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« Elephantem libris sophisticis oneratum
in Italiam agens…
» :
la médecine italienne dans le Bellum medicinale de Symphorien Champier

À lire son titre, le Medicinale bellum inter Galenum et Aristotelem gestum (Guerre médicale entre Galien et Aristote)1 du médecin Symphorien Champier (1470-1539) se présente comme un face-à-face entre deux autorités grecques. Terminé et peut-être publié en 15162, ce texte, paru à Lyon chez Simon Vincent, prolonge en effet un exercice traditionnel des universités médiévales, qui consiste à examiner les différences opposant la physiologie d’Aristote et la médecine de Galien, sur le modèle, notamment, du Conciliator de Pietro d’Abano (1247-1315), rédigé au tout début du XIVe siècle3. Sous la forme d’une fiction épique, Champier met en scène l’un des questionnements auxquels les deux auteurs grecs ont apporté des réponses différentes : quel est, dans le corps humain, le principal organe ? Aristote, au troisième livre des Parties des animaux, privilégie le cœur : situé dans la partie médiane du corps, il lui donne vie et chaleur en produisant le sang. Galien, quant à lui, notamment dans les Doctrines d’Hippocrate et de Platon, plaide pour le cerveau, siège des facultés qui contrôlent l’ensemble du corps humain. Chez Champier, cette controverse s’incarne, de manière originale, par l’affrontement sans merci des armées du Cœur (allié notamment au Foie) et du Cerveau (allié aux parties génitales), qui s’affrontent à coups de maladies. Le combat est ponctué de références aux autorités médicales grecques (Aristote, Galien) et arabes (Avicenne, Averroès), signalées par des manchettes. En revanche, lorsque Champier emprunte, parfois par phrases entières, aux philosophes et médecins humanistes italiens, sa source est, en général, passée sous silence. Une telle discrétion peut surprendre de la part d’un médecin animé, comme l’a montré Jacques Roger, du projet « d’amener la médecine française au niveau de l’italienne4 ». Dans un important article sur « Symphorien Champier et l’Italie », Richard Cooper le décrit même comme « un grand italophile5 » : Champier, qui séjourne au moins à trois reprises en Italie6, noue notamment, en marge de sa participation à la bataille de Marignan, des contacts avec l’Université de Pavie, qui l’agrège au collège de ses docteurs trois semaines après la victoire française. La cérémonie fait naître le mythe d’un Champier apparenté à de grandes familles italiennes : le médecin Pietro Antonio Rustico, qui prononce le discours décernant le titre de docteur à Champier, présente celui-ci comme un parent de la famille des Campeggi, dont Champier adopte les armoiries en 1516, année de rédaction du Medicinale bellum7. Sa correspondance témoigne de collaborations et d’échanges soutenus avec ses collègues italiens (Pietro Antonio Rustico, Alessandro Benedetti…). Les médecins italiens, en particulier les contemporains, comme Niccolò Leoniceno ou Manardi, figurent d’ailleurs en bonne place dans les listes et bibliographies d’illustres médecins que Champier publie à différents moments de sa carrière, à commencer par celle du De medicine claris scriptoribus (1506). Pourtant, Richard Cooper montre que, dans l’œuvre de Champier, l’admiration pour l’Italie le dispute à une volonté de défendre la supériorité française, notamment dans le contexte de l’après-Marignan, qui voit la France prendre le contrôle de la Lombardie. Comment l’écriture du Medicinale bellum reflète-t-elle les contradictions et l’« ambiguïté » qui, selon Richard Cooper8, caractérisent le rapport de Champier à l’Italie ? Après avoir situé le Medicinale bellum dans la production de Champier, nous essaierons d’interpréter, à l’aune du projet humaniste qu’il y affiche, le camouflage voire, dans certains cas, la disqualification des sources italiennes.

La stratégie éditoriale de Champier à l’époque du Medicinale bellum

La promotion de l’humanisme français

Dans l’œuvre du prolifique Champier, qui compte une centaine d’ouvrages consacrés à des sujets très divers (médecine, mais aussi histoire, philosophie, théologie…)9, l’année 1516 est particulièrement productive. Pour ne citer que les titres liés à la médecine10, Champier publie notamment, outre la pseudo-épopée qui nous occupe, les Cathegorie medicinales in libros demonstrationum Galeni (Lyon, Jean Marion), l’Epithome commentariorum Galeni in libros Hippocratis (Lyon, Jean Marion), la Cribratio, lima et annotamenta in Galeni, Avicennæ et Consiliatoris opera (Paris, Josse Bade), et une synthèse medico-philosophique, la Symphonia Platonis cum Aristotele et Galeni cum Hippocrate. Dans l’ensemble de ces publications, Champier se présente comme un passeur de la philosophie et de la médecine grecques, qu’il s’agisse de rendre compte de la pensée d’un auteur (dans l’Epithome ou les Cathegorie) ou d’offrir la synthèse de plusieurs doctrines (dans la Symphonia). Pour parfaire son image de médecin humaniste, il publie, avec la Symphonia, un Apologeticon de studio humanæ philosophiæ, qui démontre la compatibilité entre christianisme et étude des humanités : Champier y souligne les points de convergence entre Platon et les Écritures, et rapporte les jugements positifs des Pères de l’Église sur le philosophe grec. Cette perspective est déjà celle du Periarchon, id est de principiis platonicarum disciplinarum omniumque doctrinarum (paru à Paris vers 1515), qui, selon les analyses de Brian P. Copenhaver, présente un Platon relu non à la lumière de Ficin, mais de l’orthodoxie chrétienne et d’Origène. Champier chercherait en effet à se débarrasser de l’étiquette de disciple et relais de Ficin qui lui a permis de se faire connaître11 : le quatrième livre de sa Nef des dames vertueuses (1503), consacré au « vrai amour », s’inspirait en effet du commentaire de Ficin au Banquet, et ses hétéroclites traités De quadruplici vita (1507) et De triplici disciplina (1509) imitaient, par leur titre et leur structure, ceux de Ficin (notamment le De triplici vita), tout en s’efforçant d’articuler, comme le Florentin, philosophie naturelle, médecine, théologie et morale.

