Publié en 1996, le document d’évaluation du patrimoine archéologique de la ville de Bourges constitue une synthèse des éléments de topographie du milieu urbanisé1. Ce travail, qui comprend une série de cartes de topographie historique, permet de situer les jalons topographiques par période sur un fond dont les courbes de niveau sont espacées tous les 5 m. L’épaisseur de stratification de chaque point de découverte a également été cartographiée. Plus récemment, ces données ont été actualisées à l’occasion de la tenue à Bourges du 32e Colloque de l’AFEAF2.
Aujourd’hui, il nous a paru intéressant de proposer une modélisation de la topographie originelle du site de Bourges, dont la fondation est située au VIe s. a.C. En effet, des vestiges d’un habitat du Premier âge du Fer ont été identifiés sur le versant septentrional d’un promontoire entouré d’eau (rivières et marais). Le paysage dans lequel s’insérait cette première agglomération a subi de nombreuses transformations (remblaiement, décaissement, arasement etc.), dont les étapes sont aujourd’hui masquées par la ville actuelle. En conséquence, nous avons tenté de modéliser la topographie ancienne du centre historique de Bourges, afin de mener une réflexion sur les choix qui ont guidé l’homme à édifier, à deux périodes distinctes de l’âge du Fer, un complexe princier puis un oppidum.
Méthode
Afin de restituer au mieux la topographie du site de Bourges à l’âge du Fer, nous avons répertorié des données altimétriques consignées dans des rapports d’opération de diagnostic et de fouille3, ainsi que les mesures issues de sondages géotechniques4. Lorsque les cotes ont été relevées en système local ou par rapport au niveau du sol actuel, nous avons converti les données en cote NGF en utilisant comme référence des relevés topographiques de 19555 ainsi que des documents plus récents6. Les opérations archéologiques ont également permis l’enregistrement des épaisseurs de stratification des diverses occupations. Ces archives du sol ont été complétées par la consultation de documents iconographiques et planimétriques conservés dans le fond de la bibliothèque municipale des Quatre Piliers de Bourges7. Toutes ces observations ont été normalisées dans un système de gestion de base de données (SGBD) que nous avons exploitée à l’aide d’un Système d’Information Géographique8 (SIG).
Même si nous avons constitué une base de données qui porte sur l’ensemble de la commune de Bourges, nous avons choisi de réduire notre approche au secteur concerné par les découvertes de l’âge du Fer, qui s’étendent sur un éperon entouré d’une zone marécageuse située à la confluence de l’Yèvre et de l’Auron. Cet espace restreint a été divisé en trois secteurs sur lesquels se répartissent 91 points d’observations, comprenant 33 opérations archéologiques et 61 sondages géotechniques (fig. 1).
La première fenêtre se situe au nord de la zone retenue. Elle comprend 8 points de découvertes archéologiques et 27 sondages géotechniques. Les données sont concentrées sur la pente septentrionale de l’éperon. Dans ce secteur, les points qui ont livré le plus d’informations sont ceux du collège Littré (fig. 1, n°2), de l’Hôtel-Dieu (fig. 1, n°1 et 7) et du secteur d’Avaricum (fig. 1, n°5, 6, et 39).
La deuxième fenêtre concerne le secteur sud / sud-est, qui est documenté par 24 points de découvertes archéologiques et 27 sondages géotechniques. Les données dont l’altimétrie du toit du substrat est exploitable jalonnent un secteur compris entre le haut de la rue Moyenne (fig. 1, n°14 et 15), la rue Émile Martin (fig. 1, n°20, 21 et 22), la rue de Sarrebourg (fig. 1, n°18 et 19), Saint-Martin-des-Champs (fig. 1, n°19) et les anciens établissements militaires (fig. 1, n°38 et 40).
Le troisième secteur retenu comprend la zone centrale située entre ces deux premiers secteurs, ainsi qu’une série d’observations réparties sur les marges ouest du secteur d’étude. Les 8 points d’observation constituent autant de données complémentaires qui agrémenteront l’analyse des secteurs nord et sud.
Nous avons retenu trois axes situés dans la longueur du plateau (fig. 1), à partir desquels nous avons restitué des profils (fig. 2 à 4). Sur chaque document figurent deux courbes : le trait rouge correspond au niveau d’apparition du toit du substrat et le trait vert au sol actuel. La zone située entre ces deux tracés matérialise l’épaisseur de sédiment concernant toutes les périodes reconnues sur le site de Bourges.
