Ne pouvaient-ils s’en tenir au vieux procédé honnête du coupage de gorge,
sans introduire ces abominables innovations d’Italie ?
Thomas de Quincey, De l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts, 1827
Le giallo est une des formes du cinéma populaire italien1 qui a coexisté avec un cinéma d’auteur, dont il est contemporain (Rossellini, Antonioni, Pasolini, Fellini, Rosi…). Il s’agit d’un type de cinéma criminel avec ses variantes internes : enquête policière (Milano, morte sospetta di una minorenne), thriller (Una sull’altra), imitations (Concerto per un pistola solista) ou pastiches (Cinque bambole per la luna d’agosto) d’Agatha Christie, gothique (La lama nel corpo, La dama rossa uccide sette volte), mélodrame criminel (Così dolce… così perversa), films de conspiration (Terza ipotesi su un casa di perfetta strategia criminale), etc. Il possède ses maîtres (Dario Argento), ses artisans remarquables (Sergio Martino), ses hommes à tout faire (Umberto Lenzi), ses tâcherons (Giuliano Carnimeo), ses spécialistes d’une veine plus trash (Luciano Ercoli)… La dénomination par la couleur jaune (giallo) renvoie à la couverture d’une collection policière des éditions Mondadori2 : on dit giallo, en Italie, comme on parle de Série noire en France, et la traduction du terme générique est généralement faite par thriller.
Le giallo n’est pas un « genre » au sens hollywoodien. Les italiens disposent du mot filone pour désigner ce type de productions, visant plutôt une série de films développée dans un genre. Une des tentations de ce cinéma est de profiter d’opportunités, de rebondir sur des succès. Ainsi, dans l’Italie des années soixante et soixante-dix, le giallo est-il contemporain d’autres cinématographies populaires, servies souvent par les mêmes réalisateurs, interprètes, producteurs et techniciens : le western3, le poliziottesco4, l’horreur5… Le giallo, pour sa part, est en descendance directe d’Alfred Hitchcock avec Psycho(1960) – le meurtre à l’arme blanche sous la douche et la psychopathologie du tueur, mais aussi le fétichisme macabre au travers du cadavre momifié de la mère – et Birds (pour la manifestation de l’irrationnel) ; deux films de Roman Polanski, Répulsion et Rosemary’s baby, ont également eu une importance déterminante sur le giallo6, tandis que Peeping Tom (Michael Powell) le devance dans son alchimie perturbante entre l’aspect obsessionnel et l’esthétique du film.
On s’accorde à considérer que deux films de Mario Bava furent fondateurs : La Ragazza che sapeva troppo (1962) et Sei donne per l’assassino (1964). Le giallo connaît une importante production, de près d’une centaine de films, jusque vers 1977, avant de s’épuiser peu à peu (certains terminent son âge d’or en 1982 avec Tenebre de Dario Argento). En même temps, le giallo s’hybride, en s’ouvrant notamment au fantastique (c’est vrai aussi dans les autres genres) ou décuplant une veine érotique. Demeurent, par la suite, des productions constantes, mais limitées à quelques unités par an. Du giallo, viennent en descendance directe les slasher movies aux USA (Halloween, Friday the 13th, A Nightmare on Elm Street…) ; mais certains films italiens ont préfiguré les caractères du slasher, en particulier Cinque bambole per la luna d’agosto, Reazione a catena et I corpi prensentano tracce di violenza carnale.
Dès qu’un succès intervient, un filone prospère : Dario Argento ouvre sa carrière cinématographique avec L’uccello dalle piume di cristallo, dont le succès l’amène à réaliser Il gatto a nove code et 4 mosche di velluto grigio, y compris avec l’allusion animale dans les titres ; tout de suite, d’autres réalisateurs exploitent le filon, y compris en prolongeant la référence « animalière » ; ainsi, pour la seule année 1971 : La coda dello scorpione (Sergio Martino), La tarantola dal ventre nero (Paolo Cavara), Giornata nera per l’ariete (Luigi Bazzoni), L’uomo più velenoso del cobra (Adalberto ‘Bitto’ Albertini). Dans l’embellie du giallo, comme dans les autres formes de cinéma d’exploitation italien, on se réapproprie les ingrédients d’un film qui a connu une réussite commerciale : le genre est mimétique par nature, mais constitue de fait un corpus cohérent.
Parmi les multiples questions que pose le genre, j’interrogerai ici la familiarisation d’une violence meurtrière faite aux femmes. Une des particularités du giallo, en effet, consiste à mettre en scène principalement des tueurs psychopathes qui privilégient les assassinats de femmes. S’il n’y pas que celles-ci qui meurent dans le giallo, la répartition des sexes chez les victimes est largement déséquilibrée – si j’ose dire – à leur profit. Sexualité, meurtres, fluences abondent, d’un film à l’autre, dans un cinéma compulsif, ritualisé, fétichiste et cathartique. Par-delà sa définition (et l’étymologie discutée du mot), on s’accordera à qualifier d’obscène l’inconvenance d’une monstration de meurtres sadiques (perpétrés de préférence à l’arme blanche) et répétés, constituant une « série d’actes et d’objets qui doivent rester cachés7 ». Bien sûr, l’obscénité fascine (– Élise : « Comment dites-vous ce mot-là, Madame ? » – Climène : « Obscénité, Madame ». – Élise : « Ah ! Mon Dieu ! Obscénité. Je ne sais ce que ce mot veut dire ; mais je le trouve le plus joli du monde8 »). Peut-être attire-t-elle de manière intense si elle n’est « que cette animalité naturelle qui nous fonde humainement9 ».
Sous le titre un peu provocateur de cette contribution, on aura reconnu le détournement de celui que donnait Nicole Loraux à son ouvrage : Façons tragiques de tuer une femme. C’est que la question qu’elle posait – pourquoi dans la Grèce, « il fait bon de tuer des jeunes filles en pensée, en récit ?10 » – conserve son acuité migrant de la tragédie antique au cinéma de genre, soit dit en passant hors de tout dégoût pour des films de « mauvais genre » ou, à l’inverse, de snobisme attaché à la revalorisation du cinéma dit « bis ».
La femme comme instance théorique codée
Érotique du giallo
Le giallo est un genre perclus d’érotisme soft focalisé sur la femme, qui contraste avec la violence des meurtres, même si certains films s’aventurent vers une dimension plus trash (Le Foto proibite di una signora per bene, La morte cammina con i tacchi alti, Alla ricerca del piacere, Delirio caldo, La morte accarezza a mezzanotte, La notte che Evelyn usci dalla tomba, Passi di danza su una lama di rasoio, Perché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer?). Le genre a d’ailleurs donné une éphémère célébrité à quelques screen queens, telles Edwige Fenech, Nieves Navarro alias Susan Scott, Anita Strindberg, Florinda Bolkan, Barbara Bouchet…
La nudité fait effigie. Il est ainsi fréquent que l’obligato érotique des films passe par une scène dans laquelle une femme nue se douche (qu’elle soit ou non tuée à cette occasion)11. On voit beaucoup de scènes lesbiennes (dont la plus belle est sans doute dans Una lucertola con la pelle di donne. Mais, le giallo évolue dans le temps : Julia Wardh (Edwige Fenech), dans Lo strano vizio della signora Wardh, entièrement nue, traverse un couloir pour aller faire couler un bain et, près de la baignoire on la voit de profil puis elle tourne la tête vers la caméra sans que jamais on n’ait vu le pubis ; au contraire, un film tardif comme La sorella di Ursula montre l’entière nudité et ajoute même des plans sur le pubis et les pilosités.
