Si les artistes que nous avons rassemblés dans notre corpus ont pour intérêt commun de faire référence à l’Antiquité dans leurs œuvres, ils ont aussi la particularité, pour certains, d’être associés dans la presse (notamment) à un terme : celui de « kitsch ». En 2012, Le Monde titrait « Francesco Vezzoli, le kitsch, c’est chic ». L’année suivante, Libération osait « Kitsch ou double » pour évoquer l’œuvre de Pierre et Gilles, tandis que France Info proposait en 2014 « Tout le kitsch de Jeff Koons exposé à New York, en attendant Paris ». Même la chaîne de télévision franco-allemande Arte a intitulé une vidéo de trois minutes explicitant l’exposition Treasures from the Wreck of the Unbelievable « Les trésors kitsch de Damien Hirst »1.
Certains artistes revendiquent le kitsch comme étant intrinsèquement lié à leurs productions. D’autres, en revanche, semblent pâtir de cette dénomination : le terme est en effet généralement employé pour émettre un jugement dépréciatif, en l’occurrence sur une production artistique. En d’autres termes, il est couramment utilisé pour désigner un objet ou une œuvre de mauvais goût. Alors même si ces titres d’articles peuvent parfois prêter à sourire, de fait ils n’engagent pas le lecteur à envisager les productions de ces artistes sous un angle laudatif. Dans un échange de courriels daté d’octobre 2017, l’agent des artistes notifiait d’ailleurs que « Pierre et Gilles n’aiment pas qu’on les associe au “kitsch”, car ils trouvent ce terme réducteur et péjoratif2 ». Et on ne peut que les comprendre : si nous nous en tenons à la définition proposée par le CNRTL, le kitsch est le « caractère esthétique d’œuvres et d’objets, souvent à grande diffusion, dont les traits dominants sont l’inauthenticité, la surcharge, le cumul des matières ou des fonctions et souvent le mauvais goût ou la médiocrité3 ».
Mais l’inauthenticité, à savoir ce dont « on ne peut se fier, [et] dont l’exactitude, la vérité ou l’origine est contestée4 », produit-elle forcément le kitsch ? Et finalement, qu’entend-on par kitsch ?
Il ne s’agira pas ici d’affirmer si les œuvres abordées relèvent ou non du mauvais goût et donc du kitsch. Il semble primordial d’aller au-delà du jugement personnel et de revenir sur ce terme polémique. En revanche, nous analyserons pourquoi, et en raison de quels critères certaines œuvres peuvent produire ce jugement.
Dans le même temps, lorsque les artistes partagent sur leur compte Instagram leurs œuvres, leurs followers n’hésitent pas à les commenter et à les qualifier de « belles ». Le recours à un tel terme a de quoi surprendre. Point épineux de l’art contemporain, la notion de beau est, depuis l’avènement des avant-gardes, au mieux éludée, au pire rejetée des historiens de l’art et des critiques. C’est pourquoi nous proposons également de revenir sur la qualification par la beauté dans ce chapitre.
La délicate question du kitsch
Qu’est-ce que le kitsch ?
Il convient, dans un premier temps, de revenir à une étude du chercheur en sciences de l’information Abraham Moles qui a fait date. Dans un article intitulé « Objet et communication » paru en 1969, il définit le kitsch, terme d’origine munichoise et apparu dans les années 1860, en ces termes :
Le kitsch […], un concept universel, mais dont la dénomination est mal connue en langue française, en dépit de l’importance des études qui lui ont été consacrées spécialement dans les pays de langue germanique. Le kitsch, c’est l’aliénation consentie, c’est l’anti-art, c’est le faux et le néo-quelque chose […]5.
De fait la définition du mot est complexe et ne va pas de soi. Tantôt « anti-art », tantôt « néo-quelque chose » pour reprendre les vocables employés par Abraham Moles, le kitsch revêt de nombreux sens qu’il nous faut éclaircir. Qu’entend-il par « aliénation consentie » ? Il nous semble que le terme d’« aliénation » doit être envisagé en son sens primitif. Dans Les Mots du pouvoir : précis de vocabulaire, François Busnel, Frédéric Grolleau, Fréderic Tellier et Jean-Pierre Zarader la définissent ainsi : « l’aliénation signifie en son sens primitif la cession, soit à titre onéreux (vente) soit à titre gratuit (don), d’un bien qui nous appartenait et qui, de fait, nous devient étranger. L’aliénation introduit donc l’idée de dépossession6 ». Le kitsch supposerait alors une dépossession « consentie » des objets. Cela passe notamment par une nouvelle création, ce qu’Abraham Moles envisage sous l’expression de « néo ». Toutefois, la définition qu’il propose du kitsch mérite quelques approfondissements.
Nous devons nous tourner vers une littérature du kitsch qu’il faut reconnaître importante, comme en témoigne la liste suivante d’ouvrages, certes non exhaustive : Hermann Broch publie Sur le kitsch en 1955, Abraham Moles Psychologie du kitsch. L’Art du bonheur en 1971, Gillo Dorfles Le Kitsch en 1978, Katia Baudin Un monde merveilleux. Kitsch et art contemporain en 1998, Valérie Arrault, L’Empire du kitsch et Christophe Genin Kitsch dans l’âme, en 20107. Tous ces auteurs s’accordent sur le trait constitutif du kitsch : l’inauthentique. En effet, à titre d’exemples, Abraham Moles déclare que :
kitschen, « bâcler », et en particulier faire de nouveaux meubles avec des vieux […], c’est refiler en sous-marin, quelque chose à la place de ce qui avait été exactement demandé : il y a une pensée éthique subalterne, une négation de l’authentique8.
Valérie Arrault conclut quant à elle brièvement : « Pour tout dire : il [le kitsch] est inauthentique9 ». La perception de l’inauthenticité d’une œuvre d’art, et donc du kitsch, est conditionnée par l’habitus culturel du récepteur (à savoir les habitudes culturelles et artistiques conscientes ou inconscientes)10. En partant de ce postulat, Christophe Genin considère finalement le kitsch comme « le quotidien des autres estimé d’un goût douteux11 ». Ainsi le kitsch ne peut être un style, comme le soutient pourtant Norbert Elias12, puisqu’il ne peut être clairement identifiable et identifié. C’est d’ailleurs un terme qui n’exprime pas un caractère objectif, mais un jugement subjectif.
Toutefois, il est possible de repérer des caractéristiques formelles qui peuvent amener le spectateur à dire d’une production qu’elle « fait kitsch ». Les premières d’entre elles se réfèrent à des éléments de décor (au sens de decorare « orner »), puisque la décoration à outrance (un « trop ») peut créer le kitsch. Christophe Genin rappelle d’ailleurs qu’« historiquement le kitsch est un décor qui veut faire bonne impression en mimant celui de la classe supérieure à laquelle il réfère, veut s’identifier et se fondre13 ». En ce sens, le kitsch est lié à une popularisation. La « dépossession » mise en exergue par Abraham Moles est ainsi le fait des classe dites qui ont « trop » tenté d’imiter les classes dites « supérieures » , jusqu’à l’exagération.
