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L’histoire relève aujourd’hui de ce que nous appelons les sciences humaines. Cette discipline s’est forgée, particulièrement au cours du XXe siècle, des outils d’analyse qui lui permettent de viser à l’objectivité, ainsi qu’à la recherche d’une forme de vérité dans l’étude, la reconstitution, la compréhension du passé.

Dans l’Antiquité en revanche, l’histoire était considérée comme un genre littéraire. À ce titre, nous l’imaginons donc davantage liée à la fiction, voire au mensonge. De fait, l’écriture historique ne se fait pas alors sans une intervention forte de l’historien dans son texte (variable cependant d’un auteur à l’autre). Ses prétentions sont doubles : il s’agit pour lui d’écrire une œuvre qui plaise à son lectorat, et qui rivalise avec celles de ses prédécesseurs ; il s’agit aussi de faire résonner le passé dans le monde présent, et de conférer au propos historique une portée éducative, moralisatrice, parfois politique.

Pour autant, ce travail de composition historique n’est pas exempt d’un souci de vérité, ce dont témoigne le terme d’“histoireˮ : le verbe ίστορέω renvoie en effet à la quête d’informations et à la recherche du savoir, en d’autres termes à une enquête. Pour l’historien romain, cette enquête se mène particulièrement dans les sources que constituent les œuvres historiques de ses prédécesseurs, particulièrement grecs et hellénistiques. Pour qui s’intéressait à Alexandre le Grand, le choix des sources était grand, entre les nombreux récits de l’expédition que relatèrent bien des Compagnons du roi macédonien, et les Histoires d’Alexandre qui fleurirent tout au long de l’époque hellénistique.

Concernant les livres 11 et 12 des Histoires philippiques, précisément consacrés à la geste du Conquérant, il faut ainsi tenter de retrouver quelles purent être les sources utilisées pour la rédaction de cet ouvrage, et si possible leurs orientations propres. Ce n’est qu’au prix de ce travail que l’on pourra connaître la nature de l’œuvre de composition de l’historien, ainsi que la perspective qui était la sienne dans sa relation du passé. C’est en effet dans le respect des sources, et plus encore dans l’écart que l’historien assume avec elles, que l’on pourra percevoir sa singularité, et ainsi ses choix d’écriture et ses pensées.

La difficulté est double.

D’abord, nous n’avons conservé que de manière très fragmentaire les ouvrages des historiens hellénistiques consacrés à Alexandre. On ne peut dès lors en avoir une idée qu’en comparant de manière scrupuleuse tous ces fragments avec les œuvres des historiens plus modernes, dont le premier est Diodore de Sicile, et en comparant toutes ces œuvres entre elles.

Ensuite, c’est la nature même des Histoires philippiques qui pose problème. Celles-ci en effet furent écrites par un auteur gaulois, Trogue Pompée, probablement à la fin du premier siècle avant notre ère. Mais cette œuvre originelle est aujourd’hui presque complètement perdue, et nous n’en possédons peu ou prou que l’œuvre de Justin qui, plusieurs siècles plus tard, en fit ce que l’on appelle communément un abrégé. Il s’agit donc également de rechercher dans le texte les éléments qui sont le fait de Trogue Pompée, et ceux qui ont été transformés par Justin, pour comprendre quels furent les méthodes de travail et les enjeux de chacun des deux auteurs.

Les livres dont traite cette étude portent ainsi la marque de nombreux hommes de lettres et d’histoire, que cette introduction se proposera de présenter. Ils apportent des témoignages précieux sur un large champ temporel, depuis les sources hellénistiques jusqu’à Justin – dont on situe le travail, dans les datations extrêmes, au IVe siècle de notre ère – en passant par la fin de l’époque républicaine et le début du principat. C’est ainsi qu’ils invitent à la recherche des différentes images d’Alexandre que chaque période, chaque auteur avait construites, dans des contextes différents, imposant derrière le héros macédonien une vision particulière du monde et de ses dirigeants.

Les Histoires philippiques : une œuvre, deux auteurs

Quelques précisions sur Trogue Pompée

On trouve dans les sources antiques deux expressions pour qualifier Trogue Pompée : dans sa préface, Justin le présente comme un uir priscae eloquentiae1 (“un homme d’une éloquence antiqueˮ), tandis que Pline l’Ancien le désigne comme un auctor e seuerissimis2 (“un auteur parmi les plus austèresˮ). Dans les deux cas se retrouve l’idée d’un style sévère, éloquent mais sobre, dont témoignent les deux seuls fragments que nous ayons conservés de ses textes originels : un extrait de son De animalibus aujourd’hui perdu3 ainsi que des paroles rapportées de Mithridate, long discours cité verbatim par Justin au sein des Histoires philippiques4. À son propos, Justin expose d’ailleurs une véritable théorie littéraire développée par Trogue Pompée, qui montre l’attention que cet auteur portait à l’écriture historique et l’implication qui était la sienne dans ses écrits :

…[orationem] quam obliquam Pompeius Trogus exposuit, quoniam in Liuio et in Sallustio reprehendit quod contiones directas pro sua oratione operi suo inserendo historiae modum excesserint.

“Trogue-Pompée l’a rédigé en style indirect puisqu’il reprochait à Tite-Live et à Salluste d’être sortis des usages de l’histoire en insérant dans leurs œuvres des harangues en style direct au lieu de leurs propres compositions.ˮ5

Les nombreux emprunts de Pline6 à son traité sur les animaux, le fait que Justin a choisi d’abréger son œuvre historique, les reproches que Trogue Pompée adresse à Salluste et Tite-Live dont il pouvait se juger à tout le moins l’égal, attestent ainsi de son sérieux et de sa notoriété. Sa renommée se retrouve de fait dans d’autres témoignages tirés de l’Histoire Auguste qui associe par deux fois l’auteur des Histoires philippiques aux grands noms de l’historiographie latine7.

Cependant, bien que Trogue Pompée fût célèbre chez les Anciens, on n’a conservé aucune de ses œuvres scientifiques. Quant à ses Histoires philippiques, seuls les résumés de chacun de leurs quarante-quatre livres, appelés Prologues, dont l’auteur et la date nous sont inconnus, et l’Abrégé qu’en fit Justin nous sont parvenus.

On ne sait en outre que peu de choses sur sa vie, encore certaines sont-elles sujettes à discussion. Ce que l’on en connaît est à tirer de l’abrégé de son œuvre. À la fin du livre 43, consacré à la Gaule, nous est en effet livrée une digression sur les origines de Trogue Pompée :

In postremo libro Trogus : maiores suos a Vocontiis originem ducere ; auum8 suum Trogum Pompeium Sertoriano bello ciuitatem a Cn. Pompeio percepisse, patruum Mithridatico bello turmas equitum sub eodem Pompeio duxisse ; patrem quoque sub C. Caesare militasse epistularumque ac legationum, simul et anuli curam habuisse.

“À la fin de son livre, Trogue déclare que ses ancêtres sont originaires du pays des Voconces ; son grand-père, Trogue Pompée, explique-t-il, avait reçu la citoyenneté de Cn. Pompée lors de la guerre contre Sertorius, son oncle paternel avait commandé des escadrons de cavaliers, sous les ordres du même Pompée, dans la guerre contre Mithridate, son père aussi avait servi sous C. César, avait occupé la charge de secrétaire, avait pris part à quelques ambassades, et avait eu la garde du sceau de César.ˮ9

Les indications les plus précises portent sur la famille de Trogue Pompée. On s’accorde ainsi à voir dans celle-ci une famille appartenant à l’élite voconce, vivant certainement à Vaison-la-Romaine, capitale de ce peuple. Elle reçut la citoyenneté romaine accordée par Pompée lors de la guerre qu’il mena contre Sertorius en Espagne, soit entre 77 et 72, date de l’assassinat de l’ennemi de Rome. De ce passage, B. Mineo tire la conclusion, que nous partageons, que le père de Trogue Pompée avait servi sous Jules César lors de la guerre des Gaules10, qu’il “aurait été un contemporain de Tite-Live, et aurait écrit sous Auguste puis sans doute sous Tibère.ˮ11.

On a également cherché dans l’œuvre des éléments permettant de dater la mort de Trogue Pompée, ou en tout cas la date de la fin de la rédaction des Histoires philippiques. L’événement le plus tardif relaté semble être la chute des Sarauques en 6 p.C., que l’on trouve dans le prologue du livre 42. Ainsi, “la date de 9 AD donnée par l’auteur médiéval Madulfus de Diceto pour la mort de Trogue Pompée pourrait ne pas être très éloignée de la véritéˮ12.

Quelques précisions sur l’œuvre

Le titre même de l’œuvre est disputé. Les manuscrits des familles τ et π transmettent Liber Historiarum Philippicarum et totius mundi origines et terrae situs, soit le Livre des Histoires philippiques, les origines du monde entier et les régions de la terre13. Trogue Pompée en effet, comme le montrent les Prologues, semble ne jamais manquer une occasion de revenir dans des digressions (in excursu) aux origines de tel ou tel peuple14. D’un point de vue chronologique, il remonte en outre à la plus haute Antiquité, depuis le légendaire Ninos (a Nino rege peut-on lire dans le Prologue du livre 1), pour finir avec Auguste (Caesar Augustus est ainsi le dernier sujet de la dernière phrase de l’Abrégé). Certains cependant préfèrent le titre plus simple Historicarum Philippicarum libri XLIV15.

Quel que soit le titre choisi cependant, il semble évident qu’il mettait l’accent sur la notion d’“histoires philippiquesˮ. Pour comprendre cette expression, il convient de citer ici la préface de Justin qui permet de cerner l’entreprise de Trogue Pompée :

Cum multi ex Romanis etiam consularis dignitatis uiri res Romanas Graeco peregrinoque sermone in historiam contulissent, seu aemulatione gloriae siue uarietate et nouitate operis delectatus uir priscae eloquentiae, Trogus Pompeius, Graecas et totius orbis historias Latino sermone conposuit, ut, cum nostra Graece, Graeca quoque nostra lingua legi possent : prorsus rem magni et animi et corporis adgressus ! Nam cum plerisque auctoribus singulorum regum uel populorum res gestas scribentibus opus suum ardui laboris uideatur, nonne nobis Pompeius herculea audacia orbem terrarum adgressus uideri debet, cuius libris omnium saeculorum, regum, nationum populorumque res gestae continentur ? Et quae historici Graecorum, prout commodum cuique fuit, inter se gratiose occupauerunt, omissis quae sine fructu erant, ea omnia Pompeius diuisa temporibus et serie rerum digesta conposuit. Horum igitur quattuor et quadraginta uoluminum–nam totidem edidit-, per otium quo in Vrbe uersabamur, cognitione quaeque dignissima excerpsi…

“Alors que de nombreux Romains, parfois même de rang consulaire, avaient déjà écrit l’histoire de Rome en grec, recourant ainsi à une langue qui leur était étrangère, Trogue Pompée, un auteur d’une éloquence antique, soit qu’il voulût rivaliser avec leur gloire soit qu’il eût été séduit par la nouveauté et l’originalité de ce projet, composa une histoire de la Grèce et du monde entier en latin, afin que l’on pût également lire dans notre langue les actions de la Grèce, tout comme on pouvait le faire des nôtres en grec, une entreprise requérant une très grande énergie de travail. De fait, quand la plupart des auteurs se limitant à écrire l’histoire d’un roi ou d’un peuple pensent réaliser là une tâche d’une extrême difficulté, ne devons-nous pas penser, pour notre part, que Pompée s’est attaqué à l’univers avec une audace herculéenne, lui dont les livres contiennent le récit historique de tous les siècles, de tous les rois et de tous les peuples ? Quant aux sujets que les historiens grecs ont traités à part, en procédant comme il convenait à chacun, en laissant de côté les faits sans conséquence, Pompée, lui, les a tous rassemblés en respectant les divisions chronologiques et en répartissant les séquences événementielles. Parmi donc ses quarante-quatre livres (c’est le nombre qu’il a publié), j’ai constitué à loisir, tandis que je séjournais à Rome, un recueil de tout ce qui se prêtait le mieux à l’instructionˮ…16

On trouve ici développé un projet d’une histoire universelle, souligné dans plusieurs expressions telles que orbem terrarum adgressus, cuius libris omnium saeculorum, regum, nationum populorumque res gestae continentur et surtout totius orbis historias. Cependant, comme nous l’avons dit, ce projet n’est pas exactement celui qui a été mené, et Justin, dans l’éloge qu’il fait de l’entreprise de Trogue Pompée17, exagère les dimensions que l’œuvre se donne. On pourrait d’ailleurs émettre l’hypothèse que c’est cette expression totius orbis qui fut reprise en totius mundi dans le titre donné par certains manuscrits. Mais si cette histoire n’est pas absolument universelle, il est vrai qu’elle couvre les actions de nombreux “siècles, rois, nations et peuplesˮ. Cela renvoie à la structure même de l’œuvre et ainsi au projet exact de l’historien.

