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L’achèvement de la présente édition électronique du bullaire de Jean de Valier est un événement considérable pour l’étude de l’histoire de l’Agenais et du Condomois au Moyen Âge. Entreprise il y a plus d’un siècle par le chanoine Jean Raoul Marboutin (1872-1959), annoncée en 1899 comme devant paraître bientôt après, elle ne fut jamais terminée. Les historiens médiévistes, disposant de l’accès au registre original et de transcriptions modernes, s’étaient résignés depuis longtemps – trop vite ? – à devoir se passer d’une édition scientifique avec les annotations propres à rendre exploitable ce véritable monument.

Car c’est bien d’un véritable monument qu’il s’agit. En l’absence de fonds médiévaux consistants – comme l’atteste la faiblesse, pour la période médiévale, des archives de l’évêché d’Agen conservées aux Archives départementales de Lot-et-Garonne –  la préservation de ce gros inventaire de bulles du pape Clément V (1305-1314) récapitulant et confirmant plusieurs centaines de cessions de dîmes à l’évêque d’Agen entre 1240 et 1290 environ constitue une heureuse exception.  

Rédigé vers 1520, le bullaire de Jean de Valier est un document essentiel pour l’histoire des paroisses de l’Agenais et du Condomois, dont il constitue bien souvent l’une des premières attestations connues et conservées. Renvoyant à un état du réseau paroissial tel qu’il se présentait au XIIIe siècle, au maximum de sa densité, avec un peuplement de toutes les campagnes, il constitue un jalon fondamental pour sa connaissance. À cet égard, le bullaire signale à notre attention l’existence d’une série de « micro-paroisses », dont certaines, abandonnées après la guerre de Cent Ans, ne figurent pas dans la carte de Cassini, à la fin du XVIIIe siècle, ni sur les planches du cadastre napoléonien et n’ont donné lieu à aucun vestige signalé, à tel point que leur identification en devient problématique. C’est notamment le cas au sud de la Garonne, dans le futur diocèse de Condom, détaché de celui d’Agen en 1317, et en particulier pour les alentours de Fourcès, de Condom ainsi que le Néracais. 

Très intéressant pour la toponymie et l’étude des lieux, le bullaire l’est aussi pour la connaissance de l’histoire des familles de l’Agenais, en particulier des lignages de la petite noblesse ainsi que certains bourgeois ou laïcs détenteurs de dîmes. Sur ce point, les hommages rendus au roi d’Angleterre ou au roi de France entre 1259 et 1286 offrent d’ailleurs de belles possibilités de croisement avec le bullaire qui ont déjà donné des résultats.

Cependant, malgré toutes les potentialités qu’il offre, le bullaire de Jean de Valier a toujours eu la réputation d’être difficile à utiliser, à tel point qu’il a souvent découragé les chercheurs. Sa structure d’ensemble, la complexité de sa tradition manuscrite et l’écart de date entre sa rédaction et la date des actes auxquels il fait référence constituent effectivement autant d’obstacles et de pièges. Le registre se décline en plusieurs couches puisqu’il fournit l’analyse du contenu de 157 bulles pontificales obtenues en 1309 regroupant chacune plusieurs donations (une dizaine par bulle, en moyenne) de dîmes à l’évêque d’Agen intervenues dans le courant du XIIIe siècle. À de très rares exceptions près, il ne subsiste presque aucun original de ces bulles récapitulatives ni aucun des actes de donation initiaux. 

De fait, la méthode suivant laquelle les donations ont été rassemblées, ni géographique ni familiale, apparaît quelque peu déconcertante, de même que l’ordre dans lequel les bulles sont décrites par Jean de Valier. De plus, il existe des duos voire des trios de bulles identiques mais éloignées entre elles dans l’ordre de description du registre et présentant des variantes entre elles, ce qui rend évidemment les identifications plus complexes et moins assurées. Employant un vocabulaire latin du début du XVIe siècle, les analyses de Valier introduisent inévitablement des biais susceptibles de fausser notre compréhension des réalités du XIIIe siècle, sans compter que certaines graphies sont tellement maltraitées qu’elles vont jusqu’à rendre méconnaissables certains noms propres.