Dans ses parutions de 1515-1516, Champier endosse, vis-à-vis du savoir grec, le rôle qu’avaient joué les humanistes italiens du Quattrocento : faciliter l’accès aux textes anciens, dont les gloses et compilations médiévales sont censées avoir corrompu le sens. La Cribratio se livre ainsi à une réfutation systématique du Conciliator de Pietro d’Abano, auquel Champier consacre aussi, la même année, des Additamenta, errata et castigationes (publiés à Lyon, et plusieurs fois édités avec le Conciliator)12. Champier tâche manifestement d’incarner la contribution française à la renaissance des classiques grecs, quitte à minimiser l’apport et le caractère pionnier de la philologie italienne. Cette stratégie se manifeste notamment lorsque, dans le Duellum epistolare (1519), il renie les titres de « ficineus » et de « citoyen italien honoraire », dont l’avait gratifié un correspondant13 : dans le contexte de l’après-Marignan, il lui est devenu impossible d’apparaître comme un imitateur des Italiens, et il doit s’imposer comme un simple imitateur des Italiens.

Le Medicinale bellum vitrine de la culture humaniste de Champier ?

L’écriture du Medicinale bellum est en cohérence avec les efforts déployés par Champier dans ses écrits non-fictionnels pour promouvoir la médecine française et sa propre contribution au rayonnement de celle-ci. Dans trois des dédicaces, Champier rend ainsi hommage aux grands médecins français de son temps, François Dalès, médecin royal, Maître Albert, premier physicien du roi, et André Briau, ancien médecin de Louis XII, et futur premier médecin de François 1er (entre 1518 et 1527). Adressée, quant à elle, à l’évêque de Metz, Jean de Lorraine14, la première dédicace est à la gloire des Belles Lettres. Elle raconte en effet que l’évêque serait apparu en songe à Champier pour, « dans un langage tout droit jailli des sources tulliennes et du cerveau de Jupiter » (« e Tullianis fontibus ac Jovis cerebro scaturienti sermone15 »), le sommer d’écrire. Champier entend répondre à cette injonction par une œuvre qui se recommanderait, selon lui, par l’élégance de son style :

[Alors que je recherchais un sujet,] la guerre qui a opposé dans les premiers temps les membres du corps m’est, après une assez longue réflexion, opportunément venue à l’esprit, pour que je la fasse connaître à la jeunesse, non dans un style sublime ou dans des feuillets ténébreux, mais dans un chant paisible et humble et par une plume (pour ainsi dire) aérienne16.

Exceptionnelle dans l’œuvre de Champier17, cette ambition littéraire se traduit notamment par la forte présence d’intertextes antiques. Si la personnification des organes et la mise en scène de leur indispensable solidarité rappellent l’apologue des membres et de l’estomac, raconté par Ménénius Agrippa à la plèbe lors de sa sécession sur l’Aventin, le genre du récit, l’épopée burlesque, fait songer par exemple à la Batrachomyomachie, Iliade miniature située dans l’univers des grenouilles et des rats. Chez Champier, la grivoiserie et la scatologie contribuent en effet à dégrader l’héroïsme des belligérants : leur combat est perturbé par l’entrée en guerre de l’anus qui, mécontent de n’avoir été sollicité par aucune des deux parties, fait suffoquer les autres organes du corps par ses exhalaisons fétides, obligeant ainsi les deux impétrants à le prendre en considération ; dans la deuxième partie, la victoire du Cerveau se teinte d’une touche licencieuse puisqu’il doit, avant de retrouver son trône au Palais du Crâne, protéger son alliée, la Matrice (identifiée à la reine des Amazones), des tentations de Vénus18. Ces allusions au bas corporel coexistent cependant avec un projet humaniste plus traditionnel, qui conjugue prodesse et delectare : il s’agit en effet de dispenser au lecteur, par le biais de la fiction, des connaissances anatomiques ou des injonctions morales (comme la nécessité d’obéir à son roi ou d’éviter la luxure).

Dans le détail du récit également, Champier manifeste sa connaissance des Belles Lettres en multipliant, en guise d’ornements stylistiques, les citations de poètes latins. Par exemple, la traîtrise du Crâne, qui feint de soutenir le Cerveau mais espère en réalité tirer profit de la guerre pour prendre lui-même le pouvoir, est fustigée dans les termes de Juvénal19 ; et lorsque le Cœur sollicite le Foie pour s’en faire un allié, il lui parle avec les mots de Virgile :

Le Cœur adresse de nombreux compliments à son éminent voisin le Foie : Très élégant prince, le soleil n’attèle pas ses chevaux si loin de ta ville que tu n’aies pu voir nettement, à la lumière de Phébus, de quelle folie le roi Cerveau est animé et de quel orgueil il se gonfle dans son désir de nous gouverner tous20.

Dans l’utilisation des sources antiques, un partage très net s’opère entre la reprise d’idées et la réutilisation, au cœur du récit, d’images ou de formulations empruntées à des œuvres anciennes. Dans le premier cas, Champier cite volontiers sa source (Cicéron, Aristote, saint Augustin, Galien, Juvénal…), sans doute pour donner au Bellum l’allure d’un ouvrage savant, fondé sur des autorités incontestables et témoignant d’une fréquentation assidue des Belles Lettres. En revanche, il ne signale jamais ses emprunts stylistiques, qu’il ne conçoit probablement pas comme du plagiat21.

La présence-absence des auteurs italiens dans le Medicinale bellum

Champier plagiaire des humanistes Italiens : l’exemple de Ficin

La différence de traitement entre l’imitation de l’elocutio et celle de l’inventio ne vaut pas pour les sources italiennes : même lorsqu’il leur emprunte des conceptions philosophiques, Champier tait l’origine de celles-ci. Il se comporte alors en plagiaire dans la mesure où, pour reprendre la définition de Thomas Hunkeler, il « imite […] un texte particulier dans l’intention de s’attribuer personnellement ce qui est dû à autrui22 ». Ainsi, le premier chapitre du Medicinale bellum, qui fait l’éloge de l’homme, du corps et de la médecine, est un montage de citations de Marsile Ficin, dont la source n’est jamais signalée23. On y lit d’abord un éloge des capacités de l’esprit humain, qui reprend à la lettre un passage du livre XIII (chapitre 3) de la Théologie platonicienne :

Puisque l’homme a perçu l’ordre des cieux, sait d’où part leur mouvement, vers où ils progressent, dans quelles proportions et avec quel résultat, comment nier qu’il possède, pour ainsi dire, presque le même génie que le Créateur des cieux lui-même, et qu’il pourrait, d’une certaine manière, créer des cieux, s’il avait à sa disposition les bons instruments et la matière céleste ? Dès maintenant, en effet, il les crée, certes dans une autre matière, mais en suivant un ordonnancement très similaire24.

