UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Le gascon bazadais, 
ses traits et son aire questionnés

À propos de :
Marquette, J. B. (2006) : “Les coutumes de Labouheyre (Herbafauere)”, in : Un pays dans sa langue. Le gascon dans l’ensemble d’oc, Actes du colloque de Sabres, sous la présidence de Pierre Bec, 9, 10 octobre 2004, Travaux et colloques scientifiques 5, Parc naturel régional des Landes de Gascogne, 107-140. 
Vigneau, B. (1982 [1879]) : éd. par Boisgontier, J. et Marquette, J. B., Lexique du gascon parlé dans le Bazadais, Bazas, Les Amis du Bazadais.

Le gascon bazadais est l’objet du développement qui suit et il est une appellation commode pour désigner une variété du gascon, composante dialectale, généralement présentée comme particulière, de l’occitan1. Cette variante bazadaise est supposée ou postulée par certains, et le questionnement qui l’accompagne est aussi celui qui affecte toute entité subdialectale, soit que celle-ci présente d’emblée des évidences proprement linguistiques en termes d’isoglosses, soit qu’elle résulte, en termes de dialectologie perceptive, d’un processus de construction sociale s’appuyant sur des traits linguistiques propres ou considérés comme tels et contribuant aussi bien à les alimenter et à les consolider. La région du Bazadais peut à cet égard constituer un exemple intéressant pour retourner à cette question régulièrement revisitée par les dialectologues et les sociolinguistes dans la mesure où il se situe dans une aire à la fois un peu excentrée du domaine gascon et, aussi, en contact avec ses grandes composantes géolinguistiques sans que sa perception interne et externe ressorte aussitôt. Or, une façon d’aborder cet exemple à partir d’un lexique nous est apparue productive. Surtout, un lexique du gascon bazadais daté de la deuxième moitié du XIXe siècle, époque de grande activité autour de l’occitan, de sa description, de la détermination de ses limites et de ses constituants dialectaux avec des linguistes tels que Georges Millardet (1846-1908), Achille Luchaire (1876-1953), Édouard Bourciez (1854-1946) qui se pencheront en particulier sur la matière gasconne, pouvait offrir sous ce rapport, outre des renseignements de premier plan sur l’état de l’occitan oral, des éléments de compréhension sur sa perception à des échelles tant locales que plus larges. Comme nous le verrons, le manuscrit daté de 1879 et intitulé Lexique de la langue gasconne parlée dans le Bazadais et dans les communes landaises voisines de Bernard Vigneau apporte nombre d’enseignements utiles en la matière, de même que l’ouvrage qui en édita la partie lexicale un siècle plus tard, en 1982, sous la conduite de Jacques Boisgontier et Jean Bernard Marquette. Or, dans un cas comme dans l’autre, une des préoccupations qui présidèrent à ces travaux fut celle de la référence géolinguistique à laquelle rattacher la notion de Bazadais, en présupposant pour elle un minimum de traits linguistiques et identitaires repérables. De notre côté, nous interviendrons à leur suite, également dans ce sens, en nous centrant à ce stade, dans la proposition que nous ferons, de données linguistiques identifiées, lesquelles, comme nous le rappellerons à l’issue de ce propos, devront être confrontées dans un deuxième temps à des compléments d’information de ce type ainsi que ressortissant du sentiment d’identité linguistique.

Les protagonistes du lexique du gascon bazadais

Chronologiquement, les choses commencèrent véritablement à partir du moment où le manuscrit de B. Vigneau fut découvert et identifié au début des années 1970, puis édité une décennie plus tard. Pour cette raison, nous partirons de là en présentant tout d’abord ses éditeurs, J. Boisgontier et J. B. Marquette.

Jacques Boisgontier (1937-1998), linguiste dialectologue bordelais, spécialiste de l’occitan, ingénieur d’études au CNRS, qui a participé en tant que collaborateur ou co-auteur à la réalisation des atlas linguistiques du CNRS de la Gascogne et du Languedoc, auteur de nombreuses publications sur la langue et la littérature orale occitane gasconne2, fut ainsi le coéditeur en 1982, avec Jean Bernard Marquette, du manuscrit de Bernard Vigneau intitulé Lexique de la langue gasconne parlée dans le Bazadais et dans les communes landaises voisines, avec en sous-titre, joignant une nomenclature exacte et aussi complète que possible des mots employés dans ces localités, la définition de ces mots, l’explication précise de leur acception et leur étymologie, mentionnant, avec exemples à l’appui, leur emploi spécial dans les idiotismes, adages, proverbes, dictons agricoles, noëls et vieilles chansons, suivi d’un Supplément renfermant les mots oubliés et contenant un grand nombre d’adages, proverbes, dictons agricoles et autres, noëls et vieilles chansons du Bazadais et des Landes par ***, daté de 1879, à Bazas.

Jean Bernard Marquette (1934-2020), historien médiéviste connu à l’Université de Bordeaux III, spécialiste de l’espace gascon et de la maison d’Albret, fut un habitué de la documentation médiévale en occitan gascon, qu’il connaissait comme langue des usages publics officiels tant publics et administratifs que notariés et comme langue héritée de son Bazadais natal (il était né à Grignols, en Gironde)3. Vulgarisateur activement engagé par ailleurs dans la revue savante Les Cahiers du Bazadais, sa connaissance de l’écrit et de l’oralité gasconne du Bazadais se doublait aussi bien d’une réflexion sur la langue appréhendée sur la longue durée. Témoin de cela, cette analyse sociolinguistique aussi nuancée que percutante qu’il livra sur la problématique du lien entre une langue – ici, l’occitan dans sa composante gasconne – munie de l’ensemble de ses virtualités, dont celle, tout spécialement, d’écriture autonome, et son état réel au fil du temps et de la situation de diglossie dans laquelle elle a évolué à partir du Moyen Âge :

On ne saurait donc s’étonner des erreurs que présentent les différentes versions du texte des coutumes qui nous sont parvenues. La chose avait été soulignée par F. Arnaudin pour le manuscrit d’Escource, la lecture des autres copies l’a largement confirmé. Indépendamment du nombre de “mains”, d’autres facteurs ont concouru à la multiplication des erreurs et, tout d’abord, la manière dont ont été exécutées les copies. F. Arnaudin avait déjà noté cot pour quod dans la transcription du texte de la confirmation en latin (t. VIII, p. 598, n.22,), preuve, selon lui, d’une copie exécutée sous la dictée. Combien y en eut-il faites de cette façon ? Ce procédé est, à notre avis, à l’origine d’expressions ou de passages incompréhensibles. Autre facteur qui a dû se conjuguer avec le précédent, la méconnaissance par les scribes de la langue latine mais aussi de la langue gasconne écrite des XIVe et XVe siècles. Certes, les copistes landais du XVIe et du XVIIe siècle, greffiers et notaires, comprenaient sans aucun doute le gascon de la Lande et la plupart devaient même le parler, mais il s’agissait du gascon courant et non de celui des textes savants médiévaux. Plus grave à notre avis, la langue écrite des greffes et des études était le français ; parler le gascon est une chose, mais ne plus l’écrire rend toujours difficile dans un premier temps la compréhension d’un texte, savant de surcroît et vieux de plusieurs siècles4.

La rencontre du linguiste et de l’historien sur cette thématique linguistique se fit le plus concrètement lorsque tous deux se penchèrent sur le manuscrit de Vigneau et entreprirent d’en éditer la partie réservée au lexique. Ce manuscrit avait été mis en évidence lors des recherches archivistiques qui présidèrent à l’exposition Le Livre aquitain d’expression occitane qui se tint en 1972 à la Bibliothèque municipale de Bordeaux. Il prend toujours place dans les fonds de cette bibliothèque sous la cote Ms 2077 et il fut alors intégré au catalogue de cette exposition5. François Pic6, bibliographe de la matière occitane, en publia en 1981 une notice détaillée7 dont on retiendra qu’il est constitué, pour la partie principale de ses 438 pages, dudit lexique gascon (p. 25-330) suivi d’un complément (p.  331-344). L’autre partie du document comprend, à la demande, comme pour le lexique, de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, des “Chansons bazadaises et landaises” (p. 345-392), des “Proverbes et dictons en langue gasconne” (p. 395-428), un conte “rimatoire” (p. 421-422), des “Musiques notées” (p. 431-432), un “Glossaire spécial des titres gascons contenus dans le Livre des Bouillons et le Registre de la Jurade, publiés par la Commission de publication des archives de Bordeaux” (14 p. non paginées). La totalité de ce document fut présentée par son auteur s’identifiant selon la règle imposée par une devise-épigraphe8 à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux pour concourir sur le thème de “la langue gasconne parlée dans le département de la Gironde”9.

Bernard Vigneau naquit à Antagnac, dans le département du Lot-et-Garonne, le 4 février 1842, et il passa son enfance à Arx, dans le département voisin des Landes. Ensuite, diplômé de la Faculté de médecine de Montpellier, il s’établit comme médecin en 1870 à Bazas, s’y maria le 21 octobre 1872 avec Marie Victoire Bonfils, et en partit vers 1878 pour s’installer dans la petite station thermale de Saint-Christau dans les Basses-Pyrénées (devenues Pyrénées-Atlantiques). On sait aussi qu’il fut membre correspondant de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Bordeaux. Père de deux fils identifiés, la date de son décès nous est encore inconnue.

Du manuscrit de B. Vigneau à son édition par J. Boisgontier et J. B. Marquette

Par son titre, Lexique de la langue gasconne parlée dans le Bazadais et dans les communes landaises voisines, le manuscrit de Vigneau indique s’appliquer à une partie géographique du gascon non délimitée de façon marquée. Il s’agit du “Bazadais” et des “communes landaises voisines” sans plus de précisions dans les deux cas. En comparaison, par son titre, Lexique du gascon parlé dans le Bazadais, l’édition de ce manuscrit par J. Boisgontier et J. B. Marquette (dorénavant aussi, Boisgontier-Marquette), partie d’un travail plus ample comprenant notamment un recueil de chansons et un autre de proverbes gascons, se réfère explicitement à un ancrage géographique en Bazadais en principe plus précis. Elle reprend la partie lexique du manuscrit et, logiquement, les données “landaises” à côté de celles relevant plus directement de l’entité bazadaise bien que cette dernière ne soit pas plus clairement délinéée en tant que telle. Précision : cette édition du lexique gascon n’est pas de type diplomatique, elle en reprend l’essentiel de façon raisonnée tout en le complétant. Tout d’abord, elle l’homogénéise en particulier en y insérant le supplément qui était à part, page 330 à 344 dans le manuscrit déposé à l’Académie. Pour l’essentiel, Boisgontier et Marquette s’expriment au sujet de modifications qu’ils apportèrent au texte originel dans l’“Avertissement” à leur édition. Surtout, ils fournirent de nombreux compléments dans les définitions “chaque fois que celles-ci nous paraissaient insuffisantes ou peu claires”10, notamment aussi, grâce à Jean Bernard Marquette “qui a pris la peine de rechercher sur le terrain les informations concernant une infinité de mots et d’usages locaux” (Ibid.). La graphie qu’ils choisirent, globalement phonétisante, ne diffère pas sur le fond de celle de Vigneau en ce qu’elle s’inspire majoritairement, sauf pour certains graphèmes (cf. infra) qui relèvent du système historique occitan, de l’orthographe du français. Pour l’essentiel, les deux éditeurs opérèrent un gros travail de réaménagement du manuscrit et l’ont fait déboucher sur un nouveau dictionnaire qui, tout en conservant le contenu du manuscrit du docteur Vigneau, en a précisé et augmenté nombre de définitions grâce aux apports, par conséquent, de J. B. Marquette et en ayant également recours à des explications de spécialistes et, dans les deux cas, avec une orientation bazadaise assumée :

Certains des commentaires faits par le Dr B. Vigneau sur des sujets tels que la flore, la faune, la géologie avaient considérablement vieilli ; d’autres manquaient de clarté – ceux à caractère technique en particulier. Aussi avons-nous procédé à des corrections et apporté des compléments qui figurent dans l’édition entre crochets [ ]. Nous nous sommes entouré pour ce travail des conseils de spécialistes et de chercheurs ainsi que de ceux de Bazadais connaissant bien la langue gasconne et les usages et traditions du pays dans les domaines le plus variés. Qu’ils en soient tous remerciés11.

De plus, cette édition Boisgontier-Marquette est illustrée au moyen d’une abondante iconographie constituée de photos anciennes issues de plusieurs collections privées ainsi que de l’ouvrage de Félix Arnaudin, Au temps des échasses12. Ce travail éditorial certes particulier mais très conséquent – ce que souligna Jean-Claude Dinguirard dans son compte-rendu de l’époque13 – déboucha sur un ouvrage à la portée à la fois linguistique et ethnographique, conception à laquelle le lexique manuscrit n’avait qu’en partie satisfait, livrant un vaste ensemble de données lexicales propres à une zone gravitant autour de l’épicentre bazadais. Afin de peut-être mieux comprendre le non-recours à une publication de l’original intégral avec un appareil de notes pour ce lexique, il pourra être fait appel ici à une impression selon laquelle les deux éditeurs de Vigneau se seront retrouvés sur ce terrain avec en commun le souci d’être des passeurs de culture – en ayant le sentiment de l’urgence de devoir faire aussi cela – auprès d’une population concernée par la matière linguistique d’oc, gasconne en l’occurrence, à travers ses constituants et ses productions14. On retrouve là J. Boisgontier, relecteur et correcteur d’œuvres de la littérature occitane de création contemporaine ou traditionnelle en vue de les rendre plus accessibles sous des formes normées et lissées, et J. B. Marquette, investi, à côté de sa rigueur scientifique, dans son milieu d’origine comme vulgarisateur exigeant à travers ses implications de tous ordres spécialement dans Les Cahiers du Bazadais et les institutions autant scientifiques que patrimoniales régionales.

