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De nouveaux enjeux territoriaux de la santé • Introduction

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L’accès à la santé concerne une chaîne complexe de services allant du service d’urgence aux spécialités les plus pointues, du simple rendez-vous médical à la prise en charge de longue durée. La santé est devenue un enjeu majeur des politiques publiques qui cherchent à l’appréhender de manière globale, en prenant en compte le cycle de vie de l’ensemble des citoyens, avec des évolutions tant dans les besoins que dans l’encadrement médical, sans pour autant répondre à toutes les demandes singulières. Ce domaine recouvre à présent un ensemble vaste et hétérogène qui va de la vie prénatale à l’accompagnement dans les dernières années de la vie, en passant par la gestion des maisons de retraite, la mise en place des soins palliatifs et l’organisation des obsèques, sans oublier la dimension médico-sociale.

En 2007, l’Université d’Artois organisait un colloque intitulé Frontières et santé – Genèses et maillages des réseaux transfrontaliers qui a fait l’objet d’un ouvrage collectif quelques années plus tard (Moullé & Duhamel, 2010). Cette manifestation qui mettait en relation deux champs, la santé et les enjeux transfrontaliers, qui étaient rarement associées auparavant, dressait un tableau de la situation des systèmes de soins en prenant en compte une dimension territoriale et transfrontalière dans plusieurs régions du monde dont l’Europe. De nouvelles questions ont été évoquées comme celles de la diffusion de pandémies1, des difficultés d’accès aux soins en cas d’asymétrie dans la couverture médicale de part et d’autre de frontières internationales, de l’essor d’un tourisme de santé accéléré par le développement du transport aérien. Au sein de l’Union européenne, les communications présentées ont discuté de la compatibilité entre les systèmes nationaux de santé, entre l’offre de soins et les demandes des citoyens. Elles se sont intéressées tout particulièrement à l’impact de la libre circulation et de l’ouverture des frontières sur les services et les équipements médicaux et sociaux et ceci à différentes échelles. Deux enseignements principaux ont été tirés de ces travaux.

D’une part, les enjeux de santé se sont mondialisés, ce qui interroge dès lors l’articulation entre les offres de soin qui sont élaborées à l’échelle des États et de leurs régions, dans un contexte où le lointain et le proche semblent s’entremêler. Les recompositions territoriales à l’œuvre sont souvent facilitées par des réseaux qui mettent en relation ce qui était auparavant à distance. L’action des pouvoirs publics et leur capacité à répondre à ces transformations est ainsi questionnée.

D’autre part, la santé est devenue un enjeu au sein de l’Union européenne. En effet, les contrastes entre les systèmes nationaux de santé sont d’autant plus perceptibles dans un espace de libre circulation, caractérisé par un régime de « frontière intérieure ». Par ailleurs, l’Union européenne se préoccupe progressivement des enjeux de santé publique, bien que cette dernière ne soit qu’une compétence d’appui. En effet, des programmes « Interreg » intègrent ces préoccupations en relation avec les questions d’environnement tandis que la recherche de maîtrise des coûts a pour effet de confronter les systèmes de soins à l’échelle européenne toute entière, ce qui engendre des flux de patients qui cherchent à profiter des avantages des asymétries territoriales, selon une double logique, celle de la qualité des soins et celle des coûts. Les inégalités d’accès aux soins sont d’autant plus perceptibles dans un contexte où des offres alternatives sont proposées à des coûts abordables. A l’inverse des logiques de compétition, l’instauration de dispositifs transfrontaliers de soins qui cherchent à mutualiser des équipements et des services est une manière d’articuler offre et soins selon une logique de proximité géographique, de part et d’autre de frontières internationales.

Dix ans plus tard, une nouvelle rencontre scientifique a eu lieu en juin 2017 avec pour thème « Frontières, territoires de santé et réseaux de soins ». La santé se trouve alors au cœur de l’agenda politique impliquant de nombreux acteurs, ceux du domaine considéré tout autant que les pouvoirs publics, États, collectivités territoriales, agences nationales ou régionales, opérateurs du transfrontalier et institutions européennes. La production scientifique est pour l’instant relativement hétérogène, d’autant plus que de nouvelles préoccupations voient le jour. Plus généralement, l’un des enjeux majeurs concerne l’élargissement de l’accès aux soins, ce qui interroge les disparités entre offre et besoins qui révèlent l’existence de réelles inégalités territoriales. L’objectif est de prendre en compte les deux champs, la santé et le territoire, en élargissant les problématiques du colloque précédent, intégrant les intenses mutations des dix dernières années.

