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Violations des droits de l’Homme : l’ONU au défi de la crise bélarusse

Remerciements

Cette recherche a été réalisée grâce à une bourse Opus 16 (2019-2022) du Centre National Scientifique de Pologne (Narodowy Centrum Nauki, NCN) pour le projet #2018/31/B/HS5/02314 – Countering the Russian threat (…) The corrosive influence of Russia’s ‘sharp power’.

Les violations des droits de l’homme sont devenues monnaie courante au Bélarus depuis la première élection d’Alexandre Loukachenko à la présidence en 1994. Ces problèmes systémiques, relevés par divers mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme depuis 25 ans, sont devenus systématiques au cours de l’année 2020. La situation, que j’ai qualifiée de « catastrophique »1 au lendemain des élections présidentielles du 9 août 2020, continua de s’aggraver en 2021-22, le système répressif étant entièrement mobilisé pour liquider toute dissidence. Cette mise au pas d’une société civile déjà exsangue a poussé plusieurs centaines de milliers de Bélarusses – entre 400 et 700 000 selon les estimations – à fuir leur pays. Cette dégradation d’une situation déjà préoccupante pose la question du rôle que devrait idéalement jouer l’ONU pour mettre fin aux violations (mission de protection), et garantir leur non-répétition (mission de prévention). Face à ce double défi, le Conseil des droits de l’homme, institution clé du dispositif onusien en la matière, a montré sa capacité de réaction autant que ses limites. Persistent en son sein des dissentions très clivantes entre partisans de deux principes fondateurs, et pourtant irréconciliables, de l’ONU : l’universalité et l’intangibilité des droits de l’homme d’une part, et, d’autre part, la souveraineté étatique sur ses affaires intérieures. Alors que le premier principe a fait avancer les droits humains dans le monde, le deuxième permet à des États d’invoquer le particularisme culturel pour empêcher en pratique l’ONU et la communauté internationale d’agir.

Violations des droits de l’homme : des problèmes systémiques anciens

Depuis 1996 la république du Bélarus enfreint les droits et libertés fondamentaux dans la quasi-totalité des catégories que couvre le droit international des droits de l’homme2, en dépit du caractère contraignant des obligations créées par ces instruments pour tous les États.

Droit à la vie et à la dignité humaine

Le Bélarus est le dernier pays du continent européen qui continue d’appliquer la peine de mort comme châtiment suprême. Il a exécuté environ 400 condamnés depuis 1991, dont au moins deux en 2020, année où cinq condamnations ont été prononcées. Le Comité des droits de l’homme3 a souvent épinglé le Bélarus pour le traitement cruel infligé aussi aux proches du condamné, qui ne sont pas informés de la date de l’exécution ni du lieu de sépulture. En ignorant les avis suspensifs émis par le Comité, le Bélarus contrevient à d’autres obligations qui découlent du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, auquel il est partie depuis 1973. Alors que l’abolition de la peine de mort fit l’objet de discussions officielles durant la phase de libéralisation qui suivit la levée des sanctions occidentales en 2016, le Bélarus n’a toujours pas adopté de moratoire sur les exécutions.

La législation bélarusse ne réprime pas la torture et les autres atteintes à la dignité humaine par des peines à la mesure de la gravité de ce crime, tandis que le système judiciaire tend à en protéger les auteurs lorsqu’ils sont aussi détenteurs de l’autorité publique. L’absence de système d’enquête sur les allégations de torture constitue une préoccupation de longue date pour le Comité contre la torture (CAT), l’organe des traités qui surveille l’application de la Convention de l’ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans son examen du Bélarus en 2018, le CAT a notamment déploré l’absence de système indépendant de surveillance des lieux de détention et de mécanisme permettant aux détenus de faire remonter leurs plaintes.

Faute d’institution nationale de protection des droits de l’homme (Ombudsperson, ou défenseur des droits), et comme le système judiciaire bélarusse ne garantit pas le droit à un procès équitable4, la population est généralement sans recours contre l’arbitraire des autorités. Cela est particulièrement visible dans l’espace civique, abusivement réduit en droit comme en pratique depuis plus de deux décennies.

Liberté d’opinion et d’expression : des médias muselés

Conformément aux normes internationales, toute restriction des libertés fondamentales doit être encadrée par la loi, et répondre à des critères objectifs (poursuivre un objectif légitime, nécessaire dans une société démocratique) et raisonnables (principe de proportionnalité). Au Bélarus la législation restreint abusivement le droit à la liberté d’opinion et de son expression en bannissant toute critique, ce qui entrave la jouissance d’autres droits – civils, politiques, sociaux, économiques et culturels – garantis par le droit international. Imprécises, les dispositions pénales donnent aux juges bélarusses, dont l’indépendance manque de garanties, le pouvoir discrétionnaire de punir toute opinion dissidente, vraisemblablement sur ordre de l’exécutif ou pour lui montrer sa loyauté.

La diffusion, la production, le stockage et le transfert d’informations est très réglementé ; la diffamation à l’encontre du président (article 367 du Code pénal), expose à des peines pouvant aller jusqu’à 6 ans de prison en cas de récidive. Théoriquement interdite par la Constitution bélarusse, la propagande d’État est pourtant omniprésente, en particulier à la télévision. Le Code des infractions administratives est invoqué pour censurer ou punir activistes, journalistes indépendants, blogueurs et lanceurs d’alerte critiques du régime, mais aussi intellectuels, artistes ou historiens qui s’écartent de la ligne officielle. Le ministère de l’Information tient une liste noire des auteurs indésirables, qu’il prive de revenus et d’auditoire grâce au contrôle centralisé des maisons d’édition et des lieux de culture5.

La presse d’opposition a d’abord été limitée, en 2005, en interdisant aux services postaux de livrer ses titres à leurs abonnés, par le harcèlement administratif et fiscal contre les imprimeries et les propriétaires de titres, et en poursuivant les journalistes pour diffamation ou « production et diffusion illégales de produits médiatiques ». Relativement épargné au départ, Internet a lui aussi subi des restrictions de plus en plus drastiques ces dernières années. La loi sur les médias, durcie en 2019, tient par exemple les propriétaires de plateformes d’information en ligne pénalement responsables pour les commentaires postés par leurs lecteurs, ce qui incite à l’auto-censure et réduit l’espace pour le débat public. La loi interdit aux journalistes de recevoir une rémunération de médias étrangers non-enregistrés par le ministère de l’Information ; or celui-ci n’accrédite pas les médias étrangers critiques du régime, tels Belsat, une chaîne de télévision bélarusse créée par la Pologne et dont les correspondants locaux sont régulièrement inquiétés.

L’ensemble des enfreintes à la liberté d’expression a valu au Bélarus de figurer en queue de peloton (entre la 153e et la 158e position, sur 180 pays) dans le classement mondial sur la liberté de la presse que produit Reporters sans frontières (RSF) depuis 2013. Freedom House classe le Bélarus parmi les pays « non libres » et les « régimes autoritaires consolidés », et a rétrogradé en 2021 sa note globale de 19 à 11 (sur 100, qui correspond au niveau maximal de liberté).

Liberté d’association et de réunion pacifique : limitation préemptive du champ civique

Le politologue Vitali Silitski a qualifié l’autoritarisme d’A. Loukachenka de « préemptif »6, car des mesures coercitives et punitives sont appliquées à titre préventif, avant même que la loi – par ailleurs très restrictive – ait été violée. Cette stratégie a été particulièrement efficace pour empêcher l’enregistrement de partis politiques d’opposition ou de syndicats indépendants, et limiter le droit de manifester aux seules organisations et causes validées en amont par les autorités.

Malgré l’abrogation, fin 2018, de l’article 193.1 du Code pénal, qui punissait la participation aux activités d’une organisation non enregistrée, la liberté d’association demeure limitée par de multiples obstacles empêchant la société civile de s’organiser librement. Le ministère de la Justice, qui filtre les demandes d’enregistrement, rejette systématiquement celles d’associations vues comme opposées au régime, qu’il s’agisse de partis d’opposition, d’ONG de défense des droits de l’homme (comme Viasna, la plus ancienne, bannie au Bélarus depuis 2003) ou de représentation des minorités ethniques (à l’instar de l’Union des Polonais au Bélarus) ou religieuses, qui sont victimes de discrimination. Or le Code des infractions administratives punit toute participation à une organisation non enregistrée d’une amende, voire d’une peine de détention administrative allant jusqu’à 15 jours renouvelables (article 23.88). La plupart des activistes de la société civile – défenseurs des droits de l’homme, artistes engagés, blogueurs, activistes des droits LGBTQ+, objecteurs de conscience, membres de groupes nationalistes, féministes, anarchistes, etc. – enchaînent régulièrement des peines de cet ordre, ce qui en fait des parias : une fois condamnés, ils perdent en général leur emploi. Or un décret adopté en 2015 pour « prévenir la dépendance sociale », sur le modèle de la législation soviétique contre le parasitisme, a introduit une taxe contre ces inactifs7 – suscitant une longue vague de mobilisation, et la répression des manifestants.