Ainsi que le disait Bataille de la nudité,
il est convenu qu’elle émeut dans la mesure où elle est aussi l’une des formes adoucies qui annoncent sans les dévoiler les contenus gluants qui nous font horreur et nous séduisent […]. La nudité n’est pas toujours obscène et elle peut apparaître sans rappeler l’inconvenance de l’acte sexuel. C’est possible, mais en règle générale, une femme se dénudant devant un homme s’ouvre à ses désirs les plus incongrus. La nudité a donc le sens, sinon de la pleine obscénité, d’un glissement12.
Précisément, ce glissement, dans le giallo, s’aventure vers le leitmotiv de l’assassinat et l’énoncé systématique de ce « contenu gluant » qu’est le sang, auquel certains films ajoutent des organes internes. La problématique est donc moins de cacher / dévoiler la nudité que de montrer le modus operandi du meurtre, le jeu de cache-cache avec l’assassin : l’exhibition de l’arme l’emporte sur celle du sexe et le passage à l’acte fait cohabiter le sexuel et le criminel.
Les séquences d’assassinats de femmes jalonnent alors les films comme autant de trouées esthétiques, rompant le continuum narratif. Ce sont des blocs autonomes, avec changement de registre de l’image et parfois, en sus des bruits diégétiques (craquement sous des pas, battement d’un volet, froissement d’un rideau, cliquetis d’une effraction, etc.), apparition de musique qui accompagne la séquence. On est proche du régime cinématographique du film érotique ou pornographique avec la dissémination des scènes explicites dans l’économie narrative du film. Érotisme et mort : ce jeu érigé en spectacle réserve autant d’instants de communion avec le spectateur, dans l’ivresse et le frisson mêlés : une fascination est à l’œuvre, d’autant que le giallo, sensoriel, agit organiquement jusqu’à l’étourdissement.
Il faut ajouter que le giallo aime décrire la femme en représentation. Non seulement elle est un objet du film en tant que victime potentielle, mais encore le personnage féminin évolue-t-il souvent dans le monde de l’art, de la photographie, de la parure, de la mode, de la confection, etc. : Sei donne per l’assassino, Il Rosso segno della follia, La dama rosa uccide a sette volte, Sette scialli di seta gialla, Nude per l’assassino ; I corpi presentano tracce di violenza carnale (les jeunes filles sont élèves aux Beaux-Arts)… On passe par des galeries ou on assiste à des vernissages… Beaucoup de films se soucient ainsi de l’apparence des femmes, des artifices de la féminité. C’est un moyen à la fois facile et trivial de prolonger une tradition rappelant que le cinéma noir fonctionnait avec une « glamourisation » de la femme autour des comportements criminels, y compris au moment de la mort de celle-ci.
Codification
Déjà, pour Baudelaire et depuis le daguerréotype, la photographie commerçait avec l’obscène : « L’amour de l’obscénité, qui est aussi vivace dans le cœur naturel de l’homme que l’amour de soi-même13 », aurait trouvé son medium dans la fixation de l’image. Le giallo prolonge cet amour par ses codes esthétiques.
L’ordonnancement est une constante sadienne : « Un peu d’ordre à tout ceci, dit Noirceuil14 » ; « Mettons un peu d’ordre à nos plaisirs, on n’en jouit qu’en les fixant15 ». Une ingénierie de l’obscène se développe et, en particulier, la construction des films fait des séquences de meurtres des morceaux de bravoure et les variations sur les assassinats deviennent essentielles, grâce à des éléments inattendus, des surenchères, des virtuosités cinématographiques qui confinent parfois au maniérisme.
Cinq caractéristiques principales des scènes de meurtres de femmes peuvent être mises en évidence. La première est la dilatation du temps. Leur durée est souvent disproportionnée par rapport au métrage du film, dans cette suspension de la narration au profit de séquences qui s’autonomisent dont je parlais précédemment, imposant un régime qui leur est propre, et qui sont parfois longues16, prenant le temps de faire monter la terreur. La deuxième caractéristique est la dilatation de l’espace. On parcourt plusieurs fois les maisons ou les appartements servant de lieux de crimes. Avant le passage à l’acte, on joue sur la désorientation de la future victime, y compris dans son propre environnement domestique qui devient lieu de traque (allers / retours, recherche de la raison de bruits suspects, fausses pistes…). L’éclairage des bâtiments et des intérieurs, les plans sur les objets donnent au familier un aspect inquiétant. L’enfermement dans les lieux est rehaussé par une prise de vues qui prive les personnages de toute échappée, une caméra subjective prenant souvent la place du tueur. Le giallo aime se perdre dans le décor (immeubles aux pièces improbables, couloirs et dégagements…), l’espace réaliste pouvant dégénérer en espace symbolique ou onirique, les labyrinthes devenant borgésiens (on pense, chez Dario Argento, à l’académie de danse de Suspiria, aux sous-sols et aux passages secrets d’Inferno – mais il est vrai que le giallo bascule là dans le fantastique). On privilégie, en troisième lieu, l’arme blanche, réelle ou par destination. Tout ce qui coupe, perfore, pique, tranche : couteaux, poignards, rasoirs, sabres, ciseaux, haches, ou tout objet à disposition (dont l’assassin se saisit quand il n’a pas apporté l’arme) : collier, fil coupant sur machine, scie circulaire, outil, câble électrique pour pendre une femme déjà largement poignardée (Suspiria) comme pour réunir les deux branches de l’alternative que présentait Nicole Loraux (la corde ou le glaive…). La saillie d’une lame, que suit une caméra ou qui entre brutalement dans un plan, qui luit quand le métal brillant accroche la lumière, constitue un standard. L’emploi de l’arme blanche assure la durée de l’agonie et privilégie l’énoncé du sang. Dans une plastique hémorragique, le sang coule, s’égoutte, se projette : Sette scialli di seta gialla propose sans doute la reprise la plus sanglante de la scène de la douche de Psycho ; le mur opportunément blanc de Tenebre est maculé d’un jet de sang qui paraît sortir d’un tuyau d’arrosage, dans un jaillissement trop important et trop rouge pour être vrai. Parfois, un dripping vise l’espace cinématographique lui-même, comme les coulures sur la vitre au premier plan dans La coda dello scorpione qui anticipe, par exemple, certaines performances sanglantes de Ron Athey17. Il y a, certes, d’autres morts que par arme blanche, notamment par immersion dans l’eau d’une baignoire, mais à la simple noyade, soit il faut ajouter le sang ou une fange aquatique (Non ho sonno), soit donner au sang un substitut, comme dans Cosa avete fatto a Solange ? avec une diagonale rouge : savon / linge qui couvre l’entrejambe de la victime / chaussures. En quatrième lieu, le giallo est fétichiste. Outre l’arme, déjà évoquée, il faudrait repérer les tenues vestimentaires des femmes victimes, les détails sur les objets. Mais, motif le plus voyant, le giallo a un goût particulier pour les mains gantées de l’assassin, le plus souvent en cuir noir, placées au premier plan alors que le meurtrier reste hors-champ. Ces scènes du giallo sont, en cinquième lieu, marquées par une oscillation permanente entre ce qui est montré et ce qui demeure, pendant un temps, à l’extérieur du cadre. La femme est ainsi l’épicentre d’un régime de frayeur, en attente de l’irruption du meurtrier ou du jaillissement de l’arme dans le cadre de l’image. Les courses pour s’échapper, les allers retours en espaces clos, les spasmes de peur, les hurlements d’effroi constituent une longue préparation sadique au surgissement depuis le hors-champ.
