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Tristan trickster, ou le picaresque avant le picaresque ? Enquête dans la matière de Tristan au XIIe et au XIIIe siècle

Tristan est-il un gueux ? Le sens fondamental de cette question n’est pas une provocation, mais une interrogation soulevée par l’évocation de l’adaptation du corpus renardien par William Caxton. Renart et Tristan ont plusieurs points communs importants. Ils sont, tout d’abord, au centre de matières narratives amples, ils sont définis comme de puissants aristocrates qui jouent – ou qui devraient jouer, comme l’affirme Tristan mis en scène par Béroul dans la forêt du Morrois – un rôle social à la cour ou dans le système féodal dont ils font partie. Mais ce sont avant tout des personnages rusés : Tristan recourt à de nombreuses ruses, relatées surtout dans des corpus narratifs anglo-normands et français (si l’on excepte le Tristan als Mönch allemand), Béroul le fait se déguiser en lépreux lors de l’épisode du Mal Pas, les deux Folies le font se travestir en dément, le Tristan en Prose lui fait prendre l’apparence d’une jeune fille. Élaboré ou diffusé dans l’espace anglo-normand, ce corpus permet de s’interroger sur trois modalités de la ruse tristanienne : est-elle inversion de la position sociale réelle ? A-t-elle une valeur politique, à l’instar de celle de Renart ? A-t-elle valeur clinique ? Une clef de lecture s’impose très vite : le lien intime entre le travestissement de Tristan et l’épreuve de la mélancolie. Notre étude se développera en trois temps : l’examen de la notion de renversement mélancolique ; les formes et les structures du déguisement ; la confrontation de Tristan déguisé avec l’autorité.

Tristan fou face aux bergers dans la forêt du Morrois, © MS.Paris,  BN.fr  97, 136 verso, II, l.1-11.
Tristan fou face aux bergers dans la forêt du Morrois
© MS.Paris,  BN.fr  97, 136 verso, II, l.1-11.

Tristan « à l’envers », ou du renversement mélancolique

Tristan à l’envers ? La matière littéraire construite autour de son amour pour Yseut attire souvent l’attention des destinataires de l’œuvre sur la capacité d’une passion provoquée par l’ingestion d’un philtre à inverser la position sociale des amants. Deux éléments doivent être pris en compte : le fait que ce philtre est consommé par accident, puisqu’il est initialement destiné au roi Marc, qui doit le boire au moment de sa nuit de noces avec Yseut1 ; l’apparition, si l’on suit toujours le roman de Béroul, de l’idée d’un renversement de la condition sociale des amants au moment de leur fuite dans la forêt du Morrois. Tristan affirme en effet que :

Oublïé ai chevalerie,
A seure cort et baronie.
Ge sui essilié du païs
Tot m’est failli et vair et gris.
Ne sui a cort a chevaliers2.

Yseut affirme, quant à elle, avoir perdu son titre royal3 et ne plus remplir ses fonctions de reine, soit retenir les filles des petits seigneurs à son service et les marier à des vassaux plus importants4. Les deux personnages définissent négativement leurs fonctions théoriques ; ils ne les assument plus, jusqu’à se disqualifier dès lors qu’ils se définissent par leur rôle social. La fin de la période d’efficacité du philtre est donc le moment d’une prise de conscience5 : ils découvrent alors avoir eu un comportement désocialisant.

Cette scène, bien que n’évoquant aucun déguisement – elle est, au contraire, un moment où Tristan et Yseut découvrent leur situation réelle – fournit un cadre théorique pour expliquer les scènes de travestissement relatées dans le Roman de Tristan de Béroul, le Roman de Tristan de Thomas, les Folies Tristan de Berne et d’Oxford et le Roman de Tristan en Prose. En effet, elle repose sur le principe d’une inversion de la condition sociale provoquée par une passion mélancolique qui entraîne une rupture de l’insertion sociale normale, tout autant qu’elle exige une résolution. Yseut conseille un peu après d’aller consulter l’ermite Ogrin6, qui, les entendant, écrit une lettre d’intercession au roi Marc7. Ce dernier, acceptant le retour de la reine, décide d’une réconciliation au Gué Aventureux8. Elle a lieu peu de temps après9. Que nous apprend ce rapide résumé ? L’ensemble que constitue la vie des amants dans la forêt du Morrois, l’intercession d’Ogrin et le retour de la reine à la cour a, brossé à gros traits, une structure ternaire qui s’étend sur un temps narratif long10. Trois phases peuvent y être distinguées : la crise – la vie sylvestre –, la médiation (avec deux agents, le religieux et le roi) et enfin la résolution. Ce type de construction discursive correspond à la triade rhétorique archétypale que les écrivains du XIIe et du XIIIe siècles appliquent aux crises provoquées par des états atrabilaires11. Le philtre lui-même n’échappe pas à ce principe, dont il s’avère être un élément déterminant. Les vestiges du roman de Béroul ne décrivent pas son ingestion par les amants, à la différence majeure du Roman de Tristan en Prose, mais il s’agit bien d’un fluide qui transforme totalement les dispositions d’esprit initiales des personnages.

Il faut se souvenir ici que la bile noire des modèles médicaux est une substance chimique, comme l’affirment plusieurs collections de recettes médicales du XIIIe siècle possédant des développements théoriques12. Les Remèdes Populaires disent ainsi que « Melancolie fait l’omme aver et ireus, couart et pensif, et dormant, et parole volentiers d’autrui »13. Les Boens Enseignemenz de Phisique enseignent, quant à eux14, que « La cole noire le fait decheveus et aver, guel et tristre et envieus et endormi »15. Le principe d’un fluide extérieur agissant chimiquement sur un individu dont il va modifier les qualités fondamentales est lié au système des quatre humeurs, qui forment le socle de la médecine hippocratico-galénique. Il n’est donc pas propre à la bile noire, et peut s’observer, dans le champ littéraire, pour la bile jaune16, mais aussi pour le sang17. On retiendra que l’idée d’une modification des caractéristiques physiologiques et psychiques liée au déséquilibre soudain des humeurs naturellement présentes dans l’organisme, entraînant des conséquences négatives pour l’individu, s’appuie donc sur un, peut s’appuyer sur un socle médical. En outre, il existe une distinction entre des tempéraments mélancoliques par essence et mélancoliques par accident, comme l’affirme le Dialogue de Placides et Timéo18 : « car il y a melencolieux de nature et melencolieux de maladie »19. Le philtre de la matière de Tristan n’est pas une reproduction littérale de la bile noire des médecins, mais il agit de manière similaire et peut se lire à l’aide d’un cadre médical – nosologique mais aussi intellectuel – qui repose sur deux notions capitales : l’influence physiologique des humeurs sur le psychisme, et une distinction entre substance et accident qui, pour n’être pas philosophique à proprement parler, est intellectuel.

Le rôle structurel de ce complexe mélancolique littéraire est lourd de conséquences pour la présente enquête, parce qu’il met en cause les termes de picaresque et de gueux, objets de nos interrogations. Notre second problème initial est, en effet, la possibilité de rattacher Tristan (mais aussi Renart) à l’une de ces deux catégories. Or le picaresque est l’option qui pose le plus de problèmes de fond. Si l’on se fonde sur sa définition conventionnelle, l’on ne peut retenir que partiellement la question sociale décrite par Didier Souiller20. Un rapide examen de la bibliographie existante ne mentionne d’ailleurs pas de prémisses médiévales, l’activité critique concernant le Siècle d’Or espagnol21, les Pays-Bas22, mais aussi l’Afrique23, le continent américain24, ainsi que la littérature allemande, qu’il s’agisse des développements du genre dans l’ancienne Allemagne de l’Est25, ou chez Thomas Mann26. Certains travaux portent également sur l’ère anglaise des temps modernes27, ou sur plusieurs littératures nationales28. La notion est par ailleurs discutée, comme le montre un article de Daniel Eisenberg29. Cet angle-là doit donc être écarté. La notion de gueux paraît plus productive, mais n’en doit pas moins être examinée sous un angle critique, dans la mesure où la réduction à la pauvreté, ou à la misère, n’est pas une constante dans le corpus étudié, quand bien même l’on se retrouve face à un personnage hors de son rôle social ou incapable de l’assumer. Il faut, en outre, tenir compte d’une autre caractéristique de la mélancolie au Moyen Âge central : c’est une passion aristocratique. Un poème intitulé Des sis manieres de fols le soutient 30 :

Du mélencoliex ne lerai ne vous die,
Ce sont et roi et conte et gent de seignorie,
En qui sens et proece doit estre herbregie,
Qui plus tost sont entré en grant melancolie31.

