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Les Landes de Gascogne, pays de montagne ?

À propos de :
Marquette, J. B. (2006a) : “Grande Lande et Lande maritime, terres de franchises (XIIIe – XVIIIe siècles)”, Actes de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, 31, 79-97.
Marquette, J. B. (2006b) : “Les coutumes de Labouheyre (Herbafauere)”, in : Un pays dans sa langue. Le gascon dans l’ensemble d’oc, Actes du colloque de Sabres, sous la présidence de Pierre Bec, 9, 10 octobre 2004, Travaux et colloques scientifiques, 5, Parc naturel régional des Landes de Gascogne, 107-140. 

Le monde de la lande fascinait Jean Bernard Marquette qui était né et avait grandi à sa périphérie. C’est sans doute pourquoi il a consacré une centaine d’articles à ces espaces jusque-là peu étudiés, car pauvrement documentés pour la période médiévale1. L’occupation des sols, la formation du réseau seigneurial et paroissial, la vie des communautés, l’économie agraire enfin ont tour à tour suscité son intérêt. L’un des angles d’attaque choisis pour ces incursions au cœur de la lande a été celui des coutumes : coutume de la Maremme, du Brassenx, coutumes de la seigneurie de Labouheyre. À l’époque où je préparai ma thèse sous sa direction, je me suis intéressé à ces espaces de “terre gasque”, si différents de ceux des “bons pays” du cœur de Bordelais viticole et céréalier2. Travaillant depuis plus de vingt-cinq ans sur les paysans de montagne, je suis aujourd’hui frappé par les points de ressemblance des hautes vallées alpines, et sans doute aussi pyrénéennes, avec le monde de la Lande, au point de voir un peu ce dernier comme une sorte de pays de montagne, mais plat. Les dunes boisées où les communautés paysannes disposent, de par la coutume, de droits d’usage étendues, telle celle de La Teste, n’étaient-elles pas jadis qualifiées de “montagnes” ? Cette ressemblance ne porte ni sur le relief, ni sur le climat, mais bien plutôt sur la prépondérance du saltus sur l’ager dans les paysages et sur la façon dont les communautés paysannes se sont adaptées aux contraintes d’un environnement a priori répulsif, mais également riche en opportunités. C’est donc par cette entrée que je me suis permis de revisiter plus particulièrement l’article de Jean Bernard Marquette sur la “Terre de franchises”, un article dont le cœur est constitué par l’analyse des coutumes de Labouheyre, leur origine et leur évolution entre le XIIIe et le XVIIIe siècle3.

Au bas Moyen Âge, les populations clairsemées qui occupent les landes de Gascogne pratiquent une agriculture dite infield/outfield, typique des régions ou domine très largement l’espace inculte4. L’infiefd, désigne les champs permanents qui constituent le cœur des exploitations paysannes ne recouvrent qu’une fraction très minoritaire de l’espace.

Parmi les ressources variées tirés de l’outfied, il faut insister sur les pâturages communs, les padouens, et la bruyère qui sert de litière aux bêtes gardées dans les parcs. Cette litière permet de recueillir le fumier épandu par la suite sur les quelques champs permanents, qui peuvent être ainsi cultivées en continu sans pratiquer la jachère. Citant les coutumes de Labouheyre, Jean Bernard Marquette insiste sur le droit des besins de faires paître leurs bêtes du lever au coucher du soleil, mais sous bonne garde, sans payer le droit d’herbage. En 1488, la confirmation des privilèges de Sanguinet par le roi de France Charles VIII réitère le droit des habitants à faire pacager leurs bêtes dans les padouens, de couper la bruyère et de construire des parcs. Ce type d’agriculture domine les paysages depuis le Médoc intérieur jusqu’aux aux Landes maritimes en passant par les pays de Buch et de Born. Dans l’Arc Atlantique, on la retrouve en Galice, comme en Écosse, en Irlande et dans certaines portions des landes de Bretagne. Cette prédominance de l’espace inculte, si l’on veut du saltus, sur l’ager, se retrouve également dans des pays de marécages et, bien sûr dans de nombreuses régions de montagne, hauts plateaux du Massif central, vallées alpines et pyrénéennes, jurassienne ou encore ou vosgiennes. Les coutumes évoquent au passage, au sujet des redevances seigneuriales, les céréales cultivées, ainsi, le froment et le millet dans la région de Maremme. Strabon puis au XIIe siècle, le pèlerin de Saint-Jacques, soulignent l’importance du millet dans la région des landes de Gascogne. Contrairement à ce qui se passe ailleurs, notamment dans les Alpes, où le millet régresse fortement dès avant le XIIe siècle, au profit du seigle du froment et de l’avoine, celui-ci conserve, toute sa place dans les landes5. Les “quartières” en nature versées à l’archevêque de Bordeaux au XIVe siècle le dans les paroisses landaises des pays de Buch et de Born, le place loin devant le froment et le seigle, l’avoine, autre céréale susceptible d’être consommée sous la forme de bouillie et gruau, étant totalement absent6.