À partir de ce schéma général, toutes les variations sont possibles. On use bien sûr de trucs – poncifs – scénaristiques : l’assassin n’est jamais là où on l’attend ; le twist scénaristique final (ou le double twist) est régulier. Cinématographiquement, l’esthétisation du giallo fait appel aux profusions de couleurs et éclairages divers, aux caméras subjectives (souvent portées), aux angles inhabituels de prises de vues, aux sur-cadrages, aux effets de zoom (parfois intempestifs mais qui sont monnaie courante dans tout le cinéma italien de l’époque), aux focus sur détails gore, etc. On peut ainsi s’amuser à rendre grotesque le masque de mort, par exemple en plaquant le visage de la victime contre une vitre pour le déformer sous la pression et en le filmant de l’extérieur d’une fenêtre (La coda dello scorpione, Suspiria), y compris dans un train (Non ho sonno)… Certains réalisateurs ont leur manie : Dario Argento, par exemple, affectionne le redoublement des sévices (tuer à l’arme blanche, mais faire aussi choir le corps dans du verre coupant : Profondo rosso, Tenebre), voire du meurtre avec une victime collatérale (Suspiria).
L’effraction du corps féminin
Rituel de mort
Derrière tout éventreur, plane le souvenir de Jack the Ripper (Lo squartatore di New York). C’est une vieille affaire que de pénétrer le corps d’une femme, d’y ouvrir une nouvelle fente. L’esthétisation du corps meurtri est une grande préoccupation du giallo. Il y a un travail sur la carnation des chairs, des choix lumineux et chromatiques. On remarque plusieurs fois des parties de corps en débords : tête et buste sur un carrelage (La tarantola dal vento nero), tête dans un vitrail style Art nouveau brisé (Suspiria), tête à l’envers au sortir d’une fenêtre avec cheveux dans le vide (Tenebre)… Une figure récurrente est celle du gisant, image de mort s’il en est. L’orifice, la béance, laissés par l’arme font entrevoir l’organique grâce aux gros plans sur la blessure et aux effets gore. Certains films témoignent de la poussée psychédélique des années 60. Le maniérisme, souvent attribué à Argento, parcourt le genre.
Je fais un détour pour évoquer quatre panneaux de Botticelli, peints en 1483 sur commande de Laurent le Magnifique. Il s’agit, sous le titre L’Histoire de Nastagio degli Onesti, d’illustrations d’une des nouvelles de Boccace, à la cinquième journée du Décameron. Pour être bref, Nastagio est amoureux d’une jeune fille de Ravenne, organise pour elle des fêtes, mais celle-ci l’éconduit avec cruauté. Alors qu’il a quitté la ville et se promène dans les bois, il voit un cavalier avec ses chiens, arme en main, poursuivant une femme. L’homme lui apprend qu’il est un spectre, qu’il s’est suicidé parce que cette femme le repoussait cruellement, et que, à la mort de cette dernière, elle a été condamnée à être chassée chaque vendredi pendant autant d’années que de mois de refus de ses avances. Ainsi, lorsque la femme est morte et éviscérée, le corps se reconstitue-t-il pour que la chasse reprenne. Le vendredi suivant, Nastagio organise dans la forêt un banquet auquel il invite la femme qu’il aime et sa famille. La chasse infernale intervient donc en plein festin. Dès lors, la jeune fille aimée, saisie par cet exemplum, change d’attitude, d’où le quatrième panneau avec les noces de Nastagio.
On peut faire quatre observations rapportées au giallo. Il y a d’abord une stabilité des motifs. Ainsi, à la chasse dans le bois de Ravenne se substituent dans divers films des courses mortelles, et notamment des poursuites sylvestres, comme avec I Corpi presentano tracce di violenza carnale ou, plus encore, Suspiria et la fuite dans les bois, vers le début du film, d’une future victime. Ainsi encore, l’éviscération de la femme chez Botticelli précède-t-elle la pléthore d’ouvertures des corps féminins du giallo qui, de l’entaille aux entrailles, joue une épiphanie des organes et des viscères jusque dans un trop plein de trivialité par gros plans sur les meurtrissures (plaies, énucléations, coulures de sang…). L’ensemble ne cache pas son aspect Grand-Guignol, par exemple, chez Argento, quand on montre un cœur percé par un poignard (Suspiria) ou que l’assassin regarde au travers d’une improbable cavité percée de part en part dans la tête d’une victime (La sindrome di Stendhal). On peut ensuite considérer le retour perpétuel de la chasse infernale de Boccace / Botticelli comme Georges Didi-Huberman, qui insiste sur le mouvement en boucle de celle-ci dans les trois premiers panneaux :
Cette façon qu’a la vision d’horreur de toujours se répéter […]. Qu’est-ce là, sinon une figure donnée à la contrainte de répétition et à ce que l’on aimerait appeler un éternel retour du visuel psychique ? Qu’est-ce là, sinon la façon visuelle d’incarner une hantise du temps, une souveraine revenance ?18.
C’est une telle revenance que joue le giallo, dispersée en sa multitude de films, en proposant à satiété les mêmes (types de) meurtres : ce cinéma représente, ni plus ni moins, un retour incessant et phobique de l’horreur sous la figure récurrente du tueur. Naturellement, enfin, s’il y a une finalité morale dans la nouvelle de Boccace, pour que les femmes de Ravenne « deviennent plus sages et plus dociles (arrendevoli) aux plaisirs des hommes », les fictions macabres du giallo ne sont certes pas faites pour l’édification des jeunes filles… Mais, au châtiment infernal du Décameron après que la femme ait poussé Nastagio au suicide (par « fierezza e crudeltà »), succède la punition ritualisée de femmes coupables de désirs et pulsions sur laquelle je reviendrai.
