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Sacrifices et dépôts composites au Second âge du Fer dans le Bassin parisien : quand le défunt échappe
à la nécropole et devient offrande

Les mondes sans frontière

Les études spécialisées, adossées aux grands décapages préventifs réalisés depuis 30 ans dans le Bassin parisien, ne cessent de démontrer qu’au Second âge du Fer, les sphères funéraire, domestique et cultuelle sont inextricablement mêlées. Chez les Sénons comme chez les Parisii, aux marges picardes comme en Champagne, de petits ensembles funéraires et de vastes nécropoles accueillent les défunts en des commémorations communautaires ; en parallèle, la présence d’os humains, de sépultures et de dépôts domestiques est lourde de sens quant à des pratiques peu figées mais lisibles. On observe ainsi :

– des comportements funéraires obéissant à des prescriptions cultuelles, regroupant les défunts selon un curseur sociétal hiérarchique et/ou démographique. Les nécropoles de quelques dizaines de sujets de Nanterre1 du Plessis-Gassot2, les groupes dispersés de la confluence Seine-Yonne3, de Chambly4 ou les grands ensembles tels Bobigny5 ont fait l’objet d’études renouvelant les enjeux de l’omniprésence guerrière,

– des dépôts humains individuels, multiples ou collectifs dans des structures de stockage isolées ou dans des batteries6 (fig. 1 et 2),

  • des dépôts composites associant des humains, des animaux et un mobilier de prestige, entiers ou fragmentés, inclus dans ces mêmes silos,
  • des sépultures d’adultes disséminées dans l’habitat,
  • des sépultures d’enfants que leur âge au décès, en marge des rites de passage communautaires, n’a pas dévolu à la nécropole,
  • des ossements secs, en position secondaire dans le comblement de fosses dépotoirs7, de fossés ou de sanctuaires8.
 Exemple de dépôt humain en silo laténien à Varennes-sur-Seine “Volstin” (cl. O. Maury, Inrap CIF).
Fig. 1. Exemple de dépôt humain en silo laténien à Varennes-sur-Seine “Volstin”
(cl. O. Maury, Inrap CIF).
 Dépôts humains simultanés mis au jour dans un silo à Noisy-sur-Marne (Aisne) (cl. R. Issenmann, EVEHA).
Fig. 2. Dépôts humains simultanés mis au jour dans un silo à Noisy-sur-Marne (Aisne)
(cl. R. Issenmann, EVEHA).

Le dépôt humain en silo : la lecture aisée d’un éventail de gestuelles

Reconnu et étudié, le dépôt humain en silo reste de lecture controversée : parfois adossé à la sphère sociale et hiérarchique (relégation de sujets de rangs inférieurs), il est surtout associé à l’inventaire des comportements cultuels domestiques. Dans son texte fondateur, A. Villes proposait ce terme de “sépulture de relégation”, vocabulaire d’attente privilégiant la marginalisation de certains défunts écartés9. L’expression, fondée sur une démonstration argumentée et un solide corpus, a été communément adoptée, s’articulant autour de deux postulats : l’incongruité de cette présence et les circonstances suspectes de la mort de ces “relégués”.

Reprenant pour partie les observations faites à Danebury10, le questionnement s’est enrichi de nouvelles hypothèses, suggérant non plus un rejet de ces défunts, mais leur participation règlementée à l’élaboration d’offrandes souterraines via un séjour dans une structure de stockage11. Favorablement reçue et agrémentée de problématiques régionales, cette partition des défunts demeure trop souvent encore assimilée à un déni péjoratif, relayant l’idée d’une inhumation hâtive de populations inférieures ne méritant pas une sépulture décente12. En 2009, réfutant l’option cultuelle, J.-L.Brunaux reformule son idée d’une ségrégation funéraire et reprend, en partie, l’exposé de la relégation sociale13. Ce débat se voit également dépossédé d’une lecture plurielle, car ces associations de silos et d’humains devenaient péremptoirement privées de leur double caractéristique funéraire et cultuelle, l’un devant forcément exclure l’autre14, en dépit de cette fonction commune d’ensevelissement et de protection élémentaire du cadavre que recouvre aussi cet accomplissement des cultes à vocation souterraine. Les communautés celtiques semblent pourtant évoluer aisément de l’une à l’autre des sphères : le domestique accueille le cultuel et le funéraire, le cultuel s’inscrit dans le funéraire, le funéraire reçoit le cultuel (fig. 3).

L’objection majeure à cette idée d’une relégation sociale est que les défunts, au vu de certains mobiliers associés, n’appartenaient certes pas stricto sensu à des populations inférieures : les fibules et bagues de Bourges “Chemin de Gionne”15, le bracelet et la bague d’Avenay-Val-d’Or “Sorange”16, le torque des silos de la Neuville-aux-Bois17 témoignent, s’il le fallait, que ces défunts ne sont pas dépouillés, même s’il est notable que l’activité guerrière, par ailleurs surestimée, ne s’exprime pas à travers ce geste ; cette observation vaut aussi bien pour la confluence Seine-Yonne, tributaire d’un recrutement majoritairement féminin, que pour la Champagne et son important recensement masculin18.

 Dépôt humain dans une structure de type “silo” mise au jour dans la nécropole laténienne de Jaulnes (Seine-et-Marne) (cliché A. Viand, Inrap) daté de 753-406 BC Cal (GrA-42662).
Fig. 3. Dépôt humain dans une structure de type “silo” mise au jour dans la nécropole laténienne de Jaulnes (Seine-et-Marne)
(cliché A. Viand, Inrap) daté de 753-406 BC Cal (GrA-42662).

L’idée lancinante du sacrifice humain

J.-L. Brunaux démontre souvent que les sources antiques invitent à “une lecture forcément barbare des us et coutumes des peuples voisins des mondes grec et romain”, accréditant, de fait, l’existence de quelques “pratiques de sacrifices humains”19.