Suit une critique des arts libéraux, qui démarque le même chapitre de la Théologie platonicienne :

Considérons les arts qui non seulement ne sont pas nécessaires à la subsistance du corps, mais lui nuisent même la plupart du temps. C’est le cas de tous les arts libéraux, dont l’étude épuise le corps et empêche de vivre dans de bonnes conditions : le calcul subtil des nombres, la description tatillonne des figures, les mouvements très complexes des lignes, l’harmonie minutieuse de la musique, l’observation continuelle des astres, la recherche des causes naturelles, l’investigation des lois éternelles, l’éloquence des orateurs, les fureurs des poètes. Dans tous ces arts, l’esprit humain néglige le soin du corps, estimant qu’il pourrait vivre sans l’aide du corps et s’emploie déjà à le faire. Il faut accorder une attention particulière à ce fait : l’œuvre d’un habile artisan, construite avec art, il n’est pas à la portée de n’importe qui de comprendre pourquoi et de quelle manière elle a été construite : seul en est capable celui qui est doué du même talent dans l’art. Personne, en effet, ne pourrait comprendre de quelle façon Archimède a disposé ses sphères d’airain et leur a donné des mouvements semblables aux mouvements célestes, à moins d’être doté d’un génie similaire. Et celui qui, en raison de la similitude de son génie, le comprend, pourrait assurément construire les mêmes, à partir du moment où il aurait compris comment faire, et à condition que la matière ne lui fasse pas défaut25.

Champier enchaîne sur un éloge du « grand miracle » qu’est l’homme selon Hermès Trismégiste :

C’est pourquoi Hermès Trismégiste, le très grand roi d’Égypte, disait que l’homme, après Dieu, qui occupe la première place, est presque le plus grand des dieux. En effet, ailleurs, il s’exprime en ces termes : « L’homme est un grand miracle : mais le plus grand des miracles est l’homme sage »26.

Ce passage pourrait avoir été inspiré directement à Champier par la lecture de l’Asclépius (chap. VI27), ou s’appuyer sur les reformulations qu’en donne Ficin dans son Oratio de laudibus medicinæ et au livre XIV de la Théologie platonicienne28. Le passage suivant, qui affirme que, selon tous les courants philosophiques et toutes les civilisations, le monde a été créé pour l’homme, combine également la référence à l’Asclépius et à l’Oratio de laudibus medicinæ :

Celui qui se contente de vivre bien, domine la fortune et vit aussi imperturbable et séparé de la lie que les cieux liquides, celui dont aucune tempête ne vient assombrir la sérénité, celui qui, par le conseil de la vertu, a une parenté avec Dieu, c’est pour lui, affirment les Péripatéticiens et les Stoïciens, que tout ce qui bouge sous le disque de la lune existe et se meut. Mais les Arabes, les Hébreux et les théologiens chrétiens disent aussi que le monde lui-même a été créé pour les hommes29.

Sans allonger davantage la liste des emprunts ficiniens, on constate que les emprunts à Ficin ne sont jamais présentés comme tels, alors que Champier cite volontiers les auteurs antiques, comme Hermès Trismégiste et, plus loin dans le chapitre, Cicéron et saint Augustin.

La satire des compilateurs italiens

Lorsque le Medicinale bellum nomme des auteurs italiens, c’est dans un chapitre à charge, et pour leur reprocher… de s’être approprié les idées d’autrui. Dans le récit, ce passage marque une suspension de l’action : alors que le Cerveau et le Cœur ont tous deux établi leur campement et sont prêts au combat, les alliés du Cerveau se plaignent de ne pouvoir rejoindre son campement, du fait de l’insécurité des routes. Pour défaire les pillards dont elles sont infestées, le Cerveau fait appel à ses soldats les plus offensifs, la mentule, la vessie et le con, devant lesquels les bandits terrifiés tentent, sans succès, de s’enfuir. Le récit de leur capture, qui révèle l’identité des fugitifs, fournit les clés humanistes et patriotiques du passage : tous sont des compilateurs médiévaux, que l’armée de Cerveau entend punir de leurs méfaits. Le premier, Barthélemy l’Anglais, aurait ainsi usurpé le titre de médecin en « [rassemblant] dans un volume unique [le De proprietatibus rerum] d’innombrables inepties30 ». Nicolas Florentin, quant à lui, ne se cache d’avoir compilé « Galien, Hippocrate, Rhazès, Dioscoride, Avicenne, Gilbert l’Anglais, Bernard de Gordon, Guidon, et d’autres modernes » :

Ce qui était dispersé et éparpillé, je le réduis en un seul corps, et il ne faut pas m’imputer à crime […] d’avoir rassemblé dans mes livres les propos d’autrui. Car notre projet est d’enseigner la médecine. Que cet enseignement se fonde sur notre doctrine ou celle d’autrui, qu’importe pour l’homme qui veut vivre sainement31 !

À travers la fiction, Champier semble viser ceux qui conçoivent la médecine comme une discipline purement livresque, qui consisterait à empiler les autorités sans ajouter du sien. Mais à la métaphore du pillage s’ajoute celle, plus surprenante, de la contrebande : le récit précise que les pillards sont capturés alors qu’ils s’apprêtaient à faire entrer en France le fruit de leurs larcins. Ainsi, Nicolas Florentin est accusé d’avoir introduit en « Gaule celtique » « un grand chameau chargé d’autorités d’Anciens et d’auteurs plus modernes »32 ; Constantin l’Africain, moine du Mont Cassin et traducteur des médecins arabes, aurait quant à lui « [conduit] en France deux ânes surchargés de livres de médecine ». Manifestement, ce trafic se fait surtout depuis l’Italie, où exercent Nicolas Florentin et Constantin l’Africain, mais aussi les « médecins sophistes » qui, pour Champier, se contentent de plagier le De Arte medica de Cornelius Celsus :

[Celse] fut en effet capturé et spolié par les brigands sophistes Jacques de Forli, Sermoneta, Hugues [Hugues de Sienne], Dinus et Thomas de Garbo et, frappé du bâton des sophismes, il reçut à la tête une blessure telle qu’aucun soin médical ne lui permit jamais de recouvrer la santé. Ainsi, par l’injure du temps, il advint que toutes les Belles Lettres subirent, de leur part, un traitement plutôt gothique. […] Si Hippocrate de Cos et Galien vivaient encore aujourd’hui, et fréquentaient leur académie, ils sembleraient moins savants que ceux-ci, à moins de connaître les épineuses subtilités des sophistes33.