Celui-ci s’inscrit dans les traces d’histoires universelles tournées vers la Grèce18, ce que montre bien l’expression apparemment paradoxale Graecas et totius orbis historias Latino sermone conposuit. Ainsi il marche sur les traces, par exemple, de Diodore de Sicile qui commence en effet sa préface par un éloge de “ceux qui écrivent les histoires universellesˮ (τοῖς τὰς κοινὰς ἱστορίας πραγματευσαμένοις). Ce recentrage sur les mondes grec et hellénistique permet de justifier en partie le titre Historiarum philippicarum par la référence à Philippe II de Macédoine, personnage évidemment important de l’histoire grecque. Dans cette mesure, le titre apparaît aussi comme un écho aux Histoires Philippiques de Théopompe, orateur et historien mort en 323 a.C. Dans cet ouvrage en cinquante-huit livres, son propos ne se serait pas concentré sur Philippe II mais un goût prononcé de la digression l’aurait mené à considérer d’autres époques, d’autres personnages, d’autres lieux, au point que son histoire fut considérée elle-même comme une histoire universelle.

Les références au monde entier, aux siècles, rois, nations et peuples tiennent d’une autre tradition historique : celle de la succession des empires, présente dès les Histoires d’Hérodote. Un empire laisse selon ce principe toujours sa place à un autre, et se sont ainsi succédé les empires assyrien, mède, perse, macédonien et romain19. Selon J. E. Atkinson, cette idée se trouvait revitalisée lors des changements d’empire, et c’est à l’époque augustéenne, au moment où Trogue Pompée aurait écrit, que Rome serait apparue comme le successeur de l’empire macédonien et des monarchies hellénistiques qui lui ont survécu20. C’est parce que l’accent est mis sur cette translatio imperii que la chronologie de l’œuvre s’appuierait selon J.  C. Yardley essentiellement sur la longueur des règnes et les temps qu’ont duré les empires21.

Dans le cadre de cette structure, l’empire macédonien prend une importance capitale. De fait, si la succession des empires est nette, chacun n’est pas développé de manière égale. Le livre 1 à lui seul passe ainsi en revue les empires assyrien, mède et perse. Les livres 2 à 6 quant à eux s’intéressent aux Scythes, à la Sicile et surtout à la Grèce et aux guerres médiques, ce qui assure la cohérence du projet de Trogue Pompée. Celui-ci en vient à la Macédoine au livre 7, de ses origines à la prise de Mothone par Philippe. Les livres 8 et 9 lui sont ensuite consacrés.

Par ses déplacements, par les guerres qu’il mena, Philippe y apparaît comme la figure du roi conquérant qui amorce la domination de la Macédoine sur le monde. Il permet d’unir les différents territoires abordés par Trogue Pompée et de serrer les nœuds de cette histoire universelle, d’abord avec la Grèce (Phocide, Thrace, Thessalie, bataille de Chéronée), mais aussi la Scythie déjà évoquée au livre 2, et naturellement la Perse contre laquelle il projetait une guerre, ce qui donne lieu, au livre 10, à un nouveau développement sur l’histoire de cet empire, en miroir du livre 7 sur la Macédoine. Philippe est ainsi celui qui a posé les bases d’un nouvel empire et cet empire, ce sera son fils, Alexandre le Grand, qui le conquerra22.

Cette conquête est l’objet des livres 11 et 12 qui ont donc une place majeure dans les Histoires philippiques puisqu’ils sont ceux du changement de domination entre les empires perse et macédonien, et puisque le traitement des Macédoniens est particulièrement développé par rapport aux autres empires évoqués. Ces livres sont d’ailleurs, dans l’Abrégé laissé par Justin, les plus longs des quarante-quatre livres résumés après le livre 2, et même si Justin a pu vouloir moins les réduire tant les faits qu’ils rapportent étaient célèbres, il n’est pas nécessaire de douter qu’il n’en était pas ainsi dans le texte d’origine. Si l’on ajoute à cela le fait que la plupart des livres suivants sont consacrés aux diadoques, aux épigones et aux royaumes hellénistiques23, rejetons de l’immense empire créé par Alexandre, on comprend l’importance de l’empire macédonien dans l’œuvre. Il en est le centre, il en assure la cohérence, il y projette les nombreuses ramifications de sa descendance et ne disparaîtra qu’avec l’expansion de l’empire romain, évoqué à la toute fin de l’œuvre24. Ainsi, puisque cet empire est d’abord dû à Philippe, le nom d’Histoires philippiques ne semble pas usurpé25.

En plus d’insister sur la nouveauté que constitue pour lui cette histoire universelle, dont on vient de préciser les contours, Justin souligne aussi dans sa préface la diversité et la nouveauté de l’ouvrage (uarietate et nouitate operis). On la trouvera sûrement, pour ce qui est de la nouveauté, dans l’usage de la langue latine (Latino sermone), alors que l’histoire était d’abord écrite en Grec, même l’histoire de Rome26. Pensons par exemple aux Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse. Cette originalité se double du fait que cet ouvrage historique, écrit en latin, est centré sur la Grèce, comme Justin le souligne fortement au début de sa préface.

C’est en cela que les Histoires philippiques apparaissent comme une sorte de pendant à l’Histoire romaine de Tite-Live, composée en latin, probablement, nous l’avons vu, à la même époque. C’est P. Jal qui le premier a formulé cette hypothèse : pour lui, la nouveauté de Trogue Pompée fut d’écrire en latin une œuvre ne développant pas les “res Romanas auxquelles, précisément, Tite-Live, comme il le répète avec insistance, voulait se limiterˮ27 au point que notre auteur passe sous silence ce que l’historien padouan avait raconté. Récemment, B. Mineo a renforcé le lien entre les deux œuvres, celle de Trogue Pompée étant à ses yeux “parallèleˮ de celle de Tite-Live. Et d’affirmer de manière tout à fait judicieuse : “Tite-Live décrit l’évolution du monde Romain jusqu’à Actium et au début du principat en restant centré sur Rome […]. Trogue Pompée fera du monde hellénistique le centre de son récit […]. Géographiquement les deux projets se complètent.ˮ28 J. C. Yardley affirme de même, en s’appuyant sur l’étude du langage des deux auteurs, qu’il y a des similarités trop proches pour relever de la coïncidence, et qu’ils durent s’influencer réciproquement29. A. Borgna30 enfin estime que les deux auteurs avaient conscience de la complémentarité de leurs œuvres, et qu’ils s’efforçaient ainsi de ne pas empiéter sur les domaines historiques l’un de l’autre.

Justin

Une grande part de flou

Pourtant nous ne lisons pas directement les mots de Trogue Pompée lorsque nous lisons les Histoires philippiques, mais ceux de Justin. Celui qui est souvent considéré comme son abréviateur est un personnage peu connu, à propos duquel une recherche active tente de lever certains mystères.

Son nom même n’est pas identifié de manière certaine. Seuls les manuscrits C et D donnent le nom de l’auteur, au génitif. Ainsi son nom serait Iunianus (ou Iunianius) Iustinus.

Son origine est elle aussi soumise à discussion, rien n’étant sûr à ce sujet. La seule chose qui semble certaine, c’est que Justin n’était pas romain, mais qu’il a séjourné dans l’Urbs pendant quelque temps. Comme toujours, c’est dans le texte même des Histoires philippiques que l’on trouve les indications les moins soumises au doute. On lit en effet dans la préface que Justin a travaillé à son œuvre per otium quo in Vrbe uersabamur (“pendant le temps de loisir que nous passions à Romeˮ). On peut légitimement en tirer la conclusion qu’il n’y était que de passage, et qu’il appartenait à quelque délégation, d’où l’usage de la première personne du pluriel.

Mais alors d’où venait-il ? Bien des hypothèses ont été émises : pour les uns, il serait gaulois31 ; pour d’autres, il serait originaire des rives nord-ouest de la mer Noire32 ; pour d’autres encore, hypothèse peut-être la plus solide, il viendrait d’Afrique du Nord33. D’autres chercheurs ont développé d’autres arguments, qui trouvent toujours leurs contradicteurs34. Il convient donc d’observer la plus grande prudence, et peut-être de reconnaître, avec J.C. Yardley (1997, 10) et B. Mineo (2016, XLV), notre ignorance sur ce sujet.

Dernier point de débat, peut-être le plus crucial : la question de la datation de l’œuvre, et ainsi de la période où vécut son auteur. Et à nouveau, la plus grande prudence est de mise. En effet, en l’absence de preuve définitive tirée du texte, de très nombreuses conjectures ont à nouveau été formées35. Notons cependant un élément certain : la citation de Justin par Jérôme, la plus ancienne dont nous disposions36. Cet auteur ayant vécu entre 345 et 420, nous disposons d’un vague terminus ante quem. Ce témoignage est l’un des éléments sur lesquels s’appuient les tenants d’une datation haute, situant l’activité de Justin à la fin du IVe siècle37.

Pourtant on a longtemps vu dans le début du livre 41 un autre terminus ante quem tout à fait crédible, posant une datation basse de la rédaction des Histoires philippiques par Justin. On peut en effet y lire : Parthi, penes quos uelut diuisione orbis cum Romanis facta nunc Orientis imperium est38 (“Les Parthes, au pouvoir desquels est aujourd’hui l’empire d’Orient, comme si le monde avait été partagé avec les Romainsˮ). Ainsi, comme le fait remarquer J. C. Yardley (1997, 11-13), cela poserait une datation antérieure à 226-227, date à laquelle les Sassanides font au détriment des Parthes un nouvel empire perse qui durera jusqu’en 65139.

Enfin, A. Borgna (2018, 123-127) propose une date médiane. Comparant un passage de Justin à un extrait de Nazarius40, elle fixe un terminus ante quem situé en 321. Elle note par ailleurs que le lectorat de cette période paraît plus cohérent avec la forme de l’épitomé que celui de la fin du IVe siècle, en ce qui concerne notamment l’absence de dates.

On le voit, Justin reste un auteur très mystérieux, dont toutes les recherches, pour ingénieuses et sérieuses qu’elles soient, ne peuvent pour l’instant permettre de conclure de manière certaine ni l’origine, ni précisément l’époque. La nature de son travail, elle, semble offrir davantage de certitudes.

Son travail

Citons à nouveau la préface de Justin où son projet est exposé :

Horum igitur quattuor et quadraginta uoluminum–nam totidem edidit -, per otium quo in Vrbe uersabamur, cognitione quaeque dignissima excerpsi, et omissis his, quae nec cognoscendi uoluptate iucunda nec exemplo erant necessaria, breue ueluti florum corpusculum feci ut haberent et qui Graece didicissent, quo admonerentur, et qui non didicissent, quo instruerentur. Quod ad te non cognoscendi magis quam emendandi causa transmisi, simul ut otii mei, cuius et Cato reddendam operam putat, apud te ratio constaret. Sufficit enim mihi in tempore iudicium tuum : apud posteros, cum obtrectationis inuidia decesserit, industriae testimonium habituro.

“Donc, de ces quarante-quatre volumes — c’est en effet le nombre qu’il a publié —, j’ai extrait, au cours des loisirs que nous passions à Rome, ce qui était le plus digne d’être connu, et, ayant omis ce qui n’était ni attrayant à apprendre, ni indispensable comme exemple, j’ai fait un bref recueil, un florilège pour ainsi dire, afin que ceux qui avaient fait des études en grec l’aient pour se rafraîchir la mémoire, et que ceux qui n’ont pas fait ces études l’aient pour s’instruire. Ce recueil, je te l’ai fait remettre, non pas tant pour t’apprendre quelque chose que pour que tu le corriges, en même temps que pour établir auprès de toi le bilan de mes loisirs, ces loisirs dont Caton aussi pense qu’il faut rendre compte. Il me suffit en effet, pour le présent, de ton jugement : auprès des générations à venir, quand la malveillance de l’esprit de dénigrement aura disparu, j’aurai un témoignage de mon activité.ˮ41

La première remarque à faire porte sur la fin de la préface : Justin s’adresse au destinataire de son œuvre désigné par la deuxième personne, peut-être le patron dont il était le client, ou une autorité intellectuelle avec laquelle il entretenait des relations, pour lui rendre compte de la manière dont il a occupé son temps de loisir (otium), et pour lui donner les raisons pour lesquelles il lui envoie son texte : “non pas tant pour t’apprendre quelque chose que pour que tu le corrigesˮ. Il reconnaît donc la culture de son lecteur, et lui demande des corrections (emendandi causa), preuve, s’il a pu commettre des erreurs qu’il conviendrait de corriger, qu’il a travaillé le texte de Trogue Pompée, et ne s’est pas livré à une simple compilation d’extraits.

C’est en effet pourtant ainsi qu’il tend à présenter au début son travail : il assure avoir fait des choix dans le texte des quarante-quatre livres de l’historien gaulois, choix assumés par l’usage de la première personne, conservant (excerpsi) certains passages, en retranchant (omissis) d’autres. L’image qu’il emploie lui-même et qui nous est aujourd’hui très familière, celle du petit florilège (florum corpusculum), est à ce titre également un peu trompeuse, comme l’a souligné P. Jal : nous n’avons pas affaire à une anthologie, à une compilation d’extraits jugés remarquables pour telle ou telle raison, alignés sans lien entre eux les uns après les autres, mais bien à un texte continu, entièrement réécrit par Justin qui, comme nous l’avons déjà dit, annonce citer Trogue Pompée lorsqu’il le reprend verbatim au livre 38. Il s’agit ainsi d’“une sorte d’adaptation abrégée, une présentation raccourcie et (sans doute) fortement arrangée des Histoires philippiques de Trogue-Pompée.ˮ42

Ce texte n’est pas un florilège, et pas non plus un abrégé, un résumé point par point des développements de Trogue Pompée. On observe en effet de grandes différences de longueur entre les livres, et Justin a pu passer sous silence des parties entières de certains d’entre eux qu’il jugeait de moindre intérêt, et si la taille importante des livres 2, 11 et 12 atteste du fait que peu de matière a dû être retranchée, celle du livre 40 réduit à une page et demie montre que la coupe fut claire dans le texte d’origine. Sans doute alors le terme d’épitomé serait le moins impropre pour rendre compte de la nature de l’œuvre de Justin.

