Pour l’honneur du nom François & du nom Chrétien, il seroit à souhaiter que la mémoire de toutes ces inhumanitez eût été d’abord abolie, et qu’on eût jetté au feu tous les Livres qui en parloient1.
C’est ainsi que Pierre Bayle ouvre son plaidoyer en faveur de l’écriture de l’histoire, alors même qu’il fait le choix de conserver « la mémoire de tous ces effroiables desordres2 ». De quel droit l’histoire se saisit-elle du passé des guerres civiles, quand l’autorité monarchique en appelle au « devoir d’oubliance3 » ? Quel intérêt peut-elle avoir de rappeler la mémoire des atrocités, au risque de réveiller les haines ? L’historien doit-il « scandaliser » et à quelles fins ? Dès le temps des guerres de Religion et tout au long du XVIIe siècle, le devoir d’oubli se heurte à la fabrique multiforme d’une mémoire des troubles et du scandale de l’affrontement des Églises. Dans cette bataille de la mémoire, l’écriture de l’histoire occupe, on le sait, une place importante. Nous nous proposons ici d’articuler écriture de l’histoire et pensée du scandale, en suivant en diachronie les réécritures successives d’un épisode des troubles survenus en Bourgogne, en 1562.
Alors que la ville de Mâcon est tombée aux mains des catholiques, pour comble de malheurs, Saint-Point est nommé gouverneur de la ville. Ses méfaits sont consignés, en 1580, dans l’Histoire ecclésiastique des Églises Réformées de France. On en retrouve la trace dans les Historiae sui temporis de de Thou, dans les écrits d’Agrippa d’Aubigné et jusque dans le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, à l’article « Mâcon ». Ces mises en récit, pour certaines largement postérieures aux événements4, peuvent éventuellement s’inspirer de témoignages directs sur les violences commises (pensons à l’Histoire ecclésiastique5), mais se nourrissent aussi les unes les autres, les plus récentes reprenant (et parfois corrigeant) les plus anciennes. Elles se distinguent par ailleurs de la littérature polémique et militante contemporaine par leur travail rétrospectif de fixation des « cadres historiques et mémoriels6 ». Ce n’est pas qu’elles soient dénuées de dimension partisane, bien au contraire, mais l’enjeu se situe à un autre niveau, celui de l’établissement des faits. Elles se distinguent également des martyrologes, en particulier du martyrologe de Jean Crespin continué par Simon Goulart au début du XVIIe siècle – même si ce dernier, dans le cas qui nous occupe, recopie l’Histoire ecclésiastique7. Leur finalité n’est en effet pas la même. Là où les récits hagiographiques de Crespin et son continuateur construisent de manière dramatique la mémoire traumatique d’une minorité confessionnelle opprimée, ces récits historiques sont assumés par des auteurs auxquels échoit la responsabilité d’établir le narré des guerres de Religion. Trois ensembles textuels vont particulièrement retenir notre attention : l’Histoire ecclésiastique, les textes d’Agrippa d’Aubigné et ceux de Pierre Bayle. Nous aborderons également l’œuvre de Jacques-Auguste de Thou dans sa version française, car les Historiae sui temporis présentent des particularités propres en termes de circulation. Il s’agit d’un texte écrit en latin « pour les savants et les puissants » de France et d’Europe, là où les autres font le choix stratégique du français pour toucher le public le plus large8.
Il s’agira d’être sensible au traitement différentiel de l’événement. Comment les faits sont-ils retranscrits et à quelle fin ? Quels biais idéologiques (politiques et confessionnels) exercent une influence sur la (re)construction de l’épisode ? Dans le narré de la violence, enfin, où réside le scandale ? Si le scandale tel qu’il fut vécu à Mâcon, en 1562, ne nous est pas accessible, en revanche, les mises en récit historiques postérieures proposent autant de lectures de ce qui a fait et continue de faire scandale dans cette affaire.
La « farce de Saint-Point »
On doit la première mise en récit historique de l’affaire Saint-Point à l’Histoire ecclésiastique des Eglises réformées parue en 15809. Touchant des questions brûlantes, l’ouvrage vise une aire de réception très large à Genève comme en France et cherche à donner aux réformés du royaume « une base historique commune10 ». Le livre XV, « contenant les choses advenues dans le ressort et parlement de Bourgogne », établit ainsi le narré des campagnes militaires de Tavannes dans la région de Bourgogne jusqu’à la prise de Mâcon. Tavannes ayant plutôt « vidé les bourses que coupé les gorges11 », les pillages succèdent aux pillages au fur et à mesure que les villes des alentours sont prises. Les exécutions sommaires ne sont pas absentes, mais elles ne constituent pas le cœur dramatique du récit historique. L’affaire Saint-Point intervient à la fin du livre XV, alors que la ville de Mâcon est tombée aux mains de Tavannes, et marque un changement de régime narratif12 :
Pour comble de tous malheurs, Saint-Point (homme du tout sanguinaire et plus que cruel, lequel, sa propre mère a déclaré en jugement, pour décharger sa conscience, être fils d’un prêtre qu’elle-même nommait) fut laissé par Tavanes gouverneur de la ville, lequel, pour son passe-temps, après avoir festoyé les dames, avait accoutumé de demander si la farce, qui depuis fut nommée la farce de Saint-Point, était prête à jouer. C’était comme un mot du guet par lequel ses gens avaient accoutumé de tirer de la prison un ou deux prisonniers, et quelquefois davantage, qu’ils menaient sur le pont de la Saône, là où comparaissant avec les dames, après leur avoir fait quelques belles et plaisantes questions, il les faisait précipiter et noyer en la rivière13.
Contrairement aux récits de campagne qui précèdent, le passage cité ne nous permet pas d’entrer dans la trame événementielle de l’époque où la ville de Mâcon est soumise à la loi de Saint-Point. L’Histoire ecclésiastique propose en effet un récit à valeur résomptive, souligné par l’emploi de l’imparfait qui marque l’itération du fait violent (la « farce » a été donnée plus d’une fois). Les victimes (des prisonniers protestants) sont anonymes, de même que les « dames ». Quant aux acteurs, seul Saint-Point, en tant que gouverneur de la ville, est distingué de la masse des gens d’armes qu’il commande et qui l’accompagnent dans ses exécutions sommaires. On notera trois traits marquants dans la présentation de Saint-Point : la filiation disqualifiante, la cruauté et la raillerie qui transforme l’exécution en « farce ».
Dans ce premier récit, le scandale n’est pas dans l’exécution sommaire mais dans une mise en scène humiliante qui moque la victime14. Deux interprétations sont ici possibles. La première, suggérée par Natalie Zemon Davis, explique la transformation du meurtre en « farce » par sa fonction profonde : créer les conditions d’un massacre déculpabilisé (« guilt-free massacre15 »). L’acte de nomination ainsi que la mise en scène de la « farce » témoigneraient d’une ritualisation de la violence visant à déshumaniser la victime pour mieux cacher aux yeux des bourreaux la réalité de leurs actes. De fait, les analyses de Denis Crouzet ont montré l’importance de ces phénomènes de ritualisation de la violence pendant les guerres de Religion – violence eschatologique du côté catholique, violence iconoclaste associée au rire carnavalesque du côté
protestant16. Dans le cas de la farce de Saint-Point, toutefois, le schéma s’inverse. Dans le rapport qu’en fait l’Histoire ecclésiastique, qui est la lecture protestante de l’événement, la ritualisation carnavalesque se trouve du côté catholique. On peut dès lors s’interroger sur les réponses affectives et morales qu’elle induit chez Saint-Point, mais aussi chez ces dames placées en position de spectatrices. L’insistance sur le plaisir pris transforme, semble-t-il, la farce en divertissement. La deuxième hypothèse de lecture tient compte des modalités particulières de cette « farce ». En transformant ces exécutions sommaires en « farce » où les dames sont conviées après dîner, Saint-Point ne laisse pas s’opérer le travail de déshumanisation, pourtant essentiel selon Nathalie Zemon Davis pour que l’on puisse parler de ritualisation. Ni défigurés, ni animalisés, les prisonniers avec lesquels ces dames plaisantent sont précisément reconnus comme des interlocuteurs avant d’être noyés. Il est également significatif qu’il s’agisse d’un spectacle orchestré pour le « passe-temps » du gouverneur Saint-Point et le plaisir de la compagnie féminine qu’il entretient. Dans ce compte-rendu protestant d’une violence exercée par des catholiques, il manque la sacralisation de la violence qui permettrait, sinon de la justifier, du moins de la doter d’un surcroît de sens. Ce qui se donne à lire, dans le récit de Théodore de Bèze, c’est peut-être bien la parodie d’un rite de violence.