Garantie sur le papier, la liberté de réunion pacifique est réduite à néant par des procédures complexes et une interprétation discriminante de la loi pour bannir meetings politiques et marches contestataires. Les rassemblements spontanés sont interdits et durement sanctionnés, tout comme les performances artistiques individuelles, considérées comme « rassemblement de masse » si un attroupement se forme. Les derniers amendements permettent de sanctionner les personnes qui annoncent sur les réseaux sociaux la tenue d’une manifestation avant d’avoir reçu l’autorisation formelle de l’organiser. De fait, depuis 1995 la plupart des rassemblements à tonalité politique ont été empêchés ou réprimés par la police anti-émeutes, après quasiment chaque scrutin électoral, et aux dates anniversaire de la création de la première république bélarusse (25 mars 1918), célébrée par l’opposition nationaliste, ou de la catastrophe de Tchernobyl (26 avril 1986). Corollaire du droit à la liberté d’association et de réunion pacifique, l’enrôlement forcé dans des syndicats ou des mouvements de soutien au gouvernement est banni par le droit international des droits de l’homme, mais il est cependant légion au Bélarus8.

Participation à la vie publique : des élections manipulées

Le droit de participer aux affaires publiques, qui comprend le droit de vote et d’être élu lors de scrutins réguliers, transparents, pluralistes, libres et équitables, est bafoué au Bélarus depuis le milieu des années 1990. Les droits civils et politiques qui donnent sens au droit de vote, comme le droit à l’information, sont bafoués. La restriction des libertés civiles, indissociable du processus de consolidation du régime autocratique, est obtenue par la répression et l’intimidation. Des challengers potentiels auraient été physiquement éliminés9. Malgré tout Loukachenko est en quête d’une légitimité populaire : comme toutes les autocraties électorales10, son régime a recours à des simulacres d’élections. En 1995-96 il fit entériner par plébiscites un « coup d’état constitutionnel » lui attribuant les pleins pouvoirs, une hégémonie institutionnelle complétée par son droit de se succéder à lui-même ad vitam aeternam11. Aussi ses opposants de la première heure considèrent-ils le président en exercice comme un usurpateur depuis lors.

Les recommandations émises par le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (ODIHR en anglais) n’ont pas été suivies d’effet, ou n’ont donné lieu qu’à des modifications cosmétiques du système électoral. Machine bien rôdée de manipulations pour gonfler les scores des candidats du régime12, ce système a assuré la réélection systématique d’A. Loukachenko tous les cinq ans, notamment grâce aux efforts de Lidia Ermoshina, une fidèle qu’il a nommée à la tête de la Commission électorale centrale fin 1996, pour remplacer Viktar Hanchar, qui avait osé contester la légalité du référendum constitutionnel.

La répression depuis 2020 : une crise continue des droits de l’homme

D’abord tolérées, des manifestations pacifiques et spontanées se tinrent tout au long de l’année 2020. Face à cette mobilisation civique d’une ampleur sans précédent, les autorités ont eu un recours croissant à la répression, donnant lieu à des violations graves et massives des droits humains qui culminèrent au lendemain du scrutin présidentiel du 9 août. La purge des éléments libres de la société civile se poursuit depuis lors, appuyée par une justice au pas et dans un climat d’impunité pour les auteurs de violences.

Printemps 2020 : la société civile se réveille

Longtemps considérée comme politiquement docile, la population bélarusse s’est récemment éveillée de son apathie, à mesure que la société civile prenait conscience d’elle-même – un phénomène qualifié de « Bélarussisation douce »13. Les premiers signaux remontent à 2014 et l’annexion de la Crimée, qui suscita au Bélarus la crainte d’une agression russe, et un ralliement patriotique derrière le drapeau. Les autorités laissèrent s’exprimer ce sentiment identitaire, tolérant même le retour dans l’espace public des symboles nationalistes traditionnellement associés à l’opposition – le drapeau blanc-rouge-blanc, les armures de la Pahonie, et la langue bélarussienne. En 2020 la pandémie du Covid-19 vint renforcer le sentiment naissant de « faire société » des Bélarusses : face au déni et au désengagement des autorités, des solidarités horizontales émergèrent pour soutenir malades et soignants14. Alors que les moins sensibles à la propagande s’auto-isolaient, de nouveaux moyens de communication en ligne (par « chat » Telegram notamment) se popularisèrent. Ces réseaux d’entraide entre voisins rendirent la société plus résiliente15 et fournirent le socle pour un débat public renouvelé, critique des politiques officielles.

À partir du printemps, le débat se politisa sous l’impulsion de blogueurs et d’activistes de l’opposition engagés en vue des présidentielles d’août. L’un d’eux, Siarhej Tsikhanouski, parti sur le terrain à la rencontre de ses followers, multiplia les meetings à travers le pays. Son interpellation sur la base d’une provocation, puis son incarcération en mai 2020 alors qu’il venait d’annoncer vouloir se présenter aux élections, provoquèrent des manifestations. Elles furent réprimées au titre de l’article 23.34 du Code des infractions administratives (« violation des règles d’organisation d’une manifestation »), avec des amendes et des peines de détention administrative contre une vingtaine de ses partisans16. Dans la foulée, des dizaines de milliers de personnes se mobilisèrent en mai et juin pour exercer leur droit civique de donner leur signature à d’autres candidats à la candidature susceptibles d’incarner une alternative au président sortant.

Une nouvelle vague d’arrestations (plus de 200 personnes) intervint parmi les manifestants descendus dans les rues à l’annonce de l’interpellation d’un autre candidat potentiel, le très populaire banquier Viktar Babarika, le 18 juin17. Le refus, un mois plus tard, d’enregistrer sa candidature et celle d’un autre challenger, Valery Tsepkala18, suscita des marches de soutien à travers le pays, qui se soldèrent par au moins 300 arrestations. Ne restait plus en lice pour porter les couleurs de l’opposition démocratique que Sviatlana Tsikhanouskaïa, épouse de S. Tsikhanouski, autorisée à se présenter à sa place. Ses meetings de campagne, auxquels participèrent la directrice de campagne de V. Babarika, Maria Kalesnikava, et l’épouse de V. Tsepkala, Veranika, attirèrent des foules compactes et enthousiastes dans tout le pays en juillet. Les autorités interdirent toutefois le dernier, prévu à Minsk le 6 août, au motif qu’un autre rassemblement (la Journée des troupes ferroviaires – une première) y était justement prévu au même endroit19.

Des élections entachées de fraudes

Depuis 1996 les processus électoraux au Bélarus ont manqué de satisfaire les critères internationalement reconnus pour des élections pluralistes, faute de garanties pour les candidats d’opposition de concourir dans des conditions équitables, et pour les électeurs le droit de faire un choix libre et éclairé. Le scrutin du 9 août 2020 a, de nouveau, été entaché par des allégations de fraudes massives – durant le vote anticipé notamment, ainsi qu’au stade du dépouillement. Mais comme pour la première fois la communauté internationale ne disposait pas d’observateurs de l’OSCE sur place, l’ODIHR n’ayant pas été invité à temps pour déployer une mission d’observation électorale, il revint aux observateurs bélarusses, eux-mêmes contraints par un cadre légal restrictif, de mettre en évidence les écarts entre les résultats communiqués par les bureaux de vote où les bulletins avaient été comptés de manière transparente, et les autres. Il apparût que le score du Président sortant (80 %) était largement surévalué20. La loi électorale ne prévoyant pas le recomptage des bulletins – qui sont presque immédiatement détruits – à l’annonce des résultats officiels des dizaines de milliers de manifestants descendirent dans les rues d’une quarantaine de villes du pays pour contester cette énième confiscation de leur voix.

À ces manifestations spontanées, encouragées par un sentiment – finalement illusoire – de relative liberté de réunion durant la période pré-électorale, les forces de l’ordre répondirent avec une violence disproportionnée et procédèrent à plus de 6 700 interpellations entre le 9 et le 12 août. Malgré la censure, les images d’arrestations musclées saisies sur téléphones portables sont instantanément parvenues à la communauté internationale grâce à des chaînes Telegram comme NEXTA21. Le jour du scrutin, l’accès à internet avait été suspendu pour gêner la coordination entre les manifestants – une violation du droit à l’information, consubstantielle du droit à la liberté d’expression. Lorsque les connexions furent rétablies, le mercredi 12 août, les Bélarusses prirent conscience de l’ampleur des violences policières. S’en suivirent, le vendredi suivant, des débrayages dans plusieurs usines du pays. Ce mouvement de grève inédit donna lieu à des centaines d’arrestations et de licenciements par la suite. De fin août jusqu’à leur essoufflement fin novembre, les manifestations pourtant pacifiques donnèrent quotidiennement lieu à des arrestations arbitraires, assorties de peines de détention pour participation à des « émeutes ».

