Paru dans : Les Cahiers du Bazadais, 192-193, 2016, 9-22.
Il y a de cela 35 ans, nous avons recueilli une poignée de documents ayant appartenu à Jules Dubernet, sabotier à Lucmau, petite commune de la Lande bazadaise. Parmi ces documents, notre attention fut attirée par un registre sur lequel Jules avait consigné, de 1904 à 1957, le nombre de sabots vendus chaque année et, de 1923 à 1957, chaque jour, avec le prix et l’identité de l’acheteur. La nature et la qualité de ces informations auraient, à elles seules, suffi pour que l’on évoquât la figure de cet artisan de village. Nous avons retrouvé d’autres documents de même nature : l’un d’entre eux contient la liste des enterrements et offices auxquels Jules Dubernet a participé comme ordonnateur des cérémonies, de 1906 à 1957, à Lucmau et à Insos (commune voisine de Préchac). Les autres évoquent les sept années qu’il a passées sous les drapeaux, durant son service militaire et durant la Grande Guerre, au cours desquelles il a tenu un journal quasi quotidien que complète un lot d’environ 200 cartes postales.
Il n’y a rien d’exceptionnel dans la vie de Jules Dubernet mais les écrits qu’il a laissés nous font connaître comme on en a rarement l’occasion, l’activité d’un artisan travaillant dans une commune de 600 habitants1. Ils font découvrir des aspects mal connus de la pratique religieuse dans les campagnes, au lendemain de la loi de Séparation des Églises et de l’État. Ils font partager la vie d’un soldat de la Territoriale qui se retrouve, à 41 ans, sous les bombardements à Verdun et en première ligne en Argonne, où il aurait “fait preuve d’un courage et d’un dévouement absolus”. Un homme ordinaire, en somme. Jules était fier de savoir lire et écrire et il a pu ainsi nous transmettre quelques moments de sa vie.
Jean Jules Dubernet est né à Lucmau, le 15 mai 1875, fils de Pierre Dubernet, cultivateur, âgé de 25 ans, et de Catherine Jacques, cultivatrice, âgée elle aussi de 25 ans. Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’une famille de métayers. C’est sous son second prénom qu’on le connaît. Le 6 octobre 1903, il épouse à Bernos, Anne Espagnet (dite Andréa), dont les parents tenaient une boutique de chaussures à Beaulac. Il avait alors 28 ans. Il est décédé le 30 août 1959, Andréa moins de trois mois plus tard, le 9 novembre, de maladie sans doute, mais aussi de chagrin, car l’union de Jules et d’Andréa fut, nous le verrons, de celles dont la solidité n’exclut pas la passion. André, leur fils unique, né le 20 août 1908, est mort le 14 juin 1978.
Les sources
Des documents relatifs à son service militaire
et à son passage dans la réserve d’active
Livret militaire avec fascicule de mobilisation ; livret matricule ; carnet des années 1896-1899 contenant des notes diverses (bons de vivres, séjour à l’hôpital, chansons, impressions) ; trois livrets individuels de tir (1897-1899) ; un certificat de bonne conduite (septembre 1899) ; une convocation à une période d’exercices (1910).
Un carnet aux pages non numérotées, quadrillées, correspondant aux années de guerre (1914-1919), qui se présente en deux parties :
Première Partie
- p. 1-2 : adresses de soldats.
- p. 3-15 : Journal I (9 décembre 1914-24 novembre 1916). Jules a noté son emploi du temps, le plus souvent en une seule ligne. Il écrit avec soin. Les notes ont d’abord été écrites au crayon, puis “repassées” à l’encre noire en respectant le texte original. Du 28 septembre 1915 jusqu’au 24 novembre 1916, elles se font rares : une en octobre 1915, aucune en novembre, deux en décembre. En 1916, c’est le silence jusqu’au 21 février, puis durant les mois de mars et avril et jusqu’au 28 mai. Par la suite, le nombre de notes varie : une en juin, six en juillet, une en août, deux en septembre, cinq en octobre, six en novembre. Nous pensons qu’en raison de la monotonie de la vie au dépôt de Nevers, Jules ne jugea pas utile de consigner régulièrement des activités qui pouvaient se réduire à une promenade.