Les aristocrates, en dépit des qualités d’intelligence et de courage qu’ils devraient avoir, voire à cause même de ces dernières, sont particulièrement sensibles aux états mélancoliques. Les écrivains qui travaillent sur la matière de Tristan et Yseut en sont très conscients, et exposent fréquemment leurs personnages aux affres de la mélancolie. Cela induit un décalage social relatif par rapport à la norme : Tristan déroge à son statut social quand il se déguise pour résoudre une crise atrabilaire, mais, en tant que noble, il est sensible à la mélancolie. Il ne faut pas voir là une tension entre deux propositions incompatibles, puisque l’on découvre une caractéristique intrinsèque à ce personnage : il peut éprouver des logiques mélancoliques qui peuvent le conduire à des états tels que la maladie ou la démence. Cette dernière, horizon d’attente menaçant des deux Folies Tristan, n’est toutefois pas formellement présente dans un corpus qui a deux enjeux : la maladie, réelle ou feinte, et la confrontation de Tristan avec le pouvoir.

Il est donc nécessaire de centrer la réflexion sur ces deux points, ce qui ne permet pas de se cantonner aux catégories du gueux ou du picaro. Pour être plus précis : ces catégories doivent être adaptées à la spécificité du personnage. L’on ne considérera donc pas que l’on a affaire à un précurseur des gueux ou des picaros des littératures modernes ou contemporaines, mais que l’on étudie un personnage qui présente un point commun avec ces derniers : les auteurs le placent dans une situation de crise dont, idéalement, il triomphe au moyen d’une ruse : le déguisement. Les scènes qui feront l’objet de notre analyse sont les déguisements de Tristan en lépreux dans les Romans de Tristan en vers de Béroul32, puis de Thomas33 ; ses déguisements en fou dans les Folies Tristan de Berne34, puis d’Oxford35 ; son déguisement en jeune fille dans un passage du Roman de Tristan en Prose36. Elles présentent un schéma diégétique commun : Tristan est séparé d’Yseut par le roi Marc. Béroul l’écarte de la cour, sur décision du roi, en lui faisant dire de quitter la Cornouaille37, avant qu’il ne rende en secret chez le forestier Orri38. La Folie d’Oxford le place en Petite-Bretagne39, en compagnie de Kaherdin40. Celle de Berne le montre errant, loin de la cour, en butte à la haine du roi Marc41.

Yseut est ailleurs visée par les décisions de Marc. Ce dernier peut interdire à Yseut d’aimer le personnage, comme le dit Brangien dans le roman de Thomas :

Brengvein dit : Bien vus est defendu,
Juré l’avez passé un an,
Le parler et l’amur Tristran42.

Yseut est donc en butte à une interdiction politique et intime. Le Roman de Tristan en Prose la fait enfermer dans une tour par le roi :

A l’endemain quant il fu jorz li rois mande que l’on mete la roïne Yselt en sa tor en tel leu qu’ele ne puist Tristan veoir ne Tristanz li, et l’en le fit tout ensi com il le comande43.

Liée par un serment chez Thomas, Yseut est totalement passive – ou rendue passive – dans la version en prose. Elle subit une aliénation, qui provoque une mélancolie violente chez elle44. Les réactions de Tristan divergent dans les textes consultés. Béroul ne le montre pas mélancolique, mais déjà déguisé en lépreux45. La Folie d’Oxford le dépeint « dolent, murnes, tristes, pensis »46, en proie donc à la mélancolie, et il se lamente en apprenant la haine du roi dans le poème de Berne47. Plus ambigu dans sa formulation, puisque Tristan y est « mult […] suspris d’amure »48, Thomas opte pour une crise atrabilaire relativement sérieuse, puisque son personnage se déguise aussitôt en lépreux. L’auteur de la prose le fait tomber malade :

Il pert le boire et le mengier. Il ne vet mes a cort si com il sieut, car puis quil ne porroit veoir sa dame, la reine Yselt, de tuz les autres ne li chaut. Il ne fait fors que regarder la tor ou sa dame est emprisonnee. Tant com toz li jour dure, il la regarde en tel maniere qu’il n’entent a boire n’a mengier. Mes quant la nuit est venue, adonc comence son duel si grant que nus nel puet reconforter49.

La prose décrit une maladie très particulière : l’amor heroicus. Elle s’appelle ainsi en raison d’un glissement de sens procédant d’une contamination étymologique grecque, arabe et latine, qui fait passer de l’eros aux héros. Valescus de Tarente fait même une association intellectuelle et phonétique entre éros-hereos et Heer dans son Philonium50. Cette maladie nobiliaire, celle du héros, constitue l’échelon supérieur d’une logique mélancolique qui passe de l’obsession amoureuse de Thomas aux passions pathologiques, dans une prose qui y recourt plus systématiquement que les textes qui la précèdent.

Mais revenons à la maladie de Tristan. Elle correspond à la description qu’en donne un autre médecin, postérieur celui-là de quelques décennies à la rédaction du Roman de Tristan en Prose, Bernard de Gordon. Sa Practica (également appelée Lilium Medicinæ) parle de cette maladie, qui résulte d’une corruption de la faculté estimative de l’intellect51. Elle se manifeste par l’interruption de toute alimentation52, mais la description du romancier est beaucoup plus simple que celle du médecin. Les yeux sont les seuls à échapper à la langueur53 – le roman le suggère, mais attire l’attention sur la focalisation du regard vers la tour où Yseut est enfermée – mais n’indique pas les éléments soulignés par Bernard de Gordon, comme le pouls54. L’enjeu en est triple : il s’agit tout d’abord de passer de l’action du philtre, sorte de mélancolie artificielle ou de péri-mélancolie métaphorique à une mélancolie réelle ; il faut, ensuite, dans un environnement littéraire fait de réécritures, participer au débat implicite entre les écrivains et les lecteurs – Nathalie Koble a récemment qualifié les romans servant de suite au Roman de Merlin en Prose attribué au pseudo Robert de Boron de « romans de lecteurs »55 – sur la nature et la gravité des états mélancoliques éprouvés par Tristan ; il faut enfin évincer le médecin, dont la mesure du pouls est une donnée technique, au profit d’une clinique littéraire. La narration, nous le verrons, se fait en trois temps : la crise, la médiation, la guérison. Nous ne reprenons pas ici le terme de « clinique littéraire » au sens que Jean-Charles Huchet lui avait donné56 : nous désignons ainsi un récit qui mène le personnage de sa mélancolie à la résolution de celle-ci. Le déguisement en est le moyen ; il est temps de s’intéresser à lui.

Déguisement clinique, déguisement ou clinique, déguisement et cliniques ? Formes et structures

Peut-on tirer un premier bilan ? Les cinq textes composant notre corpus relatent tous des scènes analysables sur le modèle de la triade rhétorique archétypale qui prévaut lorsqu’il faut raconter des crises de mélancolie. Un élément saillant apparaît : le déguisement. Élément central des scènes analysées, il en est également le plus problématique et il incite à s’interroger sur ses modalités, ses valeurs et surtout sa fonction structurelle. L’enquête doit donc changer de cap : l’investigation des liens entre les modèles théoriques médicaux et les récits cède ici la place à l’étude de la communauté de structure entre les scènes étudiées et d’autres dans lesquelles un personnage se déguise ou subit une altération de son essence due à une crise mélancolique violente. Pourquoi s’écarter des modèles médicaux ? Deux raisons le justifient. Les deux romans de Tristan en vers ne parlent pas d’un héros malade, tandis que les deux Folies parlent d’un personnage qui n’est pas formellement fou, mais qui menace de le devenir. Le seul cas pathologique réel est celui de Tristan dans le Tristan en Prose. Or, si l’on retrouve assez bien chez lui les symptômes de la maladie, l’on ne rencontre pas les moyens médicaux de la guérison. Ces derniers ne prévoient pas la possibilité pour un patient d’amor heroicus de se déguiser pour guérir sa maladie. Celle-ci fait l’objet d’une notice dans la Practica qui, comme pour toutes les pathologies décrites par Bernard de Gordon, comprend une définition très générale57, un paragraphe consacré à ses causes58, un autre à ses symptômes59 – ils servent à établir un diagnostic –, un pronostic60, et les remèdes que l’on y peut apporter61.