Une dépression est visible sur le profil n°1 (fig. 2). Elle est localisée à l’extrémité nord de la place Séraucourt. Nous verrons plus loin que cette déclivité correspond à un talweg aujourd’hui comblé. Le tronçon inférieur du profil n°2 laisse aussi apparaître une importante dépression entre la rue Jean Baffier et le gisement protohistorique de Baudens (fig. 3). Dans ce secteur, les tracés des courbes sont tangents et témoignent de la présence d’un deuxième talweg qui, contrairement au précédent, est encore visible dans la topographie actuelle, dans la partie médiane de la rue Bertin, située en face de l’îlot anciennement occupé par l’hôpital militaire de Baudens. Par ailleurs, il est important de noter que l’épaisseur de sédiment est plus importante entre les distances 1400 m et 1500 m du graphique. En l’absence de données archéologiques, il est difficile d’interpréter cette anomalie, mais nous pouvons néanmoins envisager la présence d’un remblai dont la période de mise en place reste à ce jour indéterminée. Enfin, le troisième profil met en évidence la présence d’une dépression en “V” située juste à la limite des sondages réalisés en 2003 au niveau du parking de l’Hôtel-Dieu (fig. 4). Cette dernière peut correspondre à un ancien bras de l’Yèvre. Par ailleurs, le site du collège Littré se situe sur une première terrasse qui se développe entre 219 m et 258 m sur l’axe du graphique. Un second palier est quant à lui marqué à une distance cumulée de 570 m. La dernière partie du profil présente également une dépression entre les gisements de La Banque de France et celui du 35 rue de Sarrebourg. Toutes ces observations sont pour le moment temporaires et constituent quelques axes de recherche qui devront être largement complétés avant d’être définitivement validés.
Les limites de la base de données
L’état de la recherche constitue un biais indéniable dans la constitution de notre base de données. En effet, les découvertes du XIXe s., qui concernent principalement le secteur sud-est de la zone retenue, ne permettent pas d’accéder aux mesures altimétriques. Ces données ponctuelles qui concernent l’ancien quartier militaire sont souvent confuses et donc difficiles à utiliser. Dans une moindre mesure, les opérations archéologiques des années 80, qui ont souvent été réalisées dans des conditions d’extrême urgence, présentent également une documentation lacunaire et forment des fenêtres restreintes d’une centaine de mètres carrés. Les récentes fouilles de sauvetage sont généralement mieux documentées, mais il n’est pas rare que le terrain naturel et les niveaux protohistoriques n’aient pu être atteints à cause de la remontée de la nappe d’eau, ou en fonction du cahier des charges indexé aux prescriptions qui obligent les archéologues à respecter une cote maximale limitant la profondeur des sondages. Cette dernière est fixée par le Service Régional de l’Archéologie en fonction de l’atteinte au sous-sol des projets d’aménagement. Enfin, l’utilisation des sondages géotechniques se heurte également au problème d’interprétation de la nature des formations rencontrées et de leur datation. Lorsque ces données sont anciennes, il est également difficile de localiser précisément les sondages.
Comme pour tout centre historique, le sous-sol de Bourges a également subi de nombreuses atteintes, et ce dès l’Antiquité. En effet, entre le milieu du Ier et le milieu du IIe s. la ville se dote d’équipements monumentaux construits sur d’importantes terrasses qui modifient le profil des pentes occidentales de l’éperon. Ces aménagements ont entraîné le dépôt de matériaux rapportés sur 3 m d’épaisseur, retenus par d’épais murs de soutènement dont des vestiges ont été mis au jour lors de la fouille de l’Enclos des Jacobins9. Les nombreuses caves des édifices médiévaux et modernes ont également grignoté le sous-sol de Bourges, constituant un réseau enterré sur deux ou trois niveaux. Enfin, le secteur qui nous intéresse ici connaît d’importantes modifications au XIXe s. avec l’installation, aux abords sud-est de la ville, d’infrastructures militaires dédiées à la fabrication d’armement. Ainsi, des surfaces importantes ont été nivelées et d’autres remblayées, modifiant le modelé de ces zones qui jusqu’alors étaient épargnées par les méfaits de l’urbanisation. C’est également à cette période que le réseau viaire est entièrement revu, avec la création de nombreux boulevards permettant, d’une part, de desservir les quartiers militaires et, d’autre part, de contourner le centre ville. Le canal du Berry voit également le jour à cette époque et modifie sans doute la circulation naturelle de l’eau dans le bassin de l’Yèvre et de l’Auron.
