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Chapitre 4•
Alexandre le Perse

par

Il apparaît que les livres 11 et 12 de l’œuvre de Trogue Pompée, dans le texte transmis par Justin, sont le fruit d’un travail consciencieux de l’auteur gallo-romain. Il s’agit bel et bien d’une construction, usant de sources différentes, suivant une source principale, en insérant d’autres, et profitant de toutes les ressources qu’offre la composition historique pour établir un texte propre, dans le dessein de proposer à la lecture un portrait particulier d’Alexandre le Grand. Il nous a d’ores et déjà été permis de voir, dans l’analyse du travail mené par Trogue Pompée / Justin, la manière dont l’image d’Alexandre, en partie corrompue au livre 11 mais globalement positive, était noircie au livre 12, à la suite d’une séquence pivot particulièrement travaillée. Si le contraste est si flagrant, c’est que l’intention est de montrer une évolution. Il ne s’agissait pas, pour Trogue Pompée / Justin, de dire qu’Alexandre était un personnage noir de l’Histoire, lui qui pourtant inaugurait l’âge d’or des empires macédoniens ; il s’agissait de montrer qu’il était devenu tel, d’analyser un processus, d’établir les causes du changement, d’en montrer des conséquences.

Alexandre est né à Pella prince macédonien ; il est mort à Babylone roi de Perse. Le fils de Philippe devint le successeur de Darios qui l’avait adoubé dans ses ultima uerba. C’est là la première source de décadence d’Alexandre : oublieux de sa patrie, il adopte celle de ceux qu’il a vaincus ; oubliant sa famille, il s’en crée une nouvelle ; oubliant qu’il est macédonien de culture grecque, il fait sienne la culture orientale et, de ce fait, devient un Perse.

Les oublis et reniements d’Alexandre

Sa patrie

La lettre européenne permet de montrer, au début du livre 12, l’oubli complet d’Alexandre pour la Macédoine, pour sa propre patrie. Cet oubli est si profond et manifeste que ses hommes l’accusent “de renier jusqu’au nom de sa patrieˮ (ut etiam patriae nomen eiuraret, 12.4.1) et d’“avoir bouleversé les mœurs […] de la patrieˮ (patriae […] mores subuertisse, 12.5.1). Ainsi, lorsqu’ils prient pour la dernière fois Alexandre de rentrer en Macédoine, après sa victoire sur Poros, ils lui demandent “de se souvenir une bonne fois de la patrie et du retourˮ (aliquando patriae reditusque meminisset, 12.8.11). Trogue Pompée / Justin qualifient cette demande et les autres qui l’accompagnent de “légitimesˮ (iustis precibus, 12.8.16), et se rangent naturellement derrière ces soldats condamnant l’amnésie de leur chef pour sa terre natale.

Alexandre cependant évoque encore parfois cette patrie qu’il a abandonnée. Ainsi, il justifie la création des épigones par le fait que ces jeunes hommes permettraient de “moins épuiser la Macédoineˮ (minus exhauriri […] Macedoniam, 12.4.5) qui serait moins mise à contribution par l’envoi de recrues. Mais l’on voit bien que l’argument vaut davantage pour convaincre ses hommes que son projet est bon que comme un souci réel du pays. Il refuse en effet à cette même patrie le retour des Macédoniens combattants à ses côtés1. Celle-ci apparaît davantage comme un véritable obstacle puisqu’Alexandre veut que “diminueˮ chez ses hommes “le désir de retourner dans leur patrieˮ (minorem in patriam reditus cupiditatem futuram, 12.4.3). L’évocation de leur pays natal devient même un moyen de les piéger, en jouant sur leur attachement. On voit en effet Alexandre récidiver peu après : alors qu’il désire que ses soldats écrivent des lettres, pour connaître ce qu’ils pensent par la lecture de ces écrits, il mentionne à nouveau leur pays, et tout en reconnaissant qu’il compte s’éloigner toujours plus de la Macédoine, il fait appel à l’évocation de cette dernière pour obtenir de ses hommes les preuves qui les compromettront :

…simulat se ex amicis quosdam in patriam uictoriae nuntios missurum. Hortatur milites suis scribere, rariorem habituros occasionem propter militiam remotiorem.

“Il feint de vouloir envoyer dans la patrie certains de ses amis comme messagers de la victoire. Il exhorte les soldats à écrire à leurs proches : les occasions seront plus rares à mesure que l’expédition sera plus lointaine.ˮ2

Mais ce cynisme du roi est secondaire. Il n’est qu’une manifestation du peu de cas qu’Alexandre fait de sa patrie. Ses paroles elles-mêmes en témoignent. Pour remobiliser (avec succès) ses hommes songeant au retour après la mort de Darios, il leur assène “qu’il n’a pas recherché le corps mais le royaume de Darios et qu’il faut poursuivre ceux qui ont fait défection au royaumeˮ (se corpus, sed regnum Darii petisse, persequendosque eos esse qui a regno defecerint, 12.3.3), à savoir Bessos et ses complices. Ainsi le projet de vengeance de la Grèce, qui devait être le moteur de l’expédition, a disparu3 : alors que toutes les villes royales sont tombées, que le roi de Perse est mort, Alexandre dévoile son véritable projet. Il n’a pas franchi l’Hellespont en souvenir des guerres médiques, il l’a fait pour remporter un royaume (regnum). C’est pour légitimer ce projet aux yeux de ses propres soldats qu’il est allé à Gordion et au sanctuaire d’Ammon : il s’agissait pour lui de se montrer comme le maître de l’Asie et du monde, et non plus comme le souverain de la Macédoine4.

Aussi, comme le note très justement L. Santi Amantini (1981, 242), dès lors que Darios est mort, il s’est senti comme “il legittimo succesore degli Achemenidiˮ, et le royaume perse est devenu de fait son royaume, les ennemis de Darios sont devenus ses ennemis. Or la recherche assumée par Alexandre d’un nouveau royaume amène elle aussi à s’interroger sur son intérêt pour son pays, et à relire peut-être sous un autre angle certains de ses gestes. Ainsi lorsqu’il quitte son pays, le don à ses amis de tous les biens qu’il possède en Macédoine, et la déclaration que “l’Asie lui suffisaitˮ (sibi Asiam sufficere, 11.5.5) n’apparaît plus vraiment comme un acte de générosité, mais comme un abandon de sa patrie au profit d’un nouveau territoire. De même, la prière qu’il adresse aux dieux, aussitôt après avoir mis le pied sur le sol ennemi, “que ces contrées éloignées ne l’accueillent pas comme leur roi à contrecœurˮ (ne se regem illae terrae inuitae accipiant, 11.5.11) montre qu’il se voit déjà davantage comme le nouveau roi perse que comme le roi de Macédoine. Ainsi Trogue Pompée / Justin, en appuyant au début du livre 12 sur le manque d’intérêt d’Alexandre pour sa propre patrie, allant jusqu’au reniement, invitent à lire différemment des données héritées de Clitarque, qui se voulaient très positives dans le texte de l’historien alexandrin.

L’auteur gaulois va même encore plus loin. Dans le chapitre consacré aux Épigones, on voit Alexandre poursuivre un double objectif : diminuer chez ses hommes le désir de rentrer chez eux, dès lors qu’ils auraient “dans le camp une sorte de reproduction de maison et de foyer domestiqueˮ (in castris imaginem quandam larum ac domesticae sedis, 12.4.3) et bénéficier de nouveaux soldats “plus constants s’ils avaient dans le camp même non seulement leur apprentissage militaire, mais aussi leur jeune enfanceˮ (constantiores […] si non solum tirocinia, uerum et incunabula in ipsis castris posuissent, 12.4.6), ce qui advint effectivement selon Trogue Pompée / Justin, puisque ces épigones ne regardèrent pas “leur camp autrement que comme leur patrieˮ (neque aliter castra quam patriam, 12.4.10). Ainsi Alexandre entend-il créer des hommes ayant une patrie qui lui convienne, à savoir leur propre camp (le mot castra est sans cesse répété). Il veut ainsi tuer la notion même de patrie, de territoire natal, pour avoir des soldats moins rétifs que les siens obsédés par le retour. Sa volonté sans cesse accrue de conquête le conduit à la création d’une patrie sans sol, sans fondations, sans histoire, sans temples, sans tombeaux, se déplaçant au gré des expéditions du roi5 ; dans les faits, Alexandre veut créer des apatrides.

La patrie étant, dans son étymologie même, le territoire des pères d’un peuple, lorsqu’Alexandre rompt avec sa patrie, il rompt aussi avec son père.

Son père

Si Alexandre dans les débuts du livre 11 semble marcher sur les traces de son père et le prendre comme modèle de sa propre action, une rupture se crée lors de la visite au sanctuaire d’Ammon. C’est le revers de sa volonté de reconnaissance en tant que fils de dieu : il ne peut plus être le fils d’un homme, il ne peut plus être le fils de Philippe. Aussitôt que les prêtres l’ont salué du nom de “fils d’Ammonˮ (Hammonis filium, 11.11.7), Alexandre, “joyeux d’être adopté par le dieu, ordonne d’être considéré comme descendant de ce pèreˮ (laetus dei adoptione hoc se patre censeri iubet, 11.11.8). La joie (laetus) du Macédonien est grande et ne se retrouve guère dans les textes de Diodore, Quinte-Curce et Plutarque qui racontent aussi la scène. Elle témoigne de l’absence totale de considération d’Alexandre pour Philippe, tout comme sa précipitation à se faire considérer comme le descendant d’un autre père6. Ainsi, la question du jeune roi reprise de Clitarque, consistant à savoir si Alexandre avait bien tué tous les meurtriers de son père, et la réponse du prêtre, opposant “son pèreˮ qui “ne peut ni être tué, ni mourirˮ et “le roi Philippeˮ, pour lequel “la vengeance a été menée à son dernier termeˮ7 devient une nouvelle manière pour Alexandre, qui avait chez Trogue Pompée prémédité son action en corrompant les prêtres et en leur indiquant les réponses qu’il voulait recevoir, de se détacher sciemment de Philippe. Ainsi le texte de Clitarque se trouve encore un peu plus dénaturé. Et il l’est d’autant plus que cette lecture est appuyée par l’attitude d’Alexandre dans les premiers chapitres du livre 12.

Alexandre en effet “a dégénéré de son pèreˮ (patre […] degenerasse, 12.4.1), “a bouleversé les mœurs de son père Philippeˮ (patris Philippi […] mores subuertisse, 12.5.2). Ces propos sont très forts. Ils construisent l’image d’un Alexandre qui s’éloigne de Philippe, reconnu comme son père véritable par Trogue Pompée / Justin, comme l’indique la répétition de pater, au profit d’Ammon. Lors de la mutinerie d’Opis, les soldats lui lancent par la suite qu’il devrait entreprendre “seul ses guerres avec son père Ammonˮ (eum solum cum patre suo Hammone inire bella, 12.11.6). On voit l’ironie de leur propos, qui marque bien le fait qu’Alexandre avait conservé, depuis l’oracle de Siwah, cette volonté d’être considéré comme le fils de ce dieu, et non plus comme le fils de Philippe8.

Mais c’est lors du meurtre de Clitos que se manifeste le plus clairement le rejet du père. Rappelons le texte de Trogue Pompée / Justin à cet endroit :

His ita gestis sollemni die amicos in conuiuium uocat, ubi, orta inter ebrios rerum a Philippo gestarum mentione praeferre se patri ipse rerumque suarum magnitudinem extollere caelo tenus coepit adsentante maiore conuiuarum parte. Itaque cum unus e senibus, Clitos, fiducia amicitiae regiae, cuius palmam tenebat, memoriam Philippi tueretur laudaretque eius res gestas, adeo regem offendit, ut telo a satellite rapto eundem in conuiuio trucidauerit. Qua caede exultans mortuo patrocinium Philippi laudemque paternae militiae obiectabat.

“Ces actions ainsi menées, il invite un jour de fête ses Amis à un festin où, alors qu’une conversation était née entre les invités pris de vin sur les exploits de Philippe, il se mit lui-même à se placer au-dessus de son père, et à élever jusqu’au ciel la grandeur de ses propres exploits, tandis que la majeure partie des convives l’approuvait. Aussi, comme l’un des vieillards, Clitos, ayant confiance en l’amitié du roi dont il tenait la palme, défendait la mémoire de Philippe et louait ses exploits, il offensa le roi au point que celui-ci arracha un javelot à l’un de ses gardes du corps et le tua en plein festin. Tout excité par ce massacre, il reprocha au mort sa défense de Philippe et son éloge de l’esprit militaire de son père.ˮ9

Ce qui est notable, c’est la place très importante de Philippe dans cet épisode. Il est de fait la cause de la discorde entre Alexandre et Clitos, et ainsi la raison du meurtre de ce dernier. Le point de départ de la dispute se trouve être en effet la vanité d’Alexandre, et la comparaison qu’il établit entre son père et lui, en s’affirmant supérieur. Clitos s’oppose ensuite au roi, et apparaît de son côté comme le défenseur de l’œuvre de son père. Enfin, après avoir tué Clitos, Alexandre lui reproche “sa défense de Philippeˮ (patrocinium Philippi). Ce passage est ainsi extrêmement cohérent et se construit, non pas tant autour de la figure de Clitos, comme chez les autres historiens, que de celle de Philippe. Aussi, dans ces trois phrases, le nom de Philippus revient-il trois fois, aux côtés du nom pater et de l’adjectif paternus : l’image du feu roi occupe tout l’espace. Celui de Clitus, en regard, n’apparaît qu’une seule fois, avant d’être repris par eundem et mortuo.

En plus du mépris de Philippe affiché par Alexandre, la violence de la réaction à l’égard de Clitos semble être révélatrice du rapport compliqué qu’il entretient avec l’image de son père. Alexandre agit en effet de manière irrationnelle lorsqu’il s’adresse au corps mort de Clitos pour lui parler de Philippe ; de même, lors des remords qui le rongeront par la suite, il se reproche “la raison du meurtreˮ (causam occidendi, 12.6.5), et il s’afflige “d’avoir accueilli les louanges à son père avec une colère qu’il n’aurait pas dû tant éprouver même contre des injuresˮ (paternas laudes tam iracunde accepisse se quam nec conuicia, 12.6.6). Trogue Pompée / Justin semblent avoir proposé ici un récit révélant une fine lecture psychologique du personnage d’Alexandre qui, lorsqu’il tue Clitos, semble en réalité tuer son propre père auquel l’ancien général de Philippe ressemble, lui qui est présenté comme unus e senibus.

Il est notable que seuls Trogue Pompée / Justin accordent cette place prédominante à Philippe dans cet extrait. Plutarque n’en fait pas la cause de la dispute, et son nom n’apparaît que dans le reproche de Clitos à Alexandre d’avoir abandonné son père au profit d’Ammon (Alex., 50.11). Chez Arrien, Philippe est la cause de la dispute, mais ce n’est pas Alexandre qui le dénigre, ce sont les flatteurs qui l’entourent10.

Le texte de Quinte-Curce est dès lors le plus proche de celui des Histoires philippiques. On retrouve en effet les mêmes propos vaniteux d’Alexandre (8.1.22) et une critique de Philippe. D’une manière encore plus marquée que chez Trogue Pompée / Justin, qui opposent “la majeure partie des convivesˮ (maiore conuiuarum parte) approuvant le discours d’Alexandre, et Clitos, représentant les “vieillardsˮ (senibus), Quinte-Curce insiste sur cette opposition et crée un véritable conflit de génération11. Enfin, de la même manière que dans les Histoires philippiques, “Clitus, peu à peu, élève la voix, et vante les actions de Philippe et ses campagnes en Grèce, leur donnant toujours la préférence sur le présentˮ12. Pourtant l’objectif de Quinte-Curce dans ce passage ne semble pas être le même que celui de Trogue Pompée / Justin. Si la figure de Philippe est bel et bien présente, d’autres “anciensˮ apparaissent également dans le discours du général macédonien. Ainsi Clitos convoque-t-il aussi celle de Parménion (8.1.33), à propos duquel Quinte-Curce affirme d’ailleurs : “Des critiques irréfléchies et inconsidérées, dont il le criblait, aucune n’avait blessé Alexandre plus que l’allusion à Parménion, faite en termes élogieuxˮ13. Ainsi c’est bien l’opposition entre les deux âges qui entouraient Alexandre qui intéresse Quinte-Curce, et non le rapport entre Alexandre et son père. Il n’est par conséquent pas question dans son texte des regrets d’Alexandre sur la raison du meurtre et les louanges à Philippe, pas question non plus de reproches faits au cadavre de Clitos, mais Alexandre lance néanmoins à sa victime : “Rejoins à présent Philippe, Parménion et Attale !ˮ (I nunc […] ad Philippum et Parmenionem et Attalum, 8.1.52), le rangeant ainsi à jamais dans cette vieille génération. Le traitement de cet épisode par Trogue Pompée / Justin paraît bien de la sorte original.

Toutefois, on ne peut nier un lien entre les textes de Quinte-Curce et celui des Histoires philippiques. Or le premier paraît avoir travaillé ce passage en usant de plusieurs sources, créant ainsi un texte “compositeˮ14. Il est ainsi possible qu’il ait emprunté au texte de Trogue Pompée cette partie de l’épisode, à savoir les griefs contre le feu roi de Macédoine comme point de départ de la dispute15. Les propos d’Alexandre particulièrement durs à l’égard de Philippe que l’on trouve chez Quinte-Curce seraient dès lors une reprise du texte de l’historien gaulois, qui aurait lui-même développé le fait qu’Alexandre “se vanta que l’illustre victoire de Chéronée fut son œuvreˮ (nobilem apud Chaeroneam uictoriam sui operis fuisse iactauit, 8.1.23), que Philippe avait alors reçu une blessure lors d’une altercation entre soldats macédoniens et mercenaires grecs et était resté à faire le mort par sécurité (8.1.24). Cette opposition entre la pleutrerie de l’un, blessé par ses propres hommes, et la vaillance de l’autre, qui protégea son père de son bouclier pendant le combat, et plus tard mata les Illyriens sans Philippe (8.1.25), pourrait correspondre au résumé de Justin qui écrit “il se mit lui-même à se placer au-dessus de son père, et à élever jusqu’au ciel la grandeur de ses propres exploitsˮ (praeferre se patri ipse rerumque suarum magnitudinem extollere caelo tenus coepit). Enfin de la même manière, Alexandre refuse chez Quinte-Curce toute gloire à Philippe : “La gloire ? en étaient dignes non ceux qui assistaient aux initiations de Samothrace, à l’heure où il fallait brûler et dévaster l’Asie, mais ceux dont on avait peine à croire les exploitsˮ16. Ainsi Alexandre se vante bien d’avoir dépassé son père, en accomplissant ce que lui n’avait osé accomplir.

W. Heckel (1997, 224) note que si Quinte-Curce, comme il est tout à fait vraisemblable, s’appuie bien sur Trogue Pompée dans ce passage, alors “it is difficult to determine whether it was the latter’s own invention or the work of a Hellenistic intermediaryˮ. Nous serions pour notre part tentés de croire que Trogue Pompée a construit ici un texte en s’appuyant effectivement sur deux sources, Clitarque (notamment pour les regrets exprimés plus tard par Alexandre) et une deuxième, Hégésias de Magnésie ou un autre, plaçant dans la bouche d’Alexandre de cruelles critiques à l’encontre de son propre père. Cette seconde source présentait ainsi de manière négative à la fois Philippe et Alexandre, ce qui correspond bien à la vision que portent d’eux les Histoires philippiques. Cependant l’historien gaulois a su gagner en hauteur, et faire de ce passage non seulement un moment de critique, mais un moment de rejet total, allant jusqu’au meurtre symbolique, du père. Cette élimination de la figure paternelle est concomitante de celle de l’image (voire de la notion) de la patrie, dans ce début du livre 12. Celui-ci porte enfin un dernier rejet, qui dépasse encore les précédents : l’ensemble des proches d’Alexandre.

Les siens

Lorsqu’Alexandre tue Clitos de sa propre main, il ne s’en prend pas à n’importe quel membre de son entourage. Trogue Pompée / Justin le présentent comme l’un de ses plus proches amis, assurant qu’il “tenait la palmeˮ (palmam tenebat, 12.6.3) de l’amitié du roi. Quinte-Curce rappelle aussi que Clitos avait sauvé la vie d’Alexandre au Granique17, et que le roi avait confié “à sa loyauté et à sa gouvernance la partie la plus solide de l’empireˮ18 (ualidissimam imperii partem fidei eius tutelaeque commisit, 8.1.21), ce que Trogue Pompée devait aussi développer19. De plus, un lien supplémentaire existait entre Alexandre et Clitos. Sa propre nourrice avait en effet été la sœur de ce dernier20, comme Trogue Pompée / Justin le soulignent lors des remords qui rongent le roi après son triste geste : “Le souvenir de sa nourrice, sœur de Clitos, était en effet venu s’ajouter à son regret : penser à elle, même absente, lui inspirait une très grande honte : il la payait pour l’avoir nourri d’un salaire si ignominieux que, jeune et victorieux, il renvoyait à la femme dans les bras de laquelle il avait passé son enfance, pour prix de ses bienfaits, un cadavreˮ21. Le crime est dès lors d’autant plus monstrueux qu’il touche à la famille, au sens large du terme, d’Alexandre.

