Ici comme partout ailleurs, des changements dans l’organisation des habitats sont visibles. Ceux-ci dépendent soit de la durée de l’occupation sur place, ce qui paraît plausible si on soutient l’hypothèse d’un système patriarcal et d’une filiation multiple des familles, dont il existe des exemples dans d’autres époques et cultures, soit il s’agit de nouveaux types d’habitat progressistes comme les fermes à enclos rectangulaire dont on attribue un rang plus élevé que celui des fermes groupées en hameau. Malheureusement, on ne connaît que quelques éléments de la longue chaîne d’occupation et concernant la dynamique des habitats ne nous sont révélées que des courtes périodes d’un processus global.
“Il est rare qu’un territoire soit étudié dans sa globalité par des fouilles ou au moins des sondages afin de repérer les débuts et les fins des séquences d’occupation. Il existe cependant des possibilités pour reconstituer l’organisation de tels lieux de vie.”1
Les recherches portant sur la genèse et le développement des structures d’habitat à l’âge du Fer2 en Europe centre-occidentale sont un des thèmes majeurs, sinon le thème principal dans l’œuvre d’Olivier Buchsenschutz. C’est grâce à lui que l’on dispose actuellement d’une base documentaire bien étayée, en particulier dans le Bassin parisien. Les types d’habitat y sont fort bien définis3. Les réflexions contenues dans ses travaux serviront de point de départ pour la discussion ci-après. Nous nous proposons ici d’analyser la situation des habitats dans une aire culturelle complètement différente, le sud de l’Allemagne, pendant les époques de Hallstatt et de La Tène ancienne. Toutefois, l’objectif ne sera pas de transférer la situation du Bassin parisien à la nôtre. Notre zone d’étude est située en bordure occidentale du Nördlinger Ries dans les environs de la résidence princière du Hallstatt final sur le mont Ipf (fig. 1).
Malgré les nettes ressemblances culturelles entre ces régions géographiquement très éloignées, il faut prendre en compte l’existence de divergences dans l’organisation et le type des habitats. Pour cette raison, une classification homogène ne peut pas toujours être considérée comme le modèle d’explication universel. De ce fait, nous avons tenté ici une analyse de la dynamique des sites d’habitat à petite échelle au sein d’une microrégion afin de faire ressortir des tendances spécifiques4.
L’aspect crucial de cette analyse tient dans l’apparition et la genèse des fermes à enclos, appelées aussi fermes au tracé rectangulaire, pour lesquelles les sources documentaires au sein de cette microrégion dans le Nördlinger Ries sont exceptionnelles. D’une part, des facteurs géographiques et environnementaux sont déterminants dans la formation des types d’habitat, comme le sont également des facteurs de type (géo) culturel5. Les premiers sont liés au milieu naturel d’un territoire. Ils conditionnent les possibilités d’exploitation des ressources ainsi que l’utilisation de sols fertiles pour l’agriculture et l’élevage. De même, le réseau préexistant des habitats et leurs interconnexions sont déterminants et peuvent anticiper des tendances évolutives et activer ou, au contraire, freiner la dynamique6. À ce sujet, on s’orienterait autant sur des facteurs économiques, plus particulièrement agraires, que sur des facteurs sociologiques. Ces derniers sont à différencier de façon plus détaillée. Ces rapports fondés sur des traditions et des structures parentales ont une importance cruciale dans la régulation de la vie en communauté et la répartition des biens etc.7 Ils peuvent évoluer de façon discontinue ou continue8. Les caractéristiques des structures construites des habitats9 et de leurs évolutions permettent de conclure à un effet de réciprocité ainsi qu’au développement de ces mêmes facteurs. Dans une microrégion, le problème qui se pose pour des phénomènes éloignés géographiquement est évité – les développements semblables peuvent avoir une signification complètement différente et se manifester par des caractéristiques différentes. L’hypothèse fondamentale d’une image suffisamment différenciée que nous livrent ces structures nous permet d’avancer des conclusions concernant ces rapports. Dans la mesure où se développe une vie en communauté au sein de ces habitats, tant dans le sens de la régulation que de la répartition des biens, il se pourrait que certaines structures aient pu avoir une fonction sociale et se développer dans ce sens ou être nouvellement réparties. Sommes-nous en présence ici d’une restructuration de la répartition des biens et de la formation de structures élitaires, qui se manifesteraient périodiquement ? Ou est-ce que nous sommes en présence d’une continuité, qui s’expliquerait par l’enracinement d’une communauté dans ce territoire? De même, est-il justifié de parler d’un habitat de type “unité agricole aristocratique dans un enclos”10? Le but de nos réflexions est d’approfondir ces aspects.