Quelle que soit l’interprétation retenue, le scandale du fait violent réside dans les modalités de sa mise en scène. Avec ce récit fondateur, les principaux traits de la « farce de Saint-Point » sont fixés. Un dernier aspect mérite toutefois d’être relevé, car il va disparaître des récits suivants : l’acte de nomination « la farce de Saint-Point », souligné par l’incise17. À un premier niveau, il transforme un « mot » du guet en « bon mot », et l’exécution sommaire en mise en scène macabre, mais, en outre, il rend palpable une première chambre d’écho de la violence, une première médiatisation. La farce de Saint-Point, c’est l’appropriation par la rumeur d’un bon mot attribué à Saint-Point, qui finit par désigner le fait violent, dans toute l’horreur de sa répétition.
Un scandaleux « spectacle »
On doit la deuxième mise en récit historique au gallican Jacques-Auguste de Thou. Si le projet d’écrire une histoire du temps présent nait dans les années 1570, la première édition (très incomplète) des Historiae sui temporis ne paraît qu’en 1604, pour une publication qui s’échelonne ensuite sur quatorze ans18. Contrairement à l’Histoire ecclésiastique rédigée en français pour un public large, la latinité de l’écriture de de Thou détermine (au moins dans un premier temps) l’horizon de réception d’un texte qui s’inscrit dans un projet monarchique clairement explicité par de Thou puis par ses continuateurs. Là où Théodore de Bèze vise l’établissement d’une mémoire confessionnalisée des guerres de Religion, de Thou élabore une nouvelle forme d’histoire, engagée certes, mais marquée, selon Robert Descimon, par une « double sécularisation […] par rapport à l’écriture théologique et [par rapport] à l’écriture juridique19 ». Les Historiae, mises à l’lndex en 1609, connaissent une réception enthousiaste et de multiples traductions. La première traduction française (incomplète) paraît en 1659 ; c’est cette édition que nous avons retenue, en complément de l’original latin des Historiae sui temporis.
De Saint Point fut mis pour Gouverneur de la ville ; & soit qu’il fust naturellement cruel, ou qu’il voulust se vanger de tant de pertes qu’il avoit reçeuës, il exerça toutes sortes d’inhumanitez sur les suspects ; & parmy ces cruautez il insultoit en se moquant à la misere des malheureux qu’il persecutoit. Car comme il donnoit souvent festin aux plus belles femmes de la ville, & aux Dames du païs qui y venoient, il avoit accoustumé apres le repas en se pourmenant parmy les gens de guerre sur le bord de la riviere qui passe le long de la ville, de faire venir un ou deux des prisonniers qu’il faisoit mettre tous les jours en prison pour fort peu de chose, & de les faire jetter du pont dans la riviere, divertissant par ce spectacle ceux qui avoient mangé aveque luy, & leur demandoit, lequel à leur advis avoit sauté de meilleure grace. Ainsi il se gouverna pendant tout le temps qu’il commanda dans Mascon, jusqu’à ce qu’ayant rencontré Apchon son Ennemy capital, comme il alloit en son Chasteau proche de là, il en fut tué dans le combat, d’un coup de mousquet, & puny justement de tant de meurtres20.
Il n’y a pas de différence d’ordre factuel entre le rendu protestant des événements porté par l’Histoire ecclésiastique et l’œuvre de Jacques-Auguste de Thou, sinon peut-être un plus grand effort de concentration puisque l’assassinat de Saint-Point est évoqué en clausule, ce qui n’était pas le cas dans l’Histoire ecclésiastique21. Les deux sources concordent à la fois sur les faits et sur le scandale d’exécutions à répétition faites en se moquant (« parmy ces cruautez il insultoit en se moquant à la misere des malheureux qu’il persecutoit » / « inter saeviendum plerunq. miseris hominibus illudens »). Si l’acte de nomination « la farce de Saint-Point » s’efface au profit de commentaires attribués à Saint-Point sur la qualité des sauts de ses victimes, le scandale réside toujours dans des exécutions orchestrées pour le divertissement de la compagnie. De Thou et son traducteur choisissent toutefois le terme de « spectacle », plus neutre que celui de « farce22 », pour rendre compte d’une mise en scène dont le caractère dégradant rejaillit sur le bourreau. On s’éloigne d’autant plus d’un récit de ritualisation de la violence – une violence que de Thou dénonce sous toutes ses formes dans son ouvrage – que l’inhumanité est du côté de Saint-Point. L’hésitation sur ses mobiles, en revanche, introduit un élément nouveau, qui sera exploité par les continuateurs : la cruauté peut s’inscrire dans une logique de représailles.
Les « sauts » de Saint-Point et du baron des Adrets
La troisième mise en récit est en réalité double, puisqu’elle nous est proposée par Agrippa d’Aubigné, à la fois dans les Tragiques et dans son Histoire universelle. D’ordinaire, les Tragiques n’épargnent à leur lecteur ni les effets de liste dans l’horreur ni la crudité des détails23. Or, pour une fois, la référence aux cruautés commises en août 1562 à Mâcon par Saint-Point reste allusive et se fait sur le mode de la prétérition :
Je laisse à part un pont rempli de condamnez,
Un gouverneur aiant ses amis festinez
Qui leur donne plaisir de deux cents precipices.
Nous voions de tels sauts, represailles, justices24.
Faut-il y voir la preuve que les événements sont suffisamment connus du lecteur de l’époque ? C’est possible. On perd toutefois le détail de la mise en scène en même temps que le sexe des spectatrices. En termes de lexique le « saut » remplace la « farce » – une modification d’autant plus notable, qu’elle s’accompagne d’un travail d’amplificatio (« pont rempli de condamnez », « deux cents precipices »), comme si l’exécution en masse se substituait à la répétition de la « farce ». La dimension spectaculaire de l’exécution s’en trouve profondément modifiée. Le scandale de la « farce de Saint-Point » s’efface au profit d’une réflexion ambiguë sur le droit de représailles – ambiguë, parce que le vers 673 s’approprie en réalité (au nom d’un « nous », dont il reste à définir les contours) une répartie attribuée par d’Aubigné au baron des Adrets.
Selon l’éditeur des Tragiques, la prétérition s’expliquerait par les cruautés similaires exercées sur les catholiques par le baron des Adrets, notamment à Saint-Marcellin puis à Montbrison sur la Loire25. Le baron faisait « passer au fil de l’espee, ou sauter » ses prisonniers. Ce sont des faits qu’Agrippa d’Aubigné rapporte en effet dans son Histoire universelle. C’est aussi dans ce texte que l’historien fait déclarer au baron des Adrets (pour sa décharge) « Que nul ne fait cruauté en la rendant, Que les premieres s’appellent cruautez, les secondes Justice26 » – on en aurait l’écho au vers 673 : « Nous voions de tels sauts, represailles, justices ». Or les cruautés du baron des Adrets (qui datent de juin et début juillet 1562) ont en réalité précédé celles de Saint-Point. La version proposée par l’Histoire universelle renchérit pourtant sur l’inversion chronologique, en faisant de Saint-Point l’inventeur de cette cruauté particulière qui consistait à faire sauter à l’eau des protestants :
S. Pont fut laissé pour commander à Mascon, inventeur de toutes cruautez ; qui bouffonnoit en les executant : et au sortir des festins qu’il faisoit, donnoit aux Dames le plaisir de voir sauter quelque quantité du pont en bas27.