Ce n’est ainsi pas pour rien que, à ses yeux, l’essentiel de son travail semble avoir consisté dans les choix qu’il a opérés. Il nous donne lui-même les critères qu’il s’était fixés : il garde le texte propre pour lui à créer une œuvre divertissante (uoluptate iucunda) et enrichissante (exemplo, admonerentur, instruerentur). On voit dès lors Justin animé du souci rhétorique traditionnel du docere et du placere.

Un autre moyen d’analyser ses choix est de mettre en regard le texte légué par Justin et les Prologues des Histoires philippiques43. On observe dès lors que notre auteur a mis de côté les digressions trop savantes, les événements jugés trop anciens, les données ethnographiques ou les histoires des peuples et des cités, de nombreux événements politiques et militaires estimés certainement moins importants. Ces sélections ont donc créé un certain déséquilibre dans l’œuvre originelle, puisqu’elles ont diminué la part des données sérieuses du travail historique, des analyses politiques, au profit de scènes aptes à émerveiller, apitoyer, horrifier les lecteurs, visiblement plus enclins à découvrir les perversions des différents acteurs de ces Histoires que d’approfondir les données géopolitiques de ces époques44. Il en va ainsi d’Alexandre aux livres 11 et 12, dont jamais n’est vraiment évoquée l’ambition politique et civilisationnelle, mais dont on connaît tous les hauts-faits, mais aussi les vices et les actes cruels.

Le prologue du livre 11 atteste bien de ce type de sélection.

Vndecimo uolumine continentur res gestae Alexandri Magni usque ad interitum regis Persarum Darii, dictaeque in excessu origines et reges Cariae.

“Dans le onzième volume sont contenus les exploits d’Alexandre le Grand jusqu’à la mort du roi des Perses Darios, et on parle dans une digression des origines et des rois de la Carie.ˮ45

Dans ce livre, si les exploits – et les actes fautifs – d’Alexandre semblent avoir été conservés pour la plupart, offrant autant d’exempla, la digression (excessu) sur les rois de Carie a disparu : trop savante, trop ancienne pour appartenir au texte digne d’être connu, du point de vue de Justin, selon l’expression employée dans la préface (cognitione quaeque dignissima).

Ce goût des exemples et cette indifférence aux choses érudites nous invitent à penser que Justin était certainement un orateur. Et c’est peut-être d’ailleurs certainement le talent oratoire de Trogue Pompée qui le toucha, davantage que son propos historique, puisqu’il le présente dans sa préface comme “un homme d’une éloquence ancienneˮ (vir priscae eloquentiae).

Nous rejoignons ainsi tout à fait dans leurs analyses des chercheurs tels que P. Jal et J.C. Yardley. Le premier affirme que Justin était “plus rhéteur qu’historienˮ46 et souligne notamment, dans une démonstration très convaincante47, que Justin se prend régulièrement pour l’auteur des Histoires philippiques, par exemple parce qu’il emploie très fréquemment la première personne48, voulant manifestement écrire une œuvre qui fût autonome et qui fût reconnue comme la sienne, projet que met clairement en évidence la fin de la préface. P. Jal établit en outre une comparaison entre Florus et Justin, mettant en parallèle la volonté de Florus affirmée au paragraphe 3 de sa préface d’user de la technique des peintres (faciam quod solent qui terrarum situs pingunt) et de condenser (amplectar) l’œuvre de Tite-Live “dans une sorte de petit tableauˮ (in breui quasi tabella), et celle de Justin qui, à partir de l’œuvre de Trogue Pompée, entend créer “comme un petit bouquet de fleursˮ (breue ueluti florum corpusculum). Sa conclusion est digne d’être rapportée : “Avec Florus et Justin, nous avons affaire beaucoup moins à des ‘épitomateurs’ qu’à des écrivains peintre et fleuriste, donc à des artistes.ˮ J. C. Yardley va encore plus loin dans son analyse. En plus d’affirmer lui aussi le caractère autonome de l’œuvre de Justin, il pousse le lien avec Florus jusqu’à affirmer que son but était de faire avec le texte de Trogue Pompée, complémentaire comme on l’a vu du texte de Tite-Live, ce que Florus avait fait avec le texte de l’historien padouan quelques décennies avant lui49. Sa conclusion mérite elle aussi d’être citée, qui définit ainsi le travail de Justin : “reproduce, in his own words–but often reflecting his original, as was normal–the corpus of Trogus as an unified work, omitting what was not of interest to his readership and concentrating on items that would interest the orator.ˮ

Son public était en effet probablement celui des écoles de rhétorique, avide d’exemples et d’anecdotes telles qu’on les trouve dans les Histoires philippiques, et qui devait trouver son plaisir dans le style travaillé de notre auteur.

Justin et l’écriture de l’histoire

Dès lors que l’on admet que Justin est un rhéteur, et non un historien, on comprend mieux le peu de cas qu’il fait de la chronologie, ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’intéresse pas à des effets de structuration de son propos50. Pour ce qui est des livres 11 et 12, ils commencent juste après la mort de Philippe en 336, lorsqu’Alexandre monte sur le trône, à vingt ans (erat hic annos XX natus, 11.1.9) et se terminent à la mort d’Alexandre peu avant ses trente-trois ans (decessit Alexander mense uno et annos tres et XXX natus, 12.16.1), avec une rapide conclusion sur sa grandeur. On cerne facilement la cohérence de l’ensemble, dont la durée totale s’étend sur près de treize années. Cette cohérence est accentuée par un changement de livre qui se fait après la mort de Darios III (330), ce qui partage la vie d’Alexandre en deux grandes périodes : les actions menées en Grèce et la prise de l’empire perse à Darios, puis la conquête de l’Inde et le retour à Babylone. On remarque le respect par Justin d’un principe d’écriture qu’il évoquait à propos de Trogue Pompée : ea omnia Pompeius diuisa temporibus et serie rerum digesta conposuit (“Pompée fit une composition de toute cette matière après l’avoir divisée selon les époques et ordonnée selon l’enchaînement des faitsˮ). L’historien gaulois a un évident souci de la chronologie, mais jamais dans l’épitomé conservé n’apparaissent de dates, qu’il s’agisse de consulat ou d’olympiade, telles qu’on les trouve chez Diodore et qu’Orose, qui utilise l’œuvre laissée par Justin, ajoutera. On trouve en revanche des notions de durée (de tel ou tel royaume, de tel ou tel règne) ou des âges de personnages importants, tels que nous venons de le voir pour ce qui concerne Alexandre51. En-dehors de ces deux âges extrêmes dans la vie d’Alexandre, correspondant donc au début et à la fin de son règne en raison de sa mort prématurée, on ne trouve dans les livres 11 et 12 aucune autre indication temporelle précise. Justin suit pourtant une progression chronologique, en balisant nettement les étapes du récit par des formules récurrentes52 : il se contente ainsi de juxtaposer les fleurs au fur et à mesure qu’il les cueille dans le texte d’origine.

De la même manière, le fait que Justin n’est pas (et ne se veut sûrement pas) un historien permet de mieux comprendre comment tant d’erreurs historiques ou d’approximations ont pu corrompre son texte, ce à quoi n’échappent pas les livres 11 et 12, comme l’a montré J. C. Yardley (1997, 39-40) par un relevé de toutes les maladresses qu’il a mises à jour53. Pourtant les listes de ce genre, si elles peuvent renseigner l’historien d’aujourd’hui et lui éviter de se laisser tromper, restent assez vaines en-dehors du fait qu’elles témoignent justement du peu d’importance que Justin accordait aux détails historiques54. Les confusions dans les noms propres, fréquentes et parfois assez dommageables pour la compréhension du texte, vont exactement dans le même sens.

À propos du style de Justin enfin, nous parlerions volontiers de compression narrative pour désigner non pas les ellipses, nécessaires au vu de sa démarche, mais son attachement à donner le plus d’actions et d’informations possible en un minimum de mots. Pour en rendre compte, prenons un exemple connu, celui du nœud gordien.

Igitur Alexander capta urbe, cum in templum Iouis uenisset, iugum plaustri requisiuit, quo exhibito, cum capita loramentorum intra nodos abscondita reperire non posset, uiolentius oraculo usus, gladio loramenta caedit atque ita resolutis nexibus latentia in nodis capita inuenit.

“Donc Alexandre, après la prise de la ville, alors qu’il s’était rendu au temple de Jupiter, réclama le joug du chariot ; on le lui présente et, comme il ne parvenait pas à retrouver les extrémités des courroies cachées à l’intérieur des nœuds, il observe l’oracle de manière passablement violente, tranche de son glaive les courroies, et, une fois les nœuds ainsi défaits, trouve les extrémités dissimulées dans les nœuds.ˮ55

Les informations de ce court passage sont très nombreuses, en huit étapes, que l’on retrouve peu ou prou chez Quinte-Curce, pour citer l’autre auteur latin :

Circa regem erat et Phrygum turba et Macedonum, illa explicatione suspensa, haec sollicita ex temeraria regis fiducia, quippe series uinculorum ita adstricta, ut unde nexus inciperet quoue se conderet nec ratione nec uisu perspici posset ; soluere adgressus iniecerat curam ei ne in omen uerteretur irritum inceptum. Ille nequaquam diu luctatus cum latentibus nodis : « Nihil », inquit, « interest quomodo soluantur », gladioque ruptis omnibus loris oraculi sortem uel elusit uel impleuit.

“Autour de lui se pressait une foule de Phrygiens et de Macédoniens, les uns tenus en suspens par l’attente, les autres inquiets de la téméraire confiance du roi. En effet, cette suite de nœuds était formée avec tant d’art, que ni l’œil ni l’esprit n’en pouvaient découvrir le commencement ou la fin ; et la résolution hardie de la dénouer risquait, en échouant, d’être tournée en un fâcheux présage. Après avoir lutté un instant contre cet entrelacement mystérieux : ‘N’importe, dit-il, comment on le défasse’, et, rompant tous les liens avec son épée, il éluda ou accomplit le sens de l’oracle.ˮ56

Voici une comparaison des informations données dans ces deux extraits assez proches :

  • Prise de la ville de Gordion : capta urbe (Justin) / urbe in dicionem suam redacta (Quinte-Curce)
  • Entrée dans le temple de Jupiter : cum in templum Iouis venisset / Iouis templum intrat
  • Requête : iugum plaustri requisiuit / ø
  • La découverte : quo exhibito / uehiculum aspexit
  • Les essais infructueux : cum capita loramentorum […] reperire non posset / luctatus cum latentibus nodis
  • La coupe : gladio loramenta caedit et resolutis nexibus / gladioque ruptis omnibus loris
  • L’interprétation de l’oracle : usus uiolentius oraculo / uel elusit uel impleuit
  • La découverte des liens : inuenit / ø

On observe ainsi un même déroulement de la scène, avec cependant plus d’informations du côté de Justin, et des redoublements, notamment pour la coupe du nœud, élément essentiel de cette anecdote. Or il est étonnant de constater que tout cela est exprimé en une seule phrase et trente-huit mots par Justin (contre deux phrases – sans tenir compte des paroles d’Alexandre – et soixante-dix mots chez Quinte-Curce). Notre auteur fait appel à des procédés d’écriture qui lui sont habituels pour contracter son texte au maximum. On dénombre ainsi dans ces quelques mots et cette unique phrase trois ablatifs absolus, deux propositions circonstancielles au subjonctif introduites par cum, une proposition relative (dont le pronom relatif est qui plus est le sujet d’un des ablatifs absolus) et un participe apposé !

Cette compression des données se fait donc en passant par un style ici et là assez compact, parfois lourd. Cet extrait chez Justin manque ainsi un peu d’ampleur, surtout si on le compare avec celui de Quinte-Curce qui dramatise son texte, en insistant de son côté sur le regard de l’assistance, sur les enjeux du dénouement du nœud, et en reproduisant les paroles d’Alexandre au discours direct. C’est que les deux auteurs ne partagent pas le même objectif : Justin s’emploie de fait, aussi bien dans les choix qu’il fait que dans le travail de son écriture, à composer un épitomé, non une histoire romancée.

La place des Histoires philippiques dans les Histoires d’Alexandre

Tour d’horizon des sources existantes

Les livres 11 et 12 des Histoires philippiques appartiennent à une tradition plus large de textes historiques portant sur Alexandre le Grand, personnage fascinant dès son vivant et après sa mort. Il est un paradoxe souvent relevé à son sujet : il fait partie des grandes figures de l’humanité ; il a, dans sa courte vie, conquis l’un des plus grands empires qui fût et nous ne possédons, pour la connaître, que de textes écrits plusieurs siècles après sa mort.

Si nous retraçons à grands traits la vie du conquérant pour mieux nous repérer, on peut citer quelques dates importantes : en 356 naît Alexandre, fils de Philippe de Macédoine ; en 336 il monte sur le trône à la suite de l’assassinat de son père ; en 334 il mène son armée en Asie Mineure pour livrer la guerre au roi perse Darios III ; en 331 Darios est défait à la bataille de Gaugamèles et mourra peu après : Alexandre est le maître de l’Asie et poussera en Inde son expédition ; en 323 il meurt à Babylone, alors à la tête d’un empire qui s’étend de la Grèce et de l’Égypte à l’Ouest jusqu’aux terres au-delà de l’Indus à l’Est, de l’Arménie et de la Sogdiane au Nord à la mer d’Arabie au Sud57.