Le giallo propose une liturgie de la coercition, de l’humiliation, de l’élimination de la femme. Pour Stéphane Delorme, il est « la dernière manifestation du sacré en Italie. […] Le giallo est une messe qui opère la conversion des corps et des lieux19 ». Spectacle renouvelé d’offrande du corps, le giallo montre souvent un transport dans la douleur, les extases de certaines femmes victimes rappelant celles des statues baroques. Pour ma part, je crois que cette célébration répétée de la mise à mort, y compris dans son rapport au sacré, commerce étroitement, d’une part, avec l’opéra et, d’autre part, avec cet autre rituel qu’est la corrida, spectacle certes archaïque mais parfaite illustration d’un « merveilleux barbare » pour reprendre l’expression de Pasolini. C’est d’ailleurs ce qu’énonce Il Coltello di ghiaccio, cinquième giallo d’Umberto Lenzi, dont le générique se déroule sur des images de corrida, depuis la sortie du taureau jusqu’à l’enlèvement de sa dépouille, dont les réminiscences obsessionnelles s’imposent à Martha (Carroll Baker) tout au long du film. Outre que différents gialli présentent des rites avec victimes sacrificielles féminines (La corta notte delle bambole di vetro, Tutti i colori del buio), le final d’Il profumo della signora in nero est particulièrement révélateur. De manière spectaculaire, le corps de Silvia (Mimsy Farmer), amené au plus profond d’une galerie souterraine (la scène est filmée dans les thermes de Caracalla), est livré aux membres d’une secte qui vont, après ouverture du corps, prélever à tour de rôle des morceaux d’organes pour les dévorer. Cette scène d’anthropophagie20, au bout d’un giallo qui cumule folie, trauma, motif de l’enfant terrifiant, est à la fois figure d’une régression vers une bestialité et métaphore d’une possession du corps féminin poussée jusqu’à son assimilation. Le cérémonial autour du corps réunissant des participants vêtus de blouses grises, l’empressement à aller extraire une partie du cadavre, l’horrible mastication, fondent une eucharistie obscène.
Ocularisation
On réserve aux femmes dans le giallo un destin collectif qui consiste à mourir dans des longues agonies scénographiées (photo, cadre, lumière, composition des plans). La stéréotypie de la femme victime donne à ces séquences un caractère performatif au sens où, comme la performance dans le champ de l’art contemporain, l’action doit faire figure d’énoncé dynamique par provocation, exagération, outrance, excès, afin d’être signifiante. L’exemple premier se trouve dans L’uccello dalle piume di cristallo, même si la femme n’est que blessée à coups de couteau. Sam Dalmas (Tony Musante) est témoin d’une agression dans une galerie d’art contemporain après sa fermeture : sol et tenue vestimentaire de la victime blancs, statues sombres inquiétantes, longue reptation de la femme presque agonisante… Le témoin est bloqué dans le sas d’entrée doublement vitré, entre galerie et rue, ne pouvant, dans son confinement, intervenir pour secourir la femme et ne communiquer que par gestes vers l’extérieur pour demander de l’aide. Symboliquement, signe de son impuissance, Sam refait, contre la vitre qui le sépare de la victime, le geste traditionnel du mime qui figure une paroi invisible avec les paumes de ses mains.
Ce qui est donné à voir au personnage, l’ocularisation (François Jost), est habituelle et le rôle du témoin est, à de nombreuses reprises, essentiel : La ragazza che sapeva troppo (le film inaugural du genre), Il gatto a nove code, Gli occhi freddi della paura, Passi di danza su una lama di rasoio, Il gatto dagli occhi di giada. La mauvaise vision de la scène première a plusieurs fois été le point de départ de l’arc narratif : c’est le cas pour la tentative de meurtre dans la galerie de L’uccello dalle piume di cristallo, mais aussi, par exemple, pour n’avoir pas distingué le visage de l’assassin se reflétant dans un miroir disposé au milieu de tableaux dans Profondo rosso. L’élucidation au travers de l’image (dans Il Gatto a nove code et La coda dello scorpione, l’indice est dans la photo) est également répandue, renvoyant alors à Blow up (Antonioni), dont l’interprète principal (David Hemmings) a d’ailleurs été choisi par Dario Argento pour Profondo rosso. 4 mosche di velluto grigio va même jusqu’à donner la clef de l’énigme grâce à l’impression demeurée sur l’œil dans la dernière vision du vivant de la victime. Des personnages sont contraints de porter des regards inquiets, effarés, épouvantés sur l’évènement obscène qu’on impose à leur vue ; à cet égard, la plus terrible représentation est sans doute celle donnée par Dario Argento dans Opera, avec la torture qui consiste à coller sous les yeux de Betty (Christina Marsillach) des pointes tournées vers le haut, qui blessent dès que l’on cille, pour obliger à voir l’horreur.
L’esthétisation répétée de l’obscène dans le giallo questionne aussi la place du spectateur. Est-il mis en position de voyeur ? La réponse est difficile pour deux raisons. D’une part, le spectateur n’est pas assigné à une position unique : il peut prendre la place du meurtrier (caméra subjective), de la victime (contrechamp sur la menace, surprise de l’entrée dans le champ) ou d’un observateur anonyme (plans d’ensemble sur le cadre du meurtre), ce qui induit une polyvalence du regard. D’autre part, l’artifice de la représentation est tellement donné à voir que l’adhésion par le spectateur aux codes du giallo s’entend d’un acquiescement au congédiement du réel. Pour autant, « l’acte de voir nous renvoie, nous ouvre à un vide qui nous regarde, nous concerne et, en un mot, nous constitue21 », comme l’écrit Georges Didi-Huberman. La déréalisation de l’acte de tuer et de la blessure est une manière d’affronter, par une divagation sur l’obscène, ce qui se dissimule sous la peau et se libère dans les pulsions.
On ajoutera que ce spectacle de violence meurtrière est réalisé en pleine conscience. Je prends l’exemple de l’assassinat de la jeune institutrice, Paola (Patty Shepard) dans Mio caro assassino, avec deux signes évidents. D’une part, au moment d’être agressée et tuée dans son appartement, elle regarde un western à la télévision. Il s’agit de Django, de Sergio Corbucci, film important dans le corpus italien du genre. La séquence de ce « terrible western », comme elle le dit elle-même, est celle la flagellation de Maria (Loredana Nusciak) ; voici donc l’allusion expresse à la violence faite aux femmes, au sein d’une scène de violence faite à une femme et au cœur d’un genre où celle-ci prolifère, montrant que le réalisateur est pleinement lucide quant à l’objet de son propre cinéma. D’autre part, l’institutrice habite via Caravaggio, détail qui ne peut pas être innocent. Par allusion au Caravage, renvoi est fait à la fois à une personnalité violente connue pour des rixes, des affaires de mœurs et un meurtre, en même temps qu’au peintre génial mettant en évidence une maltraitance des corps avec un érotisme de la douleur et de l’abjection, soulignée par un traitement de la lumière qui dramatise la scène (et la circonscrit, notamment par contrastes avec l’ombre, dans un espace confiné). Tout coïncide avec l’univers, en mode naturellement mineur, du giallo… Peut-être y a-t-il complaisance à esthétiser ad nauseam ces meurtres, mais la complaisance possède aussi un sens politique.
L’assassinat de femmes en domaine infra-politique
Catastrophe
Le giallo se situe dans un des champs « modestes » de la représentation politique, moins voyant que d’autres (films d’auteurs, cinema civile ou di denuncia…), relevant a priori, en tant que sous-genre, d’un registre difficilement admissible comme politique. Pourtant, il participe du profond sentiment d’une catastrophe (skepsis) que l’état du pays inscrit au cœur même de la société. Pour le rapporter à la situation politique de l’Italie, on peut dire que le giallocoïncide avec la disparition de Togliatti (1964), qu’il est contemporain de la violence politique des « années de plomb » (1975-76) et qu’il s’essouffle après la fin des attentats qui ont secoué le pays (Bologne 1980)22.
