Historique de la recherche
Les premières trouvailles de céramique du Bronze ancien et moyen datent de l’année 1836 quand, au lieu-dit du Mont de Musique à Renaix, des tombelles contenant de la céramique funéraire ont été fouillées par Edouard Joly1. Ces urnes ont été conservées dans la collection de l’ancien musée du Centenaire à Mons2. Au cours du XIXe siècle p.C. et dans la première moitié du XXe siècle p.C., les découvertes de poterie de cette période sont issues des fouilles de tombelles conservées dans certaines régions en Belgique comme les dites Ardennes flamandes et la Campine. Les contextes d’habitat de cette période et leur culture matérielle ne sont alors pas connus ou reconnus3.
L’étude scientifique n’a vraiment commencé qu’après la Seconde Guerre mondiale avec Sigfried De Laet de l’université de Gand. La fouille d’une tombelle au Kluisberg (com. de Ruien) avait livré une urne qu’il associait au groupe Deverel-Rimbury4. De Laet était aussi influencé par la recherche archéologique des Pays-Bas et l’introduction de la notion de culture de Hilversum par Willem Glasbergen5. En 1961 il publiait un article sur la genèse de la céramique de Hilversum en Belgique et aux Pays-Bas qu’il attribuait à une migration anglaise qui introduisait le style de céramique Deverel-Rimbury et évoluait vers un style local dit “Hilversum”6. Au cours du XXe siècle p.C., cette idée de migration et influence anglaise est remise en cause et l’hypothèse d’un développement autochtone s’introduit dans l’archéologie des Pays-Bas7. La recherche des dernières années a mis de nouveau l’accent sur les relations entre le sud de l’Angleterre, le Nord de la France et l’ouest de la Belgique et leurs influences mutuelles dans la culture matérielle8. Le projet interrégional “BOAT 1550 BC” a de nouveau montré les contacts intensifs dans la zone Manche – mer du Nord9. D’autre part, les archéologues aux Pays-Bas continuent à suivre le concept du développement indigène de la céramique de Hilversum10.
L’archéologie préventive et l’archéométrie : des nouvelles possibilités
Avant l’arrivée de l’archéologie préventive, la recherche de l’âge du Bronze s’était développée dans la Flandre occidentale et orientale grâce à la recherche des structures circulaires, vestiges archéologiques de tombelles du Bronze ancien et moyen. À cause de l’érosion, le tertre central des tombelles a disparu et seuls les fossés autour des monuments sont préservés11. Malheureusement, ces fouilles n’ont révélé que relativement peu de nouveaux éléments concernant la céramique de cette période parce que les dépositions des restes humaines étaient probablement au niveau du sol.
Le développement de l’archéologie préventive en Flandre a conduit à une augmentation spectaculaire de l’activité archéologique. Le nombre de sites du Bronze ancien et moyen s’est aussi accru, et avec lui, une meilleure connaissance, mais encore limitée en raison des trop rares découvertes, de la céramique de cette période.
Un autre apport vient de l’archéométrie, et particulièrement les datations radiocarbones. La possibilité de dater les os incinérés a livré un meilleur cadre chronologique absolu et de nouvelles perspectives sur la céramique du Bronze ancien et moyen12.
Les anciennes études de la céramique s’appuyaient surtout sur l’analyse typologique. Des nouvelles pistes de recherche comme l’étude de la chaine opératoire et des méthodes archéométriques comme les analyses pétrographiques et géochimiques offrent des possibilités autres même si elles restent encore peu utilisées dans l’étude de la céramique du Bronze ancien et moyen. Récemment, l’étude détaillée de la “fabric” de la céramique et des techniques de mise en forme a été appliquée sur les trouvailles du site d’Ename-Stuw13.
La transition du Néolithique final vers l’âge du Bronze ancien et moyen se caractérise par une diminution de la qualité technique et du raffinement de la céramique en comparaison avec les gobelets campaniformes. La céramique devient plus rugueuse avec comme dégraissant une chamotte grossière et parfois du silex concassé, du quartz ou des inclusions végétales. Les tessons sont majoritairement à paroi épaisse de plus de 10 mm. La cuisson est de style réductrice-oxydante avec une palette de couleurs différentes14. Les exemples d’une céramique plus fine sont rares, mais ces dernières années, ce type de céramique a néanmoins été révélé sporadiquement.