Abraham Moles est le premier à proposer une typologie du kitsch touchant les objets de notre vie quotidienne comme les productions décoratives. Ainsi les courbes, les ornementations, les combinaisons de couleurs, les matériaux pauvres qui simulent et les disproportions, seraient autant de modalités plastiques constitutives du kitsch14. Cependant si Christophe Genin qualifie Abraham Moles de « grand penseur du kitsch15 », c’est pourtant lui qui établit avec précision, nous semble-t-il, une typologie. L’auteur retient neuf traits caractéristiques : la reproduction, l’appauvrissement, le bon marché, le changement de format, la désacralisation, le transfert, le chromatisme, la transposition et le partage16.
Certaines caractéristiques du kitsch, comme les changements de format, les désacralisations et les transferts de supports et de matériaux, sont également identifiées lorsqu’il s’agit de réaliser la typologie des modalités plastiques de transformation de l’œuvre-source à l’œuvre-cible. Nous pouvons alors nous demander, à juste titre, si les changements opérés ne relèveraient pas globalement d’un processus de kitschisation, d’autant plus que ces modalités agissent indéniablement sur le récepteur, « […] suscitant des émotions opposées, le mépris ou l’amusement, l’irritation ou l’émerveillement17 » pour emprunter l’expression employée par Christophe Genin.
L’analyse d’un processus de kitschisation des références antiques
• Les sculptures polychromes
En 1990, Alan LeQuire a présenté au public une sculpture figurant l’Athéna Parthénos, réalisée après un concours remporté neuf années plus tôt (fig. 37). L’artiste américain a ainsi recréé la célèbre sculpture chryséléphantine perdue, exécutée par Phidias au Ve siècle av. J.-C. Il en a fait, selon ses dires, « la plus grande statue en intérieur du monde occidental18 », puisqu’à l’instar de l’original, elle mesure près de douze mètres de haut et trouve sa place dans le naos d’un Parthénon : non pas celui d’Athènes, mais de Nashville, aux États-Unis.
« More kitschy than classy19 ». C’est par ces mots que commence l’avis déposé par un internaute sur le site TripAdvisor en 2014 après sa découverte de l’Athéna. Et l’auteur (touriste) de poursuivre :
La taille de cette statue d’Athéna est impressionnante, oui. Mais elle n’a rien d’authentique (elle n’a en aucun cas été conçue/sculptée dans le style classique des statues grecque et romaine). Cela ressemble à une caricature, plus kitsch que chic. Mis à part sa taille immense, ce fut une déception. Peut-être que sa fonction était d’amuser les enfants20.
La réalisation de l’artiste est remise en cause, balayée même, par un constat simple : l’Athéna est « inauthentique ». Plus encore, il ne s’agirait que d’une « caricature » ayant comme unique objectif le divertissement d’un jeune public avide d’émerveillement. Le terme de « caricature » est en réalité inadéquat puisque l’on sait en ce cas que la comparaison avec l’original est impossible : il ne subsiste aucune trace matérielle de l’œuvre de Phidias. Comment dès lors affirmer que la proposition d’Alan LeQuire ne soit qu’une représentation grossière et exagérée de ce qui est reconnu comme une réplique21 ? Bien que remontant désormais à une trentaine d’années, cette création a d’intéressant qu’elle fusionne de nombreuses modalités plastiques qui peuvent amener à produire encore aujourd’hui le jugement de kitsch, en particulier lorsqu’il s’agit de sculptures actuelles ayant l’Antiquité gréco-romaine pour thématique.
D’emblée, le visiteur, initié ou non à la statuaire antique, ne peut être que surpris par les dimensions de cette restitution. Dans la majorité des cas, les sculptures grecques et romaines présentées dans les musées sont réalisées à l’échelle 1, alors que leurs illustrations imprimées sur papier glacé ne mesurent que quelques centimètres. Certes, il arrive que des fragments de statues monumentales aient subsisté, et soient exposés. C’est par exemple le cas de deux sculptures représentant l’Empereur Constantin, la première en bronze, la seconde en marbre, toutes deux conservées aux Musées du Capitole à Rome22. À la différence de l’Athéna de Nashville, la confrontation du public avec le format colossal des statues antiques reste limitée. La restitution d’Alan LeQuire paraît donc invraisemblable à leurs yeux. Mais ce sont les couleurs, appliquées sur l’Athéna et son bouclier, tout comme l’application de dorures à l’impression « tape-à-l’œil » qui viennent sans nul doute renforcer l’effet de surprise. Or, la statuaire antique était belle et bien peinte.
Il en va de même pour les œuvres constitutives de Treasures from the Wreck of the Unbelievable de Damien Hirst. Bien que délicatement fondues ou taillées dans des matériaux nobles tels que le bronze, l’or, l’argent et le marbre, elles peuvent aussi produire le jugement de kitsch par leur monumentalité et leur polychromie voire, dans certains cas, chrysochromie. Pensons à des sculptures (parfois hautes de plusieurs mètres) représentant le duel entre la déesse hindoue Kali et l’Hydre de Lerne23 ou la tête de Méduse décapitée24.
Les ouvrages parus ces dernières années sur la polychromie de la statuaire et de l’architecture antique sont nombreux. Mais la prise en compte de cette réalité par le grand public est encore limitée. Philippe Jockey explique dans Le Mythe de la Grèce blanche. Histoire d’un rêve occidental comment la prétendue blancheur immaculée des marbres a contribué (et contribue encore) à agrémenter le discours occidental blanc25. Il s’agit donc de déconstruire un imaginaire de la blancheur bel et bien ancré. Les productions d’Alan LeQuire, de Francesco Vezzoli, et par extension celles de Damien Hirst, se heurtent à cet imaginaire. Aujourd’hui, comme le souligne Philippe Jockey à propos, notamment, des restitutions produites par les chercheurs Vinzenz Brinkmann et Ulrike Koch-Brinkmann, « elles suscitent la surprise, voire la stupeur sinon toujours l’horreur, mais ne sont pas contredites. Juste qualifiées de “kitsch”26 ». Mais ce « kitsch » n’est pas simplement provoqué par l’application de la couleur. Certes, il y a indéniablement des liens à opérer entre le regard contemporain porté sur un passé coloré qui lui est méconnu, l’absence de patine auquel l’œil est habitué et le fait que les sculptures soient neuves et rutilantes. Mais il y a également la combinaison des couleurs et de la dorure qui frappe. Christophe Genin reconnaît que la prédilection du bleu et du rose (par ailleurs bien présentes dans les sculptures citées plus haut) sont des couleurs qui peuvent, plus que d’autres, produire l’impression de kitsch.