Le giallo est placé sous le signe de l’énigmatique, de la collusion ou du complot, dont la rationalité échappe. Le réel est toujours incertain, et sa peinture cinématographique entraîne dans un monde de dangers et de fausseté. Tout conspire dans l’image : intérieurs claustrophobes, détails inquiétants (accentuer un détail est une trace hitchcockienne), musique, bruits, etc., et surtout le hors-champ qui crée alentour un espace de malignité amené à faire irruption brutalement. Le twist scénaristique, en décontenançant, laisse, avant sa survenue, acquiescer à toute résolution transitoire de l’énigme, rendant plausible chaque mobile, jouant ainsi une ronde dans laquelle chaque participant est potentiellement mauvais. Le giallo c’est la menace, l’ourdi, l’enfoui, le non révélé, le refoulé, le caché, toujours à (re)venir dans le narratif. Il ne faut pas s’en étonner : le complot, la compromission ont une résonance particulière dans une Italie où surgit la question de l’imputation des attentats et où l’on soupçonne la mise en place d’une « stratégie de la tension »23. Le double jeu, la trahison et la manipulation, si fréquents dans le giallo, symboliques en des temps de stay behind ; la menace peut se manifester à l’étranger – Écosse (L’iguana dalla lingue di fuoco), Afrique (L’uomo piú velonosa del cobra), Haïti (Al tropico del cancro) – tout comme des étrangers peuvent venir en Italie. Chaque lieu, chaque personnage possède sa part ténébreuse. C’est un cinéma de la peur du caché, de l’envers, de l’autre, du proche. Les films, au-delà de l’élucidation propre à un genre « policier » poursuivent un objectif de sidération. Le monde est tellurique ou n’est pas, du simple mouvement aux pires débordements, de la surface à la profondeur, de la peur aux viscères. Comme il a été dit, « l’intrusion de plus en plus forte de la pathologie et de l’irrationnel – jusque dans les territoires traditionnellement dominés par la raison : le cinéma civil – doit beaucoup à l’appesantissement du climat politique24 ». Ainsi, dans le giallo, tout conspire ; le mal est obscur, dissimulé, dérobé mais bien latent. Ce sont des temps dans lesquels « nous sommes tous en danger », disait Pasolini25. Peut-être même existait-il, pour reprendre l’expression de Deleuze, « un ailleurs plus radical26 ».
La giallo montre combien est gangrénée une vie dans les commodités sixties et post-sixties, pointant la frivolité, l’affectation des milieux artistiques, les mondanités, la notabilité, les jeunes premiers très classieux et la jet set… On remarque bien des maisons luxueuses et des appartements cossus. Il n’y a pas – ou si peu – de giallo « prolo ». C’est une liturgie de l’obscénité célébrée contre les valeurs bourgeoises, une bouffée de réel sordide contre la stérilité d’un milieu, une éruption de sang et une irruption d’inquiétude qui s’attaquent à la société bourgeoise-capitaliste (on peut voir une critique directe de la société de consommation avec l’entreprise de poules pondeuses de La morte ha fatto l’uovo). La grande bourgeoisie amorphe, satisfaite et veule, la notabilité et les castes sont prédatrices. On peut livrer des vierges en pâture (Chi l’ha vista morire?), au travers d’un réseau de prostitution (La polizia chiede aiuto, qui flirte avec le poliziottescho). Il est expressément dit, dans La corta notte delle bambole di vetro : « Les jeunes de notre pays sont sacrifiés pour maintenir le pouvoir en place » ; « Nos pires ennemis sont les amoureux de la liberté »…
La représentation d’un lieu magnifique pénétré par l’horreur et où les femmes risquent à chaque instant de succomber est une constante très symbolique du giallo : escaliers devant l’église de la Trinità dei Monti à Rome (La ragazza che sapeva troppo), Sitges en Catalogne (Lo strano vizio della signora Wardh), Ravello sur la côte amalfitaine (La sorella di Ursula) où Wagner disait avoir trouvé les jardins de Klingsor, parc du château de Schönbrunn (Vienne) devenant un lieu terrifiant de solitude pour celle qui y est restée après sa fermeture27, Venise lugubre (Chi l’ha vista morire ?, Solamente nero)27, etc. La plus pénétrante représentation, en ce sens, revient à Tutti i colori del buio, s’ouvrant sur un paysage en bordure de lac ou de rivière qui s’assombrit jusqu’au noir tandis que le générique se déroule, illustrant son titre original (qui évoque les couleurs du « noir » et non du « vice » comme il est dit dans l’exploitation française) et métaphorise ainsi les « sombres temps » s’abattant sur l’Italie.
Répression
L’obscénité du giallo est monstration outrancière de ce qu’un système normatif exclut. On y voit d’abord affleurer le profond refoulement d’une sexualité, lequel s’inscrit dans le cadre de l’environnement répressif entretenu alors en Italie par le poids de la religion catholique, l’hégémonie politique de la Démocratie Chrétienne et une bonne part d’archaïsme, que montrait d’ailleurs Pasolini dans son documentaire Comizi d’amore (1964), enquête sur la sexualité contemporaine de la naissance du filone. La période de succès du giallo, dans les années soixante-dix, correspond à la poussée de revendications émancipatrices (en Italie, le divorce a fait l’objet de lois du 1er décembre 1970 et du 19 mai 1975 ; l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse procède de la loi du 22 mai 1978), dont on sait qu’elles faisaient l’objet d’opposition farouche par les milieux catholiques et/ou conservateurs. C’est un grand enjeu de ces années : le contrôle sur le corps, la sexualité, la procréation (contraception et avortement)28.