La plus grande partie de l’article sur la Terre de franchises, cependant, est consacrée au problème des vacants ou, comme on dit des padouens. Cette question a été revisitée il y a quelques années par Frédéric Boutoulle7[7]. À Labouheyre, les besins, c’est-à-dire les chefs de famille qui composent la communauté, ont la jouissance perpétuelle de tous les vacants. Les communautés de voisinage ont donc la propriété utile de la lande et des espaces boisés, en contrepartie de redevances seigneuriales. À Biscarosse, les privilèges de 1277 confirmés par 
Édouard 1er rappellent que les habitants, réputés “francs” sont libres de “padouenter” leur bétail gros et menu, de faire cabane et parcs, de faire gomme et résine et, seulement ensuite, de semer blé et planter vigne. C’est placer au premier rang des activité économiques l’exploitation de l’espace inculte par l’élevage extensif et l’extraction de produits bruts. On a vu aussi la confirmation des privilèges de Sanguinet rappeler ces mêmes droits de pacage et de construire des parcs sur la lande. Ces droits d’usage sur le saltus reconnu aux communautés sont le premier pas vers la constitution de véritables communaux appelées padouens dans la région, padouens qui on fait en l’objet, en 1912, d’une étude novatrice par le juriste Pierre Harlé8.

En 1252, le chapitre Cathédral Saint-André de Bordeaux concède à ses hommes de Cadaujac et de trois autres hameaux de cette même paroisse, les vastes marais qui se trouvent sur leur territoire9. Six prudhommes représentants les voisins devront, tous les ans venir prêter serment de respecter les conditions de ce “bail à fief”. On retrouve ce type de concessions dans les régions de montagnes ou l’espace inculte est largement dominant. Elle prennent là-aussi la forme de chartes de franchises ou bien celle d’actes de concession ad hoc, que l’on appelle des albergements en Savoie et Dauphiné. Dans ce dernier cas, des communautés d’habitants, mais aussi des sociétés d’éleveurs locaux, les consortages, obtiennent le droit exclusif d’accès et d’exploitation de forêts, d’alpages, mais aussi (car on pratique l’irrigation) des cours d’eau10. Comme dans les autres pays ou le saltus l’emporte sur l’ager par son étendue, notamment en montagne, les pâturages des landes font, bien évidemment, l’objet d’âpres conflits, entre communautés voisines, mais aussi entre les habitants et les pasteurs encadrants les troupeaux transhumants. C’est sans doute le développement de la transhumance qui explique le fait que la confirmation de la coutume de Labouheyre, en 1427, reconnaisse aux voisins, le droit de saisir le bétail étranger empiétant sur leurs terres, mais aussi sur les padouens proches de celles-ci.

Tout une partie de l’article sur la terre de franchise est consacrée au droit de perprise que Jean Bernard Marquette considère comme la marque d’une certaine singularité, mais dont on peut trouver certaines correspondances dans les Alpes occidentales.