Répression des manifestations : détentions arbitraires et violences

Selon l’ONG bélarusse de défense des droits de l’homme Viasna, plus de 30 000 personnes ont été arbitrairement détenues au cours de l’année 2020 dans le cadre de cette répression des manifestations pré- et post-électorales22. Les juges ont ordonné au total 68 358 jours de détention administrative (contre 277 en 2019), et des amendes pour un montant cumulé supérieur à 800 000 euros23.

Même si le Code de procédure administrative circonscrit les cas où la police peut placer des suspects en détention, en 2020-2021 des centaines de personnes, y compris des mineurs, des proches de suspects ou leurs voisins de palier ont été arbitrairement retenus dans des centres de détention provisoire (SIZO) ou par le KGB le temps de « conversations » visant à les intimider et les dissuader de manifester. À leur sortie une majorité de détenus a rapporté des violations systématiques de leurs droits fondamentaux (tabassage, menaces, violation du secret des correspondances, privation de sommeil, absence d’accès à des moyens d’hygiène élémentaire, etc.). Comme du temps de l’URSS, au Bélarus la détention provisoire dans des cellules surpeuplées est rendue particulièrement pénible pour pousser les prévenus à se confesser, dénoncer, ou témoigner contre eux-mêmes, une pratique pourtant prohibée par le droit international. Le monitoring, entre janvier 2020 et mars 2021, de 590 procès administratifs considérés par Viasna comme politiquement motivés, a révélé que 57 % des justiciables avaient subi des violences physiques, et 74,3 % des violences psychologiques, durant leur détention24.

Le bilan des premiers jours de répression fut extrêmement lourd : des centaines de manifestants, mais aussi des secouristes et des journalistes présents dans les cortèges, et de simples badauds, furent blessés. Les forces de l’ordre usèrent de matraques, de gaz lacrymogènes, de jets d’eau, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc pour disperser les manifestants. Plus de 120 personnes furent admises dans les hôpitaux de Minsk entre le 9 et le 13 août avec des traumatismes graves, donc sept en réanimation. Des journalistes furent interpelés alors qu’ils couvraient les événements, dont 160 en août. Sur l’ensemble de l’année 2020, l’Association bélarusse des journalistes (BAJ) a enregistré 477 arrestations arbitraires de journalistes, dont 97 assorties de peines de détention administrative25. Si les femmes furent au départ relativement épargnées, à compter d’octobre 2020 elles aussi furent victimes d’interpellations violentes durant les « marches fleuries » organisées le samedi ou en semaine par des retraités et des étudiants durant l’automne26.

Au moins quatre manifestants sont morts en août 2020 : Aliaksandr Taraikouski, abattu d’une balle dans le torse à Minsk le 10 août (les autorités prétendent qu’il a été blessé par un engin explosif qu’il aurait eu dans les mains, version démentie par plusieurs vidéos amateur) ; Henadz Shutau, d’une balle dans la nuque à Brest le 11 (il décéda de ses blessures le 19), tirée par un policier qui affirma agir en légitime défense27 ; Aliaksandr Vikhor, le 12 à Homiel, d’une insuffisance cardiaque après avoir passé plusieurs heures dans un fourgon de police en plein soleil. Et Mikita Kryutsou, retrouvé pendu dans un bosquet derrière le commissariat où son téléphone avait borné le 12 août ; malgré les traces de coups et blessures sur son corps, les enquêteurs ont conclu au suicide.

En dépit des appels à la retenue de la communauté internationale, l’usage injustifié et disproportionné de la violence s’est poursuivi tant qu’ont continué les manifestations – c’est-à-dire quasi-quotidiennement, et surtout chaque week-end, jusqu’à l’arrivée de l’hiver. À l’appui des officiers de police, des forces anti-émeutes (OMON) et des forces spéciales des ministères de l’Intérieur et de la Défense opérait un grand nombre d’auxiliaires sans insigne, masqués et en civil28. Tout au long d’août et septembre 2020 les défenseurs des droits de l’homme recueillirent des milliers de témoignages de victimes, de leurs proches, de témoins et de médecins, faisant état de violations graves et systématiques, d’allégations de torture et de traitements cruels, dégradants ou inhumains, de torture psychologique, de menaces de viol et de viols29. La plupart des personnes arrêtées dirent avoir été violentées dans les cortèges, les « avtozak » (fourgons de police) et les minibus sans plaque d’immatriculation, puis en détention30. L’Organisation mondiale contre la torture a publié par la suite un rapport détaillant les sévices subis, sous le titre « Couloir de matraques », du nom du comité d’accueil réservé aux nouveaux détenus31. L’ensemble des violations des droits de l’homme durant cette période a été consigné dans un rapport commandité par l’OSCE (cf. infra)32. Malgré ces preuves accablantes, les autorités nient toute bavure ou abus dans la gestion de la contestation post-électorale.

Impunité pour les auteurs de violences

D’après les données officielles, plus de 4 000 plaintes ont été déposées en 2020 par des manifestants pour violences policières. À ce jour aucune n’a donné lieu à l’ouverture de poursuites au Bélarus. Il en va de même des cas de disparition forcée (76 recensés en août 2020 par les défenseurs des droits de l’homme), car seulement une dizaine de victimes a porté plainte – par méconnaissance de leurs droits ou par crainte de représailles. Le Bélarus a aussi enfreint le droit international en expulsant sous la menace ou la contrainte une demi-douzaine de ses propres ressortissants33, et en empêchant d’autres « indésirables », comme l’archevêque de Minsk Tadeusz Kondrusiewicz, de revenir au Bélarus.

Aucune enquête préalable n’a abouti à l’ouverture d’une procédure pénale dans les huit cas de meurtres ou de décès suspects survenus dans le contexte des répressions post-électorales. Les autorités ont fait preuve d’un cynisme macabre en concluant par exemple à la mort naturelle de Konstantin Chychmakou, dont le cadavre a été retrouvé dans une forêt le 18 août, après trois jours de recherches. Membre d’une commission électorale locale, il avait perdu son emploi de directeur de musée après avoir refusé de signer un protocole de décompte des voix mensonger. En mai 2021, Vitold Achurak, un activiste écologiste condamné à 5 ans de prison en janvier, mourut en cellule, soi-disant d’une défaillance cardiaque. Le corps restitué à la famille était recouvert de bandages, masquant des blessures au crâne ; elle fut dissuadée de demander une autopsie.

Le décès le plus retentissant fut celui le 12 novembre 2020 du jeune Raman Bondarenka, habitant de la « Place des changements », du nom que donnèrent les manifestants à ce haut-lieu de la contestation à Minsk. Descendu dans sa cour d’immeuble pour interrompre le saccage de banderoles blanc-rouge-blanc installées par ses voisins, il a été violemment appréhendé et emmené dans un véhicule banalisé par des personnes en civil, plus tard identifiées par lesdits voisins qui filmèrent la scène34 ; quelques heures plus tard, Bandarenka fut admis aux urgences où il décéda d’une hémorragie cérébrale. Les policiers qui l’avaient emmené à l’hôpital ont prétendu l’avoir trouvé ivre et déjà blessé dans la rue. Son décès provoqua une nouvelle vague de manifestations et d’arrestations.

La vengeance de l’État policier

Alors que la communauté internationale appelait les autorités à dialoguer avec les représentants de la société civile et de l’opposition pour trouver une issue pacifique à la crise, le régime adopta des représailles sans merci. Alors que les arrestations entre mai et août 2020 furent surtout suivies de sanctions administratives pour « participation à des manifestations non-autorisées », à partir de l’automne il fut recouru plus systématiquement aux poursuites pénales et aux incarcérations pour punir les dissidents, au motif qu’ils auraient « organisé » des émeutes ou causé de graves troubles à l’ordre public (articles 293 et 342 du Code pénal), résisté aux forces de l’ordre (article 363) ou usé contre elles de violence ou de menaces (article 364). Les défenseurs des droits de l’homme qui avaient payé les amendes ou les frais de justice des personnes victimes de détention arbitraire, par le biais d’opérations de levée de fonds en ligne (crowd-funding) via la plateforme solidaire BYSOL notamment, ont quant à elles été poursuivies pour « financement de troubles à l’ordre public » (article 293.3 du Code pénal) ou « fraude fiscale » (article 243).