Afin de doter enfin le bullaire de l’édition scientifique qu’il mérite, Françoise Lainé et Pierre Simon ont décidé d’unir leurs efforts durant de longs mois de labeur paléographique et historique acharné, et le duo est devenu trio avec l’arrivée d’Ézéchiel Jean-Courret pour le dossier de cartes et son interprétation. Au final, ce sont plus de 1 300 entrées textuelles qu’ils nous livrent, comprenant l’analyse intégrale des 157 bulles en 95 séries de une, deux ou trois bulles semblables vidimant 878 actes originaux du XIIIe siècle, mais aussi l’inventaire du mobilier de l’évêché de la fin du XVe siècle incluant les bulles, ainsi que l’inventaire des archives de l’évêché dressé en 1790. Ils ont pris le parti de rapprocher les paires ou trios de bulles en mettant les différentes versions en regard, tout en prenant soin d’établir un apparat critique qui rend compte des acquis des transcriptions précédentes et qui permet d’identifier autant que possible les lieux et les personnes. 

Cette édition, précédée d’une introduction historique substantielle, contient également l’étude codicologique minutieuse du manuscrit original, des différentes écritures qu’on y relève et s’intéresse de près à son auteur, Jean de Valier, et à sa méthode de travail. Elle est accompagnée de cartes de plusieurs aires géographiques présentant une certaine densité de paroisses citées dans le bullaire.

Au risque de faire souffrir la modestie de nos auteurs, on ne peut qu’être admiratif du résultat et les remercier pour le beau cadeau qu’ils nous font. L’édition redonne à cette source primordiale son sens et sa lisibilité, elle serre au plus près les datations, les identifications de lieux et des donateurs de dîmes, en délimitant strictement les zones qui restent encore dans l’ombre.

On imagine déjà les nouvelles perspectives qui se dessinent pour aborder différemment l’histoire de ce long XIIIe siècle en Agenais et Condomois, les questionnements qui surgissent et les situations qu’on devine : l’uniformité des analyses ne cache-t-elle pas une diversité d’actes originaux qui ne correspondent pas toujours à de simples cessions de dîmes ? Pourquoi les petites paroisses rurales semblent-elles surreprésentées dans le bullaire, laissant à l’écart les paroisses urbaines ainsi que certains secteurs ? L’abandon définitif de la notion de restitution de dîmes signifie-t-elle que les donateurs laïcs et leurs familles en étaient possesseurs depuis l’origine ?

Enfin, l’édition nous aide à approcher les motivations qui ont conduit l’évêque d’Agen au choix de rassembler dans des bulles récapitulatives confirmant en bloc plusieurs centaines d’actes de donations étalées dans le temps, la logique qui a présidé à leur copie en exemplaires multiples ainsi que leur mode de rangement et de conservation au fil du temps de cette collection aujourd’hui disparue. Nul doute qu’il s’agit d’un véritable encouragement à approfondir la connaissance de l’archivistique depuis la période médiévale grâce aux indices glanés sur les rares originaux subsistants de ces bulles.

Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette édition électronique saura rencontrer son public, auquel elle rendra les plus grands services, tout en formulant également le vœu qu’elle soit suivie d’autres projets semblables, individuels ou collectifs, sur des sources médiévales intéressant l’histoire du Sud-Ouest et présentant un certain degré de complexité.

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Pessac
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EAN html : 9782356135063
ISBN html : 978-2-35613-506-3
ISBN pdf : 978-2-35613-508-7
ISSN : en cours
3 p.
Code CLIL : 3377; 3438
licence CC by SA

Comment citer

Capot, Stéphane, “Avant-propos”, in : Lainé, Françoise, Simon, Pierre, avec la collaboration d’Ézéchiel Jean-Courret, Bullaire de l’évêché d’Agen, compilé par Jean Valier vers 1520. Les cessions de dîmes à l’évêque d’Agen, c. 1240-1290, Pessac, Ausonius éditions, collection Textes @quitains 1, 2023, 11-14, [en ligne] https://una-editions.fr/avant-propos-bullaire-valier [consulté le 06/11/2023].
10.46608/textesaquitains1.9782356135063.2
Illustration de couverture • Dos du bullaire de Valier ; signature de Jean Valier 1520 ©Archives départementales du Lot-et-Garonne.
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