Or la première œuvre complète que nous possédions qui retrace ce destin exceptionnel est celle de Diodore de Sicile58, le livre 17 de sa Bibliothèque historique, composée au Ier siècle avant notre ère, peu avant celle de Trogue Pompée, mais environ trois cents ans après la mort de l’homme dont elle retrace la vie. Diodore a consacré, comme il l’affirme lui-même dans sa préface, trente années à la rédaction de cette œuvre d’histoire universelle, allant des temps mythiques à la guerre des Gaules qui lui fut contemporaine.

Parmi les œuvres grecques consacrées à Alexandre, citons également celle de Plutarque, qui a composé une Vie d’Alexandre dans ses Vies parallèles des hommes illustres, mise en regard de celle de César. Ces Vies parallèles auraient été écrites à l’époque de Trajan, au début du deuxième siècle de notre ère, dans les vingt dernières années de la vie de Plutarque, entre 96 et 12059.

L’Anabase d’Arrien60 fut quant à elle rédigée probablement à l’époque d’Hadrien, dont la faveur lui permit de mener une brillante carrière jusqu’au consulat, en 129 ou 13061. A. B. Bosworth (2008) développe même l’idée selon laquelle Arrien ne dissimule rien des défauts ou des mauvaises conduites d’Alexandre, tels que le port du costume perse ou sa volonté de conquête universelle, pour suggérer qu’Hadrien, dans la même position que lui, au sommet de la puissance, lui est supérieur.

Au nombre des textes grecs il faut encore ajouter le Roman d’Alexandre, sur lequel nous ne nous étendrons guère, tant le texte qui nous est parvenu a subi de transformations, et tant la légende tend à y prendre largement le pas sur l’histoire62.

De la même manière, nous ne nous intéresserons que peu à l’Épitomé de Metz63, opuscule anonyme transmis par un unique manuscrit détruit en 1944, autrefois conservé à Metz. La première partie de ce texte latin, qui date du IVe ou du Ve siècle de notre ère, s’intitule Alexandri Magni Macedonis Epitomae rerum gestarum liber I et traite du début de l’expédition indienne d’Alexandre, partageant pour l’essentiel la même source que Diodore et Quinte-Curce.

La deuxième partie, intitulée De Morte Testamentoque Alexandri Magni Liber, montre notamment les régicides en action, leurs plans et la manière dont ils donnèrent à trois reprises du poison à Alexandre. Elle contient des similitudes avec la fin du Roman d’Alexandre.

Autrement plus développées sont les Histoires d’Alexandre le Grand de Quinte-Curce, l’œuvre latine sans conteste la plus connue à ce sujet. Cet ouvrage composé de dix livres devait commencer avec l’accession au trône d’Alexandre et se termine par les divisions entre les généraux engendrées par la mort du roi. Cependant, seuls les livres 3 à 10 nous sont parvenus, émaillés de quelques lacunes parfois importantes. Le texte conservé débute ainsi à l’hiver 334, et l’on peut ensuite par exemple regretter, au livre 10, la disparition de toute la narration de la fin de la mutinerie d’Opis, de la mort d’Héphestion et du début de la maladie d’Alexandre rentré à Babylone. On ne sait en outre rien de son auteur, et si l’on s’accorde aujourd’hui à dater l’écriture des Histoires du Ier siècle de notre ère, il n’est rien de définitif en la matière64.

Les témoignages que nous possédons sur la vie d’Alexandre le Grand sont donc, nécessairement, des témoignages de seconde main. Les historiens, grecs ou latins, que nous connaissons, se sont appuyés sur des sources grecques plus anciennes, aujourd’hui presque complètement perdues65.

Les sources grecques fragmentaires

Les sources officielles

Les Anciens avaient à leur disposition deux ouvrages officiels extrêmement précieux : les Stathmoi66, journal des différentes étapes de l’expédition d’Alexandre rédigé par les Arpenteurs et, surtout, les Éphémérides royales67.

Les quelques extraits conservés de cette œuvre immense, qui devait consigner au jour le jour les événements importants de l’expédition et les occupations d’Alexandre, portent sur certaines habitudes du roi et surtout son goût pour la boisson68. Mais ce qui est le plus important et le plus marquant, c’est ce qu’elles consignèrent des derniers jours d’Alexandre et qu’ont rapporté Arrien et Plutarque69, le premier au style indirect, le second affirmant les reproduire textuellement. Ces témoignages concordent pour l’essentiel et doivent donc être issus de la même source. On découvre ici, jour après jour, datés, la montée de la fièvre, les bains et les moments de repos d’Alexandre, son extrême faiblesse, le défilé muet de ses soldats à son chevet, la mention de sa mort.

En dépit de l’intérêt présenté par ces œuvres, beaucoup d’historiens antiques trouvèrent plutôt leurs sources dans les textes laissés par les Compagnons d’Alexandre.

Les Compagnons d’Alexandre

Ce sont les hommes qui ont accompagné le Conquérant dans tout ou partie de son expédition, à des postes divers, à des degrés d’intimité variés, et qui laissèrent pour certains des témoignages sur leur roi. Une abondante littérature leur a été consacrée70 et il ne va s’agir, ici, que d’en dresser rapidement les portraits et d’en évoquer les œuvres.

Callisthène d’Olynthe

Alexandre avait amené avec lui, pour écrire son histoire, le neveu d’Aristote, Callisthène d’Olynthe, né vers 37071. C’est à lui que furent attribuées, preuve de sa renommée, les légendes du Roman d’Alexandre, d’aucuns pensant encore aujourd’hui que les versions qui nous sont parvenues sont véritablement son texte maintes fois remanié72. Celui-ci était déjà un auteur reconnu lorsqu’il prit part à l’expédition d’Alexandre : ses Helléniques, qui retraçaient l’histoire de la Grèce depuis la paix d’Antalcidas (387) au début de la Guerre Sacrée (356) étaient reconnues dans le monde grec. Sa mission et son projet étaient donc d’écrire une œuvre racontant et valorisant les actions d’Alexandre. Son titre seul témoigne de cette ambition : Πράξεις Ἀλεξάνδρου, les Exploits d’Alexandre. Cette œuvre ne fut jamais achevée, puisque Callisthène fut convaincu de complot contre le roi. Lui qui avait refusé la proskynèse et par là l’adoration d’Alexandre comme un dieu fut associé au complot des Pages d’Hermolaos, sans que l’on sût jamais s’il fut réellement coupable de trahison. Il meurt en 327, soit exécuté, soit de maladie pendant son emprisonnement.

F. Jacoby (1962) enregistre cinquante-neuf fragments hérités de Callisthène, dont douze sont de manière assurée tirés des Exploits d’Alexandre73. Strabon (12.43) relate notamment la traversée du désert égyptien par Alexandre et ses hommes en citant Callisthène qu’il critique vertement, le taxant de flatterie. De fait, il s’agit bien pour Callisthène de faire l’apologie d’Alexandre, d’en faire le continuateur de héros mythiques, tels qu’Héraclès et Persée, qu’il voulait concurrencer, un véritable demi-dieu. Ainsi pour P. Pédech (1984, 68), “il était nourri de poésie épique ; il a su l’utiliser habilement pour embellir son récit, multiplier les allusions et les citations homériques, créer une idéalisation héroïque d’Alexandre.ˮ

Charès de Mytilène

Plutarque, lorsqu’il établit la liste de tous les historiens qui n’ajoutent aucun crédit à la rencontre entre Alexandre et la reine des Amazones, cite Χάρης ὁ εἰσαγγελεύς74. Charès était donc le chambellan d’Alexandre, entré vraisemblablement à son service vers 330, à la mort de Darios au service duquel il officiait.

Si Charès s’inscrit en faux contre cette rencontre appartenant à l’idéalisation héroïque d’Alexandre, c’est sans doute qu’elle discréditait à ses yeux le prestige d’un roi dont la gloire n’avait pas besoin de pareils mensonges. L’œuvre de Charès est en effet très bienveillante à l’égard d’Alexandre75, et n’a aucune fin politique ni de propagande, ce qui en fait l’originalité. S’il reprend des événements glorieux76 pour que son Histoire d’Alexandre soit la plus riche possible, il s’intéresse davantage à l’homme qu’était le roi. En tant que chambellan, il fut en effet un observateur privilégié de la personnalité de cet homme77. C’est ainsi que Plutarque, amoureux des anecdotes qui en disent pour lui plus long sur les hommes que de grands événements historiques, utilise abondamment Charès. Il le fait aussi parce que la place de Charès au service d’Alexandre avait dû l’amener à organiser certains moments importants de son règne, le plus important ayant sans doute été les noces de Suse78.

Néarque de Crète

Néarque fut certainement, parmi les Compagnons qui rapportèrent son expédition, l’un des plus intimes amis d’Alexandre. C’est un ami d’enfance, lui qui fut exilé avec d’autres proches du jeune prince par Philippe : le père et le fils s’étaient en effet brouillés suite au mariage de Philippe avec Eurydice. Il sera ensuite rappelé par Alexandre qui lui confie la satrapie de Lycie-Pamphylie et les territoires jusqu’au Taurus79.

Néarque participe ainsi naturellement à l’expédition de son ami et roi, et se verra attribuer une mission extrêmement importante et dangereuse après la descente de l’Indus. Devenu navarque, c’est-à-dire commandant en chef de toute la flotte d’Alexandre, il fut chargé “de contourner la côte depuis les Indes jusqu’au Golfe Persiqueˮ, véritable mission de repérage car cette navigation avait pour but “qu’on reconnaisse les rivages durant tout le périple, les mouillages, les petites îles ; tous les golfes qu’on rencontrerait, il fallait les longer, toutes les cités le long de la mer, les terres fertiles, les régions désertiquesˮ80. Arrien rapporte la discussion entre Alexandre et Néarque qui aboutit à cette décision : alors que le roi demandait conseil à son ami pour savoir qui serait le mieux placé pour endosser ces lourdes responsabilités, personne ne semblait convenir. Néarque se propose alors lui-même, mais Alexandre lui oppose un refus, ne voulant “pas jeter un de ses amis dans de telles épreuves et de tels dangersˮ81. Face à l’insistance de ce dernier, il céda et lui confia la mission avec enthousiasme. La scène paraît authentique et montre la complicité, l’attachement et la confiance qui unissaient les deux hommes82.

L’œuvre de Néarque devait ainsi permettre de voir apparaître un portrait intime et humain d’Alexandre. Toutefois, ce n’était pas là son objectif principal, et Néarque n’écrivit pas une histoire d’Alexandre, mais un ouvrage sur sa propre navigation, intitulée vraisemblablement Παράπλους83, suivant le terme fréquemment employé par Arrien pour y faire référence84. Le succès de cette expédition fut d’ailleurs salué par Alexandre lui-même qui accorda à Néarque une couronne d’or en récompense85.

Cet ouvrage nous est assez bien connu grâce à Strabon86, qui le cite régulièrement dans les livres 15 et 16 de sa Géographie consacrés l’un à l’Inde et la Perse, l’autre aux territoires de l’Assyrie à l’Arabie, et surtout grâce à Arrien qui l’utilise abondamment dans son ouvrage L’Inde, du premier chapitre au chapitre 42, mais aussi au livre 6 de l’Anabase87.

Quinte-Curce (10.1.10-10.1.16.), Diodore (17.106.4-17.106.6) et Plutarque (Alex., 67.8-68.1) ne s’intéressent à Néarque que pour la scène de ses retrouvailles avec Alexandre suite à son expédition, ou à des anecdotes qu’il lui aurait alors rapportées, particulièrement l’épisode des baleines que les marins effrayèrent en faisant du bruit. Néarque est en revanche complètement absent des livres 11 et 12 des Histoires philippiques, et il n’est fait aucune remarque ni au départ de son expédition, ni au retour de l’ami d’Alexandre. Cette absence notable souligne la volonté de Trogue Pompée ou plus sûrement de Justin de s’intéresser exclusivement à la figure d’Alexandre et non à ses Compagnons, eussent-ils accompli des missions extraordinaires.

Onésicrite d’Astypalée

Lors de l’expédition d’Alexandre, on lui connaît trois grandes missions : il fut le pilote du navire royal lors de la descente des fleuves indiens, tâche qui lui valut certainement de recevoir une couronne d’or88 ; il accompagna en outre l’expédition de Néarque en tant que chef-pilote de la flotte89. Il était donc hiérarchiquement en-dessous de ce dernier, auquel il a pu parfois s’opposer90. Mais ce fut lui aussi, au royaume de Taxile, qui fut chargé d’aller à la rencontre des gymnosophistes, peut-être en raison de sa culture philosophique, lui qui fut disciple de Diogène91. Cette rencontre est longuement rapportée par Strabon, qui abrège certainement l’œuvre d’Onésicrite à cet endroit. C’est ici notamment que se dessine la figure d’Alexandre comme un roi philosophe, puisque Mandanis, le plus sage des gymnosophistes déclare “qu’à ses yeux, le roi était digne de louange, parce qu’il était avide de sagesse bien qu’à la tête d’un immense pouvoir. Il le considérait comme le seul philosophe en armes. Ce serait bien la chose la plus utile d’entre toutes, si les hommes qui ont le pouvoir d’inciter les volontaires à avoir de l’esprit et à contraindre les autres étaient eux-mêmes des penseursˮ92. Cette image positive d’Alexandre est appuyée par Diogène Laërce, et transparaît dans d’autres extraits conservés. Alexandre, roi philosophe, apparaît comme un roi civilisateur et humain93.

