à ses apprentissages ; en le conduisant à voir l’explicitation de sa particularité comme un moyen de renforcer l’accessibilité de l’environnement universitaire et de le rassurer sur les modes de conciliation des dimensions médicales, sociales et universitaires qu’exigent nombre de maladies chroniques invalidantes. Ce « prendre part » découle aussi de pratiques pédagogiques et de modalités de soutien prenant en considération les effets secondaires des traitements et de leurs conséquences sur les capacités d’apprentissage. 

Cet effet capacitant renvoie au « faire partie » quand la mise en scène de la vie quotidienne au sein de la communauté universitaire et les aménagements permettent aux étudiants d’être jugés légitimes dans l’exercice de leur fonction. Ce « faire partie » renvoie aux formes d’isolement que connaissent les étudiants qui ne peuvent pas progresser au même rythme que les autres, partager avec eux les soirées estudiantines et les activités extra universitaires. Il exige de ne pas se satisfaire de la « prescription » d’une majoration du temps allouée pour les examens ou de la mobilisation d’un quota d’aides techniques ou humaines indépendamment de leurs effets en termes de réussite et d’intégration universitaire. Ce « faire partie » demande de s’interroger sur les possibilités données aux étudiants à BEP : d’exercer les mêmes tâches que les autres étudiants, de concilier les contraintes inhérentes à la pathologie ou aux traitements médicaux avec les exigences du cursus universitaire, de s’inscrire socialement dans la communauté universitaire. 

Cet effet capacitant renvoie au caractère émancipateur de la pédagogique inclusive et des soutiens et des aménagements révélé par l’aptitude des étudiants à agir sur leur environnement. Cet « agir sur » correspond à la capacité d’action et à l’autonomie décisionnelle dont ils disposent pour prendre et assumer les responsabilités liées à l’exercice du métier d’étudiant. Il dépend des pôles de certitude possédés par les étudiants pour se projeter dans le futur, s’adapter à la diversité des contextes et des situations et demander à être vus autrement que handicapés ou en difficulté. Comme le montre ce livre, cet « agir sur » demande une communication intra institutions universitaires assurant aux étudiants la continuité des aménagements pédagogiques et des formes de soutien nécessités, malgré le fait qu’ils suivent un cursus dépendant de plusieurs structures. Il exige une transmission efficace des informations évitant les stratégies de non-recours et de distanciation vis-à-vis du collectif des étudiants. De telles stratégies sont illustrées par le refus de signaler sa particularité, de faire valoir ses droits pour éviter de devoir se justifier sans cesse sur les aides et les aménagements requis ou d’être exposés aux formes de stigmatisation les privant d’être vus comme des étudiants d’abord. 

Cet effet capacitant renvoie au sentiment d’exister des étudiants lorsqu’il est rapporté aux ordres de la reconnaissance les plaçant à parité de participation avec les étudiants. Il désigne notamment l’effet d’affiliation des pratiques et l’accès à cette forme de singularité qui conduit à se penser soi-même comme un autre, à se dire différents comme les autres10. Cet effet d’affiliation renvoie à la capacité narrative possédée par les étudiants pour se raconter autrement qu’au regard de leur anomalie physiologique, pour mettre à distance les préjugés relatifs à une déficience ou à un trouble, ou ceux induits par la reconnaissance du statut d’handicapé. Il réside dans les identités plurielles acquises à travers la confrontation à une pluralité d’univers sociaux et à une multiplicité de rôles sociaux qui permet de se penser simultanément, handicapé, étudiant, compagnon ou compagne, ami(e), etc. 

L’analyse faite dans ce livre des stratégies d’appui susceptibles de soutenir la transition vers l’enseignement supérieur et la réussite universitaire est, elle également, fort instructive. Elle rappelle que les possibilités de démocratisation de l’enseignement supérieur se situent dans la texture même de la mise en scène de la vie quotidienne au sein des universités qui préside aux rapports sociaux. S’appuyant sur l’analyse de l’activité d’une médiatrice en santé, ce livre souligne l’intérêt d’une perspective systémique de la médiation se proposant, entre autres, de diminuer le non-recours aux dispositifs existants. Cet objectif repose notamment sur ce que Lucas Sivilotti nomme une médiation situationnelle prenant en compte l’environnement du jeune adulte, les particularités individuelles de celui-ci et les spécificités de l’institution dans laquelle il veut s’inscrire. Cette médiation situationnelle consiste en un travail de reliance. Celui-ci permet à l’étudiant d’avoir un relais susceptible de l’appuyer durant la transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur et aux enseignants-chercheurs de se sentir mieux à même d’échanger avec le jeune adulte sur ses besoins. Ce travail de reliance crée en outre entre les parties prenantes concernées des liens propices au développement des passerelles susceptibles de garantir la continuité de la trajectoire post-scolaires. 

Cette médiation situationnelle place les professionnels à l’intersection de multiples acteurs pour agir en tant que tiers contribuant à légitimer le jeune adulte dans la durée universitaire. Dans une perspective personnaliste, elle demande aux différents acteurs de se positionner vers l’étudiant et sa famille pour les étayer dans leurs démarches tout en étant à l’écoute des besoins des professionnels afin de coconstruire les conditions interinstitutionnelles et interindividuelles de la transition vers l’enseignement supérieur. Cette perspective fait de la disponibilité relationnelle avec le jeune adulte le moyen de l’inciter à faire valoir ses droits et ses besoins. Elle associe la connaissance des acteurs et des dispositifs à une ressource susceptible de construire les conditions de la transition vers l’enseignement supérieur. Cette médiation situationnelle fait de l’aptitude à faire environnement une source de synergies grâce auxquelles peut être assuré un cursus universitaire de qualité. 

Ce livre montre finalement que la présence d’étudiants se singularisant par une particularité est une ressource pour l’enseignement supérieur. La prise en compte de leurs besoins éducatifs lui permet de répondre aux exigences induites par la diversification croissante des profils estudiantins. Elle incite les établissementsd’enseignement supérieur à se définir comme des organisations apprenantes s’attachant à satisfaire à la fois aux exigences d›excellence et d’équité.

Notes

  1. Ebersold, 2017.
  2. Canguilhem, 1966 ; Honneth, 2000.
  3. Dubar, 1991 ; Renault, 2004.
  4. Goffman, 1975.
  5. Honneth, 2004 ; Fraser, 2005.
  6. Ebersold, 2007. 
  7. Ferreira et Nunes, 2010.
  8. Goffman, 1975.
  9. Coulon, 1997.
  10. Ricœur, 1990.
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Posté le 25/11/2022
EAN html : 9791030008234
ISBN html : 979-10-300-0823-4
ISBN pdf : 979-10-300-0824-1
ISSN : 2823-8680
9 p.
Code CLIL : 3318

Comment citer

Ebersold, Serge, “Préface”, in : Sivilotti, Lucas, Accompagner les étudiants malades à l’université. Une médiation au cœur de l’inclusion des étudiants porteurs d’un cancer ou d’une maladie rare, Pessac, PUB, collection S@nté en contextes 2, 2022, 9-18, [en ligne] https://una-editions.fr/preface-accompagner-les-etudiants-malades-a-luniversite [consulté le 25/11/2022].
10.46608/santencontextes2.9791030008234.1

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Contenu(s) additionnel(s) :

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Illustration de couverture • (illustrateur : Damien Ridremont, 2022).
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