Ces atteintes au sol ont donc fortement détruit les niveaux d’occupation protohistoriques, dont l’épaisseur stratigraphique n’est conservée que dans trop peu de cas pour que nous puissions envisager de cartographier les données.
Interprétation topographique
Les voies d’eau et les zones humides
Bourges se situe à un emplacement topographique privilégié, à la confluence de l’Yèvre et de l’Auron. Aujourd’hui, ces cours d’eau se présentent sous la forme de deux petites rivières. La découverte d’un quai antique, associé à une grande villa édifiée sur la rive droite de l’Auron, nous indique que ces petits cours d’eau étaient anciennement navigables10 et ce jusqu’au XVIe s. au moins. En effet, des embarcations figurent sur l’Auron, sur une représentation panoramique de la ville de Bourges datée de 156611[11]. Par ailleurs, le toponyme gaulois Avar–Icum, dont la traduction littérale signifie “le port sur l’Yèvre”12, renforce ces observations. Les voies d’eau entourant le site de Bourges ont donc joué un rôle indéniable comme axe de circulation des biens et des personnes à plus ou moins longue distance. La découverte à Bourges de mobilier d’importation confirme cette hypothèse13.
Les marais décrits par César lors du siège d’Avaricum en 52 a.C.14 constituaient une véritable barrière naturelle, réduisant considérablement l’accès au plateau sur lequel l’oppidum était érigé. L’ampleur et les modalités de formation de ces zones humides sont néanmoins difficiles à cerner.
La mise au jour en 1878, dans un méandre du Moulon, au nord de Bourges, d’une épée de type langue de carpe15, témoigne de la fréquentation du vallon du Moulon dès le VIIIe s. a.C. Par ailleurs, les découvertes réalisées lors du suivi du tracé de la rocade ouest de Bourges, sur la commune de Saint-Doulchard, permettent de dater un aménagement des berges de l’Yèvre de la fin de l’âge du Fer16. Ces observations archéologiques peuvent être complétées par la récente réalisation de forages sédimentaires17 qui ont permis de noter que le milieu humide environnant Bourges semble avoir subi des transformations anthropiques postérieures à la période gauloise. En effet, ces carottages ont mis en évidence des apports grossiers qui comblent les fonds de vallon et les zones humides. Ces changements se traduisent par un engorgement des sols et par l’apparition progressive de niveaux argileux très organiques à tendance tourbeuse. Récemment, les opérations d’archéologie préventive réalisées dans la zone nord de notre étude nous indiquent que le niveau d’apparition des sédiments organiques, qui témoignent de l’existence d’un milieu humide, apparaissent entre 125,60 m NGF, au niveau de la rue Volta, et 123,80 m NGF dans le secteur nord d’Avaricum. Les observations archéologiques réalisées lors de l’opération de fouille d’Avaricum ont révélé l’existence de deux grandes phases de sédimentation. La première est datée de l’Antiquité et la seconde du Moyen Âge jusqu’au début de l’époque moderne. Aujourd’hui encore, les marais de Bourges forment un hortillonnage de 135 ha.
Deux talwegs
La topographie de la zone sud de notre étude est marquée par la présence de deux talwegs, qui forment d’importantes dépressions en amont de l’éperon (fig. 5).