Les fermes au tracé rectangulaire des époques Hallstatt et La Tène ancienne entre le mont Ipf et le Goldberg
De nombreux habitats et tertres funéraires datés du Premier âge du Fer se trouvent dans les environs des deux habitats fortifiés de hauteur sur le mont Ipf et le Goldberg, dans une situation topographique bien visible, dans la vallée de l’Eger, en bordure de la plaine du Ries. Une hiérarchisation topographique très nette des sites se dessine dans l’environnement de ces habitats fortifiés de hauteur. Les fermes au tracé rectangulaire, délimitées par des palissades ou des fossés, à l’instar des résidences aristocratiques du Hallstatt final du sud de la Bavière, constituent un type d’habitat particulier dans la plaine du Ries, près de Nördlingen-Baldingen11, ainsi qu’en bordure occidentale du Ries, près de Riesbürg-Goldburghausen12. La majorité de ces fermes est située dans le sud de la Bavière, le long du Danube et de ses confluents. On notera leur absence plus à l’ouest. À l’exception des régions de la Basse-Franconie et du Nördlinger Ries, leur répartition et celle des habitats fortifiés de hauteur associés aux résidences princières s’excluent en grande partie. Dans le milieu de la recherche, le terme de “résidences aristocratiques du sud de la Bavière” (“Südbayerische Herrenhöfe”) est devenu usuel pour désigner ces fermes. Cette notion suggère que ces fermes à enclos sont les résidences d’une élite sociale ; on pense plus particulièrement à de riches fermiers.
Autour du mont Ipf, les deux emplacements de fermes à enclos rectangulaire près du hameau d’Osterholz, sur la commune de Kirchheim am Ries représentent un type particulier. Elles forment le point de départ de notre réflexion dans la mesure où elles sont localisées immédiatement au pied du mont Ipf et situées plus en hauteur par rapport aux sites d’habitat laténiens incluant l’enceinte quadrilatérale dans la vallée de l’Eger.
Près du hameau d’Osterholz se trouvent plusieurs fermes au tracé rectangulaire dans les lieux-dits Zaunäcker (fig. 2) et Bugfeld, datées du Hallstatt tardif à La Tène ancienne. Les fouilles, effectuées entre 2000 et 2006, de deux de ces fermes au tracé rectangulaire ont livré plusieurs enclos palissadés qui se succèdent dans le temps, avec, à chaque fois, une continuité locale. Il s’agit de sites d’une surface de 0,7 à 1,2 ha. Des traces de l’aménagement intérieur sont conservées : trous de poteau, petits fossés et cabanes semi-enterrées13. Leur étude par Katharina Fuhrmann a permis de définir une séquence chronologique intéressante : la ferme au tracé rectangulaire de Bugfeld a été occupée depuis la phase Hallstatt D1 jusqu’à la transition La Tène A, tandis que celle de Zaunäcker a été utilisée depuis la phase Hallstatt D2/3 jusqu’à la fin de La Tène A.
Dans la ferme de Bugfeld, la présence de grandes surfaces empierrées ou pavées est plutôt inhabituelle. Associées à des grands trous de poteau, elles permettent d’identifier un grand édifice représentatif. Cette grande construction en bois a été démontée suite à son abandon et l’emplacement couvert de pierres. Cette curieuse observation nous laisse envisager différents mobiles. L’interprétation du scellement ou de l’enfouissement rituel d’une aire à fonction cultuelle, afin de recouvrir un lieu sacré, nous paraît plausible. Par conséquent, se pose la question de l’interprétation de cette ferme au tracé rectangulaire : située au pied de la résidence princière sur le mont Ipf, sa fonction pourrait être du domaine cultuel ou religieux14.
Les deux fermes voisines au tracé rectangulaire ne se distinguent pas seulement par cet édifice particulier du groupe des dites résidences aristocratiques du sud de la Bavière. Elles renfermaient aussi un mobilier exceptionnel. Il se compose de céramique indigène de très haute qualité incluant de la céramique tournée à décor estampé et à décor au compas, ainsi que des importations méditerranéennes comme des tessons d’amphores ou de la céramique attique à figures rouges. Ce mobilier différencie clairement ces fermes des établissements ouverts des environs, datant des époques de Hallstatt et de La Tène ancienne. Elles constituent une petite unité d’habitat, occupée par une couche sociale plus élevée, qui servait de lieu de résidence et de sépulture. Cette couche sociale ne peut être formée par le groupe de personnes que nous désignons sous le terme de “princes hallstattiens” et auxquels appartenait la forteresse représentative sur le mont Ipf.