“À Labouheyre, les besins ont droit de prise et perprise”, dit la coutume, c’est-à-dire celui d’occuper une portion des vacant pour en faire leurs biens propres. Le droit de perprise ou droit du premier occupant, rappelle bien évidement l’aprision catalane ou la presura en Castille. L’histoire de l’aprision a été faite, notamment par Pierre Bonassie ou, plus récemment par Roland Viader11. Mais le droit de perprise évoque aussi l’essartage, c’est -à-dire le droit reconnu par de nombreuses coutumes aux paysans d’ouvrir une clairière de défrichement dans la forêt ou la lande puis, après avoir mis le feu à la végétation, d’y faire pousser des céréales plusieurs années de suite. Contrairement aux terres saisies au nom du droit de perprise, dans le cas de l’essartage, la clairière revient à l’espace commun au bout de quelques années de cultures continue, lorsque la fertilité du sol enrichi par les cendres tend à s’épuiser. Lorsqu’il y a appropriation de l’espace commun c’est après une concession seigneuriale et une décision de la communauté autorisant le partage. À Labouheyre, c’est seulement en 1427, que la confirmation de la coutume évoque l’appropriation seulement temporaire d’une portion des padouens. Pourtant, même dans ce cas, les parcelles soumises au droit de perprise ne semblent pas destinées à la culture des céréales, sous forme d’écobuage ici, mais, comme le souligne Jean Bernard Marquette, à constituer des pâturages privés, des prés de fauches, des étangs à poisson, des garennes, voire à supporter des maisons ou des moulins. On pense plutôt ici à la borde pyrénéenne, décrite par Benoît Cursente, d’abord grange ou maison secondaire établie à la limite de l’espace défrichée puis centres d’exploitation isolée12.  Jean Bernard Marquette date les coutumes de la Grande lande du début du XIIIe siècle, en un temps qui, dans cette région est encore celui de la croissance démographique et des défrichements. Le droit de perprise tel qu’il apparait dans les coutumes de la fin du XIIIe et du XIVe siècle, peut être compris comme une survivance restrictive du droit du premier occupant, à une époque où le développement de l’élevage accroit la pression sur le saltus. Loin de là, dans le Haut Dauphiné, les enquêtes comtales de la seconde moitié du XIIIe siècle, montrent les habitants de telle vallée du Briançonnais s’opposer aux représentants du Dauphin sur l’interprétation à donner au droit coutumier d’essarter : “ils disent que les communautés de la Valpute [aujourd’hui la Valouise] peuvent faire des essarts partout sans autorisation et sans payer la tasque commue au seigneur”. La tasque ou terrage est la redevance coutumière levée par les seigneurs sur les cultures temporaire13. À Labouheyre, après 1340, et l’arrivée des Albret qui remplacent le roi-duc comme seigneur direct, le droit de perprise devient payant et soumis au contrôle seigneurial. Plus que l’effet du changement de seigneurs, ont peu y voir l’effet d’un changement de conjoncture démographique et économique : comme dans le haut Dauphiné quelques décennies plus tôt, le temps des pionniers est à ce moment bel et bien clos. Il faut attendre la première moitié du XIXsiècle et l’abolition des coutumes, pour voir les paysans de la grande Lande revenir aux origines du droit de perprise et s’approprier des milliers d’hectares de padouens. Quelques décennies plus tôt, aux temps de la Révolution, les paysans de Savoie et du Dauphiné profitaient de l’expulsion des moines établis en force six ou sept siècles plus tôt dans les massifs préalpins, pour saisir, eux-aussi forêts et alpage afin de se les partager ou les intégrer aux communaux14.