Plus que jamais, les politiques de soins sont devenues des enjeux cruciaux dans de nombreux pays en Europe du fait du vieillissement démographique, des évolutions technologiques, mais aussi en raison du développement d’une nouvelle approche des patients qui transforme ces derniers, selon le cas, en usagers, citoyens ou clients. Dans ce contexte, la question de l’inégalité d’accès aux soins est devenue une préoccupation partagée en Europe, mais cette dernière semble de plus en plus concerner le monde dans sa globalité à travers deux points que nous souhaitons examiner plus précisément dans  cet ouvrage.

D’une part, les systèmes de gouvernance élaborés par les autorités sanitaires complètent les politiques de soins qui sont mises en œuvre par les États. Dans ce contexte, les maillages territoriaux instaurés par les pouvoirs publics sont-ils soumis à des recompositions, si oui, selon quelles logiques et quelles transformations induisent-elles ? Quelles coopérations s’établissent aux différentes échelles, selon quelles configurations, entre pouvoirs publics et acteurs de la santé d’une part, entre collectivités publiques d’autres part ? Dans quelle mesure les évolutions technologiques participent-elles aux recompositions ?

D’autre part, les réseaux, qu’ils soient techniques, sociaux ou territoriaux constituent des ressources qui sont mobilisées par les pouvoirs publics et les acteurs de la santé pour répondre aux enjeux de gestion et aux demandes des patients. En quoi l’utilisation des réseaux numériques permet-elle de répondre aux besoins des populations ? L’instauration de nouveaux dispositifs engendre-t-elle un meilleur accès aux soins ou se traduit-elle par l’apparition de difficultés qui n’avaient pas été identifiées au préalable, voir le renforcement des inégalités ? Les enjeux décrits prennent-ils une résonance particulière dans les zones transfrontalières ? En quoi la frontière serait-elle susceptible d’être une ressource et/ou un obstacle ? Cette problématique de la territorialisation de la santé est interrogée à travers trois types de figures spatiales qui sous-tendent l’organisation de cet ouvrage.

Le maillage renvoie à la territorialisation de l’offre de soins qui s’inscrit de manière générale dans des cadres nationaux. Les découpages, qui tentent de prendre en compte les différences territoriales, répondent à des critères qui varient d’un État à l’autre. Ils s’inscrivent dans le cadre d’emboîtements d’échelles qui semblent dépendre d’une hiérarchie des acteurs. L’enjeu concerne ici la recomposition de ces maillages. Il s’agit de comprendre les logiques à l’œuvre, la répartition des compétences entre les acteurs, les critères mis en avant pour précéder aux découpages : la recherche de l’efficacité, la réduction des coûts, la volonté de répondre aux problèmes des patients ou de lutter contre certaines pathologies sont les explications les plus fréquemment avancées.

Une deuxième figure est représentée par la frontière. La territorialisation des soins produit des effets de délimitation. De part et d’autre de la limite, la prise en charge des patients, l’organisation des soins, les actions des pouvoirs publics diffèrent. Quelles conséquences ont ces délimitations sur les acteurs des systèmes de soins ? Sont-elles sources de tensions ou au contraire, génèrent-elles des formes de coopération ? Quels sont les comportements des patients dans des situations qui révèlent une confrontation entre des systèmes de soins distincts ? 

Les réseaux forment un troisième type de configuration. Les mises en relation multi-scalaires qu’ils induisent remettent très fréquemment en cause les logiques et les hiérarchies préexistantes. Considérés avant tout comme des moyens, le plus souvent techniques, pour résoudre des problèmes liés à la distance, ces réseaux prennent une place grandissante dans la gestion des systèmes de soins. L’utilisation des réseaux est-elle pensée en relation avec les recompositions territoriales ? En quoi, les réseaux permettent-ils de dépasser les frontières ? Produisent-ils des formes d’intégration ou, au contraire, génèrent-ils de nouvelles formes de délimitation ?

Une quatrième figure apparaît en filigrane à travers ces trois configurations : la discontinuité. D’une part, les inégalités d’accès aux soins produites par la difficulté d’articuler l’offre et la demande et qui dépendent en partie de la répartition de la population sur le territoire font apparaître de nombreuses ruptures. D’autre part, le jeu des acteurs entre les différentes échelles est inévitablement source d’interactions, de dissensions, voire de rapports de force. Aux acteurs spécialisés, aux producteurs de soins (hôpitaux, centres de soins, médecins, etc.), aux patients en tant qu’usagers et aux pouvoirs publics en tant qu’autorités régulatrices, il convient d’ajouter des acteurs privés, comme les entreprises pharmaceutiques et les mutuelles de santé. Les discontinuités renvoient par conséquent à toutes les ruptures, les tensions, les difficultés qui se manifestent au sein des systèmes de soins. Quelles formes prennent ces discontinuités ? Les dispositifs mis en œuvre pour réduire les disparités sont-ils vraiment efficaces ou produisent-ils l‘de nouvelles ruptures ?