En revanche, la forme rectangulaire de l’enclos palissadé délimitant une surface d’un hectare ne se distingue pas des autres fermes de ces mêmes époques. Les phases de construction qui s’y succèdent sans interruption attestent une continuité depuis la phase Hallstatt D1 jusqu’à la phase La Tène A15. L’occupation sur la colline d’Osterholz, associée à la résidence princière hallstattienne sur le mont Ipf, est ensuite interrompue. En aval, l’occupation sur le cône d’éboulis dans la vallée de l’Eger débute soit à la fin de l’occupation de la ferme au tracé rectangulaire de Zaunäcker, soit peu de temps après. Le tracé rectangulaire voire quadrangulaire n’est repris qu’à partir des phases moyennes d’aménagement qui comprennent la construction d’une ferme (fig. 4).
La séquence d’occupation laténienne dans la vallée de l’Eger
Succédant aux fermes au tracé rectangulaire de l’époque de Hallstatt, l’enceinte quadrilatérale et les structures d’habitat laténiens de Bopfingen-Flochberg jouent un rôle central dans la discussion des sites d’habitat celtiques en bordure occidentale du Ries. Le site lui-même est visible depuis le mont Ipf dans la plaine alluviale de l’Eger. Il est installé sur un cône d’éboulis de calcaires jurassiques, un dépôt charrié depuis le Jura Souabe16. Ce site est devenu d’autant plus célèbre qu’il a ébranlé considérablement l’hypothèse, qui dominait jusque dans les années 1990, selon laquelle les enceintes quadrilatérales seraient des aménagements destinés à un usage exclusivement cultuel17. On privilégie actuellement l’interprétation de l’utilisation multifonctionnelle18. En 1989, dix ans après la découverte de l’enceinte quadrilatérale par O. Braasch, ont débuté des travaux de fouille de grande surface. Ils ont permis de mettre au jour de très nombreux sites d’habitat supplémentaires dans les environs de cette enceinte fossoyée au tracé rectangulaire19. Très vite, on a constaté que ce lieu recelait plusieurs phases d’occupation qui indiquaient une durée d’utilisation s’étalant sur plusieurs siècles. De même, cette longue occupation du site permettait d’étudier les rapports des structures entre elles. Mis à part les restes de systèmes d’enclos représentés par de petits fossés de clôture, les deux enceintes rectangulaires à clôture palissadée et le système rempart-fossé, il s’est avéré que de nombreuses structures s’étendaient au-delà de ces systèmes d’enclos. Parmi celles-ci, 126 bâtiments au total ou structures similaires ont été identifiés, dont un grand nombre a pu être interprété dès le cours de la fouille avec un plan régulier20. Certains détails architecturaux, comme la disposition régulière des fosses et leurs espacements, étaient déterminants pour la reconstitution des plans des bâtiments21. Certains de ces bâtiments attestent une occupation au tout début du Bronze ancien et au Bronze final. En revanche, le début de l’occupation de l’âge du Fer se manifeste par un établissement ouvert daté de l’époque de La Tène ancienne, visiblement subdivisé en petits groupes de fermes arborant une organisation plutôt irrégulière (fig. 3). En revanche, l’identification des phases d’occupation suivantes est plus facile dans la mesure où elles se manifestent par des unités agricoles bien délimitées (fig. 3 ; 4). À Bopfingen, la reconstitution des phases d’aménagement est fondée sur les observations des recoupements, des orientations des plans et de leur disposition respective, sur le mobilier récolté dans les trous de poteau et dans les fosses, ainsi que sur des caractéristiques architecturales de certains types de bâtiments, qui, en raison de différentes comparaisons, peuvent être considérés comme spécifiques pour une époque donnée22. Au cours de l’élaboration, certaines phases et sous-phases de ces constructions ont pu être définies de cette manière. Une partie de ces phases n’a qu’une importance locale. Souvent, il s’agit de phases d’aménagement secondaires de certains bâtiments ou fermes. Elles s’intègrent toutefois dans une vue d’ensemble et sont de ce fait importantes pour la discussion globale. Les niveaux d’occupation ne sont pas conservés. De ce fait l’attribution précise de ces phases à des phases de construction est parfois peu claire et, en partie, toujours arbitraire ou sujette à discussion. Pour cette raison, la reconstitution exposée ici doit être considérée comme une proposition. Néanmoins, cette proposition paraît être la plus plausible en l’état actuel des recherches pour des raisons valables.