Pour les détails des modifications et apports de l’édition Boisgontier-Marquette par rapport au manuscrit Vigneau, nous avons sélectionné un certain nombre de points répartis entre ceux qui relèvent de la graphie, de la lemmatisation des entrées du lexique et, enfin, des définitions.

Les différences entre les graphies

En introduction de la “Note sur la prononciation et la graphie du gascon”, Boisgontier-Marquette justifient les modifications qu’ils ont apportées à la graphie empirique et parfois fluctuante du manuscrit Vigneau ainsi : “En fait, nous nous sommes borné à régulariser le système usité par J.‑B. Vigneau d’une façon hésitante et peu cohérente dans son manuscrit original”15. Plus concrètement, sans aller jusqu’à recourir à l’orthographe normée classique de l’occitan, ils l’ont modifiée, la rendant parfois plus étymologique et, ainsi, dans certains cas, en phase avec certaines solutions graphiques anciennes et classiques de cette langue. De cette manière, pour la graphie, on a retenu les faits énoncés en suivant :

• la semi-voyelle [ĭ] dans les diphtongues [aĭ] et [uĭ] est notée à l’aide du tréma en usage dans l’orthographe française, soit (par ex. bantaïre : “qui est vaniteux”) et ouï (par ex. couïre : cuivre) par Vigneau, et par ay (bantayre) et ouy (couyre) par Boisgontier-Marquette. Certaines incohérences apparaissent dans la graphie de Vigneau puisque [aĭ] y peut être également noté ay (par ex. may : mère) tandis que, pour la traduction “père”, il donne la double entrée pay – paï.

• La semi-voyelle [ŭ] des diphtongues du type courant au [aŭ], èu [Εŭ], eu [eŭ], iu [iŭ] est notée par Vigneau à l’aide du graphème phonétisant provenant de l’orthographe du français <ou>, d’où, par ex. oustaou (maison), mèou (miel), eou (œuf), estiou (été), graphiés oustau, mèu, eu et estiu par Boisgontier-Marquette. Parfois, néanmoins, lorsque la diphtongue est en finale de mot, Vigneau appose la notation classique après l’entrée avec <ou> notant la semi-voyelle de la diphtongue décroissante, comme par ex. “estiou – estiu” (été).

• La voyelle –V– intervocalique romane est notée –ou- dans le manuscrit Vigneau (mestioue : moisson) et -u– dans l’édition Boisgontier-Marquette (mestiue) plus conformément à l’étymologie.

• La latérale palatale [λ] est notée –ill- en position intervocalique, ou –ill ou –il en finale, (par ex. hille : fille, hill, : fils, mais coutril : coutre) par Vigneau, en s’inspirant là aussi du français et, plus dans la tradition occitane, lh (hilhe, hilh, coutrilh) par Boisgontier-Marquette ;

• La voyelle [i] est indifféremment notée i (par ex. mirail ; miroir, estreci : rendre étroit) qu’elle soit en position tonique ou atone par Vigneau, alors qu’elle est notée i en position atone et î (miralh, estrecî) en position tonique16 par Boisgontier-Marquette ;

• La fricative alvéolaire voisée intervocalique [z] est notée tantôt –z– (par ex. bazèli, basilic), tantôt –s– (par ex. batisa, baptiser) sans logique apparente par Vigneau tandis que Boisgontier-Marquette adoptent une solution uniforme (basèli, batisa).

• La voyelle palatale fermée [e] est notée é par Vigneau et, classiquement, e par Boisgontier-Marquette ;

• La notation <ch> note chez Vigneau indifféremment les prononciations [ʃ] et [tʃ]. Ce n’est qu’après le mot que généralement, si elle existe, la réalisation affriquée est indiquée (par ex. chic (tchick) : peu, mais chioulet : sifflet). Dans l’édition Boisgontier-Marquette, une différence claire est établie entre le graphème <tch> notant le son [tʃ] et le graphème <ch> (par ex. tchic, chiulet) notant la chuintante [ʃ].

D’un type de lemmatisation à un autre

• Dans le manuscrit Vigneau, pour un même mot en gascon, sa forme en “landais” est placée en premier, devant celle qui est en bazadais sans que l’entrée soit identifiée comme étant landaise comme par ex. pour “truie”, qui ne reçoit sa définition complète qu’à partir de la forme landaise “trouje”, la forme “truje” apparaissant ensuite et renvoyant à la première. L’édition Boisgontier-Marquette retourne cet ordre tout en donnant les deux formes. Même chose pour “souje” (L.)17 et “suje” (B.)18 (suie) en deux entrées différentes dans l’édition Boisgontier-Marquette et une seule dans le manuscrit Vigneau avec la forme landaise en premier : “Souje (Landes) Suje (Bazas). Suie”.

• Plus directement, lorsque deux formes d’un mot, bazadaise et landaise, sont suffisamment proches pour pouvoir figurer à la même entrée, la notion est lemmatisée par référence à la forme landaise chez Vigneau, et c’est l’inverse dans l’édition Boisgontier-Marquette. Par ex. l’entrée “Péré (Landes) – Pérey (Bazas) Poirier” chez Vigneau devient “perey (B.), perè (L.) s. m. Poirier”. De même, gaoute et machère, signifiant “joue”, donnés sans précision dans le manuscrit, sont identifiés par Boisgontier et Marquette qui précisent que le mot gaute, noté ainsi par eux, correspond au Bazadais et le mot machère à la région landaise voisine.

• Les choix de lemmatisation sont plus conformes aux usages dans l’édition Boisgontier-Marquette en renvoyant aux formes les plus classiques et en lien avec leur origine que chez Vigneau. Par ex., chez Vigneau, le mot dabera (descendre) est donné pour référence avec sa traduction, et debara est indiqué mais est renvoyé à dabera pour la traduction, cette dernière forme étant une variante de la première, dans la ligne de l’ordre vocalique d’origine de l’étymon latin de-valle-are. L’édition Boisgontier-Marquette rétablit l’ordre étymologique. La même inversion-rétablissement dans la lemmatisation, par ex. aussi, a été opérée pour dicha / decha (laisser).

• Un autre cas de lemmatisation systématique par Boisgontier-Marquette inverse la référence dans le sens gascon landais – gascon bazadais du manuscrit Vigneau. Il s’agit du suffixe issu du latin -ariu qui aboutit à -èir en Bazadais comme dans le reste du Bordelais (noté –ey par Vigneau et Boisgontier-Marquette) est à -èr (noté è dans les deux cas) vers les Landes. En conséquence, par ex. l’ordre “Salè, saley, salère. Écuelle…” de Vigneau passe à “saley (B.), salè (L.) s. m. Écuelle…” chez Boisgontier-Marquette.

Mise en ordre et modification des définitions dans l’édition de 1982

Les différences entre le manuscrit et son édition de 1982 sont encore plus sensibles pour les définitions. Afin d’illustrer celles qui nous ont paru être les plus significatives, nous faisons les constats suivants :

• les étymologies de Vigneau sont rejetées dans l’édition Boisgontier-Marquette où elles sont à juste titre considérées comme fantaisistes.

• En général, pour les verbes, comme par exemple bése (voir), les conjugaisons sont données par Boisgontier-Marquette mais pas toujours les phrases exemples qui apparaissent dans le manuscrit. Or ces phrases et extraits de texte divers provenant d’œuvres littéraires, ainsi que de proverbes et de chansons pas tous forcément bazadais figurant dans la deuxième partie du manuscrit Vigneau, ne sont pas toujours pris en compte par l’édition Boisgontier-Marquette sans que cela n’ait été explicité dans leur “Avertissement”. De fait, les extraits de textes littéraires dans le manuscrit Vigneau ne sont pas repris dans l’édition Boisgontier-Marquette. Les nombreuses citations d’écrivains gascons qui sont utilisées dans les définitions du manuscrit proviennent d’auteurs en majorité assez éloignés dans le temps et l’espace – par ex. Guilhem Ader et Jean-Géraud d’Astros, ce dernier souvent cité – et justifiées avec l’argument suivant :

Les citations sont textuelles et leur origine toujours indiquée. On remarquera que notre lexique n’est pas le dialecte exact de ces auteurs ; – c’est vrai – mais n’est-il pas certain qu’autrefois il y avait plus d’uniformité dans l’usage du gascon ? N’est-il pas probable que l’on parlait ainsi dans nos contrées ? D’ailleurs nous n’avons pas de poètes anciens dans le Bazadais, si nous en exceptons les auteurs inconnus de nos chansons de noces, de danses, …19.

Cette explication renvoie chez Vigneau à sa représentation de l’unité de langue à travers sa réelle connaissance de la littérature en divers dialectes de l’occitan (deux en l’occurrence ici, le gascon et le languedocien) avec l’idée d’une langue originellement plus homogène propre à en susciter chez lui une perception valorisante. Deux de ces auteurs, Pèire Godolin (1580-1649), de Toulouse, et Jacques Boé dit Jasmin/Jansemin (1798-1864), d’Agen, très populaires, sont en effet de dialecte languedocien20. Les autres auteurs, Guilhem Ader (1567-1638, Lombez-Gimont), Jean-Géraud d’Astros (1594-1648, Saint-Clar-de-Lomagne), Louis Baron (1612-1663, Pouyloubrin-Toulouse), Géraud Bedout (1617-1693, Auch) font partie des poètes gascons, les deux premiers étant les plus connus, de cette période. Des trois derniers auteurs cités comme étant ses contemporains, seul Jasmin est de suite identifiable21. Quoi qu’il en soit de l’intérêt, tout-à-fait sociolinguistique à notre sens, de ce recours à des citations de ces auteurs, on peut comprendre, dans la logique d’une édition non diplomatique, que Boisgontier et Marquette ne les aient pas reproduites en raison de leur inadéquation directe avec l’ancrage notamment bazadais qu’ils avaient désiré mettre en avant.

• Régulièrement, Vigneau, comme il l’a explicité dans le sous-titre de son manuscrit (cf. supra, in “§ Les protagonistes du lexique du gascon bazadais”), a souvent recours à des citations issues des proverbes et des chansons qui figurent dans la deuxième partie de son ouvrage. Or, Boisgontier et Marquette n’y recourent que peu22 alors qu’ils reprennent par ailleurs des citations dans la langue courante mettant en contexte phrastique les mots du lexique. En fait, même si cela est quantitativement minoritaire par rapport au manuscrit, ils utilisent pourtant, de façon très ciblée, les ressources de la partie du manuscrit consacrée à la littérature orale, en privilégiant, mais cela reste à vérifier plus concrètement, les exemples provenant du Bazadais, tout au moins tel qu’ils le perçoivent.

• Dans quelques cas particuliers, le mot n’apparaît que dans l’édition Boisgontier-Marquette. On mentionnera ainsi le mot “grue” (grue), l’oiseau, qui apparaît uniquement dans leur édition avec une longue notice pourtant alimentée de plusieurs proverbes tirée de la deuxième partie du manuscrit Vigneau. Nous citerons aussi l’entrée roundèu, seulement, là encore, dans le lexique publié, dont la définition est néanmoins directement extraite du recueil de “chansons bazadaises et landaises”23. Il s’agit de la riche introduction de la partie sur les “chansons à danser” qui concerne essentiellement le “rondeau bazadais et landais” et le congo, ces deux danses étant liées.

• Les noms des plantes, des oiseaux sont généralement complétés chez Boisgontier-Marquette, ne serait-ce qu’avec le nom scientifique actualisé et, aussi, souvent avec d’autres détails entre crochets. L’exemple, ci-dessous, de la définition du mot tourd (grive), bien contrastée entre les deux textes, est éloquent à cet égard :

“Tourd - ou Tourt. Grive (turdus)”, extrait de Vigneau (1879, 318).
“Tourd – ou Tourt. Grive (turdus)”, extrait de Vigneau (1879, 318).
Extrait de Vigneau & Boisgontier-Marquette (1982, 337).
Extrait de Vigneau & Boisgontier-Marquette (1982, 337).

Nous rappelons que l’emploi des crochets apparaît ici pour signaler l’apport des éditeurs de même que pour de nombreux autres mots, en particulier ceux qui sont en lien avec des réalités ethnographiques24.

• On retiendra pour finir que, lorsqu’un mot possède plusieurs sens, ceux-ci sont réorganisés dans l’édition Boisgontier-Marquette par rapport à ce qu’il en est dans le manuscrit Vigneau afin de respecter une logique sémantique avec le sens normalement premier au début et les sens dérivés ensuite.

L’identification géolinguistique d’une expression linguistique bazadaise

La catégorisation linguistique et sociolinguistique du gascon bazadais

Vigneau catégorise le gascon comme langue dans le titre de son manuscrit, et cela correspond au sujet mis au concours par l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, à savoir “la langue gasconne parlée dans le département de la Gironde”. Cela n’était cependant pas complètement tranché. En effet, informé de l’histoire de l’occitan, après s’être référé dans sa préface à l’unicité de “cette langue romane qui fleurissait depuis la Méditerranée jusqu’aux bords de l’océan, cette langue dont se serviront les troubadours (…)”25, il revient au gascon et à ses usages médiévaux prestigieux : “Ce dialecte plus rapproché de la langue d’oc que de la langue d’oïl était employé dans les actes de l’autorité publique à Bordeaux, Bazas, et dans toute la région dont nous nous occupons”26. À l’appui de cela, à la fin de la deuxième partie de son manuscrit, le contenu du “Glossaire spécial des titres gascons contenus dans le Livre des Bouillons et le Registre de la Jurade, publiés par la Commission de publication des archives de Bordeaux” d’une quinzaine de pages (cf. supra, in “§ Les protagonistes du lexique du gascon bazadais”), démontre sa connaissance de la matière occitane au-delà de l’érudition locale, ce que l’on a également pu voir pour sa littérature des époques moderne et contemporaine. C’est muni de cette culture qu’il inscrit naturellement le parler bazadais – “le dialecte ou sous-dialecte gascon qui nous occupe d’une manière plus spéciale”27 – dans l’aire du gascon en se référant à une autorité de l’époque en la matière, Achille Luchaire (1848-1908), qui le définit à la fois comme une “forme très-originale de la langue d’oc”28 et comme une langue avec ses propres caractéristiques29. Cependant, ce dernier fait apparaître le bazadais de façon sous-jacente en composante du “dialecte girondin”, à l’intérieur du syntagme désignatif “s.d. [sous-dialecte] des Landes bordelaises et du Bazadais (Captieux, Belin, Audenge)”30. Or cela n’est a priori représentatif que d’une partie du Bazadais historique et de ce que B. Vigneau et, à sa suite, ses éditeurs, J. Boisgontier et J. B. Marquette, définirent comme étant l’aire du Bazadais linguistique, ce que nous examinerons pour notre part également sous ce rapport sur la base de faits linguistiques exposés plus avant.