Tout au long de l’automne 2020 les autorités sanctionnèrent ceux qu’elles considéraient comme les fauteurs de troubles : les leaders d’opposition35, les journalistes travaillant pour des médias étrangers, les administrateurs de chaînes Telegram critiques du régime, les ouvriers qui avaient appelé à la grève, des étudiants ou encore les professeurs qui les soutenaient – parmi lesquels des dizaines furent contraints à la démission, ou licenciés. Au 15 novembre 2021, l’organisation de défense des droits de l’homme Viasna dénombrait 843 prisonniers politiques dans le pays ; un an plus tard, leur nombre dépassait les 1 400.

Dans un troisième temps et sous couvert de lutter contre l’extrémisme et le financement du terrorisme, la législation a été amendée en 2021 pour justifier rétroactivement la répression pénale de l’expression de toute opinion contestataire qui s’est poursuivie depuis. Mes rapports de 2023 présentés au Conseil des droits de l’homme (A/HRC/53/53)36 et à l’Assemblée générale (A/78/327) ont mis en lumière comment cette instrumentalisation des lois sécuritaires a permis d’éradiquer ce qui restait d’espace civique au Bélarus.

En 2020, plus de 200 condamnations administratives et 1 700 condamnations pénales furent prononcées pour extrémisme ; de janvier à septembre 2021, période durant laquelle les manifestations, matées, étaient pourtant absentes du paysage public, 3 300 nouvelles procédures pénales ont été ouvertes sous ce prétexte37. Une liste noire des matériaux à caractère extrémiste a été compilée ; régulièrement complétée par le KGB, elle comptait mi-2022 plus de 1 000 entrées – des livres, chansons folkloriques, symboles mais aussi des centaines de chaînes Telegram sont venu compléter cette liste depuis. Sans que le drapeau associé à l’opposition (blanc-rouge-blanc) y ait été ajouté, des centaines de personnes ont été sanctionnées pour avoir arboré ces couleurs : la police interpelle systématiquement les personnes, y compris les mineurs, qui portent des vêtements de ces couleurs, ou arborent ces symboles nationaux désormais considérés comme « extrémistes ». Les peines pour des crimes qualifiés d’extrémistes peuvent aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement. Catégorie fourre-tout, elle permet de faire taire ou pousser à l’auto-censure toutes les voix dissidentes. La loi a été amendée pour pouvoir poursuivre in absentia et éventuellement déchoir de leur nationalité les « extrémistes » qui ont fui le pays.

La législation sur la diffamation est instrumentalisée pour poursuivre tous ceux qui critiquent, même dans l’espace privé38, le président, sa politique, et ses exécutants (policiers, juges, recteurs, journalistes des médias officiels, etc.), et punir ceux qui appellent aux sanctions internationales contre le régime – un « crime contre les intérêts du Bélarus » désormais passible de 12 ans de prison. À partir de la ré-invasion russe de l’Ukraine (24 février 2022), facilitée par le Bélarus et que des résistants tentèrent de ralentir en sabotant l’acheminement ferroviaire du matériel militaire russe, une autre tactique répressive a consisté à détourner la législation encadrant la lutte contre le terrorisme : en mai 2022 elle fut amendée pour étendre la peine de mort aux cas de « préparation ou tentative de commettre un acte terroriste en bande organisée », pour dissuader toute résistance à la guerre. Les « partisans du rail » arrêtés avant l’entrée en vigueur de ces amendements ont écopé de peines allant jusqu’à 16 années d’emprisonnement.

La purge de la société civile

À partir de 2021 les perquisitions des bureaux de différentes associations et au domicile de leurs membres se multiplièrent, se soldant par la saisie de matériel, le gel des comptes en banque et, bien souvent, l’ouverture de poursuites pénales. Dans la plupart de ces affaires les droits fondamentaux des justiciables ont été bafoués, et leurs avocats contraints de signer une clause de non-divulgation, leur interdisant de dire quelles charges pèsent sur leurs clients, et les peines qu’ils encourent. Dans le même temps, des dizaines d’avocats défendant les intérêts d’activistes et de prisonniers politiques ont été victimes de harcèlement disciplinaire, allant de la suspension à l’annulation de leur licence – pour les empêcher de continuer à exercer39. C’est le cas notamment de deux des avocats de Maria Kalesnikava, Aliaksandr Pylchanka et Ludmila Kazak, ainsi que de Natallia Matskevich, qui défendait, entre autres, Siarhej Tsikhanouski, le blogueur-candidat –  finalement condamné en décembre 2021 à 18 ans de réclusion criminelle.

Les autorités firent tout pour limiter la couverture médiatique de la répression. L’Association des journalistes bélarusses (BAJ) a recensé 18 procédures pénales contre des travailleurs des médias entre septembre 2020 et mars 2021. Durant cette période trois journalistes furent condamnées à des peines de prison : Katsiaryna Andreïeva et Darya Chultsova, reporters de Belsat qui avaient filmé les manifestations du 15 novembre 2020 suite au décès de Raman Bandarenka, furent condamnées à 2 ans de prison au titre de l’article 342.1 du Code pénal (« organisation de ou participation à des troubles à l’ordre public »)40. Leur consœur Katsiaryna Barysevich écopa de 6 mois pour violation du secret médical : elle avait révélé que, contrairement aux affirmations du Parquet, les analyses n’avaient pas identifié la présence d’alcool dans le sang de Raman Bandarenka au moment de sa mort. Trois ans après les faits, une trentaine de travailleurs des médias sont encore derrière les barreaux.

Plusieurs journalistes de renom sont officiellement qualifiés de terroristes, comme Maria Zolatava, rédactrice en chef du portail d’information en ligne TUT.by, ou Andrzej Poczobut, ancien correspondant de médias polonais au Bélarus. Ils ont été condamnés à respectivement 12 et 8 ans de prison pour, entre autres, « appels à des actions contre la sécurité nationale » (article 361 du Code pénal) et incitation à la haine (article 130-3).

En 2021 et 2022 toutes les organisations de la société civile perçues comme hostiles au régime furent successivement visées par des enquêtes fiscales ou criminelles : le Club de la Presse, dont plusieurs membres furent arrêtés et accusés de malversations financières41 ; l’Office pour les droits des handicapés, dont le directeur fut assigné à résidence42 ; la plateforme d’information et d’hébergement en ligne TUT.by, qui fut fermée par les autorités au printemps, au motif qu’elle aurait diffusé des informations à caractère extrémiste. Suite à des raids coordonnés contre plusieurs ONG, dont BAJ, le 16 février 2021, des poursuites furent ouvertes contre des défenseurs des droits de l’homme et cinq journalistes ; quantité de matériel informatique fut saisi à cette occasion43. Des dizaines d’autres ONG furent harcelées tout au long du printemps, contraignant la plupart à fermer, et leurs membres à s’exiler pour échapper à une répression aussi systématique qu’arbitraire.

Le 14 juillet 2021, les raids ciblèrent l’organisation de défense des droits de l’homme Viasna. Son directeur Ales Bialatski, vice-président de la FIDH, et cinq autres membres soupçonnés de malversations furent placés en détention, rejoignant le chef de la branche de Homiel de Viasna, l’avocat Leanid Sudalenka, condamné par la suite à 3 ans de prison pour son soutien aux manifestants. Cette dernière vague de répression s’apparente à une véritable purge : sur l’ensemble de l’année 2021 plus de 600 organisations de la société civile ont été dissoutes, laissant la communauté des défenseurs des droits de l’homme décimée, et la société civile exsangue. Au printemps 2022, la plupart des défenseurs des droits de l’homme qui ne se trouvent pas derrière les barreaux (une trentaine) avaient quitté le pays. En septembre 2022, après deux ans en détention provisoire dans des conditions rendues délibérément difficiles, la coordinatrice des bénévoles de Viasna, Marfa Rabkova, a été condamnée à 15 ans de réclusion criminelle. Quant à Ales Bialiatski, co-lauréat du prix Nobel de la Paix 2022, il a été condamné en mars 2023 à 10 ans de prison, pour contrebande et « financement de troubles à l’ordre public. Son bras droit Valentsin Stefanovich et Uladzimir Labkovich, le coordinateur de la campagne d’observation des élections de 2020, ont écopé de 9 et 7 ans respectivement, sur les mêmes charges fabriquées de toutes pièces.

Mais que fait l’ONU ?

Les droits de l’homme constituent l’un des trois piliers de l’action des Nations Unies, avec le développement d’une part, et la paix et la sécurité d’autre part. Mentionnés à sept reprises dans la Charte fondatrice, les droits de l’homme sont un principe directeur de l’ONU, et leur promotion et leur protection – un objectif primordial de ses missions de maintien de la paix ou d’aide humanitaire.