D’autres sculptures polychromes, détachées cette fois-ci de toute visée scientifique, peuvent produire le même effet. En 2011, Omar Hassan applique des taches de couleurs vives sur des répliques en plâtre de la Victoire de Samothrace27 et de la Vénus de Milo28 à l’aide de bombes aérosol de différentes couleurs : du jaune et de l’orange pour la première, du bleu, du rose et du violet pour la seconde. Les coulures provoquées par l’usage des bombes sur les répliques de petite taille de Vénus entraînent en outre un mélange de couleurs à certains endroits. Les sculptures d’Omar Hassan désacralisent indéniablement les antiques, même s’il reconnaît vouloir leur rendre hommage29. Mais le phénomène s’accentue lorsque des matériaux brillants, qui plus est « pauvres », sont apposés sur la Vénus : les paillettes et le plastique.
Christophe Genin a intégré les paillettes dans sa typologie30 du kitsch. Un artiste tel que Pascal Lièvre recourt aux petites lamelles de matière brillante dans son œuvre. Selon lui, « la paillette est un élément de la culture populaire, c’est un matériau pauvre, peu onéreux, qui produit un effet visuel immédiat par ses propriétés de captation de la lumière31 ». Elle est aussi associée à l’enfance : il est autorisé d’utiliser des paillettes lorsque l’on est enfant, ce qui l’est moins une fois adulte. Pourtant, nous les retrouvons depuis 2008, appliquées avec plus ou moins de modération, dans les « sculptures plates32 » de l’artiste. En 2010, il ne produit pas moins de quatre œuvres pailletées à sujet antique. Les trois premières œuvres présentent des paillettes rouges collées sur des toiles peintes en rouge. Le contraste entre les deux matières permet d’identifier, grâce à la silhouette créée, le Laocoon, la Victoire de Samothrace, et le Discobole (fig. 38, 39, 40). La quatrième, en revanche, n’est pas une « sculpture plate » puisque les paillettes ne sont pas appliquées sur une surface plane, mais sur une réplique en plâtre de la Vénus de Milo : The Red glitter Venus de Milo33. Pascal Lièvre explique sa démarche ainsi :
Je sélectionne des œuvres qui font autorité dans l’histoire de l’art, je les redessine, je remplis ensuite ses formes de paillettes, collées et vernies. Précis et précieux, ces gestes de recouvrement tracent les contours d’une œuvre qui travestit l’œuvre originale34.
Et de poursuivre :
Il s’agit avant tout de remettre en cause l’aspect autoritaire des discours historiques dans le champ de l’art. L’aspect iconique est traduit par la paillette qui fait briller la forme autant qu’elle la transforme. C’est une sorte d’aveuglement que je cherche à mettre en scène. […] Je propose donc une traduction d’œuvres iconiques avec un matériau pauvre, une appropriation de tout ce qui brille par une matière brillante à la portée de tous. Une appropriation que chacun d’entre nous crée en reprenant les codes de la lumière pour briller de tous ces feux comme un diamant, comme le chante Rihanna35.
L’invention d’une carnation, qui plus est clinquante sur des sculptures, se trouve aussi dans le travail de l’artiste Enrica Borghi. Celle-ci n’hésite pas à recouvrir de plastique coloré et brillant Vénus de Milo et autres bustes féminins romains. Toutefois, en les observant en détail, le spectateur constate que les matériaux utilisés ne sont autres que des faux ongles disposés tels des écailles de poisson. Avec sa série intitulée Metamorphosis (1996-2010), l’artiste interroge notamment le statut des femmes et les processus de féminisation mis en œuvre dans notre société. De la sorte, les vénus deviennent « glamour » et, en même temps, femmes de ménage (lorsqu’elles revêtent une serpillière sur leur tête) ou couturières (lorsque des épingles à nourrice ou des dés à coudre leur servent de serre-tête)36.
Une dernière caractéristique pouvant mener à qualifier un objet de kitsch est relative au format de l’œuvre-source dans l’œuvre-cible, a fortiori lorsqu’elle est produite en série. Lorsqu’en 1987 Edward Allington réalise The Victory Boxed ainsi que Myron’s discobolus dimished et Roman from the Greek in America37, il ne s’intéresse pas seulement la polychromie des antiques : il questionne aussi la façon dont les antiques sont devenus populaires. Reproduites et miniaturisées, les sculptures se muent en de simples objets-souvenirs disponibles sur les étals des boutiques de musées. En ce sens, les Vénus et les Victoires rejoignent les flacons d’eau bénite en forme de Vierge Marie et autres Tour Eiffel, devenus symboles du kitsch par excellence38.
Un constat peut d’ores et déjà être effectué. Le processus de kitschisation propre à la sculpture peut emprunter trois voies. La première concerne l’aspect général de l’œuvre : le support préalable – marbre ou plâtre – est dissimulé : c’est donc la vision finale polychrome et/ou chrysochrome qui compte. La deuxième a contrario met en exergue les matériaux pauvres, employés comme tels : paillettes, plastique, tissus, etc. La troisième concerne les dimensions des œuvres : l’augmentation et la miniaturisation peuvent mener à produire le jugement de kitsch.
• Les décors des photographies
Comme nous l’avons vu plus haut, la presse qualifie régulièrement l’œuvre de Pierre et Gilles de kitsch. Valérie Arrault, dans son ouvrage L’Empire du kitsch, use du même vocabulaire lorsqu’elle affirme que leur art est « conjointement kitsch et post-moderne, car hédoniste et syncrétique39 ». En d’autres termes, les objets jugés « kitsch » procureraient un plaisir visuel. Les accoutrements des personnages d’une part, et leur mise en scène d’autre part, peuvent entrer dans le processus de kitschisation. Oscar Ho Hing-Kay revient sur le processus de création des deux artistes, qu’il considère comme « un long chemin complexe40 » :
Ils [Pierre et Gilles] imaginent d’abord ensemble l’idée créatrice puis réalisent les esquisses préliminaires et recherchent le modèle idéal. Gilles trouve ensuite les éléments pour créer le décor et Pierre fait la photographie. Une fois la photo sélectionnée et tirée, Gilles repeint l’image. Après quoi ils créent un encadrement spécifique à l’œuvre41.