- p. 16-22 : notes de denrées alimentaires à payer à des fournisseurs et composition de deux escouades que commandait Jules : la 11e de l’une des compagnies des 160e puis 360e Régiments d’infanterie territoriale, à Nevers, et la 1re d’une compagnie du 64e R.I.T., au front.
- p. 23-53 : Journal II. Du 25 novembre 1916 jusqu’au 22 janvier 1919 Jules reprend son journal, quotidien cette fois. Jusqu’à la page 29, il a repassé ses notes à l’encre ; par la suite, ce sont des notes originales au crayon.
- p. 54-81 : pages blanches, sauf la page 57 (carnet de pécule). La page 82 correspond à la page 35 de la seconde partie.
Seconde partie
Jules a rédigé un second groupe de notes en prenant le carnet à l’envers.
- p. 1-3 : liste des localités où il a séjourné ou qu’il a traversées.
- p. 4-20 : notes concernant l’achat de denrées alimentaires.
- p. 23-25 : paroles de la chanson “Le carillonneur”.
- p. 26-35 : composition d’escouades.
Un lot de cartes postales illustrées
- 180 cartes postales adressées par Jules à son épouse Andréa et à son fils André, du 25 octobre 1914 au 28 décembre 1918.
- Un lot de cartes adressées par Jules à ses parents qui habitaient aussi Lucmau.
- Deux cartes postales de Correspondance des Armées de la République en franchise, de juillet 1915.
- Un lot de cartes adressées par Jules à ses beaux-parents, les 14 juillet, 9, 10, 17 et 29 août 1915 (cartes de Nevers et photo), et à son neveu Gérard (Nevers, 11 juillet 1915).
- Un lot de cartes envoyées par Andréa à son époux, en 1915 (15 et 21 septembre, 3 et 7 octobre), en 1916 (14 janvier, 7 juillet), en 1917 (1er avril) et une non datée. À la différence des cartes envoyées par Jules, il s’agit de cartes en couleur avec des légendes telles que “Salut à l’absent”, “Le baiser”, “Les suites d’une permission”, “Glorieuses Pâques”.
- Un lot de cartes adressées par André à son père.
- Un lot de 11 cartes adressées à Andréa ou à André par la sœur de Jules, Anne, sage-femme à Lerm-et-Musset.
Des documents divers
Reçu de versement d’or pour la défense nationale délivré à Madame Dubernet de Lucmau : 930 francs (28 juillet 1915) ; diplôme de souscription de Madame Dubernet au deuxième emprunt de la défense nationale (1916) ; carte de l’Association des Mutilés, réformés et anciens combattants de Lerm-et-Musset (Gironde) : Jean Dubernet, membre actif, n° 47 ; carte-souvenir de Jean Dauzan du 110 R.I.T., tombé le 10 mai 1917 à Craonne, à l’âge de 40 ans.
Des photographies
Elles sont au nombre de neuf. Huit d’entre elles concernent la période pendant laquelle Jules reste affecté au dépôt de Nevers. Nous n’avons retrouvé qu’une seule photographie postérieure au 21 septembre 1916, date à laquelle Jules est versé au 64e R.I.T. et part peu après au front.
Le soldat
Service militaire et réserve d’active
Jules appartenait à la classe 1895 et sa plaque d’identité porte Dubernet Jean 1895/Bordeaux 2996. Le service militaire était alors régi par la loi du 15 juillet 1889 dite aussi loi Freycinet, ramenant à trois ans le service militaire qui était de cinq ans depuis 1872. Jules est incorporé à Antibes au 7e bataillon, 6e compagnie de chasseurs à pied, à compter du 16 novembre 1896. Il est nommé caporal le 24 décembre 1897, envoyé dans la disponibilité le 20 septembre 1899.
Il mesurait 1,64 mètre. Le front ordinaire et le nez moyen, le menton rond, il avait un visage ovale et des cheveux châtains. Il était doté d’une bonne vue, savait lire et écrire, précision reprise lors de son passage dans la disponibilité. Bon gymnaste, il ne sut jamais nager. Nous avons retrouvé son livret individuel de tir de l’année 1898 qui le place dans une honnête moyenne.
Au cours de son service, Jules fut atteint de la rougeole et hospitalisé du 1er au 19 mars 1898. La chose est en soi banale, mais c’est à cette occasion qu’il commence à rédiger un journal. Il note les entrées et les sorties, se plaint de la diète qu’on lui impose.