Le premier n’est mentionné sur aucune carte ancienne. Il a sans doute été rapidement comblé par l’extension urbaine hors les murs du castrum et de l’enceinte médiévale. Au nord de la place Séraucourt, un sondage géotechnique permet de localiser ce talweg (fig. 6). Le toit du calcaire altéré atteint dans ce sondage une altitude de 143 m NGF, alors que le calcaire apparait entre 2,50 et 4,20 m plus haut dans deux carottages situés à proximité. Au sommet du plateau calcaire, ce talweg semble avoir été identifié lors d’un diagnostic d’archéologie préventive réalisé à l’angle de la rue des Hémerettes et de la rue Émile Martin18. Comme les sondages n’ont pas permis d’atteindre le toit du terrain naturel, il nous est difficile de savoir si ce vallon traverse ce secteur. Par ailleurs, d’autres sondages géotechniques effectués à proximité de l’Auron permettent d’évaluer le dénivelé du talweg à 22 m entre le point le plus bas, situé à proximité du pont de la Médiathèque (121 m NGF), et le sondage P3 de la place Séraucourt (143 m NGF). Les sondages localisés à proximité du cours de l’Auron permettent aussi de noter la présence d’un sédiment argileux organique de couleur gris noir. Ce dépôt tourbeux se situe juste au-dessus du calcaire altéré. Son épaisseur varie entre 1,15 m dans le sondage localisé au bord du cours actuel de l’Auron, en face de la médiathèque, et 0,5 m au niveau du hall d’exposition du parc Saint-Paul. Cette dépression parallèle au tracé du rempart antique et médiéval a sans doute facilité l’aménagement du fossé défensif. Une vue de la Grosse Tour de Bourges, gravée par Georg Höfnagel entre 1542 et 1600, permet de mesurer l’ampleur de la dépression, sans doute accentuée par l’aménagement du fossé19. Sur le plan de Bourges réalisé par Panette en 1816, ce secteur libre de toute construction apparaît sous le nom de vallée Saint-Paul et servait sans doute d’espace de circulation, ce qui est encore le cas de nos jours avec la rampe Marceau.
À environ 500 mètres au sud de ce premier vallon se développe un second talweg, également perpendiculaire au cours de l’Auron. Ce dernier est moins bien documenté que le précédent. Il apparaît en grisé sur une planche de l’Atlas de Trudaine (1736). Cette dépression est encore visible dans la topographie actuelle de la ville de Bourges. En effet, un dénivelé de quelques mètres est encore perceptible entre le niveau de circulation de la rue Bertin, située en face de l’ancien hôpital militaire de Baudens (fig. 1), et le sommet de certains jardins attenants à quelques maisons de la partie médiane de la rue.
Afin de représenter au mieux ces deux importantes dépressions, nous avons matérialisé leur tracé en intégrant deux lignes de rupture à notre modélisation (fig. 5).
Interprétation historique
Un système défensif ?
Si nous devons nous intéresser à la topographie du site de Bourges à l’âge du Fer, nous nous devons d’aborder la question de l’existence ou non de dispositifs défensifs. Le site de Bourges a connu deux phases d’urbanisation20 pour lesquels nous pouvons envisager l’existence d’une fortification. La première concerne le complexe princier de la fin du VIe et du Ve s. a.C (fig. 7). Pour cette période, aucun rempart n’a été mis au jour, alors que des agglomérations du même type sont souvent munies d’une fortification21. Néanmoins, à l’est de Bourges, l’aménagement au XIXe s. du boulevard Auger a suscité un décaissement important, mettant au jour quatre petits fossés et un grand fossé, dont les profils en “V” ont été observés sur la rive droite du boulevard. Ces aménagements sont orientés selon un axe sud-ouest / nord-est22. De même, une seconde large dépression orientée nord-sud a été identifiée perpendiculairement à la rue de la Salle d’Armes (fig. 4). Parmi ces fossés, seuls les deux ouvrages les plus imposants peuvent être considérés comme des aménagements à vocation défensive. Hélas, ces dépressions n’ont livré aucun mobilier. Ainsi, dans ce secteur où les érudits et les ouvriers du XIXe s. ont aussi bien prélevé du mobilier protohistorique qu’antique, il est aujourd’hui difficile d’attribuer ces structures fossoyées à une période particulière. Par ailleurs, la protection de ces faubourgs comprenant des ateliers et des structures funéraires est difficile à justifier d’un point de vue stratégique ou topographique. En effet, ces aménagements situés à la périphérie est de la résidence princière s’étendent sur un plateau largement ouvert. A contrario, la résidence princière, dont les vestiges ont été localisés sur le versant septentrional de l’éperon, constituaient sans doute le cœur névralgique du complexe princier et pouvaient de ce fait mériter une protection. De même, les accès aux cours d’eau auraient également pu justifier la mise en place de dispositifs permettant le contrôle du flux des marchandises et des personnes. Si un tel schéma a existé, et tenant compte de la localisation en bas de versant des vestiges de la résidence princière, un dispositif défensif a pu se développer en contrebas du plateau calcaire compris entre l’Yèvre et l’Auron et non uniquement sur le sommet de l’éperon, comme cela a été proposé jusqu’à ce jour23.