La représentation du corps humain androgyne, comme dans Icare, oiseau meneur (Jonathan Forte Scannapieco)42, qui peut être qualifiée de queer43, contribue à diffuser l’inauthentique dans un univers merveilleux. Mais elle n’est pas la seule. Il nous faut aussi revenir sur les éléments de décor et d’ornementation. Les décors sont souvent très chargés et ne laissent que peu de place au vide. Tandis que dans Amphitrite (Nina Hagen)44, une jeune femme se fond dans une mise en scène à l’univers aquatique qui ne peut contenir davantage, dans Apollon (Jean-Christophe Blin) (fig. 41), un jeune homme se voit inséré dans un décor végétal stylisé, aux couleurs de l’arc-en-ciel45. Les productions de Pierre et Gilles sont, dans la majorité des cas, d’une grande richesse chromatique (l’éventail des couleurs utilisées est immense). La peinture, apposée sous forme de touches et offrant un rendu « pailleté », rajoute à la surcharge du décor et des accessoires. En outre, n’oublions pas les encadrements produits par les artistes. Les exemples d’encadrements les plus intéressants sont certainement ceux réalisés pour Mercure (Enzo Junior) (fig. 1) et le triptyque de Ganymède (Frédéric L’Enfant)46. Le renvoi à l’Antiquité est accentué par la présence du fronton triangulaire d’un temple, de moulures constituées d’une alternance d’oves et de dards ainsi que d’une guirlande ornementale dite festonnée47. La peinture dorée apposée sur ces cadres ornementés finissent d’apporter éclat et brillance à l’ensemble du triptyque.
Le choix de recourir à de riches ornementations ne concerne pas uniquement les artistes Pierre et Gilles, comme le montrent les photographies constitutives de la série Helen’s Odyssey (2007) dans laquelle l’artiste américaine Eleanor Antin présente huit mises en scène d’une odyssée qu’Hélène de Sparte aurait réalisée, faisant fi de toute tradition littéraire. Nous voyons ainsi Hélène participant à une orgie ou se présentant à Hadès par l’entremise de Proserpine dans Proserpine welcomes Helen to Hades48. Les décors créés pour cette scène de rencontre peuvent être analysés sous l’angle du kitsch. Si, à première vue, ils paraissent riches, en réalité, ils sont faits de bric et de broc. Rien n’est authentique, à l’image des décors de cinéma ou de théâtre faits de carton-pâte. Les éléments d’architecture sont volontairement ruinés pour symboliser l’Enfer dans lequel vit la divinité chthonienne Hadès. Les rares murs encore debout sont peints de manière à laisser apparentes les traces du pinceau. Les ornementations qui leur sont appliquées sont constituées de fragments de frises assemblés et dorés pour tenter de constituer vaille que vaille un ensemble. Les deux miroirs en forme de tondo accrochés ne valent rien : ils ne sont qu’une tentative d’imitation de la Galerie des Glaces de Versailles. Il en va de même pour les ouvertures vitrées qui évoquent l’architecture d’un jardin d’hiver bas de gamme. Afin d’ancrer la scène dans un univers antiquisant, deux sculptures identiques ont été ajoutées. Elles figurent Hébé, fille de Zeus et d’Héra dans la mythologie grecque, et personnification de la jeunesse. La divinité est représentée servant l’ambroisie (aux dieux) : de la main gauche, elle tient une coupe, et de la main droite, une œnochoé. Cette représentation d’Hébé rappelle celle réalisée en marbre par Bertel Thorvaldsen en 181549. Toutefois, le marbre a laissé place à des statues de jardin peintes avec la même peinture dorée que les ornementations murales. L’artiste a donc très bien pu se procurer ces copies grâce aux services proposés par des entreprises telles que Italpark50. En définitive, tout est faux dans cette mise en scène que l’on retrouve dans une autre photographie de la série intitulée All for Love (fig. 42). À grande économie de moyens, Eleanor Antin élabore un univers antique original dans lequel les personnages prennent vie, prouvant ainsi que les imitations d’architectures, de sculptures et d’ornementations peuvent tout à fait créer l’effet escompté, à savoir créer un décor pour y raconter une histoire.
• La peinture à l’huile sur toile
Théodore Manolides, Achilleas Droungas, ou Carlo Maria Mariani produisent des peintures figuratives, dont la maîtrise technique acquise par un enseignement classique n’est plus à démontrer. Tous trois sont d’ailleurs diplômés d’écoles d’art : Theodore Manolides et Achilleas Droungas de l’École des Beaux-Arts d’Athènes, Carlo Maria Mariani, de celle de Rome. Les genres représentés dans leurs huiles sont aussi bien la nature morte que le portrait ou encore la peinture dite d’histoire, comme en témoignent, pour ne citer qu’elles, Apollo’s Lyre, Eclipse 5 et Myth and Nature51, trois œuvres dans lesquelles nous identifions respectivement un buste en marbre d’Apollon conservé au Musée du Palatin, les caryatides de l’Érechthéion et une céramique à figure noire du British Museum (présentant Achille terrassant Penthésilée). Le traitement académique qui peut être observé dans ces créations dans une scène de l’art contemporain qui jusqu’à récemment laissait peu de place au figuratif, pourra ainsi paraître, pour certains, kitsch.
Il nous semble intéressant de mettre en relation les productions de ces trois artistes et la démarche menée par le peintre suédois Odd Nerdrum. À l’occasion d’une rétrospective de son travail présenté au Astrup Fearnley Museum of Modern Art d’Oslo, en 1998, Odd Nerdrum a créé le Kitsch Movement. L’artiste définit ce courant dans lequel il s’insère comme un mouvement international de peintres figuratifs classiques. Les nombreuses expositions et biennales52 ainsi que deux publications co-écrites théorisent le mouvement : le Kitsch Movement : On Kitsch paraît en 2000 et Kitsch. More than Art en 201153. Ce courant esthétique envisage le terme de kitsch non pas comme un équivalent au « mauvais goût », mais comme englobant les pratiques picturales dites « académiques » à sujets classiques. En d’autres termes, le kitsch Movement entend désigner une branche de l’art contemporain à contre-courant. Odd Nerdrum et les artistes affiliés à ce courant considèrent donc le kitsch avec fierté et incitent à sortir de la conception péjorative. En ce sens, en revendiquant le mauvais goût, ils inscrivent leur posture comme très contemporaine, puisqu’ils vont à l’encontre des normes reconnues par un goût dit « dominant ». Cependant, il convient d’admettre que le Kitsch Movement n’a pas eu la reconnaissance escomptée. Bien qu’il se veuille international à l’origine, il ne rassemble que quelques artistes et élèves d’Odd Nerdrum tels que Jan-Ove Tuv et Helene Knoop. Un référencement en ligne des artistes affiliés au Kitsch Movement a pourtant été envisagé dès 2005, mais il faut le reconnaître, il se révèle approximatif et insuffisant54. Le terme kitsch serait-il encore très (et trop) connoté pour que les artistes contemporains s’associent officiellement au courant ?