Archéologiquement, ce postulat a toujours été relayé par la mise au jour de “têtes coupées”, de fragments de corps humains dispersés, par la lecture d’impacts violents sur des os et la restitution de mises en scène humaines macabres et donc forcément sacrificielles ! La réalité de ces observations, pour les sanctuaires (Gournay-sur-Aronde), les trophées exceptionnels (Ribemont-sur-Ancre), les résidences aristocratiques (Montmartin) ou les sites à banquets (Souppes-sur-Loing) semblait très idéalement recouvrir le descriptif antique de Tacite découvrant chez les Germains “des ossements blanchis, dispersés ou amoncelés (qui) jonchaient la terre pêle-mêle avec des membres de chevaux et des armes brisées. Des têtes humaines étaient fixées au tronc des arbres”20.

Mais trop souvent, décapitation et décollation ont été amalgamées, la reprise d’os secs et la découpe sur le vivant n’ont pas été nuancées, alimentant facticement cette idée du sacrifice humain ainsi démontré dans un monde celtique sanglant. À Acy-Romance, la seule mise au jour d’individus assis dans des fosses sur l’esplanade jouxtant les sanctuaires, a même invité les auteurs à reconnaître une mise à mort de ces hommes les mettant en relation immédiate avec des entités divines. À La Lagaste (Aude), les “sépultures en fosse” livrant des ossements humains ont étayé “l’hypothèse de dépôts sacrificiels”21. En 1963, après leur inventaire des “puits silos” contenant des squelettes humains dans la Marne, Brisson et Hatt avaient déjà conclu que ces silos paraissaient “avoir été parfois utilisés pour des sacrifices humains”22. Cette même idée est également avancée pour les découvertes de Normée “La Tempête”, la présence de pierres rougies au feu étant assimilée à un “rite de purification”, et les traces d’un piétinement de la base du remblai, la preuve d’une mort par inanition9. Cunliffe, lui, pensera même que certains individus, “écrasés par des rognons de silex”, ont pu être lapidés avant dépôt23.

Ces conclusions quant au sacrifice reposent bien souvent sur des impressions de lecture archéologique ou sur des arguments périphériques. La position des squelettes, bien plus que les traces d’un coup violent, a même souvent conforté cette idée : les études et articles multiplient les “ mains liées”, les “pieds attachés”, ou les postures “évoquant l’idée de prisonniers”. À Paris, dans les jardins du Luxembourg, une fosse-silo a livré deux individus dont l’un semble avoir les “poignets ou avant-bras ligaturés”24. Rappelons qu’à Normée “Les Communes”, le squelette reposait face contre terre et “les os des poignets étaient rapprochés les uns des autres, comme si le sujet avait eu les mains liées”25.

À Acy-Romance, la position de l’individu “sommairement enterré” montre que “la victime avait les mains liées derrière le dos….”26. Encore à Danebury, la position du “squelette complet d’une jeune femme… suggère que le corps était attaché au moment de sa déposition”27.

Ces descriptions, ces impressions liées à des postures, suggèrent que si au Second âge du Fer, les communautés ont peut-être eu recours à l’offrande humaine pour apaiser ou remercier les dieux, le sacrifice violent et préalable n’y a jamais été envisagé comme une pratique religieuse habituelle, récurrente et codifiée28. Dès lors, comment décrypter raisonnablement ce geste sur les ossements, sans surinvestir l’observation ? S’il n’est pas pertinent de rechercher le sacrifice humain au sein des nécropoles, l’un des lieux privilégiés pour en suspecter l’incidence non fantasmée demeure par essence le silo – ces structures livrant, par ailleurs, des assemblages composites associant l’animal, lui, indubitablement sacrifié.

Des dépôts singuliers et des dépôts composites

Le dépôt en silo paraît être l’expression d’un rite d’enfouissement de certains cadavres, recouvrant une intention propitiatoire et/ou expiatoire11. Outre l’humain, majoritaire et récurrent, il convient déjà d’inventorier d’autres vestiges-offrandes, “objets” réunis en des assemblages unissant des carcasses animales, des pièces anatomiques significatives, de la vaisselle en céramique ou encore du mobilier métallique. S’il y a toujours une préférence pour le binôme “humain/silo”, force est de constater la permanence d’assemblages qui enchevêtrent des cadavres humains, des animaux et des objets, dans un inventaire autorisant des dépôts complets et massifs comme des associations très symboliques de type pars pro toto.

L’animal

Des dépôts d’animaux seuls, entiers et ou segmentés, surtout des chevaux, parsèment la Gaule au Second âge du Fer, sans s’apparenter à des offrandes alimentaires. On les retrouve, pour La Tène ancienne, à Larchant “Les Groues” avec un “squelette de porc de 36 mois”29 (fig. 4), à Varennes-sur-Seine “Volstin” dans un silo livrant “les restes de deux suidés en connexion partielle”11, à la Neuville-aux-Bois avec les quatre membres d’un cheval et un cochon entier30, à Pontpoint “Les Prés Véry III” avec un cheval31, à Soupir “Le Champ Grand Jacques” avec un chien32 ou encore à Marolles-sur-Seine “Le Grand Canton”, avec le crâne d’un cheval, des bucrânes et des restes de caprinés en connexion partielle3.

 Dépôt d’un cochon dans un silo à Larchant, Les Groues (cl. R. Issenmann, Inrap CIF).
Fig. 4. Dépôt d’un cochon dans un silo à Larchant, Les Groues
(cl. R. Issenmann, Inrap CIF).

L’armement et les pièces métalliques

Dans ces silos figurent également mais souvent dispersées, les composantes de la panoplie guerrière : fer de lance à Larchant “Les Groues”, bouterolle, orles de bouclier et fer de lance à Ville-Saint-Jacques “Volstin” ou à La Grande-Paroisse “La Pièce de Pincevent”3, sans oublier les exceptionnels fragments de bandages de roues de char des “Rimelles” à La Grande-Paroisse11 (fig. 5). La valeur intrinsèque de ces objets fortement connotés rend ici impossible leur abandon définitif pour des communautés pratiquant un recyclage intensif. L’instrumentum s’ajoute à cet inventaire, avec quelques éléments de parures et accessoires vestimentaires comme un bracelet en fer, un scalptorium en fer et un coutelas à Ville-Saint-Jacques “Le Bois d’Échalas”33.