Par ailleurs, cette mort intervient dans une séquence très travaillée par Trogue Pompée, qui s’ouvrait par la mort de deux autres proches d’Alexandre, son oncle et beau-frère, Alexandre d’Épire, ainsi que son général Zopyrion22. Or, s’il fut indifférent à la mort de son général, Alexandre ressentit même de la “joieˮ (laetitiae, 12.1.5) à l’annonce de la mort de son parent. Trogue Pompée / Justin reprennent ensuite la narration des actions d’Alexandre le Grand en évoquant son attitude face à l’annonce de la mort d’Alexandre d’Épire :

Haec cum nuntiata in Parthia Alexandro essent, simulato maerore propter Alexandri cognationem, exercitui suo triduo luctum indixit.

“Comme ces nouvelles étaient arrivées à Alexandre en Parthie, celui-ci, feignant une profonde affliction en raison de sa parenté avec Alexandre, imposa à son armée un deuil de trois jours.ˮ23

Cette version est unique parmi les historiens d’Alexandre. Trogue Pompée paraît s’être appuyé sur une donnée de la Vulgate, indiquant effectivement une pause à Hécatompyles, à la suite de la poursuite harassante de Darios24, pour en faire une période de deuil. Il s’appuie peut-être sur la même source que celle où il avait trouvé l’histoire de la fin tragique du roi molosse. Quoi qu’il en soit, cela ouvre la période de changement radical d’Alexandre d’une manière tout à fait claire. En plus de sa plus parfaite hypocrisie qui transperce à travers sa simulation de chagrin (simulato maerore), cet épisode montre ce qu’était à tout le moins l’indifférence totale d’Alexandre pour ce membre de sa famille25.

La séquence du début du livre 12 se poursuit avec l’exécution de Parménion et de Philotas (interficitur, 12.5.3). Comme Clitos, Parménion est désigné comme senex. Comme lui, il jouit d’une place privilégiée auprès d’Alexandre, comme l’indique le superlatif dignitate regi proximus26. Quant à Philotas, fils de Parménion, bien que le texte des Histoires philippiques tel que nous le connaissons passe ce point sous silence, il était un ami d’enfance d’Alexandre et le chef de la cavalerie des hétaïres depuis le début de l’expédition27.

Enfin, cette séquence se clôt avec la mort de Callisthène28, exécuté avec d’autres Macédoniens de premier plan. De la même manière que pour Parménion et Clitos, Callisthène est présenté comme un intime d’Alexandre, et ce depuis l’enfance : “il lui était lié de manière intime pour avoir suivi avec lui les leçons d’Aristoteˮ (condiscipulatu apud Aristotelen familiaris illi, 12.6.17). En cela, Justin, sans doute à la suite de Trogue Pompée, exagère la réalité. S’il est vrai que Callisthène a suivi lui aussi l’enseignement d’Aristote, qui était son grand-oncle29, il le fit plutôt en ayant été élevé chez lui (Plut., Alex., 55.8) en qualité de parent, plutôt qu’en ayant suivi l’enseignement dispensé par le philosophe dans le nymphée de Mieza à Alexandre et ses camarades macédoniens. Le but de Trogue Pompée / Justin est ici de renforcer les liens entre les deux hommes, afin de montrer qu’Alexandre s’attaque une fois encore à l’un de ceux qui sont le plus proches de lui30.

Enfin, ce sont ses proches au sens large, à savoir les Macédoniens qui l’accompagnent dans son expédition, ses propres soldats, qui ont à subir le rejet cruel d’Alexandre. C’est en effet dans ce début du livre 12 qu’est créé le bataillon des Indisciplinés (12.5.5-12.5.8). La création de cette troupe, où Alexandre incorpore, à la suite de la lecture de leurs lettres, tous les soldats qui pensaient du mal de lui, suit la tradition de Clitarque, mais sans doute aussi une autre source31. Cette dernière permet de montrer Alexandre qui se sépare de ses hommes (12.5.13) en les abandonnant dans des colonies lointaines de Bactriane et de Sogdiane. Il suit en cela la version de son plan la plus clémente, puisqu’il projetait “de les détruire ou de les répartir dans des colonies aux confins de la terreˮ (aut consumpturus eos aut in ultimis terris in colonias distributurus, 12.5.8). À nouveau cet épisode rejoint dans le travail qui en est fait le projet plus général de Trogue Pompée, celui de l’écartement successif de tous ceux qui entourent le roi, que ce soit par la mort ou une forme d’exil. Cet épisode est par ailleurs annonciateur d’un autre concernant les soldats, celui de la mutinerie d’Opis (12.11.4-12.12.10), où Alexandre enverra de ses propres mains à la mort treize de ses hommes. Les sinistres projets et décisions d’Alexandre à l’égard de ses soldats lors de l’épisode des Indisciplinés déteint sur celui de la mutinerie d’Opis. Au-delà d’une marque d’autorité, le lecteur est dès lors amené à voir dans la réaction d’Alexandre aux griefs de ses hommes un nouveau moyen d’éliminer autour de lui des Macédoniens dont il ne semble pas tenir la vie en haute estime.

Ajoutons, dans cette séquence du début du livre 12, un autre épisode qui jouit d’un traitement original. Trogue Pompée semble en effet avoir fait un autre choix majeur, celui de ne pas traiter longuement du complot des Pages, concernant également Callisthène. Dans le texte des Histoires philippiques, il en est fait simplement allusion :

Quae res et illi et multis principibus Macedonum exitio fuit, siquidem sub specie insidiarum omnes interfecti.

“Cette attitude causa sa perte et celle de nombreux princes macédoniens, puisque tous furent tués sous prétexte de complot.ˮ32

L’expression sub specie insidiarum montre que Trogue Pompée / Justin n’accordent pas de crédit au complot invoqué par Alexandre pour éliminer ceux qui lui apparaissent comme des ennemis. Ainsi, sa version est originale en comparaison des textes de Quinte-Curce, Arrien ou Plutarque. Plutarque en effet, s’il adopte la même attitude que Trogue Pompée / Justin en ne s’attardant pas sur le cas d’Hermolaos et de ses complices, et en se concentrant sur Callisthène, refuse la participation de ce dernier à la conjuration, mais il ne remet pas en doute son existence :

…τῶν περὶ Ἑρμόλαον ἐπιβουλευσάντων τῷ Ἀλεξάνδρῳ καὶ φανερῶν γενομένων, ἔδοξαν ἀληθέσιν ὅμοια κατηγορεῖν οἱ διαβάλλοντες…

“Aussi, quand Hermolaos conspira contre Alexandre et que les conjurés furent découverts, les accusations que ses détracteurs portèrent contre Callisthène parurent vraisemblables.ˮ33

De leurs côtés, Quinte-Curce et Arrien racontent avec une grande précision les causes, le déroulement et l’issue du complot34 , qui apparaît dès lors comme un fait avéré.

Doit-on voir dans cette différence un résumé fautif de Justin ? Au vu de la cohérence du texte qu’il nous livre, centré sur la figure de Callisthène, allant de son intervention auprès d’Alexandre rongé par le remords suite au meurtre de Clitos (12.6.17) à sa mort (12.7.3) causée par son refus de la proskynèse (12.7.1-12.7.2), cela paraît peu probable. Par ailleurs, ne pas faire du complot un fait considéré comme véridique permet de renvoyer à nouveau Alexandre à sa folie destructrice dirigée contre ses proches, qu’il s’agisse de Callisthène ou des “nombreux nobles Macédoniensˮ (multis principibus Macedonum, 12.7.2). Cette expression, qu’elle soit due à Trogue Pompée ou à Justin, qui ferait là preuve d’une compréhension fine du texte, permet de ne pas rentrer dans le détail des Pages et de ne pas circonscrire les exécutions à une poignée de jeunes gens trop fougueux35. Ici le pluriel multis semble étendre davantage le champ des exécutions ; le terme princibus montre qu’Alexandre s’attaque à son entourage le plus éminent ; le génitif Macedonum insiste à nouveau sur son rejet de la patrie et de tous ceux qui la lui rappellent.

Enfin, ce qui plaide pour un effort de reconstruction cohérent de Trogue Pompée, c’est l’insertion plus avant dans son texte d’un passage qu’il avait dû voir traité chez Clitarque, dans l’épisode du complot qu’il passa sous silence. Les textes d’Arrien et de Quinte-Curce conviennent en effet d’un même fait : Hermolaos, invité à se défendre et à expliquer sa tentative de régicide, se justifie en énumérant, selon Arrien : “la fin injuste de Philotas, et celle encore plus monstrueuse de Parménion, ainsi que des autres condamnés qui moururent à ce moment ; l’assassinat en état d’ivresse de Clitos…ˮ36 Quinte-Curce ajoute encore d’autres noms, lorsqu’Hermolaos entend montrer la situation cruelle des Macédoniens :

Quota pars Macedonum saeuitiae tuae superest ? quotus quidem non a uilissimo sanguine ? Attalus et Philotas et Parmenio et Lyncestes Alexander et Clitus, quantum ad hostes pertinet, uiuunt, stant in acie, te clipeis suis protegunt, et pro gloria tua, pro uictoria uulnera excipiunt : quibus tu egregiam gratiam retulisti.

“Combien y a-t-il de Macédoniens qui survivent à ta cruauté ? combien ? j’entends : à l’exclusion de la populace. Attale, Philotas, Parménion, Alexandre Lynceste et Clitus, pour ce qui est de l’ennemi, ils vivent, se battent à leur rang, te protège de leurs boucliers et reçoivent des blessures pour ta gloire, pour la victoire : tu les as merveilleusement récompensés.ˮ37

Or tous ces noms, et d’autres encore, se retrouvent dans le texte de Trogue Pompée / Justin juste après la mort de Clitos, lors des remords d’Alexandre. Après avoir pensé à sa nourrice, ce que l’on retrouve dans toute la tradition historique, il imagine l’ensemble des proches qu’il a fait mourir :

Tunc Parmenion et Philotas, tunc Amyntas consobrinus, tunc nouerca fratresque interfecti, tunc Attalus, Eurylochus, Pausanias aliique Macedoniae extincti principes occurrerunt. Ob haec illi quadriduo perseuerata inedia est…

“Alors Parménion et Philotas, alors son cousin Amyntas, alors sa belle-mère et ses frères qu’il avait fait tuer, alors Attale, Euryloque, Pausanias et les autres princes de Macédoine qu’il avait fait disparaître se pressèrent dans son esprit. Pour cela, il passa quatre jours à se priver de nourriture…ˮ38

Cette liste des morts est unique à cet endroit, et ce sont ces fantômes qui conduisent Alexandre à jeûner, et non le seul meurtre de Clitos. Trogue Pompée a pu développer à cet endroit la liste présente dans le discours d’Hermolaos de sa source principale, telle qu’on la trouve chez Quinte-Curce. Faisant disparaître ce passage dans son propre ouvrage, mais cette énumération servant son propos, il l’aurait avec habileté insérée peu avant, au moment des remords du roi, pour parfaire son image d’Alexandre comme bourreau de ses proches.

On trouve là en effet une récapitulation de l’ensemble des exécutions auxquelles s’est livré le Conquérant depuis les premiers chapitres du livre 11. Ainsi, si le début du livre 12 confirme ce portrait négatif d’Alexandre, celui-ci est en germe depuis le tout début, et l’on ne peut par conséquent attribuer à rien d’autre qu’à sa propre nature cette volonté d’élimination des siens. Dans la liste des victimes, Parménion et Philotas sont les seuls dont la mort fut traitée au livre 12 (12.5.3). On trouve la mention de l’exécution de tous les autres au livre 11, à l’exception de celle d’Euryloque39, dont on peut penser qu’elle fut omise par Justin.

La mort de Pausanias fut quant à elle la première évoquée par Trogue Pompée / Justin, s’il s’agit bien du meurtrier de Philippe40. En effet, le doute est permis puisque, de manière assez logique, son nom aurait dû être donné plus tôt dans la liste. Surtout, il est mention au début du livre 11 de la mort “des complices du meurtreˮ (caedis conscios, 11.2.1), et non du seul Pausanias41. Il pourrait également s’agir du commandant de la forteresse de Sardes en 334 évoqué par Arrien (1.17.7)42, mais nous n’avons pas connaissance par ailleurs qu’Alexandre l’aurait fait exécuter.

Toutes les autres victimes étaient des rivaux potentiels, éliminés lors de l’accession au trône d’Alexandre (11.2.3 ; 11.5.1-11.5.2). Il en va ainsi de son cousin Amyntas, fils de Perdiccas III, le frère de Philippe qui régna avant lui. Il en va ainsi également de Cléopâtre, désignée sous le terme nouerca43 et de son oncle Attale avec lequel Alexandre était en conflit. Le terme fratres doit quant à lui renvoyer à Caranos, rival qu’Alexandre avait selon Justin fait tuer parmi ses toutes premières mesures. On pourrait voir alors avec W. Heckel (1997, 227) l’usage d’un “pluriel rhétoriqueˮ44. Celui-ci viendrait grossir le nombre des personnes exécutées dans l’entourage d’Alexandre.

La liste des morts se clôt par un autre groupe généralisant les victimes : alii Macedoniae extincti principes, rappelant encore une fois que ce sont les Macédoniens qui sont frappés les premiers.

L. Prandi (2016 (1), 10) relève en effet que dès le livre 11 (11.5.2) “la frase … nec suis… pepercit… introduce il tema di una violenza applicata anche all’interno dell’ethnos macedoneˮ. De fait, le pronom possessif suus renvoie dans l’ouvrage à cet ethnos victime de son roi. On le retrouve de manière très nette au début du livre 12 : saeuire in suos coepit45. Et ce thème était annoncé de manière programmatique dès le livre 9 : Alexander non in hostem, sed in suos saeuiebat (9.8.15).

Ainsi Alexandre n’est plus un Macédonien car il renie sa patrie, son père et l’ensemble des siens, comme si le seul fait d’appartenir au peuple de Macédoine devenait pour lui une tare passible de mort. Toutefois, ces différents rejets ne se font que dans la mesure où Alexandre trouve en Perse matière à remplacer ce qu’il repousse et détruit.

Les adoptions d’Alexandre

Des hommes nouveaux

Au début du livre 12, encore une fois, on voit Alexandre qui s’entoure d’hommes nouveaux, susceptibles de remplacer les siens dans leurs fonctions, proches ou soldats.

Il est ainsi notable que la seule fois qu’un nom de gouverneur choisi par Alexandre est donné dans les Histoires philippiques, il s’agisse d’un Perse :

Parthis deinde domitis praefectus his statuitur ex nobilibus Persarum Andragoras. Inde postea originem Parthorum reges habuere.

“Ensuite, une fois les Parthes vaincus, on nomme leur gouverneur Andragoras, choisi parmi les nobles perses. C’est de là que les rois parthes tirèrent par la suite leur origine.ˮ46

Certes, ce qui paraît intéresser ici Trogue Pompée, c’est l’annonce de l’émergence des Parthes qui est traitée au livre 4147, ce qui correspond parfaitement au projet de son histoire universelle et au principe de la succession des empires. Justin paraît d’ailleurs s’être embrouillé lors de sa réécriture en donnant le nom d’Andragoras48. Quoi qu’il en soit, et si l’on peut admettre que le nom d’un gouverneur d’Alexandre a été conservé (même avec une erreur) par Justin en raison de cet effet d’annonce, il n’en reste pas moins qu’une autre donnée paraît particulièrement importante dans cette phrase : Alexandre a choisi le gouverneur d’une région puissante et stratégique “parmi les nobles persesˮ (ex nobilibus Persarum) et non parmi ses amis, parmi les Macédoniens.

Or, si l’on excepte le cas de la Carie, confiée à la vieille Ada qui avait reconnu Alexandre comme son fils (Arr., An., 1.23) et celui de l’Égypte49, les satrapies50 furent toutes confiées à des Macédoniens jusqu’à l’arrivée d’Alexandre à Babylone et la reddition de Mazée, noble perse qu’Alexandre mit pour la première fois à la tête d’une satrapie juste conquise51. La caste aristocratique perse se rangeait alors peu à peu derrière Alexandre pour garder ses privilèges et sa puissance52. “Dès lors, d’autres représentants de l’ancienne classe dominante furent appelés en grand nombre, que ce soit à Suse, à Persépolis ou dans les satrapies du plateau iranien. Sur les 12 satrapies conquises et organisées entre 331 et 327, une seule, l’Arachosie, échut à un Macédonien (Ménès) : toutes les autres, au début du moins, furent attribuées à des Iraniensˮ53. Ainsi la nomination par Alexandre de nombreux satrapes perses, dès la fin du livre 11 et dans les débuts du livre 12, devait être relevée par Trogue Pompée. Celui-ci devait montrer Alexandre s’entourant de nouveaux hommes de confiance issus de l’aristocratie locale au détriment des Macédoniens. Parmi eux, en raison d’un développement sur l’empire parthe probablement mal résumé, Justin n’aurait conservé que celui de Parthiène dont le nom fait question.

La mise au pouvoir d’Andragoras intervient dans les Histoires philippiques juste après le développement sur les Épigones. Or celui-ci témoigne lui aussi de la volonté d’Alexandre de s’entourer d’hommes nouveaux, non plus à l’échelle des responsables, mais à celle de ses soldats. Trogue Pompée / Justin leur donnent un nom : Epigoni (12.4.11).

Voici ce qu’écrit Plutarque à propos des Épigones :

Διὸ καὶ τρισμυρίους παῖδας ἐπιλεξάμενος ἐκέλευσε γράμματά τε μανθάνειν Ἑλληνικὰ καὶ Μακεδονικοῖς ὅπλοις ἐντρέφεσθαι, πολλοὺς ἐπιστάτας καταστήσας.

“C’est pourquoi il choisit trente mille enfants, ordonnant qu’on leur enseignât le grec et qu’on leur donnât l’éducation militaire des Macédoniens ; il préposa beaucoup d’instructeurs à cette tâche.ˮ54

On retrouve ce chiffre de trente mille et cette éducation macédonienne chez Diodore (17.108.1-17.108.3), Arrien (An., 7.6.1) et Quinte-Curce qui précise que les jeunes gens levés parmi les Perses seraient pour Alexandre “des otages en même temps que des soldatsˮ (obsides simul […] et milites, 8.5.1). Cette levée de jeunes gens a lieu avant le départ d’Alexandre en Inde, et Quinte-Curce la situe après le mariage du roi avec Roxane, et avant son arrivée à Bactres. Le but d’Alexandre était donc à la fois de prévenir tout soulèvement dans les régions qu’il laissait derrière lui et en même temps de se constituer une nouvelle force capable de remplacer le moment venu les Macédoniens de plus en plus récalcitrants55.

Or cela ne ressemble guère aux Épigones tels que les décrivent Trogue Pompée / Justin :

Sed ne solus uitiis eorum quos armis subiecerat succubuisse uideretur, militibus quoque suis permisit, si quarum captiuarum consuetudine tenerentur, ducere uxores, existimans minorem in patriam reditus cupiditatem futuram habentibus in castris imaginem quandam larum ac domesticae sedis ; simul et laborem militiae molliorem fore dulcedine uxorum ; in supplementa quoque militum minus exhauriri posse Macedoniam, si ueteranis patribus tirones filii succederent militaturi in uallo in quo essent nati, constantioresque futuri si non solum tirocinia, uerum et incunabula in ipsis castris posuissent. Quae consuetudo in successoribus quoque Alexandri mansit. Igitur et alimenta pueris statuta, et instrumenta armorum equorumque iuuenibus data, et patribus pro numero filiorum praemia statuta. Si quorum patres occidissent, nihilo minus pupilli stipendia patrum trahebant, quorum pueritia inter uarias expeditiones militia erat. Itaque a paruula aetate laboribus periculisque indurati inuictus exercitus fuere, neque aliter castra quam patriam neque pugnam aliud umquam quam uictoriam duxere. Haec soboles nomen habuit Epigoni.

“Mais pour ne pas paraître être le seul à avoir succombé aux vices de ceux qu’il avait soumis par les armes, il permit aussi à ses soldats, s’ils étaient attachés par une liaison à quelque captive, de les épouser, estimant que le désir de retourner dans leur patrie diminuerait chez ceux qui auraient dans le camp une sorte de reproduction de maison et de foyer domestique ; qu’en même temps les fatigues de leur service militaire seraient aussi adoucies par la douceur de leurs épouses ; que pour recruter des soldats, on pourrait aussi moins épuiser la Macédoine si les fils prenaient la relève de leurs pères vétérans comme recrues qui serviraient dans le retranchement où ils seraient nés, et qui seraient plus constants s’ils avaient ancré dans le camp même non seulement leur apprentissage militaire, mais aussi leur jeune enfance. Et cette coutume demeura chez les successeurs d’Alexandre également. On accorda donc aux enfants de la nourriture, on donna aux jeunes hommes leur équipement en armes et en chevaux, et on accorda aux pères des récompenses en fonction du nombre de leurs fils. Si les pères de certains avaient péri, les enfants mineurs n’en touchaient pas moins la solde de leur père, et leur enfance était un service militaire accompli au cours d’expéditions diverses. C’est pourquoi, endurcis dès leur plus jeune âge aux fatigues et aux dangers, ils formèrent une armée invincible et ils ne regardèrent ni leur camp autrement que comme leur patrie, ni jamais une bataille comme autre chose qu’une victoire. Ces enfants eurent pour nom les Épigones.ˮ56

Ce passage est extrêmement délicat. Certaines données font effectivement penser aux Épigones, comme le don d’un “équipement en armes et en chevauxˮ (instrumenta armorum equorumque) ou le fait de passer leur enfance à “l’apprentissage militaireˮ (tirocinia). Cependant, ces jeunes recrues ne sont pas levées parmi les Perses, mais sont les fruits des unions des Macédoniens et des captives. Or Alexandre a aussi pris des mesures concernant ces enfants, en proposant aux Macédoniens de veiller à leur éducation, comme nous l’apprennent Diodore (17.110.3) et Arrien57. Bien que ces deux auteurs placent ces mesures juste avant la mutinerie d’Opis, en 324, et donc bien après le développement des Histoires philippiques, on ne peut que se ranger à la vision de W. Heckel (1997, 208) qui voit une confusion de Trogue Pompée / Justin entre les Épigones et ces enfants58. À cela s’ajoute encore une complexité, relevée par N. G. L. Hammond, selon lequel ce passage serait contaminé par une vision romaine des mœurs militaires. Le passage développerait ainsi la pratique romaine d’accueil des fils de soldats dans les légions, et de récompense des pères permettant le recrutement de plusieurs enfants59.