L’articulation entre santé et territoire constitue par conséquent un bon révélateur des évolutions de nos sociétés et de la manière dont ces dernières répondent aux enjeux par la mise en place de politiques adéquates. Les analyses que nous présentons ici portent sur l’Europe occidentale pour la plupart d’entre elles. Elles sont complétées par deux études qui sont situées, l’une en Afrique subsaharienne et l’autre en Amérique latine. Les questions de l’organisation réticulaire ou spatiale des opérateurs de santé, de l’ancrage territorial – infranational ou transfrontalier – des services et des opérations médico-sociales méritent tout particulièrement l’attention en apportant autant que faire se peut un regard pluridisciplinaire.

En premier lieu, Raluca Lestrade évoque la recomposition du système de santé en termes professionnel et spatial à travers la régionalisation des systèmes de soins en France. La création des agences régionales de la Santé (ARS) en France répond à un souci de rationaliser l’offre de soins tout en continuant de répondre aux préoccupations des patients. Cette réorganisation qui était considérée comme un moyen de décentraliser l’action de la santé a cependant eu des effets secondaires : d’une part, elle s’est traduite par une centralisation à un niveau régional d’un système déconcentré dont certaines composantes étaient organisées au niveau des départements, ce qui a conduit à affaiblir les liens entre centres et périphéries ; d’autre part, le processus de « managérisation » a eu pour conséquence de donner l’impression d’une déshumanisation. Les changements des limites spatiales ont produit de nouvelles discontinuités dans l’espace et dans les représentations ainsi qu’à l’apparition de frontières de gestion et d’organisation et à un bouleversement des métiers.

Henri Lewalle présente les étapes de construction d’un système transfrontalier de soins sur la frontière franco-belge. En effet, les frontières nationales mettent en contact des systèmes de soins différents. L’enjeu consiste dès lors à transformer les discordances entre les systèmes en exploitant les complémentarités. Une coordination progressive des systèmes de soins a été opérée dans le cadre des cinq programmes « Interreg » entre 1990 et 2020. Plusieurs dispositifs ont été instaurés tant dans le domaine hospitalier, l’aide médicale d’urgence que le secteur médico-social. La signature d’un accord-cadre de coopération entre les autorités de gestion a permis la création de sept zones organisées d’accès aux soins transfrontaliers (ZOAST) entre 2008 et 2016. L’enseignement que l’on peut tirer de ces expériences est que les particularités des systèmes nationaux de soins ont nécessité la signature d’accords bilatéraux dans plusieurs domaines. Par ailleurs, chaque avancée se traduit par la découverte de nouvelles difficultés qui sont résolues grâce à une bonne connaissance des systèmes en vigueur et une coordination efficace entre les partenaires les plus influents et leurs volontés de coopérer. Le caractère innovant de ces dispositifs et de ces accords constitue un laboratoire d’une fructueuse coopération transfrontalière en termes de santé, mais ces expériences sont difficilement reproductibles telles quelles dans d’autres contextes transfrontaliers.

Maxime Thorigny se demande en quoi la diffusion de la télémédecine contribue à la recomposition territoriale de la politique publique de santé. La loi Hôpital Patients Santé et Territoires (HPST) de 2009 qui a instauré une nouvelle organisation sanitaire et médico-sociale en France s’est traduite par la création des ARS qui disposent d’une grande autonomie. L’un des enjeux de cette réorganisation est d’assurer une diffusion de la télémédecine dans l’ensemble du territoire pour mieux concilier demande et offre. Or il s’avère que les programmes de télémédecine sont élaborés dans les territoires des ARS et que c’est à cette échelle que sont lancés les appels d’offre (marchés publics régionaux). En l’absence d’une politique nationale de télémédecine productrice de normes, chaque région choisit par conséquent des opérateurs en fonction de son propre cahier des charges. De véritables discontinuités médicales apparaissent dès lors entre les régions : elles sont perceptibles à travers les difficultés de communications, de transfert d’informations et de dossiers.

