Écrire l’Histoire des métaux précieux suppose des approches à la fois historiques, archéologiques, archéométriques, géographiques et géologiques, environne-mentales et une réelle synergie entre les chercheurs. Seule cette transdisciplinarité permet de prendre en compte dans son ensemble le circuit des métaux, du minerai à son usage final, voire son recyclage.
Un colloque organisé en octobre 2016 par le Laboratoire d’Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée a permis de dresser un état des connaissances et un état de la recherche, principalement en Méditerranée occidentale, avec quelques incursions en Méditerranée orientale1. Il était structuré par quatre principaux thèmes :
- Espaces miniers méditerranéens, les acquis de la recherche ;
- Circulation des hommes et des Savoir-Faire ;
- Structures des échanges commerciaux, fonctionnement et organisation ;
- Traçage des métaux, méthodes et résultats.
L’un des objectifs était de mettre en évidence les collaborations à mener dans le futur, les thèmes à développer, voire bâtir un réseau international.
Les lignes qui suivent empruntent beaucoup à l’introduction, que j’avais rédigée et qui a été publiée, de ce colloque. Les constats alors formalisés peuvent être formulés de la même façon cinq ans plus tard. On observe un grand déséquilibre entre des pays comme la France, l’Italie et l’Espagne – où les recherches sur les métaux en général sont nombreuses et donnent lieu à des rencontres scientifiques et des publications – et d’autres espaces pour lesquels on possède très peu de données et où il ne semble pas y avoir de véritable recherche systématique, rendant aléatoire toute réflexion à grande échelle.
Il n’est donc pas aisé de retracer une véritable évolution des thématiques, à l’échelle européenne.
La recherche française peut être donnée en exemple, car très vite les différents sujets gravitant autour de la production de minerais/métaux précieux ont été pris en compte. Cette diversification précoce des thématiques s’explique, car la France a un triple avantage :
- L’antériorité du démarrage de la recherche autour des métaux dès la fin des années 1970 ;
- L’existence d’un programme de recherche archéologique national autorisant et encadrant les opérations de prospections, de fouilles, encourageant la formation de Projets Collectifs de Recherches (PCR), favorisant la tenue de colloques, séminaires, tables rondes accompagnés de publications ;
- La variété des chercheurs, professionnels (CNRS et Université principalement) ou amateurs, offrant un large panel de types d’approches historiques, archéologiques, archéométriques, géologiques et géochimiques, etc.
Les questions relatives aux techniques minières et à leur évolution sur le temps long ont constitué le socle fondateur de l’archéologie minière en France, associant archéologie traditionnelle et archéologie souterraine empruntant beaucoup à la spéléologie. Cette particularité a fait de la recherche française le leader dans ce domaine et l’essentiel des connaissances en matière de techniques d’abattage, de gestion des espaces souterrains, d’identification et d’organisation des installations de surface a été obtenu par les archéologues français.
Dans ce domaine, l’évolution possible est une précision chronologique dans les mutations technologiques comme l’apparition de la poudre dans le percement de la roche, par exemple2. Même quête de précision chronologique dans l’évolution des traitements des minerais polymétalliques grâce à l’archéométrie. D’une façon plus générale, une dilatation du cadre chronologique est indispensable ; il faut travailler sur le temps très long et prendre en compte la fin de l’Antiquité et les premiers siècles du Moyen Âge – période pour laquelle les sources sont plus difficiles à trouver – et mieux cerner les temps de mutations techniques à l’Époque Moderne.
Les recherches les plus actives s’organisent autour de quelques grands thèmes. Les questions environnementales comme celles des combustibles3, des pollutions rémanentes sur lesquelles le laboratoire EDYTEM de l’Université Savoie-Mont-Blanc développe le programme TRAMIN Socio-environnemental Trajectories of Mining Territories4, des modifications profondes des paysages5 constituent le premier axe de recherche. Le second englobe l’organisation des territoires miniers, l’impact sur le phénomène urbain de la production ou du commerce de métaux précieux, l’encadrement et le contrôle de ces activités liés à l’enjeu économique et politique qu’ils constituent. Un colloque hommage au professeur Paul Benoît s’est tenu à Paris en septembre 2019 sur Hommes et travail du métal dans les villes médiévales : 35 ans après. Les actes sont en cours de publication. La circulation des matières premières et la provenance des minerais/métaux sont désormais au cœur d’une étroite collaboration entre archéologues, historiens des textes et archéomètres6. C’est probablement l’axe de recherche le plus indispensable à l’évolution des réflexions sur le thème des métaux précieux en Méditerranée médiévale.
Pour autant, l’avenir de la recherche amène à une reprise de travaux précurseurs et tient à une meilleure connaissance du terrain.