L’exportation clandestine figure ici le transfert en France d’une science déformée par des intermédiaires sans scrupules, qui faussent doublement la transmission des savoirs : d’une part, en faisant oublier leurs sources (latines, grecques ou arabes)34, d’autre part, en malmenant et corrompant les textes35. De fait, les Italiens cités, comme Jacques de Forli (1360-1414) ou Dino del Garbo (mort en 1327) sont de ceux qui, à partir du XIIe siècle, appliquent à la médecine le format du commentaire scolastique. À cet égard, le commentaire sur le livre IV du Canon d’Avicenne par Dino del Garbo, professeur à Bologne, Padoue et Sienne, joue un rôle pionnier en adoptant la forme de quæstiones : il rompt avec le format classique du manuel de chirurgie, dans lequel le praticien se met en scène à travers des anecdotes et récits de cas36. Le modèle scolastique est clairement visé lorsque le récit de Champier s’attarde sur le médecin Jacques de Forli, professeur à l’Université de Padoue entre la fin du XIVe siècle et le premier XVe siècle, et auteur d’un célèbre commentaire d’Avicenne :

Outre ceux-ci, on prit un individu du nom de Jacques de Forli, qui affirmait être leur prince. Il conduisait en Italie un éléphant lourdement chargé de livres. Lorsque les soldats lui eurent demandé d’où sortait cette masse de livres, il confessa qu’il les avait tous dérobés à Strodus, Paul de Venise, Albert de Saxe, Buridan, Guillaume d’Ockham, Grégoire de Rimini et dans des cavernes de sophistes du même acabit. Il fut conduit devant le juge, attaché de cent dégradants nœuds et de chaînes derrière le dos, tremblant et terrible, avec sa face ensanglantée. Là, comme Strodus, Albert et plusieurs autres prirent connaissance de ses vols, chacun réclama ce qui lui appartenait. Enfin, devenu comme le choucas d’Esope, après qu’il eut été châtié à coups de fouet et de bâton, ils le renvoyèrent, sous les éclats de rire de tous, dans sa patrie37.

Jacques de Forli est ici décrit comme un « sophiste au carré », qui ne pille plus les Anciens, mais d’autres philosophes scolastiques, comme Strodus, Paul de Venise ou Guillaume d’Ockham. Cette spécificité contribue peut-être à expliquer la violence du passage qui, à la clôture de l’épisode, révèle le dessein patriotique de Champier : après avoir été torturé et ridiculisé, Jacques de Forli est « renvoyé dans sa patrie », comme s’il était nécessaire d’expulser les « maîtres sophistes » italiens pour permettre à la médecine française de partir sur des bases saines. La scolastique française est d’ailleurs épargnée dans ce passage, comme si elle était étrangère au développement des grandes compilations médicales du Moyen Âge38.

Une dénonciation similaire des commentaires scolastiques interviendra dans une digression des Gestes, ensemble la vie du preulx chevalier Bayard (1525), qui établit un parallèle entre les gloses des juristes, « artiens » et théologiens et celles des médecins :

[…] les nobles disoient que, si les costumes [de Lorraine] estoient redigées par escript, un tas de legules les vouldroient commenter et feroient comment sur comment, glose sur glose, comme ont faict Bartole, Balde, Salicet, Lange, Johannes Andrée, Johanes de imola, Jason, jusques à ung dict Porcus et plusieurs aultres sur les loix des Empereurs, lesquelz sont cause que les procès pour le présent sont immortels, lesquelz ne sont que les laictz de Cerberus pour bouter confusion au monde. Et ainsi ont faict les aultres sophistes aux aultres facultés, comme en medecine ont faict Jacques de forlive, Ugo de senis, Dinus et Thomas de Garbo, qui ont gasté la medecine et sont cause que l’on a delaissé Hyppocras et Gallien non sophistiques mais anciens docteurs. Et les Arciens ont delaissé Aristote, et ont prins aulcuns sophistiques comme Buridam, Albert de saxonie, George de brucelle et, des jeunes, Bricot, Coronel du lart et semblables. Des theologiens je m’en desporte, mais je vouldroys bien que on ne leust que la saincte Bible avecques les docteurs de l’esglise catholique, et les anciens, comme sainct Denys, Hylayre, Cyprian, Chrisostome, Fulgence, Damascene, Ugues et Richar de sainct Victor et semblables39.

Cette reprise des motifs polémiques du Medicinale bellum fait ressortir la dimension topique de ces derniers : ils rappellent par exemple la satire érasmienne des obscurités et cavillationes des théologiens, et annoncent la charge du De disciplinis de Vivès (1531) contre les médecins qui, faute de comprendre les textes antiques et de savoir soigner les malades, se consacrent à des disputes jargonnantes. On y retrouve le nom de Jacques de Forli, qui semble décidemment, aux yeux des humanistes du premier XVIe siècle, être l’incarnation du médecin « sophiste » :

Des médecins qui ne connaissaient rien à l’Antiquité, ni aux remèdes les plus efficaces, durent pourtant agiter quelques questions, conformément à cet exercice d’école qu’était la physique. Dans cet art aussi, ils importèrent à pleines charretées l’énorme, la faramineuse matière de leurs disputes sur l’intention et la rémission des formes, la rareté et la densité, les parties proportionnelles, les instants. Autant d’inventions qui n’ont pas d’existence réelle et n’en auront jamais. Mais ils brassaient l’air avec leurs chimères, tout en désertant le combat contre la maladie, qui pendant ce temps terrassait et tuait. Cette occupation, prolifique et sans fin comme une sorte d’hydre, retint très longtemps des esprits qui se seraient consacrés avec fruit à d’autres activités. Il suffit de voir les sophismes et les sornettes de Jacopo da Forli, ni moins byzantines ni moins inutiles que celles de Swineshead, et qui ne leur cèdent ni par la longueur ni par l’ennui qu’elles produisent40.

L’année suivante, un disciple du médecin Niccolò Leoniceno, avec lequel Champier a entretenu une correspondance, publiera à Bâle un Antisophista (1532) fustigeant les « barbares » et leur ignorance du grec et du latin.