Une première éviction de la théorie médicale consiste en la disparition des soins médicaux proprement dits. Elle se fait de deux manières : les traitements commencent par disparaître de la narration. Jean de Tournemire, s’appuyant sur Rhazès, propose par exemple d’enivrer le patient pour humidifier son cerveau62. Cette ivresse clinique s’oppose totalement à l’ivresse amoureuse provoquée par le philtre et qu’Yseut avoue à l’ermite Ogrin :

Sire, por Deu omnipotent,
Il ne m’aime pas, ne je lui,
Fors par un herbé dont je bui
Et il en but : ce fu pechiez63.

Le vin mélancolique aux herbes magiques, qui renversent une situation de départ, s’oppose au vin du médecin qui combat la dessiccation du cerveau d’un amant souffrant de langueur héroïque. L’amour de Tristan pour Yseut est donc explicable par des principes de chimie médicale connus au Moyen Âge central, mais n’en fonctionne pas moins à rebours de ces conceptions médicales. Les médecins médiévaux préconisent cependant souvent des remèdes psychologiques à cette maladie. Bernard de Gordon distingue les patients accessibles à la raison de ceux qui ne le sont pas, et recommande d’admonester les premiers et de fouetter les seconds s’ils en ont l’âge64. Il est possible d’annoncer au patient qu’il bénéficie d’honneurs65. L’occuper in aliquod actione necessaria pour combattre son oisiveté est pertinent, tout comme le faire voyager66. La création d’un cadre courtois – ou du moins proche d’un environnement courtois, avec des amis, de la musique, un cadre élégant, le chant des oiseaux – est également recommandée67, alors que le médecin, s’appuyant sur Ovide, préconise aussi la diversion amoureuse68. Le dernier ressort est de provoquer le dégoût pour l’aimée69 ! Valescus de Tarente proposera des cliniques semblables70. Les récits interrogés, et celui du Tristan en Prose en particulier, s’écartent de ces modèles sur deux points : tout d’abord, aucun médecin n’intervient, mais le roi Marc vient voir Tristan pour l’admonester71. On s’éloigne aussi bien du récit de la maladie causée par le poison dont l’épée du Morholt a été enduite72, que de celui de la démence de Tristan, où des médecins interviennent73. On retrouve cependant le principe de médiations hiérarchisées entre des interventions premières inefficaces et des interventions secondaires efficaces dans ce récit comme dans les deux diégèses qui servent de point de comparaison74.

Le second point est le déguisement lui-même. L’enseignement médical ne le prévoit pas, mais recommande d’habiller les mélancoliques avec élégance. Le corpus en présente deux modalités différentes. La scène d’amour héroïque en attribue l’initiative à Yseut :

Sempres quant il devra anuitier, vos vos en iroiz droit a Tristan, et le me saluerez, et le feroiz vestir une robe de damoiselle, et en tel maniere le m’amenrez ceanz. Et se nus vos enquiert de lui, vos direz hardiement que cest une demoisele mesaigiere que l’on m’envoie d’Yrlande75.

La reine a commencé par pleurer en apprenant la maladie de son amant, avant de réfléchir : les verbes penser et estudier décrivent une activité rationnelle76. L’idée du déguisement résulte donc de l’exercice d’une pensée logique. La prose s’inspire de Béroul, dans la mesure où Yseut y dit à Tristan de se déguiser en lépreux et de se poster au gué du Mal Pas77. Les deux textes utilisent un dispositif commun : la médiation de fond – celle qui permet la réunion des amants – est décidée par l’aimée. Elle charge un intermédiaire auxiliaire, Périnis dans le roman en vers et Brangien dans la diégèse en prose, d’en informer Tristan. On peut donc distinguer un médiateur stratégique (ou plutôt stratège) qui conçoit la ruse et un médiateur tactique qui la fait appliquer par Tristan et qui peut, contrairement à Yseut, se rendre auprès de lui. Une opposition entre une instance immobilisée et une instance mobile apparaît dans ces deux passages qui sont, foncièrement, des récits de crise : les amants sont séparés par la force. Les agents mobiles opèrent donc une médiation à double sens, parce qu’ils agissent aussi pour deux personnages en état de mélancolie.

On observe en fait ici la forme très particulière d’une construction beaucoup plus courante dans les narrations de mélancolies pathologiques : un personnage sain d’esprit tente d’assister ou assiste, tente de soigner ou soigne, le patient et lui seul78. L’optique des deux récits n’est toutefois pas complètement analogue. Yseut fournit chez Béroul un cadre très précis, qui indique les éléments de base du déguisement et les actions que devra faire Tristan. Elle indique dans le roman postérieur un cadre plus évasif, limité à deux informations essentielles, dans lequel les personnages seront beaucoup plus autonomes : c’est ainsi que Tristan cache une épée sous le manteau qu’il revêt en plus79. Deux options apparaissent alors : le déguisement fait de Tristan chez Béroul l’inverse total de sa nature : Le Tristan en Prose est moins explicite de ce point de vue que les deux Folies Tristan. La Folie d’Oxford montre Tristan décidant de se rendre à pied en Angleterre, afin de passer pour un piéton pauvre n’attirant pas l’attention et de pouvoir se déguiser80. Celle de Berne lui fait dire « Qant ne la voi, a po ne derve »81, formalisant sa mélancolie qu’il contre par la décision de se déguiser en fou, qui est ici clairement formulée82. Si ces textes font du déguisement un instrument de médiation par l’aimée et un personnage auxiliaire, ou un instrument d’auto-médiation, et dans les deux cas le résultat d’une ruse à laquelle Tristan se prête ou qu’il conçoit, le Roman de Tristan de Thomas est beaucoup plus évasif quant à l’origine intellectuelle du déguisement de son personnage en lépreux :

Ore s’aturne de povre atur,
De povre atur, de vil abit,
Que nuls ne que nule quit
Ne aparceive que Tristran seit.
Par un herbe tut les deceit83.

L’acte est déceptif, ce qui suppose une intention volontaire ; toutefois, le romancier remplace les réflexions d’Yseut ou de Tristan par une longue querelle opposant la reine à Brangien84. Le roi Marc confie à cette dernière la surveillance de son épouse85. Brangien expulsera ensuite Tristan de la cour86. Le schéma narratif inverse donc totalement les constructions qui prévalent dans les Folies : la délibération du personnage ou de son amante et la médiation tactique sont remplacées par l’action d’un personnage normalement auxiliaire qui devient l’ennemie d’Yseut et qui agit dans le sens de l’ordre social. L’acte de se déguiser, qui n’est pas conçu au sens où il n’est pas la conséquence d’un raisonnement, reste rationnel, dans la mesure où Tristan veut tromper l’assistance ; il ressemble toutefois beaucoup au premier stade d’une mélancolie héroïque qu’il développe une fois expulsé de la cour, et lors de laquelle il se cache sous l’escalier d’un bâtiment en ruines87. La femme du portier touche l’esclavine – le « vil abit » de son déguisement, qu’il porte encore88 – avant que son mari ne recueille le patient et ne le soigne89. Le travestissement n’a donc pas de valeur clinique, et sert plutôt de métaphore à une crise atrabilaire future qu’il permet de dramatiser, la femme de portier croyant avoir affaire au diable.

Il est difficile de savoir si le récit de Thomas est antérieur ou postérieur à celui de Béroul90, mais le motif du déguisement en lépreux caractéristique de ces deux romans fait l’objet d’un débat qui oppose deux conceptions de la ruse, positive pour Béroul, néfaste pour Thomas, et des médiateurs : le médiateur tactique de Béroul laisse la place à une adversaire. Cela correspondrait à deux conceptions antagonistes de la matière traitée : Béroul, selon Brent A. Pitts, réunit davantage les amants quand Thomas les sépare91. Cela correspond surtout à un débat sur la portée du déguisement. Thomas ne se différencie pas beaucoup de Béroul sur ce point, du moins en apparence. Tristan fait gonfler et tuméfier son visage avec une herbe92, quand, chez Béroul, « Malade senble plus que rien »93 ; toutefois, lui aussi « molt ot bien bocelé son vis »94. Il contorsionne ses mains, « ses pez e ses mains fait vertir »95, chez Thomas, précision que Béroul ne donne pas, mais qui peut très bien participer de la contrefaçon de la maladie ; il indique, par contre, que son personnage porte des vêtements de laine et de bure épaisses96. Thomas parlera plus loin de l’esclavine revêtue par son Tristan. Un hanap – offert par la reine – dans lequel il place une bille de buis lui sert de cliquette97, celui de Béroul s’équipant d’un gobelet et d’une béquille98, et frappant sur le premier avec une gourde99. Il existe cependant une différence de taille : le Tristan de Béroul est armé, et porte son épée au flanc100. La séquence du déguisement précède une séquence de joutes auxquelles il participe déguisé en chevalier noir, passant pour le Noir de la Montagne101, et renverse Andret qu’il blesse102. Tristan passe donc de la condition de lépreux à celle de chevalier surnaturel, « faé » comme le dit Girflet à Gauvain103. Les deux travestissements, très différents l’un de l’autre dans leur portée comme dans leur origine – le déguisement chevaleresque est propre à Tristan, qui recouvre en partie son rôle social –, ont une valeur active et clinique : le chevalier passe de l’imitation d’une condition marginale au simulacre d’une chevalerie fantastique104.