 La variante bazadaise telle qu’elle est approchée par Vigneau est à la fois plus précise et différente sur le fond de celle de Luchaire qui, il est vrai, n’entre pas dans les détails. Vigneau la perçoit comme étant directement associée au gascon landais. De fait, rappelons-le, son propos est clair dès l’intitulé du manuscrit qu’il avait déposé à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux pour l’année 1879, à savoir Lexique de la langue gasconne, parlée dans le Bazadais et dans les communes landaises voisines, ce qui ne correspond pas exactement à l’intitulé de l’édition réalisée par Boisgontier et Marquette, Lexique du gascon parlé dans le Bazadais, prenant par là le parti de mettre en avant la partie bazadaise du lexique alors que le texte manuscrit d’origine avait fait l’inverse tout en donnant pour l’essentiel un contenu tant landais voisin que proprement bazadais. De façon contradictoire, eu égard aux deux désignants géographiques auxquels réfère son lexique, “Bazadais” et “communes landaises voisines”, alors qu’il met plusieurs fois en focus le premier (déjà dans le titre de son lexique et de sa carte) par rapport au deuxième qui, par contraste, se signale par une absence de centrage et un flou identificatoire, Vigneau laisse presque à voir par défaut une identité linguistique bazadaise tant il la subordonne au “gascon landais” limitrophe qu’il estime lui être supérieur :

Le landais a toute sa pureté dans presque toute l’étendue du cours du Ciron, et dans les communes voisines. Ainsi dans les communes du département des Landes, d’Arx, Lubbon, Estampon, Maillas, etc, sur la rive gauche du Ciron, le gascon est à bien peu de choses près le même que celui de Saint-Paul, Boussès, Durance, Houeillès, Fargues, Sauméjan, Pompogne, Pindères dans le département du Lot-et-Garonne, – et que celui de Lartigue, Saint-Michel, Goualade, Lerm, Bernos, Cudos, Pompéjac, etc, sur la rive droite du Ciron (Gironde). Un peu plus au sud d’Arx (canton de Gabarret), on trouve le gascon du Gabardan qui se rattache à l’Armagnac et au béarnais ; en se dirigeant vers Captieux et plus loin on a le pur landais des Grandes Landes, et vers l’embouchure du Ciron dans la Garonne on commence à parler girondin. À l’est, vers Casteljaloux, on trouve la transition entre le gascon de notre dialecte landais et le sous-dialecte de l’Agenais.

2° Le sous-dialecte bazadais n’est d’après nous qu’une altération du landais, et nous constatons qu’il tend complètement à disparaître par suite de ses emprunts fréquents aux pays voisins et principalement au français. Le vrai bazadais a une étendue très limitée qui ne comprend guère plus d’une quinzaine de communes au nord et au levant de Bazas, et faisant partie des cantons de Bazas, Auros et Grignols ; il pénètre un peu dans le Lot-et-Garonne vers Cocumont et Antagnac.

Le sous-dialecte bazadais, qui “tend complètement à disparaître par suite de ses emprunts aux pays voisins et principalement au français”31, trouve cependant là une identité relative quant à ses limites à l’intérieur de la partie nord-est du continuum landais lui-même suggéré à grands traits par A. Luchaire qui en détachait le dialecte girondin, composé de cinq sous-dialectes allant de l’Agenais aux “Landes bordelaises” et au Médoc32.

Le “gascon bazadais et des communes landaises voisines” cartographié par Vigneau

Bien qu’il subordonne qualitativement le gascon bazadais au gascon landais, Vigneau n’en place pas moins au début de son lexique, avant sa préface, une carte intitulée “Carte du Bazadais et des communes landaises voisines – comprenant le centre du pays où le gascon de ce lexique est en usage”33 reproduite ci-dessous, qui désigne en premier et en plus gros le Bazadais. La zone prise en considération est limitée au nord par le cours de Garonne. Les localités, en Gironde, de Landiras, Balizac, Saint-Léger et Bourideys, Préchac, Lucmau et Captieux en délimitent l’étendue à l’ouest sans ligne démarcative au-delà. Celles, dans les Landes, de Lugaut (village de la commune de Retjons), Losse, Lubbon et Arx la jalonnent au sud. Celles de Durance, Fargues (-sur-Ourbise), Casteljaloux, Argenton, Bouglon, et Samazan en sont les points limites à l’est. Nous reviendrons plus avant à cette carte au regard de notre approche des traits linguistiques de cette zone.

L’aire du gascon bazadais revisitée par Boisgontier et Marquette

Boisgontier et Marquette trouveront exagéré le constat radicalement (“complètement”) pessimiste de Vigneau sur la faible vitalité du gascon bazadais34 – et estimeront qu’il est “assez bien délimité”35 quoiqu’ils estiment qu’il “est assez hasardeux” de tenter d’établir une frontière entre les deux sous-variétés landaise et bazadaise: “il n’existe aucune tranchée, et le parler de chaque localité de ce secteur peut être considéré comme une transition entre les parlers en usage au nord et au sud du village envisagé”36. Au-delà de ce regard sur une absence de limites significatives entre deux aires, les mêmes proposent

(d’)élargir du côté du nord et de l’est la zone du dialecte bazadais en y incluant la plus grande partie des cantons de Bouglon et de Casteljaloux (voire même certaines communes des cantons du Mas-d’Agenais et de Damazan), ainsi que toute la vallée de la Garonne, depuis Feugarolles, en amont de Marmande, jusqu’à Cadillac. Car ce n’est guère que sur les coteaux du Nord-Réolais et des Benauges que le langage tend à se différencier du type bazadais normal37.

On reste ainsi dans un certain flou dû, aussi, à la situation géolinguistique du Bazadais, situé entre plusieurs aires, bordelaise, garonnaise, landaise et gasconne centre. Cette question d’un territoire du gascon bazadais a été interrogée encore récemment avec des arguments s’appuyant autant sur des traits linguistiques que sur des perceptions en termes d’aire culturelle et de communication traditionnelle, cela aboutissant à décrire des ensembles communaux principalement dans le département de la Gironde et le débordant notamment dans celui du Lot-et-Garonne, ou à présenter la liste de communes sélectionnées à cet effet.

Carte du Bazadais et des communes landaises voisines (Vigneau 1879, 3).
Carte du Bazadais et des communes landaises voisines (Vigneau 1879, 3).

Autres essais de délimitation du gascon bazadais

Patrick Lavaud, dans son inédite Approche linguistique de l’occitan bazadais38, liste tout d’abord une dizaine de caractéristiques de phonétique diachronique à partir du latin qui rappellent son inscription dans l’espace dialectal gascon, puis, en venant au dictionnaire de B. Vigneau, estime que ce dernier assigne au parler bazadais – ce que nous verrons en détail également – une aire imprécise qui présente néanmoins “le mérite d’indiquer de nouvelles directions et d’étendre la zone linguistique bazadaise, vers l’est, jusqu’à la partie occidentale du Lot-et-Garonne”39. Il en vient alors, en s’appuyant sur la notion de complexus dialectal telle que définie par Bec40, à soumettre une zone principalement sise dans le département de la Gironde et mordant sur ceux du Lot-et-Garonne et des Landes avec comme limites :

– Au nord et à l’est, la Garonne (avec peut-être les communes de Jusix et de Sainte-Bazeilles sur la rive droite).

– À l’ouest, les communes de Preignac, Pujols-sur-Ciron, Illats, Landiras, Origne, Louchats et Saint-Symphorien.

– Au sud et à l’est, les communes de Saint-Symphorien, Bourideys, Cazalis, Lucmau, Captieux, Maillas, Allons, Houeilles, Boussès, Durance, Ambrus et Thouars-sur-Garonne.

Ces points limites, sur lesquels nous reviendrons, sont déterminés par des traits linguistiques choisis41, dont nous retiendrons ici ceux qui relèvent des isoglosses du maintien de –N– intervocalique dans l’article indéfini féminin una (une) alors qu’il s’amuït dans les autres cas, de la troisième personne du prétérit des verbes du 3e groupe en –er qui place l’aire bazadaise avec -ot [ut], entre –ut [yt] au nord et à l’ouest et –oc [uk] à l’est, et de l’aboutissement huc [hyk] (feu), à partir de FŎCU, à côté de huec ([hwΕk], [hΕk]/[hΕt]) au sud et à l’est.

Plus sommairement, le document sur les Conjugaisons en gascon bazadais, de Balloux et Laporte (2017) donne une liste par ordre alphabétique des communes42, dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne, qui intègrent ce territoire. Notons que ce périmètre s’étend, à l’est, en Lot-et-Garonne, jusqu’au sud de Marmande, à Caumont-sur-Garonne inclus, et à Fargues-sur-Ourbise inclus, au sud-est de Casteljaloux. On notera par ailleurs, que des communes de la Gironde, proches de cet ensemble mais qui participent de l’aire du gascon dit “noir” (cf. supra, in “§ À l’intersection d’aires linguistiques du nord et du sud du domaine gascon”), n’ont pas été retenues. De fait, dans un document plus récent publié en 2022 sur Internet et renvoyant aux Conjugaisons en gascon bazadais, ils relèvent le côté transitionnel de cette espace difficile à délimiter clairement. Cette situation intermédiaire, claire au nord et au sud, en gros entre le cours de la Garonne et le département des Landes, est ainsi soulignée eu égard à ce qu’elle représente par rapport aux zones de contact occidentale et orientale au sein de ce complexus du gascon septentrional43.

Secondairement, on pourra rappeler la distinction faite en son temps par l’Abbé Caudéran dans son ouvrage sur le Dialecte bordelais, paru en 1861, parmi les “idiomes de la Gironde”44, qui, hormis ceux de “langue d’oïl” (“Blayais”, “Gavache” et “Marotin”45), sont des composantes, selon la terminologie qu’il emploie, du “dialecte gascon” de la “langue d’oc”, soit le “dialecte secondaire Médoquin” et le “dialecte secondaire Bazadais”. Il regroupe dans le premier les “idiomes : 1° Bas-Médoquin (Lesparre), 2° Haut Médoquin (Castelnau), 3° Bordelais, 4° Testerin (La Teste)”. Dans le second se trouvent les “idiomes : 5° Riverain (Langon, La Réole), 6° Landais (Bazas)”46. De fait, dans les chapitres qui suivent, notamment pour les verbes47, il applique, sans plus d’explications, une répartition plus enveloppante entre idiomes bordelais, médoquin, et bazadais.

Nouvelle proposition aréologique pour le gascon bazadais

Considérations générales

Un dialecte se définit techniquement par le constat d’un bourrelet d’isoglosses qui le circonscrit géographiquement d’une manière suffisamment claire. L’existence d’une seule isoglosse, dont on retiendra le caractère discriminant, peut aussi être mise en avant pour argumenter l’aire d’un dialecte. L’ensemble qui rassemble les trois dialectes de la partie septentrionale de l’occitan a été nommé nord-occitan par Pierre Bec qui l’a mis en évidence sur la base commune de l’isoglosse de palatalisation de CA et de GA latins ayant abouti à cha ([tʃ] [ts] [s] principalement) et ja [dʒ] [dz] [ʒ] majoritairement])48. Or, l’évidence de l’aire d’un dialecte résulte certes de la réalité de ces lignes isoglossiques mais aussi de l’intentionnalité du dialectologue qui en commente la pertinence dans la logique de sa démonstration. Ces délinéaments peuvent par ailleurs apparaître comme des évidences dans cette fonction identificatoire. Ils peuvent aussi accompagner ou être utilisés pour conforter des limites construites par l’histoire et des paramètres culturels propres à alimenter l’existence d’identités collectives. Enfin, certains d’entre eux peuvent être mis en exergue pour étayer l’émergence d’une réalité qui, dans son fondement, aura d’abord pu être de type sociolinguistique.

À l’échelon infra-dialectal, la détermination d’un sous-dialecte ou, encore en aval, de tel parler obéira – à ce niveau-là d’implication – à des considérations tout aussi nuancées ou délicates à appréhender. Il en va ainsi pour déterminer l’aire de ce que nous nommons avec d’autres le bazadais en tant qu’expression linguistique d’oc au sein de sa composante dialectale gasconne. Si, sous ce rapport, on compare avec ce qu’il en est des aires géolinguistiques du béarnais, du médoquin et de l’aranais, pour prendre volontairement ces trois entités constitutives, parmi d’autres, du gascon, dont l’évidence est chose admise au moins en termes de représentation, on verra que la première est surdéterminée par des paramètres d’ordre sociolinguistique provenant notamment d’une histoire propre, et que ses traits linguistiques particuliers relèvent largement à son échelle d’une construction de type normatif avec ses strates anciennes et récentes. La deuxième tient ses limites de la géographie – une presqu’île – et d’une assez grande homogénéité de ses traits linguistiques si ce n’est, sur le plan phonétique, une isoglosse interne remarquable délimitant l’aire d’affrication alvéolaire de la pointe nord du Médoc avec [dz] et [ts] contre [ʒ], [j] et [tj] au sud49 en continuité du reste du domaine gascon. Quant à l’occitan aranais, dans la Communauté autonome de Catalogne en Espagne, représentant l’occitan coofficiel dans le Val d’Aran, au-delà, dans la communauté autonome de Catalogne depuis 2006-2010, à côté du castillan et du catalan, il est, lui aussi, doublement délimité géographiquement en tant que vallée pyrénéenne entourée de montagnes à l’ouest, au sud et à l’est et fermé au nord depuis des siècles par la frontière franco-espagnole, tout cela étant propre à générer quelques effets de particularisation linguistique.