C’est pour rehausser encore le portrait de son roi qu’Onésicrite n’hésita pas non plus à forger des histoires, telles que celle de la rencontre entre Thalestris, reine des Amazones, et Alexandre94. Or il semble que l’imagination d’Onésicrite ait été très fertile, ce qui lui valut les critiques d’autres auteurs se voulant plus sérieux95. Et cette fantaisie porta notamment sur la description de pays extraordinaires qu’il a décrits, notamment celui de Musicanos96, sur les plantes ou les animaux qu’il aurait rencontrés, aspect naturaliste qui semble avoir occupé une partie importante de son œuvre97.

Ptolémée

Dès le tout début de l’Anabase (Préface, 1-2), Arrien explique les raisons pour lesquelles il portait une grande confiance à Ptolémée, ce pour quoi il le choisit comme l’une de ses sources principales : il fut un témoin direct de l’expédition, il était roi lorsqu’il écrivit98, il écrivit après la mort d’Alexandre.

De fait, Ptolémée était très proche d’Alexandre. Il fit partie, avec Néarque, des jeunes nobles, amis d’Alexandre, exilés par Philippe lors de leur brouille et rappelés après sa mort. Il participa aux expéditions de pacification autour de la Macédoine, à la guerre contre Thèbes, à la bataille d’Issos dans la cavalerie ; il acquiert au fil de l’expédition de plus en plus de responsabilités et devient en 330 l’un des sept somatophylaques (gardes du corps) du roi, qui se verront octroyer une couronne d’or lors du retour à Suse ; il aura à différentes reprises des hommes sous ses ordres pour des expéditions plus ou moins périlleuses, comme lors de la prise du rocher de l’Aornos ou en Sogdiane où il dirige l’une des cinq colonnes devant soumettre la région et se réunir à Maracanda. Les autres colonnes sont dirigées par Héphestion, Perdiccas, Coênos et Alexandre : on voit ainsi le haut degré de confiance que le roi lui portait. Aux noces de Suse, il épouse ainsi Artacama, la fille d’Artabaze, seigneur perse tôt rallié à Alexandre.

Alors que Ptolémée est très peu utilisé par les autres historiens99, Arrien en fit donc grand usage100. Il apparaît que le Lagide, en tant qu’homme de guerre, qu’homme d’action, s’intéressait plus aux événements qu’à la psychologie, à la rencontre de nouveaux peuples, ou à la découverte de faunes ou flores exceptionnelles. C’est sans doute aussi en raison de cette stricte narration des faits qu’il parut à Arrien d’une si sincère objectivité101.

Aristobule de Cassendréia

Aristobule ne fut pas aussi proche d’Alexandre que le furent Ptolémée ou Néarque. Il le suivit pourtant durant toute son expédition et dut avoir des contacts réguliers avec lui, en tant qu’architecte ou ingénieur attaché à l’expédition102. Aristobule mourut à un âge avancé, à plus de quatre-vingt-dix ans selon Lucien, qui ajoute qu’il commença à rédiger son œuvre à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, selon ce qu’il avait écrit dans sa préface103. P. Pédech en tire la conclusion qu’il dut écrire entre 286 et 281.

Avec Ptolémée, Aristobule constitue la source principale d’Arrien. C’est ainsi chez lui que l’on trouve le plus gros contingent de fragments de cet auteur. Pourtant, son œuvre semble avoir eu une certaine notoriété, et est également largement utilisée par Plutarque et Strabon104. Le géographe s’intéressa surtout aux descriptions des paysages qu’il avait traversés105.

Toutefois, le plus intéressant est certainement le portrait qu’Aristobule peignit d’Alexandre, et que l’on retrouve chez Plutarque et Arrien. Pour comprendre sa démarche, il faut se rappeler qu’il écrivit plusieurs décennies après la mort de son roi. Entre temps, des récits virulents, de véritables pamphlets avaient fleuri, qui présentaient, comme nous allons le voir, Alexandre comme un tyran cruel et avide de boisson. Telles semblent avoir été les œuvres d’Éphippos ou de Nicoboulè. Aristobule entreprend donc de laver la mémoire d’Alexandre. Il insiste ainsi sur son caractère généreux et, si l’on ose l’anachronisme, chevaleresque106. De même, il tâche de lui retirer la responsabilité des crimes les plus horribles qui lui étaient imputés. Ainsi de Callisthène, présenté comme l’instigateur du complot des pages, et donc méritant son châtiment, et qui ne fut pas même selon lui exécuté par Alexandre mais mourut de maladie107. De la même manière on peut lire, à propos du meurtre de Clitos : “Aristobule ne donne pas les raisons de ces insultes d’ivrogne, mais rejette la faute sur Cleitosˮ108. Et Arrien de détailler à sa suite les raisons de cette responsabilité. Un dernier exemple, tout à fait significatif, fut le soin qu’Aristobule prit à détourner l’accusation d’ivrognerie d’Alexandre. Si ce dernier, peu avant sa mort, a bu, c’était à cause de la fièvre109. De fait “les beuveries, d’après Aristobule, il les allongeait non pas pour boire du vin – car Alexandre ne buvait pas beaucoup de vin –, mais par amitié pour ses Compagnonsˮ110. Ce n’est pourtant pas ce que laissent penser même les Éphémérides royales, que l’on ne peut taxer de calomnie.

Les autres Compagnons

On le voit, qu’il se fût agi de faire d’Alexandre un héros à la hauteur d’Achille, comme pour Callisthène, un roi philosophe et civilisateur, comme pour Onésicrite, un grand chef de guerre, comme pour Ptolémée, un homme vertueux, comme pour Aristobule, aucune des sources issues des Compagnons les plus proches d’Alexandre ne le présentait sous un jour sombre, et même ses évidents errements devaient être gommés.

C’est très probablement la démarche qui fut adoptée par Médios de Larissa, auteur lui aussi d’une Histoire d’Alexandre. Ce noble thessalien jouissait dans l’Antiquité d’une piètre réputation, perçu comme grand maître du chœur des flatteurs selon les termes de Plutarque111. C’est en outre chez lui, lors d’un banquet où il avait invité Alexandre, que le roi tomba malade. La rumeur courut alors que Médios, amant d’Iollas, fils d’Antipater et frère de Cassandre, avait participé à l’empoisonnement du roi112. On peut ainsi imaginer le besoin ressenti par Médios, qui s’était mis au service de Perdiccas puis d’Antigone, de livrer une histoire du défunt roi qui le lavât de tout soupçon. Malheureusement un seul long fragment de son œuvre, cité par Strabon, nous est parvenu113.

Nous ne nous attarderons pas sur Marsyas de Pella, historien, frère d’Antigone selon la Souda, qui écrivit une Histoire de la Macédoine en dix livres et une Histoire du règne d’Alexandre, ni sur un autre Marsyas, fils de Critophème de Philippes, tant les données biographiques les concernant sont douteuses et lacunaires, tout comme les fragments de leurs œuvres qui nous sont parvenus, au reste sans grand intérêt sur l’histoire d’Alexandre.

Polycleitos de Larissa présente un plus grand intérêt. On ne sait que peu de choses de lui, mais il est très probable qu’il participa à l’expédition, du moins en partie114. Il se livre en outre lui aussi à des digressions géographiques et naturalistes115. Strabon le blâme d’ailleurs d’avoir tenté d’agrandir le territoire réel conquis par Alexandre, en faisant de l’Iaxarte et du Tanaïs un seul et même fleuve et de la mer Caspienne un lac116. Ainsi toutes les terres entre la mer Noire et la mer Caspienne, qui ne furent pas explorées par le roi macédonien, devenaient fictivement partie de son royaume qui s’étendait jusqu’à cette frontière de l’Iaxarte-Tanaïs. Polycleitos, même s’il n’est pas certain que cette erreur vînt de lui, en tout cas qu’elle fût volontaire, passe ainsi pour un nouveau thuriféraire d’Alexandre, lui qui par ailleurs fait partie des auteurs cités par Plutarque qui attestent la rencontre entre Alexandre et Thalestris. Cela dit, un extrait d’Athénée doit nous inviter à plus de prudence, puisqu’il nous présente la vie dissolue d’Alexandre, tombé dans les pièges du luxe et de l’ivrognerie : “Polycleitos de Larissa, dans le livre 8 de ses Histoires, dit qu’Alexandre dormait sur un lit en or ; que des joueurs et des joueuses de flûte le suivaient partout dans le camp, et qu’ils buvaient jusqu’à l’aubeˮ117.

Les propos de Polycleitos ressemblent en effet alors bien davantage à ceux d’Éphippos d’Olynthe et de Nicoboulè, qui condamnent les mœurs d’Alexandre dans ce qui paraît avoir été de véritables pamphlets. Éphippos a participé à l’expédition d’Alexandre, à un poste d’un prestige assez limité : l’inspection des mercenaires118. Peut-être aigri par ce poste, peut-être animé d’un sentiment de rejet contre le fils de Philippe qui avait détruit sa cité, Olynthe, en 348, peut-être indigné par la mort de Callisthène originaire lui aussi de cette cité, peut-être encore pour plaire à un lectorat grec qui voulait goûter à nouveau la liberté après la mort du roi macédonien, Éphippos écrivit une œuvre au titre bien attesté : Sur la mort d’Alexandre et d’Héphestion ou Les funérailles d’Alexandre et d’Héphestion. On y voit Alexandre dépenser cent mines chaque jour pour des dîners119, où les Macédoniens, qui “ne savaient pas boire avec modération, […] usaient au contraire d’immenses libations dès le début du repas, si bien qu’ils étaient ivres quand le premier service était encore sur les tables et qu’ils ne pouvaient pas apprécier les metsˮ120. C’est d’ailleurs l’excès de boisson qui causa sa mort, puisqu’Alexandre s’écroula selon lui après avoir bu l’équivalent de deux conges dans une coupe prise des mains d’un certain Prôteas : “Alexandre s’en saisit et avala bravement, mais il ne tint pas le choc, il s’écroula sur son coussin et la coupe s’échappa de sa main. Par la suite il tomba malade et mourut parce que, selon Éphippos, ‘Dionysos lui en voulait d’avoir assiégé Thèbes, sa ville’ˮ121. Alexandre se perd ainsi dans l’ivrognerie propre aux Macédoniens, est puni pour avoir détruit une cité grecque, est abandonné par les dieux auxquels pourtant son orgueil le pousse à se comparer, en arborant tantôt la tenue d’Hermès, tantôt celle d’Artémis ou d’Héraclès, encouragé par une foule de flatteurs, comme le montre Athénée dans un long extrait. On y voit aussi Alexandre comme un homme tyrannique et cruel, inspirant la terreur de ses proches, en raison de sa mélancolie122.

Nicoboulè est en revanche un auteur moins connu. On suppose que ce nom, “ Conseiller pour la victoire ˮ, est un pseudonyme, permettant au pamphlétaire de dresser avec plus de sécurité un portrait négatif d’Alexandre, dans la même veine que celui d’Éphippos. On voit ainsi dans un extrait le roi boire chez Médios à la santé d’une vingtaine de convives avant de quitter le banquet et mourir123, et dans un autre des flatteurs qui “rivalisaient de zèle pour divertir le roiˮ (πάντες οἱ ἀγωνισταὶ ἐσπούδαζον τέρπειν τὸν βασιλέα), tandis que, lors de son dernier repas, Alexandre “porta des toasts avec du vin pur et força les autres à faire de mêmeˮ (τὸν ἄκρατον προθύμως προπίνων καὶ τοὺς ἄλλους ἠνάγκαζεν)124, ce qui, comme le souligne justement J. Auberger, relève d’une hybris barbare puisque les Grecs boivent leur vin mélangé.

Clitarque

Contrairement aux autres historiens hellénistiques d’Alexandre, Clitarque ne fut pas un des Compagnons du roi, et il est aujourd’hui admis qu’il ne participa pas à son expédition125. Le principal élément permettant de le justifier repose sur la datation que l’on fixe de son œuvre.

Un extrait de Pline (3.57) nous permet de placer Clitarque juste après Théopompe (entre 378 et 323), et avant Théophraste (entre 371 et 288). Sa période d’écriture doit donc se situer au tournant des IVe et IIIe siècles. P. Goukowsky (1976, 23) en tire la conclusion qu’il dut écrire son œuvre en une vingtaine d’années (car le volume en était considérable, en douze livres126), peu après la mort d’Alexandre, soit peut-être de 320 à 300 / 295. Ce qui ne réduit pas tant que cela la fourchette de temps127.

Une autre chose est certaine : c’est l’attachement de Clitarque à Ptolémée, à la cour duquel il est ordinairement admis qu’il vivait. Cet attachement se vérifie dans deux épisodes : celui de la flèche empoisonnée, où Ptolémée, blessé et tombé gravement malade, n’est sauvé que grâce à un remède apparu en rêve à Alexandre128, et surtout celui de la bataille chez les Malles. Quinte-Curce (9.5.21) nous informe en effet que Clitarque, contre toute vraisemblance, et contre le témoignage de Ptolémée lui-même129, faisait du futur monarque égyptien un participant à cette bataille. Clitarque prend donc des libertés avec l’histoire, dans le but évident d’héroïser le souverain lagide.