Philippe Roger décrit l’histoire d’un réseau de dispensaires qui a été édifié dans le Pas-de-Calais comme moyen de lutte contre la tuberculose pendant plus de 50 ans. Une première prise de conscience qui associe l’épidémie de tuberculose à une maladie sociale conduit à la création de premiers centres de soins après la première guerre mondiale. Ce réseau s’étoffe et s’étend durant l’entre-deux guerres puis après 1945. Les problèmes récurrents de personnels incitent toutefois les autorités à utiliser des moyens techniques pour accroître l’efficacité des dispositifs : la motorisation est ainsi instaurée dans les années 1950. Par ailleurs, les dispensaires doivent permettre de lutter contre d’autres épidémies et maladies : syphilis, cancer et mortalité infantile. Ces établissements perdent progressivement leur utilité à partir des années 1970 avec la croissance du nombre de médecins et des équipements hospitaliers. Toutefois, si les dispensaires ont effectivement joué un rôle essentiel dans le recul de la tuberculose, ils n’ont pas été les seuls, loin s’en faut.

Élise Martin interroge la situation du handicap dans un contexte transfrontalier entre France et Wallonie. En effet, de nombreux établissements de Wallonie accueillent des Français en situation de handicap. Ces flux transfrontaliers ne sont toutefois pas nouveaux. En effet, la loi de séparation des Églises et de l’État en France en 1905 a incité de nombreuses congrégations religieuses françaises à se localiser en Belgique à proximité de la frontière. Or ces dernières ont une longue tradition d’accueil dans une perspective humanitaire. Leurs transformations en associations dans les années 1960, puis la possibilité d’obtenir des aides financières publiques dans les années 1990 leur ont permis de se professionnaliser et de spécialiser leur offre. L’augmentation du nombre d’établissements demandant un agrément dans les années 1990 répond à une demande croissante des Français qui ne trouvent pas de structures d’accueil au sein de leur territoire national, mais également à une stratégie des autorités régionales de Wallonie qui y voient un moyen de développement qui contribue à réduire les problèmes socio-économiques de leur territoire. L’interprétation souple de la directive Bolkestein par la Belgique a renforcé cette tendance après 2008. Dans ce contexte, les personnes accueillies ne sont pas toutes originaires des régions transfrontalières françaises, mais aussi et surtout de la région parisienne, en raison d’un manque de structures d’accueil. La frontière apparaît ainsi comme une interface ce qui est facilité par l’existence d’un continuum linguistique et d’une forte porosité.

Les deux chapitres suivants évoquent l’hôpital de Cerdagne qui est érigé comme un symbole d’une coopération transfrontalière réussie entre la France et l’Espagne. Les analyses montrent que cet équipement apporte d’indéniables avantages, mais que le personnel doit faire preuve de souplesse et d’imagination pour le faire fonctionner au quotidien.

Matteo Berzi et Antoni Dura analysent le développement de cet hôpital dans un contexte multiscalaire. Dans un premier temps, les étapes de la construction d’une politique européenne de la santé (carte européenne de santé, directive sur la santé transfrontalière en 2011) sont décrites. Dans un deuxième temps, les auteurs montrent que la construction de l’hôpital transfrontalier a été facilitée par l’existence d’un cadre de coopération binational entre les deux pays ainsi que par la décentralisation des systèmes de soins en France (création des ARS). La construction de l’hôpital permet ainsi d’opérer une mutualisation des moyens et de disposer d’un équipement de qualité dans une région, la Cerdagne, qui en plus d’être transfrontalière, est montagneuse, enclavée et éloignée des grands pôles urbains. L’étude de faisabilité du projet a été réalisée dans le cadre d’Interreg III. La réalisation de l’équipement pendant la phase de programmation d’Interreg IV a été confrontée à de nombreux problèmes juridiques, techniques et symboliques qui ont nécessité des innovations organisationnelles et qui ont été en grande partie résolus par la création d’un Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT). Ce modèle, unique en son genre, semble cependant difficile à reproduire dans d’autres espaces transfrontaliers.

Brigitte Baldelli et Anissa Habane prolongent la réflexion précédente en interrogeant l’évolution des identités professionnelles des personnels de santé de l’hôpital de Cerdagne. Les résultats de l’analyse de trois enquêtes réalisées, la première avant sa construction en 2010, la seconde au moment de son ouverture en 2014 et la troisième après quelques années de fonctionnement en 2017, montrent que l’originalité de cet équipement invite les personnels soignants et l’administration à une coconstruction permanente. Les personnels et les patients ont ainsi eu du mal à se projeter du fait de la faiblesse de la communication sur le projet en amont, mais aussi car la perception des systèmes de soin était différente de part et d’autre de la frontière, le français étant bien mieux considéré que l’espagnol. La réalisation de l’équipement a nécessité la mise en place d’une organisation rigoureuse : le personnel soignant est recruté selon une répartition de 60 % d’Espagnols et de 40 % de Français et le travail se fait dans trois langues (catalan, espagnol et français). Des divergences sont observées sur la manière d’aborder le patient et sur les attitudes professionnelles à adopter en termes d’affects et d’émotions. Par ailleurs, lors du démarrage, le personnel français avait une certaine méfiance envers le personnel d’origine catalane, mais selon une intensité inversement proportionnelle à la hiérarchie : les aides-soignants avaient plus de facilité à travailler ensemble que les médecins. L’étude montre toutefois une adaptation de l’ensemble des personnels aux conditions culturelles et techniques et que le bâtiment et son équipement, qui ont fait l’objet d’un intense investissement, est largement approprié. Pour autant, cet équipement n’a pas fait émerger une véritable identité professionnelle transfrontalière.