On remarque, par exemple, la propension des femmes, dès leur retour chez elles, à se dénuder. Ainsi, la scène d’assassinat de l’institutrice dans Mio caro assassino, déjà évoquée, débute-t-elle par le déshabillage de celle-ci dès son retour chez elle. S’exprime là un désir de libération en dévoilant ce qui affleure sous une tenue vestimentaire sage (la petite jupe à carreaux comme emblème) : elle est nue sous son pull ; or, dans l’Italie de 1971-72, aucune institutrice n’irait faire cours avec un petit chandail moulant et sans porter de soutien-gorge, a fortiori en institution catholique. De plus, l’appartement dans lequel elle vit est figé, hors du temps : meubles anciens, vitrines avec argenterie, énorme crucifix au-dessus du lit : c’est un appartement de grand-mère. Une dimension religieuse (empreinte du catholicisme) et traditionnelle (survivance d’un cadre domestique désuet) est pointée par le décor choisi. Son meurtre (l’une des scènes très abouties dans le genre) résonne alors comme une violente répression. L’expression et le refoulement du désir féminin sont maintes fois montrés. Ainsi, Cosa avete fatto a Solange ? débute-t-il avec un couple d’amoureux allongés dans une barque, la jeune fille refusant l’acte sexuel ; des images de meurtre par pénétration d’un sabre dans le vagin d’une victime sur la berge viennent s’intercaler au moment où la jeune fille se dérobe à l’amour, le montage alterné liant le désir et sa punition (plus tard, une radiographie sordide, présentée dans les locaux de la police, montre l’arme fichée dans l’entrejambe entre les os du bassin). Ainsi encore, Una lucertola con la pelle di donne dévoile-t-il les aspirations de Carole (Florinda Bolkan) au libertinage en la montrant dans le couloir bondé d’un train et, par substitution d’images fantasmées, dans une même déambulation entre des corps nus en pleine orgie ; plus tard, c’est un split screen qui montre ensemble, d’une part, la jeune femme dans sa chambre et le désir sexuel ou l’image d’un corps nu, et, d’autre part, le repas compassé dans son milieu bourgeois (elle voit par ailleurs en rêve sa famille morte dans une représentation glauque dérivée de Francis Bacon). Il y aurait aussi beaucoup à dire de la fixation de l’assassin qui travaille dans une maison de couture spécialisée sur les robes de mariées et qui s’en prend aux jeunes épouses dans Il Rosso segno della follia, en rapport à l’institution du mariage. Parfois, c’est une invitation audacieuse qui se profile : masochisme avec Julia Wardh qui aspirait à une sexualité violente (Lo strano vizio della signora Wardh) ; dans la scène de happy end de Nude per l’assassino, lorsque son compagnon demande à Magda (Edwige Fenech) de se retourner, ce qu’elle fait de bonne grâce après avoir marqué la surprise, le film s’achève sur une suggestion de sodomie plutôt hardie dans le contexte de l’époque. On peut aussi considérer la scène de douche collective des jeunes filles de l’institution religieuse, entièrement nues, dans Cosa avete fatto a Solange ?, comme un moment de libération et d’hédonisme en plein cœur d’un établissement confessionnel29. Des prêtres sont à plusieurs reprises des assassins (le meurtrier des gamines rousses dans Chi l’ha vista morire?, pour éviter à celles-ci de s’adonner plus tard au péché, sachant que la mère du prêtre, une prostituée, était rousse). Non si sevizia un paperino est foncièrement anticlérical. La libération sexuelle, prégnante à l’époque, et le châtiment qui peut l’assortir, sont montrés, par exemple, dans I corpi presentano tracce di violenza carnale quand une étudiante est tuée au sortir d’une fête hippie où l’amour est collectif et très libre. Au fond, il s’agit de réprimer ce que Bataille appelait le « mouvement explosif de la transgression30 ». Avec le meurtre obscène du giallo, l’insoutenable prospère sur l’inassouvi.
Pour prendre quelques exemples ponctuels liés à l’interruption volontaire de grossesse, il faut rappeler que Nude per l’assassino s’ouvre sur la mort d’une femme au cours d’un avortement clandestin, ce qui introduit un mobile de vengeance. Pour répondre à la question posée par le titre Cosa avete fatto a Solange ?, il est intéressant de signaler que la malheureuse Solange, élève dans l’institution religieuse déjà évoquée, enceinte, a été conduite à son corps défendant par des camarades de classe pour subir un avortement clandestin, qui l’a fortement traumatisée ; l’assassin est son père : il agit déguisé en prêtre, ce qui ajoute au cadre confessionnel en imputant symboliquement une violence répressive au catholicisme, et il a aussi appris la vérité grâce à son déguisement, recevant, en confession, les confidences des collégiennes.
Le giallo s’aventure jusqu’à postuler l’obscénité de la féminité elle-même. Dans Una lucertola con la pelle di donne, Carole, au sein d’un établissement spécialisé, finit par aboutir dans une pièce où des chiens disséqués – une vivisection : comme les femmes… – sont pendus à un râtelier. Au tréfonds d’un parcours dans la psyché du personnage, perclus de pulsions saphiques, apparaît une représentation obscène du sexe féminin reproduit par la découpe des animaux, ajointant vulgaire et vulvaire pour en présenter une vision d’horreur, rehaussée par le dispositif (lignes de transfusion) et démultipliée (quatre bêtes sont pendues). Là, l’organique met la femme en face de l’image avilie et instrumentalisée de son propre sexe, stade ultime dans le giallo d’une évidence biologique dont le féminisme a montré qu’elle pouvait servir à justifier un programme politique conservateur31. Il est piquant de noter qu’Una lucertola con la pelle di donne reçut en France, comme titre d’exploitation : Carole : les salopes vont en enfer… Vendicare, toujours !
Le giallo suggère, enfin, que la sexualité féminine peut être aliénée. Un nombre important de films montre effectivement une féminité pathologique. Les hallucinations ou les images-souvenirs enfouies à décrypter (encore une trace hitchcockienne depuis Spellbound) sont notables ; la folie, l’hystérie, sont régulières. Certes, tous les troubles ne sont pas liés à la sexualité, mais certains sont emblématiques : Una lucertola con la pelle di donne montre Carole vivre ses phantasmes en cauchemars jusqu’à ce qu’on s’interroge pour savoir si elle a ou non tué sa voisine libertine ; dans L’occhio nel labirinto, Julie (Rosemary Dexter) voit en rêve l’assassinat de son psychiatre, qui est en même temps son amant ; Trauma part du traumatisme d’une adolescente et de son anorexie ; Phenomena présente une adolescente qui hallucine pendant des crises de somnambulisme ; Lo strano vizio della signora Wardh montre en rêve l’image du rapport sado-masochiste avec blessure au goulot de bouteille ; Tutti i colori del buio débute par une scène cauchemardesque avec femme enceinte ensanglantée sur une table d’examen gynécologique, etc. Deux films poussent très loin la représentation de l’aliénation féminine. Il profumo della signora in nero, d’abord, partant du souvenir traumatique d’une fillette qui, pendant les absences de son père avait surpris sa mère avec un amant et l’avait tué en le poignardant, reçoit des visites d’elle-même sous la forme de la fillette qu’elle était, double qui la poussera à sa perte. Ainsi que le dit Philippe Met, dans ce film, « est surtout remarquable la thématisation, sinon la mise en abyme, non pas tant de l’aliénation et des éventuelles hallucinations […] qu’elle génère […] que du nonsense (au sens d’inversion du négatif de la réalité telle que nous pensions la vivre et la connaître32 ». Dans La sindrome di Stendhal, une visite initiale de la galerie des Offices place Anna (Asia Argento) entre deux représentations de la femme : celle de Venus (retour à Botticelli) et celle de Méduse (Caravage), c’est-à-dire entre une vénusté et le pouvoir monstrueux du féminin (Méduse annonciatrice, à l’orée du film, de l’obscénité qui guette le personnage). S’établit alors une sorte de polarité qui annonce le basculement d’Anna, schizophrène qui se substituera à l’assassin qu’elle recherche initialement (d’autres symboliques de ce clivage apparaissent, en particulier celle du palindrome, à la fois dans le prénom d’Anna mais aussi dans le motif mélodique de la passacaille composée par Ennio Morricone pour la bande originale du film). L’hypersensibilité aux œuvres d’art aura alors été un révélateur (hallucinations auditives comme premiers symptômes) et un agent du passage de l’autre côté d’un tableau et de son basculement (symptômes dépressifs de repli sur soi, peintures aux bouches béantes hypertrophiant celle de Méduse, etc.). Bien sûr, le glissement d’Anna dans La chute d’Icare (Brueghel l’Ancien) est une plongée dans les profondeurs abyssales de son intériorité.