Deux conclusions différentes en ont été tirées. Pour A. Zambrini (2008, 216), Clitarque écrirait à une période troublée (vers 309-308), poussé par des rumeurs sur l’empoisonnement d’Alexandre, pour soutenir Ptolémée visé par un pamphlet130. L. Pearson (1960, 212-242) tire quant à lui une conclusion toute différente : Clitarque n’aurait selon lui jamais pu se permettre d’écrire un mensonge, même valorisant, à propos de Ptolémée de son vivant. Cet écrit serait donc postérieur à la mort de ce dernier, donc à 280131. Cette datation a en outre le mérite de donner une explication à l’étrange ambassade envoyée à Babylone par les Romains, attestée chez Clitarque132, puisque la fin des années 280 et le début des années 270 avant notre ère furent marqués par la guerre entre Pyrrhos, roi d’Épire, et les Romains : ce serait là que Clitarque aurait tiré l’inspiration de cet étrange passage.

En tout état de cause, on ne peut que conclure à une rédaction relativement tardive, intervenant après la rédaction de leurs histoires par les principaux Compagnons d’Alexandre, par un auteur qui, à Alexandrie, cherchait à valoriser le dynaste lagide.

Cet enjeu, politique, est cependant loin d’être le seul de son œuvre. Il suffit de lire les trente-six fragments (non douteux) de Clitarque définis par F. Jacoby pour cerner les centres d’intérêt majeurs de cet auteur. Il se montre surtout séduit par ce qui relève de l’extraordinaire, et la plupart des fragments tiennent des mirabilia. Clitarque fut par exemple utilisé par Élien comme source d’informations à propos d’animaux indiens invraisemblables133. De la même manière, ses propos anthropologiques (du moins ceux qui nous sont parvenus) ne portent que sur des coutumes tout à fait exotiques, et propres à charmer un large lectorat134.

Enfin, l’empire perse semble être un territoire assez connu de Clitarque, lui qui a pu être familier de cette région grâce à son père, Dinon, l’auteur des Persica. On le trouve ainsi souvent cité en référence sur des sujets divers qui y sont relatifs135. Clitarque s’attache également à donner des informations géographiques sur ce territoire, que Pline (6.36) reprend par exemple à propos de la mer Caspienne, jugée par l’historien alexandrin au moins aussi large que la mer Noire. Strabon quant à lui, dans son intransigeance, porte un regard très sévère sur cet auteur136. À propos d’une anecdote rapportée par Clitarque sur des cavaliers qui avaient manqué de peu d’être rattrapés par la marée montante, son jugement est ainsi sans appel : Οὐδὲ Κλείταρχος εὖ137. Même pour ce qui est de la géographie, le goût de Clitarque pour le spectaculaire et l’incroyable se fait sentir. Il paraît donc légitime de penser que l’on retrouvera cette tendance dans sa manière de présenter Alexandre le Grand, dont les exploits parlaient d’eux-mêmes.

Or d’un point de vue historique, Clitarque souffre aussi d’une piètre réputation, alors même qu’il s’est imposé au fil des siècles comme l’historien d’Alexandre le plus connu dans le monde romain138. Ce paradoxe s’observe par exemple chez Quintilien : dans un développement où il passe en revue les historiens et leurs qualités, il cite, après entre autres Thucydide, Hérodote, Théopompe et Éphore, Clitarque, à propos duquel il affirme : Clitarchi probatur ingenium, fides infamatur139 (“on vante l’esprit de Clitarque, on blâme son peu de créditˮ). Même position double chez Cicéron : d’un côté, alors qu’il vient de remporter une victoire militaire contre les peuplades de l’Amanus, en Cilicie, il rappelle dans une lettre à son ami Caelius Rufus la victoire qu’y avait jadis remportée Alexandre en convoquant explicitement le souvenir familier du texte de Clitarque140 ; d’un autre côté, il accorde à l’historien hellénistique si peu de crédit qu’il fait de Clitarque davantage un rhéteur qu’un historien141.

Le fait de voir Clitarque cité de la sorte par Quintilien, par Cicéron dans son Brutus, mais aussi par Démétrios dans son De elocutione (304) ou Philodème de Gadara dans sa Rhétorique (4.1.7 et 4.1.21) incite ainsi à penser qu’il devait figurer au programme des études, ce qui faisait de lui un auteur classique pour les Anciens, connu de tout homme cultivé.

C’est vraisemblablement l’une des raisons pour lesquelles il fut utilisé, de manière plus ou moins importante, par l’ensemble des historiens dont les œuvres nous sont parvenues. En effet, si nous avons pu voir qu’Arrien s’appuyait presque exclusivement sur les œuvres de Ptolémée et d’Aristobule, mais aussi de Néarque, tandis que Plutarque, au contraire, utilisait de nombreuses sources, telles que Callisthène, Charès ou Onésicrite142, il fut cependant par ailleurs remarqué, et ce depuis longtemps, qu’il existait des points de convergence importants, tant dans les faits rapportés que dans leur ordonnancement, entre le livre 17 de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, les huit livres conservés des Histoires d’Alexandre de Quinte-Curce et les livres 11 et 12 des Histoires philippiques de Trogue Pompée, telles que Justin nous les a transmises. Cela a amené à cette conclusion formulée par P. Goukowsky : “Il faut donc admettre l’existence d’un ouvrage historique, aujourd’hui perdu, auquel se réfèrent, à des degrés divers, Diodore, Trogue-Pompée, Quinte-Curce143 et le rédacteur de l’Épitomé, ouvrage historique à la base de ce que l’on a appelé la ‘Vulgate’ˮ144. Si Clitarque a été identifié comme la source commune des auteurs de la Vulgate, ce n’est pas seulement en raison de sa notoriété à l’époque romaine, c’est aussi parce que nous pouvons de manière sûre lui attribuer la paternité de certains épisodes comportant de grandes similitudes dans les œuvres de Diodore, Quinte-Curce et Trogue Pompée / Justin145. Ces épisodes étaient au demeurant si célèbres que Plutarque et Arrien font eux aussi le plus souvent référence à cette tradition.

L’auteur alexandrin a donc eu une influence importante sur les livres 11 et 12 des Histoires philippiques. Notre analyse devra donc tâcher de repérer les passages où il fut utilisé comme source, et mesurer, dès que ce sera possible, la manière dont Trogue Pompée / Justin suivent ses pas ou, au contraire, s’en détachent.