Tant dans le vocabulaire employé que par les figures visées, Champier s’approprie donc des lieux communs de la polémique humaniste afin de renvoyer l’image d’un médecin éclairé. Cette stratégie d’autopromotion l’amène cependant à taire ce qu’il doit aux compilations médiévales : plusieurs textes antérieurs au Medicinale bellum les présentent comme des lectures indispensables au médecin. Le De medicine claris scriptoribus (1506), par exemple, consacre le quatrième de ses cinq livres aux Italiens, et n’a pas de superlatif assez fort pour exprimer ce que la médecine doit au Moine Constantin, à Dino et Thomas de Garbo, et même à Jacques de Forli. Si, dans le Medicinale bellum, l’heure n’est plus aux éloges, Champier démarque néanmoins, sans le citer, le Conciliator de Pietro d’Abano. Il lui doit notamment, au chapitre 3 du livre I, la comparaison du Cœur à la mer41. Ce nouveau camouflage de source confirme que, s’il cherche à donner l’impression qu’il mobilise exclusivement les sources antiques, Champier utilise largement les intermédiaires médiévaux et ne renonce pas, quoi qu’il en dise, à s’approprier, à la manière des compilateurs tant décriés, les mots d’autrui. Nul texte n’illustre mieux que le chapitre I, 8 du Bellum les paradoxes de Champier : pour dénoncer les larcins des compilateurs, il s’approprie en effet la structure narrative et les formulations d’un texte italien, le Bellum Grammaticale Nominis et Verbi Regum, de principalitate orationis inter se contendentium d’Andrea Guarna.

La récriture du Bellum grammaticale

Au Bellum grammaticale, paru en 1511 à Crémone et fréquemment réédité au cours du XVIe siècle, le Medicinale bellum doit non seulement son titre, mais aussi son projet didactique, qui consiste à utiliser la fiction épique comme support pédagogique et mnémotechnique42. Cinq ans avant le Médicinale Bellum, Guarna met en effet en scène les combats du Nom et du Verbe, qui se disputent la prééminence dans la phrase. Leur affrontement est prétexte à passer en revue les exceptions et les formes irrégulières de la langue latine. Par exemple, les mutilations subies lors de la « guerre grammaticale » expliquent que le verbe « aller » (ire) soit amputé du futur « eam » au profit de la forme « ibo », ou que les impératifs de « dicere » et « facere » soient des monosyllabes, « dic » et « fac ». À l’inverse, c’est à une victoire militaire que le substantif « arbor » doit, en guise de butin, un second nominatif, « arbos ». De cette manière, toutes les formes irrégulières trouvent une explication amusante, remontant aux temps ancestraux où le Nom et le Verbe se faisaient la guerre.

Certains caractères du Medicinale bellum sont calqués sur ceux de Guarna, par exemple celui du cauteleux Crâne, dont le rôle de traître revient, dans le Bellum grammaticale, au Participe, parce qu’il est tantôt classé parmi les formes verbales, tantôt rattaché au groupe nominal. Mais Champier transpose aussi certains épisodes fictionnels, comme le recrutement de ses troupes par chacun des belligérants, l’utilisation d’armes adaptées à la nature particulière des combattants (des maladies chez Champier, des formes grammaticales chez Guarna) ou encore la déconfiture, déjà évoquée, des brigands et pillards. Chez Guarna, ces derniers ont pour meneur « un certain Catholicon, qui conduisait en Italie un grand âne chargé de mots grecs et latins confusément mêlés »43. Il avoue n’avoir aucune connaissance des langues anciennes, mais parvenir sans difficulté à faire illusion :

Sous la torture, il avoua qu’il avait dérobé en cachette tous les mots sur les terres de Grammaire – ce qui était, du reste, parfaitement évident. Après qu’on l’eut interrogé en grec, et qu’il eut ingénument répondu qu’il ne connaissait rien à cette langue, et ne savait que très peu de latin, les juges lui dirent : « Pourquoi donc emportes-tu avec toi des mots grecs que tu ne comprends pas ? » À quoi il répondit : « L’ignorance des Lettres est telle chez la plupart d’entre nous que, même si je parlais en langue barbare, je leur ferais croire sans peine que j’ai pénétré tous les arcanes de l’éloquence attique44.

Cette critique de la méconnaissance des langues anciennes vise le Catholicon seu Summa prosodiæ du dominicain génois Jean Balbi (XIIIe siècle), qui compile des éléments de syntaxe, de prosodie et de grammaire latines fournis par Donat ou les Institutiones grammaticæ de Priscien. Il suffit à Champier de remplacer Priscien par Celsus pour adapter à la médecine cette critique des compilations, accusées de passer sous silence leurs sources anciennes et de mal connaître leur langue. Cependant, l’imitation de Guarna ressortit davantage à la récriture qu’au plagiat, puisque Champier infléchit légèrement, on l’a vu, le sens de l’épisode. Chez lui, la critique de l’ignorance vise moins, en effet, l’ignorance des langues anciennes que la méconnaissance des médecins grecs. Il fustige aussi une conception de la médecine comme discipline purement livresque, qui se contenterait d’empiler les gloses. Enfin, Champier investit l’épisode d’un sens patriotique, en identifiant davantage de faussaires que ne le faisait Guarna : la surreprésentation de l’Italie dans cette liste élargie tend, paradoxalement, à associer ce pays aux ténèbres « sophistes » pour construire le mythe d’une France pionnière dans l’humanisme médical.

Fantaisistes et récréatifs, les démêlés du Cœur et du Cerveau paraissent très éloignés du bruit et de la fureur des vrais champs de batailles, en particulier ceux des guerres d’Italie. Cependant, la « guerre médicale » reflète et attise discrètement la rivalité culturelle qui oppose la France et l’Italie autour de 1515 : elle fait en effet largement porter sur l’Italie la responsabilité de la « sophistique » médicale ; afin d’accréditer un tel paradoxe, Champier dissimule, dans son propre texte, l’apport de l’humanisme italien. Il s’approprie ainsi les grands thèmes de l’humanisme, comme la critique des « sophistes » ou la dignitas hominis, telle que l’a évoquée Ficin. Mais il adopte aussi une forme littéraire chère aux humanistes, la fiction pédagogique, dont le Bellum grammaticale lui fournit un modèle efficace. Cette stratégie d’autopromotion, par laquelle Champier se désigne à la fois comme un antisophista et une figure de l’humanisme médical, sera en partie couronnée de succès. En 1536, Étienne Dolet, dans le premier livre de ses Commentaires de la langue latine, le cite en effet, aux côtés de Rabelais, dans la liste des médecins qui, en France, se sont avérés être des « ennemis de la barbarie » (Barbariei hostes) :

Tout droit sortis des écoles de médecine, Symphorien Champier, Jacques Dubois, Jean Ruel, Jean Cop, François Rabelais, Charles La Paly rejoignent le combat. Cette armée de doctes, déployée partout, a donné l’impression, dans le camp de la barbarie, que là où elle passe, l’autre trépasse45.