Le récit de Thomas est totalement différent. Tristan, qui réclame l’aumône comme dans le roman de Béroul105, est poussé et frappé par les serviteurs de la reine106. Les deux romans opposent deux schémas narratifs : Béroul traite le déguisement de Tristan comme un conte de ruse, dans lequel le personnage ne se fait pas reconnaître et parvient à ses fins, avant de recouvrer en partie son identité, Thomas se rapprochant davantage d’un récit de persécution d’un mélancolique tel que l’on en observe dans d’autres romans pour des déments. Amadas et Ydoine montre ainsi son personnage principal maltraité et persécuté par la population de la ville de Lucques107. Se déguiser est, en soi, un phénomène dont les modalités physiques sont stables dans un corpus où l’on distingue un travestissement courtois – la messagère du Tristan en Prose – des travestissements mélancoliques – en lépreux ou en dément. L’usage de l’herbe intervient ainsi dans la Folie Tristan d’Oxford108, et le travestissement vestimentaire dans les deux Folies, le poème d’Oxford montrant Tristan échangeant ses vêtements avec ceux d’un pêcheur109. La tension oppose deux types de diégèse qui peuvent se développer autour de ce motif : la conception optimiste de Béroul, des Folies Tristan d’Oxford et de Berne et du Tristan en Prose fait du déguisement une solution : Tristan se déguise pour retrouver son aimée. La conception pessimiste de Thomas fait du déguisement un épisode de crise, une manifestation littérale de la souffrance mélancolique de Tristan. La lèpre est le point central de cette opposition qui dérive de l’usage de la matière de Tristan et Yseut par les narrateurs. Le Tristan en Prose, dernier en date des textes consultés, recompose les éléments dont il hérite. L’idée d’une simulation de la folie est ainsi remplacée par une démence véritable qui place Tristan dans une nature comparable à celle de Lancelot, dont la diégèse de la rédaction V.II. reprend la troisième démence du Lancelot en Prose110.

Les romans de Thomas et de Béroul, ainsi que les deux Folies, ont été rédigés dans une période temporelle assez voisine, que l’on estime aller de 1165 environ à la fin du XIIe siècle. Ils sont donc, si l’on élargit une partie de ce que Per Nykrog dit sur Chrétien de Troyes à d’autres secteurs de la littérature médiévale111, des témoins de discussions poétiques, mais aussi morales, intenses. Les états mélancoliques en participent pleinement, et la question qu’ils suscitent plus précisément semble bien être la légitimité de la ruse et des travestissements humiliants ou s’inspirant de passions mélancoliques pour en sortir. Thomas résiste à cette idée, qui lui paraît périlleuse, et propice à l’aggravation de la souffrance, quand les Folies – dont le poème d’Oxford, pourtant agrégé par la critique au versant courtois de la matière de Cornouailles à ses débuts en France – et Béroul y adhèrent. Les modèles médicaux en vigueur semblent exercer une influence déterminante. La folie simulée de Tristan n’est pas une réplique de la démence mélancolique qui est l’avatar furieux des maladies atrabilaires littéraires. Yvain, dont Chrétien de Troyes relate l’histoire au cours de la même période, perd totalement la parole ; Tristan est un fou loquace, au discours très logique. La lèpre, au contraire, résulte de l’influence de la bile noire sur l’organisme, comme l’expliquent certaines collections de recettes médicales postérieures112. Le clivage entre une folie qui n’est pas démente et une lèpre qui est inspirée du discours des médecins reflète donc l’opposition entre une mélancolie amoureuse violente mais guérissable, dans laquelle la chimie humorale n’intervient pas, et une mélancolie inspirée d’une pathologie réelle définissant un paradigme lépreux et héroïque effrayant. Une dernière question doit être abordée : celle du rapport au politique.

Tristan fou tuant Taulas de la Montagne © MS.Paris,  BN.fr  97, 138 verso, I, l.1-11.
Tristan fou tuant Taulas de la Montagne
© MS.Paris,  BN.fr  97, 138 verso, I, l.1-11.

Déguisement mélancolique, déguisement politique ? Le travesti face aux détenteurs du pouvoir

Quels sont les acquis ? Le déguisement de Tristan peut être considéré comme un type d’épisode critique, dans lequel se confrontent deux grandes conceptions de la mélancolie littéraire en train de s’élaborer entre le dernier tiers du XIIe siècle et le premier tiers du XIIIe siècle : une vision poétique qui s’autonomise par rapport aux références médicales, et qui limite le danger d’association psychique entre la diégèse et l’enseignement du médecin ; une vision plus médicale, qui s’appuie sur un discours savant qui circule effectivement depuis le siècle précédent au moyen des deux livres du De Melancholia de Constantin l’Africain et qui, dans le cas du Roman de Tristan de Thomas113, tend à mettre en réseau étroit des passions atrabilaires solidaires, car reposant sur le désir et la luxure.

Tristan fou face au roi Marc © MS.Paris,  BN.fr  97, 140 recto, I, l.1-11.
Tristan fou face au roi Marc
© MS.Paris,  BN.fr  97, 140 recto, I, l.1-11.

Un autre aspect doit être abordé : les implications politiques des déguisements de Tristan. Les romanciers et les auteurs des Folies ne font pas de leur personnage une absolue singularité. Le principe d’un personnage qui se déguise dans un contexte politique pour se confronter aux détenteurs d’un pouvoir ou de la force se rencontre dans d’autres textes au cours de la période comprise entre la seconde moitié du XIIe siècle et la rédaction du Tristan en Prose. On l’observe dans plusieurs branches du Roman de Renart composées à ce moment-là et dans le roman d’Eustache Le Moine114. Tristan se distingue cependant de Renart ou d’Eustache par une caractéristique qui lui est propre : le déguisement se raréfie au cours de sa carrière littéraire. Central dans les Folies, apparaissant dans deux séquences consécutives relevant de l’escondit d’Yseut chez Béroul, sa fréquence est beaucoup moins facile à estimer dans le roman de Thomas, dont il ne reste qu’assez peu de vestiges115. Le Tristan en Prose lui fait ensuite recourir souvent à l’anonymat volontaire, ou au changement d’armoiries au cours de tournois, mais ne le déguise réellement qu’une seule fois, au cours de la séquence analysée.

Par-delà la transformation des motifs narratifs liée d’ailleurs à une transformation générique lourde, qui a conduit implicitement Anita Guerreau-Jalabert à spécialiser son inventaire des motifs narratifs romanesques aux romans en vers116, il y a une volonté d’adapter le comportement du personnage à un contexte politique singulier. Son élément de base est le conflit. L’épisode dans lequel Audret place des faux autour du lit d’Yseut pour surprendre Tristan a eu lieu juste auparavant117 ; Bessille, qui vient de s’éprendre d’Audret après s’être mise à haïr Tristan qui a refusé de l’aimer, le dénonce en lui indiquant l’itinéraire qu’il prend pour rejoindre Yseut, ce qui lui permet de monter une embuscade118, et donne lieu à un affrontement119. La séquence de la capture des amants et de leur condamnation à mort, suivie de la libération d’Yseut et de l’évasion de Tristan, suit aussitôt après120, Bessille ayant découvert Tristan dormant dans la tour et l’ayant dénoncé à son amant121. Ce contexte conflictuel au cours duquel les amants sont confrontés à des ennemis dirigés par le trio constitué par le roi Marc, son neveu Audret et Bessille, et qui culmine par la condamnation et la fuite du couple dans la forêt du Morrois, est une invention de l’auteur du Tristan en Prose. Béroul, qui constitue sa source, fait du déguisement de Tristan en lépreux lors de la cérémonie de justification d’Yseut une conséquence indirecte de la séparation des amants une fois la reine restituée au roi, mais sépare très rigoureusement les deux épisodes. La séquence formée de la capture des amants, de leur condamnation et de leur fuite est très antérieure à la scène du Mal Pas122. Situer la scène correspondante dans le roman de Thomas est plus compliqué. Elle figure dans deux témoins manuscrits123, et Brangien mentionne dans sa mercuriale contre Yseut deux scènes antérieures dans l’état initial du roman, mais que les fragments subsistants ne conservent plus : l’ordre donné par la reine d’assassiner sa suivante124, et la fuite de Kahédin face à Cariado125. Le Tristan en Prose intègre la première scène, qui est d’ailleurs nettement antérieure à la séquence du déguisement de Tristan126, mais pas la seconde. On peut cependant retenir l’idée d’un conflit personnel entre la reine et sa suivante, qui aurait nécessité un pardon, peut-être royal127. La configuration du Tristan en Prose est donc, en tant que telle, unique dans le corpus tristanien de langue d’oïl, dès lors que la scène se passe dans un moment de tension politique extrême entre le roi Marc et Tristan. Elle déjoue cependant toute confrontation entre les deux parties :

Il s’en passe devant le roi Marc et par devant les autres chevaliers qu’il ne troeve nul qui riens ne li demande. Li rois reconoist bien Brangain, mes Tristan ne conoist il mie par la vesteüre128.