Cependant l’ONU a une capacité limitée d’empêcher et faire cesser des violations des droits de l’homme lorsque celles-ci sont le fait des autorités étatiques qui nient, camouflent ou minimisent leur responsabilité. C’est le cas du gouvernement bélarusse, dont le discours officiel présente les manifestations de l’année 2020 comme des émeutes, fomentées par des terroristes avec l’aide de services secrets de pays hostiles, dans le but de renverser un Président légitimement élu. Dans cette logique de déni, les rapports d’Amnesty International, RSF ou Human Rights Watch ne feraient que colporter des mensonges inventés par les opposants, des traitres que leurs sponsors étrangers utilisent pour justifier l’adoption de sanctions internationales contre le Bélarus. Dès lors les mécanismes onusiens, dont le rôle principal consiste, par le biais du dialogue constructif et de la coopération, à faire des recommandations afin d’aider les États à respecter leurs engagements internationaux en matière de droits de l’homme, ne peuvent qu’adopter des résolutions à la portée limitée, et fixer les manquements dans des rapports d’experts.

Une attention de longue date

Les atteintes aux droits de l’homme au Bélarus ont suscité l’attention de l’ONU dès les premiers signes de dérive autoritaire en 1996. La Commission des droits de l’homme44 a adopté plusieurs résolutions à son sujet entre 1997 et 2005. Elle établit en 2004 un mandat de Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Bélarus, attribué à l’ex-ministre des affaires étrangères de la Roumanie, Adrian Severin, qui publia en janvier 2006 un rapport accablant (E/CN.4/2006/36), justifiant l’adoption d’une résolution prolongeant son mandat (A/RES/61/175). Celui-ci fut réinstitué par le Conseil des droits de l’homme en 2012 sur proposition de l’Union européenne45, et a été prorogé chaque année depuis par une résolution au titre du point 4 de l’agenda (« questions nécessitant l’attention urgente du Conseil »). Si avant cela plusieurs mandataires des procédures spéciales46 purent visiter le Bélarus – celui sur la liberté d’expression en 1997, sur l’indépendance des juges et des avocats en 2000, sur les détentions arbitraires en 2004 – à compter de 2006 le Bélarus cessa de répondre aux demandes de visite des experts indépendants de l’ONU.

Le gouvernement maintient une politique de non-reconnaissance du mandat de rapporteur spécial sur le Bélarus, refuse de coopérer avec son titulaire, et, depuis 2021, boycotte les dialogues interactifs lors de la présentation de ses rapports à l’ONU. Minsk est resté sourd aux recommandations l’invitant à réformer sa législation électorale, à cesser les persécutions politiques et à coopérer avec les mécanismes de protection des droits de l’homme de l’ONU. À ses yeux la Commission puis le Conseil des droits de l’homme se sont discrédités par une politisation excessive de leur agenda. En 2007 le Bélarus tenta une diversion en présentant sa candidature au Conseil des droits de l’homme, que l’Assemblée générale rejeta à une large majorité.

Comme d’autres gouvernements épinglés par les procédures spéciales de l’ONU, Minsk privilégie un autre mécanisme établi en 2006 par le Conseil des droits de l’homme : l’Examen périodique universel (EPU). Ce processus consiste à passer en revue les progrès et les lacunes de tous les États membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Mené par les États eux-mêmes, il permet à chacun de faire des recommandations à tout autre État – sans discrimination – ce dernier restant libre de seulement en « prendre note » s’il ne juge pas opportun de les entériner. Ainsi l’EPU permet-il à des États de proclamer, à des fins de politique intérieure ou de prestige, qu’ils ont « passé avec succès » cet examen par leurs pairs, comme l’affirmèrent les médias de propagande bélarusse à l’automne 2020, lors du troisième cycle d’examen du pays.

Sa coopération avec l’EPU permet au Bélarus de mettre en avant ses progrès pour atteindre les Objectifs de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030, en matière de scolarisation des filles par exemple, ou d’inclusion du handicap (illustrée par son adhésion à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée fin 2016). Malgré les satisfecit reçus de certains de ses alliés, la plupart des 266 recommandations soumises lors de l’EPU de 2020 réitèrent des recommandations déjà soumises lors des précédents cycles d’examen en 2015 et 2010, et qui n’avaient pas été suivies d’effet, en particulier dans le domaine des droits civils et politiques47.

Un troisième mécanisme géré par le Conseil des droits de l’homme avec le soutien du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (OHCHR) est l’examen régulier par les « organes contractuels » (treaty bodies en anglais), comités d’experts qui surveillent l’application des neuf grandes conventions internationales en la matière. Le Bélarus a fait une interprétation sélective de ses obligations vis-à-vis des organes contractuels, se contentant de coopérer avec ceux qui ne lui faisaient pas trop de critiques, mais pas avec le Comité des droits de l’homme (l’organe qui surveille l’application du Pacte relatif aux droits civils et politiques), auquel il n’a remis son premier rapport qu’en 2018, avec 21 ans de retard. À l’automne 2022, Minsk a décidé de dénoncer le protocole facultatif se rapportant audit Pacte, qui permettait jusque-là à des particuliers de soumettre des plaintes individuelles au Comité (après extinction des voies de recours internes). Les citoyens bélarusses, qui s’étaient distingués par un très grand nombre de plaintes déposées (plus de 250), seront donc prochainement privés d’accès à un mécanisme clé de protection internationale de leurs droits civils et politiques.

Crise de 2020-2021 : condamnations et mécanisme d’enquête à l’ONU

La réaction de l’ONU face à la crise des droits de l’homme au Bélarus en 2020 a été rapide et ferme, sans pour autant parvenir à changer le cours des événements. Dès le 12 août la Haute Commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet appela les autorités à libérer les personnes arbitrairement détenues, à poursuivre les auteurs de violations et à garantir le droit à la liberté de réunion pacifique48. Plusieurs mandataires des procédures spéciales les intimèrent de garantir les droits fondamentaux des Bélarusses, de les protéger contre les tortures en détention, et d’engager un dialogue avec les représentants de la société civile et l’opposition49. Dans les mois qui suivirent, l’OHCHR fut assailli d’appels concernant divers cas de violation grave des droits humains au Bélarus, conduisant à l’envoi de dizaines de lettres d’allégation50.

Les démocraties occidentales et leurs alliés condamnèrent fermement les exactions, refusèrent de reconnaître l’élection d’A. Loukachenka comme légitime et instaurèrent des sanctions par paquets successifs. L’Estonie, à l’époque membre non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, mit à l’agenda de celui-ci une réunion au format Arria (informel) le 4 septembre pour alerter la communauté internationale51. Dès Peu après, dix-sept pays initièrent le mécanisme dit de Moscou de l’OSCE et commanditèrent au professeur Wolfgang Benedek un rapport52 sur les violations des droits humains au Bélarus qu’il remit le 4 octobre. Les autorités bélarusses ignorèrent ces appels à la concertation et à la modération.

Au Conseil des droits de l’homme à Genève se tint le 18 septembre un débat urgent53 auquel participèrent la Haute Commissaire adjointe, Sviatlana Tsikhanouskaya, une activiste de la société civile, et moi-même en tant que rapporteure spéciale. Nos interventions furent interrompues à plusieurs reprises par les délégués du Bélarus, de la Fédération de Russie, de la Chine et du Venezuela, qui invoquèrent des points de procédure pour contester la légitimité de la prise de parole de personnes autres que les délégués54. À l’issue de cette séance mouvementée, une résolution fut adoptée donnant mandat à la Haute Commissaire Michelle Bachelet de produire un rapport exceptionnel. Présenté en mars 2021, ce rapport (A/HRC/46/4)55 fit état de violations massives et systématiques et déplora le climat d’impunité pour les auteurs de ces abus.

Face au refus des autorités bélarusses d’y mettre un terme, le Conseil vota l’extension du mandat de la Haute Commissaire, dans le temps (jusqu’à mars 2022, puis mars 2023) et en termes de prérogatives, en la priant de « procéder à un examen complet de toutes les violations présumées des droits de l’homme commises au Bélarus depuis le 1er mai 2020, y compris les éventuelles dimensions sexospécifiques de ces violations, pour établir les faits et les circonstances entourant les violations présumées, et collecter, consolider, préserver et analyser les informations et les preuves en vue de contribuer à faire engager la responsabilité de leurs auteurs, rendre justice aux victimes et, si possible, identifier les coupables » (résolution 46/20, para.13, repris dans la résolution 49/26 adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 1er avril 2022).