Alors que la presse et la critique recourent à l’adjectif kitsch pour qualifier des œuvres qui ne sont pas à leur goût, il en est un autre qui semble en revanche avoir disparu de leur vocabulaire. Nous faisons ici référence au terme de « beau ». Pourtant, « Belle », « Beautiful », ou bien encore « Amazing » qualifient depuis quelques années de nombreuses œuvres néo-néo diffusées par les artistes sur le réseau social Instagram. Ces mots, lorsqu’ils ne laissent pas la place à de simples émoticônes enthousiastes, témoignent d’un intérêt certain des followers pour ce type de créations. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire les commentaires d’inconnus déposés sous les posts d’artistes tels que Pierre et Gilles55, Daniel Arsham56, Damien Hirst57 ou bien encore Yinka Shonibare58 dans lesquels le vocabulaire laudatif et les émojis enthousiastes sont particulièrement visibles.
Et la beauté ?
L’emploi de vocables particulièrement laudatifs tels que « beau », « belle » ou « beautiful » ont de quoi surprendre l’historien de l’art. Quel sens peut-on donner à une œuvre qualifiée de « belle », alors que, de la même façon que le kitsch, il n’existe pas de critère objectif pour définir la beauté ? Car en dépit d’un XXIe siècle qu’Yves Michaud désigne d’« empire esthétique59 », le champ spécifique de l’art contemporain ne se veut pas concerné par le beau. Étienne Souriau tient en ce sens le discours suivant :
Sans doute elle [la notion de beau] est fuyante, souvent subjective en ses applications. Il est aisé de dénoncer sa relativité historique et sociale. Il est d’ailleurs rare qu’elle caractérise les œuvres de l’art contemporain. Et les esthéticiens ont peu à peu presque complètement cessé à l’heure actuelle de le faire figurer dans les notions de base qui définissent l’objet de leur étude60.
Nous proposons donc ici de revenir sur cette notion, « cette étrange idée du beau61 », telle que la qualifie François Jullien, en prenant pour référence les productions de notre corpus.
Ce que renferme la beauté
Traditionnellement l’adjectif « beau » caractérise une forme, un objet, à partir des critères de proportion et d’harmonie, déjà identifiés et utilisés dans la Grèce antique62. Ce sont d’ailleurs ces aspects qui, nous semble-t-il lorsqu’ils sont absents dans l’art contemporain, peuvent expliquer chez le spectateur les réactions immédiates, presqu’épidermiques, qui s’expriment sous la forme d’un « C’est laid » ou « C’est pas beau »63. Dans l’Histoire de la beauté, Umberto Eco revient sur le terme grec καλὸν « que traduit très improprement le terme “beau”64 ». Ce dernier nous paraît particulièrement intéressant, car bien plus encore que considérer la forme et les proportions idéales comme un préalable à définir le « beau », il s’agit de mettre en avant une acception plus englobante, à savoir « tout ce qui plaît, suscite l’admiration, attire le regard65 ». En considérant cette acception, les exemples relevés précédemment suffisent à montrer que le beau en art est bien aujourd’hui de retour. Pourtant, la question de la beauté est encore souvent absente des centres d’art contemporain. Au début des années 2000, Yves Michaud observait déjà un paradoxe :
C’est fou, effectivement, ce que le monde est beau, sauf dans les musées et centres d’art – là on cultive autre chose de la même veine, et en fait la même chose : l’expérience esthétique mais dans son abstraction quintessenciée – ce qu’il reste de l’art quand il est devenu une fumée ou un gaz66.
Dans le même temps, force est d’admettre que la beauté est aussi absente des écrits actuels sur l’art contemporain. Les ouvrages parus sur la notion de beau ne l’évoquent qu’à de rares occasions, quand elle n’est tout simplement pas éludée67.
« Ceux qui produisent des œuvres présentant des qualités esthétiques n’ont pas la vie facile dans l’art contemporain68 ». Par ces mots, Fabio Viale dénonce l’une des dérives de l’art contemporain : pour être considérées de la sorte, les œuvres produites devraient être dissociées de la « beauté » et du « finement exécuté ». Pourtant, les aspects de l’œuvre qui suscitent le jugement de « beau » semblent se concentrer sur la reconnaissance – si ce n’est l’identification précise – de l’œuvre et la façon dont elle a été façonnée et transformée par l’artiste. En ce sens, le savoir-faire technique du peintre ou du sculpteur se révèle déterminant.
Vers un retour de la pensée winckelmannienne ?
Le recours à l’Antiquité et à la beauté prônés par Johann J. Winckelmann, dont il délimitait les contours dans l’Histoire de l’art dans l’Antiquité (1764)69, semblent trouver un nouvel écho aujourd’hui. En transposant le canon antique dans leurs créations, les artistes le remettent non seulement au goût du jour, mais proposent aussi une autre voie à l’art contemporain, à destination aussi d’un nouveau public. Le vocabulaire relatif au beau observé a lieu non pas dans les centres d’arts ou les ouvrages publiés, mais sur Instragram. Ce goût partagé par une nouvelle génération d’adeptes de la création contemporaine nous amène à envisager le retour d’une pensée winckelmanienne au XXIe siècle et, plus encore, d’une pensée winckelmannienne « 2.0 ». Longtemps délaissé, le concept de beauté mérite d’être ré-évalué à l’aune des réseaux sociaux70. En effet, l’art devient, à son tour, « instagrammable ». Les œuvres revêtent ainsi les critères d’une beauté artificielle appréciée des followers. Les (jeunes) artistes suivent la tendance de l’époque. S’ils sont des passeurs, ils sont également les témoins d’une période marquée par le paraître et dans laquelle l’œuvre d’art redevient un « bel objet ». L’art se liquéfie alors : d’état gazeux, il devient liquide jusqu’à pénétrer l’ensemble des arts visuels. Par conséquent, certains vont vouloir posséder les œuvres en leur nom propre. De la sorte, il s’agit aussi de penser une beauté singulière qu’Umberto Eco qualifie « de consommation ». À l’ère des réseaux sociaux, cette conception de la beauté se révèle déterminante. Il suffit de regarder les œuvres appréciées des utilisateurs d’Instagram : elles sont bien loin des productions des années 1980-1990 de Jim Dine, d’Aspa Stasinopoulou ou de Cy Twombly dans lesquelles les expérimentations plastiques et le geste de l’artiste dominaient.
En outre, la « beauté de consommation » suppose des œuvres qu’elles soient rendues accessibles au plus grand nombre. Cette accessibilité comprend leur visibilité immédiate et gratuite et leur acquisition à des tarifs abordables. En ce sens, les productions en série et les ventes « flash » de ces jeunes artistes y contribuent grandement. En définitive, il se dégage une nouvelle tendance (spécifique à notre objet d’étude ?) : il ne s’agit plus d’envisager l’art contemporain post 2010 comme une « expérience » du récepteur, mais comme la contemplation d’une beauté façonnée ces dernières années par l’ensemble des arts visuels et la publicité71.