La céramique du Bronze ancien
L’âge du Bronze ancien est une période mal documentée par manque d’information archéologique. On constate également un faible nombre de datations radiocarbone pour cette période15. Certaines formes de gobelets attribués au Néolithique final peuvent perdurer jusqu’à la transition avec le Bronze ancien. La décoration d’empreintes d’ongles jumelées est connue au Néolithique final et surtout sur le type de céramique dite “potbekers” qu’on a trouvée sur plusieurs sites dans le bassin de l’Escaut (fig. 1.2)16, mais aussi dans l’est de la Belgique e.a. dans un contexte d’habitat à Lommel “Weijerkense Bergen”17. Ce type de décoration se rencontre également sur la poterie de l’âge du Bronze ancien et moyen, tant dans le nord de la France qu’aux Pays-Bas18.
Dans le bassin de l’Escaut, des fragments de céramique aux caractéristiques similaires de celles du groupe des urnes à décor plastique du nord de la France sont identifiés à Dentergem-Peperlabeek19, Roeselare20 et Ename-Stuw (fig. 2)21. Les motifs arciformes sont couramment rencontrés dans la céramique de la région avoisinante atlantique 22.
Le site Geistingen-Huizerhof dans l’est de la Belgique a livré une série de formes et décorations du Néolithique final-Bronze ancien avec, entre autres, un pot du groupe de céramique à décor barbelé, bien connu aux Pays-Bas, des fragments de céramique avec décoration d’empreintes d’ongles jumelées et aussi cordons arciformes en combinaison avec la décoration en barbelé, qui est rare dans cette région de la Belgique (fig. 3)23. La combinaison de la décoration en barbelé et des cordons arciformes est aussi documentée à Compiègne-Le Fond Pernant24.
La décoration de cordons sur les gobelets et ses dérivés existe pour la céramique du Néolithique final et du Bronze ancien et moyen. Le gobelet avec cordon horizontal et rainures peu profondes peut être comparé avec des trouvailles similaires dans des sites du nord-ouest de la France pour lesquels des urnes à décor plastique sont aussi attestées (fig. 1.1)25. Cette attribution à l’âge du Bronze ancien est confirmée par une datation radiocarbone sur un vase identique en Normandie26. Un pot moins raffiné mais aussi avec un cordon a été trouvé dans une inhumation à Rebaix – Couture-Saint-Vaast (région wallonne), il est daté du Bronze ancien par une datation radiocarbone sur un fragment de charbon de bois (fig. 4, tab. 1)27.
| Site | Matériel | Nr-laboratoire | Datation BP |
| Rebaix – Couture-Saint-Vaast | Bois | LV-2195 | 3666 ± 80 |
| Adegem – Verbranden Bos | Aulne | RICH-34025 | 3222 ± 24 |
| Aulne | RICH-34024 | 3060 ± 23 | |
| Aulne | RICH-34026 | 3015 ± 23 | |
| Kampenhout – Tritsstraat | Os incinére | SUERC-44813 | 3111 ± 35 |
| Aalter – Oostergem | Brindille | KIA-40864 | 3060 ± 30 |
| Boechout – Berthoutstraat | Os incinéré | RICH-24177 | 2761 ± 27 |
Le Bronze moyen : entre une céramique atlantique et continentale
L’information pour cette période provient essentiellement de la céramique funéraire des tombelles et occasionnellement des contextes d’habitat. La céramique se situe entre les styles associés Hilversum/Drakenstein et Deverel-Rimbury. L’urne biconique de Ruien-Kluisberg est décorée par un cordon horizontal avec des impressions digitées et montre, sur l’épaulement, des empreintes de corde en décor arciforme (fig. 5)28. Des parallèles sont répertoriés dans la céramique de style Hilversum dans la nécropole de Toterfout-Halve Mijl aux Pays-Bas29 mais aussi en France, au sein de la nécropole de Bucy-Le-Long/Missy-sur-Aisne30. Un autre fragment d’une urne biconique avec un cordon sur la carène et des impressions d’ongles a été trouvé dans le fossé d’un monument funéraire à Ursel-Rozestraat31.
D’autres formes ont un profil plus arrondi en forme de tonneau. Aux Pays-Bas, ce type de céramique est classée dans la culture de Drakenstein32. Dans la nécropole de Weelde-Hoogeindsche Bergen deux urnes montrent une décoration d’impression à la corde comme à Ruien (fig. 6)33. Dans l’habitat de Aalst-Rozendreef un rare fragment de tesson était aussi décoré avec une empreinte de corde34. D’autres urnes sont décorées d’un cordon à la transition col/panse comme à Brecht-Overbroek35 Weelde-Groenendalsehoef36 et Weelde-Hoogeindsche Bergen (fig. 6b) ou une combinaison de cordon avec impressions digitées comme par exemple Brecht-Overbroek37, Turnhout38 et Ravels-Poppel39.