Ce mécanisme de responsabilité (accountability mechanism en anglais), inspiré de celui établi en 2014 pour enquêter sur les violations commises au Sri Lanka, a reçu l’appellation officielle de « examen du Bélarus par l’OHCHR » (OEB), après que le Bélarus et ses alliés aient contesté le label initial de « mission d’enquête ». Ralentie au départ faute de moyens financiers et en personnel, l’équipe, qui comprend trois experts indépendants56 et une demi-douzaine d’experts de l’OHCHR, a réuni des centaines de témoignages en enquêtant dans les pays voisins du Bélarus, où des victimes ou leurs proches prêts à témoigner ont trouvé refuge. Dans son rapport présenté au Conseil le 22 mars 2023, l’OEB a conclu que certaines des violations recensées « pourraient être constitutives de crimes contre l’humanité » (A/HRC/52/68, para. 54)57. La fonction première de l’OEB consiste à réunir, analyser et conserver des données qui pourront être mises à disposition d’un juge d’instruction à l’avenir. Un mémorandum a été signé en 2021 pour faciliter la coopération entre l’OEB et la Plateforme Internationale de Responsabilité pour le Bélarus (International Accountability Platform for Belarus, IAPB), établie par les États invocateurs du mécanisme de Moscou, et qui réunit une vingtaine d’ONG bélarusses et internationales de défense des droits humains, sous l’égide de Dignity, une ONG danoise mondialement reconnue pour ses actions de lutte contre la torture.

Les voies de la juridiction universelle

La question demeure de savoir quel tribunal pourrait instruire ces violations graves et massives des droits de l’homme. Il appartient en effet à des juges indépendants – un oxymore dans le Bélarus actuel – de déterminer les responsabilités et condamner les auteurs. Il faudra du temps, et probablement un changement de régime, avant qu’une institution judiciaire bélarusse réformée en profondeur puisse instruire équitablement ces affaires. Dans l’intervalle, les victimes portent leurs espoirs sur les juridictions étrangères de pays qui reconnaissent à leurs tribunaux la compétence universelle pour juger des violations particulièrement graves au regard des normes impératives en matière de droits de l’homme (jus cogens), qui interdisent en tout temps la torture, les disparitions forcées, ou la déportation58, des crimes qui sont susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité – pour peu que leur caractère massif, systémique et prémédité soit démontré, ce qui sera malaisé compte tenu de l’impossibilité actuelle pour des juges d’instruction étrangers d’enquêter sur place ou de bénéficier de la collaboration des autorités.

Pour ce qui est de la Cour pénale internationale (CPI), elle n’est pas compétente a priori puisque le Bélarus n’a pas signé le Statut de Rome portant sur la CPI. Dans l’hypothèse d’un changement de régime à Minsk, les autorités du « nouveau » Bélarus pourraient reconnaître la compétence de la CPI, ou du moins assurer son Procureur de leur coopération s’il décidait d’ouvrir une enquête à la demande des juges de la CPI, comme cela s’est produit dans le cas de l’Afghanistan. En attendant, le seul autre mode de saisine de la CPI relève du Conseil de sécurité de l’ONU, au titre du Chapitre VII de la Charte, s’il estimait que la situation des droits de l’homme menaçait la paix et la sécurité internationales, et pour prévenir d’autres violations – à l’instar de son action sur le Darfour ou la Libye. Or le Bélarus a deux alliés au Conseil de sécurité (la Russie et la Chine) dont le droit de veto empêcherait que son cas soit mis à l’ordre du jour. Même si A. Loukachenka multipliait les actes répréhensibles dignes d’un état-voyou – comme dérouter un avion de ligne59 ou instrumentaliser des flux migratoires pour déstabiliser ses voisins60 – encore faudrait-il que cela soit qualifié comme actes de terrorisme, d’agression ou de rupture de la paix pour que le Conseil de sécurité décide de sanctions multilatérales, ou saisisse la CPI61.

À noter cependant que l’article 15(2) du Statut de Rome de la CPI prévoit un mécanisme de saisine par des États sur le territoire desquels se trouvent des victimes de crimes contre l’humanité commis dans un état qui ne reconnaît pas la compétence de la Cour. C’est sur cette base que la CPI enquête sur le génocide perpétré par la junte militaire birmane depuis 2016, et qui a poussé un million de Rohingya à fuir le Myanmar pour trouver refuge dans les pays voisins, principalement au Bangladesh – signataire du Statut de Rome. En mai 2021 des ONG internationales62 s’en sont inspiré et ont envoyé une communication au Procureur de la CPI lui demandant d’ouvrir une enquête préliminaire sur les allégations de crime de déportation et de persécution dont elles estiment que le Bélarus s’est rendu coupable en poussant plus de 14 000 de ses ressortissants à l’exil, principalement vers la Lituanie, la Pologne et la Lettonie – qui reconnaissent la compétence de la Cour63. Outre les cas avérés d’expulsion forcée déjà évoqués, les auteurs de cette communication rapportent que les autorités bélarusses ont délibérément créé un climat de répression pour contraindre leurs opposants à l’exil – une tendance lourde de l’année 2022 à laquelle j’ai consacré mon dernier rapport à l’attention de l’Assemblée générale (A/77/195). Trois ans après la crise de 2020, on estime qu’elle a directement ou indirectement poussé près d’un million de Bélarusses à fuir leur pays. Avec l’adoption, en septembre 2023, d’un décret suspendant certains services consulaires – comme l’émission de passeports – des centaines de milliers d’entre eux se retrouvent dans une situation très précaire dans les pays d’accueil: leur retour forcé au Bélarus les exposeraient très certainement à de nouvelles persécutions.

* * *

En conclusion, on pourrait dire que l’ONU n’est que ce que les États en font. Les violations des droits de l’homme imputables à la politique répressive et autoritaire d’A. Loukachenka existent depuis plus de deux décennies, mais leur ampleur et leur gravité sans précédent depuis le printemps 2020 mettent la communauté internationale au défi d’empêcher la situation de se dégrader en crise humanitaire. Cependant, l’ONU est une organisation internationale qui prône le dialogue et la coopération ; seul le Conseil de sécurité peut adopter des mesures coercitives (sanctions, intervention), ou décider de l’établissement de tribunaux spéciaux. L’Assemblée générale n’est quant à elle que le reflet des volontés et des réticences de ses 193 États membres à (faire) respecter des obligations internationales pourtant librement consenties. Elle ne dispose ni du mandat ni de la capacité d’imposer aux États de cesser de contrevenir au droit international. Le Conseil des droits de l’homme continue quant à lui sa délicate mission de promotion et de protection des droits de l’homme, dont l’universalité est remise en cause par de grandes puissances qui contestent, au nom du droit souverain des États à choisir leur propre mode de gouvernement, la représentativité d’un système dont les missions reflètent principalement les préoccupations des démocraties occidentales. Dans ce contexte, la crise continue des droits de l’homme au Bélarus va probablement continuer de mettre l’ONU au défi de montrer son efficacité, voire sa légitimité même.

Liens utiles

contenus additionnels Page web du mandat de rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Bélarus.
contenus additionnels Outil de recherche des communications publiées par les mandataires des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
contenus additionnels Page web de l’Examen du Bélarus par le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, établi pour enquêter sur les violations commises dans le contexte des élections de 2020.
contenus additionnels Page web de l’Examen Périodique Universel du Bélarus.
contenus additionnels International Accountability Platform for Belarus.

Sites web des principales organisations de défense des droits de l’homme bélarusses (toutes désormais en exil)

contenus additionnels Viasna
contenus additionnels Belarusian Helsinki Committee
contenus additionnels Human Constanta
contenus additionnels Belarusian Association of Journalists
contenus additionnels Legal transformation centre Lawtrend
contenus additionnels Belarusian PEN Club
contenus additionnels Pravo na zashchitu (Droit à la défense) – plateforme de défense des avocats bélarusses victimes de répression

Initiatives caritatives et d’aide aux victimes bélarusses de violations des droits de l’homme

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Sites web des principaux médias bélarusses indépendants

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Portail internet de la législation de la République du Bélarus

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Site en anglais
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Notes