Comme Champier, c’est une « guerre médicale » que décrit ici Dolet, même s’il remplace les ambitions picrocholines du Cœur et du Cerveau par l’affrontement de deux ennemis irréconciliables, les humanistes et les « barbares ». Cette opposition manichéenne est, elle aussi, une fiction militante, mais débarrassée des biais patriotiques. Sous la plume de Dolet, l’Italie est en première ligne d’un combat dans lesquels les humanistes européens avancent de front, et la France ne rejoint que tardivement le camp des vainqueurs :

La barbarie quitta d’abord l’Italie, partit d’Allemagne, s’enfuit d’Angleterre, se précipita hors
d’Espagne, et fut chassée et rejetée de France46.

Notes

  1. Une traduction collective de ce texte est actuellement en préparation dans le cadre des activités du Centre Montaigne (Université Bordeaux Montaigne).
  2. Le Medicinale bellum paraît sans indication d’année, mais sa dédicace est datée de septembre 1516. Le Medicinale bellum paraît sans indication d’année, mais sa dédicace est datée de septembre 1516.
  3. Nancy Siraisi, Medieval and Early Renaissance Medicine: an Introduction to Knowledge and Practice, Chicago-Londres, The University of Chicago Press, 1990, p. 81.
  4. « L’humanisme médical de Symphorien Champier », Actes du XIVe colloque international du CESR : L’humanisme français au début de la Renaissance, Paris, Vrin, 1973, p. 261-272, ici, p. 262.
  5. Richard Cooper, Litteræ in tempore belli. Études sur les relations littéraires italo-françaises pendant les guerres d’Italie, Genève, Droz, 1997, XIII, « Symphorien Champier et l’Italie », p. 287-302, ici p. 294, version révisée de « Symphorien Champier e l’Italia », paru dans L’Aube de la Renaissance : rapports et échanges entre France et Italie, éd. Dario Cecchetti, Lionello Sozzi et Louis Terreaux, Genève, Slatkine, 1991, p. 233-245. Nous empruntons à cet article les éléments qui, dans cette introduction, établissent les liens de Champier avec l’Italie.
  6. Richard Cooper (p. 288-289) en compte trois : le premier vers 1506, le deuxième en 1509, lors de la bataille d’Agnadel (contre les Vénitiens), le troisième en 1515.
  7. Ibid. p. 290 : Champier « se [fait] appeler Camperius sive Campeggius, puis carrément Campeggius, Campese, ou pire encore Champeggius ». Pour Richard Cooper, Champier joue cependant double jeu, en faisant des Campeggi les descendants du Français Christophe Champier, originaire du Dauphiné, dont les fils se sont installés en Italie en accompagnant Charles d’Anjou à Naples.
  8. Ibid., p. 302.
  9. Dans le catalogue des œuvres de Champier établi par son disciple Jérôme Dumont (Montuus) en 1533, 105 titres sont recensés, dont 35 portant sur la médecine, 26 sur l’histoire, 14 sur les arts libéraux. Voir Jacques Roger, « L’humanisme médical de Symphorien Champier », p. 261.
  10. La même année, Champier fait paraître, chez Josse Bade, un recueil de lettres de saints (Epistole sanctissimorum) et, chez Jean de la Garde, une Chronique des ducs et princes de Savoie.
  11. Brian P. Copenhaver, Symphorien Champier and the Reception of the Occultist Tradition in Renaissance France, La Hague-Paris-New York, Mouton Publishers, 1978, p. 90.
  12. Ibid., p. 150.
  13. « Symphorien Champier et l’Italie », p. 301 (Richard Cooper renvoie au De triplici disciplina, f°dddvii v°-viii et au Duellum epistolare, f° ciii v°, evi v°, b vii v°, dii v°, dv v°).
  14. Il s’agit du frère du duc de Lorraine, dont Champier est le premier médecin.
  15. « Inclytissimum, undecumque doctissimum dominum Johannem de Lotharingia metensem presulem designatum Simphorianus Champerius plurima impartit salute », Medicinale bellum inter Galenum et Aristotelem gestum. Lyon, [Simon Vincent], s. d. [1516 ?].
  16. Ibid. : « Interea bellum inter humani corporis membra priscis temporibus gestum : mihi diutius pensitanti prospere admodum occurrit : quod quidem non cothurnico stilo chartisve nocturnis describerem : sed placida humilique camena ac penna ».
  17. Voir Symphorien Champier and the Reception of the Occultist Tradition, p. 69.
  18. Sur cet aspect, voir Dominique Brancher, « Une épopée médico-burlesque : la Mentule au pays de Penthésilée », dans Équivoques de la pudeur : fabrique d’une passion à la Renaissance, Genève, Droz, 2015, p. 714-721.
  19. Medicinale bellum, I, 7, n. p. Passage repérable à la manchette « Juvenal in simulatores ». Champier cite plusieurs vers de la satire II.
  20. Medicinale bellum, I, 4, n. p. : « Cor Epar summum suum plurima impartit salute. Non tam aversus equos tua sol jungit ab urbe elegantissime princeps : quin tibi satis vel luce phebea clarius sit exploratum : quanta cerebrum rex vecordia ductus : quantaque animi elatione preditus: nostrum omnium concupiscat imperium ». Le passage souligné est une citation de l’Énéide (livre I, v. 568, « nec tam aversus equos Tyria sol jungit ab urbe »).
  21. Ces reprises souvent littérales des formulations des Anciens se signalent néanmoins par la disparate stylistique qu’elles induisent : le Medicinale bellum relève bien de l’écriture du « rapiècement » ou du « style mosaïque » qui, d’après Brian Copenhaver (Symphorien Champier and the Reception of the Occultist Tradition,p. 55), caractérise l’œuvre de Champier.
  22. « Symphorien Champier : logique(s) du compilateur », dansAndrea Carlino et Alexander Wenger (dir.), Littérature et médecine. Approches et perspectives (XVIe-XIXe siècles), Genève, Droz, 2007, p. 49-64, ici p. 50. La postérité retiendra d’ailleurs contre Champier son manque de scrupules : une épigramme de l’Ata de Scaliger le traite de « faussaire » et lui reproche sa propension à « mettre son nom aux œuvres d’autrui » (« Scriptis alienis indidit suum nomen »). Texte cité dans Paul Allut, Étude biographique et bibliographique sur Symphorien Champier, Lyon, Nicolas Scheuring, 1859, p. 57.