L’erreur est volontaire, nous semble-t-il, d’autant que d’Aubigné a pu lire les faits à la fois dans l’Histoire ecclésiastique et dans les Historiae du gallican Jacques-Auguste de Thou, qu’il cite élogieusement en préface28. On assiste ainsi à une torsion significative, non des faits eux-mêmes, mais du fil chronologique dans l’ordre de la mise en récit. Or cet ordre est essentiel si l’on raisonne en termes de droit de représailles. Les sauts de Mâcon du catholique Saint-Point, qui datent de la deuxième quinzaine d’août 1562, précèdent, dans l’ordre du récit, le narré des massacres d’Orange également perpétrés par des catholiques, qui commencent au mois de juin et culminent avec la décapitation, le 8 août, de Parpaille président au Parlement d’Orange. Ce sont pourtant ces deux événements qui, selon d’Aubigné, sont à l’origine des représailles sanglantes du baron des Adrets à Pierrelatte, à Saint-Marcellin puis à Montbrison, sur la Loire, entre juin et juillet 1562 : le baron des Adrets est « picqué de cest acte, et des precipices de Mascons »29.
Le récit de campagne30 du baron mérite d’être mis en regard de celui qui rapporte les atrocités de Saint-Point à Mâcon : d’un texte à l’autre, le verbe « sauter » finit par s’appliquer à un type de supplice, inauguré par Saint-Point (que d’Aubigné appelle Saint-Pont), utilisé ensuite par le baron des Adrets en guise de représailles. Dans le cas des sauts de Saint-Marcellin et de Montbrison, perpétrés par des Adrets, on note la forme intransitive du verbe sauter : le baron « trouva 300 hommes de guerre, si estonnez qu’il les prend d’emblee : les fait passer au fil de l’espee, ou sauter » ; « le Baron arrive, fait tout mettre en pieces, hors mis trente, qu’après disner il fit sauter ». Le verbe évoque la cruauté de Saint-Point sans qu’il soit nécessaire d’en rappeler le détail. Or l’omission est signifiante, puisque disparaît aussi cette raillerie bouffonne qui accompagnait les sauts de Saint-Point, dont le récit historique de d’Aubigné garde encore la trace, à la fois dans le verbe « bouffonner » (qui s’applique plus généralement à toute action moqueuse, qu’elle se passe ou non sur les tréteaux) et dans le plaisir de la compagnie. À l’inverse, dans le narré des sauts de Montbrison, le bon mot devient celui d’un prisonnier et lui vaut la vie sauve : « Il arriva qu’un s’estant arresté sur le bord du precipice, le Baron lui dit : Quoi ? tu en fais à deux fois ? Monsieur, dit-il, je le vous donne en dix : C’est le seul qui eut la vie sauve en faveur de ce bon mot. » La suite intitulée « Exploits du Baron des Adrets » finit le travail de différenciation, qui est aussi un travail de réhabilitation ambigu de la mémoire et des exploits du baron des Adrets, en rapportant un dialogue survenu entre d’Aubigné et le baron quelques douze ans plus tard :
Pourquoi il avoit usé de cruautez mal convenables à sa grande valeur. Pourquoi il avoit quitté un parti auquel il estoit tant créancé : Et puis pourquoi rien ne lui avoit succedé dès le parti quitté, quoi qu’il se fust employé contre. Il me respond au premier point, Que nul ne fait cruauté en la rendant, Que les premieres s’appellent cruautez, les secondes Justice. Là dessus m’ayant fait un discours horrible de plus de 4,000 meurtres de sang froid, et d’inventions de supplices que je n’avois jamais ouy, et sur tout des sauteries de Mascon, où le Gouverneur despendoit en festins pour donner ses esbattements au fruict, pour apprendre jusques aux enfans et aux filles à voir mourir les Huguenots sans pitié : il me dit, Qu’il leur avoit rendu quelque pareille en beaucoup moindre quantité, ayant esgard au passé et à l’advenir : au passé, ne pouvant endurer sans une grande poltronnerie le deschirement de ses fidelles compagnons ; Mais pour l’advenir, il y a deux raisons que nul Capitaine ne peut refuser : L’une que le seul moyen de faire cesser les barbaries des ennemis est de leur rendre les revanches : Sur quoi il me conta de 300 cavaliers renvoyez il y a quelque temps en l’armee des ennemis sur des chariots, ayans chascun un pied et un poing couppez, pour faire, comme cela fit, changer une guerre sans merci en courtoisie. L’autre raison pour l’advenir estoit, Qu’il n’y a rien de si dangereux que de monstrer, à ses partisans imparité de droict et de personnes, pour ce que quand ils font la guerre avec respect, ils portent le front et le cœur bas, sur tout quand les ennemis se vantent du nom du Roi, Et en un mot, qu’on ne peut apprendre au soldat à mettre ensemble la main à l’espee et au chappeau : De plus, qu’ayant au cœur des résolutions hautaines et dures, il ne vouloit point voir ses troupes filler du derrière en bonne occasion ; mais, en leur ostant l’espoir de tout pardon, il faloit qu’ils ne vissent abri que l’ombre des drapeaux, ni vie qu’en la victoire31.
L’ordre du récit, parce qu’il fabrique l’antériorité des « sauteries » de Saint-Point, permet d’inscrire les cruautés du baron dans une logique de représailles. Sans nier l’horreur des crimes commis, il met en évidence la logique qui sous-tend les actes. Postérieurs (apparemment) aux sauts de Mâcon, ceux du Baron des Adrets deviennent des actes de « justice ». Si l’ordre du discours atténue le scandale, le discours rapporté du baron finit de construire la légitimité de la violence en temps de guerre, en rappelant les devoirs d’un capitaine, qui doit tenir d’une main de fer ses troupes et dont la faiblesse peut conduire à la défaite. La cruauté du catholique Saint-Point est, en revanche, doublement impardonnable, parce qu’il est l’initiateur de ce type de supplice et parce que ce n’est pas ici son courage qui parle ou la logique propre du meneur d’homme. Les « sauteries » de Mâcon ont une visée éducative perverse : c’est une éducation à la cruauté « pour apprendre jusques aux enfants et aux filles à voir mourir les Huguenots sans pitié. » Le sexe des spectatrices prend désormais tout son sens. L’éducation enfantine passant par les femmes, éduquer à la cruauté le sexe faible permet de s’assurer du caractère impitoyable de la descendance catholique. L’explication est d’autant plus frappante qu’elle semble du fait de d’Aubigné (il ne s’agit apparemment pas des propos rapportés du baron des Adrets), et qu’elle donne une rationalité à ce qui était jusque-là dépourvu d’intentionnalité apparente.