Au cours de l’élaboration, une des conditions impératives fut de vérifier l’hypothèse d’unités agricoles dont un modèle avait déjà été vérifié et appliqué dans d’autres régions23. L’apparition récurrente sur les plans de certaines structures est déterminante lors de l’identification de ces unités fonctionnelles24. Par conséquent, les variations du degré de spécialisation des activités artisanales et agricoles se refléteraient dans des structures appropriées et permettraient de déterminer l’importance socio-économique de l’établissement25. En outre, on peut supposer que les différentes activités destinées à l’approvisionnement de la communauté ne se déroulaient pas sous un même toit26. Les bâtiments avaient des fonctions différentes et abritaient des activités différentes : certains servaient d’habitation27, d’autres de greniers ou aussi d’ateliers, une fonction qui convient plus particulièrement aux cabanes semi-enterrées28. Les systèmes de clôture pouvaient avoir, en dehors de la simple délimitation des habitations et des bâtiments agricoles, une fonction de parcage du bétail ou de protection des surfaces agricoles29. Il est important de mentionner que différentes unités structurales, non seulement se succèdent les unes aux autres, mais ont aussi été intégrées a posteriori dans une organisation préexistante. L’histoire de l’occupation, qui retrace la séquence de construction purement structurelle, doit être confirmée par l’élaboration de la séquence chronologique de la céramique30. La séquence d’occupation a permis l’identification d’une occupation permanente, sur place, avec toutefois un léger déplacement des unités d’habitat. On constate en premier lieu une transformation structurelle, qui se manifeste aussi bien dans la disposition des bâtiments que dans les différents types d’enclos.31
Phases 1&2 – Établissement rural ouvert (1) et enclos ovale (2)
La plus ancienne phase de construction (fig. 3) peut être subdivisée en deux sous-phases – d’un côté, l’établissement rural ouvert (marquage rouge) et de l’autre, l’aménagement intérieur de l’enclos ovale (marquage jaune). Après avoir éliminé les bâtiments attribués aux phases d’occupation de l’âge du Bronze32, il a été possible de définir les phases d’occupation de l’âge du Fer.
Le plan révèle un établissement ouvert de type hameau, composé de plusieurs petits groupes de fermes. Différents indices, comme l’organisation régulière des bâtiments à l’extérieur de l’enclos ou la superposition avec ce dernier, montrent clairement que la fondation de cet habitat est antérieure à la construction de l’enclos ovale. La distribution des bâtiments laisse supposer que les différentes fermes pratiquaient l’autosubsistance. L’identification répétée des différents types de bâtiments plaide en faveur de cette hypothèse. C’est le cas notamment des cabanes semi-enterrées (n° sur le plan : 4307 ; 4308 ; 29 ; 11 ; 124). Elles sont groupées autour des bâtiments principaux, respectivement le n°112 (avec la phase plus ancienne 113) et le grand bâtiment à poteaux faîtiers 117. Les superpositions de certains plans de maisons et leur organisation en rangées souvent très denses traduisent une utilisation continue de certains secteurs, à l’intérieur desquels on peut observer des déplacements à petite échelle, comme c’est le cas pour d’autres établissements ruraux. Ainsi, d’autres groupes de fermes peuvent être isolées à l’intérieur de l’enclos ovale. On mentionnera d’une part le bâtiment 8 à plusieurs nefs, avec les fosses 1983 et 1963, ainsi que la cabane semi-enterrée 11. Le bâtiment 14, de plus petite taille, sur poteaux faîtiers, s’y rattache probablement. Ceci est souligné par l’orientation identique que présentent les bâtiments 8 (NNO-SSO 30°) et 14 (NNO-SSO 31°). Une autre ferme avec plusieurs phases d’occupation est située directement dans la partie ouest du fossé de l’enceinte quadrilatérale. Le reste du bâtiment 107 (NS 25°) a été conservé. Le bâtiment 105 (NS 23°) qui lui succède lui est superposé. Le changement dans l’orientation de deux bâtiments est insignifiant. Des restes d’un bâtiment à six poteaux (108) peuvent également être identifiés en direction de l’ouest. Plusieurs phases permettant probablement d’aménager un plus grand espace sont aussi repérées dans le secteur des bâtiments à poteaux faîtiers 86 (avec 87), 94 (avec 119) et 88, avec les bâtiments annexes 93 et 89. Le même schéma est répété tout en conservant une orientation similaire des bâtiments. Par la suite, un système de palissades couvre ce secteur. Des fermes, qui font probablement partie de l’établissement ouvert, bien qu’elles soient situées maintenant à l’intérieur de l’enclos ovale, ont été découvertes en contrebas du fossé de l’enceinte quadrilatérale. On mentionnera le bâtiment à poteaux faîtiers 10, associé à la cabane semi-enterrée 124, dont le mobilier date du début de l’occupation de l’âge du Fer. De même, l’orientation de ce bâtiment tout comme celle des autres bâtiments qui figurent ici (marquage rouge) diffèrent. D’autre part, l’extension du site devait être plus grande. En effet, on a retrouvé les restes supposés d’autres fermes dans les secteurs plus au nord et au sud. En revanche, l’organisation de la ferme avec de vastes bâtiments principaux et des annexes est une caractéristique essentielle.