Qu’il ait trouvé le temps long, on ne saurait s’en étonner. Il a ainsi noté sur son carnet : “Fait le 11 mai 1898. Encore 495 jours à faire” ; “Antibes 9 h ¼ du soir. Encore 467 jours à faire, à partir du 9 juin 1898”.
Il est nommé caporal d’ordinaire, un an après son incorporation. Dans une compagnie, si l’on en croit l’ordonnance de 1833, le caporal d’ordinaire est le plus intelligent des caporaux d’escouade. Nommé par le capitaine, il est chargé des corvées d’achat et de l’approvisionnement en légumes aux marchés publics. Il a le droit de débattre les prix et de choisir les fournisseurs. Il s’occupe aussi du blanchissage. Il achète les denrées et paie le blanchissage sur la bourse des deniers d’ordinaire. Il concourt aussi à la police des repas, commande à tour de rôle les soldats pour faire la soupe, surveille le cuisinier et sa tenue et fait écurer vases et ustensiles de cuisine2. C’est avec beaucoup de soin que Jules a tenu le décompte quotidien des bons de vivres de la 6e compagnie, du mois de mai au mois de décembre 1898. Celle-ci compte, le 16 novembre, 152 hommes. La section “hors rang”, celle dont Jules est caporal, est de 23 “subsistants” dont 22 vivent à l’ordinaire et un à la cantine. Ce soin extrême apporté à la gestion du “quotidien”, nous le retrouvons pendant la guerre 1914-1918 et dans ses comptes de sabotier ou de sacristain.
Jules aime chanter. Dans son carnet du 7e chasseur, il a recopié plusieurs chansons, l’Éternelle vérité (“Heureux qui n’a jamais aimé…”), Merci Margot (“Oui, je veux boire à tes amours…”), qu’il doit sans aucun doute chanter devant ses camarades. N’oublions pas qu’il était “chantre” de sa paroisse ; pour l’avoir écouté, nous pouvons assurer qu’il avait une belle voix. Le 31 janvier 1898, il recopie aussi une chanson intitulée Champagne, qui se termine par “Ô Champagne, pour la France nous combattrons toujours”. Jules eut l’occasion d’aller en Champagne quelques années plus tard.
Le 15 septembre 1899, il obtient un certificat de bonne conduite du capitaine commandant la 6e compagnie. Il passe alors dans la réserve de l’armée active pendant quatre ans. Le 1er novembre 1899, il est affecté à un régiment de réserve d’infanterie active (stationné à Bordeaux), puis, le 15 mars 1903, au régiment d’infanterie de Mirande, celui que rejoignit plus tard Alain Fournier. Il est assujetti à prendre part à deux manœuvres, chacune d’une durée de quatre semaines : du 25 août au 20 septembre 1902, au 140e R.I., et du 21 août au 17 septembre 1905, au 88e R.I.
La Territoriale et la guerre
Jules passe dans l’armée territoriale le 1er octobre 1909 (140e Régiment d’Infanterie Territorial de Bordeaux, R.I.T.). La loi du 21 mars 1905 prévoit une période d’exercice de deux semaines qu’il effectue en juillet 1910, au 140e R.I.T. de Bordeaux. Nous avons retrouvé une photo de groupe de cette période.
Tel est son statut lorsque l’ordre de mobilisation générale est affiché, le dimanche 2 août 1914. Jules est alors âgé de 39 ans. Le 14 août, il rejoint Bordeaux où stationne son régiment, le 140e territorial d’infanterie (4e bataillon, 13e compagnie). Dans une carte postale du 13 décembre, il précise sa nouvelle affectation : “J. Dubernet, caporal, 360e d’infanterie, 29e compagnie, Nevers (Nièvre)”. Le 26 mai 1915, il se trouve à la 27e compagnie de dépôt, à Pignelin ; le 19 juin, il passe à la 28e compagnie, à Veninges, puis à la 30e le 21 février 1916 et à la 29e le 15 septembre. Le 21 septembre 1916, il est versé au 64e R.I.T.3 avec lequel il est engagé au front. Nommé sergent le 18 avril 1918, il passe le 15 août, à la suite de la dissolution du régiment, au 1er bataillon de pionniers, 3e compagnie. Enfin, il est envoyé sur le dépôt de démobilisation, le 23 janvier 1919, où il est rayé des cadres, le 24 avril.