Si une confusion de Justin est possible, il faut malgré tout que Trogue Pompée ait traité des deux phénomènes, les Épigones et les enfants de soldats, au même moment, au début du livre 1260. Cela correspond bien à son esprit de synthèse, à sa volonté de construction forte de ce passage, et au soulignement affirmé du changement s’opérant chez Alexandre.

Ainsi, on peut aussi penser que, comme chez Quinte-Curce, le recrutement des Épigones survint après les noces d’Alexandre avec Roxane et la désignation de son père Oxyartès comme satrape des Parapamisades61. Les deux événements sont liés en effet dans la volonté d’Alexandre de s’attirer la bienveillance des Perses62. Il est assez étonnant que les Histoires philippiques ne mentionnent pas ce mariage, ce qui doit provenir d’une omission de Justin. Mais il n’est pas interdit de penser que le traitement des Épigones / fils de soldats ait été fait à la suite de la narration de l’union d’Alexandre et de la princesse perse.

De fait, la confusion de Justin a pu également être provoquée par la mention liminaire des mariages des soldats d’Alexandre avec les captives auxquelles ils étaient attachés. Or il est possible que les noces du roi aient été accompagnées, de la même manière que ce qui se fera par la suite à Suse, de l’union d’autres Macédoniens avec d’autres femmes perses. Ainsi Justin a pu passer sous silence le mariage du roi pour développer davantage ceux des soldats et leurs conséquences dans ce long passage. Trogue Pompée aurait alors antéposé63 cet épisode avant les meurtres de Philotas et de Parménion, consacrant les chapitres 3 et 4 aux changements d’Alexandre (ses mœurs, son mariage, la création des Épigones), et les chapitres 5 à 7 aux réactions suscitées dans son entourage.

Ces Épigones rejoindront après leur formation Alexandre à Suse en 32464, et ce sont eux qui provoqueront l’ire des Macédoniens conduisant à la mutinerie d’Opis.

Suite au début de révolte qui souleva ses hommes, Alexandre décida de tenir les Macédoniens à l’écart et de renforcer le rôle des Perses dans l’organisation de l’armée, à leur détriment. Ainsi, “il s’adresse séparément aux troupes auxiliaires des Perses réunies en assembléeˮ (separatim auxilia Persarum in contione adloquitur, 12.12.1). L’adverbe separatim montre l’exclusion de ses troupes macédoniennes, tandis que l’usage de la contio, l’assemblée dans laquelle il les convoquait jadis65, souligne que les nouvelles recrues étrangères sont considérées comme leurs égales. Or la mesure qu’il prend devant eux est spectaculaire, puisqu’il leur accorde des places capitales dans son armée :

Hinc quoque ait custodiam corporis sui non Macedonibus tantum se uerum et illis crediturum, atque ita mille ex his iuuenes in numerum satellitum legit auxiliorumque portionem formatam in disciplinam Macedonum exercitui suo miscet.

“Il affirme ensuite également que la protection de sa personne ne sera pas confiée qu’aux Macédoniens, mais à eux aussi ; il choisit ainsi parmi eux mille jeunes hommes à compter parmi ses gardes du corps, et il mêle à sa propre armée une partie des troupes auxiliaires formée à la discipline des Macédoniens.ˮ66

La protection du roi (custodia corporis) était en effet traditionnellement confiée à des membres de l’élite macédonienne, qu’il s’agisse des Pages, des somatophylaques ou certainement des hypaspistes67. Et il n’est pas que l’élite macédonienne qui soit concernée par cette fusion des troupes. Les Perses semblent avoir intégré l’ensemble des corps de l’armée : ils ne constituent plus des “troupes auxiliairesˮ, mais deviennent des pezhetairoi ou des asthetairoi, au même titre que les Macédoniens, en intégrant la phalange68. Arrien montre bien l’ampleur de l’intégration des Perses et des Mèdes, évoquant “les commandements donnés aux Perses, les forces barbares incorporées dans les compagnies, un corps d’élite perse recevant une dénomination macédonienne, la création de Compagnons d’infanterie perses, de Compagnons d’infanterie d’autres nationalités, d’un bataillon de ‘Boucliers d’argent̕ perse, de Compagnons de cavalerie perses, fournissant aussi une autre garde royaleˮ69.

Par ce biais, Alexandre avait atteint deux objectifs. Le premier était d’avoir obtenu, par le biais d’un “chantage psychologiqueˮ70 non seulement la fin de la rébellion, mais même un retour dans son giron des Macédoniens venus le trouver “en larmesˮ (flentes), qui “le prient d’étancher sa colère par leurs supplices plutôt qu’en leur faisant outrageˮ (orant suppliciis suis potius saturaret se quam contumeliis, 12.12.6)71 et prêts à tout accepter de leur roi. Le second, par le licenciement qui s’ensuivit de “onze mille soldats vétéransˮ (undecim milia militum ueteranorum, 12.12.7), au nombre desquels, selon Trogue Pompée / Justin, se trouvaient “les plus âgésˮ de ses amis (ex amicis […] senes, 12.12.8), était un rééquilibrage complet de ses forces72. Les Macédoniens historiques, ceux de la vieille garde de Philippe73, partaient, et se trouvaient remplacés par de nouvelles recrues, jeunes et issues de l’empire qu’Alexandre avait conquis. Ainsi “en deux ans (324-323), Alexandre avait réussi à mettre sur pied une armée toute nouvelle, où se trouvaient intimement mêlés Macédoniens et Iraniensˮ74.

Les causes et les conséquences de la mutinerie d’Opis relèvent donc d’un extraordinaire changement au sein de l’armée d’Alexandre, qui n’est plus une armée macédonienne. Trogue Pompée / Justin se servent ainsi de cet épisode comme point culminant de l’ensemble des remplacements effectués par le Conquérant. Voici le discours tenu face aux troupes auxiliaires perses, tel que nous l’ont transmis les Histoires philippiques :

Laudat perpetuam illorum cum in se tum in pristinos reges fidem ; sua in illos beneficia commemorat, ut numquam quasi uictos sed ueluti uictoriae socios habuerit, denique se in illorum, non illos in gentis suae morem transisse, adfinitatibus conubiorum uictos uictoribus miscuisse.

“Il loue leur loyauté ininterrompue, aussi bien envers lui qu’envers leurs rois précédents ; il rappelle les bienfaits qu’il leur a adressés, comment il ne les a jamais traités comme des vaincus mais comme des alliés de la victoire, enfin que c’est lui qui a adopté leur mode de vie et non eux qui ont adopté celui de son peuple, qu’il a mêlé les vaincus aux vainqueurs par les liens des mariages.ˮ75

Par le fait de louer la “loyauté ininterrompueˮ (perpetuam fidem) des Perses, il les met au-dessus des Macédoniens avec lesquels il était alors en plein conflit. Lorsqu’il fait d’eux les “alliés de la victoireˮ (uictoriae socios), et non des vaincus, il rappelle les charges importantes confiées à certains d’entre eux, à la tête notamment d’un grand nombre de satrapies. Ainsi il avait écarté ses propres amis. Il avoue de même avoir “adopté leur mode de vieˮ (se in illorum morem transisse) et revient sans s’en cacher sur la manière dont il a délaissé les coutumes macédoniennes au profit des mœurs perses. Ainsi il avait oublié sa patrie. Enfin, dernier point de sa politique révolutionnaire, il évoque les mariages (conubiorum) qui créèrent pour lui une nouvelle famille.

Trogue Pompée repris par Justin développe donc l’ensemble des écarts d’Alexandre présentés par lui comme une stratégie assumée et pro-perse76. Il avait parfaitement compris les desseins d’Alexandre qu’il présente comme un grand “mélangeˮ, diluant l’identité macédonienne dans l’identité orientale. Ainsi les soldats perses sont mêlés (miscet, 12.12.4) aux soldats macédoniens77 ; ainsi les vainqueurs sont mêlés (miscuisse, 12.12.2) aux vaincus par le biais des mariages. Et c’est toute la Macédoine qui semble s’abâtardir.

Une famille nouvelle

Le mariage fut donc un moyen important d’assimilation des peuples pour Alexandre. La première fois qu’il en fit usage, ce fut avec Roxane, la fille d’Oxyartès, en 327, après la prise du Roc-de-Sogdiane78. Bien que les auteurs parlent tous d’un coup de foudre d’Alexandre pour la jeune femme79, dont le nom évoque le caractère éclatant, et le fait qu’il ne voulut pas la toucher avant de l’avoir épousée80, ce mariage avait aussi un évident caractère politique dont les Anciens ne furent pas dupes. Le texte de Plutarque montre parfaitement les deux aspects :

Καὶ τὰ περὶ Ρωξάνην ἔρωτι μὲν ἐπράχθη, καλὴν καὶ ὡραίαν ἔν τινι χορῷ παρὰ πότον ὀφθεῖσαν, ἔδοξε δ´οὐκ ἀνάρμοστα τοῖς ὑποκειμένοις εἶναι πράγμασιν. Ἐθάρρησαν γὰρ οἱ βάρβαροι τῇ κοινωνίᾳ τοῦ γάμου, καὶ τὸν Ἀλέξανδρον ὑπερηγάπησαν, ὅτι σωφρονέστατος περὶ ταῦτα γεγονὼς οὐδ´ ἧς μόνης ἡττήθη γυναικὸς ἄνευ νόμου θιγεῖν ὑπέμεινεν.

“En ce qui concerne Roxane, il agit par amour, car il l’avait trouvée belle et fraîche en la voyant dans un chœur de danse après un festin ; mais son mariage avec elle n’en parut pas moins approprié à ses desseins, car les barbares, mis en confiance par l’union du roi avec un des leurs, conçurent pour lui une affection extrême, d’autant qu’en cette occasion il montra la plus grande continence, même à l’égard de la seule femme qui l’eût soumis à son empire, et qu’il ne voulut point toucher avant de l’avoir légalement épousée.ˮ81

La portée politique du mariage est ainsi unanimement reconnue, depuis J. G. Droysen qui en fit même le moyen de “sceller la paix avec le paysˮ82. Certains vont même jusqu’à contester le fait qu’Alexandre ait pu être effectivement amoureux de Roxane83.

Le mariage avec Roxane devenant donc une étape décisive dans l’intégration de la noblesse perse à l’entourage d’Alexandre et à l’assimilation des deux peuples, il est probable que son propre mariage ait été accompagné d’autres de même nature entre ses hommes et d’autres femmes perses. C’est d’ailleurs le sens du propos que Quinte-Curce fait tenir au roi macédonien, qui déclare “essentiels pour affermir son empire des mariages entre Perses et Macédoniensˮ84. De tels mariages sont d’ailleurs rapportés par l’Épitomé de Metz85, de sorte qu’ils sont souvent considérés comme avérés86.

Or, dans la mesure où le mariage avec Roxane est absent des Histoires philippiques, et qu’il est à peu près certain qu’il devait y figurer, ne serait-ce que parce que Roxane est plus tard présentée comme l’épouse d’Alexandre87, on peut émettre l’hypothèse qu’il était développé au chapitre 4 du livre 12, avant que le roi ne “perm[î]t aussi à ses soldats, s’ils étaient attachés par une liaison à quelques captives, de les épouserˮ88. L’adverbe quoque alors ne renverrait pas de manière large aux vices auxquels succombait Alexandre, mais à son mariage avec la fille d’Oxyartès passé sous silence89. De même, le terme captiuas renverrait aux jeunes filles du banquet, présentées comme des prisonnières par les auteurs anciens90 pour magnifier le geste d’Alexandre d’en prendre une pour épouse.

On ne peut dès lors que regretter la négligence de Justin qui les aurait fait disparaître car les noces d’Alexandre et Roxane, placées par Trogue Pompée à cet endroit capital du début du livre 12, sont lourdes de sens.

En effet, elles interviennent comme le point d’orgue de la licence d’Alexandre, qui se laisse aller dans les bras de femmes barbares. Ainsi, après s’être livré à la reine des Amazones, Thalestris (12.3.5-12.3.7), Alexandre s’est abandonné à la débauche dans les anciens harems de Darios :

Vt luxum quoque sicut cultum Persarum imitaretur, inter paelicum regiarum greges electae pulchritudinis nobilitatisque noctium uices diuidit.

“Pour imiter aussi la débauche des Perses comme leur raffinement, il partagea ses nuits à tour de rôle entre les harems des favorites royales d’une beauté et d’une noblesse remarquables.ˮ91

Or, si Quinte-Curce (4.2.2 et 6.6.8) et Diodore (17.77.6-17.77.7) évoquent eux aussi ces harems, qui devaient compter trois cent soixante-cinq jeunes femmes, autant que les jours de l’année, choisies dans toute l’Asie pour leur beauté, aucun des deux auteurs ne va jusqu’à parler de la débauche (luxum) d’Alexandre. Si elle est suggérée par Quinte-Curce, Diodore va même jusqu’à indiquer qu’Alexandre profitait rarement du service de ces belles jeunes femmes !

Il y a bien ainsi une volonté de Trogue Pompée de salir Alexandre, roi oublieux de la continentia, s’oubliant dans les bras de prostituées à quoi sont assimilés les membres du harem royal par l’emploi du terme greges92. Le roi récidivera par ailleurs dans les bras de la reine Cléophis (12.7.9-12.7.11), elle-même traitée de “catinˮ (scortum). Le terme employé pour parler de son union avec Cléophis, concubitus93, est d’ailleurs le même que celui employé pour désigner celle qu’il eut avec Thalestris (12.3.6).

Dans ce contexte, le mariage d’Alexandre avec Roxane montre que le roi, cédant à ses pulsions face aux femmes barbares, ne se contente plus de rapports charnels avec elles, mais va jusqu’à les épouser. Cet épisode devait également faire écho à la rencontre d’Alexandre et Barsine au livre 11 :

…Barsinen captiuam diligere propter formae pulchritudinem coepit, a qua postea susceptum puerum Herculem uocauit.

…“il se mit à aimer, à cause de la beauté de ses formes, une prisonnière, Barsine, dont il eut plus tard un enfant qu’il appela Hercule.ˮ94

Seul Plutarque rapporte également les amours d’Alexandre et Barsine95. Mais son approche est très différente. Alors que ce dernier fait de la haute naissance et de la culture grecque de la jeune femme les causes de l’amour qu’Alexandre lui porta96, Trogue Pompée / Justin insistent sur sa beauté physique (propter formae pulchritudinem) et donc sur le désir sensuel d’Alexandre. La ressemblance des deux scènes de rencontre entre Alexandre et Barsine d’un côté, et Alexandre et Roxane de l’autre, l’amour né de la beauté de la femme, l’attachement du roi à une prisonnière (captiuam) peut être l’une des explications de l’omission par Justin de la seconde union.

Pourtant, si l’épisode d’Alexandre et Barsine a dû ressembler au très probable épisode d’Alexandre et Roxane dans l’œuvre de Trogue Pompée, une différence majeure s’opère. En effet, Alexandre n’alla pas jusqu’à épouser sa prisonnière dans le premier cas97. Le fait qu’il s’unisse à Roxane devait ainsi montrer l’évolution majeure du roi face aux barbares, qu’il rattachait dès lors à sa famille.

Centrale, l’union avec Roxane annonçait de plus un autre événement, tout à fait majeur, celui des noces de Suse98 :

Filiam post haec Darii regis Statiram in matrimonium recepit, sed et optimatibus Macedonum lectas ex omnibus gentibus nobilissimas uirgines tradit, ut communi facto crimen regis leuaretur.

“Après cela il épousa la fille du roi Darios, Stateira, mais il donna également aux meilleurs des Macédoniens les plus nobles jeunes filles, choisies dans tous les peuples, pour que fût allégée l’accusation portée contre le roi par le partage de sa conduite.ˮ99

Ces noces sont également rapportées par Plutarque (Alex., 70.3) et Diodore (17.107.6) dont le texte est très proche de la version de Justin. Athénée (12.4 ; FGrH 125 F4) livre aussi la version de Charès, qui eut certainement à organiser l’immense cérémonie100. Mais c’est le texte d’Arrien (An., 7.4.4-7.4.8) qui permet le mieux de connaître l’ampleur et le détail de ces noces. Elles concernèrent à la fois Alexandre qui épousa, selon Aristobule, Stateira101, fille de Darios, et Parysatis, fille d’Ochos, Héphestion qui se maria avec Drypétis, cadette de Stateira, la plupart de ses plus proches Compagnons102, ainsi que quatre-vingts hommes de son entourage103.

Ces noces constituent donc un “véritable pacte de gouvernementˮ104 par l’union des plus nobles Macédoniens avec les femmes perses issues des familles les plus notables. Ainsi Alexandre créait une aristocratie mixte, comme il devait créer une armée mixte.

Pour Trogue Pompée / Justin, et l’allusion à l’“accusationˮ portée contre le roi ne permet pas d’en douter, il s’agissait d’un nouveau pas dans la dégradation de l’identité macédonienne, ce qui prévaut sur le caractère politique du mariage avec la fille de Darios.

Par ce mariage surtout, Alexandre achève un processus entamé depuis longtemps : il devient pleinement un membre de la famille achéménide.

Ce mariage avait été suggéré par Alexandre, selon une invention de Trogue Pompée105, dès sa rencontre avec la petite Stateira dans le camp d’Issos, après la fuite de son père. C’est ainsi la preuve que l’historien gaulois avait lors de son écriture la conscience de l’évolution à venir d’Alexandre, et qu’il l’inscrivait dans son propre projet d’historien. Ainsi, toutes les marques de générosité d’Alexandre à l’égard de la famille royale perse sont à relire sous un autre angle : lorsqu’Alexandre ordonne que l’on considère les femmes de la famille de Darios “comme des reinesˮ (ut reginas, 11.9.15), lorsqu’il pleure sincèrement à la mort de Stateira, épouse de Darios, et suit son convoi funèbre (11.12.6), lorsqu’enfin il verse des larmes sur le cadavre de Darios et ordonne qu’on l’enterre avec les honneurs royaux dans le tombeau de ses ancêtres (11.15.14), il n’agit pas comme un ennemi, même généreux, mais bel et bien comme un membre de la famille106. Ce rapprochement d’Alexandre de la famille achéménide est d’autant plus net que dans le même temps, depuis surtout sa visite au sanctuaire d’Ammon (11.11.2-11.11.12), il se détache de la figure de Philippe et la rejette.

Darios de son côté, au moment de sa mort, fait d’Alexandre son successeur et prie pour lui “les divinités d’en haut et d’en bas, ainsi que les dieux qui veillent sur les rois, qu’il lui soit donné d’avoir, victorieux, l’empire de toutes les terresˮ107. En plus de faire d’Alexandre son héritier, il lui rend grâce à deux reprises de sa conduite envers “sa mère et ses enfants ˮ, et il relève ce paradoxe :

…quippe matri et liberis suis ab eodem hoste uitam datam, sibi a cognatis ereptam, quibus et uitam et regna dederit.

…“pour sa mère et ses enfants, la vie fut accordée par ce même ennemi, alors que pour lui elle lui fut arrachée par des parents auxquels il avait donné leur vie et leurs royaumes.ˮ108

Le parallélisme antithétique (matri et liberi / ab hoste / uitam datam // sibi / a cognatis / ereptam) est lourd de sens : alors que les parents sont devenus des ennemis, l’ennemi est devenu un parent, en ayant accordé la vie à la famille de Darios. La fin de la séquence va encore plus loin : donner la vie, c’est précisément ce que Darios avait fait à ses parents ; ainsi Alexandre marche sur ses traces et le remplace. De la sorte, le roi mourant fait d’Alexandre un véritable membre de sa famille, et c’est la position que ce dernier adoptera.

De fait, à la suite de la mort du souverain perse, Alexandre se prend pour l’héritier légitime et pour le nouveau roi achéménide109. Il considère ainsi Bessos et ses complices comme des traîtres et invite les Macédoniens à faire la chasse à “ceux qui ont fait défection au royaumeˮ (eos […] qui a regno defecerint, 12.3.3)110. Le début du livre 12 cristallise ainsi le changement de statut d’Alexandre, notamment au moment de la capture de Bessos :

Interea unus ex amicis Darii, Bessus, uinctus perducitur, qui regem non solum prodiderat, uerum et interfecerat. Quem in ultionem perfidiae excruciandum fratri Darii tradidit, reputans non tam hostem suum fuisse Darium quam amicum eius a quo esset occisus.