Phases 3&4 – La ferme au tracé rectangulaire (complexe précédent)
La même organisation structurelle de la ferme est observée au cours de la phase suivante : différents bâtiments annexes sont associés à un bâtiment principal (fig. 4). En revanche, l’enclos rectangulaire, qui entoure maintenant la ferme, est différent. Il a été figuré schématiquement sur le plan. Il paraît plausible que certains des bâtiments autour de l’aménagement intérieur initial de l’enclos ovale aient continué à être utilisés.
De toute évidence, nous avons affaire ici à deux phases d’aménagement d’une même ferme, ce qui est suggéré par l’orientation légèrement décalée des bâtiments. Le bâtiment principal 76 et les bâtiments annexes (marquage bleu foncé) sont remplacés au cours de la phase suivante par un bâtiment plus grand 77, associé à des bâtiments annexes (marquage bleu clair). Des phases d’aménagement secondaires à l’intérieur des fermes à enclos n’ont en elles-mêmes rien de surprenant puisqu’elles sont connues dans d’autres fermes au tracé rectangulaires/enceintes quadrilatérales33.
Phase 5 – L’élargissement de la clôture et l’enceinte quadrilatérale
D’un point de vue structurel, mais aussi chronologique et fonctionnel, la phase d’élargissement de la clôture ne peut pas être séparée de celle de l’enceinte quadrilatérale. Pour cette raison, elles sont représentées comme un ensemble sur le plan (fig. 5). Cette interprétation est basée sur du mobilier datable. En effet, les grands trous de poteau des bâtiments 37 et 109 contiennent des fragments de meules rotatives et également de la céramique La Tène moyenne/finale. On suppose la présence de vestiges d’autres fermes à l’intérieur. Le recoupement du plan 52 avec une partie de l’enclos ovale I montre clairement que des structures plus anciennes ont été intégrées ici, mais qu’elles ont été aussi remplacées. En raison de sa ressemblance structurelle, le bâtiment 51 peut être rattaché à cette phase, tout comme le bâtiment 95. Trois bâtiments principaux font partie de l’aménagement intérieur de l’enceinte quadrilatérale. Ces derniers se distinguent clairement des constructions précédentes par la présence de trous de poteau d’un plus grand calibre. L’organisation générale de la ferme, avec une organisation en bâtiment principal et bâtiments annexes, a tout de même été conservée. À partir de différences analogies avec des plans d’autres enceintes quadrilatérales, mais également dans d’autres contextes, on peut maintenant parler d’un mode de construction typique pour cette époque34, bien qu’il ne soit apparemment pas spécifique des fermes à enclos. D’autres bâtiments sont associés avec les trois bâtiments principaux 60, 68 et 90. Ces bâtiments annexes pourraient avoir une fonction de grenier ou alors abriter d’autres activités. En l’absence de trouvailles parlantes, ces dernières hypothèses ne peuvent être étayées (bâtiment 1 ; 71/72). Outre le porche situé devant la brèche dans le rempart, d’autres bâtiments autour de l’enceinte quadrilatérale se rattachent à cet ensemble. D’une part il s’agit du bâtiment 80 avec poteaux extérieurs avancés qui est situé à quelques mètres devant le complexe. D’un point de vue structurel, il se rapproche du bâtiment à petits fossés latéraux à l’intérieur de l’enceinte. D’autre part, des bâtiments plus petits à quatre poteaux qui montrent en partie des superpositions et par conséquent des phases de rénovation, font également partie de cet ensemble (15, 16, 92, 35, 25, 31). On notera que la nouvelle structure, l’enceinte quadrilatérale, est insérée dans un système préexistant.
Afin d’illustrer cette différence fondamentale, le graphique met en regard le mobilier provenant des cabanes semi-enterrées et celui des bâtiments interprétés comme habitations. La comparaison est complétée en intégrant les bâtiments à l’intérieur de l’enceinte quadrilatérale.