 Bandages de roue ployés mis au jour avec un défunt dans un silo du Second âge du Fer à La Grande Paroisse, Les Rimelles (cl. J.-M. Cointin, SRA Ile-de-France).
Fig. 5. Bandages de roue ployés mis au jour avec un défunt dans un silo du Second âge du Fer à La Grande Paroisse, Les Rimelles
(cl. J.-M. Cointin, SRA Ile-de-France).

La vaisselle

La vaisselle, rarement isolée, est souvent associée au défunt comme à Auve “La Vigne” (Champagne) où un enfant est inhumé avec une céramique34 ; à Baron “Le Buisson Saint-Cyr”, une structure d’ensilage a livré un individu accompagné d’un gros vase à provision de type dolium35 (fig. 6). Plus rares ou difficilement lisibles sont les dépôts de vaisselle seule et on ne peut que mentionner les vases retrouvés dans la vingtaine de silos de Ville-Saint-Jacques “Le Bois d’Échalas”33.

 Dépôt d’un individu et d’un dolium dans un silo de Baron (Oise) (cl. J.-M. Fémolant).
Fig. 6. Dépôt d’un individu et d’un dolium dans un silo de Baron (Oise)
(cl. J.-M. Fémolant).

Lorsque les offrandes se combinent…

Ces offrandes plurielles s’associent sans s’exclure et des combinaisons se proposent au décryptage d’une gestuelle hiérarchisée. À Marolles-sur-Seine “Le Grand Canton” le silo 408 livre un ensemble composite, associant des moutons, de la vaisselle, deux fibules en fer et un fragment de bracelet33. Cette triade “animal – vaisselle – parure/accessoire” s’exprime aussi dans le silo 1036 du même site, livrant des restes de caprinés, deux bucrânes de vaches, un brassard en tôle de fer, et de la vaisselle. Cette déclinaison se lit aussi dans le silo 77 du Bois d’Échalas “Ville-Saint-Jacques” avec un vase à piédouche, un coutelas à manche en corne, un talon de lance, une fibule en fer et des micro-vases3.

À ce triptyque anticipé et codifié par les communautés pratiquantes, qui combine les éléments entiers ou fragmentés, s’immisce, en fil conducteur et de façon subtile, mais prégnante, le corps humain, qui est souvent associé à l’animal selon le même protocole de dépôt.

Une convergence de gestes : l’homme et l’animal

Une association récurrente

Le rôle de l’animal dans ces dépôts du Second âge du Fer reste encore difficile à décrypter ; s’il est parfois seul dans un silo (supra), il est le plus souvent associé à un humain comme :

  • à Nanteuil-sur-Aisne, où ont été regroupés les cadavres d’un cheval et de deux individus36 ;
  • à Wettolsheim “Ricoh” où sont déposés un cheval et une jeune femme37 ;
  • à Varenne-Sur-Seine “Le Marais de Villeroy” où se distingue une combinaison complexe de chevaux, de chiens et d’un humain38 (fig. 7) ;
  • et à Barbey “le Chemin de Montereau” où un chien accompagne un adulte11.

Toutes les combinaisons sont proposées, sans que l’on sache si l’un accompagne l’autre où si les dépôts sont au même niveau d’intention : à Saint-Germainmont “Le Fond du Château”, trois individus ont été successivement déposés avec une défense de suidé39, à Suippes, un adulte a été retrouvé avec “un fragment de mâchoire de cheval”9, à Menneville, le silo 74 a livré un “squelette d’adulte… avec un os canon de cheval…une poterie et des restes animaux”40. À Nanteuil-sur-Aisne, un cheval complet et des os secs (humérus et dent jugale supérieure) sont conjointement déposés41.

Certains animaux, notamment le cheval, jouant, de fait, un rôle déterminant dans le fait religieux celtique, semblent ici magnifier leur relation privilégiée avec l’homme42 (fig. 8). Mais lorsque les deux dépôts semblent réalisés au même niveau, il est impossible d’introduire la notion de défunt accompagné de “ses” animaux familiers. Ici, pas de hiérarchie quand les dépôts sont entiers voire même lorsqu’il y a système de type pars pro toto : l’os isolé humain peut accompagner un animal entier, de même que le fragment d’animal s’associe au cadavre humain.

Ce geste est parfois rendu plus complexe, en introduisant non seulement les composantes animale et humaine mais aussi celle, préalable, de consommation communautaire : à Marolles-sur-Seine “Le Grand Canton”, d’importants restes d’abattages de cheptels ont été déposés dans des silos dont le caractère singulier est renforcé par la présence d’ossements humains secs (mandibule, diaphyse fémorale)3.

Dans cette association “homme/animal” on peut donc observer :

  • des dépôts simultanés comme à Varennes-sur-Seine “Le Marais de Villeroy” où sont entremêlés, en un premier geste, un adolescent, quatre chevaux et deux chiens43.
  • des dépôts différés avec, le plus souvent, une séparation très nette entre l’individu et l’animal comme à Wettolsheim “Ricoh”37.

Ces dépôts successifs mixtes s’organisent d’ailleurs de la même manière que les dépôts successifs humains stricto sensu. On ne connaît pas le laps de temps séparant les deux gestes mais il semble accentuer la volonté de séparation matérielle des cadavres (fig. 9). Ces superpositions ne sont pas aléatoires puisqu’elles concernent un même lieu d’accueil et recouvrent une même intention, l’humain s’associant à l’animal sans prépondérance apparente de l’un sur l’autre. La seule et déterminante différence est que le sacrifice violent de l’animal est très régulièrement attesté.

 Dépôt mixte associant un adolescent et des animaux (chevaux, chiens) dans une fosse de Varennes-sur-Seine, Le Marais de Villeroy (cl. P. Méniel).
Fig. 7. Dépôt mixte associant un adolescent et des animaux
(chevaux, chiens) dans une fosse de Varennes-sur-Seine,
Le Marais de Villeroy (cl. P. Méniel).
 Détail montrant la proximité associant l’humain et l’animal dans la structure de Varennes-sur-Seine, Le Marais de Villeroy 
(cl. P. Méniel).
Fig. 8. Détail montrant la proximité associant l’humain et l’animal dans la structure de Varennes-sur-Seine,
Le Marais de Villeroy (cl. P. Méniel).
 Corps ayant probablement subi une dessiccation préalable à son ensevelissement dans un silo à Varennes-sur-Seine “Le Grand Marais” (cl. C. Valéro, Inrap CIF) ;
Fig. 9.a. Corps ayant probablement subi une dessiccation
préalable à son ensevelissement dans un silo à Varennes-sur-Seine
“Le Grand Marais” (cl. C. Valéro, Inrap CIF).
 Dépôt successif de 6 individus féminins dans un silo de Varennes-sur-Seine, Le Grand Marais (infographie P. Pihuit, Inrap CIF).
Fig. 9.b Dépôt successif de 6 individus féminins dans un silo de Varennes-sur-Seine, Le Grand Marais
(infographie P. Pihuit, Inrap CIF).