Le cas du gascon bazadais

En comparaison, Le postulat d’un Bazadais linguistique ne trouve pas à s’appuyer sur ce type de paramètres géographiques, sauf peut-être – à vérifier – pour le tracé de la Garonne à son nord. Autrement, peuvent être évoqués avec réserve des paramètres d’ordre historico-culturels dont nous pouvons évoquer les limites approchées de l’ancien pagus des Vasates, et, à sa suite, celles du diocèse et de la sénéchaussée de Bazas qui, au départ, auraient hérité de cette antique implantation. À notre sens, il résulte de ces différentes tentatives d’approche d’une aire linguistique identifiée comme étant bazadaise, faute d’éléments décisifs, l’appréhension tant endogène qu’exogène d’une identité déterminée par l’histoire depuis l’antique pays aquitain des Vasates et l’ancien diocèse de Bazas50 qui s’implanta sur des soubassements conférant à cette agglomération et à son nom un rôle de référence identificatoire pour une contrée environnante quoi qu’il en soit nettement plus vaste que celle qui nous occupe ici. Des enquêtes encore possibles auprès de locuteurs âgés permettraient de confronter des données de terrain relatives à ces perceptions à des relevés proprement linguistiques. Partant de ce supposé d’une réalité sociolinguistique relevant entre autres de processus de dialectologie perceptive applicable, comme en d’autres endroits, au cas présent du parler bazadais, et en tirant profit des approches évoquées plus haut, ne serait-ce aussi parce que, de fait, elles ont été prudentes, nous allons indiquer en suivant notre propre point de vue quant à une hypothèse d’aire linguistique bazadaise au sein du gascon. Partant de ces premières approches, selon une démarche heuristique, nous établirons une première liste de localités servant de repères ou de points d’ancrage géographiques en vue de faire cette proposition pour un régiolecte bazadais. Dans un premier temps, nous nous appuierons sur des données fournies par l’Atlas linguistiques et ethnographiques de la Gascogne (désormais aussi, ALG) (ALG 1954-1973) et, dans un deuxième temps, sur l’enquête Bourciez de 1895.

On indiquera préalablement que la zone dans laquelle le Bazadais prend place, tout au moins si, à ce stade de notre quête de ses limites, on lui assigne au nord la Garonne comme frontière, en position médiane au sein d’un gradient de gasconité tel que proposé avec la carte n° 2531 de l’Atlas linguistiques et ethnographique de la Gascogne coordonné par Jean Séguy51. En l’occurrence, bien que ceci ne puisse être qu’indicatif de spécificités (les “endémismes”) qui ont été approchées à partir de la phonétique diachronique, de la morphosyntaxe et de la morphologie verbale52, on perçoit déjà, à ce stade, que le Bazadais participe à la fois du gascon bordelais et garonnais tout en étant davantage en contact avec la partie centrale et méridionale, plus spécifique, du gascon que celle qui comprend le Médoc ou, encore plus, l’Entre-deux-Mers, pour s’en tenir à des portions voisines du sous-ensemble qui correspond en gros au “triangle médocain” tel que décrit par P. Bec53.

Les données de l’ALG

En ce qui concerne l’Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne, nous partirons d’une première liste heuristique, en lien avec les approches déjà évoquées, de points d’enquête centrée autour de Bazas et pouvant aussi déborder relativement cette contrée, pour soutenir notre hypothèse d’aire bazadaise, pour laquelle, d’ailleurs, tous ne seront pas forcément retenus au terme de cette approche :

Département de la Gironde (33) :

1 – point 645 : St-Côme, Gironde, canton de Bazas,

2 – point 645S : Captieux, Gironde, canton de Captieux,

3 – point 645NO : Pujols-sur-Ciron, Gironde, canton de Podensac,

4 – point 645NE : Blaignac, Gironde, canton de La Réole,

5 – point 664N : Saint-Symphorien, Gironde, canton de Saint-Symphorien ;

Département du Lot-et-Garonne (47) :

6 – point 647NO : La Bastide-Castel-Amouroux, canton de Bouglon,

7 – point 656 : Houeillès, canton de Houeillès.

C’est à partir de ces points qui correspondent au maillage assez lâche de l’ALG que nous mettrons en avant, dans un premier temps, une liste de traits linguistiques, relevant principalement de la phonétique diachronique, censés contribuer à caractériser le Bazadais linguistique. Notre point de vue sera aussi celui de considérer ce dernier en tant qu’identité moyenne à ce niveau de variante intradialectale, entre un positionnement de transition au sein d’un complexus allant du centre au nord du domaine gascon et celui dont l’originalité proviendrait d’un assemblage particulier de traits, les uns le reliant au “triangle médocain” selon Bec, les autres aux variétés centrales et orientales du gascon54. Par rapport à la liste de localités retenues par Balloux et Laporte (cf. supra, in “§ Autres essais de délimitation du gascon bazadais”) comme assise territoriale pour les conjugaisons en Bazadais, on relève juste à ce stade que, parmi les points de l’ALG indiqués ci-dessus, Pujols-sur-Ciron (33) et Labastide-Castel-Amouroux (47) ne s’y retrouvent pas. Parmi les points communaux de la bordure intérieure cités par P. Lavaud (cf. supra, in “§ Autres essais de délimitation du gascon bazadais”), on retrouve ceux de Captieux, Pujols-sur-Ciron et Saint-Symphorien.

Au vu de ces dernières approches qui mentionnent nombre de noms de commune, afin de profiter d’une granularité plus grande nous confronterons alors ces traits constitutifs d’aires linguistiques auxquelles participe la zone bazadaise, en provenance du premier choix effectué à partir des éclairages de l’ALG, aux données fournies, sur la base d’un maillage territorial plus dense (commune par commune), par le Recueil des idiomes de la région gasconne d’E. Bourciez (1895)55. Nous en retirerons, sur la base, cette fois, d’un plus grand nombre de points d’observation, des indications plus exhaustives quant aux traits susceptibles d’entrer dans un assemblage propre à la variété bazadaise. Enfin, à l’examen de ces deux séries de données, nous reviendrons sur les premières, de l’ALG, qui ont donné matière à l’hypothèse de départ, pour notre propre proposition d’aire, avant d’aborder à la lumière de ces divers éclairages, les données du lexique manuscrit de Vigneau et de son édition par Boisgontier et Marquette.

On s’attachera tout d’abord, comme préalable, à évoquer le contexte de la vitalité du gascon à l’époque de la confection dudit lexique ne serait-ce que dans le but de s’assurer de la validité de ses données. Comme nous l’avons vu, Vigneau estime tout simplement que le “sous-dialecte bazadais (…) tend complètement à disparaître” au moment où il écrit. Cependant, une quinzaine d’années plus tard, le recueil Bourciez de 1895 avait montré que le gascon était très présent partout sur son aire de transmission traditionnelle, jusqu’en domaine urbain, à Bordeaux-même dans les couches populaires. Il en allait alors de même de l’occitan plus généralement mais aussi des autres langues qualifiées de “régionales” ou “de France” de nos jours à travers leurs variétés dialectales et locales, cela valant aussi pour ces dernières dans les aires d’oïl et franco-provençale, quoiqu’avec des locuteurs de plus en plus bilingues ou, pour certains – de plus en plus minoritaires – encore monolingues. Soixante-dix ans plus tard, entre 1946 et 1952, les premières enquêtes de terrain menées en vue de la réalisation de l’ALG montrèrent que la vitalité de l’occitan en Bazadais, comme dans le reste de la Gascogne linguistique, était encore bien préservée avec, toutefois, un recul marqué dans les lieux les plus urbanisés ou ouverts vers l’extérieur. Les enquêtés avaient pour la majorité d’entre eux plus de 50 ans, et, dans la région qui nous occupe, plus de 70 ans. Par ailleurs, le choix de ces tranches d’âge, globalement au-delà de 50 ans, était néanmoins déjà justifié par le souci de rencontrer de bonnes compétences linguistiques. Cela est brièvement documenté au début du tome I de l’ALG au sein de la présentation des points d’enquête. Nous en extrayons ci-dessous les renseignements faisant part des usages linguistiques dans les points d’enquête de notre liste de travail :

• à Saint-Côme (33), point 645 de l’ALG, deux femmes de 73 et 68 ans, en mars 1948 : “Tout le village parle gascon, et certains enfants ne commencent à apprendre le français qu’à l’école” ;

• à Captieux (33), point 645S de l’ALG, un homme et une femme tous deux de 67 ans, en avril 1947 : “Un quart du bourg parle gascon ; la population rurale presque entièrement gasconisante” ;

• à Blaignac (33), point 645NE de l’ALG, une femme de 74 ans et un homme de 54 ans, en avril 1948 : “Tout le village parle gascon, sauf les enfants de l’école” ;

• Saint-Symphorien (33), point 664 N de l’ALG, une homme et une femme tous deux de 74 ans, en août 1947 : “1 déclare qu’il y a 60 ans, on n’entendait que é tonique ; il a assisté à l’évolution nεjt/ nœjt/nyjt56 [nuit] Il y a moins d’un siècle, 50 familles sont venues de Sore (14 km SO). Un tiers du bourg ne parle plus gascon ; campagne encore gasconisante pour 75 % environ” ;

• Pujols-sur-Ciron (33), point 645NO de l’ALG, un homme de 56 ans, sa femme et sa fille, en avril 1947 : “Vitalité du dialecte très forte” ;

• Labastide-Castel-Amouroux (47), point 647 NO de l’ALG : pas de renseignements significatifs ;

• Houeillès (47), point 656 de l’ALG, un homme de 71 ans et une femme de 72 ans, en septembre 1947 : “un tiers du bourg ne parle plus gascon ; campagne encore gasconisante pour 75 % environ”.

À titre de comparaison, et afin de confirmer que notre aire d’étude présentait un profil dans la moyenne quand à la vitalité de l’occitan, parmi les autres points d’enquête géographiquement proches, au nord et au sud, et où des informations d’ordre démolinguistique sont données sur l’état de la langue locale, par exemple au point n° 653N, à Saucats, en Gironde, non loin de Bordeaux, en juin 1948, la mention “Vitalité du dialecte encore assez forte” est portée. Plus loin, au point 656SO, à Lubbon, dans les Landes, les détails suivants, non datés mais de la même période, laissent également rêveur sur le potentiel d’alors de consolidation et de promotion de la langue, même si le lieu d’enquête en l’occurrence se situe dans un “petit village perdu dans les bois” : “Les quatre générations interrogées simultanément offrent des divergences dont les sujets se rendaient compte : chacun respectait les variantes des autres, mais sans les employer. Petit village perdu dans les bois, entièrement gasconisant”.

Cette première liste renvoie à une série de cartes de l’ALG qui constituera la base de référence des traits linguistiques caractérisant la variante bazadaise de l’occitan gascon. Cet ensemble de traits sera donc précisé ensuite en lien avec tout l’ensemble des points communaux concernés grâce au maillage exhaustif à cet égard offert par l’enquête Bourciez. Les traits que nous retenons déterminent des aires qui, en se superposant, laisseront apparaître une combinaison de nature à discerner le Bazadais linguistique. Cette combinaison fait en gros apparaître certaines discontinuités par rapport à des aires situées à son nord comme à d’autres situées à son sud. Elle va ainsi se borner à son nord avec des limites d’aires provenant du sud du domaine gascon et à son sud + sud-est d’autres aires provenant du nord de celui-ci. Pour l’essentiel, ces aires sont principalement constituées de faits résultant de l’évolution phonétique et d’autres relevant de la morphologie verbale. Parmi les nombreuses cartes de l’ALG susceptibles d’être les plus illustratives pour cela, nous avons choisi un nombre limité de celles qui nous ont paru être les plus évidentes par rapport aux principales caractéristiques internes du gascon généralement avancées pour le distinguer du reste de l’occitan en plus de celles qui sont présentes de façon quasi totale sur tout son territoire (ainsi de F > h, MB > m, –LL– > -r- au f. et –th au m.).

À l’intersection d’aires linguistiques du nord ou du sud du domaine gascon

Tout d’abord, nous retenons deux aires concordantes de réduction de la diphtongue ue [we] à u [y]. La première correspond à celle de la diphtongaison de ŏ bref latin conditionnée par yod et aboutissant à [we], réduit à [έ] en Nord-Médoc, et à [y] dans le reste du Bordelais et du Bazadais, en ajoutant le nord des Landes et une frange sud-ouest du Lot-et-Garonne. Ainsi, FŏLIA (feuille) a donné huelha ([,hwέλə] pour l’essentiel de l’aire, en gros au sud du gascon et à la pointe nord du Médoc [,hέλu] et, donc, hulha dans le reste de la partie nord57. Cela est renseigné par la carte n° 94 du tome I de l’ALG qui note néanmoins une exception pour huelha prononcé [,hwέλə] au point 645NO de Pujols-sur-Ciron. La deuxième aire est celle qui intègre le même aboutissement pour ŏ bref latin de FŏCU (feu) dont les produits se répartissent de façon quasi identique à ceux de FŏLIA58. Pour ces deux aires, le produit [y] à partir deŏ dans les conditions susmentionnées se retrouve dans la première liste de points d’enquête de l’ALG indiquée plus haut.