Pas moins de quatre siècles plus tard, un imposant fossé semble avoir été aménagé au sommet du promontoire (fig. 8). Ce dernier se présente sous la forme d’une dépression de 25 m de large atteignant au moins 10 m de profondeur24. Des empreintes de pieux ont été observées sur l’épaulement nord du creusement mais la fouille n’a pas permis confirmer leur appartenance à un murus gallicus. Cette ligne défensive est orientée selon un axe est-ouest et semble barrer la zone méridionale de l’éperon comprise entre deux pentes abruptes, accentuées, comme nous l’avons vu précédemment, par la présence à l’ouest d’un talweg (fig. 2). Cette localisation correspond bien au passage étroit décrit par César lors du siège d’Avaricum en avril 52 a. C.25 En revanche, le général ne fait jamais allusion à la présence d’un fossé défensif. Cette contradiction entre le texte de César et les vestiges archéologiques reste aujourd’hui sans explication. Par ailleurs, un second tronçon de fossé a été identifié dans les années 60, lors des travaux de la préfecture, à 100 m à l’ouest du fossé du haut de la rue Moyenne26. Il mesure 5 m de profondeur et est orienté vers la rue de la Cage Verte, soit vers le nord-est. Son tracé est donc pratiquement perpendiculaire au tronçon précédent27. Ces deux ouvrages sont comblés par du mobilier antique, dont la datation haute reste à préciser. Ainsi, si nous considérons que ces deux fossés ont fonctionné simultanément, nous pouvons alors envisager que le fossé de la préfecture a pu servir à protéger une porte de l’oppidum. En revanche, aucun indice ne nous permet aujourd’hui de reconstituer le tracé exact de ce réseau défensif, qui a pu aussi bien ceinturer l’oppidum en suivant la ligne de rupture de pente du plateau, que se développer au contraire en contrebas28, ou barrer uniquement l’arrière du plateau (fig. 9).
État de conservation différentiel des niveaux d’occupation protohistoriques
Le complexe princier de Bourges est composé d’une résidence princière et d’une large couronne comprenant des ateliers et des découvertes funéraires qui s’étendent à la périphérie sud et sud-est de l’habitat aristocratique29. Cette occupation agglomérée de la fin du VIe et du début du Ve s. a.C. constitue le premier témoignage d’une occupation structurée du site de Bourges.
Une première série de points de découvertes appartient à une résidence princière dont les vestiges observés se situent sur le versant septentrional de l’éperon, soit dans le secteur nord de notre zone d’étude (fig. 7). L’épaisseur de stratification de ces gisements archéologiques varie entre 0,15 et 0,35 m pour l’hôtel-Dieu et atteint au maximum 1,70 m au collège Littré30. Ces strates comprennent aussi bien des remblais que des traces d’occupation tels que des lambeaux de sol, des foyers ou des sablières basses d’édifices privilégiés ornés d’enduits peints. En général, les formations de la fin du VIe et du début du Ve s. a.C. sont recouvertes par des niveaux augustéens. À ce jour, deux exceptions sont répertoriées. Elles concernent d’une part la fouille de la rue de la Nation, qui a livré un dépôt rituel aménagé dans un remblai qui scelle les niveaux du Premier âge du Fer31, d’autre part le diagnostic du 34 rue Littré, où les niveaux du Ve s. a.C. sont recoupés par une fosse du début du IVe s. a.C.32 Sur les hauteurs du promontoire, la découverte en contexte résiduel de quelques fragments de céramiques hallstattiennes constitue l’unique témoignage matériel de cette première phase d’occupation33 sur le plateau lui-même. Ces observations permettent de noter que les niveaux appartenant à la résidence princière ont été fortement remaniés et ce, dès l’époque antique. Néanmoins, dans deux cas34, les murs de fondation d’édifices gallo-romains ont protégé les niveaux protohistoriques et ont ainsi agi comme de véritables caissons.