La lecture du sacrifice animal : les traces de découpe et les instruments

La présence des animaux et des humains en silos interpelle forcément quant aux raisons intrinsèques de leur mort. Si le sacrifice des animaux est démontrable, il reste toujours tendancieux de proposer les mêmes pratiques pour l’humain. La lecture globale et documentée du sacrifice animal concerne les espèces domestiques qui, appartenant à la communauté, sont choisies au titre des offrandes. Elles sont livrées entières aux dieux, comme à Gournay-sur-Aronde, et sont laissées à pourrir dans une fosse puis déplacées dans le fossé d’enceinte44 ou, consommées sur place par les “invités au banquet”, une partie des morceaux étant partagée avec les dieux dans un rituel de commensalité.

Les traces de mise à mort sont souvent visibles : la perforation du crâne d’un bovin du silo 18 de Rosheim “Mittelweg” renseigne sur les conditions d’abattage avec une mise en scène rituelle qui ne “présente pas de finalité pratique évidente”45. On peut également mentionner les traces d’impacts de lance et de coups de hache sur les faces occipitales des crânes de bovins de Gournay-sur-Aronde46.

Les instruments du sacrifice, souvent retranchés du monde profane, sont clairement identifiés car parfois retrouvés en contexte funéraire, dissimulés sous la viande déposée “avec désormais un nombre suffisant de cas pour lui ôter tout caractère fortuit”47. On peut ainsi citer pour La Tène finale, le couteau en fer déposé sous la moitié d’une tête de porc dans la tombe 17 de La Madelaine (Luxembourg) ou le couteau en bronze sous la tête de porc dans la tombe de Saint- Georges-les-Baillargeaux (Vienne). Associés aux offrandes alimentaires dans les sépultures, ils sont quasi inexistants dans les silos au titre de mobilier de prestige : on ne peut que répertorier le coutelas retrouvé dans un assemblage hors norme à Ville-Saint-Jacques “Le Bois d’Échalas”3.

Et pour l’humain : manipulations anthropiques post-mortem ou mise à mort ?

Outre la convergence des manipulations post-mortem, associant l’animal et l’humain dans une similitude de comportements troublante, le seul fait de décrypter le sacrifice sanglant des animaux peut-il renvoyer, par le parallèle des pratiques, à la mort violente de l’humain ?

On l’a vu, si les mentions de “têtes isolées” abondent, si les os secs étoffent les inventaires, si les références aux textes antiques se multiplient, confortant fictivement l’idée d’un sacrifice humain, très rares sont les traces ostéologiques confirmant une mise à mort consentie. Comment distinguer le coup porté pour sectionner un corps ou prélever une tête, d’un impact mortel ? La plupart des exemples recensés ne sont, in fine, que les traces de manipulations post-mortem visant à des reprises, des partages pour des mises en scène du corps (frais ou sec) relevant d’une autre codification rituelle. Nombre de certitudes peuvent ainsi être réécrites !

Déjà pour l’âge du Bronze, des impacts longtemps décrits comme étant issus du sacrifice humain ont été revisités comme des découpes “de boucherie” avec la spécificité d’être semblables à celles observées sur l’animal48. De même, à Danebury, les deux crânes isolés portant des traces de coups d’épée ont été associés à de la découpe post-mortem et non plus à des sacrifices27. À Nanteuil-sur-Aisne, les traces sur les vertèbres cervicales isolées confirment seulement le coup porté sur un cou en extension49 ! Même si le geste de décollation ne fait aucun doute, quid d’un sacrifice humain ?

Comme le confirment les études anthropologiques, à l’image de celle des “Aulnes du Canada” à Beauvais, les fragments de crâne mis au jour infirment l’idée d’une décapitation ou d’un sacrifice, et portent de façon indubitable les “traces d’une décollation post-mortem en vue d’une récupération de la tête”50. Idem à Ribemont-sur-Ancre où des traces de coups ou de découpes sur os frais ont pu être observées sur six pièces osseuses, témoignant de la seule intention de désarticulation et de fragmentation51. Les crânes humains des sanctuaires fluviaux de la région de La Tène arborent aussi les traces d’interventions anthropiques réalisées à l’aide d’outils tranchants, tels des épées (sur les apophyses mastoïdes ou le basi-occipital) effectuées après le décès du sujet52.

On recense ainsi ces mêmes gestes, violents et post-mortem, à travers toute la sphère celtique, sur les crânes et ossements longs de Manching, de Bâle Gasfabik53, dans les dépôts souterrains et dans les cavités naturelles54. Parfois même, la répétitivité des coups et l’uniformité des marques sur le crâne confirment de façon indubitable qu’il s’agit de pratiques rituelles réalisées post-mortem53.

Si des différences apparaissent clairement entre les humains et les animaux des dépôts, concernant la nature de leur mort (intentionnelle et rituelle chez l’animal, indémontrable dans son objectif sacrificiel chez l’humain), le traitement des cadavres comporte, en revanche, d’étonnantes similitudes. Peut-on dès lors, associer strictement l’homme et l’animal dans la constitution de dépôts rituels et composites, en postulant que si une partie des animaux a été tués à cet effet, une partie des humains pourrait l’avoir été également ?

Des manipulations similaires

Le pourrissement : la gestion d’un calendrier

La gestion de la décomposition est notamment lisible, chez l’humain, dans l’observation de réductions de corps préalables à d’autres dépôts (Varennes, “le Grand Marais”) : elle signifie l’absence d’obturation initiale du silo, avec protection des intempéries et des animaux, mais absorption des jus par le sédiment. À Gournay-sur-Aronde, selon un protocole désormais décodé, les dépouilles entières de bovidés, d’agneaux et de porcelets ont été déposées dans une grande fosse centrale munie d’un couvercle où elles pourrissaient pendant des mois en nourrissant une divinité souterraine. Les carcasses étaient ensuite transférées dans le fossé périphérique permettant l’introduction de nouvelles offrandes.