En même temps, si des symptômes sont repérables s’agissant de la place de la femme dans le giallo, il faut aussi dire les limites du genre, à commencer, s’agissant de la différence des sexes, par la constatation que celui-ci est foncièrement hétéronormé. D’une part, évidemment, certaines femmes sont aussi des tueuses, mais le partage sexué des rôles désigne l’homme comme prédateur dominant. À quoi s’ajoute l’indéfectible rapport réalisateurs/actrices : il n’y a pas de réalisatrices dans le giallo, qui pourtant fait du corps des femmes le corpus des films…
S’il fallait résumer rapidement la signification de ce cinéma populaire, on pourrait avancer que, en Italie, le giallo est une tragédie du regard, le western une tragédie de l’espace, le péplum une tragédie des fondations, l’horreur une tragédie de l’exister. L’aspect grand-guignolesque, qui ne se cache pas, vient alors jouer une Apocalypse joyeuse.
Index des films cités
Giallo et apparenté
- Alla ricerca del piacere (À la recherché du plaisir), Silvio Amadio, 1972
- Al tropico del Cancro (Tropique du Cancer), Gian Paolo Lomi & Edoardo Mulargia, 1972.
- Chi l’ha vista morire ? (Qui l’a vue mourir ?), Aldo Lado, 1972
- Cinque bambole per la luna d’agosto (L’île de l’épouvante), Mario Bava, 1970
- La coda dello scorpione (La queue du scorpion), Sergio Martino, 1971
- Il coltello di ghiaccio (Le couteau de glace), Umberto Lenzi, 1972
- Concerto per un pistola solista, Michele Lupo, 1970
- I Corpi presentano tracce di violenza carnale (Torso), Sergio Martino, 1973
- La corta notte delle bambole di vetro (Je suis vivant !), Aldo Lado, 1971
- Cosa avete fatto a Solange ? (Mais… qu’avez-vous fait à Solange ?), Massimo Dallamano, 1971
- Così dolce… così perversa (Si douces, si perverses), Umberto Lenzi, 1969
- La dama rossa uccide a sette volte (La dame rouge tua sept fois), Emilio P Miraglia, 1972
- Delirio caldo (Au-delà du désir), Renato Polselli, 1972
- Le Foto proibite di una signora per bene (Photo interdite d’une bourgeoise), Luciano Ercoli, 1970
- Il gatto a nove code (Le chat à neuf queues), Dario Argento, 1971)
- Il gatto dagli occhi di giada, Antonio Bido, 1977
- Giornata nera per l’ariete (Journée noire pour un bélier), Luigi Bazzoni, 1971
- L’iguana dalla lingue di fuoco (L’iguane à la langue de feu), Riccardo Freda (Willy Pareto), 1971
- Inferno (Inferno), Dario Argento, 1980
- Gli occhi freddi della paura, Enzo Girolami Castellari, 1971
- La lama nel corpo (Le nuits de l’épouvante), Emilio Scardimaglia (Michael Hamilton), 1966
- Una lucertola con la pelle di donne (Carole : les salopes vont en enfer), Lucio Fulci, 1971
- Milano, morte sospetta di una minorenne (À en crever), Sergio Martino, 1975
- Mio caro assassino (Folie meurtrière), Tonino Valerii, 1972
- La morte accarezza a mezzanotte (La mort caresse à minuit), Luciano Ercoli, 1972
- La morte cammina con i tacchi alti (Nuits d’amour et d’épouvante), Luciano Ercoli, 1971
- La morte ha fatto l’uovo (La mort pondu un œuf), Giulio Questi 1968
- Non ho sonno (Le sang des innocents), Dario Argento, 2001
- Non si sevizia un paperino (La longue nuit de l’exorcisme), Lucio Fulci, 1972
- La notte che Evelyn usci dalla tomba (L’appel de la chair), Emilio Miraglia, 1971
- Nude per l’assassino (Nue pour l’assassin), Andrea Bianchi, 1975
- L’occhio nel labirinto (L’œil du labyrinthe), Mario Caiano 1972
- Opera (Terreur à l’opéra), Dario Argento, 1987
- Passi di danza su una lama di rasoio (Chassés-croisés sur une lame de rasoir), Maurizio Pradeaux, 1972
- Perché quelle strane gocce di sangue sul corpo di Jennifer ? (Les rendez-vous de Satan), Giuliano Carnimeo, 1972
- La polizia chiede aiuto (La lame infernale), Massimo Dallamano, 1974
- Profondo rosso (Les Frissons de l’angoisse), Dario Argento, 1975
- d’Il profumo della signora in nero (Le Parfum de la dame en noir), Francesco Barilli, 1974
- La ragazza che sapeva troppo (La fille qui en savait trop), Mario Bava, 1963
- 4 mosche di velluto grigio (4 mouches de velours gris), Dario Argento, 1971
- Reazione a catena (La baie sanglante), Mario Bava, 1971
- Il rosso segno della follia (Une hache pour la lune de miel), Mario Bava, 1970
- Sei donne per l’assassino (Six femmes pour l’assassin), Mario Bava, 1964
- Sette scialli di seta gialla, Sergio Pastore, 1972
- La sindrome di Stendhal (Le syndrome de Stendhal), Dario Argento, 1996
- Solamente nero (Terreur sur la lagune), Antonio Bido, 1978
- La sorella di Ursula (La sœur d’Ursula), Enzo Milioni, 1978
- Lo squartatore di New York (L’éventreur de New-York), Lucio Fulci, 1982
- Lo strano vizio della signora Wardh (L’étrange vice de madame Wardh), Sergio Martino, 1971
- Suspiria, Dario Argento, 1977
- La tarantola dal ventre nero (La tarentule au ventre noir), Paolo Cavara, 1971
- Tenebre (Ténèbres), Dario Argento, 1982
- Terza ipotesi su un casa di perfetta strategia criminale (Un cas parfait de stratégie criminelle), Giuseppe Vari, 1972.