À l’arrière de l’éperon, une couronne de vestiges de la fin du Premier âge du Fer et du tout début du second été mise au jour (fig. 7). Ce secteur correspond à la zone sud de notre domaine d’étude. Les niveaux d’occupation ne sont pas conservés et les observations archéologiques concernent uniquement des excavations inscrites dans le substrat. Ces découvertes appartiennent en partie à des installations artisanales, qui comprennent des fosses – ateliers et des structures de stockage (fosses et silos). Par ailleurs, les travaux colossaux d’aménagement du quartier militaire, à l’est de la ville, ont permis la mise au jour de sépultures privilégiées ayant livré un mobilier riche et fastueux. D’autres découvertes funéraires ont été représentées sur des aquarelles du XIXe s.35 On peut y voir des squelettes aux positions singulières, comparables à la position de dépouilles déposées après l’abandon de certains silos. Ces vestiges ne semblent pas suivre la même organisation que ceux appartenant à la résidence princière. L’occupation paraît ici moins dense et les structures semblent former des grappes, qui devaient sans doute s’agglomérer le long du réseau viaire. La présence d’un second talweg, partant de la vallée de l’Auron et passant devant les ateliers découverts dans l’emprise est de l’ancien hôpital militaire de Baudens36, a pu servir à délimiter ces secteurs réservés aux artisans.
Durant le IVe s. a.C., l’occupation du site semble particulièrement réduite. Des indices de fréquentation ont été observés sur les pentes septentrionales et occidentales du plateau37, dont le seul élément structuré concerne une fosse contenant un dépôt singulier composé de céramiques peintes et de bois de cerf38 (fig. 7).
En revanche, le IIIe s. a.C. est mieux documenté. Les découvertes concernent principalement des structures en creux inscrites dans le substrat (fig. 8).
Ces fosses peuvent être classées en deux catégories. La première comprend deux structures contenant un dépôt de mobilier dont l’assemblage singulier laisse envisager une fonction rituelle. Une fosse de ce type a été identifiée dans le deuxième état d’occupation de la rue de la Nation ; elle a livré des mandibules de porc et des armes en fer de La Tène C39. Une autre découverte concerne un puits dit “funéraire” mis au jour au XIXe s. lors de travaux de nivellement de la moitié sud de l’ancien Champ de Foire40, correspondant aujourd’hui à l’actuelle place Séraucourt. Il s’agit ici d’un aménagement carré de 2 m de côté, atteignant plus de 10 m de profondeur. Au fond du puits a été mis au jour un fragment de crâne humain ; le comblement cendreux a, quant à lui, livré un abondant mobilier, dont les éléments datant concernent principalement deux bracelets en pâte de verre bleue, l’un muni de “trois moulures saillantes”, et le second orné “d’épines”. La description de ces éléments de parure laisse supposer que le dépôt a été réalisé dans le courant de La Tène C.
La seconde catégorie de structures en creux comprend des fosses-ateliers, dont un exemplaire est recoupé par le creusement du fossé défensif mentionné ci-dessus. Des structures identiques ont également été identifiées au 3 rue Séraucourt, à environ 1 km au sud de cette première découverte41. Ces dernières contenaient également des fragments de bracelets en pâte de verre et des déchets d’activité métallurgique. Des fosses de ce type sont aujourd’hui bien connues dans le Berry, que ce soit à Levroux, dans l’Indre, ou à Châteaumeillant, dans le sud du département du Cher. Des découvertes funéraires sont également à mentionner. Elles comprennent deux sépultures à armes ployées de La Tène C2 découvertes au XIXe s. le long de la route de Dun42 et sur la place du Commandant Martin43. L’ensemble de ces découvertes nous laisse donc supposer que les pentes septentrionales et le plateau du site de Bourges étaient occupés par une importante agglomération, sans doute ouverte, qui sera transformée dans le courant de La Tène D en oppidum. Ce schéma concorde avec les résultats obtenus ces dernières années par la réalisation de nouvelles campagnes de fouille sur le site de Châteaumeillant44.
Les découvertes concernant strictement l’oppidum d’Avaricum sont encore trop réduites et ne concordent pas avec l’image d’une ville telle que César a pu la qualifier45. En effet, seuls des trous de poteau ont été identifiés lors de la fouille de l’îlot Victor Hugo, située à 50 m au nord du fossé du haut de la rue Moyenne46. Ces empreintes sont réparties en deux phases et ne forment aucun plan exploitable. Des restes d’activité métallurgique ont également été identifiés dans ces aménagements. Ces vestiges sont recouverts d’une stratification de 4,5 m d’épaisseur.