  1. Terme employé dans mon intervention en tant que rapporteure spéciale lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU organisée (en ligne) au format Arria le 4 septembre 2020. Vidéo disponible sur [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=F4mQE8taqJA [consulté le 04/03/2024].
  2. C’est-à-dire la Charte internationale des droits de l’homme – composée de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), des Pactes internationaux de 1966 relatifs aux droits civils et politiques d’une part, et aux droits économiques, sociaux et culturels d’autre part – ainsi que les principales conventions internationales et leurs protocoles additionnels en la matière. Liste complète et état des ratifications disponible sur le site du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme : www.ohchr.org [consulté le 02/02/2024].
  3. Le Comité des droits de l’homme est composé d’experts indépendants désignés par les États membres de l’ONU pour surveiller l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de ses protocoles facultatifs, dont le deuxième (que le Bélarus n’a pas signé) vise à abolir la peine de mort.
  4. Sur les problèmes d’administration de la justice, voir mon rapport de 2020 pour l’Assemblée Générale (A/75/173).
  5. Voir sur ce point les lettres de veille de l’ONG bélarusse Human Constanta et le rapport Belarus. Right to freedom of expression and ‘extremism’ restrictions publié en novembre 2020 par l’ONG Article 19.
  6. V. Silitski, « Preempting Democracy: the case of Belarus », Journal of Democracy, 16 (4), 2005, p. 83-97.
  7. E. Loushnikova, « The ‘parasite law’ in Belarus », Open Democracy, 16 juin 2015.
  8. Les cas d’école sont le fait de l’Union Républicaine Bélarusse de la Jeunesse (BRSM) et du mouvement (institué en parti en 2023) Belaya Rus’. Lycéens et étudiants, fonctionnaires et employés d’entreprises d’État sont contraints d’y adhérer pour espérer obtenir des faveurs qui seraient considérés ailleurs comme des services publics élémentaires.
  9. Au moins trois personnalités politiques ont été « disparues de force » en 1999-2000 : Yuri Zakharenko, l’ancien ministre de l’Intérieur, Viktor Gonchar, l’ancien chef de la Commission électorale centrale et son ami l’homme d’affaires Anatoly Krassovsky. Ces opposants ainsi qu’un journaliste qui pouvait détenir des informations compromettantes, Dmitri Zavadsky, auraient été kidnappés et exécutés sur ordre de M. Loukachenka lui-même. Cf. le rapport d’enquête de Christos Pourgourides Disappeared persons in Belarus, remis à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 4 février 2004.
  10. S. Bedford, « The “Election Game”: Authoritarian Consolidation Processes in Belarus », Demokratizatsiya, 25 (4), 2017, p. 381-405. Sur le concept d’autoritarisme électoral, cf. A. Schedler, (ed.) Electoral authoritarianism. The dynamics of unfree competition, Lynne Rienner, 2006.
  11. En mai 1995, un référendum a donné au Président le droit de dissoudre le Parlement. En novembre 1996, la Constitution de 1994 a été amendée en profondeur grâce à un référendum considéré comme illégal et inconstitutionnel. Sur ces étapes clés de la consolidation du pouvoir autocratique d’A. Loukachenka, voir l’excellent ouvrage de J.-Ch. Lallemand, et V. Symaniec, Biélorussie: mécanique d›une dictature, Paris, Les Petits matins, 2007.
  12. Sur les violations des droits de l’homme dans le contexte des élections au Bélarus, voir mon premier rapport (A/74/196) présenté à l’Assemblée générale de l’ONU en tant que rapporteure spéciale en octobre 2019.
  13. Voir sur ce phénomène A. Marin, « Belarusian nationalism in the 2010s, a case of anti-colonialism? Origins, features and outcomes of ongoing “Soft Belarusianisation” », The Journal of Belarusian Studies, n°9, 2019, p. 27-50.
  14. R. Astapenia, A. Marin, « Belarusians left facing COVID-19 alone », Chatham House Brief, 16 avril 2020.
  15. Voir à ce sujet N. Douglas « Belarus: From the Old Social Contract to New Social Identity », ZOiS Report (Berlin: Centre for East European and International Studies), n° 6, 2020; p. 17 et ss.
  16. Le 19 mai, des mandataires des procédures spéciales de l’ONU adressèrent au gouvernement bélarusse une Lettre Urgente (UA BLR 5/2020) demandant des clarifications concernant 120 détentions arbitraires qui leur avaient été rapportées, et rappelant aux autorités leur obligation de respecter le droit à la liberté de réunion pacifique. Leur lettre resta sans réponse, et la répression continua. Cette lettre, comme les autres communications des procédures spéciales citées dans ce chapitre, est accessible en ligne par le biais de l’outil de recherche https://spcommreports.ohchr.org/ [consulté le 02/02/2024].
  17. Poursuivi ainsi que son fils Eduard au titre des articles 430.3 (corruption) et 235.2 (blanchiment d’argent) du Code pénal, Viktar Babarika a été condamné en juillet 2021 à 14 ans de réclusion criminelle.
  18. Une partie des 100 000 signatures nécessaires pour présenter sa candidature fut invalidée par la Commission électorale centrale. Victime d’intimidations, y compris de menaces de saisie de ses enfants par les autorités de protection de l’enfance, il s’enfuit du pays avec eux à la mi-juillet.
  19. N. Satsunkevich, D. Chernyh & N. Loika, « Monitoring the right to free assembly. Belarus 2020 », European Center for Not-for-Profit Law, Viasna, Belarusian Helsinki Committee & Human Constanta, December 2020, p. 12.
  20. Final report on 2020 presidential elections in Belarus, based on the data collected by the Voice platform, Zubr, and Honest People initiative, 20 août 2020, https://www.voiceofbelarus.com/golos-final-election-report/. [consulté le 02/02/2024].
  21. NEXTA est un média en ligne créé en 2015 par un jeune blogueur désormais exilé en Pologne, Stsiapan Putsila qui dispose de chaînes d’information sur YouTube et Telegram (comptant plus de 2 millions d’abonnés). NEXTA a diffusé des vidéos des manifestations de 2020 en temps réel, et servi de réseau de messagerie pour coordonner les manifestants, en leur désignant des lieux de rassemblement – et de repli en cas d’assaut de la police. À l’automne 2020 la justice bélarusse a qualifié NEXTA et son logo d’extrémistes, puis lancé des poursuites pénales contre S. Putsila et Raman Pratasevich, son rédacteur en chef, pour organisation d’émeutes et incitation à la haine. La Pologne a refusé l’extradition du premier, tandis que le deuxième fut arrêté le 23 mai 2021 après que le vol Ryanair qui le transportait d’Athènes à Vilnius ait été dérouté sur Minsk en raison d’une soi-disant alerte à la bombe.
  22. À titre de comparaison, dans les mois qui suivirent le dernier scrutin présidentiel contesté du 19 décembre 2010, un peu plus de 900 personnes avaient été arrêtées.
  23. D’après la plateforme de Contrôle civil sur le système judiciaire bélarusse « Zubr » (https://zubr.cc) [consulté le 02/02/2024].
  24. Viasna Politically motivated administrative proceedings. Standards and reality in contemporary Belarus, Minsk, 2021, p. 10-11.
  25. Les rapports annuels de BAJ sur les répressions contre les journalistes depuis 2020 sont disponibles ici [en ligne] https://baj.media/en/aglyady_category/statistics-and-lists-of-detainees/ [consulté le 05/03/2024].
  26. Comité international d’enquête sur les tortures au Bélarus, rapport n°3 consacré aux femmes, 2021, [en ligne] https://torturesbelarus2020.org/en/dakumenty/ [consulté le 04/03/2024].
  27. Ce policier porta plainte contre Aliaksandr Kardziukou, l’ami de H. Shutau qui s’enfuyait avec lui au moment où le coup est parti « accidentellement » ; en février 2021 A. Kardziukou fut condamné à 10 ans de prison pour « complicité de tentative de meurtre contre un représentant des forces de l’ordre ».
  28. D’après des témoignages concordants, ce sont souvent ces mêmes hommes, surnommés « bandits » par la population, qui ont été appelés à témoigner contre les manifestants dans les procès qui suivirent.
  29. Voir le rapport publié le 8 novembre par Viasna, Belarusian Helsinki Committee et BAJ (Belarusian Association of Journalists) avec le soutien de la FIDH et de l’OMCT : http://spring96.org/en/news/99871 [consulté le 02/02/2024].
  30. Yu. Karmanau, « Freed from Belarus jails, protesters recount beatings », The Washington Post, 15 August 2020.
  31. OMCT Belarus. Corridor of truncheons. How popular demonstrations are met with massive police violence and denial of justice, 26 January 2021.
  32. Préparé par le professeur Wolfgang Benedek. Cf. [en ligne] https://www.osce.org/permanent-council/469575 [consulté le 08/02/2024].
  33. Les cas les plus emblématiques sont ceux d’opposants politiques : Sviatlana Tsikhanouskaïa et sa directrice de campagne Maria Moroz, poussées à s’exiler en Lituanie le 11 août 2020 ; Volha Kavalkova, membre du Conseil de coordination établi par l’opposition après les élections, a été abandonnée le 5 septembre par des officiers du KGB dans le no man’s land à la frontière polonaise ; le 8 septembre, trois autres membres dudit Conseil (Maria Kalesnikova, Ivan Kravtsov et Anton Radniankou), enlevés la veille, ont été emmenés à la frontière ukrainienne. Seule M. Kalesnikova a pu empêcher son expulsion : en déchirant son passeport.