Penser la beauté de consommation nous incite désormais à envisager les œuvres néo-néo les plus récentes (post 2010) dans un monde globalisé. Elle nous conduit également à poser un regard rétrospectif sur les quarante dernières années. En effet, des différences peuvent être observées entre les œuvres récentes et les plus anciennes, alors qualifiées de « postmodernes » par la critique dans les années 1980. De la sorte, il s’agit de prendre de la hauteur, d’analyser la façon dont l’Antiquité grecque et romaine s’est infiltrée dans la création contemporaine, et d’observer les raisons de son succès. Car si l’imaginaire collectif se révèle essentiel, la dimension mercantile, quant à elle, ne doit pas être éludée.
Tandis que la première et la deuxième partie de ce mémoire ont ciblé les réceptions des artistes « passeurs » et des visiteurs « spect-acteurs » pour nous permettre notamment d’identifier les phénomènes de reprise, la troisième partie a pour ambition de les envisager dans une perspective globale.
Notes
- Emmanuel Lequeux, « Francesco Vezzoli, le kitsch c’est chic », Le Monde, 20/01/2012 [en ligne] https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2012/01/20/francesco-vezzoli-le-kitsch-c-est-chic_1631732_4497319.html ; Clément Ghys, « Kitsch ou double », Libération, 22/04/2013 [en ligne] https://next.liberation.fr/arts/2013/04/22/kitsch-ou-double_898093 ; « Tout le kitsch de Jeff Koons exposé à New York, en attendant Paris », France Info, 27/06/2014 [en ligne] https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/sculpture/tout-le-kitsch-de-jeff-koons-expose-a-new-york-en-attendant-paris_3315869.html ; « Les trésors kitsch de Damien Hirst », Arte, 11/04/2017 [en ligne] https://www.arte.tv/fr/videos/075276-000-A/les-tresors-kitsch-de-damien-hirst/.
- Cette citation est extraite d’un échange de courriels avec l’agent des artistes, daté du jeudi 5 octobre 2017.
- « Kitsch », dans CNRTL [en ligne] http://www.cnrtl.fr/definition/kitsch.
- « Inauthentique », dans CNRTL [en ligne] https://www.cnrtl.fr/definition/inauthentique.
- Abraham Moles, « Objet et communication », dans Communications, Paris, Seuil, 1969, n°13, p. 20.
- François Busnel, Frédéric Grolleau, Frédéric Tellier, Jean-Pierre Zarader, « Aliénation », dans Les Mots du pouvoir. Précis de vocabulaire, Paris, Vinci, 1995, p. 27.
- Hermann Broch, Sur le kitsch (1955), Paris, Allia Éditions, « Petite collection », 2001 ; Abraham Moles, Psychologie du kitsch. L’art du bonheur (1971), Paris, Pocket, collection Agora, 2016 ; Gillo Dorfles, Le Kitsch, Bruxelles, Complexe Éditions, 1978 ; Katia Baudin, Un monde merveilleux. Kitsch et art contemporain, FRAC Éditions, Nord-Pas de Calais, 1998 ; Valérie Arrault, L’Empire du kitsch, Paris, Klincksieck Éditions, 2010 ; Christophe Genin, Kitsch dans l’âme, Paris, J. Vrin, 2000.
- Abraham Moles, ibid., p. 7-8.
- Valérie Arrault, op. cit., p. 9-10.
- Nous renvoyons ici aux recherches menées par Pierre Bourdieu. Voir, par exemple, « Pierre Bourdieu, Habitus, code et codification », dans Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1986, 64, pp. 40-44.
- Christophe Genin, op. cit., p. 50.
- Norbert Elias, « Le style kitsch et l’ère du kitsch », traduction de Barbara Thériault, Sociologie et sociétés, vol. 46, n°1, Printemps 2014, p. 279-288 : « Recourir ici à l’expression «style kitsch» pour combler ce vide pourrait passer pour une excentricité ou encore pour le témoignage d’une attitude malveillante et hostile découlant d’une attitude de mépris. En vérité, le choix de cette expression est tout sauf arbitraire et tendancieux. »
- Christophe Genin, op. cit., p. 44.
- Abraham Moles, op. cit., p. 50-51 : « les surfaces sont remplies ou enrichies par des représentations, des symboles ou des ornements […]. C’est l’idée d’ornementation à outrance » ; p. 51 : « […] les combinaisons de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel qui se mélangent les unes avec les autres sont un caractère fréquent du colorisme kitsch » ; p. 52 : « les matériaux incorporés se présentent rarement pour ce qu’ils sont. Le bois sera peint en imitation marbre, les surfaces de plastique seront adornées de motifs de fibres incorporés, les objets en zinc seront bronzés, les statues en bronze seront dorées, les colonnes de fonte simulent le stuc ou l’arche gothique, etc. Les matériaux sont donc déguisés » ; p. 54 : « La gigantification – ou la réduction – est un des traits classiques de l’objet kitsch […] ».
- Christophe Genin, op.cit., p. 11.
- Ibid., p. 76-78.
- Ibid., p. 55.
- « Alan LeQuire «Monumental Achievement» », Youtube, 13/05/2011 [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=Zo1fF03PgtE.
- JaneCHD, « More kitschy than classy. Not impressed ! », TripAdvisor avis publié le 18/06/2014 [en ligne] https://fr.tripadvisor.be/ShowUserReviews-g55229-d558651-r210992510-Athena_Statue-Nashville_Davidson_County_Tennessee.html.
- Id. Notre traduction.
- Nous reprenons ici la définition proposée par Nelson Goodman : « Chaque tableau est unique ; le sens technique de réplique et une copie sont des choses complètement différentes ; les répliques peuvent différer de façon drastique pourvu qu’elles s’épellent de la même façon ». Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, traduction de Marie- Dominique Popelard, Paris, Folio Essais, Gallimard, 2010, p. 75.
- Constantin, bronze, IVe apr. J.-C., H : 177 cm, Musées du Capitole, Rome (inv. MC1072). Voir [en ligne] https://www.museicapitolini.org/fr/opera/statua-colossale-bronzea-di-costantino-testa ; Constantin, marbre, 313-324 apr. J.-C., H : 260 cm, Musées du Capitole, Rome, (inv. MC0757). Voir [en ligne] https://www.museicapitolini.org/en/opera/statua-colossale-di-costantino-testa.
- Damien Hirst, Hydra and Kali, 2017, bronze, 539 x 612 x 244 cm, Collection Pinault ; Hydra and Kali, 2017, 526,5 x 611,1 x 341 cm, Collection Pinault.
- Damien Hirst, The Severed Head of Medusa, 2017, or et argent, 32 x 39,7 x 39,7 cm, Collection particulière.