Le déguisement neutralise le conflit politique. Il instaure une opposition entre une scène publique – qui se passe à la cour du roi – dans laquelle Tristan est méconnaissable, et une scène privée, dans laquelle le chevalier est reconnu par la reine grâce à sa grande taille129. La joie intime des amants contribue à la dépolitisation de l’épisode130, dans lequel le couple est isolé dans un espace qui lui devient momentanément propre, réalisant d’ailleurs d’une façon rationnelle la salle aérienne et onirique de la Folie d’Oxford :

‘Reis’, fet li fol, ‘la sus en l’air
Ai une sale u je repair.
De veir est faite, bele e grant ;
Li solail vait par mi raiant.
En l’air est e par nues pent,
Ne berce, ne crolle pur vent.
Delez la sale ad une chambre,
Faite de cristal e de lambre.
Li solail, quant par main levrat,
Leenz mult grant clarté rendrat’131.

La salle où Tristan veut conduire Yseut n’est pas un espace politique. Le rêve d’un palais propre et dégagé des contraintes curiales est le contraire de la réalité. Tristan a rencontré le portier en arrivant132, et a été confronté aux valets et aux écuyers qui le huent, lui lancent des bûches et des pierres133. Passant donc de la porte à la grande salle royale, dans laquelle il est introduit de force sur l’ordre du roi134, Tristan est confronté à une organisation sociale qui exerce des rapports de force physiques et verbaux à son encontre. Le roi, à son sommet, ne l’empêche pas. L’épieu qu’il se passe au cou alors qu’il se déguise en fou est mentionné à plusieurs reprises, mais il ne s’en sert pas135 : il est donc le contraire de l’épée de la prose, qui ne sert pas davantage, mais qui témoigne du caractère chevaleresque du personnage. Les options divergent : le Tristan des Folies est dépolitisé. La version de Berne insiste sur l’apparence du personnage, qui efface littéralement son statut social136. Il n’est donc pas associable au réseau vassalique qui l’intègre au lignage de Kaherdin. Thomas fait de Tristan un personnage que seul Yseut reconnaît137, mais en fait surtout la victime des serviteurs et de Brangien, le roi n’intervenant pas et étant donc indifférent à la scène138. Béroul préfère politiser plus discrètement son Tristan. Il ne lui fait pas affronter le roi Marc, qui lui fait la charité et avec lequel il dialogue, évoquant son amour pour Yseut139, mais il frappe les « corbeaux »140 – les plus grossiers et les plus insolents des serviteurs – de sa béquille et il les blesse violemment141. Il dirige ensuite les chevaliers sur le Mal Pas, dans lequel ils s’enfoncent142, avant que les trois accusateurs ne s’y enlisent avec leurs montures143. Denoalain, l’un d’entre eux, y est même plongé une seconde fois par Tristan qui fait semblant de vouloir l’en extraire144. Béroul, comme les auteurs des autres textes du XIIe siècle, confronte Tristan à deux milieux curiaux : les roturiers et l’aristocratie, mais innove au moyen d’une double opposition. Les chevaliers de Cornouailles – dont le Tristan en Prose fera le paradigme des mauvais chevaliers, lâches et piètres adversaires – sont associés aux accusateurs dans l’humiliation : tous pénètrent dans le marécage. Ceux du roi Arthur ne sont pas mentionnés, mais il semble possible qu’ils échappent à l’épreuve, dès lors que Gauvain, Yvain et Girflet ont dénoncé à leur souverain la haine que Denoalain, Ganelon et Godoïne vouent à la reine et leur passion accusatrice145. Les rois évitent également la chute dans le marais. Tristan demande la charité à Arthur146, avant qu’il ne la demande à Marc.

Le récit oppose donc des souverains investis d’une fonction réparatrice publique et intime à un personnel aristocratique et roturier curial associé aux adversaires de Tristan. La configuration est sensiblement différente de celle des autres textes du corpus, dans la mesure où les chevaliers des Folies ne servent pas d’adversaires : l’hostilité est le rôle des personnages les moins élevés dans la hiérarchie. Eustache le Moine, qui présente lui aussi une scène de déguisement du héros en lépreux, a une optique différente. Son personnage obtient des dons de son ennemi, le comte Renaut de Dammartin, et de ses chevaliers147, avant de voler l’un des chevaux du seigneur148. Ici, le désaxement se fait en défaveur du suzerain, objet de l’hostilité du héros, mais une différence fondamentale sépare cette diégèse de celles qui relatent les déguisements de Tristan : Eustache y est identifié par le comte qui ordonne que l’on le poursuive149. L’identité du personnage travesti est en effet une donnée essentielle, même pour le versant politique de l’interrogation. Eustache le Moine relate une série d’agressions perpétrées par son personnage principal déguisé ou anonyme, distribuées en une série de séquences narratives qui se concluent par la révélation de l’identité d’Eustache, qui revendique l’action narrée150. On assiste donc à un conflit juridique et politique dans lequel l’adversaire du comte affirme son identité pour authentifier ses attaques, et créer une dialectique opposant un dissident actif prenant l’initiative à un détenteur d’autorité subissant plusieurs défaites successives.

L’identité de Tristan joue-t-elle un rôle politique ? Le corpus met en scène plusieurs situations. Tristan ne se fait pas reconnaître directement chez Béroul, et la scène au cours de laquelle il est chevauché par Yseut est ambiguë : la reine ne montre pas qu’elle le reconnaît et le texte ne l’affirme pas, bien qu’une reconnaissance implicite puisse être possible151. Thomas ne le fait tout d’abord pas reconnaître par son aimée152, avant qu’elle ne reconnaisse son hanap et sa stature153, selon un mouvement allant d’un signe extérieur commun aux amants à l’individu lui-même. L’auteur du Tristan en Prose utilise le critère de la stature de son personnage, là sans médiation externe. Les Folies Tristan utilisent un système différent. Yseut n’y reconnaît pas Tristan de prime abord. Le poème d’Oxford la montre même résistant à l’idée que le fou Tantris puisse être Tristan :

Isolt respunt : ‘Par certes, nun !
Kar cil est beus e gentils hum,
E tu es gros, hidus e laiz,
Ke pur Tantris numer te faitz.
Or te tol, ne huer sur mei !
Ne pris mie tes gas ne tei’154.

Yseut est confrontée à un double encodage : l’anagramme du nom de Tristan est connue ; elle fait partie d’un code intime antérieur. L’aspect de son interlocuteur, qui vient de relater son errance sur la mer et sa guérison par Yseut, lui est inconnu155. Il y a donc un conflit logique entre ce qu’elle entend et ce qu’elle voit, qui empêche le discours dissident, mais véridique, de Tristan de dissiper la fiction politique constituée par le mariage de la reine avec le roi Marc. L’encodage utilisé par le poème de Berne emploie lui aussi le récit biographique156, mais substitue le nom Picous au nom réel157, alors qu’il maintient l’anagramme158. Il y a donc l’anagramme intime, mais aussi un nom dissimulateur, qu’Yseut utilise159, prouvant qu’elle ne reconnaît pas Tristan. Il faut distinguer dès lors l’intention de Tristan de ce qui se produit dans les faits. L’amant cherche à reconstruire un axe amoureux et politique entre lui et la reine, qui s’opposera à celui qui, unissant le roi à ses barons ou à ses subalternes, les sépare. Il ne se réalise pleinement que dans le Tristan en Prose, dans lequel un échange réel entre les amants a lieu160, ou chez Béroul, mais échoue chez Thomas où la reine ne parvient pas à donner un anneau à Tristan161.