Après ces deux aires concordantes, l’aire lexicale du verbe impersonnel “falloir” (carte n° 1570 de l’ALG, tome IV), très commun, leur est pratiquement superposable avec faler ([fa,le]/[fa,lə]) occupant cette partie nord du gascon qui comprend le Bazadais par rapport à caler ([ka,le]/[ka,lə]) dans le reste du domaine.

On ajoutera l’aire de l’article indéfini féminin UNA (une) (carte n° 2491 de l’ALG, tome VI), remarquée par P. Lavaud, qui se maintient avec –n- intervocalique dans une zone équivalente à celle de huc et de hulha. Or, la partie sud-ouest de cette aire englobe en effet le Bazadais linguistique tel que nous tentons d’en cerner des traits identificatoires. En effet, elle se superpose sur cette partie à la grande aire couvrant le grand sud gascon de l’amuïssement caractéristique de –N- intervocalique de la Gascogne linguistique. On illustrera ce trait de phonétique historique avec les cartes n° 1010 (tome III) pour “lune” et la carte cumulative n° 2126 (tome VI) de ce phénomène. Le mot “lune” apparaît ainsi avec ses deux grandes sous-aires luna, et lua majoritaire, cette dernière remontant jusqu’au nord du Bazadais à Pujols-sur-Ciron. Le produit una constitue à cet égard une exception dans l’espace couvrant l’aire linguistique bazadaise et se prolongeant aussi en continu depuis le nord jusque dans la frange nord-ouest des Landes59 en une combinaison faisant ainsi apparaître une aire intersécante originale et illustrative du Bazadais, au croisement de la chute de –n– et de una.

On inclura enfin l’aire de la préposition per (pour) qui couvre le Bordelais et la partie occidentale des Landes, par rapport à ende au sud (cf. carte n° 2424, tome VI), sauf pour le point n° 656 de Houeillès dans le Lot-et-Garonne, placé dans cette dernière aire.

Par rapport à cet ensemble septentrional incluant la partie bazadaise, nous avons retenu les faits de langue ci-avant présentés qui relèvent pour l’essentiel aussi, à part “falloir”, de la phonétique historique. Précisément, en dehors de ce maintien de la forme classique UNA, peut-être aussi sous l’influence des aires voisines du triangle médoquin élargi et de la vallée de la Garonne en amont d’Aiguillon, ou du français dominant qui l’a également gardé, la zone balisée par les points de l’ALG s’inscrit donc dans l’aire linguistique de l’amuïssement de –N– intervocalique et, en même temps, dans plusieurs autres qui, ensemble, sont constitutives, avec, quelques-unes, supplémentaires, moins nombreuses, de ce qui particularise le gascon, soit globalement, soit pour son sous-ensemble central et méridional.

On pourra également illustrer cette aire de l’amuïssement de –N– intervocalique à l’aide de la carte n° 993 de l’ALG (tome III) pour le mot “voisine”, ayant abouti à vesina dans le triangle médoquin au nord et jusqu’à la bordure gauche de la Garonne en Gironde, et à vesía ailleurs. Pour d’autres aires caractéristiques du gascon remontant du sud, qui auront également ici pour fonction d’argumenter notre hypothèse d’un régiolecte bazadais, nous sélectionnerons quatre autres aires de phonétique diachronique.

La première, emblématique du gascon, est celle de R– initial avec a prosthétique avec les cartes n° 1346 (tome IV) pour le mot “rien” avec ren/arren, et n° 996 (tome III) pour le mot “ruisseau” avec riu/arriu, ainsi que la carte cumulative n° 2129 (tome VI) pour mieux distinguer cette isoglosse.

La deuxième sera celle du résultat de l’évolution à partir de C intervocalique + E, I qui a donné [d] intervocalique à l’ouest et au nord60 de notre hypothèse de régiolecte bazadais, et [z] (<-s->) ailleurs et par conséquent l’englobant. Les cartes cumulatives n° 2102 et 2015 (tome VI) montrent par où passe cette isoglosse, ainsi que, à l’aide de deux exemples concrets, par exemple la carte 17 (tome I) pour le mot “oiseau”, avec, à partir de AVICĔLLU, en gros dans le triangle médoquin, audèth signant cette désibilation occlusive, et ausèth /auchèth ailleurs, et la carte 884 (tome III) pour le mot “suer” avec, à partir de SŪDARE, sudar (façade ouest et Pyrénées) / susar (centre et est).

La troisième aire remontant du sud est celle de la réduction à [n] par assimilation progressive de ND. Elle a pour corollaire celle de MB passant à [m], les deux se retrouvant également en catalan. Toutefois, alors que la réduction MB > m concerne la totalité de l’aire du gascon, celle de ND > n ne touche ni le nord de la région de Bazas, en gros le Médoc et l’Entre-Deux-Mers, ni la bordure gauche du cours de la Garonne jusqu’à la hauteur de Toulouse. On retiendra pour ce cas la carte cumulative de ces deux phénomènes n° 2137 (tome VI) et celle (n° 2136) se rapportant uniquement à l’évolution ND > n, ainsi que la carte n° 128 (tome I) pour le mot “fendre” avec, à partir de FINDĔRE, héner pour les trois-quarts sud du gascon, Bazadais inclus, et hénder ailleurs.

Nous prendrons comme quatrième aire méridionale englobant le Bazadais celle de la morphologie verbale des verbes du troisième groupe en -er du type par exemple voler [bu’le] (vouloir) au prétérit, avec ou sans l’infixe –r-. Assez nettement, l’isoglosse va suivre la limite sud du département de la Gironde en exceptant justement le Bazadais linguistique tel que nous le présumons. La carte n° 2392 bis (tome VI) montre cette partition avec les désinences du type 1 –uri, -ures, -ut, -úrem, -úretz, -uren, en Bordelais, contournant par le nord l’aire bazadaise, et du type 2 –oi, -ós/-ores, -ot, -om/órem, -otz/óretz, -ón/oren, dans tout le sud restant, les formes de ce type 2 mais avec –r– se répartissant surtout en Gironde dont au sud de Bazas, dans le nord des Landes et dans une partie sud-est du gascon (cf. carte n° 1723, tome V).

Il reste à prendre en considération l’aire phonétique dite du gascon “noir”61, étudiée par Philippe Lartigue62, caractérisée par un phénomène ancien de labialisation de E tonique du latin tardif majoritairement en [œ]63 qui occupe une grande partie occidentale du département des Landes plus quelques communes du sud de la Gironde et du nord-ouest des Pyrénées-Atlantiques, et vient butter contre le flanc sud-ouest de notre zone d’étude. Le reste du domaine gascon est “clair” comme le reste de l’occitan avec une réalisation [e] de E tonique latin. Nous renvoyons à la carte cumulative 2158 de [œ] tonique (tome VI) et à celle du mot “sec” n° 936 (tome III) de l’ALG pour illustrer ce fait de langue. Quoique P. Lartigue ait inclus dans le gascon “noir” une petite composante bazadaise64, on postulera, comme Lavaud, Balloux et Laporte (cf. supra, in “§ Autres essais de délimitation du gascon bazadais”), que le supposé régiolecte bazadais n’empièterait pas sur cette aire particulière. Nous avons néanmoins inclus le point 664N de Saint-Symphorien sur l’ALG dans notre liste de départ car il pose un problème intéressant pour une raison d’historicité présentée et discutée plus avant.

De fait, d’autres exemples de phonétique diachronique contrastée plaçant un sous-ensemble bazadais en zone septentrionale, à la limite de la grande partie sud du gascon, pourraient en plus être retenus valablement. On mentionnera ainsi, comme exemples complémentaires de remontée d’aires du sud englobant le gascon bazadais, sans entrer dans trop de détails, l’aire de l’absence du partitif largement majoritaire à l’échelle du gascon (cartes n° 2483 et 2484, tome VI), celle de la particule énonciative que (carte n° 2390, tome VI) qui n’apparaît cependant que par intermittence en zone bazadaise, celle, enfin, du produit de WA initial (cf. par exemple germ. *WARDAN > gua/ga, avec comme exemple guardar/gardar [gwar,da]/[gar,da] : garder), à voir sur les cartes n° 2148 (tome VI) et n° 389, “elle garde sa vache” (tome II), la zone sud intégrant en gros le gascon bazadais dans l’aire de gua [gwa]. Et celle-ci se recoupe à peu près avec celle de la réalisation [kwã] de quan (quand) qui remonte aussi du sud, laissant [kã] au nord et sur la partie orientale du triangle gascon qui remonte aussi du sud (cf. cartes n° 1539 et 1540, tome IV).

En résumé, et sans envisager de les hiérarchiser à ce stade, les faits de langue devenus critères dans notre approche du gascon bazadais sont les suivants à partir des données de l’ALG :

• pour les aires linguistiques descendant du nord du triangle gascon :

1. aire de la réduction de la diphtongue ue à u, type FŏLIA > hulha au nord contre huelha ailleurs (cf. carte n° 94, tome I) ;

2. aire de la réduction de la diphtongue ue à u, type FŏCU > huc au nord contre huec ailleurs (cf. carte n° 918, tome III) ;

3. aire lexicale de faler (falloir) par rapport à caler ailleurs (cf. carte n° 1570, tome IV),

4. aire de l’article indéfini féminin una (une) avec maintien de -n– intervocalique uniquement dans ce cas en Bazadais + zone à l’ouest au sein de la grande aire d’amuïssement général de –n– intervocalique qui se prolonge par ailleurs jusqu’aux Pyrénées (cf. carte n° 2491, tome IV) ;

5. aire de la préposition per (pour) recouvrant le Bordelais, le versant occidental des Landes et le Bazadais par rapport à ende au sud prenant aussi Houeillès (47) (cf. carte n° 2424, tome VI).

• Pour les aires qui remontent du sud :

6. aire d’amuïssement généralisé de –N– intervocalique (cf. carte n° 2126 cumulative, tome VI ; et n° 1010, tome III) ;

7. aire de a prosthétique devant r– initial, type arren (rien) (cf. carte n° 1346, tome IV) ;

8.aire du traitement de C intervocalique + E, I inscrivant le bazadais dans l’aire de -s- [z] (cf. cartes cumulatives n° 2015 et 2102, tome VI ; et carte n° 17, tome I) ;

9. aire de la réduction de ND à n, type FINDĔRE > hénder / héner (fendre) (cf. cartes cumulatives n° 2135 et 2136, tome VI ; et carte n° 128, tome I) ;

10. aire du prétérit 3e groupe avec désinence en o [u] contre u [y] au nord (Pujols-sur-Ciron) (c. carte n° 2392 bis, tome VI).

• Avec, en supplément mais de façon secondaire dans notre approche :

11. aire de l’absence du partitif de + article défini, qui remonte du sud (cf. cartes n° 2483 et 2484, tome VI) ;

12. aire de transition de que énonciatif, sporadique en Bazadais (cf. carte n° 2390, tome VI) ;

13. aire du traitement de *WA- > gua– [gwa], au lieu de ga en gascon bordelais et ailleurs en occitan) (cf. carte n° 2148, tome VI), et de QUA- (quando) > qua- [kwã], au lieu de qua– [kã] (quan/quand) (cf. cartes n° 1539 et 1540, tome IV).

Au résultat, par rapport à notre première liste de points d’enquête de l’ALG, nous écartons Pujols-sur-Ciron (645NO) qui participe de l’aire nord du prétérit des verbes du troisième groupe (type voler : vouloir) avec le paradigme en –uri, -ures, -ut, etc. On remarque que les points d’enquête de Saint-Côme et Blaignac, tous deux en Gironde, ainsi que celui de Labastide-Castel-Amouroux, en Lot-et-Garonne, ne sont pas dans l’aire d’amuïssement de ND > n, en se fondant seulement sur l’exemple de entendut/entenut (entendu) (carte n° 2137, tome VI). Pourtant, la carte dédiée au mot “fendre” inclut ces trois points dans cette aire d’amuïssement, information qui engage à une dose de relativisme dont on devra tenir compte car on retrouvera ailleurs des lignes isoglossiques qui ne délimiteront pas toujours des faits de langue homogènes. À cet égard, la carte cumulative de a prosthétique devant R- initial (carte n° 2129, tome VI) exclut le point de Labastide-Castel-Amouroux. Il en va de même pour le mot “rien” (carte n° 1346, tome IV), en partant de < RE(M), avec arren sur l’ensemble des points de notre liste initiale et ren sur celui de Labastide-Castel-Amoureux. Quant à la carte n° 320 (tome II) du mot “raisin”, en partant de RACIMU, par rapport à la même liste, le point de Houeillès s’ajoute à celui de Labastide-Castel-Amouroux, tous deux en Lot-et-Garonne, pour donner resim sans a prosthétique contre arresim ailleurs.

