Les quatre articles de cette partie impliquent respectivement deux des disciplines supérieures (le droit et la médecine), un savoir pratique (l’astronomie), et enfin la science politique lorsqu’elle rencontre le savoir médical. Précisons tout de suite qu’ils s’intéressent chacun à une « révolution », tout au moins un changement d’orientation, survenus dans ces disciplines au seuil de la Première Modernité. Voilà qui rétrécit la focale de nos investigations : non pas tous les savoirs mais quatre exemples, non pas l’ensemble de leur domaine, mais, pour chacun, un point d’achoppement qui en son temps fit débat : la valeur du témoignage oral dans les procédures juridiques, l’interprétation des taches solaires redécouvertes par l’héliocentrisme, la place de l’alchimie dans les pratiques médicales et leurs pharmacopées, la mélancolie non plus comme trouble humoral mais mental, et conduisant à repenser l’exercice du pouvoir. Telles sont les brèches qu’un Copernic, un Galilée, un Machiavel, un Bruno, un Arioste et bien d’autres humanistes italiens ont ouvertes et dans lesquelles le reste de l’Europe allait bientôt s’engouffrer.
Nos quatre auteurs s’intéressent d’abord aux moyens et aux conditions de leur diffusion vers la France : Olivier Guerrier, du droit canon romain à la réforme officielle des textes de lois dans le royaume ; Sabine Biedma, des dialogues littéraires savamment orchestrés au rôle publicitaire de la censure – « malgré soi » ; Bénédicte Louvat, de la prégnance grandissante du théâtre italien aux percées de la pensée paracelsienne en Languedoc ; et Florent Libral, du modèle machiavélien au tragique machiavélique tel que semble le manifester une monarchie française en mal de modernisation.
Mais ce sont avant tout les conséquences pratiques ou théoriques que ces évolutions et leur diffusion progressive auront dans les Lettres françaises qui occupent l’essentiel des textes qu’on va lire. Le débat autour de la valeur de la parole orale trouvera non seulement des échos dans les œuvres de Rabelais ou de Ronsard, mais il marquera profondément de son empreinte les poétiques et la rhétorique du XVIe siècle au point de créer un nouveau rapport avec le lecteur et une nouvelle perception de la « voix » de l’auteur. Prendre acte de la redécouverte scientifique des taches solaires, c’est aussi, sur le plan littéraire, redéfinir la symbolique métaphorique d’un cliché et actualiser, comme le fait Guillaume Colletet, sa théorie poétique. Intégrer de nouveaux modèles de représentation et se jouer des tensions entre les discours savants permet au théâtre de Béziers d’oser l’hybridité et l’inventivité langagières qui façonneront de nouvelles versions du Dottore ou de l’Arlequin. Enfin, la réflexion suscitée en France par les diverses interprétations du machiavélisme invite les dramaturges du XVIIe siècle à explorer différentes combinaisons de la figure du prince dans la tragédie, et à créer le langage propre à remettre en question la mystique solaire du pouvoir de droit divin.
Littérature d’idées, poésie, théâtre… on le voit, malgré les limites imparties à l’exercice, les articles qui suivent ouvrent un vaste champ à l’investigation et à la réflexion du lecteur.