Dans un premier temps, les différences sont d’ordre chronologique. Elles se manifestent dans la différence de céramiques (fig. 6), plus concrètement dans des changements de la céramique tournée et dans le mode de production spécifique de la céramique grossière dorée au mica. Les cabanes semi-enterrées (5033, 4307/4308, 29, 11 et 109/37 en tant que bâtiments annexes) n’en font pas partie. Elles sont rattachées aux bâtiments à poteaux faîtiers correspondants. Dans ces derniers apparaissent des différences dans les proportions de divers outillages, mais aussi dans celles des céramiques. On peut se demander si ces catégories peuvent être corrélées directement avec les structures de bâtiments dans la mesure où ces vestiges pourraient se trouver en position secondaire dans le remplissage des bâtiments. Mais on peut observer très clairement que les catégories d’utilisation au sein du site ont été conservées et qu’elles ne diffèrent que sensiblement. En outre, le changement est visible à travers l’agrandissement des bâtiments, tout comme celui de la surface occupée. L’ensemble est concentré sur un point central. Dans ce sens, la plus grande monumentalité donne une orientation claire. Malheureusement, les trouvailles récoltées dans ce complexe ne renvoient pas une image précise des biens de prestige présents à l’époque qui nous renseigneraient sur le statut social des habitants35. De ce fait, cette découverte se distingue nettement des résidences aristocratiques hallstattiennes voisines dans les lieux-dits de Bugfeld et de Zaunäcker.
Synthèse
Comment ces évolutions s’intègrent-t-elles dans l’occupation de la microrégion ?
À côté de l’enceinte quadrilatérale de Bopfingen-Trochtelfingen, trois autres complexes sont connus dans la région entre le mont Ipf et le Goldberg. En ce qui concerne l’époque de La Tène moyenne/finale, ce sont les seuls témoignages de sites fortifiés. En effet, suite à de nouvelles investigations sur le terrain, on peut désormais exclure l’existence d’un oppidum sur le mont Ipf36.
La présence des enceintes quadrilatérales dans le Ries est concentrée en bordure occidentale du Ries37. Il est intéressant d’observer que la répartition des systèmes rempart-fossé se densifie en direction du versant est du Jura Souabe (Härtsfeld), ainsi que sur les collines limitrophes au nord et au sud du Ries38. Cette image pourrait toutefois être due à une conservation différentielle des vestiges, puisque les sols fertiles de la plaine du Ries ont été plus intensément exploités par l’agriculture39. Il existe d’autres sites datés des époques de La Tène ancienne et moyenne mais ils n’ont livré que des restes ténus d’anciens habitats40.
Les découvertes faites récemment dans le cadre des projets linéaires sur le tracé du pipeline de l’OTAN, plus particulièrement dans la région de Trochtelfingen41 montrent qu’il faut absolument supposer une occupation plus dense, même au cours de La Tène moyenne/récente. Il faut probablement s’attendre à la découverte de vestiges de sites d’habitat, mais également de traces d’installations agricoles comme des parcellaires etc.42 Les sites d’habitat sont intégrés dans un tel système. Les changements que l’on peut observer dans l’organisation des habitats devraient être en relation. Les observations effectuées dans les environs de la microrégion de l’Ohrenberg près de Benzenzimmern montrent qu’il y a eu des déplacements d’habitat. À cet endroit, un site d’habitat du Hallstatt final/La Tène ancienne et dont l’occupation se prolonge, selon les trouvailles, durant la phase La Tène moyenne43, se trouve à environ 1 km de l’enceinte quadrilatérale de Kirchheim- Benzenzimmern.
Ce développement des fermes à enclos à partir des établissements ouverts peut être observé de plus en plus dans toute l’aire de répartition des enceintes quadrilatérales44. Les tendances observées depuis l’âge du Bronze sont ainsi poursuivies45. La corrélation étroite des établissements ruraux avec l’apparition de sites proto-urbains devient d’autant plus évidente lorsque l’on se réfère à des cas comme Manching46 ou aussi Staré Hradisko47. Une structure de ferme tout à fait similaire est connue sur le Goldberg. L’habitat Goldberg V date de la même l’époque que la phase la plus ancienne de Bopfingen48. Ainsi, des données structurelles semblables réunissent les habitats de hauteur et les oppida. Il en ressort que la structure de la ferme au tracé rectangulaire se développe à partir de la structure primaire des fermes à plusieurs bâtiments. Malgré certains changements comme l’agrandissement des bâtiments et l’extension de la surface du site, l’organisation initiale est conservée. L’aspect le plus important ici est le remplacement de plusieurs unités par un seul édifice monumental consécutif à une restructuration du système économique et propriétal.
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Notes
* Traduit de l’allemand par Karoline Mazurié de Keroualin.
- Kossack 1995, 6.