Bibliographie

  • Aranaud F. et al. (2008) : “Millet cultivation history in the French Alps as evidenced by a sedimentary molecule”, Journal of Archeological Science, 35,[URL] https://doi.org/10.1016/j.jas.2007.06.006
  • Boutoulle, F. (2016) : “Les usages collectifs des incultes en Gascogne occidentale au Moyen Âge. Les communautés rurales dans l’Ouest du Moyen Âge à l’époque moderne : perceptions, solidarités et conflits”, [URL] https://hal.science/hal-01648142/document.
  • Chomel, V. (1967) : “Un censier dauphinois inédit. Méthode et portée de l’édition du Probus”, dans Bulletin philologique et historique, année 1964, Actes du 89e congrès des sociétés savantes tenu à Lyon, Paris. 
  • Christiansen, S. (1978) : “Infield-outfielf systems. Characteristics and development in different climatic environments. Geografisk Tidsskrift-Danish Journal of Geography, 77(1), [URL] https://doi.org/10.1080/00167223.1978.10649086
  • Cursente, B. (1998) : Des maisons et des hommes. La Gascogne médiévale (XIe-XVe siècle), Toulouse.
  • Harlé, P. (1912) : Les padouens du Bordelais, étude historique, Bordeaux.
  • Mouthon, F. (1993a) : Les blés du Bordelais. L’économie céréalière dans les diocèses de Bordeaux et de Bazas (vers 1300-vers 1550), Thèse de doctorat d’Université sous la direction du professeur Jean Bernard Marquette, Université de Bordeaux 3, 1993, tome 1. 
  • Mouthon F. (1993b) : “L’agriculture des pays de Buch et de Born de la fin du XIIIe au début du XVIe siècle”, in : Le littoral gascon et son arrière-pays, Actes du colloque d’Arcachon (octobre 1992), Société historique et archéologique d’Arcachon et du pays de Buch, Arcachon.
  • Mouthon F. (2001) : “Moines et paysans sur les alpages de Savoie (XIe-XIIIe siècle) : mythe et réalité”, Cahiers d’histoire, 46-1, [URL] https://journals.openedition.org/ch/90
  • Mouthon, F. (2007) : “L’essartage dans les Alpes occidentales au prisme des sources écrites du bas Moyen Âge”, in : Plantes exploitées, plantes cultivées. Cultures, techniques et discours. Études offertes à Georges Comet, Cahiers d’histoire des techniques, 6, Aix-en-Provence.
  • Mouthon F. (2019) : “XIIIe-XVe siècles : La naissance des communs dans les Alpes françaises”, in : Pâturages et forêts collectif/Kollektive Weiden und Wälder, Histoire des Alpes, 24.
  • Viader R. (2005) : “Aprisions et presuras au début du IXe siècle : pour une étude des formes d’appropriation du territoire dans la Tarraconaise du Haut Moyen Âge”, in : Sénac, P., dir., De la Tarraconaise à la marche supérieure d’al-Andalus (IVe-XIe siècle). Les habitats ruraux, Toulouse. 

Notes

  1. On saluera l’initiative de Frédéric Boutoulle, de réunir une grande majorité des articles de Jean Bernard Marquette dans ce volume en ligne, à laquelle cette contribution est rattachée.
  2. Mouthon 1993, tome 1, p. 53-57.
  3. Marquette 2006a, 79-97. Marquette 2006b, 107-140.
  4. Christiansen 1978, 1-5.
  5. Aranaud et al. 2008, 1-13.
  6. Mouthon 1993, 17-28. 
  7. Boutoulle 2016, 161-183.
  8. Harlé 1912.
  9. AD Gironde, G 415.
  10. Mouthon 2019, 23-42.
  11. Viader 2005. 
  12. Cursente 1998, 441-448.
  13. Chomel 1967, 317-407. Sur le droit d’essartage, Mouthon 2007, 109-125.
  14. Mouthon 2001, 9-23.
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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356136541
ISBN html : 978-2-35613-654-1
ISBN pdf : 978-2-35613-655-8
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
5 p.
Code CLIL : 3385
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Mouthon, Fabrice, “Les Landes de Gascogne, pays de montagne ? », in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 3. Regards sur une œuvre, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 123-128. [URL] https://una-editions.fr/marquette-les-landes-de-gascogne-pays-de-montagne
Illustration de couverture • L’église Saint Pierre de Flaujac : façade ouest (Carte postale Bromotypie Gautreau, Langon).
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