  34. D’après BYPOL, une chaîne Telegram animée par des dissidents des forces de l’ordre, ces vidéos auraient permis d’identifier les auteurs de ce violent kidnapping comme des officiers de police et des proches d’A. Loukachenka et de son fils Viktor, dont le président de la fédération bélarusse de hockey sur glace Dmitri Baskov, son ami Dmitri Chakuta, et la porte-parole du Président Natalya Eïsmont.
  35. Maria Kalesnikava par exemple a été poursuivie pour « conspiration visant à prendre le pouvoir par des moyens anticonstitutionnels » (article 357.1 du Code pénal), « création et direction d’une organisation extrémiste » (article 361.1) et « appels à des actions visant à porter atteinte à la sécurité nationale en utilisant les médias et Internet » (article 361.3). Elle a été condamnée en septembre 2021 à 11 ans de réclusion criminelle.
  36. [en ligne] https://webtv.un.org/en/asset/k11/k11sol9553 [consulté le 04/03/2024].
  37. https://news.house/42622 [consulté le 02/02/2024].
  38. Les échanges cryptés entre particuliers via Telegram sont eux aussi passibles de poursuites, si les autorités qui confisquent le téléphone des personnes interpellées y trouvent des données dénotant leur opposition au régime.
  39. Lawyers under threat. Increasing suppression of the legal profession in Belarus. Rapport de Lawyers for Lawyers (L4L), American Bar Association Center for Human Rights (ABA CHR) et International Bar Association Human Rights Institute (IBAHRI), 2021.
  40. Un mois avant la fin de sa peine, K. Andreïeva a été condamnée à 8 années supplémentaires de réclusion criminelle pour « haute trahison » (article 356.1 du Code pénal).
  41. Yulia Slutskaïa et son fils Piotr Slutski, Siarhei Alsheuski et Ala Charko passèrent ainsi huit mois en détention provisoire, avant d’être relâchés en août 2021sur grâce présidentielle.
  42. Dans le cadre de cette affaire, des employés de l’OHCHR à Minsk ont aussi été interrogés, au motif qu’ils auraient détourné des fonds programmatiques afin d’aider l’association à régler ses frais de justice. En mai 2021 les autorités ont expulsé Omer Fisher, le Conseiller aux droits de l’homme de l’OHCHR (un poste établi à Minsk en 2018), puis lancèrent en octobre une campagne diplomatique et de propagande accusant l’ONU d’avoir « financé les troubles ».
  43. Human Rights Watch, « Belarus: crackdown on independent journalism », 29 mars 2021 : www.hrw.org [consulté le 02/02/2024].
  44. Ancêtre du Conseil des droits de l’homme, cette Commission établie par l’Assemblée générale en 1946 fut dissoute en 2006 pour apaiser certains pays régulièrement visés par elle (notamment Israël, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis), et qui l’accusaient d’avoir une approche biaisée (double standards en anglais) des droits de l’homme. 
  45. Le premier expert indépendant mandaté par le Conseil (2012-2018) fut l’ancien représentant de l’OSCE pour la liberté des médias Miklós Haraszti (Hongrie). J’ai été nommée en novembre 2018 pour lui succéder.
  46. Les Procédures spéciales furent établies pour faire évaluer par des experts indépendants (et bénévoles) la situation des droits de l’homme dans un pays où elle nécessite une attention spéciale (Erythrée, Somalie, Burundi, Myanmar, Iran, République centrafricaine, pour ne citer que les mandats qui se sont pérennisés parmi les 14 mandats-pays actuellement en place), ou dans un domaine thématique particulier (une cinquantaine, couvrant par exemple la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la santé, les détentions arbitraires, les disparitions forcées, etc.). Certains experts ont pu jouir de la « coopération technique » des autorités (Cambodge, Mali, Haïti), tandis que d’autres sont à divers titres empêchés de remplir leur mission, comme le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, en Corée du Nord, ou au Bélarus. Les derniers mandats-pays établis par le Conseil des droits de l’homme concernent l’Afghanistan (2021) et la Russie (2022).
  47. Tout au plus le deuxième cycle a-t-il donné lieu à l’adoption d’un Plan National pour les droits de l’homme pour 2016-2019, qui est toutefois resté en grande partie lettre morte.
  48. Communiqué publié par l’OHCHR le 12 août ; dans son point presse du 21 août, la porte-parole de la Haute Commissaire réitéra ces demandes, ajoutant que l’OHCHR était très préoccupé par le fait qu’aucune procédure judiciaire n’avait encore été ouverte suite aux allégations de torture, de disparitions forcées, de viols et d’assassinats rapportés par des victimes ou leurs proches.
  49. Cf. communiqués de presse des experts des procédures spéciales en date du 13 août et du 1er septembre 2020.
  50. Par ordre chronologique: AL BLR 6/2020, AL BLR 7/2020, AL BLR 8/2020, AL BLR 9/2020, AL BLR 3/2021, AL BLR 2/2021, AL BLR 10/2020, AL BLR 4/2021, AL BLR 1/2021. Ces lettres et les éventuelles réponses reçues des autorités bélarusses sont accessibles via https://spcommreports.ohchr.org/ [consulté le 02/02/2024] (Communication search < Belarus).
  51. L’Estonie a initié deux autres réunions sur le Bélarus sous ce format en 2021, le 22 janvier et le 8 octobre.
  52. [en ligne] https://www.osce.org/permanent-council/469575 [consulté le 04/03/2024].
  53. [en ligne] https://webtv.un.org/en/asset/k1d/k1d58gr32b [consulté le 04/03/2024].
  54. La Présidente du Conseil, Elisabeth Tichy-Fisslberger (Autriche) ne se laissa pas démonter par ces interruptions, expliquant qu’un format similaire avait été adopté pour le précédent débat urgent organisé à la demande du groupe Afrique suite à l’affaire George Floyd.
  55. [en ligne] https://webtv.un.org/en/asset/k15/k1517r53jv [consulté le 04/03/2023].
  56. Il s’agit de Karina Moskalenko (Fédération de Russie), Susan Bazilli (Canada) et Marko Milanović (Serbie) – ce dernier a été remplacé en 2022 par Monika Platek (Pologne).
  57. [en ligne] https://webtv.un.org/en/asset/k1l/k1lqqk67c5 [consulté le 04/03/2023].
  58. Ce « droit international de punir », reconnu seulement par certains États, a permis de juger plusieurs responsables de violations graves et massives, comme les présidents tchadien Hissène Habré (condamné au Sénégal) ou chilien Augusto Pinochet (condamné en Espagne). Des procédures de ce type ont été lancées en Lituanie, en Pologne et en Allemagne au titre de la juridiction universelle pour des crimes commis durant la crise bélarusse de 2020.
  59. En référence à l’atterrissage forcé du vol Ryanair 4978 à Minsk le 23 mai 2021, qui avait permis l’arrestation de Raman Pratasevich (cf. supra). Dans son rapport d’enquête rendu public en janvier 2022, l’Organisation de l’aviation civile internationale (ICAO) a indiqué que ce déroutement était injustifié, sans pouvoir déterminer l’origine de la fausse alerte à la bombe qui l’avait provoqué.
  60. Au cours de l’année 2021 les autorités bélarusses auraient pris une part active dans l’acheminement jusqu’aux frontières du Bélarus avec la Lituanie, la Pologne et la Lettonie de candidats à l’immigration illégale dans l’UE – ce que ces pays frontaliers (qui ont massivement refoulés ces réfugiés) ont qualifié d’agression hybride.
  61. P. M. Biayi, « Le Conseil de sécurité des Nations unies et les droits de l’homme », Revue québécoise de droit international, 32(2), 2019, p. 173–201.
  62. International Partnership for Human Rights (IPHR), Norwegian Helsinki Committee, Global Diligence LPP et Truth Hounds.
  63. Voir [en ligne ] https://www.iphronline.org/belarus-crimes-against-humanity-of-deportation-and-persecution.html [consulté le 02/02/2024].
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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9791030010725
ISBN html : 979-10-300-0842-5
ISBN pdf : 979-10-300-0843-2
Volume : 17
ISSN : 2741-1818
20 p.
Code CLIL : 3299; 3277
licence CC by SA

Comment citer

Marin, Anaïs, Violations des droits de l’Homme : l’ONU au défi de la crise Bélarusse, in : Belova, Olga, Flavier, Hugo, dir., Bélarus ; une douloureuse quête démocratique, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 17, 2024, 93-114, [en ligne] https://una-editions.fr/l-onu-au-defi-de-la-crise-belarusse/ [consulté le 07/03/2024].
doi.org/10.46608/primaluna17.979103001072.6
Illustration de couverture • Montage R. Vinçon, à partir de :
Défilé militaire (cliché de H. Flavier, Minsk, juillet 2018). Modifié ;
La faucille et le marteau (cliché de O. Belova, Grodno, juillet 2004). Modifié ;
Belarusian protests (cliché de Homoatrox, Wikimedia Commons, 13 septembre 2020). Modifié ;
Minsk. Vid goroda s sievera, Minsk. View of the city from the north (photographie de Prokoudin-Gorski, & Mikhailovich, Phtograph collection, Library Congress, Prints and Phtographs Division, 1912). Modifié
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