Ibrahima Dione travaille sur les dynamiques transfrontalières dans la région de Haute-Casamance, qui est à cheval sur quatre États, le Sénégal, la Gambie, la Guinée et la Guinée Bissau. Dans cet espace longtemps caractérisé par une forte mobilité transfrontalière, le recours aux soins suivait une logique de proximité. De fait, l’offre de soins se concentrait dans les lieux où étaient présents les marchés hebdomadaires transfrontaliers et la fréquentation faisait fi de l’appartenance nationale. La Haute-Casamance était cependant caractérisée par un système de soins hiérarchisé où existaient de véritables déserts médicaux. L’expansion du virus Ebola a conduit le Sénégal à accroître les contrôles sur les frontières avec les pays limitrophes, la Guinée et la Guinée Bissau en 2014. Le renforcement du contrôle territorial s’est également traduit par la fermeture des marchés hebdomadaires. En dépit de la remise en cause de la porosité de la frontière, les États ont tenté d’établir des cadres de coopération transnationaux au sein des organisations régionales en vue d’harmoniser les règlementations de soins. L’objectif est de rapprocher deux logiques qui sont des héritages des périodes coloniales, la française et la britannique. La frontière fait donc l’objet d’une dynamique contradictoire, restriction des circulations à l’échelle locale d’une part et coopération dans un contexte transnational d’autre part.

Les huit auteurs qui signent le chapitre suivant analysent les perceptions des systèmes de soins dans la région de l’Oyapock. Cette dernière, qui est à cheval sur la Guyane française et l’État d’Amapa au Brésil, est faiblement peuplée et habitée par des populations vulnérables dans des conditions environnementales propices à la diffusion de maladies vectorielles. La mobilité transfrontalière de santé repose comme dans d’autres régions du monde sur des asymétries entre des systèmes de soins (conditions sanitaires et d’équipements). La mise en place d’une démarche participative sur les expériences de santé avec des groupes de discussion met en évidence les difficultés d’accès aux soins qui sont d’autant plus fortes pour certaines populations en condition de vulnérabilité : migrants, femmes, enfants. En dépit d’une volonté de coopération, la puissance des systèmes réglementaires entrave la mobilité transfrontalière.

Entre recomposition des maillages, développement des réseaux, instauration de nouvelles structures de gestion, les territoires de soins connaissent des changements conséquents et continuels qui proviennent essentiellement de la volonté de rationaliser les systèmes de soins. L’objectif de mieux prendre en compte les problèmes des patients, qui est souvent un objectif politique affiché, dépend cependant largement des moyens engagés par les pouvoirs publics. Le dynamisme du système n’empêche pas l’apparition d’effets secondaires, parfois indésirables, susceptibles de produire des tensions que seules des coopérations avisées permettent de résorber.

Notes

  1. La première version de cette introduction a été écrite avant l’apparition de la pandémie de Covid-19.
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Posté le 22/04/2021
EAN html : 9791030008067
ISBN html : 979-10-300-0806-7
ISBN pdf : 979-10-300-0807-4
6 p.
Code CLIL : 3318

Comment citer

Moullé, François, Reitel, Bernard (2021) : “Introduction, in : Moullé, François, Reitel, Bernard, dir., Maillages, interfaces, réseaux transfrontaliers, de nouveaux enjeux territoriaux de la santé, Pessac, PUB, collection S@nté en contextes, 2021, 7-12, [en ligne] https://una-editions.fr/de-nouveaux-enjeux-territoriaux-de-la-sante-introduction [consulté le 24 avril 2021].
10.46608/santencontextes1.9791030008067.1

Au téléchargement

Contenu(s) additionnel(s) :

Accès au livre Maillages, interfaces, réseaux transfrontaliers, de nouveaux enjeux territoriaux de la santé
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