L’absence de découvertes de La Tène D sur le plateau peut être mise en relation avec les travaux de terrassement antiques réalisés après la Conquête. En effet, des terrasses soutenues par d’imposants murs ont été aménagées, à cette époque, sur la façade ouest du plateau47. En revanche, des niveaux d’occupation de La Tène finale ont été identifiés au sud de notre zone d’étude, soit à l’extérieur de l’oppidum, le long de l’actuelle rue Émile Martin48. Ces installations protohistoriques sont recouvertes ou entamées par les aménagements antiques. Les plus profondes sont directement inscrites dans le substrat calcaire. En l’absence d’étude du mobilier, il nous est donc aujourd’hui difficile de proposer une datation précise de ces aménagements antérieurs à la Conquête.
Conclusion
Le bilan topographique que nous dressons ici demande à être affiné et complété. La vision déformée de la carte d’interpolation du toit du substrat témoigne du manque crucial de données, concernant principalement le sommet et la pente orientale de l’éperon. Parfois, nous devons également admettre que les informations sont définitivement perdues à cause des importantes atteintes au sol que l’homme a réalisées dans ce secteur fortement urbanisé. Mais ce travail offre également de nouvelles perspectives. En effet, la reprise, dans les quatre années à venir, du mobilier céramique issu des fouilles de La Tène C et D, permettra sans doute d’y voir plus clair quant au phasage des occupations de la fin du Second âge du Fer49. Par ailleurs, la base de données ainsi dressée sera enrichie par les résultats des futures opérations archéologiques, dont nous espérons que les emprises pourront atteindre les niveaux les plus profonds. Il est également envisageable de compléter ces observations archéologiques par la réalisation de sondages profonds ciblés dans des secteurs clés de la ville, comme le jardin de l’Archevêché, le jardin du Palais de Justice ou la place Anatole France. Cette démarche, entreprise pour l’âge du Fer, sera étendue dans le cadre d’un projet de prospection aux autres phases d’occupation qui ont marqué l’histoire de Bourges.
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- Luberne, A. (2000) : Bourges (Cher), ancien hôpital Militaire de Baudens, Site n° 18033530, Rapport d’opération préventive de fouille d’évaluation archéologique, Orléans, Afan, Ministère de la culture, SRA Centre.
- Luberne, A. (2001) : Bourges (Cher), rue Émile Martin – rue des Hémerettes (”Résidence du Parc”), site n° 18.033.534 A.H. Rapport d’opération de fouille d’évaluation archéologique, Orléans, Afan, Ministère de la culture, SRA Centre.
- Méloizes, A. (1890) : “Rapport sur les travaux de la Société des Antiquaires du Centre, 1889-1890”, Mémoires de la société des Antiquaires du Centre, 18, I-XX, 15-36.
- Milcent, P.-Y. (2007) : Bourges Avaricum. Un centre proto-urbain celtique du Ve siècle av. J.-C. Les fouilles du quartier Saint-Martin-des-Champs et les découvertes des Etablissements militaires, Bourges.
- Rialland, Y. (1989) : “La détection des sites en milieu alluvial: l’exemple de la rocade ouest de Bourges, commune de Saint-Doulchard”, Cahiers d’Archéologie et d’Histoire du Berry, 98, 11-18.
- Roumegoux, Y. (1991) : Bourges: 3 rue Séraucourt. Site n° 18033475, Rapport de fouille, Bourges, Service municipal de Bourges-Avaricum.
- Sievers, S. et M. Schönfelder, dir. (2012) : Die Frage der Protourbanisation in der Eisenzeit. La question de la proto-urbanisation à l’âge du Fer, Actes du 34e Colloque de l’AFEAF, Aschaffenburg, 13-16 mai 2010, Bonn, 2012.
- Troadec, J. (1988) : Opération archéologique du Haut de la rue Moyenne à Bourges (Cher). Campagne 1987. Sauvetage programmé. Bourges.
- Troadec, J (1996) : Bourges, Documents d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France 14, Paris.