Le bazadais par rapport au gascon “noir”

Le point d’enquête ALG de Saint-Symphorien présente un cas particulier dans la mesure où il fait partie de l’aire du gascon “noir” évoquée plus haut. En lien avec ce fait, l’explication fournie par les enquêteurs de l’Atlas en 1947, au tout début de sa mise en œuvre (tome 1, cf. supra), doit être prise en compte. Elle signale que le passage de Saint-Symphorien (33) du gascon “clair” au gascon “noir” se serait effectuée à la fin du XIXe siècle à la faveur de l’installation dans ce bourg de “50 familles venues de Sore” (cf. supra, in “§ Les données de l’ALG”), commune située à une quinzaine de kilomètres au sud en zone “noire”65. Cela est confirmé par Théobald Lalanne en 1949 dans son étude sur L’indépendance des aires linguistiques en Gascogne maritime66. Mais avant de revenir sur cela et de statuer en lien avec notre objectif de proposer une aire théorique de référence, il convient de revenir concrètement, avec cet exemple de Saint-Symphorien, à la question déjà soulevée de la relativité des limites linguistiques, depuis longtemps débattue en ce qui concerne les dialectes géographiques entre eux, et également complexe en ce qui concerne une variante à l’intérieur d’un dialecte. En l’espèce, pour ce seul cas de figure, doit-on retenir, comme étant reliée l’ensemble que l’on s’emploie à caractériser, telle portion de territoire sous prétexte qu’elle en a fait autrefois partie à une date repérée et transmise par la mémoire de locuteurs qui en ont porté témoignage, en l’occurrence ici au seuil de la deuxième moitié du XXe siècle ? Dans un premier temps, il sera alors utile de consulter la traduction de la “Parabole de l’Enfant prodigue” de l’enquête Bourciez de 1895 dans cette commune67. Précisément, comme, du reste, les communes voisines de Bourideys, Origne et Louchats, Saint-Symphorien y apparaît dans l’aire “claire”. Curieusement, cependant, dans cette même enquête, la commune la plus proche, à son nord, Saint-Léger-de-Balson, se situe dans l’aire “noire”. Rappelons enfin que les enquêtes réalisées par P. Lartigue au début des années 2000, placèrent les points d’enquête de Louchats, Saint-Symphorien, Saint-Léger-de-Balson, Bourideys et Le Tuzan dans une zone du bazadais “noir”. Nous écartons pour autant Le Tuzan de notre aire bazadaise présumée dans la mesure où, dès l’enquête Bourciez de 1895, cette localité s’inscrit complètement dans le gascon “noir” et, en outre, dans l’aire linguistique du traitement “bordelais” de C intervocalique + E, I en -d- [d], à la différence de Louchats, Saint-Léger-de-Balson et Bourideys. Une enquête à Saint-Léger-de-Balson devrait être menée afin de déterminer si, comme à Saint-Symphorien, son inscription en 1895 dans l’aire “noire” est attribuable ou non à une immigration conséquente en provenance des Landes voisines. Quoi qu’il en soit, on tiendra compte de ces évolutions constatées depuis le XIXe siècle et des attestations a priori précises et fiables de l’enquête Bourciez de 1895 pour identifier ces derniers points, mis à part Le Tuzan donc, comme constitutifs d’une frange intermédiaire, historique en quelque sorte, du Bazadais linguistique, celle qui correspondrait à ce que P. Lartigue nomme le “bazadais noir”68.

Les données de l’enquête Bourciez de 1895

On en vient ainsi, à travers l’examen du cas de Saint-Symphorien, à l’enquête Bourciez déjà convoquée à plusieurs reprises69, limitée à la traduction d’un texte type mais dont le maillage commune par commune est susceptible pour certains faits de langue d’apporter des éclairages précis de nature à compléter ou préciser les données de l’ALG. Et, parfois, à fournir des indications sur des évolutions linguistiques récentes, entre la fin du XIXe siècle et le milieu du suivant. Après avoir examiné les versions de notre aire bazadaise présumée et celles de son pourtour, nous en sommes arrivé à apporter correctifs et précisions exposées ci-après.

Ainsi, pour le passage de ND à –n-, on prendra pour repère le mot “landes”, réalisé dans la “Parabole” par “lanas” ou, minoritairement, “landas” en Bordelais et en gascon garonnais. De fait, la “Parabole” Bourciez témoigne là de l’emploi de la forme sans d plus au nord en Bazadais que là où passe l’isoglosse ND > n sur la carte n° 2137 de l’ALG (tome I) à partir de entendut / entenut (entendu). La forme “lanas” apparaît ainsi dans la “Parabole” à Pujols-sur-Ciron (écarté de la liste heuristique, cf. supra), de même qu’à Sauternes et Langon, au nord de cette isoglosse. Par ailleurs, l’enquête Bourciez confirme l’enclave huelha [,hwέλə] (cf. supra) sur Pujols-sur-Ciron signalée par l’ALG (carte n° 94, tome I), et en porte également témoignage au-delà, le long de la rive gauche de Garonne, en amont, jusqu’à Saint-Pardon-de-Conques et Bieujac en incluant également Landiras, Illats, Barsac, Preignac, Toulenne, Langon et Saint-Pierre-de-Mons. Par rapport à ce dernier fait, constitutif d’une aire enclavée à étudier de façon spécifique, nous retenons aussi les points qui, en dehors du premier critère de l’aboutissement de FŏLIA à huelha et non à hulha (feuille), intègrent les critères définitoires restant, y compris celui de FŏCU aboutissant à huc et non à huec (feu), à savoir ceux de Landiras et Langon. Saint-Pierre-de-Mons, Saint-Pardon-de-Conques, et Bieujac, que nous incluons également car, souscrivant aux huit autres critères, ils fournissent cependant – enclave ou sous-enclave – huelha et huec. Nous proposons alors de définir cette frange territoriale garonnaise – enclave et sous-enclave – comme le sous-ensemble “huelha-huec” bazadais. Enfin, par rapport au fait de langue n° 5, alors que le point d’enquête n° 656 de Houeillès (47) apparaît hors de l’aire de per (pour) sur la carte 2484 de l’ALG (cf. supra, in “§ À l’intersection d’aires linguistiques du nord et du sud du domaine gascon”), et, par suite, dans l’aire de ende, l’enquête Bourciez place cependant cette localité dans celle de per où il se trouvait au moins initialement avant les enquêtes de l’ALG. Houeillès, maintenu au vu de cette attestation de l’enquête Bourciez, dans l’aire bazadaise, se trouve, quoi qu’il en soit, dans une zone de contact des aires de per et ende.

Nous reprenons l’ensemble des dix faits linguistiques principaux posés au départ, à l’exclusion par conséquent des quatre secondaires (que énonciatif ; absence du partitif ; gua / ga [gwa] / [ga] ; quand / quan [kwã] / [kã]). En ce qui concerne a prosthétique devant r- initial, repérable dans le texte de la “Parabole de l’Enfant prodigue” de l’enquête Bourciez sur trois mots emblématiques – ribè(i)ra / arribè(i)ra (rivière), arren / ren (rien), arresim / resim (raisin) – on a pu constater que ces derniers ne s’y trouvaient pas forcément ensemble avec a prosthétique, souvent un seul ou deux, principalement les deux derniers. Au résultat, de même que Pujols-sur-Ciron (point 645NE de l’ALG) a été exclu de notre liste du fait de son inclusion dans l’aire du prétérit de troisième groupe en –uri, -ures, -ut, etc, le point de Blaignac (rive gauche de la Garonne) en sera également enlevé puisque, dans l’enquête Bourciez, nous n’y retrouvons ni a prosthétique ni passage de ND à n (la forme landa s’y trouve au lieu de lanas, pour “landes”) à la différence de ce que laisse apparaître l’ALG. Du fait de l’absence de a prosthétique devant -r initial et de son inclusion dans l’aire de huec (feu) et huelha (feuille), nous sortons également de cette liste le point 645NO de l’ALG, à Labastide-Castel-Amouroux (47) alors que l’ALG, qui le plaçait en dehors de l’aire de a prosthétique, y donnait huc et hulha.

Les localités qui souscrivent à l’ensemble des critères définissant les dix aires principales de la liste heuristique du début de ce propos à partir des données de l’ALG sont celles de Saint-Côme (33), Captieux (33) et Houeillès (47). Saint-Symphorien (33) occupe une place à part du fait de sa position intermédiaire historiquement entre gascon “clair”, attesté jusqu’à la charnière du XIXe et du XXe siècle, et gascon “noir”, implanté par la suite. Les communes à l’intérieur de cet espace ainsi délimité, au premier rang desquelles Bazas, et ce jusqu’à, en gros, la Garonne, hormis la zone de Blaignac, constitueraient alors ensemble le noyau du gascon bazadais tel que présupposé ici. Nous ajoutons à cela, après avoir dépouillé les versions de la “Parabole de l’Enfant prodigue” de l’enquête Bourciez, un halo composé d’autres communes précisant et, surtout, élargissant ce noyau car répondant elles aussi à l’ensemble des critères définissant les dix aires principales qui argumentaient déjà la liste heuristique du début de ce propos. Sauf, toutefois, à relativiser cette liste de points d’enquête par la prise en considération de l’exception définie plus haut (sous-ensemble “huelha-huec“ bazadais) avec la frange garonnaise composée de ceux de Landiras et Langon, Saint-Pierre-de-Mons, Saint-Pardon-de-Conques et Bieujac sur la rive gauche de la Garonne.

En dernier lieu, si l’enquête Bourciez apporte une aide déterminante pour fournir les détails utiles permettant de préciser telle ou telle aire linguistique, elle permet aussi d’informer sur les abords des points d’enquête de l’ALG. Le cas, par exemple, se présente dans le département du Lot-et-Garonne, à l’ouest de la commune de Houeillès, point n° 656 de l’ALG, pour la commune d’Allons. La version de la “Parabole” y donne les mêmes spécifications que pour Houeillès, celles qui correspondent au dix critères de notre liste de référence, avec un détail concernant le mot “feuilles” traduit par “(ouéilles) ou (úilles)”70, sans articulation de h et l’emploi non systématique mais largement majoritaire du partitif de71 invariable devant article défini de l’occitan moyen (languedocien + provençal)72 à la différence de ce qu’il en est à Houeillès. Du moins, nous avons placé le partitif parmi les trois critères secondaires (cf. supra, in “§ À l’intersection d’aires linguistiques du nord et du sud du domaine gascon”) sachant que si, dans l’ALG, plus des trois-quarts de l’aire du gascon en ignore l’emploi, cela n’empêche pas, d’une part, des influences extérieures à la périphérie et, d’autre part, de relativiser son emploi dans les zones où il est présent73. Tenant compte de cela, le point d’Allons, en fonction d’une application non stricte de nos critères, sera ainsi agrégé à nos points constitutifs du Bazadais linguistique. Autour de Bazas et de la commune de Saint-Côme (point n° 645 de l’ALG) à côté, les points limites internes, qui en résultent seraient alors :

• dans le département de la Gironde :

– bordure sud de Bazas : Captieux, Lucmau, Cazalis, Bourideys ;

– bordure Ouest : Saint-Symphorien, Origne, Louchats ;

– bordure nord et Garonne : Landiras, Sauternes, Fargues, Langon, Castets-en-Dorthe ;

– bordure est jusqu’à la limite entre les deux départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne : Savignac, Aillas, Sigalens, Grignols, Cours-les-Bains ;

• dans le département du Lot-et-Garonne :

– Antagnac, Saint-Martin de Curton, Pompogne, Houeillès, Allons ;

• dans le département des Landes :

– Maillas74.

Cette première synthèse pourra ou devra ensuite être revisité dans le cadre d’un étude quantitative à la fois spécifique et aussi plus large en vue de davantage de précision et pour être confrontée aux approches récentes en dialectologie occitane75 et à des travaux récents sur le gascon76. Par exemple, les travaux d’aérologie descriptive sur le gascon menés par Jean-Léo Léonard et Guylaine Brun-Trigaud à partir des données de l’Atlas linguistique de la France inscrivent de façon intéressante le Bazadais dans une aire intermédiaire longitudinale depuis la Chalosse et l’Adour au sud77 qui renvoie à nos observations sur la situations du bazadais à la rencontre de deux aires cumulatives, l’une descendant du nord, l’autre du sud, en position intermédiaire entre gascon occidental et gascon oriental.

Résultat cartographié

Le tracé indiqué sur la carte qui figure ci-dessous, hormis par rapport aux localités susmentionnées sur lesquelles il s’appuie, aurait pu faire appel à des représentations schématisées (type polygonage Thiessen/Voronoï, ou plus complexe faisant par exemple apparaître chevauchements ou intersections d’aires), utiles dans le cadre d’une étude plus ample et détaillée. Nous nous en remettons ici à une relative imprécision en ce sens qu’il est en bonne partie asservi à la limite géographique de la Garonne, sur une très courte portion, à l’est de Langon, et sur des limites administratives départementales. Ainsi en est-il entre la Gironde et le Lot-et-Garonne, à l’est, sur une courte distance d’une quinzaine de kilomètres, et entre la Gironde et les Landes, au sud, sur une distance discontinue d’une cinquantaine de kilomètres. Pour le reste, cette limite topolectale contourne de façon souple et indicative les localités constitutives des jalons internes de cette aire, ce qui est notamment le cas au nord-ouest, en Gironde, et au sud-est, en Lot-et-Garonne.

Si, sous réserve des quelques aménagements ci-dessous explicités, tous ces points souscrivent, à l’ensemble de nos dix critères, cela doit également être modulé du fait du maillage extensif de l’ALG et de marges – a priori faibles – de non-représentativité des versions de la “Parabole” Bourciez. Plusieurs informateurs (deux à quatre personnes) par point d’enquête étaient en contact direct avec l’enquêteur de l’ALG. L’enquête Bourciez présente très majoritairement une seule traduction par commune. Pour quelques communes, très minoritairement, deux, voire trois versions furent réalisées et, dans tous les cas, sans contact direct avec le concepteur de l’enquête78. Au-delà de ces contraintes, notre objectif de délimiter une variante bazadaise du gascon a reposé au départ sur deux listes heuristiques, l’une de points d’enquête (ALG + enquête Bourciez) et l’autre de critères linguistiques (dix principaux et trois secondaires). Il demeure par conséquent au stade d’une proposition à préciser encore et à discuter. Cette délimitation est géolinguistique, elle doit aussi être envisagée au vu d’autres données provenant de l’écrit occitan gascon local ainsi que de sources orales quand celles-ci existent déjà ou sont encore possibles79, de même qu’au regard des représentations et des endo- et exo-perceptions dialectologiques et sociolinguistiques d’une identité territoriale et culturelle bazadaise qui demanderait une étude supplémentaire, tant celle-ci est a priori moins évidente, comme on l’a déjà remarqué, que certaines autres entités telles que le Val d’Aran ou le Béarn.