- Nous renvoyons au chapitre 9 « Les trois piliers du discours occidental blanc : politique, racisme et mysticisme » de Philippe Jockey, Le mythe de la Grèce blanche. Histoire d’un rêve occidental, Paris, Belin, 2013, p. 182-193, mais aussi à l’article de Rebecca Futo Kennedy, « Why I teach about Race and Ethnicity in the Classical World », Eidolon, 11/07/2017
[en ligne] https://eidolon.pub/why-i-teach-about-race-and-ethnicity-in-the-classical-world-ade379722170. L’auteur revient sur les menaces qu’à reçue sa consœur Sarah Bond en juin de la même année par des suprématistes blancs à la suite de son article « Why We Need to Start Seeing the Classical World in Color », Hyperallergic, 07/06/2017 [en ligne] https://hyperallergic.com/383776/why-we-need-to-start-seeing-the-classical-world-in-color/. - Philippe Jockey, Le Mythe de la Grèce blanche, op. cit., p. 281.
- Omar Hassan, Éclaboussure… Nike, 2011, plâtre, bombe aérosol, H : 95 cm, lieu de conservation non renseigné.
- Omar Hassan, Venere di Milo, 2011, plâtre, bombe aérosol, H : 90 cm, lieu de conservation non renseigné.
- Lors d’un entretien avec l’artiste mené par Dima Lababidi pour le magazine Vogue Man Arabia,Omar Hassan a tenu les propos suivants : « Avec mes sculptures 3D, j’ai voulu remettre en question la notion de classicisme. Dans l’étude de l’histoire de l’art, nous voyons l’Antiquité classique comme une sculpture blanche traditionnelle ; mais les Grecs aimaient réellement utiliser la couleur. Donc, je prends la sculpture et ajoute avec audace la couleur – presque comme un hommage », dans « Painting with Punches : Meet Egyptian Modern Art Heavyweight Omar Hassan », mars 2016 [en ligne] https://man.vogue.me/archive/art-design-archives/egyptian-artist-omar-hassan-modern-artist-boxer-exclusive-interview-london/. Notre traduction.
- Christophe Genin, op. cit., p. 78.
- Pascal Lièvre, « Travestir l’œuvre d’art, une histoire de la paillette », Cahier d’inspiration Maison & Objet, 2015, §9 [en ligne] http://lievre.fr/travestir-loeuvre-dart-de-pascal-lievre/.
- Ibid. §5 : « En 2008 je commence à abandonner la peinture sur mes toiles au profit de la paillette. Contrairement à mes aînés, c’est l’aspect sculptural de la paillette qui m’intéresse. J’envisage les toiles comme des socles sur lesquels sont collées des paillettes que je nomme sculptures plates ».
- Pascal Lièvre, The Red glitter Venus de Milo, 2010, paillettes rouges collées sur plâtre, H : 30 cm, Collection particulière. Voir [en ligne] https://lievre.fr/the-red-glitter-venus-de-milo/.
- Pascal Lièvre, op. cit, §8.
- Ibid., §9-10. L’artiste fait ici référence à la chanson Diamonds de l’artiste pop Rihanna, issue de son album Unapologetic sorti en 2012 : « […]
Shining bright like a diamond. We’re beautiful like diamonds in the sky ». - Enrica Borghi, Venus, 1996, plâtre, plastique (faux ongles), serpillère, 166 x 40 x 40 cm, Musée d’art moderne et contemporain, Nice (inv. 2005.8.2). Voir [en ligne] https://www.navigart.fr/mamac/artwork/enrica-borghi-venus-120000000001000 ; Busto, 2006, plâtre, plastique (faux ongles), épingles à nourrice, 40 x 25 x 50 cm, Collection particulière. Voir [en ligne] https://www.enricaborghi.com/en_US/home/works_installations/metamorphosis/sculpture_bust.
- Edward Allington, The Victory boxed, 1987, 99 plâtres polychromes, dimensions non renseignées, lieu de conservation non renseigné ; Myron’s discobolus dimished, 1987, résine et bois peints, 102 x 45 x 29,5 cm, collection particulière ; Roman from the Greek in America, 1987, bois et plâtre peints, dimensions non renseignées, collection particulière.
- Nous complétons ainsi la liste d’exemples constituée par Christophe Génin, dans Kitsch dans l’âme, op. cit., p. 9 : « Splendide Tour Eiffel à paillettes bleues, de 20 cm de haut ; belle Vierge Marie pleine d’eau bénite, à 15€ le flacon ; exceptionnel White Terrier de 12 m de haut en petites fleurs multicolores ; élégante Vénus de Botticelli en résine et en promotion à saisir ; surprenantes fleurs artificielles sur fond de cascades reconstituées ; éclatante robe de bal en rayonne verte agrémentée de nœuds et de rubans rose fuchsia ; solennels enterrements enguirlandés et larmoyant à souhait ; impressionnantes parades militaires empanachées et tonitruantes – le kitsch est partout, en tout ».
- Valérie Arrault, op. cit., p. 171.
- Oscar Ho Hing-Kay, « Le plaisir populaire de Pierre et Gilles », dans Pierre et Gilles rétrospective, MOCA, Shanghai, 2005, p. 12.
- Id.
- Pierre et Gilles, Icare, oiseau meneur (Jonathan Forte Scannapieco), 2013, photographie et acrylique, 128 x 101 cm, lieu de conservation non renseigné.
- Nous entendons « queer » au sens d’ homosexuel, mais aussi d’ « étrange » et de « bizarre ». Voir, à ce propos, de Michel Briand, « Le queer (et le camp) antiquisant : Pierre et Gilles, Trajal Harrel et Cy Twombly…», dans Fabien Bièvre-Perrin et Élise Pampanay (dir.), Antiquipop. La référence à l’Antiquité dans la culture populaire contemporaine, op. cit. [en ligne] https://books.openedition.org/momeditions/3350?lang=fr.
- Pierre et Gilles, Amphitrite (Nina Hagen), 1989, photographie et acrylique, 94,5 x 74,5 cm, Collection particulière.
- Voir, par ailleurs, Tiphaine A. Besnard et Fabien Bièvre Perrin, « Être (un) Apollon. Émulation et identification au XXIe siècle », dans Qui es-tu, Apollon ? De l’Antiquité à la culture pop, cat. exp., op. cit., p. 210-215.
- Pierre et Gilles, Ganymède (Frédéric L’Enfant), 2001, photographie et acrylique, 170,7 x 163,4 cm ; 226,3 x 163 cm ; 171,5 x 166,6 cm, Collection Pinault.
- La guirlande festonnée, très en vogue à la Renaissance, fait pourtant son apparition dès l’Antiquité. Voir Germaine Guillaume-Coirrier, « De l’objet à l’ornement : couronnes et guirlandes de roses dans la sculpture funéraire d’époque romaine », dans Journal des Savants, 1998, p. 32 : « l’ornement qui se développe hors de tout contexte dans l’espace abstrait d’une paroi de tombeau, d’un devant d’autel ou de stèle, d’une cuve ou d’un couvercle de sarcophage ».