- Troadec, J (2001) : Recherche urbaine et archéologie préventive. Évaluation d’un patrimoine archéologique : l’îlot de l’Hôtel-Dieu à Bourges, Bourges.
- Troadec, J (2006) : “L’Avaricum de César : une ville ?”, in : Chol, dir. 2006, 117-133.
- Trudaine, D.-C. (1736) : “Atlas de Trudaine, généralité de Bourges 1736”, vol. IV. Archives Nationales (F14* 8459-8468).
- Vannières, B., A. Gauthier et H. Richard (2001) : “L’évolution paléoenvironnementale holocène”, in : Batardy et al., dir. 2001, 40-43.
- Willaume, M. (1985) : Le Berry à l’âge du Fer Ha C – La Tène II, BAR Int. Series 247, Oxford.
Notes
- Troadec 1996.
- Buchsenschutz et al. 2009, fig. 7.
- Nous remercions le Service Régional de l’Archéologie de la région Centre de nous avoir accueillis. Le dépouillement a été réalisé par trois agents du Service d’archéologie préventive de Bourges Plus : Laurence Augier, Mélanie Fondrillon et Emmanuel Marot.
- Nous avons uniquement tenu compte des rapports de sondages géotechniques conservés au Service d’archéologie préventive de Bourges Plus et de ceux mis en ligne sur le site info terre du BRGM (http:/infoterre.brgm.fr).
- Cote de la liasse : BY PL B5.
- Pour ce faire nous avons utilisé des relevés récents, mis à disposition par le service topographique de la ville de Bourges.
- Nous remercions également chaleureusement le personnel de la bibliothèque des Quatre Piliers.
- Le travail cartographique a été réalisé par Xavier Rolland, topographe au Service d’archéologie préventive de Bourges Plus.
- Troadec 1996, 26.
- Ferdière 1977.
- Portrait de la ville de Bourges et de ses faubourgs réalisé en 1566 par Chaumeau. Document conservé à la bibliothèque des Quatre Piliers (cote : BY P1 C1).
- Ferdière 1988, 5.
- Gran-Aymerich 1997.
- Caes., Gal., 8.15-17.
- Méloizes 1890.
- Rialland 1989, 14.
- Vannière et al. 2001, 40-41.
- Luberne 2001, 4.
- Bouzy 2005, 41, ill. 3.
- Augier & Krausz 2012.
- Milcent 2007, 273.
- Milcent 2007, 22, fig. 1 et fig. 2.
- Milcent 2007, 263, fig. 18.
- Troadec 1988 ; Krausz & Ralston 2009, fig. 6 et 7.
- Gal., VII.15.
- Favière 1963, 4.
- Troadec 2006, fig. 1, n°14.
- Krausz & Ralston 2009, 148.
- Augier & Krausz 2012.
- Troadec 2001, fig. 15.
- Buchsenschutz et al. 2001, 72.
- Augier et al. 2007, 22-7.
- Découvertes réalisées lors de la fouille par O. Ruffier de l’Enclos des Jacobins.
- C’est le cas des gisements de la rue de la Nation et du collège Littré.
- Milcent 2007.
- Luberne 2000.
- Il s’agit ici d’une fosse contenant un dépôt singulier mis au jour au 34 rue Littré (Augier et al. 2008) et de quelques tessons de céramique découverts en contexte résiduel lors de la fouille de l’enclos des Jacobins.
- Augier et al. 2007.
- Augier etal. 2007.
- Boyer 1863.
- Roumegoux 1991.
- Willaume 1985, 155.
- Willaume 1985, 146.
- Augier & Krausz 2012.
- Caes., Gal., 8.12.29.
- Troadec 2006, 121.
- Il s’agit de l’Enclos des Jacobins et de la fontaine monumentale, située sous le Palais Ducal.
- Une fosse de La Tène finale a été mise au jour lors de la fouille dite “Carolus” à l’angle de la rue Emile Martin et de la rue Jean Boucher (Fournier & Chimier 1998). Au 9-11 rue Émile Martin, un sol et les restes d’un four de réduction de minerai de fer ont été dégagés sous une voie antique. Des ossements travaillés ont également été recueillis (Luberne 1998).
- Marion Bouchet, inscrite à l’Université de Tours, réalise une thèse sur la céramique de ces gisements.