Le 19 janvier 1919, il reçoit la croix de guerre avec étoile d’argent (citation à l’ordre de la division). Voici cette citation signée par le général Goubeau, commandant la 153e division d’infanterie : “Dubernet Jean, sergent au 64e R.I.T., très bon sous-officier, a toujours fait preuve d’un courage et d’un dévouement absolus, notamment dans les secteurs mouvementés de l’Argonne et de Verdun”.
Jules, comme tous les hommes de sa génération, a été présent sous les drapeaux durant 33 mois de service et 53 mois de guerre, soit 86 mois, un peu plus de sept ans.
L’itinéraire du combattant4
Le Journal et les cartes postales permettent de reconstituer l’itinéraire du combattant.
1. Bordeaux (14 août-9 décembre 1914)
On dispose de peu d’informations sur cette période durant laquelle Jules se trouve à Bordeaux, puis à Saint-Médard-en-Jalles.
2. Dépôt de Nevers (9 décembre 1914-2 février 1915) : 360e R.I.T., 29e compagnie, à Pignelin, six kilomètres au nord de Nevers
Durant son passage dans le Nivernais, Jules Dubernet reçoit une instruction sommaire – deux jours de marche, deux de tir et trois de revue – et subit des vaccinations éprouvantes. Cependant, l’essentiel de son temps est consacré au repos – 54 jours selon son journal – et à la promenade, notamment à Nevers.
3. Sur le front de l’Artois (2-8 février 1915) : affectation à la 19e compagnie
La “course à la mer” s’achève à la mi-novembre 1914, aucun des deux camps n’ayant réussi à se contourner par l’ouest. Le front se stabilise alors dans les Flandres et l’Artois. La situation n’évolue guère en février-mars 1915, période au cours de laquelle Jules est envoyé au front, bien que les régiments territoriaux (formés d’hommes âgés de 34 à 39 ans) et leur réserve (formés d’hommes âgés de 40 à 45 ans) ne doivent pas être engagés en première ligne. Le témoignage de Jules constitue à cet égard un exemple révélateur des différentes utilisations des régiments territoriaux d’infanterie pendant la Grande Guerre. Ces unités sont généralement affectées à des missions de surveillance (notamment des camps de prisonniers allemands, d’ouvrages fortifiés, de ponts, de gares, de passages à niveau…), d’entretien et de travaux divers (consolidation de tranchées et de boyaux, déploiement des ribards, terrassement et construction d’abris, aménagement et réparation de chemins et de routes, coupe de bois), de transport de matériel, de ravitaillement des premières lignes et d’évacuation des blessés. Mais en raison des nombreuses pertes, certaines sont engagées, dès 1914, en première ligne, en particulier dans la Sambre et la Somme. Ainsi, Jules part en train de Nevers le 2 février 1915, passe par Le Bourget et arrive à Servins, à 20 kilomètres au nord d’Arras, puis à Verdrel, face à Notre-Dame-de-Lorette. Mais il est évacué pour raison de santé, le 9 février.
4. Évacuation sur Le Bourget (9-18 février 1915)
Jules profite de quelques jours pour se soigner et se reposer.
5. Sur le front de l’Artois (19-28 février 1915)
À sa demande, Jules repart sur le front, revient à Verdrel et monte en ligne dans le secteur de Notre-Dame-de-Lorette.
6. Rapatriement sur Ernée (1er-29 mars 1915) et convalescence (30 mars-24 mai)
Le 3 mars 1915, les troupes allemandes lancent une attaque surprise et écrasent les défenses françaises des 10e et 31e bataillons de chasseurs à pied ainsi que du 5e bataillon du 360R.I. – le régiment de Jules –, sur les hauteurs de Lorette. Les contre-offensives françaises ne permettent que la reconquête de quelques mètres, au prix de très lourdes pertes. Souffrant d’une angine, Jules est évacué le 28 février. Il rejoint par train sanitaire Ernée (Mayenne), où il est hospitalisé à l’École primaire supérieure de garçons, transformée en hôpital militaire depuis septembre 1914. Il se présente le 22 mars devant une commission de réforme qui le maintient sous les drapeaux. Il occupe son temps par des promenades, puis rentre à Lucmau pour une permission de deux mois (avril-mai).