Les « Sauteries de Mascon »
Venons-en, pour finir, à l’article « Mâcon » du Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle. Rédigé et publié à la fin du XVIIe siècle, il ne peut s’agir de le lire sans précaution en regard des récits que nous venons d’évoquer. Nous utiliserons son texte comme une chambre d’écho des points que nous avons soulevés jusqu’ici et comme un révélateur d’enjeux. La ville doit aux « Sauteries de Mascon » de figurer dans le Dictionnaire historique et critique32. C’est d’autant plus notable que très peu de villes apparaissent parmi les entrées du Dictionnaire. Bayle rapporte l’affaire Saint-Point aussi bien dans les termes de l’Histoire ecclésiastique (c’est la source principale des informations historiques rapportées dans les remarques A et B), que dans ceux de l’Histoire universelle de d’Aubigné, qui fournit la matière de la remarque B et qui fait également l’objet d’une discussion serrée dans l’article « Beaumont (François de) Baron Des-Adrets », remarque E (aux côtés d’autres sources catholiques, dont les Historiae de de Thou). Bayle privilégie « une pluralité de versions établies comme sources »33. Ce choix d’écriture de l’histoire lui permet de rectifier l’erreur de chronologie de d’Aubigné et ainsi de rétablir l’ordre des crimes :
Je ne doute pas que Saint Point n’alléguât pour ses excuses les sauts que Des Adrets avoit fait faire aux soldats de Montbrison, comme celui-ci s’excusoit sur les cruautez exercées à orange : & voilà comment un mauvais exemple en attire un autre presque à l’infini ; abyssus abyssum invocat. C’est pourquoi la plus grande faute est celle de ceux qui commencent, ils devroient porter en bonne justice la peine de tous les crimes qui suivent le leur. D’Aubigné n’avoit pas bien consulté les dates, lors qu’il dit que le Baron Des Adrets piqué du saccagement d’Orange & des précipices de Mâcon marcha à Pierrelate, se rendit maître de plusieurs villes, & enfin vint à Montbrison. Il paroit par Theodore de Beze, que Pierrelate & d’autres villes avoient été subjuguées par Des Adrets avant le 26 de Juin, & que les soldats de Montbrison sautérent le 16 de Juillet, & que Mâcon fut pris par Tavanes le 19 d’Août34.
En citant le psaume de David (XLII, 8), Bayle s’en prend directement au sophisme de des Adrets : « Que nul ne fait cruauté en la rendant, Que les premieres s’appellent cruautez, les secondes Justice. » Les cruautés exercées à Orange par les catholiques ont entraîné celles du baron des Adrets à Pierrelate et Montbrison, comme ces dernières ont pu motiver celles de Saint-Point à Mâcon en 1562. Les unes ne sont pas plus excusables que les autres : c’est la première leçon à tirer des articles « Mâcon » et « Beaumont ». Bayle refuse d’autoriser les crimes de guerre par un prétendu « droit de représailles », mais il va aussi plus loin, en faisant rejaillir sur l’historien la faute de l’homme de guerre. Car l’historien est fautif lorsqu’il modifie l’ordre des événements pour présenter sous un jour favorable ce qui ne saurait être excusable. Maimbourg est ainsi critiqué, dans l’article « Beaumont », pour avoir minimisé les crimes des catholiques en tordant le fil chronologique des événements :
Il faut ici relever une fausseté insigne du Sieur Maimbourg. Après avoir raporté les barbaries de Des-Adrets, il ajoûte ces paroles : A la vérité, il y eut des Catholiques, qui, justement irritez de tant d’horribles crimes, abusérent injustement du droit de représailles, & les traittérent à-peu-prés de même de leur autorité particuliere ; mais peu périrent de la sorte. Il suppose donc que Des-Adrets commença à user de ces barbaries, & que les Catholiques ne s’en servirent qu’à son exemple, & par droit de représailles. Mais c’est ou une ignorance crasse, ou une mauvaise fois prodigieuse ; car les Historiens les moins suspects de partialité pour ceux de la Religion avouent ingénument que les cruautez exercées à Orange precédérent celles de Des-Adrets35.
Bayle ne se place pas tant sur le terrain du droit que sur celui de l’établissement des faits, qui est du ressort de l’historien : falsifier l’ordre des faits dans le narré historique revient à falsifier l’histoire. Quels qu’en soient les mobiles, l’erreur de Maimbourg est symétrique à celle de d’Aubigné (même si Bayle n’exclut pas, dans son cas, la faute d’inattention). Le droit de représailles supposant l’antériorité des crimes de l’adversaire, le convoquer à faux revient à redéfinir les niveaux de responsabilité selon une logique partisane. On aboutit ainsi à une histoire qui tient plus du « sermon de croisade36 » que du discours de vérité. Or l’historien ne doit être attentif qu’aux intérêts de la vérité : il doit oublier, pour bien faire, « qu’il est d’un certain Païs, qu’il a été élevé dans une certaine Communion, qu’il est redevable de sa fortune à tels & à tels, & que tels & tels sont ses parens, ou ses amis37 ». C’est une leçon qu’apparemment le sieur Maimbourg n’a pas retenue.
Le traitement de l’affaire Saint-Point éclaire les présupposés historiographiques de Bayle. Dans l’article « Mâcon », Bayle juxtapose les récits historiques, en prenant appui sur l’Histoire ecclésiastique qu’il considère comme une source indépassable en la matière. Il est d’autant plus aisé de corriger d’Aubigné par Théodore de Bèze, que l’un et l’autre sont de même confession. Dans l’article « Beaumont », Bayle procède également par confrontation de sources historiques. Il oppose ainsi, de manière stratégique l’Histoire de Charles IX de Varillas à l’Histoire du Calvinisme de Maimbourg. Varillas est historiographe du roi ; le jésuite Maimbourg occupe une place importance dans le « dispositif idéologique de la monarchie française38 ». Tous deux font partie, par leur affiliation confessionnelle, de ces « Historiens les moins suspects de partialité pour ceux de la Religion », mais alors que Maimbourg est suspecté de mauvaise foi, l’Histoire de Charles IX est reconnue comme une source fiable, nonobstant ses autres erreurs, parce que son auteur ne cherche pas à intervertir l’ordre des faits39. Le témoignage sur les atrocités commises à Orange par les catholiques a d’autant plus de poids qu’il provient d’une plume catholique. Confronté à une floraison de témoignages textuels, parfois convergents, le plus souvent contradictoires, à partir desquels constituer ses notices biobibliographiques, Bayle utilise ainsi les affiliations politiques et confessionnelles des auteurs consultés pour discriminer le vrai du faux et le faux du probable. La recherche de la vérité historique ne peut faire l’économie du zèle et de l’intérêt de parti des acteurs de l’histoire, comme de ceux qui en font le narré. L’intérêt d’un cas limite comme l’affaire Saint-Point, c’est d’ajouter au souci d’établissement des faits une réflexion sur les mécanismes de minoration du scandale de la violence en tant de guerre.
Ce problème recoupe en partie notre deuxième enjeu, qui regarde le devoir d’oubli confronté aux exigences d’une mémoire historique des troubles. Y a-t-il une éducation à la cruauté et à la haine par la lecture de l’histoire ? Bayle soulève frontalement la question de la responsabilité de l’historien dans la mise en récit du fait violent à la remarque C. Quelle nécessité de rapporter ces horreurs, en effet, surtout un siècle après ? Quelles sont les limites du dicible et du publiable dans une société qui, depuis la révocation de l’édit de Nantes, refuse la cohabitation confessionnelle ? À ces questions délicates, Bayle apporte plusieurs réponses. Il rappelle d’abord que, nonobstant les édits d’oubli, la mémoire des troubles s’est construite par et dans l’écriture des « Histoires de nos guerres civiles ». Or la diffusion de ces histoires auprès du public et la « politisation de la mémoire40 » qui en a résulté n’auraient nullement empêché la cohabitation pacifique des deux confessions. En réalité, les édits d’oubli ont précisément été édictés pour éviter la spirale de la violence exercée au nom d’un « droit de représailles » qui contaminerait le temps de paix, après avoir pollué le temps de guerre41. Les catholiques de Mâcon espèrent ainsi, en 1571, que ceux :
[…] de ladicte relligion ne ce [voudront] formaliser, que sera le meilleur suivant l’eedict de pacification et inthention de sadicte Majesté, article premier et deuziesme : en toute chose doibvent demeurer ez obly, comme non advenus, assouppies et estains, sans les renoveler42.
Au sortir de chaque période de troubles, il s’agit de faire comme s’il ne s’était rien passé. Les édits d’oubli constituent autant de fictions juridiques nécessaires à l’instauration de la paix et au maintien de l’ordre, qui interdisent le renouvellement des querelles dans l’espace public et les poursuites en justice qui pourraient résulter du rappel inconsidéré du passé43.