Notes


  1. Justin, Praef., 1.
  2. Plin. 11.274.
  3. Il s’agit d’un développement très rigoureux sur la physiognomonie, cité par Pline (11.274-11.276). Le De animalibus est attesté par Charisios (Grammatici antiqui, 1.102.4 et 1.137.9).
  4. Just. 38.4.1-38.7.10. La rigueur et la seueritas de ce discours tiennent notamment à un rythme ternaire particulièrement marqué. Pour une analyse plus complète de ces textes, voir Horn 2017, 77-80.
  5. Just. 38.3.11. Trad. M.-P. Arnaud-Lindet.
  6. Plin. 7.33 ; 10.100 ; 11.229 ; 17.58 ; 31.131. La référence du livre 17, concernant les palmiers, est peut-être tirée d’un autre traité, également perdu, sur les plantes.
  7. Vie d’Aurélien, 2 ; Vie de Probus, 2. Dans les deux cas, si Trogue Pompée paraît parfois léger sur l’exactitude historique, son style est cependant mis en avant.
  8. Sur le choix de auum sur proavum attesté par certains manuscrits, voir Mineo 2016, III-IV.
  9. Just. « 43.5.11-43.5.12 ». Trad. B. Mineo.
  10. B. Mineo n’exclut d’ailleurs pas qu’il puisse s’agir du “Cn. Pompeiumˮ évoqué par César à propos d’une entrevue entre son légat Titurius Sabinus et Ambiorix (Caes., B.G., 5.36)
  11. Mineo 2016, VIII. Voir aussi Syme 1988, 367 ; Borgna 2018, 32-33. Contra Arnaud-Lindet 2003 et Ballesteros Pastor 2013, 2 : le père de Trogue Pompée aurait selon ces auteurs servi un C. César identifié comme le fils de Julie et d’Agrippa qu’Auguste avait adopté, et aurait été son secrétaire lors de son expédition en Orient au tournant de notre ère ; la rédaction des Histoires philippiques n’aurait ainsi débuté que sous le principat de Tibère.
  12. Mineo 2016, XIV. Les Flores sententiarum de Matthew of Westminster donnent également la date de 9 de notre ère comme année de fin de la composition de l’œuvre. Cela tend donc à créer une convergence de preuves, bien que l’on ne sache pas sur quel élément repose cette assertion de Matthew of Westminster. Pour un compte-rendu du débat entre les tenants d’une datation un peu antérieure (Yardley 1997, 5-6) et ceux d’une datation postérieure (Seel 1972 ; Arnaud-Lindet 2003), voir Horn 2017, 81-82.
  13. Titre retenu par les Prologues et M.-P. Arnaud-Lindet (2003).
  14. Prenons-en pour exemple la fin du Prologue du livre 11 : dictaeque in excessu origines et reges Cariae. (“et sont développés dans une digression les origines et les rois de Carie.ˮ)
  15. En cause l’inexactitude géographique du premier titre, qui oublie que le texte se concentre essentiellement sur l’Orient et la partie orientale du monde méditerranéen, ainsi que le peu d’éléments – en tout cas conservés dans le texte laissé par Justin – développant les “régions de la terreˮ. Ce titre plus simple est ainsi le choix de L. Santi Amantini (1981, 24) et de B. Mineo (2016, 21).
  16. Just., Praef., 1-4. Trad. B. Mineo.
  17. Pour souligner cette dimension élogieuse, il suffit sans doute de relever l’herculea audacia attribuée à Trogue Pompée.
  18. Selon L. Ballesteros Pastor (2013, 35), les livres 43 et 44 seraient même des ajouts de Trogue Pompée à sa source principale, ce qui exclut encore davantage l’Occident européen de cette histoire universelle. Même si sa thèse doit être discutée, notamment parce qu’il ne paraît plus guère probable que Trogue Pompée ait utilisé une seule source pour écrire ses Histoires philippiques (Seel 1955, 18-23 ; Borgna 2018, 131-134), elle témoigne de l’originalité de ces deux livres dans la cohérence générale de l’ouvrage, définitivement tourné vers l’Orient.
  19. Ce principe est par exemple rappelé par Arrien avant la narration de la bataille d’Issos : ἐχρῆν γὰρ ἤδη καὶ Πέρσας πρὸς Μακεδόνων ἀφαιρεθῆναι τῆς Περσῶν ἀφῃρέθησαν, πρὸς Μήδων δὲ ἔτι ἔμπροσθεν Ἀσσύριοι. (“C’est qu’il était désormais fatal que les Perses se voient retirer l’hégémonie sur l’Asie au profit des Macédoniens, comme elle l’avait été aux Mèdes au profit des Perses, et encore auparavant aux Assyriens au profit des Mèdes.ˮ) Arr., An., 2.6.7. Trad. P. Savinel. Sur la translatio imperii de Trogue Pompée, voir Alonso Núñez 1987, surtout p. 62-64.
  20. Atkinson 2000, 308-310. Deux événements fondamentaux auraient fait naître cette idée : la mort de Mithridate et l’annexion de la Syrie, puis surtout celle de l’Égypte, dernier royaume hellénistique.
  21. Yardley 1997, 56. Et d’ajouter des exemples, tels que le règne de Sémiramis qui dura 32 ans (1.2.10), celui de Cyrus 30 (1.8.14), celui de Philippe II 25 (9.8.1), etc.
  22. Prandi 2016 (1), 7.
  23. Citons par exemple les livres 13 à 17, portant sur toutes les dissensions et guerres entre les diadoques, où l’on retrouve bien des compagnons d’Alexandre comme Perdiccas, Ptolémée, Séleucos, Lysimaque, Démétrios… P. Jal en s’appuyant notamment sur le fait que Trogue Pompée / Justin désignent comme “empire macédonienˮ (Macedonio imperio) celui de Demétrios II Nicanor, roi de Syrie de 145 à 140, conclut que “pour les contemporains, les termes Histoires Philippiques avaient un sens plus ou moins équivalent à ce que nous appellerions aujourd’hui ‘Histoire hellénistique.’ˮ Voir Jal 1987, 195 ; Mineo 2016, XVIII.
  24. Un passage consacré au roi parthe Arsace montre à la fois la manière dont les empires se sont succédé, et comment ils furent incarnés par ceux qui passent pour les avoir fondés ou élevés au faîte de la grandeur. Et c’est Alexandre qui est alors le représentant des Macédoniens : Sic Arsaces, quaesito simul constitutoque regno, non minus memorabilis Parthis quam Persis Cyrus, Macedonibus Alexander, Romanis Romulus, matura senectute decedit (“Arsace, ayant ainsi conquis et organisé en même temps son royaume, ne fut pas moins digne de mémoire pour les Parthes que Cyrus pour les Perses, Alexandre pour les Macédoniens, Romulus pour les Romains ; il mourut dans un âge avancé.ˮ) Just. 41.5.5-41.5.6. Trad. M.-P. Arnaud-Lindet. Voir Horn 2021.
  25. Landucci 2014, 242-244. Toutefois, pour A. Borgna (2018, 170-185), les diadoques seraient le véritable cœur de l’étude des Histoires philippiques, davantage que Philippe et Alexandre eux-mêmes, et ce serait à eux que s’appliquerait l’adjectif philippicae.
  26. Cornélius Népos avait déjà livré une histoire universelle rédigée en latin dans ses Chronica. Mais cette œuvre était de dimension modeste, et n’était sûrement pas centrée sur la Grèce. Voir Mineo 2016, XIV.
  27. Jal 1987, 203.
  28. Mineo 2016, XXXIII.
  29. Yardley 1997, 6. On trouvera la liste de ces échos dans son ouvrage.
  30. Borgna 2018, 211-214.
  31. Schanz & Hosius 1967, 322.
  32. Ballesteros Pastor 2015, 6-10.
  33. Yardley 1997, 11-13. M.-P. Arnaud-Lindet (2003) établit quant à elle un parallèle entre le nom trouvé de Justin trouvé dans les manuscrits et ceux de deux personnages de l’ordre sénatorial attestés par des inscriptions trouvées en Afrique. Elle en tire deux hypothèses : le nom complet de notre auteur pourrait être M. Iulius Iunianus Iustinus, et ce dernier pourrait être originaire d’Afrique.
  34. Sur la question du style “africainˮ de Justin, voir Lancel 1985 qui s’oppose à Steele 1917 ; sur l’importance de Cyrène, voir Alonso Núñez 1995 qui s’oppose à Galdi 1922. Pour une mise au point sur les différentes hypothèses concernant l’origine de Justin, voir aussi Horn 2017, 88-89 ; Borgna 2018, 38-39.
  35. On trouvera une utile mise au point dans l’introduction de Mineo 2016 et un développement des points développés ci-après dans Horn 2017, 89-90.
  36. Jérôme, Daniel, prol., 25.494 Migne.
  37. Zecchini in Mineo 2016 (notes historiques) ; Arnaud-Lindet 2003. Contra Borgna 2018, 41, note 20.
  38. Justin 41.1.1.
  39. Contra Zecchini in Mineo 2016 (notes historiques).
  40. Naz., Paneg., 4 (10), 20, 1-2, à comparer à Just. 7.2.5-7.2.11. Les conclusions d’A. Borgna, appuyées sur les analyses de C. F. Edson (1961, 203) et tournant le dos à celles de R. Syme (1988, 361) nous apparaissent probantes.
  41. Just., Praef., 4-6. Trad. M.-P. Arnaud-Lindet.
  42. Jal 1987, 197.
  43. Voir le tableau récapitulatif des omissions dans Mineo 2016, XLVII-XLIX. A. Borgna (2018, 47-69) a de son côté confronté des prologues longs à des livres brefs, et des prologues brefs à des livres longs, pour comprendre la méthode employée par Justin pour composer son épitomé.
  44. Ainsi, selon B. Mineo (2016, L-LI), le lectorat de Justin n’est plus fait d’une seule élite, ce n’est plus le lectorat républicain : c’est un lectorat assez large, avide d’anecdotes exotiques, qui se plaît à voir couler le sang lors des jeux du cirque et qui recherche dans ses lectures des émotions de même nature.
  45. Trogue Pompée, Prologues, 11.
  46. Voir également sur ce point les excellents développements d’A. Borgna (2018, 107-123).
  47. Jal 1987, 199-200.
  48. Voir usage du “jeˮ en 3.7.16 ; 20.1.12 ; 38.3.11 ; et usage du “nousˮ en 20.1.15 ; 20.5.1 ; 23.3.2, etc.
  49. Yardley 1997, 16-19. L’œuvre de Florus date des années 130-180 puisqu’il indique dans sa préface (1.8) écrire deux cents ans après Auguste. Or J. C. Yardley pense, comme nous l’avons vu, que Justin écrivit à la fin du IIe siècle.
  50. Mais ces effets de structuration revêtent surtout des exigences oratoires, cf annexe 2.
  51. Yardley 1997, 25-26.
  52. Nous avons analysé ailleurs (Horn 2017, 99-100) la manière dont Justin abuse de l’adverbe inde entre les chapitres 12.7 et 12.9 pour baliser les étapes de la conquête d’Alexandre en Inde. Il semble suivre ainsi la structure de l’œuvre de Trogue Pompée mais se débarrasser de toute indication temporelle précise ; par ailleurs cet adverbe, à valeur aussi bien temporelle que spatiale, montre comment la geste alexandrine avance dans l’espace en même temps qu’elle avance dans le temps.
  53. Sa liste est longue, et l’on pourrait ajouter d’autres erreurs encore, comme l’affirmation selon laquelle Alexandre aurait soumis les Gangarides qu’il n’a jamais atteints (12.8.9).
  54. Borgna 2018, 73-82.
  55. Just. 11.7.15-11.7.16.
  56. Curt. 3.1.17-18. Trad. H. Bardon.
  57. Il existe de très nombreux ouvrages modernes consacrés à la vie d’Alexandre le Grand. Citons Radet 1931, Green 1991, Briand 20117, Worthington 2014.
  58. Sur Diodore, voir Giovanelli-Jouanna & Maisonneuve 2011, surtout p. 140-143.
  59. Voir Jones 1966. Pour un compte rendu très utile sur la datation des Vies de Plutarque, voir Hamilton 1969, XXXIV-XXXVII. J. R. Hamilton conclut que la place des Vies d’Alexandre et de César ne peut être déterminée précisément, mais que celles-ci ne pouvaient pas être postérieures à la dix-huitième paire, et il évalue donc leur publication à une période allant de 110 à 115.
  60. Sur la vie d’Arrien, voir Giovanelli-Jouanna 2011, 48-49.
  61. Nous suivons ici l’interprétation judicieuse que fait P. Vidal-Naquet (1984, particulièrement p. 319-322) de l’“antipréambuleˮ d’Arrien, dans lequel il ne prend pas la peine de se présenter, contrairement à la tradition historiographique. P. Vidal-Naquet en conclut qu’il était donc déjà suffisamment connu pour se passer d’une telle présentation, ce qui rend impossible une datation haute de son œuvre.
  62. L’ouvrage initial, datant sûrement du IIIe siècle, qui fut attribué à un Pseudo-Callisthène, a cependant connu une incroyable postérité, comme en attestent les nombreuses versions existantes, tant orientales qu’occidentales – dont celle en langue romane du XIIe siècle a donné son nom à notre alexandrin. Pour une mise au point de l’état des recherches sur le Roman d’Alexandre à la fois riche et claire, voir Tallet-Bonvalot 1994, introduction.
  63. Pour un compte-rendu de l’état des recherches et des orientations bibliographiques, Giovanelli-Jouanna 2011.
  64. Quinte-Curce n’est cité par aucun des textes anciens conservés, et sa datation pose un vrai problème, au point qu’E. Baynham (2009, 293) considère que les questions concernant l’identité et l’époque de l’auteur latin constituent des “crucesˮ. Concernant sa datation, I. Yakoubovitch (2015, 7) dénombre pas moins de quinze hypothèses différentes, dont il fait le détail (note 22). Voir aussi Baynham 1998, 201-219 et Atkinson 2009, 2-9. Selon I. Yakoubovitch, il faudrait dater l’œuvre du principat de Vespasien, et il égrène au fil de sa thèse divers arguments (tels l’importance du commerce avec l’Orient à cette époque, p. 32). Citons également le raisonnement d’H. Bardon (1948, 424), pour lequel on ne peut trouver des éléments de datation que dans l’œuvre elle-même. S’appuyant sur la digression du livre 10 sur le redressement de Rome au bord de la guerre civile par un nouveau “princepsˮ (10.9.1-10.9.6) il tire des conclusions assez convaincantes qui font de cet empereur Claude et invitent à dater l’œuvre du début de son règne (41-54). Dans tous les cas, pour ce qui concerne notre étude, il faut effectivement considérer Quinte-Curce comme postérieur à Trogue Pompée.
  65. On trouvera le recueil de tous les extraits conservés de ces auteurs dans Jacoby 1962, 618-828. Une édition bilingue de la plupart de ces fragments est proposée dans Auberger 2005.
  66. Nous sont parvenus les noms de quatre arpenteurs : Baitôn (Ath. 10.442 b ; Plin. 6.61), Diognète (Plin. 6.61), Philonidès (Plin. 5.129) et Amyntas (Ath. 11.102), qui consignaient les distances parcourues dans l’immense empire que se faisait Alexandre. Ils rédigeaient également des observations ethnographiques, botaniques ou zoologiques. Leur travail a donc davantage intéressé des géographes comme Strabon ou des naturalistes comme Pline que les historiens antiques.
  67. À suivre Athénée (Ath. 10.44), elles sont l’œuvre d’Eumène de Cardia, chef de la chancellerie royale et ami intime d’Alexandre, et d’un inconnu nommé Diodote d’Érythrée. On ne peut être sûr de l’authenticité des fragments qui nous sont parvenus. Voir Auberger 2005, 31.