7. Dépôt de Nevers (25 mai 1915-25 novembre 1916)
Pendant 18 mois Jules reste au dépôt de Nevers. Sur le front, les belligérants se livrent à des combats d’une violence extrême, dans des conditions épouvantables : les gaz, la boue, les privations, la saleté, l’odeur des cadavres et des excréments. À Verdun, le 21 février 1916, 10 divisions de la 5e Armée du Komprinz tentent de percer les lignes françaises, attaque que le général Falkenhayn justifiera plus tard comme une tentative de saigner à blanc l’armée française par une guerre d’usure alors qu’il s’agissait en fait de renouer avec la stratégie du mouvement5. Après une avancée de plusieurs kilomètres dans les premiers jours, l’offensive allemande est finalement enrayée en juillet, au prix d’une défense héroïque. Les combats durent encore jusqu’en décembre, les Français ne parvenant à reprendre qu’une petite partie du terrain perdu, dont les forts de Douaumont, le 24 octobre, et de Vaux le 2 novembre. Avec plus de 50 millions d’obus tirés en 10 mois, Verdun est la première grande bataille industrielle du XXe siècle à l’origine d’un bilan terrible : 300 000 morts et 400 000 blessés en additionnant les deux camps, des villages totalement rasés6. Le 1er juillet 1916, les troupes franco-britanniques, fortes de nouvelles armes, notamment des chars, attaquent sur la Somme, cherchant à reprendre la guerre de mouvement interrompue depuis 1914. Mais l’assaut se heurte à un dispositif défensif allemand particulièrement efficace. Et cette bataille de quatre mois, longtemps oubliée par l’historiographie, se solde par un véritable carnage avec plus de 400 000 morts et disparus (20 000 Britanniques tués dans la seule journée du 1er juillet !) pour des gains territoriaux bien faibles7.
- Pignelin (25 mai-30 octobre 1915)
Après deux mois de convalescence, Jules réintègre son régiment à Pignelin, à la fin du mois de mai. Corvées et gardes alternent avec les séances de théorie, les tirs, les travaux de campagne, les manœuvres (dont certaines se font avec des jeunes comme le 9 juillet 1915), les marches de nuit et les revues. Cependant, nombreuses sont les journées de repos, les promenades et les baignades à la belle saison. Jules est désigné comme instructeur des territoriaux réformés récupérés (6 septembre), puis des jeunes des classes 1914 et 1915. Le 25 septembre 1915, il passe à la 28e compagnie, changement sans doute lié à ses nouvelles fonctions.
- Saint-Pierre-le-Moûtier (30 octobre 1915-20 septembre 1916)
Le 21 février 1916, Jules est affecté à la 30e compagnie, puis à la 29e le 15 septembre. Le 8 juillet 1916, il part à Autun pour intégrer le 229e R.I.T., mais il est renvoyé à Nevers en raison de son âge. Il a 40 ans.
- Nevers, Guérigny (21 septembre 1916-25 novembre 1916)
Le 21 septembre 1916, Jules est versé au 64e R.I.T., à Nevers. Pendant deux mois, il assure à deux reprises la garde de l’usine de Guérigny ainsi que celle d’un dépôt de munitions et escorte des prisonniers allemands jusqu’à Orléans. Après une permission de neuf jours, il part avec son régiment sur le front, le 25 novembre.
8. Verdun (26 novembre 1916-13 janvier 1917)
La violence des combats conduit l’état-major français à instaurer une rotation fréquente des unités sur le front de Verdun. Ainsi, presque tous les régiments ont participé à la bataille. C’est au tour du 64e R.I.T. à la fin du mois de novembre. Affecté d’abord à des travaux et au ravitaillement, Jules monte en ligne le 15 décembre. Son escouade d’une douzaine d’hommes enregistre au moins deux morts. Il est relevé le 17, puis passe au ravitaillement du fort de Douaumont jusqu’au 24 décembre. Il est ensuite cantonné près du village de Rarécourt.