“Pendant ce temps l’un des amis de Darios, Bessos, lui est amené enchaîné, lui qui avait non seulement trahi son roi mais qui l’avait aussi tué. Pour tirer vengeance de sa perfidie, il le livre au frère de Darios afin qu’il le torture, en se disant que Darios n’avait pas tant été son ennemi que l’ami de celui par lequel il avait été tué.ˮ111

Alexandre ne considère pas Darios comme un ennemi, et entend le venger. Or, pour ce faire, il s’intègre à nouveau au sein de la famille du feu roi, en confiant le criminel à son frère112. Et il laisse la justice perse s’exercer : Bessos se verra, selon la coutume en vigueur dans l’empire, couper les oreilles et le nez selon Arrien (An., 4.7.3-4.7.4) qui juge “barbareˮ (βαρβαρικήν) cette mutilation et condamne Alexandre de l’avoir permise113.

Ainsi, le mariage d’Alexandre et de Stateira n’est que la conclusion de ce long processus qui voit Alexandre se montrer proche de la mère de Darios et de ses enfants, de sa femme, de Darios lui-même, et de son frère, se comportant tout comme un membre de la famille, partageant les mêmes ennemis, tandis que dans le même temps il renie son père et s’acharne contre les siens.

Ce changement de famille sera souligné par Trogue Pompée / Justin au début du livre 13. La mère de Darios en effet, “à l’annonce du décès d’Alexandre, se donna elle-même la mort, non parce qu’elle avait préféré un ennemi à son fils, mais parce qu’elle avait trouvé la tendresse d’un fils dans l’homme qu’elle avait craint comme son ennemiˮ114. Nouveau fils de Sisigambis, époux d’une nouvelle Stateira, Alexandre apparaît en tout point comme un nouveau Darios, devenant par ailleurs le “pèreˮ (parentem, 13.1.4) des “peuples barbaresˮ (barbarae gentes) qui pleurèrent sa mort.

Des mœurs nouvelles

Si les barbares pleurèrent la mort d’Alexandre, c’est que, dans l’esprit de Trogue Pompée que suit Justin, il était devenu un barbare lui-même. Et si ceux-ci le reconnaissaient comme un des leurs, ce n’était pas seulement parce qu’Alexandre s’était entouré de Perses, pas non plus seulement parce qu’il les avait intégrés à son armée, ce n’était pas juste parce qu’il s’était uni à des femmes de leur peuple et avait invité ses hommes à en faire autant, pas juste parce qu’il avait adopté la famille de Darios qu’il remplaçait à la tête de l’empire, mais c’était aussi, et surtout, parce qu’il se conduisait comme l’un d’entre eux, qu’il avait adopté leurs mœurs, qu’il n’était dès lors plus un Macédonien.

L’adoption des mœurs perses semble avoir été un point capital pour l’historien gaulois. Le fait qu’il s’empare du sujet, certainement en suivant une autre source que Clitarque, dès la prise des richesses du camp d’Issos et du trésor de Damas, et cela au risque d’une redondance avec les chapitres suivants115, en atteste.

C’est cependant, encore une fois, au début du livre 12, entre les chapitres 3 et 7 construits comme ceux de la rupture dans l’image d’Alexandre, que l’orientalisation du roi est le plus abondamment traitée. Et Justin ne perd pas une occasion de la rappeler, suivant sûrement en cela de très près Trogue Pompée. Ainsi, après avoir consacré un long passage à l’adoption des tenues et de certaines pratiques perses (his moribus, 12.3.8-12.3.12), Trogue Pompée / Justin répètent qu’Alexandre a fait siennes les mœurs perses (mores Persarum, 12.4.1) et abandonné celles de son pays (patris Philippi patriaeque mores subuertisse, 12.5.1), avant d’aborder la proskynèse, empruntée à “la coutume perseˮ (more Persico, 12.7.1). Si le développement de ce thème est commun à l’ensemble des historiens d’Alexandre, cette insistance, pour ne pas dire cette obsession, est propre à nos auteurs116. Sa place en début de chapitre donne le sentiment que le changement de mœurs est à l’origine de tout nouvel épisode traité, et donc la source de tous les maux, le premier écart permettant à la mécanique infernale de la dégénérescence de s’actionner.

Si aujourd’hui la politique iranienne d’Alexandre est comprise par tous117 comme une nécessité, ce dernier devant passer par l’adoption des coutumes auliques achéménides pour se concilier l’aristocratie locale, imposer sa domination sur un si large territoire, et pouvoir poursuivre son expédition, le traitement qu’en font Trogue Pompée / Justin méconnaît ces impératifs politiques118. Il se livre ainsi à un catalogue des nouveautés introduites par le roi, qui montre son irrémédiable évolution.

L’orientalisation d’Alexandre semble avoir une source première : le luxe et le contact des richesses dont les Macédoniens s’emparent. C’est ainsi que le tout premier passage concernant la corruption des mœurs d’Alexandre, hérité d’une autre source que Clitarque, se situe juste après la prise du trésor de Damas, et Trogue Pompée / Justin donnent ce préalable au changement d’attitude d’Alexandre : “Après quoi, ayant contemplé les trésors de Darios et le faste de ses richesses, il est pris d’admiration pour de telles merveillesˮ (post haec opes Darii diuitiarumque apparatum contemplatus, admiratione tantarum rerum capitur, 11.10.1).

À propos de merveilles, Alexandre avait trouvé, dans le camp perse, “une grande quantité d’or et de toutes les autres richessesˮ (multum auri ceterarumque opum, 11.9.11). Et Quinte-Curce livre de son côté un inventaire incroyable du butin que Parménion fit à Damas, et que Trogue Pompée avait dû rapporter : “il y avait là une somme d’argent monnayé de deux mille six cents talents ; le poids de l’argent travaillé en représentait cinq cents : en outre, on prit trente mille hommes, ainsi que sept mille bêtes de somme avec les charges qu’elles portaient sur le dosˮ119.

Trogue Pompée / Justin développent encore ce thème peu après en indiquant que “les gouverneurs de Darios se livraient eux-mêmes avec une grande quantité d’or, se soumirent au pouvoir des vainqueursˮ (ipsis Darii praefectis cum auri magno pondere tradentibus se, in potestatem uictorum uenerunt, 11.10.5). Si Diodore (17.40.2) parle lui aussi de manière vague de redditions de cités phéniciennes, si Arrien et Quinte-Curce évoquent les soumissions d’Arados, Marathos et Sigon (An., 2.13.8 et 4.1.5-4.1.6) ainsi que de Byblos (An., 2.15.6 et 4.1.15), aucun d’eux ne mentionne la remise d’une grande quantité d’or (cum pondere auri magno) comme on la rencontre dans les Histoires philippiques. Et leurs auteurs d’en rajouter en évoquant quelques lignes plus tard la remise par les Tyriens d’une “couronne d’or d’un grand poidsˮ (coronam auream magni ponderis, 11.10.10), dont Quinte-Curce (4.2.2) rapporte également le don, mais sans rien dire de son poids.

Ainsi l’Orient apparaît comme le monde du luxe et de la profusion. Trogue Pompée / Justin n’avaient pas attendu les premières victoires d’Alexandre pour le montrer. Avant même son départ, on apprenait qu’à Athènes l’orateur Démosthène avait été corrompu par les Perses “avec une grande quantité d’orˮ (magno auri pondere, 11.2.7). L’or est partout, et partout en grande quantité, comme le montre la triple occurrence de l’expression magnum pondus. Il n’est pas jusqu’aux chaînes qui entravent Darios prisonnier de Bessos qui ne soient en or120 (aureis compedibus catenisque, 11.15.1) !

Cette débauche de richesses est également visible après la bataille de Gaugamèles, lors du paiement des soldats, et surtout des prises de Suse et de Persépolis, dont les Macédoniens découvrent les trésors :

Donatis refertisque militibus XXXIV diebus praedam recognouit. In urbe deinde Susa XL milia talentum inuenit. Expugnat et Persepolim, caput Persici regni, urbem multis annis inlustrem refertamque orbis terrarum spoliis quae in interitu eius primum apparuere.

“Une fois ses soldats récompensés et comblés, il fit la revue du butin trente-quatre jours. Il trouve ensuite dans la ville de Suse quarante mille talents. Il prend aussi Persépolis, capitale du royaume persique, ville illustre depuis de nombreuses années et remplie des dépouilles du monde entier, qui ne furent visibles pour la première fois qu’à sa destruction.ˮ121

Les Macédoniens s’emparent de butins de plus en plus précieux, dans un mouvement de gradation bien conduit par Trogue Pompée / Justin, depuis celui de Gaugamèles jusqu’à celui de Persépolis, dont il semble impossible de rendre compte122. Plus la conquête avance, plus Alexandre et ses hommes se retrouvent maîtres de richesses inimaginables. Ce point semblait crucial pour Trogue Pompée (et pour Justin qui conserva dans son texte l’ensemble de ces prises de guerre), si bien qu’il fut le seul auteur de la Vulgate à faire état du transfert de cette incroyable fortune à Ecbatane (12.1.3), ce qui lui permet d’ouvrir le livre 12 en imposant cette thématique majeure.

La richesse des rois perses était connue des Grecs, et elle les fascinait. Athénée va ainsi jusqu’à affirmer que “les premiers de tous les hommes à s’être illustrés par leur luxe furent les Persesˮ123. Et pour preuve, il cite de nombreux auteurs à en avoir rendu compte : Dinon, Héraclide de Cumes, Cléarchos de Soles, Charès de Mitylène, Amyntas, Agathoclès et Xénophon, faisant tour à tour état de la préciosité des parfums, du tabouret et du trône royal, des vases et cratères, jusqu’à l’oreiller du roi, pour ne rien dire de la célèbre Vigne d’or124, et sans oublier les cortèges d’eunuques et de concubines125.

On ne s’étonne dès lors pas que, au moment de partir à la guerre contre ce pays, les richesses de l’Orient constituent la principale motivation des soldats :

…quippe obliti omnes coniugum liberorumque et longinquae a domo militiae Persicum aurum et totius Orientis opes iam quasi suam praedam ducebant, nec belli periculorumque, sed diuitiarum, meminerant.

“De fait tous oubliaient leurs femmes, leurs enfants et l’expédition militaire loin de chez eux, et regardaient l’or perse et les ressources de tout l’Orient déjà comme leur propre butin, et ce n’était pas à la guerre et aux dangers, mais aux richesses qu’ils songeaient.ˮ126

Aurum, opes, diuitiarum : voilà ce qui obsède les hommes au point d’oublier les leurs. C’est ainsi tout naturellement qu’Alexandre, pour donner du cœur à une partie de ses troupes avant la bataille d’Issos, évoque “l’étalage des ressources et des richessesˮ (opum ac diuitiarum ostentatione, 11.9.4) dont ils pourront se faire un butin, en usant du même vocabulaire.

Lors de leur lecture, les Romains n’étaient d’ailleurs pas non plus étonnés de la profusion d’or, d’argent et d’objets précieux évoqués par les textes. L’Orient est resté attaché à cette abondance et à ce luxe dans les esprits127. Par exemple, c’est suite au triomphe de Manlius Vulso en 187 avant notre ère, par le retour de l’armée d’Asie, que Tite-Live estime que “le luxe des nations étrangèresˮ (luxuriae peregrinae, 34.6.7) est entré dans Rome ; ainsi les témoignages de Pline sur les importations de produits de luxe perse128 sont éloquents, et les font remonter notamment à l’époque de Pompée129.

Pour les Grecs et les Macédoniens comme pour les Romains, la richesse extraordinaire des Grands Rois était bien réelle. Ce luxe (τρυφή) remarqué par Athénée et les autres auteurs qu’il cite est constitutif du pouvoir monarchique perse. Avec les règles protocolaires strictes, il est l’un des moyens par lesquels “quoi qu’il fasse (marcher, dormir, manger, chasser, faire l’amour, etc.), le Grand Roi se distingue et veut se distinguer du commun des mortelsˮ en tant qu’“être à part, auquel on doit un respect et une soumission sans limiteˮ130. Ainsi Alexandre, pour s’imposer comme le nouveau Grand Roi légitime, devait faire sien ce luxe hérité des Achéménides131, cette “magnificence royaleˮ (regiam magnificentiam, 12.3.11).

Ce luxe ostentatoire commence au livre 12 par l’adoption du costume perse (habitum regum Persarum, 12.3.8), qui comporte un diadème (diadema) et une “longue robe de pourpre et brodée d’orˮ (longam uestem auratam purpureamque, 12.3.9), dont les matériaux soulignent la valeur. Ces insignes de la royauté sont attestés dans nombre de représentations de l’art achéménide132 ainsi que dans les textes133. C’est Quinte-Curce qui nous livre le témoignage le plus précis sur la kandys, la robe royale :

Cultus regis inter omnia luxuria notabatur ; purpureae tunicae medium album intextum erat, pallam auro distinctam aurei accipitres, uelut rostris inter se concurrerent, adornabant ; ex zona aurea muliebriter cincta acinacem suspenderat, cui ex gemma uagina erat. Cidarim Persae uocabant regium capitis insigne ; hoc caerulea fascia albo distincta circumibat.

“Le vêtement du roi se distinguait par une somptuosité extraordinaire : une broderie blanche occupait le milieu d’une tunique de pourpre ; des éperviers d’or, qui paraissaient s’attaquer du bec, rehaussaient la beauté d’un manteau broché d’or ; à une ceinture d’or, nouée à la façon des femmes, était suspendu un cimeterre dont le fourreau n’était qu’une gemme. Le diadème, insigne royal, s’appelait en Perse cidaris ; c’était un turban outremer à nuances blanches, qui ceinturait la tête.ˮ134

L’épisode de l’abandon par Darios de sa robe lors de sa fuite loin du champ de bataille d’Issos, qui a pour conséquence la conviction de sa famille que celui-ci est mort, témoigne de l’importance de cette marque majeure de la royauté, qu’un monarque digne de ce nom n’aurait pas dû abandonner135.

Pour atténuer l’orientalisation d’Alexandre, Plutarque (Alex., 45.2) et Diodore (17.47.5) soulignent que ce dernier n’a pas adopté l’ensemble du costume du roi perse136. Trogue Pompée / Justin, eux, n’en disent rien. Leur texte évoquant l’injonction adressée “aussiˮ (quoque, 12.3.9) à ses hommes de porter la tenue d’or et de pourpre137 peut cependant faire douter qu’ils désignaient par cette expression la kandys.

Quant au diadème arboré par Alexandre, il est le plus souvent associé à la tiare138, que seul le Grand Roi peut porter droite139 et qu’il venait enserrer. Il existe à son sujet de nombreux débats, dans la mesure où le diadème seul ne semble pas être réservé uniquement au Grand Roi140. Ainsi Alexandre aurait pu refuser de prendre pour lui un des insignes royaux. Le fait qu’Arrien (4.7.4) assure qu’Alexandre arborait une tiare ne vaudrait pas comme une preuve, car ce passage serait de son invention141 et porteur ainsi d’une erreur de sa part. Et cette orientalisation serait encore atténuée par le fait qu’Alexandre aurait porté ce diadème par-dessus la kausia, couvre-chef macédonien142.

Si ce débat est intéressant pour ce qui est du projet d’Alexandre et de la nature réelle de son orientalisation, il n’en est pas besoin pour éclairer le texte des Histoires philippiques. De fait, que la robe pourpre soit ou non la kandys, que Trogue Pompée / Justin aient voulu évoquer la tiare en parlant du diadème ou qu’ils aient considéré ou non le diadème comme l’un des insignes royaux, cela importe peu. C’est par le luxe de ces attributs qu’Alexandre imite le Grand Roi, et le diadème et l’or constituent pour le lecteur des symboles de puissance suffisants. Quant à la question de l’orientalisation, elle est totale pour Trogue Pompée et son épitomateur qui précisent, à propos du diadème, qu’il “n’était pas utilisé auparavant par les rois macédoniensˮ (diadema insolitum antea regibus Macedonicis, 12.3.8).

L’orientalisation d’Alexandre se fait ensuite par ses nouvelles mœurs sexuelles :

Vt luxum quoque sicut cultum Persarum imitaretur, inter paelicum regiarum greges electae pulchritudinis nobilitatisque noctium uices diuidit.

“Pour imiter aussi la débauche des Perses comme leur raffinement, il partagea ses nuits à tour de rôle entre les harems des favorites royales d’une beauté et d’une noblesse remarquables.ˮ91

On observe un parallèle (ut… sicut…) entre la richesse du vêtement et les objets de débauche d’Alexandre. Une fois encore, la nouveauté vient de la profusion, comme le montrent les pluriels greges et paelicum, mais aussi l’expression noctium uices diuidit qui doit faire référence au fait qu’Alexandre disposait, selon certaines sources, d’une maîtresse pour chaque nuit de l’année.143 Le luxe se distingue également par la qualité des maîtresses, electae pulchritudinis nobilitatisque. À nouveau, les concubines royales sont, comme les vêtements et parures du Grand Roi, une marque de sa splendeur royale144 ; mais Trogue Pompée / Justin, à la suite des auteurs grecs145, n’y voit que “débaucheˮ (luxum) dans les bras de prostituées, auxquelles renvoie clairement le terme paelicum146.

Enfin, ce sont les banquets auxquels participe Alexandre qui se parent de la splendeur perse147.

His rebus ingentes epularum apparatus adicit, ne ieiuna et destructa luxuria uideretur, conuiuiumque iuxta regiam magnificentiam ludis exornat…

“À cela il ajouta une pompe somptueuse dans les festins, de peur que leur prodigalité ne parût mal pourvue et atténuée, et il rehausse le banquet de jeux répondant à la magnificence royale… ˮ148

La pratique du banquet est normale pour un Macédonien, tout comme un Grec. Ce n’est donc pas le fait de participer à des banquets qui est choquant, mais à nouveau le luxe qui y est apporté, et qui dépare avec la frugalité dont faisait par exemple preuve Philippe149.

Ainsi le luxe inouï des banquets perses150 se répand dans le texte de Trogue Pompée / Justin, dès le livre 11 où il est question des “banquets fastueuxˮ (luxuriosa conuiuia, 11.10.2) et au livre 12, lorsqu’il évoque la “pompe somptueuse des festinsˮ (ingentes epularum apparatus, 12.3.11) ainsi que la “magnificence royaleˮ (regiam magnificentiam, 12.3.11). Ce faste démesuré était parfaitement connu des Grecs, qui s’en sont quelquefois emparé, et les auteurs en ont souvent fait état, tels Ménandre cité par Athénée qui se livre à un véritable catalogue des différentes coupes présentes sur les tables des banquets151. Le texte de Quinte-Curce en donne également de nombreuses illustrations, comme pour ce qui est du trésor de Damas152.

La magnificence des banquets ne consiste pas seulement dans le luxe du mobilier et de la vaisselle. Trogue Pompée / Justin notent qu’Alexandre “la relève par des jeuxˮ (ludis exornat, 12.3.11). Ces jeux correspondent sans doute à toutes les animations qui agrémentaient les festins de la cour perse. En effet, dans la mesure où le banquet constituait “une manifestation sociale et politique d’une valeur symbolique bien marquéeˮ, il devenait “un lieu éminent de la redistribution et de la largesse royale. En d’autres termes, en Perse comme ailleurs, le banquet est une fêteˮ153 où l’on voit s’animer autour des convives des musiciennes, mais aussi, selon Athénée, des rhapsodes, des flûtistes, des harpistes, des chanteurs et danseurs, et même, aux noces de Suse, des jongleurs indiens154 !

Les musiciennes sont probablement les concubines royales qui “jouaient de divers instrumentsˮ d’après la Lettre de Parménion rapportée par Athénée155, qu’il convient de citer. On y découvre un inventaire du butin fait par le général d’Alexandre à Damas, qui rend compte de la richesse excessive des banquets perses :

Ἐσπουδάκεσαν δὲ καὶ οἱ βασιλεῖς περὶ τὰς μουσουργούς, ὡς δῆλον ποιεῖ Παρμενίων ἐν τῇ πρὸς Ἀλέξανδρον Ἐπιστολῇ ἣν ἐπέστειλεν αὐτῷ μετὰ τὸ Δαμασκὸν ἑλεῖν καὶ τῆς ἀποσκευῆς τῆς Δαρείου ἐγκρατὴς γενέσθαι. Καταριθμησάμενος οὖν τὰ αἰχμάλωτα γράφει καὶ ταῦτα . “παλλακίδας εὗρον μουσουργοὺς τοῦ βασιλέως τριακοσίας εἴκοσι ἐννέα, ἄνδρας στεφανοπλόκους ἓξ καὶ τεσσαράκοντα, ὀψοποιοὺς διακοσίους ἑβδομήκοντα ἑπτά, χυτρεψοὺς εἴκοσι ἐννέα, γαλακτουργοὺς τρεισκαίδεκα, ποτηματοποιοὺς ἑπτακαίδεκα, οἰνοηθητὰς ἑβδομήκοντα, μυροποιοὺς τεσσαράκοντα.ˮ

“Même les rois ont manifesté un grand intérêt pour les musiciennes, comme le relève la lettre envoyée par Parménion à Alexandre après la capture de Damas, quand il prit possession des bagages de Darius. Ayant fait procéder à un inventaire des prises de guerre, il écrit aussi ce qui suit : ‘J’ai découvert, au nombre de 329, des concubines royales qui jouaient divers instruments de musique ; des tresseurs de couronnes, au nombre de 46 ; des cuisiniers, au nombre de 277 ; des marmitons, au nombre de 29 ; des cuisiniers spécialisés dans les mets au laitage, au nombre de 13 ; des préparateurs de boissons, au nombre de 17 ; des filtreurs de vin au nombre de 70 ; des fabricants de parfum, au nombre de 14.̕ˮ156.