En parallèle à sa lecture au sein des grands sanctuaires, le pourrissement conjoint des animaux et des cadavres humains se repère au sein des dépôts en silo, là où, justement, rien ne devrait ni pourrir ni s’altérer. Cette nécessité de pourriture des corps et d’absorption des jus est valide pour ces deux types d’offrandes, le silo fonctionnant, ainsi qu’il l’a été écrit pour d’autres fosses semblables comme “une bouche”, sorte d’intercession entre le monde des morts et le monde des vivants. Par l’incinération, accélérant le processus, ou par l’inhumation, qui en masque les effets nauséabonds, la décomposition est d’ordinaire oblitérée : ici, au sein de l’espace domestique puis démultipliée dans les sanctuaires, elle est magnifiée et gérée. La volonté ultime serait d’exalter la dessiccation des corps et leur phase de liquéfaction. Pourrissement des cadavres et des carcasses, absorption des jus et réduction de corps, ces gestes d’attente supposent une indéniable maîtrise du temps. C’est notamment par la lecture de ce pourrissement lent et non accéléré que le calendrier des pratiques devient de moins en moins compatible avec une inhumation de second rang !

Cette phase de putréfaction attendue est préalable à la reprise des ossements quasi secs qui se fait par désarticulation d’os unique ou de segment. Pour Nanteuil-sur-Aisne, on propose juste que les humains aient été faiblement recouverts laissant “accès aux ossements à reprendre” alors que les chevaux associés ont amorcé ailleurs leur décomposition avant d’être transportés dans le silo en perdant, “en chemin” de nombreuses petites pièces osseuses (vertèbres, côtes, os de pieds…)41. Certains auteurs ont même rapporté le lien étroit unissant la putréfaction des chairs animales et les semences célébrant la vie et la mort lors des Thesmophories sur l’Acropole d’Athènes55.

Reprises d’ossements

Nombre de squelettes, humains et animaux, présentent des lacunes, indices de la reprise de pièces osseuses, geste intrusif supposant un réel savoir anatomique. C’est surtout le crâne (plus précisément le calvarium sans la mandibule) qui concentre un maximum de récupérations à usage de trophées ou de reliquaires, dont on retrouve trace en position secondaire dans les structures d’habitat après démantèlement. On peut citer la “ZAC du Lazenay” à Bourges où seule subsiste, dans le silo, la mandibule, largement déplacée par rapport au corps en place15 ; Nanteuil-sur-Aisne, avec reprise du calvarium et de certains os longs49 ; ou encore Varennes-sur-Seine “Volstin”33 (fig. 10 et 11). À Danebury, l’interprétation comme trophées de guerre de deux crânes portant des traces “semble acceptable dans ce cas, bien qu’elle ne soit pas définitive”56. Aux Aulnes du Canada (Beauvais) ont été mis au jour “deux fragments de crâne, dont l’un porte de façon formelle des traces d’une décollation post-mortem en vue d’une récupération de la tête”50. À l’autre bout de cette chaîne opératoire, les fossés, fosses et silos domestiques livrent des fragments de crâne ayant participé de constructions aériennes ou souterraines.

 Os secs éparpillés sur le fond d’un silo de Varennes-sur-Seine, Volstin ; la lecture de liaison de proximité et la mise au jour d’articulations labiles en connexion stricte plaident en faveur d’un squelette largement démantelé et dispersé par d’abondants prélèvements (cl. C. Valero, Inrap CIF).
Fig. 10. Os secs éparpillés sur le fond d’un silo de Varennes-sur-Seine, Volstin ; la lecture de liaison de proximité et la mise au jour d’articulations labiles en connexion stricte plaident
en faveur d’un squelette largement démantelé et dispersé
par d’abondants prélèvements (cl. C. Valero, Inrap CIF).
 Avant-bras isolé mis au jour dans un silo de Varennes-sur-Seine, Volstin : s’agit-il du négatif, d’une reprise quasi-totale d’un individu ou du dépôt atypique d’un membre sub-complet ? (cl. V. Delattre, Inrap CIF).
Fig. 11. Avant-bras isolé mis au jour dans un silo de
Varennes-sur-Seine, Volstin : s’agit-il du négatif, d’une reprise
quasi-totale d’un individu ou du dépôt atypique d’un membre
sub-complet ? (cl. V. Delattre, Inrap CIF).

À Montmartin, c’est d‘ailleurs la mise en scène des ossements qui conduit aux interprétations “cultuelle, funéraire et magico-religieuse” car le crâne transformé est devenu un “trophée, un talisman”, exposé et/ou un symbole dédié aux divinités57.

Au même titre, la tête animale concentre la grande majorité des manipulations : à Larchant “Les Groues”, il manque la tête du porc29 ; à Wettolsheim, le crâne du cheval a été prélevé après décomposition et avant l’adjonction d’une jeune femme37.

Les circonstances de ces dépôts varient au cours de l’âge du Fer, mais des manipulations post-décomposition sont fréquemment attestées, présentant de réelles similitudes avec le traitement des grands animaux dans les sanctuaires où l’association “homme / animal” n’est attestée que dans la phase finale de la période. Même à Bâle, avant que les ossements secs ne retournent pour exposition dans l’habitat, les corps ont subi cette phase de dépeçage actif “consistant à séparer toutes les extrémités du tronc (têtes, bras et jambes), puis à sectionner les mains et les pieds”. Après cette opération, les crânes et les os longs, “libérés des restes de la chair, ont subi des actions assez violentes”58.

Les reprises concernent aussi certains os longs : à Nanteuil-sur-Aisne, outre un calvarium, ont été repris l’humérus gauche, le membre inférieur droit alors que les chairs et les ligaments avaient déjà disparu49. Ces déficits existent aussi dans le silo 516 de Varennes-sur-Seine “Volstin” avec des lacunes (fémur, tibia, patella et fibula gauches) chez l’un des sujets déposés33. Même démarche pour le sujet du silo 9 de Larchant “Les Groues”, auquel il manque le fémur gauche, le radius droit et de nombreuses côtes.