Ainsi les règlements miniers. En 1993, Philippe Braunstein publiait un article sur les statuts miniers européens, dont les données étaient reprises dans un ouvrage du même auteur, en 20037. En 2008, un colloque international réunissait des chercheurs sur le thème I codici minerari: statuti europei a confronto dalle Tavole di Aljustrel agli ordinamenta médievali, publié en 2014 avec une nouvelle réflexion sur les règlements majeurs que sont le Codex Wangianus, le Breve di Villa di Chiesa, les Tables de Vipasca8. Des éléments nouveaux sont venus alimenter la réflexion, comme un texte réglementant l’exploitation minière dans le district minier de la Terre d’Hierle dans le Languedoc9.
Sur le terrain, des sites étudiés depuis plusieurs décennies offrent encore des données inédites grâce à l’apport de l’archéométrie et à une relecture des textes. Le site de Brandes est représentatif de cette évolution. Après avoir consacré de nombreuses campagnes de fouille aux mines et aux ateliers de minéralurgie, la nouvelle programmation s’intéresse à l’agglomération elle-même, à son fonctionnement, à la vie de ses habitants, à l’environnement au moment du fonctionnement de l’entreprise minière et aux pollutions qui ont affecté hommes et bêtes. Une étude complète des sources relatives à l’Oisans médiéval par une historienne va permettre de situer l’agglomération minière de Brandes dans son environnement social uissan.
Plus généralement, la concertation doit certes s’opérer à l’échelle du bassin méditerranéen et les échanges avec les collègues italiens et espagnols sont devenus la règle. Mais simultanément, il faut insérer cette recherche dans un cadre bien plus large avec les productions de l’Europe de l’Est telles que les Monts métallifères de l’Erzgebirge, les districts miniers de la République Tchèque, de la Saxe ou encore la Cappadoce – où l’or, l’argent, le plomb, le cuivre et l’étain, exploités très anciennement, l’étaient encore de façon avérée du IXe au XIe siècle10 – de l’Asie, de la péninsule arabique11, etc. Venise, par exemple, est une des grandes places commerciales médiévales qui met en contact, via la Croatie, l’Europe occidentale avec l’Europe orientale et voit transiter des produits provenant de toutes les parties du monde. Vaste projet, à mener sur plusieurs générations de chercheurs.
En conclusion, les questions posées dans les attendus du colloque de 2016 sur les Métaux précieux en Méditerranée médiévale servent de base à une réflexion commune, au sein d’un réseau dont il faudra esquisser la forme au cours des prochaines années.
Quelques grandes orientations peuvent d’ores et déjà être avancées autour de trois principaux axes de réflexion :
- Quid de la diffusion des métaux précieux tout au long de la chaîne opératoire et des différents prélèvements qui s’opèrent ? Les ateliers monétaires sont-ils le principal débouché ? Quid des métaux connexes que sont le plomb et le cuivre ?
- Comment caractériser les activités autour de la production de métaux précieux ? Artisanat ? Entreprise ? Industrie ? Le spectre des situations sera certainement très large ; quels critères adopter pour mieux les définir12 ?
- Les transferts de métaux précieux entre les états méditerranéens semblent se structurer entre un export de métaux polymétalliques (argent, plomb, cuivre) d’Occident vers l’Orient, et d’or d’Orient et d’Afrique vers l’Occident. Or, d’importantes mines polymétalliques étaient en exploitation des deux côtés de la Méditerranée, en particulier dans l’espace maghrébin. Comment expliquer ce paradoxe ? Une réflexion actualisée mérite d’être ouverte.
- La question de la circulation des métaux reste primordiale et il est aujourd’hui essentiel de savoir caractériser l’isotope de l’argent, ce qui implique, bien évidemment, un important travail d’échantillonnage de minerais de préférence prélevés in situ et de travail en laboratoire, car les gisements miniers sont multiples. Ce travail nécessitera également une réelle synergie méditerranéenne13.
L’idée généralement admise est que l’arrivée de l’or et de l’argent du Nouveau Monde change la donne et que désormais, la production et le commerce des métaux précieux abandonnent la Méditerranée pour se concentrer dans les Alpes orientales et l’Atlantique. Dans un article daté de 2011, Anne-Marie Desaulty et Francis Albarède (communiqué de presse du CNRS 2011) posent la question. L’argent des Amériques aurait pénétré l’économie espagnole plus tard que prévu. Selon eux, le métal européen serait resté majoritaire jusqu’aux années 1620 du XVIIe siècle, hypothèse émise à partir de l’analyse d’isotopes de monnaies circulant en Espagne après 1492.
Le colloque sur Les métaux précieux en Méditerranée médiévale a montré toute la multiplicité des questions que les recherches conduites depuis une quarantaine d’années soulèvent et tout le potentiel que ce large sujet offre.
Bibliographie
- Albarède, F., Blichert-Toft, J., Riboal, M., Telouk, P. (2016) : “A glimpse into the Roman finances of the Second Punic War through silver isotopes”, Geochemical Perspectives Letters, 2, 127-137.
- Bailly-Maître, M.-C. (2002) : L’Argent. Du minerai au pouvoir dans la France médiévale, coll. Espaces médiévaux, Paris.