Cette lettre révèle enfin le dernier aspect, assez attendu, de ce luxe démesuré : la prodigalité des mets157. Trogue Pompée / Justin la relèvent eux aussi lorsqu’ils évoquent la “magnificence des metsˮ (magnificentiam epularum, 11.10.2) et la peur d’Alexandre que “leur prodigalité ne parût mal pourvue et atténuéeˮ (ne ieiuna et destructa luxuria uideretur, 12.3.11) lorsqu’il adopte la coutume des repas perses. Lorsque le roi tue de sa main Clitos, il regrette d’ailleurs de l’avoir fait périr “au milieu des mets et des coupesˮ (inter epulas et pocula, 12.6.6).

Deux banquets sont développés dans le livre 12 des Histoires philippiques : celui qui vit mourir Clitos et celui où Alexandre fut atteint d’un mal devant le mener à la mort. Or ces tristes épisodes sont tous les deux liés à la prodigalité des repas, non pas en nourriture, mais en boisson. Le premier se déroule à un “banquetˮ (conuiuium, 12.6.1), et part d’une conversation “entre convives pris de vinˮ (inter ebrios, 12.6.2)158. L’ivrognerie d’Alexandre est plus mise en valeur encore dans le second, lorsque le roi “organisa un banquet selon la coutume autrefois interrompueˮ (intermissum olim conuiuium sollemniter instituit, 12.13.6) pour fêter le succès de l’expédition maritime de Néarque159. L’excès apparaît surtout dans le temps consacré à la fête. Ainsi, alors que le premier banquet se prolonge toute la nuit jusqu’au jour (12.13.7), il retourne à une nouvelle orgie (comisatione, 12.13.7) organisée chez Médios160. La vision d’Alexandre pris d’une affreuse douleur au milieu de l’absorption d’une coupe (media potione, 12.13.9), et la rumeur selon laquelle sa mort serait due à une “ivresse excessiveˮ (intemperiem ebrietatis, 12.13.10) parachèvent le tableau d’un Alexandre ivrogne, conforme à la vision pamphlétaire véhiculée par Éphippos et Nicoboulè161.

Ces excès dévoient ainsi complètement la nature du banquet tel que les Grecs l’imaginaient. C’est ainsi par exemple que, dans Le Banquet, sur les conseils d’Éryximaque, “tout le monde fut d’accord de ne point passer la présente réunion à s’enivrer et de ne boire qu’à plaisirˮ. Et Éryximaque de surenchérir : “Puisqu’on a décidé que chacun boirait à sa guise et sans contrainte, je propose d’envoyer promener la joueuse de flûte qui vient d’entrer ; qu’elle joue pour elle-même ou, si elle veut, pour les femmes à l’intérieur ; pour nous, passons le temps aujourd’hui à causer ensemble ; si vous voulez, je vais vous proposer un sujet d’entretienˮ162.

Refus de l’ivresse, refus de la musique d’une jeune femme : le banquet idéal voulu par Platon163 est bien loin des coupes d’Héraclès et des centaines de courtisanes joueuses de flûte qui entourent Alexandre dans ses agapes ! Surtout, le banquet doit être le lieu de l’échange, où chaque convive a un droit de parole égal à celui des autres, de sorte que “le banquet était une assemblée délibéranteˮ164. Plutarque affirme d’ailleurs que cette conception du banquet était partagée par les Grecs et les Perses165. Or Alexandre ne laisse pas libre la parole de Clitos166 et le banquet, au lieu d’être un lieu d’échanges, est devenu un champ de bataille, ce que soulignent ses remords :

Reputabat […] quam amarum et triste reddiderit conuiuium suum, non armatus in acie quam in conuiuio terribilior.

“Il songeait […] combien il avait rendu son festin amer et funeste, lui qui ne fut pas plus terrible en armes au combat que dans un festin !ˮ167

L’adoption des mœurs perses met ainsi en avant des évolutions sensibles du caractère d’Alexandre. Voilà un roi qui a abandonné certaines qualités éminentes, à commencer par sa continentia et sa moderatio, pour succomber à la mollitia et à la lasciuia168 sous les effets du luxe, de la profusion, de la facilité169. Or ces défauts sont ceux qui justifient précisément la défaite de Darios, comme le notent Trogue Pompée / Justin dans un propos général et moralisant affirmant “qu’on perd d’habitude par de telles mœurs de si grands empires, et qu’on ne les acquiert pasˮ170.

Il est un exemple qui témoigne bien du rapport entre luxe et mollitia et qui touche au domaine militaire. Avant la bataille de Gaugamèles, les Histoires philippiques décrivent des soldats macédoniens admirant “la multitude des hommes, la taille de leurs corps, la beauté de leurs armesˮ (multitudinem hominum, corporum magnitudinem armorumque pulchritudinem, 11.13.5) tandis qu’“Alexandre avertissait les Macédoniens de ne pas se laisser impressionner par la multitude des ennemis, ni la taille de leurs corps ou l’étrangeté de leur couleurˮ (Alexander Macedonas monebat, ne multitudine hostium, nec corporis magnitudine uel coloris nouitate mouerentur, 11.13.8). De fait, Darios a réuni des forces venant de toutes les parties de son empire, et une armée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes171. Ainsi l’étonnement des Macédoniens provient bien du nombre des ennemis, mais tout autant, si ce n’est plus, de leur richesse éclatante, qui apparaît dans “la beauté des armesˮ (armorum pulchritudinem) et dans “l’étrangeté de leur couleurˮ172 (coloris nouitate). Enfin, Alexandre engage ses hommes en leur clamant que :

… quemadmodum Dario maiorem turbam hominum esse, sic uirorum sibi. Hortatur, spernant illam aciem auro et argento fulgentem, in qua plus praedae quam periculi sit, cum uictoria non ornamentorum decore, sed ferri uirtute quaeratur.

…“de même que Darios avait une plus grande foule d’individus, de même il avait lui une plus grande foule d’hommes. Il exhorte à mépriser cette armée rangée qui brille d’or et d’argent, dans laquelle se trouve plus de butin que de danger, puisque la victoire ne s’acquiert pas à la parure des armures mais à la valeur du fer.ˮ173

Ainsi se retrouvent des emprunts à des traditions à la fois grecque et romaine. Les Grecs en effet avait raillé la décadence de l’armée perse, dont “la richesse et le luxe (tryphè) conduisent inexorablement les peuples à se féminiser et à abandonner leurs vertus guerrières traditionnellesˮ174. C’est ainsi que Justin, dans un texte certainement proche de celui de Trogue Pompée175, oppose les Perses en tant qu’hominum et les Macédoniens en tant que uirorum. Or ce qui différencie pour les Romains un homme uir d’un homme homo, c’est sa qualité intrinsèque de uirtus, de courage autant que de vertu176. Ainsi les soldats de Darios, Perses ou Indiens, se voient retirer leur qualité d’hommes et sont féminisés : ils ne constituent plus un danger (periculi) mais deviennent un butin (praedae), telles les femmes capturées comme trophées des vainqueurs177. Enfin, dans ce jeu d’antithèses, Trogue Pompée / Justin opposent “l’or et l’argentˮ de leurs armures (auro et argento) au “ferˮ (ferri), arme du vrai guerrier, arme des hommes, dont il vante la uirtus (uirtute)178.

Ainsi, les défaites de l’armée de Darios se justifient en partie par la mollitia dans laquelle elle est tombée. Or la dernière mesure prise par Alexandre avant son départ pour l’Inde, intervenant à la fin du moment de transition nette dans son orientalisation, est celle de la création des Argyraspides :

Post haec Indiam petit, ut Oceano ultimoque Oriente finiret imperium. Cui gloriae ut etiam exercitus ornamenta conuenirent, phaleras equorum et arma militum argento inducit exercitumque suum ab argenteis clipeis Argyraspidas appellauit.

“Après quoi il gagne l’Inde, pour borner son empire à l’Océan et à la limite de l’Orient. Et afin que même les équipements de l’armée s’accordent à cette gloire, il fait recouvrir d’argent les phalères des chevaux ainsi que les armes des soldats, et appela sa propre armée les Argyraspides en raison de ses boucliers d’argent.ˮ179

De la sorte, Alexandre lui-même fait abandonner le fer à son armée, et lui fait adopter une matière précieuse, l’argent (argento, argenteis clipeis), au point que ses hommes furent appelés du nom de ce matériau, puisque le terme Ἀργυράσπιδες est formé sur ἀργύρεος (d’argent) et ἀσπίς (bouclier). La troupe d’élite180 d’Alexandre, en raison de sa vanité et de l’illustration qu’il désire pour sa propre gloire (gloriae) reproduit donc les vices de l’armée vaincue181.

C’est juste avant de s’intéresser au départ pour l’Inde et à cette mesure d’Alexandre que Trogue Pompée / Justin développent une autre pratique nouvelle, la tentative d’introduction de la proskynèse, dont on peut rappeler l’extrait :

Dein, quod primo ex Persico superbiae regiae more distulerat ne omnia pariter inuidiosiora essent, non salutari sed adorari se iubet. Acerrimus inter recusantes Callisthenes fuit. Quae res et illi et multis principibus Macedonum exitio fuit, siquidem sub specie insidiarum omnes interfecti. Retentus tamen est a Macedonibus modus salutandi regis, explosa adoratione.

“Ensuite, chose qu’il avait différé dans un premier temps d’emprunter à la coutume perse de l’orgueil royal, pour éviter que toutes, adoptées en même temps, fussent trop révoltantes, il ordonne d’être non pas salué, mais adoré. Le plus acharné parmi les opposants fut Callisthène. Cette attitude causa sa perte et celle de nombreux princes Macédoniens, puisque tous furent tués sous prétexte de complot. Pourtant leur façon de saluer le roi fut conservée par les Macédoniens, après le mauvais accueil fait à l’adoration.ˮ182

Par les termes adorari et adoratione, les auteurs font référence à la proskynèse. Il s’agit d’une pratique perse consistant à l’origine en l’envoi d’un baiser de la main droite à une personne de rang supérieur, à quoi s’est ajoutée une prosternation sur un genou, notamment si “l’un est de naissance beaucoup plus basseˮ183. Tous les Perses étaient donc soumis à cette proskynèse devant leur roi184. C’était là une marque de déférence sociale, et non une marque de reconnaissance de quelque divinisation de ce dernier185. Or les Grecs et les Macédoniens n’accordaient quant à eux cette prosternation qu’aux dieux186 et purent voir ce cérémonial comme une preuve d’adoration religieuse du souverain187.

La question de savoir quelles étaient les intentions réelles d’Alexandre en cherchant à imposer la proskynèse fait encore débat188. Ainsi pour A. B. Bosworth (1989, 287) par exemple, Alexandre “now believed firmly in his godheadˮ, et cherchait à se faire vénérer comme un dieu ; pour H. Bardon (1948, 302), il voulait marcher sur les pas de Cyrus qui “avait été diviniséˮ. Pour d’autres, il s’agissait uniquement d’établir un rituel aulique, de faire en sorte que Perses, Grecs et Macédoniens usassent du même protocole face à lui189. Enfin, certains donnent à cette tentative uniquement une raison politique : la proskynèse serait la dernière pièce de sa politique de fusion190.

Ce qui intéresse surtout Trogue Pompée / Justin dans ce passage, ce n’est pas tant la proskynèse en tant qu’adoration, mais en tant que “coutume perseˮ (more Persico), à mettre sur le même plan que le port du costume perse et du diadème, que le fait de s’entourer de concubines et de se livrer aux banquets fastueux de l’ancienne cour achéménide, toutes ces mesures étant mêlées dans le même indéfini omnia. Il oppose ainsi adorari et salutari, soit le fait de saluer à la mode perse et de saluer à la mode macédonienne, ce que l’on retrouve en un parallélisme au dénouement de l’épisode : a Macedonibus modus salutandi regis, explosa adoratione.

Si son traitement par Trogue Pompée / Justin lui donne moins de force que celui qu’en fait Quinte-Curce191, il prend ici davantage sa place dans la perspective d’orientalisation du roi macédonien, et parachève l’image d’Alexandre comme un nouveau roi perse, adoptant l’ensemble des coutumes et des vices des monarques barbares. Après la mollitia et la lasciuia, Alexandre succombe ici à la superbia propre à sa nouvelle fonction, comme le montre l’expression Persico superbiae regiae more.

Cependant la proskynèse dut être rapidement abandonnée par Alexandre devant l’opposition des Macédoniens (recusantes) et notamment de Callisthène. Pour eux, toutes les mesures prises par Alexandre faisant de lui un Perse ne pouvaient en effet que susciter un profond rejet (inuidiosiora).

En conclusion : contestations des Macédoniens et réactions d’Alexandre

Callisthène apparaît dans cet épisode comme le porte-voix des Macédoniens qui acceptèrent mal la politique particulièrement difficile d’union des peuples entreprise par Alexandre192. La mutinerie d’Opis s’avère être une sorte de point d’orgue à un mécontentement qui n’avait cessé de gonfler jusqu’à cette rupture193.

Justin rend compte, dans les pas de Trogue Pompée, du rejet grandissant d’Alexandre par ses hommes, dans cette première moitié du livre 12.

Ainsi dès le début du chapitre 3, il relève :

Inter haec indignatio omnium totis castris erat, a Philippo illum patre tantum degenerasse, ut etiam patriae nomen eiuraret moresque Persarum adsumeret, quos propter tales mores uicerat.

“Pendant ce temps, tous dans le camp tout entier s’indignaient que ce héros ait dégénéré de son père Philippe au point de renier jusqu’au nom de sa patrie, et d’adopter les mœurs des Perses qu’il avait vaincus à cause de telles mœurs.ˮ194

Justin et Trogue Pompée certainement avant lui cherchent à créer un effet de masse, par le rapprochement d’omnium et de totis castris. Les sentiments développés relèvent donc de l’unanimité et isolent Alexandre dans son entreprise d’orientalisation. Les Macédoniens ressentent ainsi un sentiment d’indignation (indignatio) collectif en voyant la manière dont Alexandre oublie père et patrie. Ils relèvent en outre le caractère absurde de cette décision, dans la mesure où Alexandre adopte les mœurs des Perses qu’il a vaincus en raison de ces mœurs. Les auteurs mettent dès lors dans leur bouche un écho direct au jugement moral qu’eux-mêmes viennent d’énoncer195, justifiant la défaite des ennemis par leur mollitia. Les Macédoniens apparaissent dès lors comme les représentants de Trogue Pompée et de Justin dans l’œuvre, porteurs des mêmes valeurs.

Dans une forme de gradation, l’expression de leur indignatio se mue en reproches, voire en harcèlement selon Alexandre qui “s’indignait surtout d’être harcelé par les propos de ses proches affirmant qu’il avait bouleversé les mœurs de son père Philippe et de sa patrieˮ (maxime indignabatur carpi se sermonibus suorum, patris Philippi patriaeque mores subuertisse, 12.5.2). Enfin, Alexandre devient un objet “de fables et d’hostilité dans sa propre arméeˮ (quantum in exercitu suo […] fabularum atque inuidiae, 12.6.12), et même de “crainte et de haineˮ (metum et odium, 12.6.12) chez ses Amis.

Face à son attitude et son isolement, Alexandre usa de plusieurs procédés, tous à mettre à son discrédit, et relevant tous d’un traitement original dans les Histoires philippiques.

Le premier est la corruption de ses hommes. De la même manière que lui-même a été corrompu par le luxe et les mœurs de l’Orient, il devient, en Oriental qu’il est désormais, la source de corruption de ses soldats et de ses proches. Cet élément apparaît à maintes reprises dans l’œuvre, que ce soit à propos du costume perse196 ou du rapport aux femmes197, dans des expressions très proches, et très particulièrement à l’occasion des noces de Suse198, ce à quoi l’on peut ajouter la contamination de l’armée au luxe par la création des Argyraspides (12.7.5). Ainsi, la volonté d’Alexandre de mêler les mœurs des Macédoniens et des Perses, l’ensemble de sa perspective politique sont réduits dans la vision qu’en ont Trogue Pompée / Justin à une stratégie cynique du roi visant à n’être plus “seulˮ (uno, 12.3.9 ; solus, 12.3.2) dans sa dégénérescence, et à faire accepter ses propres déviances. Aucun autre historien d’Alexandre ne va aussi loin dans ce sens.

Cette attitude cynique d’Alexandre se retrouve avec plus de violence dans sa stratégie d’élimination des récalcitrants. C’est ainsi qu’il met en place le piège des lettres qu’il invite ses soldats à écrire pour mieux connaître leur avis sur lui, avant de les abandonner dans une colonie lointaine. C’est ainsi aussi qu’il fait mine de se séparer des Macédoniens en ne se tournant plus que vers les Perses lors de la mutinerie d’Opis. Si le second épisode s’accorde à la version des autres historiens, l’abandon effectif des Indisciplinés dans l’Alexandrie du Tanaïs est original et propre à Trogue Pompée / Justin.

Enfin, et ce sont sans doute les actions d’Alexandre les plus répréhensibles, le roi procède à l’élimination pure et simple de la contestation par l’élimination de ses meneurs. C’est ce qu’il fait de manière théâtrale lors de la mutinerie d’Opis (12.11.5-11.11.9), en allant lui-même chercher ceux qu’il considère comme des fauteurs de trouble pour les livrer au bourreau, mais Alexandre ne fait alors mettre à mort que des anonymes, et les Histoires philippiques ne s’écartent pas là de la tradition. Cette exécution de ses propres hommes, qui souhaitaient simplement retourner dans leur patrie, est la dernière d’une longue série.

Avant eux, c’est Callisthène qui avait fait les frais de la colère du roi face à son attitude. Or la mort du neveu d’Aristote, dans notre œuvre, n’est aucunement liée à quelque complot que ce soit, sans qu’il soit nécessaire d’accuser Justin et une prétendue incompétence. En taisant le complot des Pages, dont il reprend certains éléments d’attaque contre Alexandre lors de la mort de Clitos, Trogue Pompée ôtait toute légitimité à l’exécution de Callisthène et des “nobles macédoniensˮ, condamnés pour l’unique raison qu’ils s’opposaient à la proskynèse et, partant, à la politique d’orientalisation du roi de Macédoine.

Enfin, et surtout, c’est la mort de Parménion qui ouvre cette série d’éliminations violentes, et qui est, chez Trogue Pompée, la marque la plus visible de l’intransigeance du roi face à la contestation de sa propre évolution. Ici non plus, pas de complot ou autre coup de force pouvant justifier, de la même façon que pour Callisthène, l’exécution du père et de son fils Philotas. Ici non plus, ce n’est pas là sans doute la faute de l’épitomateur : la raison invoquée pour leur mort, la simple opposition du vieux général de Philippe à l’orientalisation de son roi (12.5.2-12.5.3), tout à fait originale, est trop cohérente avec l’ensemble du livre 12, et parfaitement à sa place dans ses premiers chapitres.

Parménion devient ainsi une sorte de symbole, tout comme le sera Clitos au chapitre suivant. Les deux senes se sont tous les deux opposés à Alexandre, le premier pour avoir contesté le changement de ses mœurs, et par là son oubli de sa propre patrie, le second pour avoir osé faire l’éloge de Philippe, et avoir ainsi dénoncé face à lui son oubli de son propre père. Ils furent pour cela tous les deux mis à mort.

La question qui se pose alors est de celle de la provenance de tant d’originalités dans le texte des Histoires philippiques, qu’il s’agisse des morts de Parménion, de Clitos et de Callisthène, mais aussi de la réaction du roi à la nouvelle de la disparition d’Alexandre d’Épire, ou encore des développements sur les Épigones / enfants de soldats et sur les Argyraspides. Il semble à notre avis certain qu’il faille abandonner l’idée d’une accumulation d’erreurs ou de maladresses de l’épitomateur, dans la mesure où le texte final présente une grande cohérence. L’effort de construction constamment mis en œuvre dans ces premiers chapitres du livre 12 tendent tous à accentuer l’orientalisation d’Alexandre : tout revient toujours à montrer son oubli de sa patrie et de ses mœurs, de sa famille et des siens, au profit de nouvelles coutumes, d’une nouvelle famille, de nouveaux proches, malgré les protestations des Macédoniens. Tout cela nous semble relever d’un choix clair et cohérent de Trogue Pompée qui a pu détourner la portée positive de l’œuvre de Clitarque et user d’autres sources, comme dans le passage consacré à la création des Argyraspides que l’on ne retrouve pas dans le reste de la Vulgate à cet endroit.

Il faut donc reconnaître le travail de composition de l’auteur des Histoires philippiques à cet endroit. Les chapitres 3 à 7 du livre 12 livrent en effet une vision originale et fortement négative de l’orientalisation d’Alexandre le Grand199, qui apparaît comme l’aboutissement d’un long processus commencé à la fin du livre précédent.

Au chapitre 11 du livre 11, avec sa visite au sanctuaire d’Ammon, Alexandre se détournait de son père et de sa culture gréco-macédonienne. C’est là un point de rupture essentiel.

Les chapitres 12 à 15, par le jeu des ambassades, la mort de Stateira, la mort de Darios, montraient Alexandre qui entrait peu à peu dans la famille achéménide.