  68. Voir El., V.H., 3.23 ; Ath. 10.44 ; Plut., Propos de Table, 1.6.1.
  69. Arr., An., 7.25.1 – 7.26.3 ; Plut., Alex., 76-77.
  70. Parmi les ouvrages de référence, voir par exemple Pédech 1984. Pour un développement plus complet sur ces hommes, voir aussi Horn 2017, 107-120.
  71. Ce dernier n’était pas le seul historiographe officiel. Ils étaient très nombreux à en croire Cicéron (Arch., 24), même si déjà à son époque la plupart de leurs œuvres avaient disparu : Quam multos scriptores rerum suarum magnus ille Alexander secum habuisse dicitur. (“Comme ils étaient nombreux, à ce que l’on rapporte, les auteurs chargés de narrer ses exploits qu’Alexandre le Grand avait auprès de lui !ˮ)
  72. Auberger 2005, 69.
  73. Parmi ces fragments, le plus long est de Polybe (12.17-12.22), très critique à l’égard de son prédécesseur, où il cite notamment Timée qui le traite de “flatteurˮ (κόλακα). Plutarque mentionne également Callisthène, notamment à propos de la bataille de Gaugamèles (Alex., 33). Sur Callisthène et l’usage qu’en fit Plutarque, voir Hamilton 1969, LIII-LIV.
  74. Plut., Alex., 46.2.
  75. Ainsi par exemple, il affirme que Callisthène mourut d’obésité dans sa cellule (Plut., Alex., 55.9). Alexandre n’aurait donc pas ordonné son exécution.
  76. Plutarque le cite notamment à propos de deux événements survenus avant même que Charès fût entré au service d’Alexandre : la bataille d’Issos (De la Vertu d’Alexandre, 2.9) et la prise de Tyr (Alex., 24). Hamilton 1969, LV-LVI.
  77. Il souligne ainsi par exemple sa jeunesse, dont témoigne le combat de pommes auquel il se livra rapporté par Athénée (7.4), ou son attachement à son cheval Bucéphale dont traite Aulu-Gelle (5.2.1).
  78. Dans une longue citation certainement textuelle de Charès que l’on trouve chez Athénée (12.54), on trouve la plus longue description de cet événement majeur, vu d’un point de vue très prosaïque (nombre de chambres préparées, prix des couvertures…).
  79. Arr., An., 6.5-6.
  80. Arr., Ind., 20.1 (ἐκπεριπλῶσαι τὴν θάλασσαν τὴν ἀπὸ Ἰνδῶν ἔστε ἐπὶ τὴν Περσικήν) et 32.11 (ἀλλὰ ἐθέλοντα αἰγιαλούς τε τοὺς κατὰ τὸν παράπλοον κατασκέψασθαι καὶ ὅρμους καὶ νησῖδας, καὶ ὅστις κόλπος ἐσέχοι, ἐκπεριπλῶσαι τοῦτον, καὶ πόλιας ὅσαι ἐπιθαλάσσιαι, καὶ εἴ τις ἔγκαρπος γῆ καὶ εἴ τις ἐρήμη.). Trad. J. Auberger.
  81. ἐς τοσήνδε ταλαιπωρίην καὶ τοσόνδε κίνδυνον τῶν τινα ἑωυτοῦ φίλων ἐμβάλλειν. Arr., Ind., 20.6. Trad. J. Auberger.
  82. On retrouve un pareil attachement dans une scène pleine d’émotion où Alexandre retrouve Néarque qu’il croit mort, disparu avec sa flotte. Arr., Ind., 35.5.
  83. P. Pédech (1984) a reconstitué le plan probable de cette Navigation côtière : présentation de l’Inde, puis expédition en trois parties : descente des fleuves indiens, navigation océanique, remontée du Pasitigre jusqu’à Suse.
  84. Arr., Ind., 38.4 ; 32.11 et surtout 19.9. Théophraste (H.P., 4.7.3) propose Ἀνάπλους, mais ne parle sûrement que de la dernière étape du périple : la remontée du Pasitigre vers Suse.
  85. Arr., An., 7.5.4-7.5.6 ; Ind., 42.9.
  86. Néarque, conformément à la mission confiée par Alexandre, consigna des données notamment géographiques, zoologiques ou ethnographiques dont usèrent Strabon et Pline. Voir par exemple Str. 15.1.44-15.1.45 et 15.2.14 et Plin. 6.107, 6.109 et 6.124.
  87. Cette référence porte notamment sur le combat contre les Malles (An., 6.1-6.20), comme Arrien l’indique lui-même dans l’Inde (19.8) en faisant référence à l’ouvrage qu’il avait précédemment écrit.
  88. Arr., An., 7.5-7.6 ; Ind., 18.9.
  89. Str. 15.2.4 ; Plut., Alex., 66.3 ; De la Fortune d’Alexandre, 1.10.
  90. Arr., Ind., 32.9-32.13.
  91. DL 6.84. Diogène Laërce fait dans ce passage un parallèle entre Onésicrite et Xénophon et nous apprend à son sujet, en plus de sa formation philosophique, qu’il avait écrit une Alexandropédie. Il est dès lors possible que les premiers chapitres de la Vie d’Alexandre de Plutarque, consacrés à la jeunesse du prince macédonien, soient au moins en partie tirés de cet ouvrage.
  92. ὡς τὸν μὲν βασιλέα ἐπαινοίη, διότι ἀρχὴν τοσαύτην διοικῶν ἐπιθυμοίη σοφίας · μόνον γὰρ ἴδοι αὐτὸν ἐν ὅπλοις φιλοσοφοῦντα· ὠφελιμώτατον δ´ εἴη τῶν ἁπάντων, εἰ οἱ τοιοῦτοι φρονοῖεν οἷς πάρεστι δύναμις τοὺς μὲν ἑκουσίους πείθειν σωφρονεῖν τοὺς δ´ ἀκουσίους ἀναγκάζειν. Str. 15.1.64. Trad. J. Auberger. Sur cette vision d’Alexandre chez Onésicrite, et l’usage qu’en fit Plutarque, voir Hamilton 1969, LVII.
  93. Il met ainsi un terme à un certain nombre de pratiques barbares, cf Str. 11.11.3.
  94. Plut., Alex., 46. Plutarque cite en effet Onésicrite au nombre des auteurs rapportant cette anecdote avec Clitarque, Polycleitos, Antigénès et Istros. C’est parce qu’il écrivit avant Clitarque, et qu’on n’a gardé que peu de choses de l’œuvre de Polycleitos, et moins encore d’Antigénès et d’Istros, qu’on admet généralement Onésicrite comme l’inventeur de cette histoire célèbre.
  95. Voir par exemple Str. 2.1.9 et 15.1.28 ; Gell. 9.4.1-3.
  96. Str. 15.1.21-15.1.24.
  97. Voir par exemple ses considérations sur les éléphants vivant jusqu’à cinq cents ans chez Strabon (11.1.43) ou sur des serpents de cent quarante coudées (cinquante-cinq mètres !) chez Élien (N.A., 16.39). Ces perspectives scientifiques lui valurent aussi l’intérêt de Pline (par exemple 2.183 ou 7.28).
  98. On tire de cette information un élément de datation important : l’œuvre de Ptolémée fut rédigée après qu’il se fut donné ce titre, en 305. On a longtemps pensé que cette œuvre datait de la fin de son règne, entre 290 et 283. P. Pédech (1984, 236) tire quant à lui la conclusion que l’ouvrage fut écrit dans les mois qui suivirent son accession au trône, avant que Lysimaque ne prît aussi ce titre.
  99. Plutarque ne le cite ainsi qu’une fois : De la Vertu d’Alexandre, 1.3.
  100. F. Jacoby dénombre vingt-sept passages où son nom est cité, comme en 1.8 sur la prise de Thèbes ; en 2.11.8 sur la bataille d’Issos ; en 3.26 sur les morts de Philotas et Parménion. Arrien a aussi pu utiliser son œuvre sans identifier systématiquement sa source et son influence fut sans doute plus grande encore.
  101. P. Pédech la nuance quant à lui en notant les omissions volontaires de ce qui pouvait rabaisser son propre prestige, notamment les hauts-faits des autres généraux.
  102. Son intérêt pour les constructions se retrouve en effet dans les fragments conservés. Arrien (An., 6.29.4-6.29.11) rapporte que c’est à lui qu’Alexandre confia la tâche de restaurer le tombeau de Cyrus retrouvé profané.
  103. Luc., Macr., 22.
  104. F. Jacoby répertorie soixante-deux fragments, mais l’on peut penser que Plutarque l’utilisa plus encore que dans les seuls passages où il le mentionne comme sa source. Pédech 1984, 334-335. Sur Plutarque et Aristobule, voir Hamilton 1969, LIV-LV.
  105. Aristobule, esprit scientifique, devait aussi accorder de l’importance aux données géographiques (Str.11.7.3 ; 15.1.17-15.1.19), zoologiques ou botaniques (Str. 11.7.2).
  106. Comme dans l’épisode de Timocléia rapporté à deux reprises par Plutarque (De la Vertu des femmes, 259d-260d ; Alex., 12) : Alexandre gracia cette Thébaine après qu’elle eut tué un Macédonien qui s’en prenait à elle.
  107. Arr., An., 4.14.1 et 4.14.4.
  108. Arr., An., 4.8. Trad. J. Auberger.
  109. Plut., Alex., 75.
  110. καὶ οἱ πότοι δέ, ὡς λέγει Ἀριστόβουλος, οὐ τοῦ οἴνου ἕνεκα μακροὶ αὐτῷ ἐγίγνοντο, οὐ γὰρ πίνειν πολὺν οἶνον Ἀλέξανδρον, ἀλλὰ φιλοφροσύνης τῆς ἐς τοὺς ἑταίρους. Arr., An., 7.29.4. Trad. J. Auberger.
  111. Plut., Comment distinguer le flatteur de l’ami, 24.
  112. Arr., An., 7.27.2 ; Curt. 10.10.14-10.10.16. C’est la version des Histoires philippiques (12.14.7-12.14.8).
  113. Str. 11.14.12-11.14.15. Médios, cité en même temps qu’un certain Cyrsilos, s’emploie à faire des Arméniens et des Perses des descendants de Jason, donc des Thessaliens, comme lui.
  114. Il semble en effet avoir vu Suse (Str. 15.3.2), et avoir été présent lors de l’ouverture au public des trésors des rois perses : il s’est en effet distingué dans l’Antiquité pour sa description d’un chandelier qui apparaissait comme un morceau de bravoure (Ath. 5.40).
  115. Par exemple sur l’Euphrate, Str. 16.1.13 ; sur des lézards indiens, El., N.A., 16.41…
  116. Str. 11.7.4.
  117. Πολύκλειτος δ’ ὁ Λαρισαῖος ἐν τῇ ὀγδόῃ τῶν ῾Ιστοριῶν καὶ ἐπὶ χρυσῆς κλίνης κοιμᾶσθαί φησι τὸν ᾽Αλέξανδρον καὶ αὐλητρίδας αὐτῷ καὶ αὐλητὰς αἰεὶ ἕπεσθαι ἐπὶ τὸ στρατόπεδον καὶ πίνειν ὀ ἄχρι τῆς ἕω. Ath. 12.55. Trad. J. Auberger.
  118. Arr., An., 3.5.3.
  119. Ath. 27.
  120. οὐκ ἠπίσταντο πίνειν εὐτάκτως, ἀλλ´ εὐθέως ἐχρῶντο μεγάλαις προπόσεσιν, ὥστε μεθύειν ἔτι παρακειμένων τῶν πρώτων τραπεζῶν καὶ μὴ δύνασθαι τῶν σιτίων ἀπολαύειν. Ath. 3.91. Trad. J. Auberger.
  121. Ὁ δὲ Ἀλέξανδρος λαβὼν ἔσπασε μὲν γενναίως, οὐ μὴν ὑπήνεγκεν, ἀλλ´ ἀπέκλινεν ἐπὶ τὸ προσκεφάλαιον ἀφεὶς τῶν χειρῶν τὸ ποτήριον. Καὶ ἐκ τούτου νοσήσας ἀπέθανε, τοῦ Διονύσου, φησί, μηνίσαντος αὐτῷ, διότι τὴν πατρίδα αὐτοῦ τὰς Θήβας ἐπολιόρκησεν. Ath. 10.44. Trad. J. Auberger.
  122. Ath. 12.53.
  123. Ath. 10.44.
  124. Ath. 12.53. Trad. J. Auberger.
  125. Pearson 1960, 216 sq. ; Pédech 1984, 9 sq. ; Baynham 1998, 69.
  126. Voir DL. 1.6 : Τοὺς γοῦν γυμνοσοφιστὰς καὶ θανάτου καταφρονεῖν φησι Κλείταρχος ἐν τῇ δωδεκάτῃ. (“Dans son douzième livre Clitarque dit que les gymnosophistes méprisent la mort.ˮ) Trad. J. Auberger.
  127. F. Schachermeyr (1970, 211 sq.) situe la date de composition entre 316 et 305. Pour une mise au point récente sur Clitarque et sa datation, et le relatif consensus sur une datation haute, voir Prandi (2), 59.
  128. DS 17.103 ; Curt. 9.8.17-9.8.28 ; Just. 12.10.2-12.1.4.
  129. Arrien (An., 6.11.8.) profite également de la narration de cet épisode pour condamner la version due, si l’on en croit Quinte-Curce, à Clitarque, et affirme qu’elle contredit celle de Ptolémée.
  130. Pour une datation antérieure à la mort de Ptolémée, voir aussi Hamilton 1961.
  131. Pour une datation postérieure à la mort de Ptolémée, voir aussi Tarn 1948, II, 16-29.
  132. Plin. 3.57.
  133. El., N.A., 17.2 ; 17.22 ; 17.23 ;17.25 ; Str. 15.1.69.
  134. Par exemple, sur les Mandores mangeurs de sauterelles, voir Plin. 7.29 ; sur les sacrifices d’enfants au dieu Cronos pratiqués selon Clitarque par les Phéniciens et les Carthaginois, voir une scholie à Platon, République, 357a.
  135. Ath. 12.39 ; scholie à Aristophane, Oiseaux, 487 ; DS 2.7.3-2.7.4.
  136. Str. 11.1.5.
  137. Str. 7.2.1.
  138. Ainsi Pline, lorsqu’il évoque Dinon, l’auteur des Persica, le présente comme le père de Clitarque, sans doute plus reconnu que lui, par l’expression Clitarchi celebrati auctoris pater (“père du célèbre auteur Clitarqueˮ).
  139. Quint. 10.1.74.
  140. Cic., Fam., 2.10.3. Cet épisode était chez Clitarque si célèbre que l’on pense que la fameuse mosaïque de la Maison du Faune à Pompéi, aujourd’hui conservée au Musée Archéologique de Naples, qui montre Alexandre attaquant Darios sur son char, est directement inspirée de cet auteur.
  141. Cic., Brut., 43. À propos de l’épisode ici incriminé par Cicéron, concernant une rencontre supposée entre Thémistocle et Xerxès, Plutarque (Thém., 27.1) pointait aussi le peu de confiance à accorder à Clitarque.
  142. Sur les sources de Plutarque, voir l’excellente liste de J. R. Hamilton (1969, LII-LIII).
  143. Quinte-Curce s’est de fait appuyé sur Clitarque pour écrire la majeure partie de son œuvre, mais il usa aussi des ouvrages de Ptolémée, d’Onésicrite et même de Trogue Pompée selon les conclusions de J. E. Atkinson (1980, 58-67).
  144. Goukowsky 1976, 12-13. On trouvera dans ces pages des références à ces similitudes entre Diodore et Quinte-Curce.
  145. Nous avons déjà évoqué le combat chez les Malles attesté par Quinte-Curce (9.5.21) ainsi que l’ambassade romaine (Plin. 3.57) ; ajoutons l’intervention de Thaïs et l’incendie du palais de Persépolis (Ath. 13.37) ; la rencontre avec Thalestris, reine des Amazones (Plut., Alex., 46.1) ; la visite au mont Nysa (scholie à Apollonios de Rhodes 2.904) ; la guerre contre le roi Sambos (Curt. 9.8.15) ; la digression sur les Ichtyophages (Plin. 7.30). Ces épisodes seront développés au cours de notre étude, à l’exception de la digression sur les Ichtyophages (que Clitarque semble confondre avec les Orites), un peuple exclusivement mangeur de poissons, dans la mesure où elle ne met pas en lumière l’image d’Alexandre le Grand. On s’interrogera sur l’absence de la guerre contre Sambos dans les Histoires philippiques dans l’annexe 2.
ISBN html : 978-2-35613-398-4
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Pessac
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EAN html : 9782356133984
ISBN html : 978-2-35613-398-4
ISBN pdf : 978-2-35613-399-1
ISSN : 2741-1818
Posté le 24/06/2021
26 p.
Code CLIL : 3385 ; 3436
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Comment citer

Horn, Nelson, “Introduction”, in : Horn, Nelson, L’image d’Alexandre le Grand chez Trogue Pompée / Justin. Analyse de la composition historique des Histoires philippiques (livres 11 et 12), Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 9, 2021, 35-60, [en ligne] https://una-editions.fr/alexandre-le-grand-chez-trogue-pompee-justin-introduction/ [consulté le 24 juin 2021].
10.46608/primaluna9.9782356133984.2
Illustration de couverture • Montage à partir de photos d'un buste de d’Alexandre de la fin du IVe siècle (Musée de Pella), d'une épée attribuée à Philippe retrouvée dans la tombe 2 de Vergina et d'une cruche de vin retrouvée dans le tombeau de Philippe II, tous les deux datant de 336 a.C. (Musée des tombes royales d'Aigéai, Ministère de la Culture et du Tourisme grec).
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