- Ces derniers sont à leur tour regroupés dans des unités plus grandes dans le sens d’un concept global du site comme “type d’habitat” (cf. aussi Schefzik 2001, 86). Le terme de structure d’habitat en revanche résume toutes les caractéristiques architecturales et structurelles des habitats.
- Buchsenschutz 1984 ; Buchsenschutz 1994 ; Buchsenschutz 1997 ; Buchsenschutz 2003 ; Buchsenschutz 2009.
- À ce sujet, cf. Wendling 2006, 621.
- Weber 2005, 275 sq.
- Kunow 1994, 341 sq.
- Kossack 1995, 6.
- Cf. Kunow 1994 ; la continuité peut revêtir différents types : Müller-Wille 1980, 166.
- Les structures “construites” dans le sens de O. Buchsenschutz désignent les différentes structures et leur contexte observé lors de l’analyse des plans de site et finalement leur interprétation en tant que système complexe (Buchsenschutz 1997).
- Buchsenschutz 1997, fig. 6 ; Buchsenschutz 2003, fig. 1 ; Buchsenschutz 2009.
- Fries 2005, 65 sq. fig. 33.
- Bofinger et al. 2010, fig. 51.
- Krause et al. 2008.
- Krause et al. 2010.
- K. Fuhrmann, in Krause et al. 2010.
- Krause & Wieland 1993.
- Schwarz 1975 ; résumé de la discussion : Wieland 1996 ; Wieland 2006.
- Il faut également mentionner qu’une autre définition courante différencie les enclos de type enceinte quadrilatérale et ceux des fermes indigènes (Buchsenschutz 1985, 52). Selon cette définition, il ne s’agirait pas d’une enceinte quadrilatérale à Bopfingen, mais d’une ferme isolée à enclos. Per definitionem, les enceintes quadrilatérales sont des établissements fondés loin des sites d’habitat et des sols fertiles. Le rapport à l’agriculture, et non la forme de l’enclos, est ici un critère d’exclusion. À propos d’une gamme d’utilisation multifonctionnelle cf. Wieland 2006 ; à propos de la problématique des catégories d’utilisation/exploitation pour la région de la Souabe Bavaroise cf. Wischenbarth 1999, 34 sq. ; particulièrement 40.
- Krause 1989/1990 ; Krause 1990 ; Krause 1992 ; Krause 1993 ; Krause et al. 1992 ; Krause & Wieland 1993.
- Krause & Wieland 1993 ; Krause 1995 ; Wieland 1999.
- Zippelius 1948 ; Zippelius 1954 ; Zippelius 1955 ; cf. également Buchsenschutz 2005
- Bien qu’on puisse ici mettre en évidence des ressemblances, il n’est pas possible de conclure à une particularité fonctionnelle générale qui serait d’une quelconque importance historique. Après la définition de l’objet lui-même s’ensuivent l’interprétation et la comparaison avec d’autres contextes (à propos de cette méthode d’analyse, cf. Jung 2003).
- Gechter-Jones 1996 ; Krause & Wieland 1990 ; Kossack 1997 ; Parzinger 1998 – cette liste peut être complétée.
- Buchsenschutz 1997, 49 fig. 3 ; à propos de la théorie de la subdivision des espaces 2002, 33 sq. ; Neustupný 1993 avec bibliographie; fonctions économiques et secteurs d’habitat: Sievers 2002 ; Leicht 2002.
- Venclová 2002, 38.
- Buchsenschutz 1997, 46.
- L’identification de ces bâtiments se fait par la présence de foyers (cf. entre autres. Parzinger 1998) – or, ces derniers ne sont attestés que rarement. À Bopfingen, ils sont présents à l’intérieur du bâtiment néolithique 75 et du bâtiment à petits fossés latéraux 112, qui est attribué à la phase de l’établissemnt ouvert de La Tène ancienne.
- Schefzik 2001, 140 ; Leicht 2002, 186 sq.
- Cf. aussi Sievers 1996, 321 sq. particulièrement 333 ; Malrain & Blanquaert 2009, 25 sq. fig. 1.
- À propos de la chronologie détaillée de la céramique, cf. Friederich 2011.
- Selon G. Kossack, cette organisation s’oppose au type de la maison longue, qui peut être structuré selon des principes de filiation. Une explication alternative a été décrite par cet auteur, avec une organisation de petites habitations groupées autour d’un grand bâtiment commun abritant les activités économiques. La plupart du temps, il s’agit d’établissements à plusieurs bâtiments que l’on peut désigner comme étant des unités économiques et qui arborent différents types de construction. La troisième possibilité discutée par G. Kossack est d’un intérêt particulier pour notre propos. Elle correspondrait à un établissement rural à enclos multiples comprenant une maison longue à fonction d’habitation, des bâtiments annexes et des greniers (Kossack 1995, 5 sq.).