Rappeler les crimes de Mâcon, dans le Dictionnaire historique et critique, ce n’est toutefois pas « renouveler la mémoire » des troubles pour mieux raviver les conflits. Car les sauteries de Mâcon n’ont jamais été oubliées : elles « se lisent en plus de lieux ; & ont plus de monumens pour gages de leur immortalité, que celles de l’Empereur Tibere44 ». On peut s’interroger sur la nécessité d’une telle immortalisation de la violence ; on ne peut que constater l’efficacité du narré historique dans l’établissement d’une mémoire collective des guerres civiles. Or, dans ce travail rétrospectif de fixation mémorielle des traces historiques, les images assument une fonction essentielle. Dans l’espace d’un seul article accompagné de ses dépendances, nous passons de la « farce de Saint-Point » aux « sauteries » de Mâcon, c’est-à-dire du récit d’une violence iconoclaste associée au rire carnavalesque (ou sa parodie) aux crimes de guerre commis au nom d’un prétendu droit de représailles. À chaque fois, le scandale de la violence est souligné plutôt que minoré. Bayle réinvestit également l’interprétation de d’Aubigné qui faisait des « sauteries » de Mâcon une éducation à la cruauté :
D’aubigné peint merveilleusement la barbarie de cet homme [Saint-Point], sous l’image d’une école où pendant le dernier service de la table, au milieu des fruits & des confitures, on enseignoit aux filles & aux enfans à voir mourir les Huguenots sans pitié45.
L’image baylienne de l’école de cruauté concrétise de manière dramatique ce que d’Aubigné suggérait dans l’emploi du verbe « apprendre ». Nous rejoignons ici une problématique qui est chère à Bayle et qui touche aux abus d’une éducation confessionnalisée qui prône la haine et entretient le sectarisme plutôt que la tolérance46. Le correctif d’une telle éducation est précisément à chercher dans l’engagement éthique de l’historien. La répétition du scandale des affrontements confessionnaux de livre en livre doit paradoxalement en prévenir la répétition historique :
Mais je ne dois pas oublier, que comme toutes choses ont deux faces, on peut souhaiter pour de très bonnes raisons que la mémoire de tous ces effroiables desordres soit conservée soigneusement. Trois sortes de gens auroient besoin d’y jetter chaque jour la vue, & de s’en faire un songez-y bien47.
L’histoire des guerres civiles de Religion s’adresse d’abord aux puissants de ce monde : « ceux qui gouvernent » les peuples au temporel comme « ceux qui conduisent les affaires Ecclésiastiques ». Les uns comme les autres devraient méditer sur les conséquences de leur intolérance. L’histoire des guerres civiles apporte la triste preuve de l’échec d’une politique de la persécution et de la contrainte en matière de foi. Le statut des théologiens est plus ambigu. Bayle excepte apparemment de sa réprobation les premiers Réformateurs, qu’il distingue des « Théologiens remuans » de son siècle sur la base de la distinction entre l’erreur qui damne et celle qui ne damne pas. Pour les premiers, « nulle considération ne devoit les arrêter, puis que selon leurs principes il n’y avoit point de milieu, il faloit ou laisser damner éternellement tous les Papistes, ou les convertir au Protestantisme » ; pour les seconds, en revanche, « il faut qu’ils aient une ame de tigre » puisqu’ils « aiment mieux troubler le repos public que supprimer leurs idées particulieres ». La distinction entre l’erreur qui damne et celle qui ne damne pas ne permet pas de justifier pour autant la conversion par la force48. Une note souligne en outre les conséquences funestes, pour les protestants, des actes iconoclastes qu’ils ont perpétrés en conscience49. L’excès de violence qui en a résulté devrait pour le moins faire réfléchir les théologiens zélés qui, aveugles et sourds aux leçons de l’histoire, préfèrent condamner l’erreur plutôt que la tolérer. La remarque se clôt ainsi sur une réhabilitation paradoxale des « erreurs protégées par la prévention des peuples & par l’usage ». Le choix de l’existant contre le parti de la nouveauté a des accents montaigniens. Quelle que soit l’ambiguïté du propos, le message en faveur de la tolérance est sans équivoque. Entre ceux partisans du silence et ceux qui soulignent l’importance de la mémoire du fait scandaleux, le choix de l’historien est fait. C’est qu’il ne s’agit plus d’oublier pour pacifier, mais de se souvenir pour ne pas recommencer. Il ne peut y avoir de tolérance sans conscience du passé50.
D’un scandale, l’autre
Deux enjeux se dégagent de la mise en série des narrés de l’affaire Saint-Point. Le premier regarde les modalités de la mise en récit. Les auteurs que nous avons retenus ne cachent pas la dimension partisane du devoir de mémoire porté par l’écriture de l’histoire, même si Pierre Bayle appelle de ses vœux un historien qui soit idéalement dépourvu du zèle indiscret de religion51. Cette dimension partisane se manifeste tout particulièrement au niveau de l’établissement de la chronologie des faits. Lorsque d’Aubigné ou Maimbourg intervertissent l’ordre des événements, ils cherchent moins à occulter les crimes de guerre commis par ceux de leur parti, qu’à les requalifier en les inscrivant dans une logique de représailles. La cruauté qui s’exerce par représailles ou pour des raisons tactiques reste, en effet, une pratique militaire « admissible » en temps de guerre52. Le traitement différentiel de l’ordre des événements a pour résultat d’accentuer le caractère outrancier de la violence du parti adverse, tout en minorant par contraste les crimes similaires commis par les coreligionnaires. Dans ce travail de minoration, l’affaire Saint-Point demeure un scandale – c’est ce dont témoigne les Historiae du gallican de Thou. Saint-Point n’a pas l’apanage de la cruauté, en effet, témoins les barbaries du baron des Adrets. La « guerre avec respect », dont se moque le baron, cède bien souvent le pas à une « guerre sans merci » et à une stratégie de la terreur. Saint-Point étant déjà maître et gouverneur de la ville, son « inhumanité » réside dans la gratuité apparente d’exécutions sommaires faites, en réalité, pour le plaisir d’une compagnie féminine. Le scandale réside bien dans la mise en scène53.
Plus largement, on voit que l’écriture de l’histoire oppose au « devoir d’oubliance » sa logique propre de traitement de l’information scandaleuse. Or la logique de d’Aubigné n’est pas nécessairement celle de Théodore de Bèze, encore moins celle de Bayle. D’Aubigné brandit le scandale des crimes catholiques commis pendant les guerres civiles et fait du devoir de mémoire un acte de résistance communautaire à la politique de pacification menée par les autorités monarchiques54. En cela, il retrouve les accents d’une « théologie de combat » qui légitime la violence « sous prétexte que la corruption du monde a besoin d’être durement traitée55 ». Bayle ne peut que s’opposer à une telle logique de promotion de la violence. Le regard rétrospectif qu’il porte sur le scandale des guerres de Religion témoigne ainsi d’une acception différente, non-exclusivement communautaire, du scandale, qu’il lie désormais intimement à la question de la contrainte en matière de foi. Avec Bayle, pensée du scandale et pensée de la tolérance vont désormais de pair.
ANNEXES
• Agrippa d’Aubigné, Histoire universelle, livre III, chap. 7 « Divers exploicts de guerre en Lyonnois, Dauphiné, Provence et Languedoc, avec les premiers exploicts du Baron des Adrets »56.