  23. D’autres auteurs italiens subissent le même sort que Ficin. Citons par exemple la reprise, au chap. I, 2, de l’« Épithalame pour Claude de France » de Publio Fausto Andrelini, dans un « Quatrain envoyé par le Cœur au Cerveau ».
  24. Medicinale bellum, I, 1, f° aii r° : « Cum homo celorum ordinem unde moveantur, quo progrediantur, et quibus mensuris, quidve pariant, viderit, quis neget eum esse ingenio (ut ita loquar) pene eodem quo et auctor ille celorum, ac posse quodammodo celos facere, si instrumenta nactus fuerit materiamque celestem postquam facit eos nunc, licet ex alia materia tamen persimiles ordine ». Le texte est le même dans la Théologie platonicienne, XIII, 3 (p. 226, éd. R. Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 1964).
  25. Medicinale bellum, I, 1, f° aii r° : « Consideremus artes illas que non modo corporali victui necessarie non sunt, sed plurimum noxie : quales sunt omnes scientie liberales : quarum studia corpus enervant et vite impediunt commoda. Subtilis computatio numerorum : figurarum curiosa descriptio : linearum obscurissimi motus : supersticiosa musice consonantia : astrorum observatio diuturna : naturalium inquisitio causarum ; diuturnorum investigatio : oratorum facundia : poetarumque furores. In his omnibus animus hominis corporis despicit ministerium : utpote qui quandoque possit et jam nunc incipiat sine corporis auxilio vivere. Unum illud est imprimis animadvertendum quod artificis solertis opus artificiose constructum non potest quilibet qua ratione quo ve modo sit constructum discernere : sed solum qui eodem pollet artis ingenio. Nemo enim discerneret qua via Archimedes spheras constituit eneas : eisque motus motibus celestibus similes tradidit : nisi simili esset ingenio praeditus. Et qui propter ingenii similitudinem discernit : is certe posset easdem constituere : postquam agnovit modo non deesset materia ». Voir Théologie platonicienne, XIII, 3, p. 226. Chez Ficin, cet extrait précède celui consacré à la possibilité de reconstituer mentalement l’ordonnancement des cieux.
  26. Medicinale bellum, I, 1, f° aii r° : « Quapropter Mercurius ille trimegistus egyptiorum Rex maximus hominem dicebat post primum deum pene maximum esse deorum. Nam ille alibi ita ait. Magnum miraculum est homo : maximum miraculum est homo sapiens ».
  27. Asclepius, dans Mercurii Trismegisti Pymander, de potestate et sapientia Dei, Bâle, Michel Isengrin, 1532, p. 123 : « magnum miraculum est homo ».
  28. Voir Marsile Ficin, Oratio de laudibus Medicinæ, dans Epistolarum, lib. IV, dans Opera, Bâle, 1561, p. 759 : « [Hominem] tanti fecit Mercurius Trismegistus, ut eum diceret post primum Deum pene maximum esse Deorum » ; et Théologie Platonicienne, livre XIV, p. 257 : « Quod admiratus Mercurius Trismegistus inquit : ‘Magnum miraculum esse hominem, animal venerandum et adorandum, qui genus daemonum noverit quasi natura cognatum, quive in Deum transeat, quasi ipse sit deus’ ».
  29. Medicinale bellum, I, 1, f° aii r : « Qui ad bene vivendum seipso contentus est : qui supra fortunam collocatus instar liquidi celi imperturbatus defecatusque degit : cujus serenitatem nulla tempestas obducit. Cui cum deo virtute consiliante cognatio est. Ejus quoque gratia omnia que sub orbe lune moventur fieri atque moveri Peripatetici atque Stoici affirmant. Arabes autem et hebrei atque christiani Theologi ipsum quoque mundum fuisse hominis gratia constitutum ». Sur l’image de l’homme apparenté à Dieu, voir Asclepius (loc. cit.). Sur l’unanimité des sectes philosophiques, Champier reprend l’Oratio de laudibus Medicinæ, p. 759-760 : « Stoici quoque et Peripatetici [affirmant] omnia quae sub orbe Lunae moventur ejus gratia fieri atque moveri. Hebraei autem et Arabes atque Christiani Theologi ipsum quoque mundum fuisse hominis gratia constitutum ».
  30. Medicinale bellum, I, 8, n. p. : « Inter ceteros enim inventus est Bartolomeus anglicus cuculatus qui se falso omniscium ac medicum publice profitebatur : congesserat namque in volumen unum ineptias innumeras ».
  31. Ibid. : « Cum vero eum quidam interrogasset : ingenue respondit que a Galeno: Hippocrate: Rasi: Isaac: Diascoride : Avicenna: Guilberto anglico: Gordonio : Guidone aliisque neotericis didicerat suo camelo portare : quid ergo inquiunt judices de tua scribis minerva: Ad que ille. Que dispersa et confusa erant in unum corpus redigo : nec vitio dandum est (infit) quod libris meis aliena congesserim. Nam medicinam docere nostrum est institutum : id seu nostris seu alienis fiat consiliis : quid ad hominem sane vivere volentem ».
  32. Ibid. : « Ex his non multo post captus fuit quidam nomine Nicolus natione florentinus grandem camelum auctoritatibus antiquorum et recentium confuse permixtis onustum : quem in Celticam agebat galliam ».
  33. Ibid. : « A latronibus namque sophisticis Jacobo forliniensi : Sermoneta Hugone: Dino: Thoma de Garbo captus spoliatus ac fustibus sophismatum pulsatus tale in capite vulnus accepit : ut nullo unquam medicorum studio in pristinam potuerit restitui sanitatem. Ita temporum injuria factum est ut bone littere omnes nescio quid gotticum ab eis passe fuerint : […] Si chous Hippocrates et Galenus viverent : ac ad istorum academiam itarent minus docti illis viderentur nisi sophistarum spineta saperent ».