Les Folies ont une position intermédiaire : l’axe politique ne se constitue pas dans un premier temps, tant que la reine ne reconnaît pas Tristan. Inversant la reconnaissance hostile de Tristan par Brangien dans le roman de Thomas162, elles le font identifier en premier lieu par la suivante, ce qui va déclencher la double médiation en faveur de Tristan et Yseut évoquée plus haut. Brangien a le pressentiment que le fou du poème d’Oxford est Tristan163, tandis qu’elle va le chercher à la demande d’Yseut dans celui de Berne :

‘Dan fol, ma dame vos demande.
Mout avez hui esté en grande
De reconter hui vostre vie.
Plains estes de melancolie.
Si m’aïst Dex, qui vos pandroit,
Je cuit que bien esploiteroit’164.

Brangien pose un diagnostic : l’empire de la bile noire sur Tristan, provoquant un déséquilibre humoral. Le récit biographique est parfaitement identifié et désigne le personnage. S’il ne contribue pas à définir un axe politique, il crée une connivence entre la suivante et le chevalier déguisé en fou : la stratégie de tromperie est parfaitement reconnue. Le second actant de la reconnaissance est le chien Husdent, dans Berne165, comme dans Oxford166. Son intervention définit l’axe qui réunit Tristan à Yseut et à Brangien comme une construction intime, qui écarte finalement le politique, et maintient l’opposition entre les fictions qui le fondent et l’expérience des amants.

Quel enseignement peut-il se dégager ? Le déguisement comme moyen d’action politique dévié ou détourné n’est pas propre à la matière des amants de Cornouailles167. Elle en donne toutefois une utilisation particulièrement originale, dans la mesure où il ne s’agit pas tant de tactique ou de stratégie que de « clinique littéraire »168 : Tristan se déguisant soigne sa mélancolie et dissipe la fiction implicite d’un ordre social dans lequel ses amours pour Yseut n’auraient pas leur place. L’enjeu intime, psychique et médical entraîne une action politique déviée : elle ne se met pas au service d’un camp en particulier, mais de la restauration d’un individu.

Tristan trickster ? Si la définition de ce type de personnage passe par la récurrence des tours qu’il joue à des adversaires, Tristan se distingue de Renart, d’Eustache le Moine ou de Maugis par la rareté de ses subterfuges. Il est beaucoup plus exact de le considérer comme une figure polyvalente, capable de se servir de sa ruse tout aussi bien que d’agir par d’autres fins. Le Tristan en Prose, qui est une évolution majeure de la conception du personnage après son apparition dans le champ littéraire169, le dirigera bien davantage vers l’excellence chevaleresque. Tristan gueux ? La réponse est plus délicate. Le déguisement le transforme en des figures qui semblent inverser sa nature. Il passe d’une posture référentielle à une posture en apparence marginale. Il faut toutefois distinguer la dénaturation partielle – choisie par l’auteur du Tristan en Prose  de la simulation de pathologies mélancoliques : la lèpre des romans de Béroul et de Thomas, la folie des Folies Tristan. Toutes reposent sur la tension entre le rôle réel et le rôle joué, mais elles ne sont toujours que des simulacres métaphoriques de la misère. Tristan n’est pas un picaro, et il ne peut l’être ; il est un gueux étrange et particulier, paradoxal. Un gueux mélancolique, confronté à l’impératif personnel et social de soigner sa mélancolie, mais n’y pouvant parvenir par les voies ordinaires.