- Krause 1997.
- Par exemple dans l’enceinte quadrilatérale de Riedlingen-Klinge ; Wieland 1999 ; Bollacher 2009.
- Cf. les bâtiments de Straubing-Lerchenhaid (Möslein 2002 ; 2003), Altdorf (Nadler 2006), Manching (Leicht 2002), Riesbürg- Utzmemmingen (Bollacher et al. 2006), Unsleben (Dumler 2009, fig. 94). Synthèses chez Schaich 2001 fig. 9 ; v. Nicolai 2009 fig. 6 ; Donat 2006, 137 sq ; Venclová 2002 ; Venclová 2006, fig. 11.5.
- Le petit pied d’une cruche en tôle de bronze de type Ornavasso-Kjaerumgaard fait partie des rares pièces de qualité supérieure qui reflètent un mode de vie élevé. Cette pièce provient des couches de remplissage du fossé de l’enceinte quadrilatérale (à propos du type et de son aire de répartition, cf. Boube 1991).
- Cf. encore le contraire Krause 2007, 58 fig. 78.
- Cf. à ce propos Bick 2007, 43 avec n° fig. 4, 5, 64 ; magnétogramme de l’enceinte double Kirchheim a. Ries- Osterholz “Schanze” (von der Osten-Woldenburg 2001, 79 ; 2007, 60 sq., fig. 82) ; photographie aérienne de Bopfingen-Trochtelfingen “Eichert” (Krause 2007, 46) ; photographie aérienne de Nördlingen-Pfäfflingen (Bick 2007, n° fig. 73) ; possibles structures analogues en bordure sud du Ries (Bick 2007a, n° fig. 106, 107) à proximité d’une concentration de sites La Tène moyenne/finale à la confluence de l’Eger et de la Wörnitz, dans les environs de l’acropole près de Heroldingen (Bick 2007, 44 fig. 24) ; Bick 2007, 43.
- Bick 2007, 43.
- Bick 2007, 45.
- Bick 2007, 33 sq.
- Bollacher et al. 2006 ; Bofinger & Bollacher 2009, 113 sq. fig. 4 ; trouvailles isolées mentionnées par Wieland 1996.
- Bofinger & Bollacher 2009, 114.
- Krause 2006, 57 sq.
- À côté des découvertes bien connues de Holzhausen (Schwarz 1975 ; Wieland 1999, 147 sq. fig. 49) et Ehningen (Wieland 1999) d’autres découvertes ont été faites lors de fouilles en Bavière. Il faut également mentionner les prospections magnétiques entreprises au cours de ces dernières années, par exemple à Maxing (Faßbinder & Irlinger 1999) et Teufstetten (Berghausen et al. 2005). Il faut aussi mentionner les fortifications de Mengen-Ennetach (Bräuning et al. 2004) ; Fellbach-Schmiden (Wieland 1999, 150) ; Leinfelden-Echterdingen (Wieland 1999, 167) ; Dornstadt- Tomerdingen (Wieland 2002, 265 fig. 2) ; Riedlingen- Klinge (Wieland 1999, 153 sq., fig. 53 ; Bollacher 2009) ; Hardheim-Gerichtstetten (Wieland 1999, 137) ; Pliezhausen-Rübgarten (Wieland 1999, 127 sq. fig. 40) ; Arnstorf-Wiedmais II (Wieland 1999, 180 sq.) ; Pfaffenhofen-Beuren (Wieland 1999, 192 sq.) ; Donnersberg (Engels 1976 ; Wieland 1999, 199 sq.) ; Mšecké Žehrovice (Venclová 1998 ; Venclová 2002 ; Venclová 2009) ; cf. aussi Wischenbarth 1999, 34 , annotation 77.
- Cf. exemple du Bronze final dans la région : Riesbürg-Pflaumloch : Krause & Wieland 1990, 213 sq ; particulièrement 228 sq.
- Sievers 1996 ; Sievers 2002 ; Sievers 2006.
- Salač 2005 ; Čižmař 1996 ; Čižmař 2002 ; Danielisová 2005.
- L’occupation Goldberg V a dû reprendre après une interruption pendant Hallstatt D3, à partir de La Tène A jusqu’à la phase La Tène B1/2. Dans cette aire, il a été possible de reconstituer également quelques structures de ferme, qui présentent une orientation nord-sud comme à Bopfingen et qui, selon H. Parzinger (1998), peuvent être subdivisées en quatre centres. Parzinger 1998, 119 ; à propos des interprétations anciennes : Bersu 1930a ; 1930b.