Le Baron des Adrets picqué de cest acte, et des precipices de Mascons, laisse à Grenoble Brion avec 4 enseignes, et, ayant rallié ceux de Serignan avec quelques pieces, marche à Pierre-Latte, fait un trou en la muraille de la ville, y donne et l’emporte : fait tuer tout ce qui estoit en armes ; pousse droit au chasteau, qui est une roche taillée de toutes parts, hors mis un sillon de terre qui meine à la porte : Ceux de dedans voulans parlementer, et retirer quelques uns qui n’estoient pas encor entrez, quelques reschappez d’Orange les meslent, et confus avec eux emportent le chasteau, où tout fut tué à coups d’espee ou jetté de la roche en bas. Bourg fut pris par assaut, et le Pont S.Esprit lui ouvrit de frayeur. Ayant mis garnison au Pont, il s’avance à Boulennes, qui est du Contat, qu’il emporte d’emblée, et met en pieces une compagnie d’Italiens : Il marchoit pour Avignon sans la nouvelle qu’il eut que Maugiron, successeur à l’estat de Gondrin, avoit si bien mesnagé le parlement de Grenoble, promettant la bonne volonté du Roi et de la Roine, l’Edict de Janvier et telles choses, que toute la ville avoit composé, à la charge que Brion et les siens sortiroyent : que Maugiron estoit entré, et aussi tost assiégé Bussiere, où il avoit trouvé la Coche ferme et r’asseuré. Donc le Baron, sachant ces choses, quitte le dessein d’Avignon, fait une course à Valence pour s’accommoder de quelque chose nécessaire : passe à Romans, pour y donner ordre : le lendemain attaque S.Marcellin, où il trouva 300 hommes de guerre, si estonnez qu’il les prend d’emblee : les fait passer au fil de l’espee, ou sauter. Maugiron, plus fort de cavalerie, sçait que des Adrets le vouloit attirer au combat ; il charge son butin, passe par la Savoye et va gagner la Bourgongne. Ceux de Grenoble abandonnez déclament contre lui : cerchent parmi les rudesses du baron quelque miséricorde et la trouvent : car il emplit la ville de 800 chevaux, entre ceux-là le fils du Comte de Tendes, Senas et Mouvans : Il fait encore loger et dans la ville et aux fauxbourgs 6,000 hommes de pied qu’il avoit, sans qu’un seul habitant pust se plaindre : establit le Parlement avec curiosité, voulant montrer qu’il faisoit ses soldats lions, et brebis quand il vouloit. De là ayant donné ordre pour les garnisons de Grenoble et de Bussières, fit un tour à Lyon, où en changeant de Gouverneur, il donna la premiere occasion aux Lyonnois de demander un autre en sa place. Le voilà à Muron, qui ne se deffend point : de là à Montbrison, où Moncelas Gouverneur fit tout devoir : Il fait sa batterie, l’emporte par assaut, Moncelas se retire dans le chasteau, Poncenat et Blacons lui offroyent la vie : Comme ils capituloyent, le Baron arrive, fait tout mettre en pieces, hors mis trente, qu’après disner il fit sauter, et Moncelas pour un, non sans le mescontentement de Poncenat et de Blacons : Il arriva qu’un s’estant arresté sur le bord du precipice, le Baron lui dit : Quoi ? tu en fais à deux fois ? Monsieur, dit-il, je le vous donne en dix : C’est le seul qui eut la vie sauve en faveur de ce bon mot. Voilà l’estat où estoit le Lyonnois et le Daulphiné soubs l’arrivée de Soubize, laquelle ne pouvoit bonnement endurer le baron.
• Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Amsterdam/Leide/La Haye/Utrecht, Pierre Des Maizeaux, 1738, article « Mâcon », remarque C57.
Mais je ne dois pas oublier, que comme toutes choses ont deux faces, on peut souhaiter pour de très bonnes raisons que la mémoire de tous ces effroiables desordres soit conservée soigneusement. Trois sortes de gens auroient besoin d’y jetter chaque jour la vue, & de s’en faire un songez-y bien. Ceux qui gouvernent se devroient faire dire tous les matins par un Page : Ne tourmentez personne sur ses opinions de Religion, & n’étendez pas le droit du glaive sur la conscience. Voiez ce que Charles IX & son Successeur y gagnerent ; c’est un vrai miracle que la Monarchie Françoise n’ait point peri pour leur Catholicité. Il n’arrivera pas tous les jours de tels miracles, ne vous y fiez point. On ne voulut pas laisser en repos l’Edit de Janvier, & il falut après plus de trente ans de desolation, après mille & mille torrens de sang repandus, mille & mille perfidies & incendies, en accorder un plus favorable. Ceux qui conduisent les affaires Ecclésiastiques sont la seconde espece de gens qui doivent se bien souvenir du XVI Siecle. Quand on leur parle de tolérance, ils croient ouïr le plus affreux & le plus monstrueux de tous les dogmes ; & afin d’intéresser dans leurs passions le bras séculier, ils crient que c’est ôter aux Magistrats le plus beau fleuron de leur couronne, que de ne leur pas permettre pour le moins d’emprisonner & de bannir les Hérétiques. Mais s’ils examinoient bien ce que l’on peut craindre d’une Guerre de Religion, ils seroient plus modérez. Vous ne voulez pas, leur peut-on dire, que cette Secte prie Dieu à sa mode, ni qu’elle prêche ses sentimens ; mais prenez garde, si l’on en vient aux épées tirées, qu’au lieu de parler & d’écrire contre vos dogmes, elle ne renverse vos Temples, & ne mette vos propres personnes en danger. Que gagnâtes-vous en France & en Hollande en conseillant la persécution ? Ne vous fiez point à votre grand nombre. Vos Souverains ont des voisins, & par conséquent vos Sectaires ne manqueront, ni de protecteurs, ni d’assistance, fussent-ils Turcs. Enfin, que ces Théologiens remuans, qui prenent tant de plaisir à innover, jettent continuellement la vue sur les Guerres de Religion du XVI Siecle. Les Réformateurs en furent la cause innocente, nulle considération ne devoit les arrêter, puis que selon leurs principes il n’y avoit point de milieu, il faloit ou laisser damner éternellement tous les Papistes, ou les convertir au Protestantisme. Mais que des gens, qui sont persuadez qu’une erreur ne damne pas, ne respectent point la possession, & qu’ils aiment mieux troubler le repos public que supprimer leurs idées particulieres, c’est ce qu’on ne peut assez détester. Qu’ils considerent donc les suites de leurs nouveautez, & de l’action qu’ils intentent à l’usage : & s’ils peuvent s’y embarquer sans une absolue nécessité, il faut qu’ils aient une ame de tigre, & plus de bronze autour du cœur, que celui qui hazarda le prémier sa vie sur un vaisseau. Il n’y a point d’apparence qu’il s’éleve jamais dans le sein des Protestans aucun Parti qui entreprene de réformer leur Religion de la maniere qu’ils ont réformé l’Eglise Romaine, c’est-à-dire sur le pied d’une Religion d’où il faut sortir nécessairement, si l’on n’aime mieux être damné : ainsi les desordres qu’ils auroient à craindre d’un Parti innovateur seroient moins terribles, que ceux du Siecle passé, les animositez pourroient être moins échauffées qu’en ce tems-là ; vu principalement qu’aucun des Partis ne trouveroit à détruire dans l’autre aucun objet sensuel de superstition ; point de Divinitez topiques, ni de Saints tutelaires à briser ou à monnoier, point de reliques à jetter au vent, point de ciboires, point d’autels à renverser58. On pourroit donc être en dissension de Protestant à Protestant, sans avoir à craindre toutes les fureurs qui parurent dans les Démêlez du Protestant & du Catholique ; mais le mal seroit toûjours assez funeste, pour mériter qu’on tâche de le prévenir, en apliquant ceux qui aiment trop les Disputes à la considération des maux horribles qu’elles ont causez, & en leur représentant avec quelque force que la plus funeste intolérance n’est pas celle des Souverains, qui usent du droit du glaive contre les Sectes : c’est celle des Docteurs particuliers, qui hors les cas d’une très-urgente nécessité s’élevent contre des erreurs protégées par la prévention des peuples & par l’usage, & qui s’obstinent à les combattre, lors même qu’ils voient que tout est déjà en feu.
Note
* Je remercie Julien Léonard pour sa relecture.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, Amsterdam/Leide/La Haye/Utrecht, Pierre Des Maizeaux, 1740, article « Mâcon », remarque C.
- Ibid., voir en ligne sur Gallica.