Notes

  1. Béroul montre d’ailleurs cette dernière s’en affligeant. Béroul, Le Roman de Tristan, éd. Daniel Lacroix et Philippe Walter, Tristan et Yseut, les poèmes français, la saga norroise, Paris, 1989, p. 21-230, v. 2201-2220.
  2. Ibid., v. 2165-2169.
  3. Ibid., v. 2205-2207.
  4. Ibid., v. 2212-2216.
  5. Ibid., v. 2147-2149.
  6. Ibid., v. 2263-2277.
  7. Ibid., v. 2289-2432.
  8. Ibid., v. 2665-2680.
  9. Ibid., v. 2765-2868.
  10. Ibid., v. 1272-3009.
  11. Pierre Levron, Naissance de la mélancolie dans la littérature des XIIe et XIIIe siècles, thèse de doctorat inédite dirigée par Jacqueline Cerquiglini-Toulet et soutenue devant l’université Paris-Sorbonne le 30 juin 2005.
  12. L’action chimique des humeurs – et donc de la bile noire – est une constante de la médecine depuis Hippocrate. Une ample bibliographie lui a été consacrée.
  13. Amédée Salmon (dir.), Remèdes populaires du Moyen Âge, Études romanes dédiées à Gaston Paris le 29 décembre 1890 par ses élèves français et ses élèves étrangers de langue française, Paris, Librairie Émile Bouillon, p. 255.
  14. Tony Hunt, « Materia medica in MS. London B.L Add 10289 », Medioevo Romanzo, 13/1, 1988, p. 25-37.
  15. Ibid., p. 30.
  16. Jacques-Émile Merceron, « De la mauvaise humeur du sénéchal Keu : Chrétien de Troyes, littérature et physiologie », Cahiers de Civilisation Médiévale, 41/161, 1998, p. 17-34.
  17. P. Levron, « La bonne humeur de monseigneur Gauvain : enquête sur un cas particulier de transfert d’un savoir médical à un discours littéraire », Médiévales, 58, Marie-Françoise Alamichel (dir.), Le Personnage de Gauvain dans la littérature européenne du Moyen Âge, Amiens, Presses du Centre d’Études Médiévales de Picardie, 2015, p. 65-87.
  18. Placides et Timéo, éd. Claude Thomasset, Genève, Droz, 1980.
  19. Ibid., § 431, p. 210-211.
  20. Didier Souiller, Le Roman picaresque, Paris, PUF, 1989.
  21. Michel Cavillac, Gueux et marchands dans le Guzman de Alfarache : 1599-1604, roman picaresque et mentalités bourgeoises dans l’Espagne du Siècle d’Or, Bordeaux, Bière, 1983 ; Jean-Louis Rossignol, « La société espagnole au début du XVIIe siècle : étude effectuée à partir du El donado hablador, roman picaresque de Jeronimo de Alcala », Dijon, mémoire de diplôme d’études supérieures (lettres), 1967.
  22. Joseph Vles, Le Roman picaresque hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles et ses modèles espagnols et français, S’Gravenhage, Papier-Centrale Tripplaar, 1926.
  23. Cyprien Bidy Bodo, Le Picaresque dans le roman africain subsaharien d’expression française, Lille, A.N.R.T, 2005.
  24. Richard Bjornson, Le Roman picaresque : genèse européenne et mutations américaines, thèse de troisième cycle, Paris, 1968.
  25. Éric Guillet, Le Roman picaresque en RDA, Bern, Peter Lang, 1997.
  26. Claude Herzfeld, Thomas Mann : « Felix Krull » Roman picaresque, Paris, L’Harmattan, 2011.
  27. Louis Gondebaud, Le Roman picaresque anglais : 1650-1730, thèse dirigée par Jean Dulck, Université Paris 3, 1977.
  28. Pierre-Louis Vaillancourt (dir.), Roman picaresque et littératures nationales, Québec, Université Laval, 1994.
  29. Daniel Eisenberg, « Does the picaresque novel exist? », Kentucky Romance Quaterly, 26, 1979, p. 203-219.
  30. Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des XIIIe, XIVe et XVe siècles pour faire suite aux collections de Legrand d’Aussy, Barbazan et Méon, éd. Achille Jubinal, Paris, Pannier, 1839-1842.
  31. Ibid., t. II, p. 65-72 ; les vers ne sont pas numérotés.
  32. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3288-3354 et 3566-3984.
  33. Thomas, Le Roman de Tristan, éd. D. Lacroix et P. Walter, Tristan et Yseut, p. 335-483, v. 503-584 (fragment Douce/Fragment de Turin).
  34. La Folie Tristan de Berne, éd. D. Lacroix et P. Walter, Tristan et Yseut, p. 283-311.
  35. La Folie Tristan d’Oxford, éd. D. Lacroix et P. Walter, Tristan et Yseut, p. 233-281.
  36. Le Roman de Tristan en Prose, éd. Renee-Lilian Curtis, t. II, Leyde, Brill, 1976, § 538-541, p. 138-141.
  37. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 911-2943.
  38. Ibid., v. 010-3017.
  39. La Folie Tristan d’Oxford, v. 1-2.
  40. Ibid., v. 28.
  41. La Folie Tristan de Berne, v. 1-8.
  42. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 234-236.
  43. Le Roman de Tristan en Prose, § 538, p. 138.
  44. Ibid.
  45. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3566-3572.
  46. La Folie Tristan d’Oxford, v. 2.
  47. La Folie Tristan de Berne, v. 54-99.
  48. Le Roman de Tristan de Thomas, v. 503.
  49. Le Roman de Tristan en Prose, Curtis II, § 538, p. 138.
  50. John Livigston Lowes, « The loveres maladye of hereos », Modern Philology, 11, 1914, p. 491-546. Valescus de Tarente, Philonium (achevé en 1418), p. 505-506 : Hereos grece idem ist quod dominus latine. Et alemani dicunt heer. Id est dominus (Hereos en grec équivaut à Dominus en latin. Et les Allemands disent Heer, c’est-à-dire seigneur).
  51. John Livigston Lowes, « The loveres maladye of hereos », p. 499 : causa huius passionis est corruptio existimativae propter formam et figuram fortiter affixam (la cause de cette maladie est la corruption de la faculté estimative due à la fixation dans l’esprit d’une forme et d’une figure).
  52. Ibid., p. 500 : Signa autem sunt quando amittunt et cibum et potum (les signes [de cette maladie] sont quand s’interrompent et l’alimentation et la boisson).
  53. Ibid. : et maceratur totus corpus : praeterquam oculi (et tout le corps dépérit, à l’exception des yeux).
  54. L’alternance du jour et de la nuit (qui aggrave la souffrance de Tristan) remplacerait toutefois la sensibilité des patients à la musique soulignée par Bernard de Gordon : Et si audiant cantilenas de separatione amoris statim incipiunt flere et tristari. Et si audiant de coniuctione amoris statim incipiunt ridere et cantare (Et, s’ils entendent des chansons sur la séparation d’amants, sur-le-champ ils se mettent à pleurer et à s’attrister. Et s’ils en entendent sur la réunion d’amants, sur-le-champ ils se mettent à rire et à chanter).
  55. Nathalie Koble, Les Suites du Merlin en prose : des romans de lecteurs ; donner suite, Paris, Champion, 2020.
  56. Jean-Charles Huchet, Littérature médiévale et psychanalyse : pour une clinique littéraire, Paris, PUF, 1990.
  57. J. L. Lowes, « The loveres maladye of hereos », p. 499 : Morbus qui hereos dicitur est sollicitudo melancolica propter mulieris amorem (la maladie qui est appelée hereos est une pensée mélancolique à cause de l’amour pour une femme).
  58. Causa, ibid., p. 499-500.
  59. Signa, ibid., p. 500.
  60. Pronostica, ibid., p. 501.
  61. Cura, ibid., p. 501.
  62. Jean de Tournemire, Clarificatorium super nono almansoris cum textu ipsius rasis, dans J. L. Lowes, « The loveres maladye of hereos », p. 505 : Rasis vult quod fortiter inebrientur quibusdam diebus vt cerebrum humectetur (Rhazès veut que (le patient) soit fortement enivré pendant un certain nombre de jours afin d’humidifier le cerveau).
  63. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 1412-1415.
  64. J. L. Lowes, « The loveres maladye of hereos », p. 501.
  65. Ibid.
  66. Ibid., quelque action nécessaire.
  67. Ibid.
  68. Ibid., p. 501.
  69. Ibid.
  70. Ibid., p. 506.
  71. Le Roman de Tristan en Prose, éd. R.-L. Curtis, Leyde, Brill, 1976, § 538, p. 139.
  72. Le Roman de Tristan en Prose, éd. R.-L. Curtis, München, Max Hueber Verlag, 1963, § 305, p. 154-155.
  73. Le Roman de Tristan en Prose, éd. Philippe Ménard, Genève, Droz, 1987, XV, § 189, p. 276-277.
  74. Empoisonnement de Tristan par l’épée du Morholt : roi Marc et médecins, loc. cit ; démence de Tristan : Guinglain, § 841-846, p. 144-149 ; Fergus, § 853-859, p. 155-161 ; la jeune fille messagère de Palamède, § 847-852, p. 149-153 et § 861-871, p. 161-173 ; les bergers, Ménard, I, XII, § 168, p. 247-248, le chevalier attaqué par le géant Taulas de la Montagne et sauvé par Tristan, XIV, § 180, p. 263-264 ; le roi et son entourage une fois Tristan conduit à Tintagel, XV, § 187-188, p. 274-276.
  75. Le Roman de Tristan en Prose, Curtis II, § 540, p. 140.
  76. Ibid.
  77. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3294-3112.
  78. Un exemple en est la troisième démence de Lancelot (Lancelot, éd. Alexandre Micha, t. VI, Genève, Droz, 1982). Le personnage est recueilli par des médiateurs qui n’agissent que pour lui : Bliant et son frère Célinant, CVII, § 1-17, p. 208-217, l’ermite et ses serviteurs, CVII, § 19-21, p. 217-219, le roi Pellès, son cousin et ses serviteurs, § 22-24, p. 220-221, sa fille, § 27, p. 222. La seconde recourt aussi à ce principe avec la Dame du Lac (Lancelot, éd. A Micha, t. I, Genève, Droz, 1978, I, p. 1). La configuration du Roman de Tristan de Béroul et du Tristan en Prose n’est cependant pas isolée : la Dame du Lac soigne la mélancolie de Lancelot et de Guenièvre lors de la première démence du chevalier (Lancelot, éd. A. Micha, t. VIII, LXXIa, § 8-10, p. 458-459).
  79. Le Roman de Tristan en Prose, Curtis II, § 541, p. 141
  80. La Folie Tristan d’Oxford, v. 31-46.
  81. La Folie Tristan de Berne, v. 99.
  82. Ibid., vers 102-113.
  83. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 504-509.
  84. Ibid., v. 1-344.
  85. Ibid., v. 347-482.
  86. Ibid., v. 581-584.
  87. Ibid., v. 585-608.
  88. Ibid., v. 632-636.
  89. Ibid., v. 639-658.
  90. Les articles qui se sont intéressés à la question de l’antériorité d’un roman sur l’autre ne discutent pas cet épisode. Celui du harpiste d’Irlande l’est par Maurice Delbouille, « Le premier roman de Tristan », Cahiers de Civilisation Médiévale, 5-19, 1962, p. 273-286 et 5-20, 1962, p. 419-435, et Félix Lecoy, « l’épisode du harpeur d’Irlande et la date des Tristan de Béroul et de Thomas », Romania, 344, 1965, p. 538-545.