9. L’Argonne (14 janvier-6 octobre 1917)
L’année 1917 est marquée par l’échec de l’offensive lancée en avril par le commandant en chef de l’armée française, le général Nivelle, entre Arras et Lens et de l’Oise à la Montagne de Reims (Le Chemin des Dames8) ainsi que par une sévère crise du moral des combattants à l’origine de nombreuses mutineries9.
- 14 janvier-15 avril
Jules intervient en 1917 dans le secteur central du massif de l’Argonne10, à Clermont-en-Argonne (la Croix de Pierre), au nord de la route des Islettes : son travail consiste à charger et à décharger des wagonnets. À partir du 7 mars, il travaille dans une scierie aux Senades, au sud des Islettes, avant de suivre des cours de fusil-mitrailleur à La Grange-aux-Bois, près de Sainte-Menehould. Il rentre à la compagnie le 2 avril et y reste jusqu’au 15.
- 16 avril-15 octobre
En avril, la compagnie se déplace à l’est de la forêt de l’Argonne, dans le secteur de Vauquois-Boureuilles. Point d’observation stratégique, la butte de Vauquois est le théâtre de violents combats de l’automne 1914 au printemps 1918 : les deux armées creusent des kilomètres de galeries et se livrent à une guerre des mines particulièrement meurtrière. Le 14 mai 1916 par exemple, l’explosion d’une mine allemande fait 108 victimes françaises11. L’escouade de Jules monte périodiquement aux avant-postes. Du 17 au 20 mai, elle repousse une attaque allemande. L’envoi au front alterne avec des travaux dans les tranchées jusqu’au 5 octobre, date à laquelle le régiment se regroupe à Foucaucourt, à une vingtaine de kilomètres au sud.
10. Verdun (7 octobre 1917-14 avril 1918)
La compagnie de Jules est affectée en octobre 1917 dans le secteur de Chattancourt, au nord-ouest de Verdun, là où les troupes françaises avaient mené une opération limitée, de juillet à septembre, pour dégager Verdun et reprendre plusieurs points stratégiques (en particulier le Mort Homme et la côte 304), perdus l’année précédente.
11. Bar-le-Duc (15-22 avril 1918)
La compagnie passe une semaine à Bar-le-Duc. Jules est nommé sergent, le 18 avril.
12. Secteur de Montdidier (23 avril-11 septembre 1918)
Profitant du retrait de la Russie pour concentrer toutes ses troupes disponibles sur le front occidental, Ludendorff, général en chef des forces allemandes, déclenche le 21 mars 1918 une vaste offensive – la “Kaiserschlacht” – dans la Somme et les Flandres. C’est un réel succès : totalement désorganisées, les troupes franco-britanniques reculent partout, Paris est bombardée. Les Alliés parviennent cependant à contenir l’assaut au prix d’une résistance héroïque. C’est dans ce contexte que la compagnie de Jules s’établit, en avril, à une quinzaine de kilomètres au sud de Montdidier, tombée aux mains ennemies. Le 20 mai, l’état-major allemand lance une nouvelle attaque sur l’Oise : Paris est directement menacée. Mais fragilisée par de nombreuses pertes, l’armée allemande s’enlise rapidement tandis que Foch peut désormais compter sur l’arrivée de plus d’un million de soldats américains. Il lance une série de contre-attaques : l’une d’entre elles permet de reprendre Montdidier (8-10 août), “un jour de deuil pour l’armée allemande”, écrira plus tard Ludendorff. Conséquences : les unités allemandes se replient et celle de Jules se replace vers le nord-ouest, entre Montdidier et Roye.
13. Mais où est passée la compagnie ? (27 septembre 1918-23 janvier 1919)
Après que les Américains eurent réduit la hernie de Saint-Mihiel12 (Meuse), l’offensive finale débute le 26 septembre. Les Allemands s’effondrent. De retour de permission Jules part à la recherche de sa compagnie qui ne cesse de se déplacer en raison du reflux allemand et qu’il finit par retrouver au bout de quatre jours, aux environs de Reims (27 septembre-1er octobre). Malgré l’armistice du 11 novembre 1918, il entreprend, jusqu’au 14 janvier 1919, un périple ponctué de haltes qui le conduisent d’abord sur les rives de l’Oise, à l’est de Saint-Quentin. Il passe ensuite par Noyon, contourne Compiègne, Chantilly et arrive sur les bords de la Marne. Il tient son journal jusqu’au 21 janvier 1919 et le clôt par le mot “repos”.