- Pierre-Jean Souriac, « Guerres religieuses, histoire et expiation : autour de l’émeute toulousaine de mai 1562 », Chrétiens et sociétés, 20, 2013 ; Paul-Alexis Mellet et Jérémie Foa, « Une “politique de l’oubliance” ? Mémoire et oubli pendant les guerres de Religion (1550-1600) », Astérion, 15, 2016 ; Olivier Christin, « Mémoire inscrite, oubli prescrit : la fin des guerres de religion en France », dans Reiner Marcowitz et Werner Paravicini (dir.), Vergeben und Vergessen/Pardonner et oublier, München, R. Oldenbourg, 2009, p. 73-92.
- Nous envisageons l’affaire Saint-Point uniquement à partir des narrés historiques qui en ont été fait bien après les événements. Notre analyse ne préjuge pas de l’existence de témoignages directs (sources institutionnelles, mémoires et autres) qui permettraient de reconstituer la trame des événements survenus à Mâcon en 1562.
- Cette entreprise historique est « le fruit d’un travail de collecte à Genève de multiples récits venant des différentes régions françaises ». Voir Pierre-Jean Souriac, « Guerres religieuses, histoire et expiation », art. cit., renvoyant à Irena Backus (dir.), Théodore de Bèze (1519-1605), Genève, Droz, 2007. Voir en particulier, dans ce volume, la contribution de Marianne Carbonnier-Burkard, « L’Histoire ecclésiastique des Églises réformées : la construction bézienne d’un “corps d’histoire” », p. 145-161.
- Nous empruntons cette belle formule à l’article de Pierre-Jean Souriac. Pour un panorama des ouvrages qui ont eu l’ambition de traiter de l’histoire des troubles avec le recul d’un regard a posteriori, voir du même auteur, « Juger la guerre civile. Écrire l’histoire des troubles religieux dans la deuxième moitié du XVIe siècle », Cahiers du GRHis, 2008, p. 13-38. Voir également Andrea Frisch, Forgetting Differences. Tragedy, Historiography, and the French Wars of Religion, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2015, chap. 3.
- Nous avons consulté les exemplaires suivants : Jean Crespin, Histoire des martyrs persecutez et mis a mort pour la verité de l’Evangile, depuis le temps des apostres jusques à présent, Genève, Pierre Aubert, 1619, livre VIII, p. 682v-683r ; ainsi que l’Histoire des martyrs (1619) dans l’édition de Daniel Benoit et Matthieu Lelièvre, Toulouse, Société des livres religieux, 1889, t. 3, livre 8, p. 398. Sur l’histoire éditoriale du martyrologe, voir Jean-François Gilmont, Bibliographie des éditions de Jean Crespin, 1550-1572, Verviers, Gason, 1981, 2 vol. Pour un aperçu plus détaillé de l’évolution du martyrologe, voir du même auteur : Jean Crespin, un éditeur réformé du XVIe siècle, Genève, Droz, 1981, p. 165-190.
- Robert Descimon, « Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) : une rupture intellectuelle, politique et sociale », Revue de l’histoire des religions, 3, 2009, p. 485-495.
- Histoire ecclésiastique des églises réformées au Royaume de France, en laquelle est descrite au vray la renaissance et accroissement d’icelles depuis l’an M.D.XXI jusques en l’année M.D.LXIII. leur reiglement ou discipline, Synodes, persecutions tant generales que particuliers, noms et labeurs de ceux qui ont heureusement travaillé, villes et lieux où elles ont esté dressees, avec les discours des premiers troubles ou guerres civiles, desquelles la vraye cause est aussi declaree, Anvers, Jean Rémy, 1580. Nous citons l’édition de Théophile Marzial, (Lille, Leleux, 1842).
- Pierre-Jean Souriac, « Guerres religieuses, histoire et expiation », art. cit., et Irena Backus (dir.), Théodore de Bèze, op. cit.
- Histoire ecclésiastique, éd. cit., t. 3, livre 15, Contenant les choses advenues dans le ressort et parlement de Bourgogne, p. 251.
- Ibid., p. 273. La séquence narrative centrée sur Saint-Point à Mâcon marque la fin du livre 15, qui se clôt sur le récit de son assassinat, postérieur à l’édit de pacification de mars 1563.
- Ibid., p. 273.
- C’est ce qui explique sans doute que les reprises ultérieures de l’affaire Saint-Point délaissent la suite immédiate du texte de l’Histoire ecclésiastique, où sont rapportées d’autres exactions de Saint-Point : « Ce lui était aussi une chose accoutumée de faire donner de fausses alarmes, et de faire, sous ce prétexte, noyer ou arquebuser quelque prisonnier, ou quelque autre qu’il pouvait attraper de ceux de la religion, leur mettant à sus d’avoir voulu trahir la ville. » (Histoire ecclésiastique, éd. cit., t. 3, livre 15, p. 273).
- Natalie Zemon Davis, « The Rites of Violence: Religious Riot in Sixteenth-Century France », Past & Present, 59, mai 1973, p. 51-91, ici p. 84-85.
- Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990.
- Voir Paul Siblot, « De la dénomination à la nomination », Cahiers de praxématique, 36, 2001, document 8 ; et du même, « Nomination et production de sens : le praxème », Langages, 127, 1997, p. 38-55. Référencés dans Paul-Alexis Mellet et Jérémie Foa, « Une “politique de l’oubliance” ? », art. cit.
- Sur l’œuvre de de Thou, voir Samuel Kinser, The Works of Jacques-Auguste de Thou, La Haye, Nijhoff, 1966 ; Ingrid A. R. De Smet, Thuanus: The Making of Jacques-Auguste de Thou, Genève, Droz, 2006. Sur le décalage entre les positions de de Thou et leurs réceptions par la papauté et la monarchie, voir Robert Descimon, « Penser librement son intolérance : le président Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) et l’Épître dédicatoire des Historiae sui temporis (1604) », dans La Liberté de penser. Hommage à Maurice Laugaa, François Lecercle (dir.), Poitiers, La Licorne, 2002, p. 73-86.
- Robert Descimon, « Jacques-Auguste de Thou (1553-1617) : une rupture intellectuelle, politique et sociale », art. cit.
- Histoire de Monsieur de Thou, des choses arrivées de son temps. Mise en François par P. du Ryer, de l’Académie Françoise, Conseiller, et Historiographe du Roy, Paris, Augustin Courbé, 1659, 3 vol. in fol. (I : livres I-XXII, 1543-1559 ; II : livres XXIII-XL, 1559-1567 ; III : livres XLI-LVII, 1567-1574). Ici vol. II, l. XXXI, p. 420. Pour l’édition latine, nous avons consulté la version en ligne disponible sur CAMENA – Corpus Automatum Multiplex Electorum Neolatinitatis Auctorum : (Jacques-Auguste de Thou, Historiae Sui Temporis, Parisiis, Apud Ambrosium & Hieronymum Drouart, 1606-1609, t. 2, livre XXX, p. 108-109 : « Urbi impositus Sanpontius, qui seu natura saevus, sive ultione ardens, quod multa // accepisset, nullo non genere crudelitatis in suspectos saeviit, inter saeviendum plerunq. miseris hominibus illudens. Nam cum elegantiores urbis feminas & vicinae regionis nobileis matronas, quae ad urbem ventitabant, plerunq. convivio acciperet, illi sollemne erat post cenam, dum secundum ripas amoeni fluminis, quod urbem alluit, inter militum greges deambularet, unum aut alterum e captivis, quos levi de caussa plurimos in carcerem cottidie trudebat producere, ac de ponte deijcere, eoq. spectaculo se ac convivarum oculos satiabiat, dijudicans ac plerunque a comessantibus quaeritans, ecquis expeditiore saltu & majore cum alacritate se praecipitem dedisset. »
- Dans l’Histoire ecclésiastique, l’ordre chronologique des combats et des pacifications est respecté, et le chapitre se termine sur la mort de Saint-Point, qui intervient en réalité après la pacification du mois de mars 1563.