Puisqu’il devient récurrent d’associer l’homme et l’animal dans l’exercice d’une même pratique, on peut rappeler les discordances anatomiques observées dans le dépôt de Varennes-sur-Seine “Le Marais de Villeroy” : les corps des chevaux, juments et chien sont associés à celui d’un adolescent et on constate aussi des déficits osseux, des reprises voire des adjonctions d’os secs43.

L’exposition

Si certains auteurs, comme dans le cas de Framerville59 ou Vermand60, définissent “l’exposition” comme la phase de dégradation à l’air libre d’un corps (phase d’attente avant manipulation ?), cette caractérisation, stricto sensu, relève plus souvent de la mise en scène d’ossements secs à forte charge symbolique : exaltation guerrière (exposition macabre à Ribemont-sur-Ancre), de l’univers pénal (présentation publique de condamnés à Fesques ?) avec comme récurrence celle de la composition d’assemblages aériens mêlant des ossements secs et des objets métalliques, au sein des habitats. C’est aussi le cas de La Tène et de ses sanctuaires fluviaux où, grâce à la seule découverte d’une cervelle momifiée, on a proposé qu’un laps de temps codifié ait séparé le décès d’un sujet et son dépôt dans le lac53.

Fixées aux parois ou au porche des sanctuaires, souvent mise au jour aux abords d’une entrée d’enclos domestique (à Bazoches “La Foulerie” ou à Braine “La Grange des Moines”61), ces pièces osseuses et leur localisation définissent des aires dévolues à l’activité cultuelle (Montmartin). Ces expositions sont mentionnées à travers le monde celtique et dans le Gard, à Cailar, une vingtaine de sujets adultes est même représentée par ses seuls éléments crâniens (mandibules, maxillaires, fragments de calotte, dents isolées…) confirmant la réalité d’une exposition prolongée à l’air libre (altération prononcée de l’émail dentaire), en étroite imbrication avec des pièces d’armement62.

Les parties prélevées dans les silos devenus des sortes de “carrières à ossements” (fig. 10) ont ainsi servi à l’érection de trophées, à la confection de reliquaires et les calvariums exposés présentent souvent des traces de suspension (perforation, usures des liens) ou de mise en forme similaires à celles observées sur les animaux : à Alençon “Les Grouas”, l’occipital du cheval est “sectionné et son palais perforé suite à une exposition sur un poteau”63. On peut même observer une ressemblance entre ces modes de perforation fichant un crâne de cheval sur un piquet et la découpe pratiquée sur des crânes humains à Gournay-sur-Aronde64, à Montmartin65 ou à Hillead66 (fig. 12).

Exposition de crâne ne signifiant toujours pas preuve du sacrifice humain mais, à l’évidence, exaltation des forces vitales d’un individu (guerrier ou non !), on peut seulement conclure que les animaux et les hommes sont impliqués dans des pratiques similaires, avec des statuts et des investissements voisins, que leurs ossements, après traitements et manipulations, se retrouvent inextricablement mêlés, à la fois dans des structures aussi démesurées que les sanctuaires, comme Ribemont-sur-Ancre, que dans ces petits assemblages mixtes issus des habitats ruraux.

 Calvarium mis au jour en position secondaire à l’entrée du fossé de Charny, Le Diable aux Forts et présentant des stries de découpe (cl. A. Viand, Inrap CIF).
Fig. 12. Calvarium mis au jour en position secondaire à l’entrée du fossé de Charny, Le Diable aux Forts et présentant des stries de découpe
(cl. A. Viand, Inrap CIF).

Des “officiants” ?

Maîtriser un calendrier, combiner des gestes de découpe et de reprise tout en jaugeant des effets du temps sur la décomposition, laisse penser qu’un savoir-faire était requis et une “corporation” sans doute dévolue à ces pratiques. Druides, prêtres, sacrificateurs, officiants ? César mentionne ceux qui “s’occupent des choses divines, (et) organisent les sacrifices publics et privés et expliquent les points de religion”67.

Sacrifice animal, traces de découpe et/ou de dépeçage chez l’humain, ce modus operandi, véritable “fait religieux”, suppose, de fait, une bonne connaissance de l’anatomie, souvent proche de celle des pratiques bouchères. Parfois, les impacts osseux sur l’homme confirment ce savoir-faire intrusif : à Gournay-sur-Aronde, à Verberie “La plaine d’Herneuse II”, la découpe des corps frais est avérée sur une partie des ossements humains et souligne la maîtrise de la désarticulation volontaire. À Montmartin comme à Danebury, les os “montrent un traitement spécifique : coup, décarnisation et probablement exposition”65.

S’il est certain que ces manipulateurs de corps savaient au mieux gérer l’humain, du cadavre frais au squelette, et connaissaient les techniques de désarticulation minutieuse comme l’art de la boucherie plus invasive, leur reconnaissance archéologique demeure encore une véritable gageure.» L’identification de ces “officiants” passe notamment par la découverte de mobiliers d’accompagnement fortement connotés comme étant les marqueurs d’une fonction dite sacerdotale. Il en va ainsi des instruments médicaux (patère en bronze et cuillères à Pogny dans la Marne) et des “instruments de divination” ainsi que, là encore, des outils chirurgicaux (scalpels, scie, aiguilles, sondes,…) de Colchester en Grande Bretagne68 ; ou encore “des sondes chirurgicales et pendule en os” à Pottenbrunn en Basse-Autriche69, communément attribués aux druides, la médecine étant censée être de leur ressort exclusif. À Acy-Romance “La Noue Mauroy 89” des sujets masculins porteurs d’armes, auxquels on a voulu attribuer la charge du sacrifice animal, semblent avoir été repérés grâce à leurs haches à perforations transversales, ou à leurs feuilles de boucher70.

La lecture archéologique du sacrifice humain celtique

est-elle encore possible ?

Le sacrifice des siens ? L’offrande de l’autre ?