Notes
- Dans le même registre de témoignage de soldats issus de milieux modestes, Cazals Rémy (éd.), Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918. Édition du centenaire, Paris, La Découverte-poche, 2013 [1978], 568 p.
- Dictionnaire de l’armée de terre, vol. 2, p. 1013-1014.
- Il existe une histoire du 64e R.I.T., intitulée Historique résumé du 64e Régiment Territorial. 1914-1918, Nevers, Imprimerie Fortin et Cie, 1920, 18 p.
- Pour une connaissance générale et chronologique du conflit, se reporter notamment à Becker Jean-Jacques, La Première Guerre mondiale, Paris, Belin, 2003, 367 p., Cochet François, La Grande Guerre. Fin d’un monde, début d’un siècle, Paris, Perrin-Ministère de la Défense, 2014, 528 p., Le Naour Jean-Yves, 1914. La grande illusion, Paris, Perrin, 2012, 408 p., Le Naour Jean-Yves, 1915. L’enlisement, Paris, Perrin, 2013, 408 p., Le Naour Jean-Yves, 1916. L’enfer, Paris, Perrin, 2014, 396 p., Le Naour Jean-Yves, 1917. La paix impossible, Paris, Perrin, 2015, 420 p., et Winter Jay (dir.), La Première Guerre mondiale. Combats, tome 1, Paris, Fayard, 2013, 816 p. Une approche résolument originale qui privilégie le rapport entre guerre et milieux géographiques dans Amat Jean-Paul, Les forêts de la Grande Guerre. Histoire, mémoire, patrimoine, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2015, 548 p.
- Pour les questions stratégiques, lire plus particulièrement Hilbert Lothar, “Falkenhayn. L’homme et sa conception de l’offensive de Verdun”, in Verdun 1916. Actes du colloque international sur la bataille de Verdun 6-8 juin 1975, Association nationale du Souvenir de la Bataille de Verdun, Université de Nancy II, 1976, pp. 41-56.
- Parmi les bonnes mises au point, Cochet François (dir.), 1916-2006. Verdun sous le regard du monde, Saint-Cloud, Soteca et 14-18 Éditions, 2006, 388 p., Jankowski Paul, Verdun. 21 février 1916, Paris, Gallimard, 2013, 416 p.et Krumeich Gerd et Prost Antoine, Verdun 1916, Paris, Tallandier, 2015, 320 p.
- Audoin-Rouzeau Stéphane, Horne John et Prévost-Bault Marie Pascale, La bataille de la Somme. 1916. Un espace mondial, Péronne et Paris, Historial de la Grande Guerre et Somogy éditions d’art, 2006, 151 p., et Boutet Marjolaine et Nivet Philippe, La bataille de la Somme. L’hécatombe oubliée. 1er juillet-18 novembre 1916, Paris, Tallandier, 2016, 272 p.
- Consulter Offenstadt Nicolas (dir.), Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, 494 p.
- Lire notamment Loez André et Mariot Nicolas (dir.), Obéir/désobéir. Les mutineries de 1917 en perspective, Paris, La Découverte, 2008, 446 p., Offenstadt Nicolas, Les fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective, Paris, Odile Jacob, 2009, 286 p. et Beaupré Nicolas, Heather Jones et Rasmussen Anne (dir.), Dans la guerre 1914-1918. Accepter, Endurer, Refuser, Paris, Les Belles Lettres, 2015, 384 p.
- Voir Bernède Allain avec la participation de Bernède Denise, Combats d’Argonne 1914-1918, Saint-Cloud, Sotéca, 2015, 290 p. et Amat Jean-Paul, “Les forêts d’Argonne et de Verdun et la guerre de 1914-1918”, Les horizons d’Argonne, n° 54, 1987, p. 75-92.
- Voir collectif, La Butte meurtrie. Vauquois, la guerre des mines. 1914-1918, Les Amis de Vauquois et de sa région, 2004, 382 p.
- Roth François, “La réduction du saillant de Saint-Mihiel (septembre 1918)”, in Du sergent York à Patton. Les Américains en Meuse, Bulletin des sociétés d’histoire et d’archéologie de la Meuse, 1988, p. 29-38.