  34. Ainsi, Champier ironise sur les justifications du moine Constantin, qui instrumentalise la différence des religions pour expliquer ses plagiats : « Et cum interrogaretur qua ratione aliena opera rapuisset presto respondit. Isaac judeum fuisse Rasim vero saracenum et arabem : quare indignos esse qui a Christianis citarentur » (ibid.) [Et comme on lui demandait pour quelle raison il avait volé les œuvres d’autrui, il répondit promptement qu’Isaac était juif, Rhazès, sarrasin et arabe, et que de ce fait ils n’étaient pas dignes d’être cités par des chrétiens.]
  35. Dans le même chapitre, Champier s’en prend aussi à Falcon pour sa traduction, selon lui fautive, du Guidon de Chauliac.
  36. Nancy Siraisi, Medicine in the Italian universities, Leyde, Brill, 2001, p. 35-38.
  37. Medicinale bellum : « Preter hos interceptus est unus Jacobus forliniensis nomine qui se illorum principem asseverabat : elephantem unum libris sophisticis valde oneratum in Italiam agens: quem ubi milites interrogassent unde hec librorum copia prodiisset : hos omnes rapuisse ex Strodo. Paulo veneto. Alberto de Saxonia. Buridano: Guilhelmo Okam : Gregorio ariminensi et similibus sophistarum antris aperte est confessus. Is ad judices centum vinctus catenis post tergum nodis ignominiose cum suo elephante deductus est fremens horridus ore cruento. Ibi cum Strodus: Albertus et alii complures sua spolia dignovere quilibet quod suum erat postulavit : Tandem Esopi graculo similis factus: prius loris et fustibus castigatus cum risu ac Cachinno omnium in suam relegarunt patriam ». Alors que les autres sophistes transportent leur butin en France, on peut s’étonner de voir l’Italien Forli le conduire « en Italie ». Nous pensons que Champier a pu, ici, oublier de transposer la source de ce passage, le Grammaticale bellum (voir infra).
  38. Sur l’indulgence de Champier envers la scolastique française, voir Brian P. Copenhaver, Symphorien Champier and the Reception of the Occultist Tradition, p. 147.
  39. Les gestes ensemble la vie du preulx chevalier Bayard, éd. D. Crouzet, Paris, Imprimerie nationale, 1992, livre I, chap. 4, p. 126.
  40. De causis corruptarum artium, livre V, dans De disciplinis. Savoir et enseigner, éd., trad. et notes de Tristan Vigliano, Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. 226 : « Medicis rerum veterum ignaris, et earum quae potissimum ad salutem humani corporis conducerent, aliquid tamen fuit agendum ex scholastica illa physicae exercitatione. Ingentem et copiosissimam disputandi materiam in hanc quoque artem tanquam plaustris invexerunt, de intentione et remissione formarum, de raritate et densitate, de partibus proportionalibus, de instantibus, ea quae nec sunt nec unquam evenient, ventilantes sua omnia, deserta pugna cum morbis interea loci prementibus atque occidentibus. Ea res, foecunda et infinita non aliter quam hydra quaedam, diutissime remorata est ingenia cum fructu aliis vacatura. Videre est cavillationes et tricas Jacobi Forliviensis, nec minus spinosas nec minus inutiles quam Suiceticas, nec prolixitate et molestia cedentes ».
  41. Voir, dans le Medicinale bellum, la « Cordis ad pelagus comparatio » et la « Differentia XXXVIII » du Conciliator, Venise, Lucantonio de Giunta, 1520, f. 56 v°. On y trouve la même comparaison, ainsi résumée dans la table des matières : « Cor et cetera principalia comparantur pelago agitato et fluviis ».
  42. Pour une comparaison des deux textes, voir Donatella Puliga, « La guerra grammaticale in uno studio medico », dans La Guerra grammaticale di Andrea Guarna (1511) : un’antica novità per la didattica del latino, Donatella Puliga et Svetlana Hautala (dir.), Pise, ETS, 2011, p. 75-78.
  43. Bellum grammaticale, Lyon, Sébastien Gryphe, 1532, p. 19 : « […] quidam nomine Catholicon, qui grandem asinum vocabulis Græcis Latinisque confuse permistis onustum in Italiam agebat ».
  44. Ibid. : « Qui tormentis coactus (quod alioquin manifestissimum erat) confessus est se omnia vocabula in Grammaticae terris furto surripuisse. Cum vero eum quis Græce interrogasset, ingenueque respondisset se Græce nihil scire, Latine autem parum : Quid ergo, inquiunt judices, Graeca tecum defers vocabula, quae non intelligis ? Ad quæ ille, Tanta apud nostrum plerosque, inquit, literarum est imperitia, ut etiam si barbare loquar, facile illis persuadeam me Atticæ eloquentiæ angulos omnes penetrasse ».
  45. Commentariorum linguæ latinæ, Lyon, Sébastien Gryphe, 1536, tome I, col. 1158 : « Ex medicorum scholis ad certamen concurrunt Symphorianus Campegius, Jacobus Sylvius, Joannes Ruellius, Joannes Copus, Franciscus Rabelæsus, Carolus Paludanus. Haec undique comparata doctorum manus eam in Barbariei castra impressionem fecit, ut, ubi consistat, nullus ei sit relictus locus ».
  46. Ibid. : « Ex Italia jampridem [barbaries] abiit, e Germania excessit, e Britannia evasit, ex Hispania erupit, e Gallia explosa, atque ejecta est ».
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EAN html : 9791030008005
ISBN html : 979-10-300-0800-5
ISBN pdf : 979-10-300-0801-2
ISSN : 2743-7639
Posté le 18/12/2020
11 p.
Code CLIL : 3387 ; 4024
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Comment citer

Vintenon, Alice, « « Elephantem libris sophisticis oneratum in Italiam agens… » : la médecine italienne dans le Bellum medicinale de Symphorien Champier », in : Roudière-Sébastien, Carine, éd., Quand Minerve passe les monts. Modalités littéraires de la circulation des savoirs (Italie-France, Renaissance-XVIIe siècle), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, collection S@voirs humanistes 1, 2020, 131-142, [en ligne] https://una-editions.fr/elephantem-libris-sophisticis/ [consulté le 15 décembre 2020].
10.46608/savoirshumanistes1.9791030008005.13
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