On le sait désormais, deux expressions cultuelles communautaires mettent en scène ce fil conducteur qu’est l’humain tout en apparaissant pourtant antinomiques :

– l’héroïsation et l’exposition du guerrier mort au combat (et non à cet effet), de ses valeurs et de sa pugnacité,

– la mise en scène d’un “défunt-offrande” sélectionné, paisible et plutôt sans violence, sans doute inscrite de longue date dans un cadre agro-pastoral exposant les angoisses liées au renouveau de la nature. 

Puisque l’on n’offre que ce qui est à soi71, doit-on postuler qu’il est indispensable de tuer pour sacrifier ? De sacrifier pour offrir ? Si l’offrande humaine ne fait pas de doute, la violence volontaire de la mise à mort demeure incertaine. En offrant, on se dépouille, on se prive, l’acte est fort, mais doit-il être nécessairement précédé d’un geste sanglant ?

Il est donc ici proposé de considérer le sacrifice comme le seul transfert consenti vers les dieux d’un animal, d’un humain ou d’un objet inanimé (arme, amphore…), en lui infligeant parfois des manipulations intermédiaires allant de la simple modification de son intégrité (ploiement des épées, décollement des amphores, etc.) à sa mise à mort réelle ou symbolique.

Pourrait-on envisager le principe d’une offrande “paisible” de l’un des siens, en le marginalisant post mortem et en lui attribuant un lieu de dépôt hautement connoté et non une sépulture classique ? Les individus déposés dans les silos seraient alors les indices tangibles d’un acte propitiatoire envers des dieux, des esprits ou des ancêtres. Ce geste peut, de plus, se combiner grâce à des associations plurielles et cumulatives. Les troubles de la guerre (héroïsation de l’ennemi et de l’ancêtre) et le calme des stockages (dépôt d’un défunt sélectionné ?) ne s’accordent sûrement pas, semblent même s’exclure, mais convergent dans la seule idée d’une mise en scène du cadavre humain, offert, segmenté, exposé, dépouillé, asséché …

Peut-on penser que le pouvoir des ancêtres morts et celui de “l’alter” valeureux soient une même valeur et qu’ils s’accordent pour insuffler au dépôt constitué une force de protection des semences en très forte relation avec la fertilité espérée, lorsqu’il est souterrain, ou de protection collective, quand il est trophée ?

Le sacrifice animal est un acte de privation violent, qui suppose une mise à mort préalable ; les gestuelles infligées conjointement à l’humain, dans les dépôts en silos, et à cet animal sacrifié se font curieusement écho, se calquant l’une sur l’autre, à la différence que dans cet inventaire des codes, le sacrifice humain, archéologiquement indémontrable pour le Second âge du Fer, ne semble pas être une récurrence, même s’il peut se concevoir ponctuellement de deux façons :

– la mise à mort réelle, sans impact lisible sur le squelette, par empoisonnement, par étouffement ou strangulation,

– la mise à mort symbolique par l’exclusion de la communauté des morts d’un défunt offert aux divinités et qui devient, de fait, intercesseur entre les deux mondes.

Il est impossible de statuer sur l’une ou l’autre des hypothèses…

La lecture d’une “liturgie” ?

En parallèle et bien avant leur exaltation communautaire et publique dans les sanctuaires, on voit se mettre en place une codification de gestuelles complexes, au fil conducteur récurrent, qui laisse pourtant le champ libre à des adaptations collectives et privées. S’organise ainsi un inventaire sélectif d’offrandes, véritables tributs soustraits du monde des vivants, “biens collectifs” dont ces groupes de paysans se privent pour les offrir à des divinités souterraines via l’intercession active de fosses-relais symboliques que sont les silos. Ces conduits, ainsi alimentés, favorisent la communication entre les hommes et le monde souterrain.

Cette adéquation “structure-offrandes” met l’accent sur une préoccupation majeure de ces communautés agricoles, celle de la corruption du grain liée au pourrissement incontrôlé des réserves. Comment conjurer le sort ? Sans doute en provoquant, en invoquant cette pourriture nourricière, réelle ou virtuelle, exprimée par les jus de décomposition humains et animaux, le déversement à perte du vin, le bris des céramiques ou la corrosion consentie du métal… Un savant protocole s’installe, magnifiant la vie et la mort, la décomposition et la permanence, visant sans doute à obtenir par une gestion des dons de fertiles et durables récoltes.

Le dépôt n’est d’ailleurs pas une fin en soi car les offrandes desséchées, désincarnées, espèrent, elles aussi, une seconde vie en regagnant l’habitat après cette phase souterraine. Suite à ce nourrissage divin, certains “objets” reprennent place dans la communauté via l’érection de trophées ou la confection de reliquaires rappelant sans doute le sens de la vie. Espérance de la pourriture, réification des squelettes, reprise de tout ou partie des offrandes altérées mais purifiées pour une ultime exposition, sont autant de gestes qui ne figent pas le rituel et confèrent aux offrandes une éternité que la mort ne saurait corrompre. Au sein du groupe semblent se mettre en place, autour du cadavre humain :

– une exposition troublante et menaçante (dont la lecture semble pourtant s’amenuiser à mesure de la relecture archéo-anthropologique des comportements belliqueux de ces communautés) de tout ou partie du corps de l’ennemi dans une mise en scène guerrière (que ce soit le corps des siens comme le corps de l’autre),

– un “dépôt / exposition” pacifique et régénérateur, dans une vision agricole et cyclique, qui associe dans une même “intention propitiatoire et céréalière”, les “grains et les meules”72 au sein même des silos, ainsi que des humains, des animaux et autres mobiliers de choix. L’offrande est réelle, la mise à mort est figurée.