(DAO : Nationale Dienst voor Opgravingen).
La céramique dans le bassin de l’Escaut montre à la fois des affinités avec les formes de Hilversum/Drakenstein, mais aussi avec la céramique de la région Manche – mer du Nord L’urne de Kruibeke avec un profil légèrement incurvé et un cordon avec impressions digitées (fig. 7) montre des parallèles avec la céramique de l’Île Tatihou, Braffais et Saint-Jean-des-Essartiers en Normandie40 et des sites dans le sud de l’Angleterre dans la région d’Essex comme Lodge Farm, St Osynth41 et Ardleigh42. L’influence culturelle du Deverel-Rimbury a déjà été reconnue dans les urnes de Renaix-Mont de la Musique qui ont été découvertes pendant des fouilles de la première moitié du XIXe siècle p.C. Ces urnes se caractérisent par des formes simples avec des profils droits ou cylindriques43.
Les datations radiocarbone sur des os incinérés ont également révélé des résultats inattendus quant à notre connaissance de la céramique du Bronze moyen. Une datation sur une tombe à crémation sur le site de Kampenhout-Tritsstraat a livré un résultat dans le Bronze moyen B pour une tasse légèrement ouverte à paroi rectiligne (fig. 4, tab. 1). Le traitement de finition de la paroi est encore rugueux avec des fragments de chamotte clairement visibles (fig. 8). Pour le moment, il s’agit de la date la plus ancienne connue pour une tasse de ce type en Belgique. Traditionnellement, l’apparition des tasses dans le répertoire de la céramique est attribuée au début de l’âge du Bronze final44.
(DAO : Vlaams Erfgoed Centrum).
Sur le site d’Aalter-Oostergem une urne à profil ovoïde, bord arrondi et des anses sur la partie supérieure est aussi datée du Bronze moyen grâce à une datation radiocarbone (fig. 4, tab. 1). Cette forme rappelle le style des bucket urns du groupe culturel Deverel-Rimbury en Angleterre. D’autres exemplaires de cette forme sont présents dans la nécropole d’Aalter et aussi à Massemen dans le bassin de l’Escaut témoignant d’un lien vers le répertoire de poterie atlantique45. Une fouille récente a permis la découverte d’une autre urne de ce type avec une panse un peu plus arrondie46. La datation radiocarbone situe l’urne au Bronze final suggérant que cette forme perdure dans le répertoire typologique de la céramique (fig. 4, tab. 1).
Dans une tombe à crémation à Adegem-Verbranden Bos, un bol avec un col droit a été découvert (fig. 9). Les datations radiocarbone situent la tombe au Bronze moyen (fig. 4, tab. 1)47. C’est un type de céramique moins connu dans la région au Bronze moyen. Une forme similaire est identifiée dans un silo du site de Lauwin-Planque, associée à de la céramique Deverel-Rimbury48. D’autres céramiques similaires proviennent d’un contexte domestique sur le site de Brébières-Les Béliers49.
(DAO : J. Hoorne).
La céramique d’habitat est moins connue compte tenu des rares trouvailles de fragments de poterie dans les sites. Le nombre de tessons par contexte est traditionnellement bas pour les sites d’habitat en Belgique. Cette céramique ressemble aux urnes funéraires trouvées dans les tombelles avec des formes en seau et éventuellement à bord rentrant. Les décorations sont aussi identiques avec des cordons et impressions digitées ou décors à l’ongle sur les lèvres, la panse ou les cordons eux-mêmes (fig. 10)50.
(DAO : Agentschap Onroerend Erfgoed).
Conclusion
Notre connaissance de la céramique du Bronze ancien et moyen a progressé ces dernières années grâce aux fouilles préventives et à l’apport des datations radiocarbone. Néanmoins, des lacunes dans nos connaissances subsistent. La céramique de cette période dans le bassin de la Meuse en Belgique trouve plutôt des parallèles avec la céramique Hilversum/Drakensein aux Pays-Bas, alors que celle découverte dans le bassin de l’Escaut témoigne également d’une tradition atlantique. Pour mieux comprendre la production de cette céramique des études typo-technologiques et archéométriques sont nécessaires et doivent se poursuivre dans le futur.
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Notes
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