Aire du Gascon bazadais (CAO M. Courrèges-Blanc, UMR Ausonius ; données A. Viaut.
Carte en haut à droite de l’aire de la langue d’oc ou occitan (Bec 1973, 22).
Aire du Gascon bazadais (CAO M. Courrèges-Blanc, UMR Ausonius ; données A. Viaut.
Carte en haut à droite de l’aire de la langue d’oc ou occitan (Bec 1973, 22).

En conclusion

En attendant que la variante régiolectale bazadaise, telle que nous venons de la soumettre, soit confirmée ou modifiée, il apparaît que celle-ci participe à notre sens davantage des zones méridionale et centrale, les plus amples du domaine gascon, tout en tirant sa particularité d’être à l’intersection de quelques aires, moins nombreuses, mais représentatives du nord de cet ensemble. Du fait aussi de cette participation pour certains traits à cette partie nord du gascon, à laquelle il faudrait ajouter d’autres traits relevant notamment du lexique, non abordés ici, à part pour le verbe “falloir” (faler en Bazadais, et non caler plus au sud). Si, par ailleurs, on admet que le régiolecte bazadais s’inscrit globalement dans un complexus nord-gascon plus ample que le “triangle médocain” selon P. Bec ou que ce que l’on a parfois nommé “gascon bordelais”, avec ce que cela suppose de complexité et de nuances en soi et par rapport à trois autres complexus, sud, ouest et est-gascon, les quatre connaissant leurs zones de chevauchement ou d’intersection, le Bazadais linguistique peut alors être vu comme une de ces résultantes intersécantes significatives.

Si l’on relie la carte ci-dessus au travail de Bernard Vigneau et à sa position par rapport aux variétés de gascon, on rappellera qu’il est né à Antagnac, dont sa mère était originaire, dans la partie lot-et-garonnaise de cette aire linguistique bazadaise. Il a vécu ensuite, au cours de sa jeunesse à Arx, dans les Landes, à une dizaine de kilomètres au sud de Houeillès mais à l’extérieur de l’aire en question, pour venir s’établir après, à Bazas, en son cœur, pendant huit ans. Dans son manuscrit de 1879, au terme de cette période, au cours de laquelle il avait plus vécu dans le cadre de l’espace linguistique défini ici comme bazadais que dans la contrée landaise d’Arx, de parler clair, ayant connaissance des variations des faits de langue de cette portion du domaine gascon au contact du Bordelais et des zones garonnaise, landaise et centre orientale du gascon, nous supposons qu’il a pu ajouter une touche subjective peu argumentée à un travail dont, pour le reste, la valeur descriptive demeure aussi essentielle que précieuse. De ce point de vue, n’ayant pas opté pour une édition diplomatique de son dictionnaire, J. Boisgontier et J. B. Marquette, avec une mise en ordre logique du manuscrit et les compléments qu’ils apportèrent à la partie proprement bazadaise en particulier du fait de J. B. Marquette, auront ainsi grandement contribué à mettre en évidence cette composante topolectale du gascon. Il resterait à partir de là à étudier de près en vue de son édition la partie du manuscrit demeurée inédite à ce jour qui recueille un nombre significatif de chansons et de proverbes provenant de la même aire que ce lexique gascon.

Bibliographie

  •  ALG = Atlas linguistique et ethnographique de la Gascogne (1954-1973), 6 tomes., sous la dir. de J. Séguy, Paris, CNRS.
  • Annales du Midi (2020) : “In memoriam Jean Bernard Marquette”, Annales du Midi, 132. 311-312, 295-311. [URL] https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_2020_num_132_311_9053
  • Arnaudin, F. (1925-1928) : éd. par Dourthe, P., Baigts, P. et Poudens, A., Au temps des échasses, s. l, s. n.
  • Arnaudin, F. (2003) : éd. par Boutet, Jean-Yves, Latry, G. et Marquette, J. B., Œuvres complètes, VIII, Félix Arnaudin, Journal et choses de l’ancienne Lande, Labouheyre & Bordeaux, Parc Naturel régional des Landes de Gascogne & Confluences.
  • Balloux, G. et Laporte, N. (2017) : Conjugaisons en gascon bazadais. [URL] https://gasconha.com/IMG/pdf/oooooconjugaisons_bazadaises.pdf
  • Balloux, G. et Laporte, N. (2022) : Conjugaisons en gascon : parler bazadais. [URL] https://observatorigascon.org/2022/02/04/conjugaisons-gasconnes-parler-bazadais
  • Bec, P. (1963) : La langue occitane, Paris.
  • Bec, P. (1973) : Manuel d’occitan moderne, Paris.
  • Berthaud, P.-L. (1942) : Bibliographie gasconne du Bordelais, Bordeaux.
  • Biron, Dom R. (1925) : “L’ancien diocèse de Bazas”, Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 2, 70-86.
  • Bonnet, C., Cabanne, M.-F. et Darrigrand, R. (1972) : Le livre Aquitain d’expression occitane, Bordeaux.
  • Bourciez, É. (1892) : La langue gasconne à Bordeaux, Bordeaux.
  • Bourciez, É. (1895) : Recueil des idiomes de la région gasconne (manuscrit de 4444 versions), Pessac. [URL] https://1886.u-bordeaux-montaigne.fr/s/1886/item-set/435260
  • Bourciez, É. (1942) : “Préface”, in : Berthaud, P.-L., Bibliographie gasconne du Bordelais, Bordeaux, XI-XIX.
  • Caudéran, H. (1861) : Dialecte bordelais. Essai grammatical, Paris.
  • Chambon, J.-P. (2004) : “Les centres urbains directeurs du midi dans la francisation de l’espace occitan et leurs zones d’influence : esquisse d’une synthèse cartographique”, Revue de linguistique romane, 68, 5-13.
  • Dinguirard, J.-C. (1983) : “Compte rendu. Vigneau, Bernard, Lexique du gascon parlé dans le Bazadais”, Via Domitia, 29, 152-153.
  • Fourié, J. (1994) : Dictionnaire des auteurs de langue d’oc (de 1800 à nos jours), Paris.
  • Lalanne, T. (1949) : L’indépendance des aires linguistiques en Gascogne maritime (2 vols.), Saint-Vincent de Paul.
  • Lartigue, P. (2004) : Le vocalisme du gascon maritime dit gascon “noir”, DEA de Sciences du Langage sous la dir. de P. Sauzet, Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail.
  • Lartigue, P. (2006) : “Le gascon noir des Landes de Gascogne”, in : Fénié, A.-B., dir., avec la collab. d’H. Goulaze, Un pays dans sa langue, le gascon dans l’ensemble d’Oc, Actes du colloque de Sabres, 9-10 octobre 2004, Sabres, 23-37.
  • Lartigue, P. (2023) : Le gascon noir. [URL] https://observatorigascon.org/musee/langue/gascon/gasconnoir
  • Lavaud, P. (1989) : “La pratique du gascon en Bazadais aujourd’hui”, Garona,  5, 99-117. https://api.nakala.fr/embed/10.34847/nkl.fed904y9/1bee7ea4686a998c04088871185e5f99ff7c1f0e
  • Lavaud, P. (1990) : Approche linguistique de l’occitan bazadais, inédit.
  • Lavaud, P. (2004) : “Une pratique de la collecte en Bazadais”, Garona, 17, 67-83. 
  • Léonard, J.-L. et Brun-Trigaud, G. (2023) : “Questions d’aréologie occitane : le ‘gradient de gasconité’ revisité”, in : Meireles, V. et dos Santos Machado Vieira, M., éd., Diversidade e estabilidade em línguas românicas / Diversité et stabilité dans les langues romanes, Sao Paulo, 113-163.
  • Léonard, J.-L., Brun-Trigaud, G. et Picard, F. (2024) : “Atlas linguistiques et perspectives dialectométriques”, in : Esher, L. et Sibille, J., Manuel de linguistique occitane, Berlin-Boston, 473-520.
  • Luchaire, A. (1879) : Étude sur les idiomes pyrénéens de la région française, Paris. [URL] https://archive.org/details/tudessurlesidio00luchgoog/page/n232/mode/2up
  • Massourre, J.-L. (2012) : Le gascon, les mots et le système, Paris.
  • Pic, F. (1981) : “Quelques manuscrits de dictionnaires et glossaires gascons. Additif à la Bibliographie des dictionnaires patois galloromans”, Revue de linguistique romane, 179-180, 467-480.
  • Pic, F. (1999) : “Bibliographie de Jacques Boisgontier (1937-1998)”, Revue des langues romanes, CIII.2, 7-12.
  • Ravier, X. (1991) : “Occitan : les aires linguistiques”, in : Holtus, G., Metzeltin, M. et Schmitt, C., éd., Lexikon der Romanistischen Linguistik, vol. V, 2. Tübingen, 80-105.
  • Viaut, A. (1994) : “Prêtres gasconnisants du Bordelais (fin XIXe – début du XXe s.)”, in : Cierbide, R., éd., Actes du quatrième Congrès international de l’Association internationale d’études occitanes, Vitoria, 615-633.
  • Viaut, A. et Burov, I. (2011) : “Les produits de la finale – A posttonique en Médoc : du particulier au général”, in : Rieger, A., éd., L’Occitanie invitée de l’Euroregio. Liège 1981 / Aix-la-Chapelle 2008 : bilan et perspective, Actes du IXe Congrès international de l’Association internationale d’études occitanes, 24-31/08/2008, Aachen,  851-865. [URL] http://www.aieo.org/pdfs/viaut_corr.pdf
  • Vigneau, B. (1879) : Lexique de la langue gasconne parlée dans le Bazadais et dans les communes landaises voisines, manuscrit inédit, Bibliothèque municipale de Bordeaux, cote MS 2077. [URL] https://selene.bordeaux.fr/ark:/27705/330636101_MS_2077.locale=fr
  • Vigneau, B. (1982 [1879]) : éd. par Boisgontier, J. et Marquette, J. B., Lexique du gascon parlé dans le Bazadais, Bazas, Les Amis du Bazadais. 