Les premiers chapitres du livre 12, par le développement de la lettre européenne, faisaient voir un roi qui s’était éloigné de sa patrie (qui fut en lutte contre Agis sans qu’il se sentît visiblement concerné), de sa famille (avec la mort d’Alexandre d’Épire) et de ses hommes (avec la mort de Zopyrion et de ses trente mille combattants).

Tout semblait prêt alors pour qu’Alexandre devînt véritablement un Perse, ce qu’il fit dans les chapitres 3 à 7 en changeant définitivement de mœurs, de famille et d’armée.

Il dut pour cela faire face à la résistance des Macédoniens et de certains des plus éminents d’entre eux. Il réagit à cette opposition avec le cynisme et la cruauté d’un tyran, révélant ainsi sa vraie nature. C’est là l’autre grande évolution d’Alexandre, évidemment liée à la première, et que met en lumière toute la construction des livres 11 et 12. De la même manière que s’opère une bascule qui le voit devenir un Perse, la structure de l’œuvre permet en parallèle de voir Alexandre se mettre à agir comme un despote oriental, un tyran barbare, dégradant l’image noble de la royauté macédonienne héritée de ses ancêtres, et plus particulièrement de Philippe.


Notes

  1. L’argument lui-même peut témoigner du manque d’intérêt d’Alexandre pour la Macédoine qu’il n’hésite pour lors pas à “épuiserˮ pour mener à bien sa propre expédition. Voir Bosworth 1986, 1-12 ; contra Hammond 1989, Casualties, 65-68.
  2. Just. 12.5.5-12.5.6.
  3. W. Heckel (1997, 207) note en effet : “after the death of Darius, it beacame increasingly difficult for Alexander to justify the continuation of the campaign.ˮ Selon Quinte-Curce (6.2.15-6.2.17), une rumeur circulait parmi les soldats selon laquelle l’heure du retour était venue après la mort de Darios ; Diodore (17.74.3) indique même que des soldats préparaient leur paquetage pour rentrer chez eux.
  4. N. G. L. Hammond (1997, 145) voit ces oracles comme autant de témoignages de la faveur des dieux à faire d’Alexandre le maître de l’Asie, si bien que pour lui “Alexandre avait accepté l’Asie comme un cadeau des dieuxˮ. Trogue Pompée / Justin les voyaient plutôt comme une manœuvre politique.
  5. Sans affirmer bien sûr qu’Alexandre cherche à abolir la notion de patrie, P. Briant (20117, 63) développe l’idée d’un “État en création permanenteˮ, d’un “État itinérant au gré des déplacements de l’armée de conquêteˮ.
  6. En cela, le texte de Trogue Pompée / Justin affiche davantage la volonté d’Alexandre que ceux des autres historiens. Chez Quinte-Curce, c’est l’oracle lui-même qui ordonne cette vénération, non Alexandre. Voir Bosworth 1977, 60 ; Heckel 1997, 155.
  7. Respondetur patrem eius nec interfici posse nec mori ; regis Philippi plene peractam ultionem. Just. 11.11.9.
  8. Voir également à ce propos le discours d’Hégéloque chez Quinte-Curce (6.11.22-6.11.24) et celui de Clitos chez Plutarque (Alex., 50, 11). Sur le rejet de Philippe par Alexandre au profit d’Ammon, voir Fredericksmeyer 1990, 305 sq. ; Hamilton 1953 ; Heckel 1997, 212.
  9. Just. 12.6.1-12.6.4.
  10. Arr., An., 4.8.6.
  11. Haec et his similia laeti audiere iuuenes ; ingrata senioribus erant, maxime propter Philippum, sub quo diutius uixerant. (“Les hommes jeunes eurent plaisir à entendre ces propos et d’autres analogues ; mais leurs aînés en souffraient, surtout à cause de Philippe, sous qui ils avaient vécu plus longtemps.ˮ) Curt. 8.1.27. Trad. H. Bardon. Voir Heckel 1997, 223.
  12. Clitus paulatim maiore uoce Philippi acta bellaque in Graecia gesta commemorat, omnia praesentibus praeferens. Curt. 8.1.30. Trad. H. Bardon.
  13. Nihil ex omnibus inconsulte ac temere iactis regem magis mouerat quam Parmenionis cum honore mentio inlata. Curt. 8.1.38. Trad. H. Bardon.
  14. Pour reprendre le mot d’E. Baynham (1998, 188). Voir chapitre 3, “ Le meurtre de Clitos “.
  15. C’est ce que pense W. Heckel (1997, 224), s’appuyant sur l’origine de la blessure de Philippe, qu’il aurait reçue à Chéronée dans le texte de Quinte-Curce (8.1.23-8.1.24), contrairement aux autres traditions (Plut., Alex., 9.2 ; DS 16.86.1-16.86.6).
  16. Laude dignos esse non qui Samothracum initia uiserent, cum Asiam uri uastarique oporteret, sed eos qui magnitudine rerum fidem antecessissent. Curt. 8.1.26. Trad. H. Bardon. E. Baynham (1998, 187) note que cette initiation reste mystérieuse, mais qu’il pouvait s’agir pour Philippe de se concilier les dieux pour réussir la campagne d’Asie qu’il projetait.
  17. Curt. 8.1.20. Cet épisode est également relaté, parfois avec des nuances, par Diodore (17.20.6-17.20.7), Plutarque (Alex., 16.11) et Arrien (An., 1.15.7-1.15.8).
  18. C’est-à-dire la Bactriane, suite au retrait d’Artabaze, voir Rinaldi, in Battistini & Charvet 2004, 644. Sur la carrière militaire de Clitos et ses différentes promotions, voir Carney 1981, 149-152.
  19. Heckel 1997, 225.
  20. Voir aussi Arrien (An., 4.9.3) qui l’appelle Lanikè et Quinte-Curce (8.1.21) qui l’appelle Hellanikè. Deux de ses fils étaient déjà morts au combat en suivant Alexandre (Arr., An., 4.9.4 ; Curt. 8.2.8). Sur la famille de Clitos le Noir, voir Carney 1981, 153.
  21. Accesserat enim paenitentiae nutricis suae et sororis Cliti recordatio, cuius absentis eum maxime pudebat : tam foedam illi alimentorum suorum mercedem redditam, ut, in cuius manibus pueritiam egerat, huic iuuenis et uictor pro beneficiis funera remitteret. Just. 12.6.10-12.6.11.
  22. Just. 12.1.4-12.2.17.
  23. Just. 12.3.1.
  24. Diodore (17.75.1) parle d’une pause sans en préciser la durée, tandis que Quinte-Curce (6.4.2) indique que les Macédoniens quittèrent Hécatompyles au bout de trois jours. Mais ni l’un ni l’autre n’évoquent de deuil pour justifier cet arrêt.
  25. Bien qu’Alexandre d’Épire fût le frère d’Olympias, et qu’il se fût marié en 336 à Cléopâtre, la sœur d’Alexandre III, les relations qu’entretenaient les deux hommes ne sont pas bien connues. On peut cependant imaginer, au vu du texte des Histoires philippiques, qu’elles n’étaient pas bonnes. La remarque de R. Werner (1987, 354) qui observe que Tauriscos, après avoir fui du camp d’Alexandre le Grand (Arr., An., 3.6.7), s’était réfugié auprès d’Alexandre d’Épire en espérant recevoir un accueil amical, va également dans ce sens. De même W. Heckel (1997, 198) pointe le fait que, s’il ne s’agit pas que de propagande romaine, la remarque du Molosse affirmant que lui combattait en Italie contre des hommes, tandis que son neveu combattait en Perse contre des femmes (Curt. 8.1.37 ; Liv. 9.19.10-9.19.11), serait une autre preuve de cette acrimonie.
  26. Just. 12.5.3. Sur la carrière glorieuse de Parménion, et son rôle de premier plan auprès d’Alexandre, voir Berve 1926, 298-306 ; Goukowsky in Battistini & Charvet 2004, 854-855 ; Heckel 1992, 13-23 ; 1997, 212.
  27. Voir Goukowsky 1976, 243 ; Berve 1926, II, n°802. Arrien (An., 3.26.1) rapporte que d’après Aristobule et Ptolémée, Alexandre n’avait d’ailleurs pas cru en l’existence d’un complot mené par Philotas qui lui avait déjà été rapporté en Égypte, “à cause de leur vieille amitié, des honneurs qu’il avait accordés à Parménion, et de la confiance qu’il avait en Philotas lui-mêmeˮ (τῆς τε φιλίας τῆς πάλαι ἕνεκα καὶ τῆς ἐξ αὐτοῦ ἐς Παρμενίωνά τε τὸν πατέρα τὸν Φιλώτα τιμῆς καὶ ἐς αὐτὸν Φιλώταν πίστεως). Trad. P. Savinel.
  28. Sur Callisthène, voir Pédech 1984, 15-69 ; Berve 1926, II, 191-199 ; Auberger 2005, 69.
  29. Voir Plut., Alex., 55.8 ; Sén., Suas., 1.5 ; DL 5.4-5.5. La Souda (s.v. Καλλισθένης Δημοτίνου) définit le Compagnon d’Alexandre comme ἀνεψιαδοῦς d’Aristote.
  30. Selon W. Heckel (1997, 230) cependant, le terme condiscipulatus utilisé par Justin ne signifie pas qu’Alexandre et Callisthène suivirent en même temps l’enseignement d’Aristote, simplement qu’ils eurent le même enseignement. Ce terme peu employé semble pourtant insister au contraire sur le partage d’une même “classeˮ. Par ailleurs, ce sont ces études qui rendirent Callisthène “intimeˮ, à savoir familiaris. Or cet adjectif porte bien l’idée de fréquentation soutenue, à l’origine par le fait d’habiter dans la même maison. Par ailleurs, ce ne serait pas la seule exagération au sujet des relations entretenues entre Alexandre et Callisthène, puisque d’autres auteurs tels que Sénèque le Rhéteur (Suas., 1.5) allèrent jusqu’à faire du petit neveu d’Aristote le professeur d’Alexandre.
  31. Voir chapitre 3, “ Le bataillon des Indisciplinés “.
  32. Just. 12.7.2. L’attitude de Callisthène concerne la proskynèse.
  33. Plut., Alex., 55.4.
  34. Arr., An., 4.13.3-4.14.4 ; Curt. 8.6.7-8.8.20.
  35. Ne furent concernés par le complot que les Pages Hermolaos, Sostratos, Épiménès, Antipater, Anticlès et Philotas (Arr., An., 4.13.3-4.13.4). Quinte-Curce (8.6.8-8.6.9) donne trois autres noms qui apparaissent comme des corruptions (voir Heckel 1997, 235).
  36. …τήν τε Φιλώτα οὐκ ἔνδικον τελευτὴν καὶ τὴν τοῦ πατρὸς αὐτοῦ Παρμενίωνος ἔτι ἐκνομωτέραν καὶ τῶν ἄλλων τῶν τότε ἀποθανόντων, καὶ τὴν Κλείτου ἐν μέθῃ ἀναίρεσιν. Arr., An., 4.14.2. Trad. P. Savinel.
  37. Curt. 8.7.4-8.7.5. Trad. H. Bardon.
  38. Just. 12.6.14-12.6.15.
  39. Selon H. Berve (1926, II, 329), il s’agirait du général qui avait participé à une mission diplomatique en Grèce en 346 et aurait commandé en Eubée en 342. Au vu de sa place importante dans l’état-major macédonien, il aurait fait les frais de la lutte de pouvoir qui suivit le décès de Philippe. Cette hypothèse est suivie par M.-P. Arnaud-Lindet (12.6, note 42) et par W. Heckel (1997, 228) qui précise que selon une autre théorie moins probable, Justin aurait pu placer là par erreur le nom du page Euryloque qui a dénoncé la conjuration traitée peu après.
  40. Comme le pense W. Heckel (1997, 229) qui précise : “it is wrong, however, to blame his death on Alexander.ˮ
  41. Mais rappelons que le seul Pausanias est donné pour responsable de la mort de Philippe à la fin du livre 9.
  42. Arnaud-Lindet (12.6, note 43) ; Santi Amantini (1981, 269).
  43. M.-P. Arnaud-Lindet (12.6, note 39) et W. Heckel (1997, 227) relèvent à juste titre que c’est Olympias qui est responsable de la mort de Cléopâtre et de son enfant (Just. 9.7.12). Cette torsion vise à insister sur l’abondance des morts pesant sur les épaules d’Alexandre.
  44. Ce pluriel pose cependant un peu problème. D’aucuns (Unz 1985) estiment qu’Alexandre avait de nombreux frères dont les noms sont ignorés. A. B. Bosworth (1989, 19) estime que Justin pourrait faire référence aux frères de Cléopâtre, ce qui est grammaticalement possible. W. Heckel (1997, 228) suggère enfin que le terme fratres pourrait renvoyer aux “cousinsˮ d’Alexandre.
  45. Just. 12.5.1. W. Heckel (1997, 211) relève d’ailleurs que “this view of Alexander is stronger in Justin / Trogus than in other extant Alexander historiansˮ.
  46. Just. 12.4.12.
  47. Heckel 1997, 209. Sur la manière dont Quinte-Curce (5.7.9 et 5.8.1) partage cet intérêt, voir Atkinson 1994, 131.
  48. W. Heckel (1997, 209-210) relève qu’Andragoras est un nom grec, et dans la mesure où l’épitomateur mentionne (41.4.7) un autre gouverneur de Parthie du nom d’Andragoras, tué par Arsace en 256, il pense que “Justin appears to have garbled the details of Trogus’ original, confusing the Seleucid satrap with Alexander’s Persian appointeesˮ. L. Santi Amantini (1981, 265) estime quant à lui que ce second Andragoras pouvait être le fils du premier, et émet une autre théorie selon lui plus plausible selon laquelle le premier Andragoras ne fut pas un personnage historique, contrairement au second.
  49. Confiée toute entière selon Arrien (An., 3.5.2) au Perse Doloapsis, après que Patisis eut décliné l’offre d’en être l’un des deux monarques. Mais les commandements militaires incombaient à de nombreux Macédoniens (Arr., An., 3.5.3 ; Curt. 4.8.4) et c’est le Grec Cléomène qui devint plus tard satrape de la région.
  50. Les satrapes étaient les représentants de l’autorité royale d’Alexandre. Ils avaient conservé les mêmes pouvoirs que sous l’ère achéménide, comme le note P. Briant (1982, 48) : “Après la conquête, comme après la mort du roi, le satrape est à la fois responsable de l’administration générale, de la justice, de la perception du tribut et de la surveillance des citésˮ. Sur l’administration satrapique, voir Bosworth 1989, 229-241 ; Briant 1982, 44-49 ; 20117, 60-66 ; Battistini in Battistini & Charvet 2004, 947-948.
  51. Arr., An., 3.8.6 ; 3.16.4 ; Curt. 5.1.44.
  52. Sur l’attitude de l’aristocratie de l’ancien royaume achéménide face à Alexandre, voir Briant 1996, 872-884 ; 20117, 95-99.
  53. Briant 20117, 97.
  54. Plut., Alex., 47.6. Trad. R. Flacelière et É. Chambry.
  55. Sur ces épigones, voir Hammond 2002, 154 et 220 ; 1989, 123 et 229 ; Green 1991, 371372 ; Briant 20117, 100 et 112 ; Battistini in Battistini & Charvet 2004, 689-690 ; Heckel 1997 ; 208.
  56. Just. 12.4.2-12.4.11.
  57. Παῖδες δὲ εἴ τῳ ἦσαν ἐκ τῶν Ἀσιανῶν γυναικῶν, παρὰ οἷ καταλιπεῖν ἐκέλευσε μηδὲ στάσιν κατάγειν ἐς Μακεδονίαν ἀλλοφύλους τε καὶ ἐκ τῶν βαρβάρων γυναικῶν παῖδας τοῖς οἴκοι ὑπολελειμμένοις παισί τε καὶ μητράσιν αὐτῶν: αὐτὸς δὲ ἐπιμελήσεσθαι ὡς ἐκτρέφοιντο Μακεδονικῶς τά τε ἄλλα καὶ ἐς τὰ πολέμια κοσμούμενοι, γενομένους δὲ ἄνδρας ἄξειν αὐτὸς ἐς Μακεδονίαν καὶ παραδώσειν τοῖς πατράσιν. (“Il invita ceux d’entre eux [les soldats rentrant en Macédoine] qui avaient eu des enfants de femmes asiatiques à les lui laisser, pour ne pas provoquer en Macédoine de conflits entre des enfants étrangers, nés de femmes barbares, et les enfants qu’ils avaient laissés à la maison, ainsi que leurs mères ; il leur dit qu’il s’occuperait personnellement de les faire élever à la macédonienne, en particulier en ce qui concernait l’instruction militaire, et que, lorsqu’ils seraient devenus hommes, il les conduirait en Macédoine et les confierait à leurs pères.ˮ) Arr., An., 7.12.2. Trad. P. Savinel. P. Goukowsky (1976, 268) note qu’il s’agit aussi de donner un statut juridique à ces enfants.
  58. Voir aussi Briant 1982, 52-53. La confusion peut venir d’une mauvaise lecture étymologique. Le surnom Ἐπίγονοι donné par Alexandre lui-même (Arr., An., 7.6.1) signifie “ceux qui sont nés aprèsˮ, mais peut désigner des “descendantsˮ (Pd, P., 8.44), alors qu’il est ici à entendre au sens de “successeursˮ (voir Green 1991, 371).
  59. Hammond 2007(2) 102. La conclusion donnée au sujet de ce passage (“the whole of 12.4 is a historically worthless example of anachronistic interpretation by Roman writersˮ) est cependant sans doute excessive. C’est Auguste qui fit interdire, à une date indéterminée de son principat, les mariages des soldats et l’accompagnement de leurs familles pour les officiers. Voir Keppie 1984, 148.
  60. Il n’est pas non plus impossible que la confusion soit l’œuvre, volontaire, de Trogue Pompée lui-même. Dans le texte de Justin, s’il est, comme le pense L. Santi Amantini (1981, 264), fidèle à celui de son prédécesseur, les Épigones sont des enfants macédoniens par leurs pères, qui ne connaissent pas de véritable patrie. Cette vision est plus cohérente avec le projet global de Trogue Pompée que celle d’enfants perses élevés à la macédonienne, comme le furent les véritables Épigones. Dans le premier cas, l’oubli d’Alexandre de sa patrie et de ses mœurs est en effet bien plus visible.
  61. Arr., An., 4.20.4 ; Curt. 8.4.21-8.4.30.
  62. Selon P. Briant (20117, 100), Alexandre n’avait cependant pas l’intention de s’identifier à la noblesse iranienne, et les choix qu’il fit alors, pour politiques qu’ils fussent dans le sens de la conciliation à l’égard des Perses, veillaient à ne pas froisser les Macédoniens.
  63. Il n’y a pas d’accord sur la date de la levée des hommes, certains plaidant pour 329 (Hammond 2002, 154 ; Battistini 2004, 689) d’autres pour 327 (Briant 20117, 112 ; Tarn 1948, I, 77 ; Green 1991, 371).
  64. DS 17.108.1-17.108.3 ; Plut., Alex., 71.1 ; Arr., An., 7.6.1-7.6.2. Justin se contente d’indiquer qu’Alexandre “après avoir licencié les vétérans, complète l’effectif de son armée avec de plus jeunes soldatsˮ (dimissis ueteranis exercitum iunioribus supplet, 12.11.4) sans préciser qu’il s’agit des Épigones. Il a pu omettre cette précision par souci de cohérence : si pour lui les Épigones sont les enfants des soldats nés en 329 ou 327, ils ont alors entre cinq et sept ans ! Par ailleurs, ce n’est pas tant l’arrivée de ces nouveaux soldats qui crée les troubles dans l’armée que le départ des vétérans (12.11.5). Sur ce point voir Briant 1982, 55-57.
  65. Just. 11.1.8 ; 12.3.2 ; 12.11.1.
  66. Just. 12.12.3-12.12.4.
  67. Sur les Pages, voir chapitre 3, “ La proskynèse, le complot des Pages et la mort de Callisthène “. Sur les somatophylaques, la garde rapprochée par excellence du roi, dont certains des membres (Ptolémée, Lysimaque, Pithon, Héphestion…) sont parmi les plus proches du souverain, voir Battistini in Battistini & Charvet 2004, 966-967 ; Heckel 1997, 198. Sur les hypaspistes, gardes porteurs de boucliers, au nombre de 3 000, choisis par Alexandre dont ils assurent la protection et sur lesquels il s’appuie dans toutes les missions difficiles, voir Battistini in Battistini & Charvet 2004, 738-740 ; Heckel 1992, 237-306.
  68. Sur cette intégration et l’équivalence créée entre les soldats perses et macédoniens, voir Hammond 1989, 230 ; Briant 20117, 112 ; Green 1991, 446. P. Briant (1982, 51-55) montre que si les Épigones ont rejoint Alexandre et son armée à Suse en 324, la fusion de ces corps ne se fit qu’en 323 à Babylone.
  69. …αἵ τε ἡγεμονίαι Πέρσαις διδόμεναι καὶ ἡ στρατιὰ ἡ βαρβαρικὴ ἐς λόχους τε καταλεγομένη καὶ τὰ Μακεδονικὰ ὀνόματα ἄγημά τι Περσικὸν καλούμενον καὶ πεζέταιροι Πέρσαι [καὶ ἀσθέτεροι ἄλλοι] καὶ ἀργυρασπίδων τάξις Περσικὴ καὶ ἡ τῶν ἑταίρων ἵππος καὶ ταύτης ἄλλο ἄγημα βασιλικόν… Arr., An., 7.11.3. Trad. P. Savinel. Voir aussi Plut., Alex., 71.4 ; DS 17.109.3.