- Sur le latin de de Thou, voir André Thierry, « Agrippa d’Aubigné lecteur et traducteur de Jacques-Auguste de Thou », Albineana, Cahiers d’Aubigné, 6, 1995, p. 193-205.
- Voir Véronique Ferrer, « L’énergie de la haine dans Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné », Revue italienne d’études françaises, 7, 2017.
- Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, éd. J.-R. Fanlo, Paris, Honoré Champion, 2003, t. I, livre V « Les Fers », v. 671-673.
- Agrippa d’Aubigné, Histoire universelle, éd. André Thierry, Genève, Droz, 1982, t. II, livre III, chap. 7 « Divers exploicts de guerre en Lyonnois, Dauphiné, Provence et Languedoc, avec les premiers exploicts du Baron des Adrets », p. 58-60.
- Ibid., chap. 9, p. 79.
- Ibid., chap. 7, p. 53-54.
- Ibid., t. I, p. 4-7.
- Ibid., chap. 7, p. 58.
- Ibid., chap. 7, p. 58. Ce texte figure en annexe, nous y renvoyons pour toutes les citations suivantes.
- Ibid., livre III, chap. 9 « Exploits du Baron des Adrets », p. 79-80. La séquence intervient comme une parenthèse des faits d’armes du baron lors de l’année 1562, puisque d’Aubigné rapporte une discussion avec le baron des Adrets survenue en 1574.
- Si Mâcon a son entrée dans le Dictionnaire plutôt qu’Orange, par exemple, c’est que les massacres d’Orange ont fait l’objet de la remarque C de l’article « Beaumont », avec promesse de traiter des « Sauteries de Mascon » dans l’article dédié à cette ville.
- Paul-Alexis Mellet et Jérémie Foa, « Une “politique de l’oubliance” ? », art. cit.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Mâcon », remarque B, voir en ligne sur Gallica.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Beaumont », remarque C.
- Correspondance de Pierre Bayle, Elisabeth Labrousse et Anthony McKenna (dir.), Oxford, Voltaire Fundation, 1999-2017, t. 8, lettre 864, p. 549. Bayle emploie cette formule pour distinguer son projet de dictionnaire de ce qu’a fait Moréri dans le sien.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Usson », remarque F.
- Jean-Louis Quantin, « Croisades et supercroisades : les “Histoires” de Maimbourg et la politique de Louis XIV », dans Chantal Grell, Werner Paravicini et Jürgen Voss (dir.) Les Princes et l’histoire du XIVe au XVIIIe siècle, Bonn, Bouvier Verlag, 1998, p. 626 ; cité par Jean-Pascal Gay, « Le “cas Maimbourg”. La possibilité d’un gallicanisme jésuite au XVIIe siècle », Revue historique, 672, 2014, p. 783-831. Sur Varillas, voir Claudine Poulouin, « De l’usage de l’histoire selon Varillas », Dix-septième siècle, 246, 2010, p. 143-16, et Steve Uomini, Cultures historiques dans la France du XVIIe siècle, Paris, L’Harmattan, 1998.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Beaumont ». La remarque A corrige ainsi Varillas sur la question du gouvernement de Lyon, qu’il donne d’emblée à Soubise plutôt qu’au baron des Adrets. L’ensemble de la remarque vise à corriger les erreurs factuelles et de chronologie de Varillas, mais aussi de Maimbourg et de son « Copiste », le « Suplement de Moréri », ou encore d’Allard, dans sa Vie de François de beaumont, Baron Des-Adrets (une des sources de Maimbourg). La remarque B corrige le « Supplément de Moreri », mais aussi les Mémoires de Castelnau et l’Histoire du Calvinisme de Maimbourg en retournant à la source, c’est-à-dire, en se référant aux faits rapportés dans l’Histoire ecclésiastique, voir en ligne ici.
- Paul-Alexis Mellet et Jérémie Foa, « Une “politique de l’oubliance” ? », art. cit.
- On pourra consulter en ligne les Édits de pacification, sous la direction de Bernard Barbiche.
- Nous devons cette citation de source à Paul-Alexis Mellet et Jérémie Foa, dans « Une “politique de l’oubliance” ? », art. cit. Archives municipales, Mâcon, GG 122, pièce 31 (janvier 1571).
- Sur la distinction entre fait de guerre (passible de l’édit d’oubli) et crime, voir toujours Paul-Alexis Mellet et Jérémie Foa, « Une “politique de l’oubliance” ? », art. cit.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Mâcon », remarque D.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Mâcon », remarque B.
- Nous nous permettons de renvoyer ici à nos travaux : Isabelle Moreau, La Paresse en héritage. Montaigne, Pascal, Bayle, Paris, Honoré Champion, 2019.
- Ibid., article « Mâcon », remarque C. Ce texte figure en annexe, nous y renvoyons pour toutes les citations suivantes.
- Tout le passage est à lire en regard du Commentaire philosophique de Pierre Bayle : Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ : « Contrains les d’entrer » où l’on prouve par plusieurs raisons démonstratives qu’il n’y a rien de plus abominable que de faire des conversions par la contrainte, et l’on réfute tous les sophismes des convertisseurs à contrainte, et l’apologie que saint Augustin a fait des persécutions, traduit de l’anglais du sieur Jean Fox de Bruggs, par M.J.F., Cantorbéry, Thomas Litwel, 1686-1688.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Mâcon », remarque C, note 17 : « Il y a de l’aparence que les François & les Espagnols auroient beaucoup moins répandu de sang Protestant qu’ils ne firent, si on ne les avoit mis en fureur par le renversement de leurs Autels, de leurs Images, Reliques, &c. » L’engrenage de la violence et ses conséquences funestes forment un contrepoids terrible au geste iconoclaste, qui le destitue de sa dimension « pédagogique ». Voir sur ce dernier point Olivier Christin, Une révolution symbolique. L’iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, Éditions de Minuit, 1991. Nous remercions Julien Léonard pour ses remarques suggestives.
- Si la dimension pédagogique de l’histoire est un lieu commun de l’historiographie de l’époque, l’apprentissage de la tolérance par l’histoire des guerres civiles est, nous semble-t-il, spécifique à Bayle.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Remond (Florimond de) », remarque D : « L’Histoire généralement parlant est ou la plus difficile de toutes les compositions qu’un Auteur puisse entreprendre, ou l’une des plus difficiles. Elle demande un homme qui ait un grand jugement ; un style noble, clair, & serré ; une conscience droite, une probité achevée, beaucoup d’excellens matériaux, & l’art de les bien ranger, & sur toutes choses la force de résister aux instincts du zêle de Religion qui sollicitent à décrier ce qu’on juge faux, & à orner ce qu’on juge véritable. »
- Selon David El Kenz, « les contemporains des guerres de Religion ont été conscients de l’originalité des guerres civiles de religion […] aussi sur le terrain des violences extrêmes ». Voir David El Kenz, « Le “massacre“ est-il né aux guerres de Religion ? », Les Massacres aux temps des Révolutions, La Révolution française, Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, 3, décembre 2010.
- Le terme « scandale » n’est pas directement employé pour décrire l’affaire Saint-Point, néanmoins, il s’agit bien de rapporter un événement susceptible de scandaliser une communauté chrétienne profondément marquée par les affrontements confessionnaux.
- Voir notamment Jean-Charles Monferran, « Écrire la violence dans Les Tragiques. Réflexion sur la plume et le glaive chez Agrippa d’Aubigné », Le Verger, 8, septembre 2015 et Jean-Raymond Fanlo, Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, Neuilly, Atlande, 2003.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Luther », remarque T.
- Dans l’édition d’André Thierry, Genève, Droz, 1982, t. II, p. 58.
- L’extrait commence à la page 250 de cette édition.
- Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, éd. cit., article « Mâcon », remarque C, note 17 : « Il y a de l’aparence que les François & les Espagnols auroient beaucoup moins répandu de sang Protestant qu’ils ne firent, si on ne les avoit mis en fureur par le renversement de leurs Autels, de leurs Images, Reliques, &c. »