  91. Brent A. Pitts, « Absence, memory and the ritual of love in Thomas’s Roman de Tristan », The French review, 5/63, 1990, p. 790-799.
  92. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 508-510.
  93. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3574.
  94. Ibid., v. 3626.
  95. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 512.
  96. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3567-3572.
  97. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 314-318.
  98. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3607.
  99. Ibid., v. 3691.
  100. Ibid., v. 3575-3576.
  101. Ibid., v. 3985-4019.
  102. Ibid., v. 4035-4044.
  103. Ibid., v. 4019.
  104. Pour les avatars fantastiques de la chevalerie, voir Francis Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale, l’Autre, l’Ailleurs, l’Autrefois, Paris, Champion, 1992.
  105. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 535-536.
  106. Ibid., v. 539-544.
  107. Amadas et Ydoine, éd. J. R Reinhard, Paris, Champion, 1926, v. 2716-2759 et 3130-3156.
  108. La Folie Tristan d’Oxford, v. 213-216.
  109. Ibid., v. 197-204.
  110. Sur les rédactions du Tristan en Prose, voir Eilert Löseth, Le Roman de Tristan en prose, le Roman de Palamède et la compilation de Rusticien de Pise, analyse critique d’après les manuscrits de Paris, Paris, Émile Bouillon, 1891 ; Emmanuèle Baumgartner, Le Tristan en prose, essai d’interprétation d’un roman médiéval, Genève, Droz, 1975. Pour la reprise de la démence de Lancelot, voir Le Roman de Tristan en Prose, t. VI, édité sous la direction de Philippe Ménard par E. Baumgartner et M. Szkilnik, Genève, Droz, 1993, VI-VII, 53-54, p. 158-161, IX-X, 63-75, p. 177-206.
  111. Per Nykrog, Chrétien de Troyes, romancier discutable, Genève, Droz, 1996.
  112. Clovis Brunel, « Recettes médicales en langue de Provence », Romania, 83/330, 1962, p. 145-182, p. 221, p. 164 : Rescias del lebros, de cal color se trastorna e negreza, a la vegada en blancor, a la vegada e vermeillor, et aisi conoiseres la lepra el cors del ome. E fa scabia e aspra codena e fosca colors, et es de malenconic humor, et es fort greu a gerir per metge (Observe le lépreux, de quelle couleur il se transforme et tire vers le noir, à la fois en blancheur et plus rouge, et de la sorte tu reconnaîtras la lèpre dans le corps de l’homme. Et elle fait une couenne âpre et scabieuse et une couleur sombre, et elle est causée par la bile noire, et elle est très difficile à guérir par un médecin).
  113. Sur Constantin l’Africain, voir Damien Boquet, « Un nouvel ordre anthropologique au XIIsiècle : réflexions autour de la physique du corps de Guillaume de Saint-Thierry », Cïteaux, 1/2, 55, 2004, p. 5-20 ; Catherine König-Pralong, « Aspects de la fatigue dans l’anthropologie médiévale », Revue de Synthèse, 159/4, 2008, p. 529-541 ; Jean Starobinski, L’Encre de la mélancolie, Paris, Seuil, 2012 ; Danielle Jacquart, « La reconstruction médicale de la nature de l’homme au XIe et XIIe siècles », Revue de Synthèse, 134, 2013, p. 445-472.
  114. Le Roman d’Eustache Le Moine, éd. A. J. Holden et J. Monfrin, Louvain, Peeters, 2005.
  115. Christine Marchello-Nizia, « Une nouvelle poétique du discours direct : le Tristan et Yseut de Thomas », Linx, 32, 1995, p. 161-171, p. 163-164 (on conserve le quart d’un roman qui aurait totalisé douze ou treize mille vers).
  116. Anita Guerreau-Jalabert, Index des motifs narratifs dans les romans arthuriens en vers français, XIIe-XIIIe siècles, Genève, Droz, 1992.
  117. Le Roman de Tristan en Prose, § 532-533, p. 133-135.
  118. Ibid., § 534-535, p. 135-136.
  119. Ibid., § 536-537, p. 136-138.
  120. Ibid., § 543-548, p. 142-147.
  121. Ibid., § 541-542, p. 141-142.
  122. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 770-1270.
  123. Oxford, Bodleian Library, d 6, f. 1-12 et Turin, manuscrit perdu d’une bibliothèque privée transcrit par Joseph Bédier d’après une photographie.
  124. Thomas, Le Roman de Tristan, manuscrit Douce-Fragment de Turin, v. 15-26. Le Tristrant d’Eilhardt von Oberg (traduit par René Pérennec, Tristan et Yseut, les premières versions européennes, Paris, Gallimard, 1995, p. 263-388) place la tentative de meurtre de Brangene sur l’ordre d’Isald (p. 303) après le mariage de celle-ci avec le roi Marcke (p. 301) et avant la dénonciation des amants par Antret (p. 305-307) et la maladie de Tristan (p. 308-309 ; pas de travestissement ici). Gottfried von Straẞburg (traduit par Danielle Buschinger, p. 389-635) fait un choix semblable (p. 550 pour le mariage et la substitution, p. 551-553 pour la tentative de meurtre).
  125. Ibid., v. 28-54.
  126. Le Roman de Tristan en Prose, v. 487-488, p. 94-96 ; Palamède vient au secours de la jeune femme, § 490, p. 96-97. La prose d’oïl présente une structure narrative voisine de celle du roman d’Eilhardt von Oberg pour ce groupe d’épisodes. Voir, pour une perspective plus générale : Damien de Carné, Sur l’organisation du Tristan en Prose, Paris, Champion, 2010.
  127. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 27.
  128. Le Roman de Tristan en Prose, § 541, p. 141.
  129. Ibid.
  130. Ibid.
  131. La Folie Tristan d’Oxford, v. 301-310.
  132. Ibid., v. 225-226.
  133. Ibid., v. 247-258.
  134. Ibid., v. 259-268.
  135. Ibid., v. 220-221 et 260, 268.
  136. La Folie Tristan de Berne, v. 151-157.
  137. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 553-556.
  138. Ibid., v. 529-530.
  139. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3747-3777.
  140. 138 « Li corbel », ibid., v. 3647.
  141. Ibid., v. 3649-3652.
  142. Ibid., v. 3668-3683.
  143. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3788-3820.
  144. Ibid., v. 3836-3852.
  145. Ibid., v. 3457-3481.
  146. Ibid., v. 3714-3735.
  147. Le Roman d’Eustache le Moine, v. 1405-1406.
  148. Ibid., v. 1407-1412.
  149. Ibid., v. 1415-1423.
  150. Voir par exemple la séquence des vers 1819-1882. Eustache confectionne des gâteaux fourrés de poix et de cire, qu’il porte au comte Renaut de Dammartin, v. 1824-1842. On les sert après le dîner, une fois Eustache parti, v. 1847-1851. Le connétable, son voisin de table et tous les commensaux y empêtrent leurs dents, v. 1849-1874. La lettre de revendication rédigée par Eustache, v. 1843-1846, est découverte, et provoque la colère du comte, v. 1871-1882.
  151. Béroul, Le Roman de Tristan, v. 3913-3948.
  152. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 549-552.
  153. Ibid., v. 553-556.
  154. La Folie Tristan d’Oxford, v. 367-372.
  155. Ibid., v. 343-366.
  156. La Folie Tristan de Berne, v. 172-192.
  157. Ibid., v. 160.
  158. Ibid., v. 185-187.
  159. Ibid., v. 193.
  160. Le Roman de Tristan en Prose, 141, p. 541 : « Troiz jourz demora leanz Tristanz en tel maniere qu’il ot de sa dame quanqu’il vost, et ele de li autresi ».
  161. Thomas, Le Roman de Tristan, v. 560-564.
  162. Ibid., v. 565-568.
  163. La Folie Tristan d’Oxford, v. 575-576.
  164. La Folie Tristan de Berne, v. 282-287.
  165. Ibid., v. 520-528.
  166. La Folie Tristan d’Oxford, v. 904-918.
  167. Il existe également dans quelques chansons de geste peu ou prou contemporaines des textes français traitant de la matière de Cornouailles. Gaydon (éd. François Guessard et Siméon Luce, Paris, A. Franck, 1862 ; voir aussi l’éd. Jean Subrenat, Louvain, Peeters, 2007) montre ainsi Charlemagne accompagné du duc Naymes se déguisant en pèlerin pour espionner Thierry/Gaydon, auquel il fait la guerre. On relèvera l’esclavine qu’il revêt, le bourdon et l’écharpe (v. 9771-9776), et son visage barbouillé de suie (v. 9781). Mis en colère par les propos de Gautier (v. 9906-9919), il passe pour un dément que Gautier propose de ligoter (v. 9920-9934). Reconnu par Bertrand et Richier, les deux fils du duc Naymes, une rixe s’engage et ne cesse qu’à la révélation de son identité (v. 9955-10107). Le schéma général de la séquence comprend bien un travestissement primordial, une confrontation avec un détenteur de pouvoir et une révélation ultime de l’identité, mais l’on s’éloigne du corpus « cornouaillais » par l’absence de mélancolie amoureuse (le roi poursuit de sa vindicte haineuse Thierry) et par la position sociale réelle de Charlemagne, suzerain de Thierry. La problématique politique est, par ailleurs, totalement différente, l’empereur étant manipulé et corrompu par le lignage de Ganelon voulant venger l’exécution de ce dernier.
  168. Voir supra.
  169. Pour les origines de la matière de Cornouaille, voir Goulven Péron, « L’Origine du roman de Tristan », Bulletin de la société archéologique du Finistère, CLXIII, 2016, p. 351-370.
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EAN html : 9791030011364
ISBN html : 979-10-300-1136-4
ISBN pdf : 979-10-300-1137-1
Volume : 5
ISSN : 2743-7639
Posté le 23/05/2025
18 p.
Code CLIL : 3387; 4024 ; 3345
licence CC by SA

Comment citer

Levron, Pierre, « Tristan trickster, ou le picaresque avant le picaresque ? Enquête dans la matière de Tristan au XIIe et au XIIIe siècle », in : Darnis, Pierre, Drouet, Pascale, dir., Rogues & pícaros. Polygénèse de la picaresque dans l’Espagne et l’Angleterre médiévales et renaissantes, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, collection S@voirs humanistes 5, 2025, 43-62 [en ligne] https://una-editions.fr/tristan-trickster-le-picaresque-avant-le-picaresque [consulté le 23/05/2025].
Illustration de couverture • Détail de La diseuse de bonne aventure, George de la Tour, probablement années 1630, © Metropolitan Museum of Art.
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