  70. Expression de P. Briant (20117, 113). Sur la manière dont Alexandre a su piéger les Macédoniens dans “leurs contradictions machiavéliquement préparéesˮ, en leur faisant penser qu’il pourrait se passer d’eux grâce aux troupes perses, voir Briant (1982, 56-58).
  71. Sur ces larmes et ces prières, voir aussi Arr., An., 7.11.4-7.11.5 ; Plut., Alex., 71.6-71.8 ; DS 17.109.3.
  72. À l’année 324, N. G. L. Hammond (2002, 219) compte vingt-trois mille fantassins, deux mille cavaliers et mille quatre cents hommes impropres au service dans l’armée macédonienne. Pour R. D. Milns (1975, 127-128), Alexandre ne dispose alors plus que de trois mille pezhetairoi macédoniens, amenant la phalange à un rapport d’un Macédonien pour quatre Perses.
  73. Trogue Pompée / Justin listent ainsi “Polypercon, Clitos, Gorgias, Polydamas, Antigénèsˮ (12.12.8) tous mis sous la direction de Cratère (12.12.9). Polypercon fut commandant en chef de l’infanterie ; il seconde Cratère dans le rapatriement des hommes et doit le remplacer s’il meurt en route (voir Berve 1926, II, 325-226 ; Heckel 1992, 188-204 ; Battistini 2004, 904). Clitos est dit “le Blancˮ, par distinction à Clitos le Noir assassiné par Alexandre. Il fut taxiarque puis hipparque (voir Berve 1926, II, 209 ; Heckel 1992, 185-187 ; Battistini 2004, 643). Gorgias était taxiarque, commandant de troupes rattachées à Cratère (voir Berve 1926, II, 113 ; Heckel 1992, 326-327). Polydamas fut l’ami de Parménion, et c’est lui qu’Alexandre envoya pour l’assassiner (voir Heckel 1992, 359-361 ; Battistini 2004, 903-904). Antigénès fut l’un des commandants des argyraspides (voir Berve 1926, II, 41 ; Battistini 2004, 537). Cratère, sensiblement plus âgé qu’Alexandre était l’un de ses plus proches amis, et avec Héphestion l’un de ses commandants les plus importants. Il devait, une fois rentré au pays, “commander aux Macédoniens à la place d’Antipaterˮ (praeesse Macedonibus in Antipatri locum, 12.12.9). Sur Cratère, voir Berve 1926, II, 220-227 ; Heckel 1992, 107-133 ; Goukowsky in Battistini & Charvet 2004, 652-653.
  74. Briant 20117, 114.
  75. Just. 12.12.2.
  76. Quinte-Curce (10.3.10-10.3.14) semble avoir repris le discours d’Alexandre présent chez Trogue Pompée. Il évoque lui aussi “l’obéissanceˮ (obsequium) et le “sens de la hiérarchieˮ (patientia imperii) des Perses, les “liens du mariageˮ (matrimonio) par lesquels Alexandre s’est uni à des femmes perses en encourageant ses hommes à en faire autant, sa volonté d’abolir “toute différence entre vaincu et vainqueurˮ (omne discrimen uicti et uictoris), et enfin le mélange des coutumes : nec Persis Macedonum morem adumbrare, nec Macedonibus Persas imitari indecorum. (“Il n’est pas inconvenant ni pour les Perses de calquer les coutumes des Macédoniens, ni pour les Macédoniens d’imiter les Perses.ˮ) Trad. H. Bardon.
  77. Pour R. D. Milns (1975, 129), la phalange “mixteˮ était une “monstruositéˮ, à la fois sans utilité et impossible à manœuvrer ; pour H. Berve (1926, I, 121), elle signait “das Ende der makedonischen Truppe der Pezhetairenˮ ; contra Fuller 1958, 142-143.
  78. Arr., An.,.4.18.4. Mais les sources anciennes ne sont pas d’accord sur la date précise du mariage, d’autres le situant, comme le fait Strabon (11.11.4), à la suite de la prise du Rocher-de-Choriénès (Arr., An., 4.21.1). Voir Hamilton 1969, 129 ; Baynham 1998, 191.
  79. Arr., An., 4.19.5 ; Curt. 8.4.24-8.4.25 ; Plut., Alex., 47.7 ; Sur la fortune d’Alexandre, 2.6.
  80. Plutarque (Sur la fortune d’Alexandre, 1.11) assure ainsi qu’il l’épousa “en philosopheˮ (φιλοσόφως).
  81. Plut., Alex., 47.7-47.8. Trad. R. Flacelière et É. Chambry. Quinte-Curce (8.4.23) évoque également le banquet où Alexandre aurait rencontré Roxane. Pour N. G. L. Hammond (2007(2), 146), la scène provient de Clitarque et ne présente guère d’intérêt.
  82. Droysen 2003, 264. Sur cette portée politique, voir également Bardon 1948, 301 ; Hammond 2002, 179 ; Briant 20117, 99-100.
  83. Tarn 1948, II, 319 sq. et Appendix 18 “Alexander’s attitude to sexˮ, suivi par Green 1991, 369. Les deux auteurs formulent notamment l’argument que Roxane ne tomba enceinte que l’année précédant la mort d’Alexandre pour prouver son manque supposé de passion.
  84. ad stabiliendum regnum pertinere Persas et Macedones conubio iungi. Curt. 8.4.25. Trad. H. Bardon.
  85. His verbis amicos cohortabatur, et sibi quisque in convivio virginem matrimonio iunctam abduxit. (“Par ces paroles, [Alexandre] exhortait ses amis, et chacun prit pour lui une jeune fille au banque et l’épousaˮ) Epit. Metz, 1.31.
  86. Briant 20117, 99 ; Santi Amantini 1981, 264. A. B. Bosworth (1980, 10) estime que les hommes qui épousèrent des femmes perses furent ceux qu’Alexandre laissa derrière lui pour gouverner en son absence la Bactriane et la Sogdiane.
  87. Roxanem uxorem, Just. 12.15.9.
  88. militibus quoque suis permisit, si quarum captiuarum consuetudine tenerentur, ducere uxores, Just. 12.4.2.
  89. Pour Trogue Pompée / Justin, l’invitation aux mariages qu’Alexandre adresse à ses hommes a en effet pour but de “ne pas paraître être le seul à avoir succombé aux vices de ceux qu’il avait soumis par les armesˮ (ne solus uitiis eorum quos armis subiecerat succubuisse uideretur, 12.4.2), expression très proche de l’explication donnée à cette même invitation lors des noces de Suse : “pour que fût allégée l’accusation portée contre le roi par le partage de sa conduiteˮ (ut communi facto crimen regis leuaretur, 12.10.9).
  90. Arr., An., 4.18.4-4.18.5 et 4.19.4 ; chez Quinte-Curce (8.4.26), Alexandre se compare à Achille, qui “s’était uni avec une captiveˮ (cum captiua coisse).
  91. Just. 12.3.10.
  92. Voir Heckel 1997, 205.
  93. Sur le renvoi de ce mot par métonymie à l’acte sexuel, voir Adams 19903, 177.
  94. Just. 11.10.2-11.10.3.
  95. Veuve de deux stratèges perses : Mentor, qu’elle épousa très jeune, et Memnon, son frère. Elle fut capturée par Parménion près de Damas (Plut., Alex., 21.7 ; Curt. 3.13.14) puis présentée à Alexandre. Sur Barsine, voir Berve 1926, II, 102-104 ; Heckel 1997, 141 ; Rinaldi in Battistini & Charvet 2004, 588-589.
  96. Πεπαιδευμένη δὲ παιδείαν Ἑλληνικήν, καὶ τὸν τρόπον ἐπιεικὴς οὖσα, καὶ πατρὸς Ἀρταβάζου γεγονότος ἐκ βασιλέως θυγατρός, ἐγνώσθη. (“Comme elle avait reçu une éducation grecque, qu’elle avait des mœurs agréables et qu’elle avait pour père Artabaze, né d’une fille de roi, elle devint la maîtresse d’Alexandre.ˮ) Plut., Alex., 21.9. Trad. R. Flacelière et É. Chambry.
  97. Malgré les conseils de Parménion qui l’y avait incité selon Aristobule, cité par Plutarque (Alex., 21.7-21.9 ; FGrH 139, F 11). Voir Hammond 2002, 179 ; Rinaldi in Battistini & Charvet 2004, 589. Barsine et Alexandre eurent cependant bien un fils nommé Héraclès comme l’indique Justin. Il naquit vraisemblablement en 327, alors même qu’Alexandre se liait à Roxane. Voir Hammond 2002, 179.
  98. Sur le lien entre les noces de Bactriane et celles de Suse, voir Briant 20117, 110 ; Heckel 1997, 271. W. Heckel note à fort juste titre que la principale différence entre les deux cérémonies, en-dehors de l’échelle, fut que la première fut célébrée selon le rite macédonien, la seconde selon la coutume perse, nouvelle preuve de l’évolution des mœurs d’Alexandre.
  99. Just. 12.10.9.
  100. Voir introduction.
  101. Une erreur est ici commise par Aristobule (et reprise par Arrien) qui appelle Stateira Barsine. À moins qu’il ne s’agisse de son nom de jeune fille et qu’elle n’ait pris le nom de sa mère qu’à la suite de son mariage. Voir Rinaldi in Battistini & Charvet 2004, 589.
  102. Arrien liste ainsi : Κρατερῷ δὲ Ἀμαστρίνην τὴν Ὀξυάτρου τοῦ Δαρείου ἀδελφοῦ παῖδα . Περδίκκᾳ δὲ τὴν Ἀτροπάτου τοῦ Μηδίας σατράπου παῖδα ἔδωκεν . Πτολεμαίῳ δὲ τῷ σωματοφύλακι καὶ Εὐμενεῖ τῷ γραμματεῖ τῷ βασιλικῷ τὰς Ἀρταβάζου παῖδας τῷ μὲν Ἀρτακάμαν, τῷ δὲ Ἄρτωνιν .  Νεάρχῳ δὲ τὴν Βαρσίνης τε καὶ Μέντορος παῖδα . Σελεύκῳ δὲ τὴν Σπιταμένους τοῦ Βακτρίου παῖδα. (“À Cratère, il donna Amastrine, fille d’Oxyartès, le frère de Darius ; à Perdiccas, la fille d’Atropatès, satrape de Médie ; à Ptolémée, des gardes du corps, et à Eumène, secrétaire du roi, les filles d’Artabaze, à l’un Artacama, à l’autre Artonis ; à Néarque, la fille de Barsine et de Mentor ; à Séleucus, la fille du Bactrien Spitaménèsˮ). Arr, An., 7.4.5-7.4.6. Trad. P. Savinel. W. W. Tarn (1951, 111) note qu’hormis Séleucos, les Compagnons eurent tendance à répudier ces épouses après la mort d’Alexandre.
  103. Charès (FGrH 125 F4) évoque la préparation de quatre-vingt-douze couches nuptiales ; Plut. (Mor., 329e) parle d’une centaine d’unions et Élien (V.H., 8.7) de quatre-vingt-dix.
  104. L’expression est de P. Briant (20117, 111). Voir aussi Battistini 2004, 981. Pour P. Green (1991, 447), “the king’s high-handed, not to say dictatorial, efforts to enforce top-level integration reached a climax with the famous Susa mass-marriagesˮ.
  105. filias quoque non sordidius dignitate patris sperare matrimonium iussit. (“les filles aussi, il les engagea à espérer un mariage qui ne fût pas plus méprisable que ce que leur valait la dignité de leur père.ˮ) Just. 11.9.16.
  106. À propos de la réaction d’Alexandre face à la mort de “l’épouse de son ennemi juréˮ chez Quinte-Curce, I. Yakoubovitch (2015, 3549) fait la même remarque : par ses larmes et ses gémissements, Alexandre “montre qu’il la considère comme une parente, que la famille de Darius est sa familleˮ (c’est lui qui met en italique).
  107. superum inferumque numina et regales deos ut illi terrarum omnium uictori contingat imperium. Just. 11.15.10.
  108. Just. 11.15.8. Ce paradoxe développe une pensée juste formulée par Darios : in matre liberisque suis regium eius, non hostilem, animum expertus, felicius hostem quam cognatos propinquosque sortitus sit (“il a éprouvé à l’égard de sa mère et de ses enfants l’âme royale, et non ennemie d’Alexandre, et qu’il a eu plus de chance dans l’ennemi que dans les parents et les proches qu’il a obtenus de la destinéeˮ) Just. 11.15.7.
  109. Briant 2003, 150, 263 ; Santi Amantini 1981, 262 ; Heckel 1997, 218. P. Briant (1996, 889) indique que “si les Perses constituent une communauté ethno-culturelle très homogène, ils ne sont pas constitués en nation. Leur loyauté à l’égard du Grand Roi est fondée sur des rapports d’homme à homme, qui peuvent se transférer sur un autre personnage, doué du prestige de la victoireˮ. Ainsi, à la suite de la victoire d’Alexandre sur Darios, il fut considéré comme le nouveau Grand Roi par une grande partie de l’élite perse qui se rangea à ses côtés, à commencer par Mazée. C’est ainsi qu’Alexandre devient, selon lui, le “dernier achéménideˮ (1077).
  110. En présentant Bessos comme un traître au pouvoir dont Alexandre héritait, la propagande macédonienne permettait de légitimer la poursuite de la guerre. Voir Briant 2003, 263.
  111. Just. 12.5.10-12.5.11.
  112. Oxathrès ou Oxyathrès. Il avait combattu courageusement à la bataille d’Issos (Curt. 3.11.8 ; DS 17.24.2-17.24.3) et, une fois tombé à la merci d’Alexandre, fut traité honorablement par le roi macédonien qui fit de lui un Compagnon (Curt. 6.2.11 ; Plut., Alex., 43.7). Sur Oxathrès voir Berve 1926, II, 291-292 ; Heckel 1997, 218 ; Battistini 2004, 842.
  113. Plutarque (Alex., 43.6) quant à lui parle d’un écartèlement rappelant le sort réservé à Sinis par Thésée ; Diodore (17.83.9) évoque de son côté toute une série de mauvais traitements se terminant par la découpe du corps de Bessos en petits morceaux dispersés avec des frondes.
  114. Audita morte Alexandri mortem sibi ipsa consciuit, non quod hostem filio praeferret, sed quod pietatem filii in eo quem ut hostem timuerat, experta esset. Just. 13.1.5-13.1.6. On retrouve à nouveau le jeu d’oppositions cher à Trogue Pompée / Justin entre l’ennemi (hostem) devenu l’égal d’un fils (filii).
  115. Voir chapitre 2, « une répétition ».
  116. Diodore (17.77.4-17.77.7), Plutarque (Alex., 45.2-45.3), Arrien (An., 4.7.4) n’en parlent qu’une seule fois. Quinte-Curce, extrêmement sensible aussi à cette question, développe également à plusieurs reprises cette orientalisation, la première fois dès l’après Gaugamèles (6.2.1-6.2.4), la seconde, comme Diodore et Trogue Pompée / Justin, après la rencontre avec Thalestris (6.6.1-6.6.10), mais il n’y revient pas de manière aussi systématique que les auteurs des Histoires philippiques. Sur les différents contextes et places de l’orientalisation d’Alexandre chez les auteurs de la Vulgate, voir Baynham 1998, 169.
  117. Voir par exemple Briant 1996, 889 ; 2003, 249 ; Delaygue-Masson 2008, 174-175 ; Hammond 2002, 219.
  118. Ce qui n’est pas le cas d’autres auteurs anciens. Ainsi Plutarque souligne qu’Alexandre “pour son genre de vie, s’assimilait davantage encore aux gens du pays, tout en visant à rapprocher ceux-ci des coutumes macédoniennes. Il pensait que la bienveillance née de ce mélange et de cette communauté de mœurs l’aiderait plus que la violence à rendre son pouvoir stable, quand il serait parti au loinˮ (Οὕτω δὴ καὶ τὴν δίαιταν ἔτι μᾶλλον ὡμοίου τε τοῖς ἐπιχωρίοις ἑαυτόν, ἐκείνους τε προσῆγε τοῖς Μακεδονικοῖς ἔθεσιν, ἀνακράσει καὶ κοινωνίᾳ μᾶλλον δι´ εὐνοίας καταστήσεσθαι τὰ πράγματα νομίζων ἢ βίᾳ, μακρὰν ἀπαίροντος αὐτοῦ.). Plut., Alex., 47.5. Trad. R. Flacelière et É. Chambry. Voir aussi Arr., An., 7.29.4.
  119. Summa pecuniae signatae fuit talentorum II milia et sescenta, facti argenti pondus quingenta aequabat : praeterea XXX milia hominum cum VII milibus iumentorum dorso onera portantium capta sunt. Curt. 3.13.16. Trad. H. Bardon.
  120. W. Heckel (1997, 177) relève la même expression aureis conpedibus chez Quinte-Curce (5.12.20), et estime qu’elle doit être empruntée à Trogue Pompée. Il voit dans ces chaînes d’or une marque de respect malgré la situation. J. E. Atkinson (1994, 153) fait un lien avec l’usage d’entraves en argent par les Sassanides (Amm., 27.12.3).
  121. Just. 11.14.8-11.14.10.
  122. Voir chapitre 3, “ La bascule entre les livres 11 et 12 “.
  123. Διαβόητοι δὲ ἐπὶ τρυφῇ ἐγένοντο πρῶτοι πάντων ἀνθρώπων Πέρσαι. Ath. 12.513e-12.513f.
  124. Don d’un Lydien à Darios en 513 (Hdt. 7.27), évoqué aussi par Xénophon (Hell., 7.1.38). Athénée en rapporte la description par Charès et Amyntas. Selon Diodore (19.48.6), l’arbre en or et les objets précieux trouvés par Antigone le Borgne dans la chambre du Grand Roi à Suse valaient 15 000 talents. Voir Briant 1996, 248.
  125. Ath. 12.514 a-f.
  126. Just. 11.5.9.
  127. Briant 2003, 260-261 ; Edwards 1993, 92-93.
  128. Sur ce commerce du luxe perse, voir Yakoubovitch 2015, 30-31.
  129. Voir notamment Plin. 6.101 ; 6.162 ; surtout 37.12-37.15, où Pline établit que “cette victoire de Pompée [sur Mithridate] commença à faire pencher le goût vers les perles et les gemmesˮ (uictoria tamen illa Pompei primum ad margaritas gemmasque mores inclinauit), et fait un impressionnant inventaire des éléments luxueux que Pompée fit porter “lors de son troisième triomphe, qu’il célébra sur les pirates, l’Asie, le Pontˮ (tertio triumpho, quem de piratis, Asia, Ponto) et d’autres nations. Et de relever en dernier : “Il y avait aussi un portait de Cn. Pompée en perles : cette figure agréable, avec sa mèche en arrière, ce visage honnête, qui suscitait la vénération de toutes les nations, se retrouvait en perles ! C’était bien là l’austérité qui était vaincue, et plutôt le luxe qui triomphait ! ˮ (imago Cn. Pompei e margaritis, illo relicino honore grata, illius probi oris uenerandique per cunctas gentes, ficta ex margaritis, ita seueritate uicta et ueriore luxuriae triumpho !) Trad. S. Schmitt.
  130. Briant 1996, 313.
  131. Voir Goukowsky in Battistini et Charvet 2004, 787-788. W. Heckel (1997, 203) voit en outre pour Alexandre une urgence à adopter les signes extérieurs de la monarchie perse, dans la mesure où Bessos avait commencé à porter la tiare royale.
  132. Comme le relief de Behistoun que P. Briant (1996, 137) décrit ainsi : “Gravé sur une face polie de 3m sur 5,50m, le relief représente Darius, le corps tourné vers la droite, vêtu de la robe perse et la tête surmontée d’un diadème crénelé.ˮ
  133. Voir par exemple Le livre d’Esther, 6.1-6.9.
  134. Curt. 3.3.17-3.3.18. Trad. H. Bardon. P. Briant (1996, 229) relève que les trois couleurs présentes dans la tenue royale se retrouvent sur les monuments de Persépolis, ou dans la description qu’en fait Xénophon (Cyr., 8.3.13). Pour G. Dumézil (1985), ces couleurs renvoient dans la tradition indo-iranienne aux trois catégories du corps social : le blanc aux prêtres ; le rouge aux soldats ; le bleu aux agriculteurs. Ainsi sont représentées sur le vêtement l’ensemble du corps social, dont le roi est l’expression. Voir aussi Briant 2003, 531.
  135. Arr., An., 2.12.4. Pour une étude de ce passage, voir Briant 2003, 328-329.
  136. Voir chapitre 3, “ L’adoption des costumes et des mœurs perses “.
  137. Diodore (17.47.5) évoque quant à lui pour les Compagnons une tenue “bordée de pourpreˮ (παραπορφύρους). Selon Athénée (12.539 f), cinq cents amis furent autorisés à porter une telle tenue. Voir Goukowsky 1976, 230.
  138. Polyen (Poliorcétique des Grecs, 7.11.12) évoque par exemple, à propos de Darios, sa robe royale (kandys), sa tiare et son diadème qu’il dépose pour se livrer à un rite faisant tomber la pluie. Voir Hamilton 1969, 121.
  139. Plut. Mor., 340b.
  140. C’est aussi le cas des parents du roi, voir Briant 1996, 321.
  141. Brunt 1983, I, 533 ; Hammond 2007 (1), 240.
  142. Heckel 1997, 204, se fondant sur Éphippos (FGrH 126 F5 = Ath. 12.537e-538b) qui affirme qu’Alexandre avait créé un habit mixte, conservant la chlamyde et la kausia macédoniennes. Sur ce chapeau et son origine, voir Fredricksmeyer 1986.