- Bailly-Maître, M.-C. (2008) : “Les paysages miniers médiévaux en France : essai de restitution à partir des données de l’archéologie et de l’archéométrie”, Proceeding of Le Mans COST A27 conférence, Marqueurs des paysages et systèmes socio-économiques de la construction des paysages pré-industriels à leur perception par les sociétés contemporaines, Le Mans, décembre 2006, Documents Archéologiques 1, Rennes, 89-98.
- Bailly-Maître, M.-C. (2009) : “Les paysages miniers et métallurgiques. Histoire d’une construction et d’une disparition”, in : Lévêque, L., Ruiz Arbol, M., Pop L. éd. : Patrimoine, Images, Mémoire des paysages européens / Heritage, Images, Memory of European Landscapes COST A27, coll. Histoire, textes Sociétés, Paris, 375-387.
- Bailly-Maître, M.-C., Dillmann, P. (2006) : “Mines et métallurgies au Moyen Âge. Aperçus de l’évolution d’une discipline”, Les dossiers de l’Archéologie, 314, 65-67.
- Bailly-Maître, M.-C., Ancel, B. (2014) : “Au carrefour des sources et de la pratique. Le district minier médiéval d’Hierle, Saint-Laurent-le-Minier (Gard-France)”, in : Farinelli, R., Santinucci, G., éd. : I codici minerari nell’Europa preindustriale : archeologia e storia, All’Insegna del Giglio, Florence, 23-36.
- Bailly-Maître, M.-C., Minvielle Larousse, N. (2018) : “Entre artisanat et industrie : le monde de la mine au Moyen Âge”, in : Burri, S., Ouerfelli, M., éd. : Artisanat et métiers en Méditerranée médiévale et moderne, Confluent des sciences, Aix-en-Provence, 23-56.
- Bailly-Maître, M.-C. (2019) : L’entreprise minière de Brandes Oisans-Dauphiné XIIe-XIVe siècles Extraction et transformation de minerais argentifères, collection des DARA, Lyon.
- Baron S., Coustures M.-P. (2015) : “Apports et limites des méthodes isotopiques pour restituer la circulation des métaux aux périodes anciennes”, dans Méthodes et formations en archéométrie en France, Les Nouvelles de l’Archéologie, Paris, 35-39.
- Braunstein, P. (2003) : Travail et entreprises au Moyen Âge, Bibliothèque du Moyen Âge 21, Bruxelles.
- Camizuli, E., Monna, F., Alibert P., Beis, P., Bermond, A., Bohard, B., Delivet, G., Gourault, C., Guillaumet, J.-P., Hamm, G., Labanowski, J., Lachiche, C., Losno, R., Pereira, A., Petit, C., Revelli, P., Scheifler, R., van Oort, F. (2014) : “Impact des anciens sites miniers et métallurgiques sur les écosystèmes actuels. Synthèse des principaux résultats”, collection Edytem 17, Le Bourget du Lac, 85-98.
- Dillmann, P., Bellot-Gurlet, L. (2011) : “L’archéométrie une discipline du passé ou un enjeu interdisciplinaire pour l’avenir ? Réflexions issues du bilan de 40 ans de colloque du GMPCA”, ArchéoSciences, 42-1, 77-83.
- Metivier, S., Prigent, V. (2010) : “La circulation monétaire dans la Cappadoce byzantine d’après les collections des musées de Kayseri et de Nigde”, Travaux et Mémoires, 577-618.
- Minvielle Larousse, N., Bailly-Maître, M.-C., Bianchi, G. éd. (2019) : Les métaux précieux en Méditerranée médiévale. Exploitations, transformations, circulations : actes du colloque international d’Aix-en-Provence, 6-8 octobre 2016, Bibliothèque d’archéologie méditerranéenne et africaine 27, Aix-en-Provence.
- Peli, A. (2006) : “Les mines de la péninsule Arabique d’après les auteurs arabes (VIIe – XIIe siècles)”, Chroniques yéménites [En ligne], 13 | 2006, mis en ligne le 8 octobre 2007, consulté le 6 juin 2017. URL : http://cy.revues.org/1176 ; DOI : 10.4000/cy.1176
- Pierre, F. (1993) : “Les mines de cuivre et d’argent de la Haute-Moselle. Apparition et évolution des techniques de percement à la poudre noire. Le Thillot (Vosges)”, Lotharingia, 5, Nancy, 91-159.
- Py, V., Durand, A., Ancel, B. (2013) : “Anthracological analysis of fuel wood used for firesetting in medieval metallic mines of the Faravel district (southern French Alps)”, Journal of Archaeological Science, 40, 3878-3889.
Notes
- Minvielle Larousse et al. 2019.
- Pierre 1993.
- Py et al. 2013.
- Camizuli 2014.
- Bailly-Maître 2008, 2010.
- Bailly-Maître & Dillmann 2006 ; Dillmann & Bellot-Gurlet 2011.
- Braunstein 2003.
- Farinelli & Santinucci 2014.
- Bailly-Maître & Ancel 2014.
- Métivier & Prigent 2010.
- Peli 2006.
- Bailly-Maître & Minvielle 2018.
- Albarède 2016 ; Baron & Coustures 2015.