- Eleanor Antin, Proserpine welcomes Helen to Hades (série : Helen’s Odyssey), 2007, épreuve chromogène, 154,9 x 264,1 cm, lieu de conservation non renseigné.
- Bertel Thorvaldsen, Hébé, 1815, marbre, H : 156,5 cm, Musée Thorvaldsen, Copenhague, inv. A875. Voir [en ligne] https://kataloget.thorvaldsensmuseum.dk/en/A875.
- L’entreprise italienne Italpark propose à la vente des statues de jardin produites à partir de poudre de marbre et de ciment. Il est alors possible d’acquérir colonnes, Vierge, Apollon… et autre Hébé, par ailleurs identifiée sous le titre « Ebe ART. 402 », [en ligne] https://www.italpark.com/fr/statues-de-jardin/93-ebe.html.
- Achilleas Droungas, Apollo’s Lyre, 2000, huile sur toile, 125 x 140 cm, Collection particulière ; Carlo Maria Mariani, Eclipse 5, 2002, huile sur toile, 101 x 89 cm, lieu de conservation non renseigné ; Theodore Manolides, Myth and Nature (série : Essence and Mystery), 2001, huile sur toile, 41 x 36 cm, Collection particulière.
- Plusieurs expositions et biennales se sont tenues, si nous nous tenons aux informations diffusées sur le site Internet d’Odd Nerdrum [en ligne] https://nerdrum.com/kitsch/. Cependant, il convient de souligner que les sources sont tout de même très éparses. Retenons tout de même l’exposition qui s’est tenue en 2010 au Palazzo Cini à Venise et intitulée Kitsch Biennale (18 septembre – 17 octobre 2010).
- Odd Nerdrum et al., On Kitsch, Kagge, 2000 ; Odd Nerdrum et al., Kitsch. More than Art, Schibsted Forlag, 2011.
- Le site internet sur lequel sont référencés les artistes qui se sont déclarés issus du Kitsch Movement a été créé à l’initiative de Jan-Ove Tuv et Helene Knoop. Il est intitulé World Wide Kitsch. Voir [en ligne] https://worldwidekitsch.com/.
- Dans un post daté du 14 mai 2020 consacré au Mercure (fig. 1) de Pierre et Gilles et « liké » 7 700 fois, nous pouvons lire les commentaires suivants : « Just beautiful », « Most favourite », « gorgeous!! », « Une des plus belles œuvres », « Omg, Stunning ». Voir [en ligne] https://www.instagram.com/p/CALSRfhiIp1/.
- Dans un post daté du 8 juin 2021 consacré alors à l’une des nouvelles créations de Daniel Arsham et « liké » 36473 fois, nous pouvons lire les commentaires suivants : « AWESOME! », « Wow incredible. <3 would love to see this in person!! », « The size and the detail, incredible », « INCREDIBLE », « INSANE ». Voir [en ligne] https://www.instagram.com/p/CP3VbbxgQim/?img_index=1.
- Dans un post daté du 22 février 2018 sur lequel figure la tête de Méduse en malachite de Damien Hirst et « liké » 19956 fois, nous pouvons lire les commentaires suivants : « She’s beautiful », « OH WHAT A FKN GREAT PIECE! », « Insanely beautiful! », « Fabulous », « amazing piece ». Voir [en ligne] https://www.instagram.com/p/BfgUDrfBVnX/?img_index=1.
- Dans un post daté du 17 octobre 2016 sur lequel figure la Vénus de Milo de Yinka Shonibare et « liké » 538 fois, nous pouvons lire les commentaires suivants : « Wonderful! I love your work », « Wow », « This is sooooo beautiful and iconic », « Gorgeous!!! ». Voir [en ligne] https://www.instagram.com/p/BLqZ6brhSV-/.
- Yves Michaud, L’art à l’état gazeux. Essai sur le triomphe de l’esthétique, op. cit., p. 8 : « Nous, hommes civilisés du XXIe siècle, vivons les temps du triomphe de l’esthétique, de l’adoration de la beauté – le temps de son idolâtrie. Difficile et même impossible d’échapper à cet empire esthétique ».
- Étienne Souriau, « Le beau, l’art et la nature », Revue Internationale de Philosophie, vol. 9, n°31 (1), 1955, p. 76.
- Voir François Jullien, Cette étrange idée du beau. Chantiers, ii, Paris, Grasset & Fasquelle, Le livre de Poche, 2010.
- Voir Florence Gherchanoc, Concours de beauté et beautés du corps en Grèce ancienne. Discours et pratiques, Bordeaux, Ausonius, 2016.
- Nous reprenons ici les formules citées dans l’ouvrage de Nathalie Heinich, « En guise de synthèse », dans L’Art contemporain exposé aux rejets. Études de cas, Paris, Fayard/Pluriel, 2010, p. 199.
- Umberto Eco (dir.), Histoire de la beauté, op. cit., p. 41.
- Id.
- Yves Michaud, L’Art à l’état gazeux. Essai sur le triomphe de l’esthétique, op. cit., p. 15.
- Nous renvoyons aux ouvrages de Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, Gallimard, 2013 ; Umberto Eco (sous le direction de), Histoire de la beauté, op. cit. ; Nathalie Heinich, Jean-Marie Schaeffer, Carole Talon-Hugon (dir.), Par-delà le beau et le laid. Enquêtes sur les valeurs de l’art, Rennes, Presses Universitaires, coll. Æsthetica, 2014.
- Fabio Viale, op. cit. Notre traduction.
- Voir Johann Joachim Winckelmann, Histoire de l’art dans l’Antiquité (1764). Présentation, édition et annotation de Daniela Gallo, traduction de Dominique Tassel, Livre de Poche, 2005. Nous renvoyons également au travail de Corinne Streicher, L’Appropriation de l’art grec dans les écrits de J.-J. Winckelmann, thèse de doctorat en histoire de l’art soutenue à l’Université du Québec à Montréal, 2010.
- Nous avons ici évoqué Instragram, mais le réseau social TikTok mériterait d’être analysé. De nouveaux artistes se sont fait connaître dernièrement grâce à cette plateforme. Tel est le cas du peintre néo-hyperréaliste Marco Grassi dont les vidéos de ses œuvres en cours de réalisation ont été visionnées plusieurs millions de fois. Voir [en ligne] : https://www.tiktok.com/@marco.grassi.painter?lang=fr.
- Voir Fabien Bièvre-Perrin, Élise Pampanay, « Esthétique et fonction du corps antiquisant dans la publicité au XXIe siècle », Thersites. Journal for transcultural presences & diachronic identities from Antiquity to date, Vol. 6, 2017 [en ligne] https://thersites-journal.de/index.php/thr/article/view/63.