  143. P. Briant (1996, 292-293) rappelle que le chiffre de trois cent soixante concubines, de nombreuses fois attesté (Plut., Art., 27.1 ; DS 17.77.5 ; Curt. 3.3.24 et 6.6.8 ; Ath. 13.557b), est certes symbolique dans les écrits grecs, mais qu’il renvoie aussi au calendrier solaire babylonien, comptant trois cent soixante jours et cinq jours épagomènes. Ainsi “en sélectionnant 360 concubines, on donnait une nouvelle fois du Grand Roi l’image d’un homme au-dessus d’un homme, en raison d’une adéquation parfaite entre son rythme propre et le rythme cultuel. Il s’agit donc d’abord d’un chiffre qui ressortit du caractère sacral de la royauté achéménideˮ.
  144. Briant 2003, 354-357 ; 1996, 289-297.
  145. Voir par exemple Ath., 12.545f ou Élien (N.A., 1.10).
  146. Paelex renvoie d’abord à une femme installée comme rivale d’une épouse, mais finit par désigner une prostituée, de manière équivalente à meretrix. Voir Adams 1983, 355.
  147. Sur le lien entre plaisir des corps sensuels et plaisirs des banquets, voir Sissia 20112, 82-86.
  148. Just. 12.3.11.
  149. Frugalitati pater, luxuriae filius magis deditus erat. (“Le père était porté à la frugalité, le fils l’était plus à la somptuosité.ˮ) Just. 9.8.20. Sur cette opposition entre le père et le fils voir Prandi 2016 (1), 9.
  150. Briant 1996, 307-309 ; 2003, 347-357. Sur le lien entre luxe et repas, voir Nadeau 2010, 364-398, surtout 366 ; Schmitt Pantel 1992, 430-431, 434. R. Nadeau (2010, 157-158) note en outre qu’avec l’afflux des richesses de l’Orient dû à Alexandre le Grand, “la surenchère est inévitable ; la magnificence est mise au service du prestige social et politiqueˮ. Ainsi les richesses firent évoluer les mœurs.
  151. Ath. 11.464a. Toujours chez Athénée (2.48f-2.49a), citons l’exemple du lit de banquet donné, entre autres présents, par Artaxerxès II au Crétois Entimos : Ἔπεμψε δὲ καὶ κλίνην αὐτῷ ἀργυρόποδα καὶ στρωμνὴν καὶ σκηνὴν οὐρανοφόρον ἀνθινὴν καὶ θρόνον ἀργυροῦν καὶ ἐπίχρυσον σκιάδειον καὶ φιάλας λιθοκολλήτους χρυσᾶς εἴκοσι, ἀργυρᾶς δὲ μεγάλας ἑκατὸν καὶ κρατῆρας ἀργυροῦς καὶ παιδίσκας ἑκατὸν καὶ παῖδας ἑκατὸν χρυσοῦς τε ἑξακισχιλίους χωρὶς τῶν εἰς τὰ ἐπιτήδεια καθ´ ἡμέραν διδομένων. (“Il lui envoya aussi un lit à pieds d’argent, une couverture à fleurs, une tente à ciel constellé, un fauteuil d’argent, un parasol brodé d’or, vingt coupes d’or incrustées de pierres précieuses, et de plus cent grandes d’argent, cent cratères d’argent aussi, et cent servantes et cent esclaves, et six mille pièces d’or, en dehors de ce qui lui avait été donné pour les besoins de chaque jour.ˮ) Trad. A. M. Desrousseaux.
  152. Voir par exemple Curt. 3.13.10-3.13.11.
  153. Briant 1996, 306.
  154. Ath. 12.538e-12.538f.
  155. Voir aussi Ath. 4.145d.
  156. Ath. 13.607f-13.608a. Trad. P. Briant in Briant 2003, 354
  157. Briant 1996, 297-306. Selon Dinon et Ctésias cités par Athénée (4.14c), la table du Grand Roi nourrissait chaque jour quinze mille personnes !
  158. Voir aussi Plut., Alex., 50.8 ; Curt. 8.1.22, et surtout Arrien (An., 4.8.2) qui associe l’ivrognerie d’Alexandre et l’adoption des coutumes perses.
  159. Plut., Alex., 75.4.
  160. La chronologie n’est pas la même que chez Plutarque (Alex., 75.5), où c’est le banquet de Médios qui se prolonge jusqu’au jour. Ainsi, le texte de Trogue Pompée / Justin appuie le caractère excessif de l’ivrognerie d’Alexandre, qui ne semble jamais avoir assez bu.
  161. Voir introduction. Sur une vision opposée d’un Alexandre au contraire modéré dans son rapport à la boisson, voir Plut., Alex.23 ; Hamilton 1969, 59.
  162. …συγχωρεῖν πάντας μὴ διὰ μέθης ποιήσασθαι τὴν ἐν τῷ παρόντι συνουσίαν, ἀλλ᾽ οὕτω πίνοντας πρὸς ἡδονήν. Ἐπειδὴ τοίνυν […] τοῦτο μὲν δέδοκται, πίνειν ὅσον ἂν ἕκαστος βούληται, ἐπάναγκες δὲ μηδὲν εἶναι, τὸ μετὰ τοῦτο εἰσηγοῦμαι τὴν μὲν ἄρτι εἰσελθοῦσαν αὐλητρίδα χαίρειν ἐᾷν, αὐλοῦσαν ἑαυτῇ ἢ ἂν βούληται ταῖς γυναιξὶ ταῖς ἔνδον, ἡμᾶς δὲ διὰ λόγων ἀλλήλοις συνεῖναι τὸ τήμερον · καὶ δι᾽ οἵων λόγων, εἰ βούλεσθε, ἐθέλω ὑμῖν εἰσηγήσασθαι. Plat., Conv., 176e. Trad. É. Chambry.
  163. Notons que cette vision n’est pas propre à Platon. Ainsi Plutarque estime que le président du banquet doit “maintenir une atmosphère agréable ˮ et ne pas le laisser “se transformer en assemblée populaire, tantôt en école de sophiste, ou même en tripot, voire en scène et en orchestra.ˮ Propos de Table, 1.4, Mor., 621 B. Trad. F. Fuhrmann. Sur le rapport du banquet aux plaisirs jusqu’à l’avènement du “banquet philosophiqueˮ, voir Dupont 1977, 19-39, surtout 36-39.
  164. L’expression est de C. Orfanos (2003, 205). C’est lui qui met en italique. Sur cette équivalence entre banquet et assemblée, voir aussi l’analyse du vocabulaire politique utilisé dans le Banquet par Platon pour définir les règles du banquet dans Battistini 2004, 587-588. Dans le Banquet de Xénophon, les différentes interruptions liées aux spectacles proposés aux convives n’empêchent pas non plus la discussion entre eux. Voir Andrisano 2003, 291.
  165. Plut., Propos de Table, 8.9, Mor., 714 A 10. Maxime de Tyr (22d-22f) affirme même que dans les banquets perses, il existait une loi réprimant l’ivresse, ce qui garantissait la qualité des débats par opposition aux frasques de l’assemblée athénienne. Mais Xénophon (Cyr., 8.8.10) dans son chapitre sur la décadence perse, laisse à voir une autre image des Perses, emportés loin des banquets pour pouvoir se soulager.
  166. R. Nadeau (2010, 246-252) développe ainsi l’idée d’un banquet où règne “une égalité relative des convives afin qu’ils puissent librement exprimer leurs opinionsˮ, qui constitue “avant tout un lieu des plaisirs intellectuels et de l’amitiéˮ. Il prend ainsi comme exemple (246, note 510) le cas d’Alexandre qui, “entretenant normalement des rapports égalitaires avec ses compères macédoniens mais de domination envers ses sujets orientaux, est pris de colère lorsque Cleitos exprime ouvertement son opinion.ˮ La nature du banquet se trouvait ainsi dévoyée par l’orientalisation du roi.
  167. Just. 12.6.12-12.6.13.
  168. Voir Baynham 1998, 171 ; Yakoubovitch 2015, 71-79, et notamment ce commentaire portant sur l’Alexandre de Quinte-Curce, mais pouvant également éclairer celui de Trogue Pompée / Justin : “Si la propension du Macédonien à s’abandonner aux excès de la boisson est un topos, ces excès ont changé de nature : des débordements d’un jeune homme impétueux, on passe aux manifestations d’une dégénérescence morale indissociable de la nature même des régions traversées et révélatrice d’une transgression des normes sociales. Alexandre n’est plus qu’un roi indien parmi d’autres…ˮ
  169. Sur la manière dont les Romains voyaient la mollitia comme une dégénérescence de l’homme, dur à l’origine et efféminé, amolli par les contacts d’une “vie aiséeˮ et du “raffinement gastronomique, joints aux délices érotiquesˮ, autrement dit tous les vices adoptés par Alexandre, voir Sissa 20112, 256-261, surtout p. 258.
  170. tantas opes amitti his moribus, non quaeri solere. Just. 12.3.12. Voir aussi 12.4.1. Quinte-Curce (5.1.6) place dans la bouche de Darios un raisonnement similaire.
  171. Sur la composition de l’armée, voir Arr., An., 3.11.3-3.11.7 ; Briant 1996, 815-820.
  172. M.-P. Arnaud-Lindet (11.13, note 66) explique judicieusement que “Le color peut être le teint (color comme le grec χρώμα) des soldats indiens de l’armée perse qui combattent à l’aile gauche avec le Roi (Diodore, 17,59,4), mais aussi la couleur des vêtements, harnachements, enseignes…, c’est-à-dire l’aspect très coloré de l’armée de Dariusˮ.
  173. Just. 11.13.10-11.13.11.
  174. Briant 1996, 807.
  175. Santi Amantini 1981, 254.
  176. Voir Dupont & Éloi 2001, 267 ; Yakoubovitch 2015, 75.
  177. C’est là un lieu commun développé également par Valère-Maxime (9.1, ext.4), Tite-Live (9.17), Quinte-Curce (5.1.6).
  178. Ce type d’oppositions, entre une armée d’hommes usant du fer, et une armée corrompue par les richesses, perdant sa virilité, est également abondamment développé par Quinte-Curce (3.2.12-3.2.15 ; 3.3.26-3.3.28…). Voir Briant 2008, 350-351.
  179. Just. 12.7.4-12.7.5.
  180. Diodore (17.57.2) et Quinte-Curce (4.1.27) évoquent la présence de cette troupe dès la bataille de Gaugamèles. Mais il doit s’agir d’une confusion avec les hypaspistes due à leur source (Clitarque ?). Trogue Pompée / Justin semblent être ici les historiens les plus fiables, et les hypaspistes durent devenir les Argyraspides effectivement en 327, avant le départ pour l’Inde. Quinte-Curce (8.5.4) évoque d’ailleurs lui aussi à ce moment l’ajout de parures aux armures, et s’est peut-être appuyé alors sur le texte de Trogue Pompée. Celui-ci serait allé plus loin sur le luxe apporté que n’en rend compte l’épitomé : Itaque, necubi uinceretur, cum ceteris praestaret, scutis argenteas lamnas, equis frenos aureos addidit, loricas quoque alias auro, alias argento adornauit. (“Aussi, pour n’être inférieur à aucun égard [aux Indiens], lui qui l’emportait à tous autres points de vue, Alexandre fit-il ajouter aux boucliers macédoniens des lames d’argent, aux chevaux des freins d’or ; les cuirasses furent ornées les unes d’or, les autres d’argent…ˮ) Trad. H. Bardon. Sur les Argyraspides, voir Battistini 2004, 549-550 ; Berve 1926, I, 128 ; Heckel 1997, 237-238.
  181. Les Argyraspides apparaîtront de nouveau au livre 14, sous un jour qui ne les honore pas : convaincus par Eumène de se ranger derrière lui, ils subissent une défaite contre Antigone (14.3.2), puis trahissent leur général qu’ils livrent à l’ennemi avec toutes les dépouilles acquises lors de l’expédition d’Alexandre (14.4.16-14.4.17), d’où cette terrible conclusion de Trogue Pompée / Justin : Tanto pulchrior haec Antigono quam Alexandro tot uictoriae fuerunt, ut, cum ille Orientem uicerit, hic etiam eos, a quibus Oriens uictus fuerat, superauerit. (“Cette victoire fut plus belle pour Antigone que ne le furent toutes celles d’Alexandre, puisque, quand l’un avait vaincu l’Orient, l’autre avait triomphé de ceux même par lesquels l’Orient avait été vaincu.ˮ) Just. 14.4.19. Voir Roisman 2011.
  182. Just. 12.7.1-12.7.3.
  183. Hdt. 1.134.
  184. Sur cette pratique, voir Balsdon 1950, partic. p. 372-375 ; Briant 1996, 234-236.
  185. Briant 2003, 107. M. A. Levi (1977, 139 sq.) précise même que cette forme de monarchie au rituel analogue à un rituel religieux, fut mal acceptée par une certaine aristocratie iranienne.
  186. Voir par exemple Isocr., Pan., 151 ; Xén., An., 3.2.13 ; voir aussi le refus de Conon d’“adorerˮ le Grand Roi chez Trogue Pompée / Justin (6.2.13) : …a cuius aspectu et conloquio prohibitus est, quod eum more Persarum adorare nollet. (“On l’empêcha de le voir et de s’entretenir avec lui, parce qu’il ne voulait pas l’adorer selon la coutume perse.ˮ)
  187. Green 1991, 373.
  188. Pour un bon compte-rendu de cette querelle, voir Hamilton 1969, 150-152 ; Yakoubovitch 2015, 102-103.
  189. Balsdon 1950, 376-378 ; Heckel 1997, 233 ; Briant 2003, 108.
  190. Battistini 2004, 922-927 ; Tarn 1948, I, 79-80.
  191. À propos du débat sur la proskynèse chez Quinte-Curce, voir Baynham 1998, 192-195.
  192. Briant 2003, 106-108 ; Delaygue-Masson 2008, 175-178 ; Hammond 2002, 159-160.
  193. “À cette date en effet, l’opposition se manifestait non pas tant, à mon sens, entre les Macédoniens et les Orientaux, qu’entre les Macédoniens et leur roi.ˮ Briant, 1982, 55.
  194. Just. 12.4.1.
  195. Just. 12.3.12.
  196. Quae ne inuidiosius in se uno conspicerentur, amicos quoque suos longam uestem auratam purpureamque sumere iubet. (“Mais pour éviter que ces attributs ne soient regardés avec trop de jalousie sur lui seul, il ordonne que ses amis portent également la longue robe de pourpre et brodée d’orˮ) Just. 12.3.9.
  197. Sed ne solus uitiis eorum quos armis subiecerat succubuisse uideretur, militibus quoque suis permisit, si quarum captiuarum consuetudine tenerentur, ducere uxores. (“Mais pour ne pas paraître être le seul à avoir succombé aux vices de ceux qu’il avait soumis par les armes, il permit aussi à ses soldats, s’ils étaient attachés par une liaison à quelques captives, de les épouserˮ) Just. 12.4.2.
  198. sed et optimatibus Macedonum lectas ex omnibus gentibus nobilissimas uirgines tradit, ut communi facto crimen regis leuaretur. (…“mais il donna également aux meilleurs des Macédoniens les plus nobles jeunes filles, choisies dans tous les peuples, pour que fût allégée l’accusation portée contre le roi par le partage de sa conduite.ˮ) Just. 12.10.9.
  199. Les épisodes relatés dans ces chapitres se retrouvent peu ou prou dans la Vie d’Alexandre de Plutarque. On y découvre, à de rares omissions près, comme la lecture des lettres ou la fondation de la cité du Tanaïs, les mêmes événements que ceux relatés par Trogue Pompée / Justin, mais avec une lecture complètement différente : là où Trogue Pompée fait d’Alexandre un véritable Perse qui oublie les Macédoniens, et qui les punit pour leur contestation, Plutarque atténue cette opposition et excuse Alexandre systématiquement. Celui-ci change de costume (45) ? Ce dernier est un mélange de goût entre culture macédonienne et culture perse, et est accepté par les Macédoniens qui pardonnent cet écart à leur roi au vu de sa grandeur. Alexandre crée les épigones (47) ? Il s’agit là d’un grand projet politique. Il met à mort Philotas (48-49) ? C’est qu’il est coupable d’avoir participé à un complot contre le roi. Il tue Clitos en plein banquet (50-51) ? C’est que ce dernier est allé trop loin dans ses propos tenus au fils de Philippe et dans son attitude. Callisthène subit-il un sort terrible (53-56) ? C’est qu’il s’est mis lui-même dans une mauvaise position par sa grossièreté et son manque de bon sens. On le voit, la perspective de Plutarque est radicalement différente de celle que l’on trouve dans les Histoires philippiques (voir Hamilton 1969, 120-157). Ce qui est étonnant dans cette séquence de l’enfant de Chéronée, c’est surtout le chapitre 47 qui comporte, en plus d’un développement sur les Épigones, une phrase sur les bienfaits de la politique d’orientalisation d’Alexandre (47.5), un propos sur le mariage du roi et de Roxane (47.7), et un autre sur Héphestion et Cratère (47.9-47.12), les deux plus proches amis du Conquérant dont il dit que si l’un aimait Alexandre, l’autre aimait le roi. Ce paragraphe est intéressant parce qu’il apparaît comme une interruption de la trame narrative, et comme une série d’anecdotes sans ordre chronologique (Hamilton 1969, XL, suivi par Heckel 1997, 208). Or le point sur les Épigones et sur Roxane, a priori antéposé par rapport à leur date réelle, certainement 327, après les morts de Philotas, Parménion et Clitos, se retrouve ici à la même place que chez Justin, et donc chez Trogue Pompée (si l’on admet selon notre théorie que celui-ci traitait du mariage de Roxane à ce moment-là). Par ailleurs, le développement sur Héphestion et Cratère trouve ici une justification si on le considère comme une réponse à la vision de Trogue Pompée opposant Alexandre et l’ensemble des Macédoniens, et tentant de mettre en évidence son isolement. Ce faisant, Plutarque montre que le roi avait le soutien à la fois d’un homme, Héphestion, qui “l’approuvait et s’habillait comme luiˮ (ἐπαινοῦντα καὶ συμμετακοσμούμενον αὐτῷ), et d’un autre, Cratère, qui “restait fidèle aux coutumes de sa patrieˮ (τοῖς πατρίοις ἐμμένοντα ; Alex., 47.9 ; trad. R. Flacelière). Les deux hommes deviennent ainsi les symboles de la réussite de la politique de fusion d’Alexandre. Tout cela peut relever de la coïncidence, mais il est un autre point troublant. J. R. Hamilton voit dans les paragraphes 21 et suivants, situés après la rencontre entre Alexandre et les reines et princesses perses, une autre digression du même type. Cette digression exalte la frugalité d’Alexandre (22) et sa modération pour la boisson (23), au moment même où Trogue Pompée / Justin sont les seuls à faire état d’une première corruption d’Alexandre à la suite de la découverte des richesses perses, en se laissant aller au luxe des banquets de la culture achéménide. Plutarque de son côté n’évoque pas même alors une telle découverte du faste et de la prodigalité pour faire ce commentaire sur Alexandre, dont l’à-propos n’est pas évident. Ainsi si les richesses de Damas, qui devaient être mentionnées par Trogue Pompée, pervertissent Alexandre (11.10.1-11.10.2), elles n’affectent que les Macédoniens chez Plutarque (24), et pas leur roi. Il serait donc assez tentant de considérer ces deux extrapolations de Plutarque comme une sorte de réponse au texte original de Trogue Pompée à ces endroits cruciaux. Cependant, ce n’est là qu’une simple hypothèse dont la vérification, si toutefois elle est possible, dépasserait de très loin le cadre de cette étude.
ISBN html : 978-2-35613-398-4
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EAN html : 9782356133984
ISBN html : 978-2-35613-398-4
ISBN pdf : 978-2-35613-399-1
ISSN : 2741-1818
Posté le 24/06/2021
40 p.
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Comment citer

Horn, Nelson, “Chapitre 4. Alexandre le Perse”, in : Horn, Nelson, L’image d’Alexandre le Grand chez Trogue Pompée / Justin. Analyse de la composition historique des Histoires philippiques (livres 11 et 12), Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 9, 2021, 213-252, [en ligne] https://una-editions.fr/alexandre-le-perse/ [consulté le 24 juin 2021].
doi.org/10.46608/primaluna9.9782356133984.6
Illustration de couverture • Montage à partir de photos d'un buste de d’Alexandre de la fin du IVe siècle (Musée de Pella), d'une épée attribuée à Philippe retrouvée dans la tombe 2 de Vergina et d'une cruche de vin retrouvée dans le tombeau de Philippe II, tous les deux datant de 336 a.C. (Musée des tombes royales d'Aigéai, Ministère de la Culture et du Tourisme grec).
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