Notes

  1. Ravier 1991.
  2. Pic 1999.
  3. Annales du Midi 2020.
  4. Marquette 2006, 114.
  5. Bonnet et al. 1972, 109-110.
  6. Nous le remercions pour les informations bibliographiques et biographiques qu’il nous a fournies par ailleurs sur ce manuscrit et son auteur.
  7. Pic 1981, 467-468.
  8. Cette devise est ainsi formulée : “Cade pahis qu’a sa coustume – Chaque pays, chaque usage”.
  9. Dans la préface qu’il donne à son travail, le docteur B. Vigneau écrit : “L’Académie (…) de Bordeaux a mis au concours, pour l’année 1879, le sujet suivant : Donner, de la langue gasconne parlée dans le département de la Gironde, un lexique, joignant une nomenclature exacte et aussi complète que possible des mots d’une localité déterminée, la définition de ces mots et l’explication précise de leur acception, sans oublier leur emploi spécial dans les idiotismes, adages proverbes, dictons agricoles, noëls et vieilles chansons. L’Académie a demandé en outre 1°) un glossaire spécial des titres gascons contenus dans le Livre des Bouillons et le Registre de la Jurade publiés par la commission de publication des archives de Bordeaux. 2°) Un recueil aussi complet que possible de tous les proverbes et dictons en langue gasconne usités dans le département de la Gironde, avec indication, s’il y a lieu, des origines, et un classement méthodique qui facilite les recherches”. L’année suivante, en 1880, la Fondation La Grange, à ‘initiative du Marquis L. de La Grange, dota l’Académie en souhaitant que soit institué un prix annuel destiné alternativement “à l’auteur du meilleur livre ou mémoire sur la langue gasconne (…) et à l’auteur du meilleur livre ou mémoire sur la numismatique de nos provinces méridionales” (Pic 1981, 470).
  10. Vigneau & Boisgontier-Marquette 1982, XII.
  11. Suivent les noms des personnes évoquées : M. Jacques Bernard, d’Arcachon : pêche : Mme H. Darcos (+), M. E. Darcos, Mme L. Gilles, de Baulac-Bernos ; M. J.-P. Gardère, de Pauillac : viticulture [arbia 26, aste 46, cot 130, trulha 342, …] ; M. P. Legigan, de Bordeaux : géologue ; M. P. Méaule, d’Escource ; M. H. Pariaud, de Bordeaux : botanique ; ainsi que l’équipe du Groupe d’études et de recherche en écologie appliquée (G.E.R.A.) de l’Université de Bordeaux I : M. J.-Y. Boutet, C. Maizeret, A. Camby et le Groupe de recherche bazadais sur le gascon : MM. Bines, B. Cazauvieilh, J. Despujols, G. Dulau, C. Duclerc, H. Martin, B. Tresarieu (Vigneau & Boisgontier-Marquette 1982, XVI).
  12. Arnaudin 1928. Dans l’ouvrage (Vigneau & Boisgontier-Marquette 1982, XVI), cinq collections particulières sont mentionnées ainsi que les noms des personnes qui ont aidé les éditeurs à constituer le lot de celles qui furent retenues.
  13. Dinguirard 1983, 152.
  14. On le verra par exemple, aussi, se joindre en son temps au groupe des éditeurs des œuvres complètes du folkloriste landais Félix Arnaudin (1844-1921), dont les principaux protagonistes furent J. Boisgontier, précisément, et Guy Latry. Il participa ainsi à l’édition du volume VIII, Journal et choses de l’ancienne Lande (Arnaudin 2003).
  15. Vigneau & Boisgontier-Marquette 1982, XIII.
  16. Verbes des premier et troisième groupes.
  17. “L.” pour “Landes”.
  18. “B.” pour “Bazadais”.
  19. Vigneau 1879, 8.
  20. Il le précise pour cet auteur en indiquant de fait sa région d’origine : “Goudelin (qui est languedocien)”.
  21. Il s’agit du “curé Lafargue” et de “J. Loubet”. Pour le premier, nous disposons de l’hypothètique “abbé C. Laffargue”, “originaire de Vendays en Bas-Médoc, et qui signait, l’hustrayre de Bendays”, auteur de poèmes en occitan parus dans le journal local Le Vigneron médocain, signalé par P.‑L. Berthaud dans sa Bibliographie gasconne du Bordelais. (1942), p. 52). Il signait aussi “Bayart” dans ce même journal mais ce pouvait aussi être l’abbé Antoine Joseph Lafargue, archiprêtre de Lesparre (1845-1910) (Viaut 1977, 110 ; 1994, 622). Quant à J. Loubet, nous n’avons pu l’identifier, et il ne figure pas dans le Dictionnaire des auteurs de langue d’oc de Jean Fourié (1994) ; l’auteur montpelliérain qui y figure, Joseph Loubet (Fourié 1994, 215) ne peut correspondre, ce dernier ayant vécu de 1874 à 1951.
  22. Le cas du mot cap (tête) est une illustration de cet emploi néanmoins rare. Un proverbe et un passage d’une chanson de noce accompagnent la définition. Même chose aussi pour le mot espoutricat, -ade (ébréché, -ée) qui comporte un fragment d’une chanson de noce dans l’édition Boisgontier-Marquette comme dans le manuscrit Vigneau.
  23. Vigneau 1879, 362.
  24. Rappelons à ce sujet, en lien concret avec ces connaissances ethnographiques, que J. B. Marquette fut conservateur du Musée d’arts et traditions populaires de Villandraut de 1969 à 1995, ainsi que membre de la Commission régionale du patrimoine historique, archéologique et ethnologique (COREPHAE) d’Aquitaine (In memoriam 2020, 297).
  25. Vigneau 1879, 14.
  26. Vigneau 1879, 15.
  27. Ibid.
  28. Luchaire 1879 , VIII.
  29. Dans le corps de son ouvrage, A. Luchaire revient sur cette double catégorisation et s’en explique ainsi en le qualifiant à la fois de langue et de dialecte [d’oc] : “Si, à l’exemple de l’un de nos meilleurs romanistes, M. Chabaneau, nous qualifions le gascon de langue, ce n’est pas que nous méconnaissions le lien évident qui le rattache à la langue d’oc, c’est en raison du grand nombre de caractères originaux qui lui font une place tout-à-fait à part parmi nos dialectes du Midi” (Luchaire 1879, 193). Émile Littré, non engagé dans ces débats, dans sa lettre de soutien à B. Vigneau placée à la fin de la préface du manuscrit (Vigneau 1879, 23-24), se range du côté de l’approche situant le gascon parmi les dialectes de la langue d’oc, position la plus répandue laissant supposer sous ce rapport un parti pris extérieur spontané de neutralité : “(…) mais remarquez bien que je suis incompétent dans la langue d’oc et ses dialectes” (Ibid., p. 23).
  30. S. d. des Landes bordelaises et du Bazadais (Captieux, Belin, Audenge). Il forme la transition entre le girondin et le landais. Comme le landais, il assourdit les sons a en e, e en i et eu (surtout à Belin), ue en u et ü. On voit aisément qu’il y a de grands rapports entre la patois de La Teste et celui d’Audenge, deux localités situées toutes deux sur le bassin d’Arcachon ; mais Audenge appartient au girondin (estet, benüt, cantet) et La Teste au landais (esta, benou, canta)” (Luchaire 1879, 255). Ces dernières assertions concernant La Teste étant sujettes à caution et en contradiction avec celles qui furent révélées plus tard par l’enquête Bourciez à partir de la traduction de la “Parabole de l’Enfant prodigue” (Bourciez 1895).
  31. Cette influence du français, réelle et constatable dans les centres urbains de quelque importance, renforcée ici par la relative proximité de Bordeaux et, de plus, par celle de l’axe garonnais, est une constante pour les langues en cours de minorisation. J.-P. Chambon a montré avec précision en quoi l’occitan n’y avait pas échappé (Chambon 2004). Quant à la supposée francisation excessive du sous-dialecte bazadais, ce point reste à examiner de façon spécifique, comme pour d’autres configurations similaires, tant elle est réelle d’un côté mais appelle tout autant à être nuancée par des constats contradictoires dans les différents constituants de la langue.
  32. Les cinq sous-dialectes du dialecte girondin selon Luchaire sont composés du “sous-dialecte de l’Agenais (Astaffort, Nérac, Lavardac, Bouglon)”, du “sous-dialecte des Landes bordelaises et du Bazadais (Captieux, Belin, Audenge)”, du “sous-dialecte du Bordelais proprement dit (Bordeaux, Langon, La Réole et environs immédiats, en général, patois riverain de la Gironde)”, du “sous-dialecte médocain, divisé lui-même en haut et bas-médocain”, et, enfin, de celui de “l’Entre-Deux-Mers (Créon, Targon, Libourne)” (Luchaire 1879, 254-256).
  33. Vigneau 1879, 3.
  34. Vigneau & Boisgontier-Marquette 1982, XI.
  35. Vigneau 1879, 3.
  36. Ibid.
  37. Ibid.
  38. Nous le remercions de son autorisation de citer ce document.
  39. Lavaud 1990, 3.
  40. “correspondant à un état de langue défini intrinsèquement par une somme plus ou moins importante de caractères donnés et s’étendant sur une aire géographique déterminée” (Bec 1963, 35).
  41. Lavaud 1990, 7.
  42. “Aillas, Allons, Antagnac, Argenton, Aubiac, Auros, Barie, Bassanne, Bazas, Beauziac, Bernos-Beaulac, Berthez, Bieujac, Birac, Blaignac, Bouglon, Boussès, Brannens, Brouqueyran, Captieux, Casteljaloux, Castets-et-Castillon, Caumont-sur-Garonne, Cauvignac, Cazats, Cocumont, Coimères, Cours-les-Bains, Couthures-sur-Garonne, Cudos, Escaudes, Fargues, Fargues-sur-Ourbise, Floudès, Fontet, Fourques-sur-Garonne, Gajac, Gans, Gaujac, Giscos, Goualade, Grézet-Cavagnan, Grignols, Guérin, Houeillès, Hure, Labescau, Lados, Langon, Lartigue, Lavazan, Léogeats (?), Lerm-et-Musset, Lignan-de-Bazas, Loupiac-de-la-Réole, Marcellus, Marimbault, Marions, Masseilles, Mazères, Meilhan-sur-Garonne, Montpouillan, Le Nizan, Noaillac, Noaillan(?), Pindères, Pompéjac, Pompogne, Pondaurat, Poussignac, Préchac, Puybarban, Roaillan, Romestaing, Ruffiac, Saint-Côme, Saint-Loubert, Sainte-Marthe, Saint-Martin-Curton, Saint-Michel-de-Castelnau, Saint-Pardon-de-Conques, Saint-Pierre-de-Mons, Saint-Sauveur-de-Meilhan, Samazan, Sauméjan, Sauternes, Sauviac, Savignac, Sendets, Sigalens, Sillas, Uzeste (Il faut peut-être rajouter quelques communes à l’est de Boussès, Casteljaloux, Fargues-sur-Ourbise, Pompogne…)” (Balloux & Laporte 2017, 1).
  43. “Le gascon bazadais ici décrit est une des variantes du gascon septentrional qui concerne la majorité de la Gironde et le sud-ouest du Lot-et-Garonne. Son aire s’étend au sud jusqu’à la limite du département des Landes, au nord jusqu’à la Garonne. À l’ouest d’une ligne suivant à peu près le Ciron (Langon – Noaillan – Préchac – Captieux), les parlers transitionnels du Cernès (région de Villandraut, Landiras…) mélangeaient les caractéristiques bazadaises avec des traits landais. À l’est, le passage au gascon oriental de type néracais s’opérait peu après l’axe Marmande – Casteljaloux – Houeillès, incluant ainsi une bonne partie du Pompogne” (Balloux & Laporte 2022, 2).
  44. Caudéran 1861, 6.
  45. Désigne le parler d’oïl de la “Petite Gavacherie” située à l’est de l’Entre-Deux-Mers.
  46. Caudéran 1861, 6.
  47. Ibid., p. 37-61.
  48. Bec 1963, 37-44.
  49. Par exemple, gelar [dze’la] : geler), jorn [dzurn], et [ts] (par exemple, chapar [tsa’pa] : mâcher, manger (fam.) (…) (Viaut & Burov 2011, 851-852).
  50. Biron 1925.
  51. ALG 1954-1973, tome VI.
  52. ALG VI 1973, carte 2530.
  53. “Nous désignons du nom de Triangle médocain l’aire géograph. ayant pour côtés l’Atlantique et la Gironde-Garonne, et pour base une ligne (purement linguist.) allant approximativement, d’ouest en est, du Bassin d’Arcachon aux environs de Pujols [-sur-Ciron] (ALG : 645No)” (Bec 1968, 280).
  54. Cette influence-là, caractérisant le Bazadais par rapport au reste du bordelais, avait été rappelée de façon marquée par É. Bourciez dans sa préface à la Bibliographie gasconne du Bordelais de P.‑L. Berthaud : “Au sud-est enfin, le Bazadais subit déjà fortement l’attraction de la Gascogne centrale” (Bourciez 1941, XII).
  55. À partir de la traduction en gascon d’un texte remanié de la “Parabole de l’Enfant prodigue” sur l’ensemble de ce territoire et au-delà en suivant les limites des départementales situés à cheval sur la limite entre le gascon et le languedocien.
  56. Pour des raisons de commodité d’écriture et de lisibilité, nous avons remplacé ici l’alphabet phonétique choisi pour les atlas linguistiques par région du CNRS par l’Alphabet phonétique international afin de noter la prononciation locale du mot “nuit” en gascon local.
  57. Fuelha apparaît ailleurs en oc avec /f/ labiodental issu de F latin.
  58. À la différence de ce que se produit pour huelha/hulha (cf. supra), huc ([hyk]) englobe toutefois la pointe nord du Médoc.
  59. Cela correspond aux points d’enquête de l’ALG de Biscarosse (672 NO), Parentis-en-Born (672), Moustey (Moustey) et Luxey (664).
  60. À laquelle s’ajoute une portion sud-est, pyrénéenne, du gascon.
  61. Aire caractérisée par la labialisation en [œ] majoritaire, et [ø] ou [ɵ], de e tonique du latin tardif (Lartigue 2006).
  62. Lartigue 2004 ; 2006 ; 2023.
  63. Lartigue 2006, 32-33.
  64. “Le gascon « noir » bazadais concerne le sud-est des landes de Cernès et le sud-ouest du Bazadais. Ce sont les communes de Bourideys, Louchats, Saint-Léger-de-Balson, Saint-Symphorien et Le Tuzan qui regardent vers Argelouse, Callen Luxey et Sore. Cet ensemble, surtout en ce qui concerne les communes du département des Landes, est assez proche du grand-landais” (Lartigue 2023, 3).
  65. Voir aussi le commentaire de P. Lartigue à ce sujet (2004, 33).
  66. “(…) Lapeyre (74 ans) a fait une déclaration intéressante : « il y a 60 ans, on n’entendait que ‘é’ ; j’ai entendu successivement ‘nèit’, ‘nëit’, ‘nüit’. L’hésitation phonétique de ce village (remarquable par d’autres confusions), s’explique en partie en partie par sa position en charnière, mais surtout par le fait de l’immigration, en moins d’un siècle, de 50 familles venues des terres pauvres du Sud, en marche vers ‘la ribère’, la Garonne »” (Lalanne 1949, 21).
  67. Bourciez 1895, t. 2.
  68. Lartigue 2023, 3.
  69. Bourciez 1895.
  70. Soit, en graphie occitane normée : “(huelhas) o (hulhas)”.
  71. Par exemple : “… la maïsoun dé moun paï és plégne dé doméstiques qu’an pan e(t) bín, …”, ou en graphie normalisée : “… la maison de mon pair es plenha de domestiques qu’an de pan e de vin,…” (la maison de mon père est pleine de domestiques qui ont du pain, du vin, …).
  72. Bec 1963, 44-47.
  73. Ainsi, le Médoc dans l’aire d’emploi du partitif, signalé par l’ALG et constatable dans l’enquête Bourciez, connaît aussi, sporadiquement de même que dans certains emplois figés, son non-emploi. Ainsi, la carte n° 81 (tome I) de l’ALG, “Des pommes de terre” témoigne de son non-emploi dans la majorité des points d’enquête du Médoc avec cet exemple.
  74. Pour rapport à la liste de points limitant intérieurement le “parler bazadais” tel qu’approché par P. Lavaud (cf. supra), celle qui résulte de notre approche ne comprend pas les localités suivantes : Preignac, Pujols-sur-Ciron, et Illats pour le département de la Gironde, et celles de Jusix, Sainte-Bazeilles, Boussès, Durance, Ambrus et Thouars-sur-Garonne dans celui du Lot-et-Garonne. Autant de différences qui montrent la difficulté de cerner ce type d’entité au sein d’une réalité plus large qui est celle du complexus dialectal (Bec 1963, 35) dans laquelle P. Lavaud s’était comme nous placé.
  75. Léonard et al. 2024.
  76. Léonard & Brun-Trigaud 2023.
  77. Ibid., 122-123.
  78. Voir à ce sujet le commentaire éclairant de P. Lartigue (2004, 33).
  79. Nous pensons aux enquêtes orales enregistrées effectuées dans cette zone par J. Boisgontier lui-même et, plus récemment, par P. Lavaud.
Rechercher
Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356136541
ISBN html : 978-2-35613-654-1
ISBN pdf : 978-2-35613-655-8
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
31 p.
Code CLIL : 3385
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Viaut, Alain, “Le gascon bazadais, ses traits et son aire questionnés », in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 3. Regards sur une œuvre, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 139-170. [URL] https://una-editions.fr/marquette-le-gascon-bazadais-ses-traits-et-son-aire-questionnes
Illustration de couverture • L’église Saint Pierre de Flaujac : façade ouest (Carte postale Bromotypie Gautreau, Langon).
Retour en haut