Ces populations, réputées guerrières, sont surtout agricoles et sédentaires, ce qui confère au mode de stockage des grains une importance économique et symbolique. Le silo n’est pas un simple réceptacle à grains, il est aussi l’enjeu d’un échange saisonnier entre les hommes et l’invisible. Dans l’acception guerrière de la mise en scène, l’humain, entier ou fragmenté, est mort au combat, et les traces visibles sur son squelette (Ribemont) ou sur son crâne (Roissy) ne sont que les étapes de la fabrication de reliques. Dans une lecture que l’on envisagerait pacifique et saisonnière, les humains décomposés semblent davantage invoquer les forces de fertilité/fécondité. Si les faits s’accordent sur le sacrifice animal (dans les silos, pour des repas collectifs,…), on ne peut que s’interroger sur la nécessité de mettre à mort un humain, l’un des siens, dans le cadre d’une pratique visant à exalter les forces de la vie et du renouveau…. Tous les indices pratiques et indiscutables (hors anecdote), tels des traces d’outils, de dépeçage, de découpe, … exaltent le “travail” sur l’os sec ou frais, des cadavres ou des squelettes, alors que d’indéniables impacts de mise à mort violente sont visibles chez l’animal. On l’a vu, trop souvent, il faut se contenter de la seule mention de “mains liées” indiquant un simulacre de posture universelle du sacrifié, à genoux et mains dans le dos pour argumenter l’idée du sacrifice.

Il ne faut pourtant pas rejeter la possible mise à mort sans lecture ostéologique (strangulation, étouffement, empoisonnement…) magnifiée par l’exemple des “bog bodies” (Lindow, Windeby) et qui portent les stigmates de leur exécution par la seule conservation des matériaux périssables : garrot en place sur le cou, examen du bol alimentaire… Mais que sont ces morts violentes ? Des sanctions pénales, des anecdotes, des sacrifices assimilant les marécages à des passages entre les deux mondes ? En aucun cas la mort judiciaire ne doit devenir un sacrifice humain.

Si le “fait de rendre sacré” est ici indubitable, le fait de tuer préalablement l’humain, d’une façon forcément sanglante, n’est pas avéré, à l’inverse de l’animal. Sans doute faut-il concevoir le sacrifice comme le don d’un des siens. Le guerrier exposé et valorisé est mort au combat, le défunt déposé dans un silo n’a sans doute pas été intentionnellement tué. L’action violente n’est pas lisible, seules sont similaires les processus et les manipulations visant à réifier cet humain multiple dont la mort n’est pas une fin en soi !

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  • Villes, A. (1986) : “Une hypothèse : les sépultures de relégation dans les fosses d’habitat protohistorique en France septentrionale”, Anthropologie physique et Archéologie, 167-174.
  • Woimant, G.-P. (1983) : “Les Aulnes du Canada à Beauvais dans l’Oise”, Les Celtes dans le Nord du Bassin Parisien (VIe-Ier avant J.-C.), Actes du cinquième colloque tenu à Senlis, RAPic 1, 219-225.

Notes

  1. Viand 2008.
  2. Ginoux 2009.
  3. Séguier & Delattre 2005.
  4. Pinard etal. 2001.
  5. Marion et al. 2008.
  6. Delattre 2010.
  7. Boulestin & Séguier 1999.
  8. Pinard 2010 ; Delattre & Séguier 2007.
  9. Villes 1986.
  10. Cunliffe 1992.
  11. Delattre 2000.
  12. Brunaux 2006.
  13. Brunaux 2009, 259.
  14. Testard 2009.
  15. Delattre et al., 2000.
  16. Bonnabel et al. 2007.
  17. Josset, en cours.
  18. Bonnabel 2010, 108.
  19. Brunaux 2009, 256.
  20. Ann., 1.61 ; Brunaux 2009.
  21. Rancoule 1980, 115.
  22. Brisson & Hatt 1963, 301.
  23. Ralston 2000, 316.
  24. Villes 1986, 173.
  25. Villes 1986, 300.
  26. Lambot & Méniel 2000, 89.
  27. Ralston 2000, 317.
  28. Johansson 2010.
  29. Issenmann 2008.
  30. Josset communication orale.
  31. Gransar et al. 2007, 555.
  32. Gransar et al. 2007, 557.
  33. Delattre & Séguier 2007.
  34. Bonnabel 2010.
  35. Fémolant 1997.
  36. Lambot & Méniel 2000, 125-132.
  37. Jeunesse & Hehretsmann 1988.
  38. Méniel 2005.
  39. Jonot 1975.
  40. Coudart et al. 1981.
  41. Lambot & Méniel 2000, 130.
  42. Méniel 2001 ; Méniel 2002.
  43. Méniel 2002.
  44. Méniel 2001.
  45. Jeunesse et al. 1994, 143.
  46. Méniel 2008, 144.
  47. Méniel 2008, 67.
  48. Knusel et al. 2007, 97-136.
  49. Lambot & Méniel 2000, 128.
  50. Woimant 1983, 220.
  51. Brunaux 2000.
  52. Jud 2007, 392.
  53. Jud 2007.
  54. Ducongé & Gomez de Soto 2007.
  55. Lévêque 1990.
  56. Ralston 2000, 318.
  57. Brunaux & Méniel 1997, 206.
  58. Jud 2007, 395.
  59. Rougier et al. 2003.
  60. Pinard 2010, 128.
  61. Auxiette 2000.
  62. Roure et al. 2007.
  63. Méniel 2008, 170.
  64. Poplin 1985.
  65. Boulestin & Duday 1997.
  66. Armit & Ginn 2007, 125.
  67. Caes 6.13.4 ; Brunaux 2006, 44-45.
  68. Kruta 2000.
  69. Ramsl 2007, 843.
  70. Lambot & Méniel 2000, 114.
  71. Testart 2009.
  72. Ralston 2000, 218-319.
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EAN html : 9782356134929
ISBN html : 978-2-35613-492-9
ISBN pdf : 978-2-35613-493-6
Volume : 1
ISSN : 2827-1912
Posté le 08/05/2024
Publié initialement le 01/02/2013
18 p.
Code CLIL : 3385 ; 4117
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Delattre, Valérie, “Sacrififices et dépôts composites au Second âge du Fer dans le Bassin parisien : quand le défunt échappe à la nécropole et devient offrande”, in : Krausz, Sophie, Colin, Anne, Gruel, Katherine, Ralston, Ian, Dechezleprêtre, Thierry, dir., L’âge du Fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 1, 2024, 481-499, [en ligne] https://una-editions.fr/sacrifices-et-depots-composites-dans-bassin-parisien [consulté le 08/05/2024].
doi.org/10.46608/basic1.9782356134929.41
Illustration de couverture • D'après la couverture originale de l'ouvrage édité dans la collection Mémoires aux éditions Ausonius (murus gallicus, Bibracte ; mise en lumière SVG).
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