- Tutti i colori del buio (Toutes les couleurs du vice), Sergio Martino, 1972
- L’uccello dalle piume di cristallo (L’oiseau au plumage de cristal), Dario Argento, 1970
- Una sull’altra (La machination), Lucio Fulci, 1969
- L’uomo più velenoso del cobra (Plus venimeux que le cobra), Adalberto ‘Bitto’ Albertini, 1971
Autres films
- Anima persa (Ames perdues), Dino Risi, 1977
- The Birds (Les oiseaux), Alfred Hitchcock, 1963
- Carrie (Carrie au bal du Diable), Brian De Palma, 1976
- Cinque tombe per un medium (Cimetière pour morts-vivants), Massimo Pupillo, 1965
- Comizi d’amore (Enquête sur la sexualité), Pier Paolo Pasolini, 1964
- Danza macabra (Danse Macabre), Antonio Margheritti, 1964
- Death Wish (Un justicier dans la ville), Michael Winner, 1974
- Dirty Harry (L’inspecteur Harry), Don Siegel, 1971
- Friday the 13th (Vendredi 13), Sean S. Cunningham, 1980
- Halloween (Halloween, la nuit des masques), John Carpenter, 1978
- The Leopard Man (L’homme-léopard), Jacques Tourneur, 1943
- La maschera del demonio (Le masque du démon), Mario Bava, 1960
- Morte a Venezia (Mort à Venise), Luchino Visconti, 1971
- Il mulino delle donne di pietra (Le moulin des suppplices), Giorgio Ferroni, 1960
- A Nightmare on Elm Street (Les griffes de la nuit), Wes Craven, 1984
- Ossessione (Les amants diaboliques), Luchino Visconti, 1943
- Peeping Tom (Le voyeur), Michael Powell, 1960
- Per un pugno di dollari (Pour une poignée de dollars), Sergio Leone, 1964
- Porcile (Porcherie), Pier Paolo Pasolini, 1969
- Psycho (Psychose), Alfred Hitchcock, 1960
- Repulsion (Répulsion), Roman Polanski, 1965
- Rosemary’s baby, Roman Polanski, 1968
- Spellbound (La maison du docteur Edwardes), Alfred Hitchcock, 1945
- I vampiri (Les Vampires), Riccardo Freda, 1956
- La vergine di Norimberga (La vierge de Nuremberg), Antonio Margheritti, 1963
Notes
- Pour ne pas alourdir le texte, les films cités sont regroupés dans une filmographie finale.
- La toute première séquence de La Ragazza che sapeva troppo, un film inaugural du genre, montre Nora Davis (Letícia Roman), en avion, lisant un giallo Mondadori.
- Dès le succès de Per un pugno di dollari, de Sergio Leone (1964).
- Films criminels urbains violents, modélisés à partir du succès de Dirty Harry (Don Siegel, 1971) ainsi que des films d’auto-défense symbolisés par Death Wish (Michael Winner, 1974).
- Après le coup d’essai constitué par I vampiri (Riccardo Freda, 1956), qui transpose l’histoire de la Comtesse Barthory, viennent Il mulino delle donne di pietra (Girogio Ferroni, 1960), La maschera del demonio (Mario Bava, 1960), La vergine di Norimberga (Antonio Margheritti, 1963), Danza macabra (ibid., 1964), Cinque tombe per un medium (Massimo Pupillo, 1965).
- Beaucoup plus amont, on retrouve des sources d’inspiration du giallo dans le cinéma classique, notamment chez Fritz Lang et Jacques Tourneur. Certains croient pouvoir trouver des prémisses au giallo dans Ossessione, de Luchino Visconti (1943), adaptation du roman de James Cain (The postman always rings twice).
- Sigmund Freud, Leçons d’introduction à la psychanalyse, Œuvres complètes, vol. XIV (1915-1017), Paris, PUF, 2000, p. 314.
- Molière, Critique de l’École des femmes, sc. III.
- Georges Bataille, Histoire de l’érotisme, Œuvres complètes, VIII, Paris, NRF, Gallimard, 1976, p. 129.
- Nicole Loraux, Façons tragiques de tuer une femme, Paris, Hachette, coll. Textes du XXe siècle, 1985, p. 12.
- Curieusement, la permanence de ces scènes permettait de montrer la nudité en évitant la censure.
- Georges Bataille, Histoire de l’érotisme, op. cit., p. 129.
- Charles Baudelaire, Salon de 1859, Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, tome II, Paris, NRF, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1976, p. 617.
- Donatien Aldonse François de Sade, Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, parties I à III, Œuvres complètes, Paris, Jean-Jacques Pauvert, tome 8, 1987, p. 256.
- Ibid., p. 56.
- Cette dilatation du temps, chez Dario Argento, doit sans doute à Sergio Leone, avec lequel il avait collaboré.
- Ainsi la série Self Obliteration, Galerie Kapelica, Ljubljana, Slovénie, 31 mars 2011.
- Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus. Nudité, rêve, cruauté, Gallimard, coll. Le temps des images, 1999, p. 85.
- Stéphane Delorme, « Giallo cathédrale », Cahiers du Cinéma, 729, janvier 2017, p. 86.
- L’anthropophagie, dans la même période que le giallo, se retrouve dans la partie « primitive » de Porcile (Pier Paolo Pasolini, 1969), dans différents films de morts-vivants transalpins ainsi, bien sûr, que dans les films de cannibales qui constituent encore des sous-genres italiens.
- Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit, coll. Critique, 1992, p. 11.
- Pour une interrogation sur la nature politique de la violence des années de plomb, l’état insurrectionnel de l’Italie et le cinéma, voir Xavier Daverat, « Territoires de l’exception : Italie, plombs et cinéma », in : Lucien Rapp, Saïd Hamdouni, et Didier Guignard (dir.), Culture Société Territoires. Mélanges en l’honneur du Professeur Serge Regourd, Institut universitaire Varenne, coll. Colloques & essais, 2019, p. 117.
- La « stratégie de la tension » a visé, en Italie, à faire commettre des attentats pour les imputer à l’extrême gauche, dans le but de susciter des réactions politiques portant au pouvoir un gouvernement hostile à la gauche. Le réseau « Gladio » (« Glaive »), ramification clandestine de l’OTAN, aurait servi de fer de lance de cette stratégie. Le premier ministre Giulio Andreotti en a révélé l’existence en 1990, et un rapport parlementaire de la coalition de centre-gauche L’Olivier a confirmé, en 2000, la mise en œuvre en Italie d’une « stratégie de la tension ».
- Laurence Schifano, Le cinéma italien de 1945 à nos jours. Crise et création, Paris, Nathan Université, coll. Cinéma, 2003, p. 101.
- Furio Colombo et Gian Carlo Ferretti, L’Ultima intervista di Pasolini, trad. Hélène Frappat, Paris, Allia, 2010.
- Gilles Deleuze, L’image-mouvement, Cinéma 1, Paris, Minuit, coll. Critique, 1983, p. 30.
- Je rappelle les vapeurs méphitiques associées à Venise dans Morte a Venezia (Luchino Visconti) et Anima persa(Dino Risi).
- Kath Woodward, « Gendered Bodies : Gendered Lives », in : Diane Richardson et Victoria Robinson (éd.), Introducing Gender and Women’s Studies, 3e éd., New York, Palgrave, 2008, p. 79.
- Anticipant de quatre ans sur la scène de vestiaire dans Carrie (Brian De Palma, 1976).
- Georges Bataille, L’érotisme, Paris, Minuit, coll. Arguments, 1987, p. 128.
- Sur ce point : Sue Vilhauer Rosser, Biology and feminism: A dynamic interaction. The impact of feminism on the arts and sciences, New York, Twayne, 1992.
- Philippe Met, « Franceso Barilli : Stations du cauchemar », in : Frank Lafond (dir.), Cauchemars italiens, vol. 2, Le cinéma horrifique, Paris, L’Harmattan, coll. Champs visuels, 2011, p. 92-93.