Un travail de recension et d’inventaire des sites miniers et métallurgiques a été conduit dans la montagne béarnaise (Pyrénées-Atlantiques), en vallée d’Ossau et en vallée d’Aspe, entre 2004 et 2014. Les campagnes de prospection, amorcées au sein d’un Programme Collectif de Recherche1, visaient à apporter un éclairage nouveau sur l’activité minière, sa place et son rôle dans les systèmes d’exploitation des espaces montagnards, depuis les périodes protohistoriques jusqu’à nos jours. Il devait s’agir de dessiner la trame chronologique de l’activité, de déterminer ses rythmes, ses phases de développement et ses phases de repli.
L’approche diachronique porte ainsi sur l’ensemble des vestiges miniers, minéralurgiques et métallurgiques conservés en moyenne et haute montagne, sur les territoires des vallées d’Aspe, d’Ossau et d’Ouzom. Elle prend en compte l’exploitation de toutes les ressources métallifères (fer, cuivre, argent, plomb, zinc, etc.), depuis la protohistoire jusqu’à 1960, date de la fermeture de la mine de fer de Baburet.
C’est dans le cadre de cette recherche, lors de la troisième campagne de prospection, qu’a été découvert le plus ancien témoignage d’une activité minière dans les Pyrénées connu à ce jour. Le site est en vallée d’Aspe, sur la montagne de Causiat (Pyrénées-Atlantiques), et a fait l’objet d’une étude archéologique entre 2007 et 20142.
Le site
La mine étudiée se situe à l’extrémité méridionale de la vallée d’Aspe, en rive gauche d’un affluent du gave, sur le flanc oriental de la montagne de Causiat. À 400 m au nord de la frontière internationale, les vestiges sont dans la zone centrale du Parc Naturel des Pyrénées, à 1600 m d’altitude.
Le gisement de cuivre de Causiat a donné lieu à de petites exploitations sur des filons de chalcopyrite contenant un peu de bornite, à placage de malachite et azurite, dans une gangue de calcite faiblement sidéritique, dans un calcaire noir très dur du carbonifère.
Le gîte minéralisé se répartit en plusieurs formations indépendantes des deux côtés de la frontière, dont l’exploitation a donné naissance à la mine de Causiat sur le versant béarnais et à celle de Sainte-Christine sur le versant aragonais3.
Le gîte cuprifère de Causiat fut exploité à deux périodes différentes, très espacées dans le temps.
Le filon connaît une première phase d’exploitation au cours du Néolithique final, au milieu du IIIe millénaire a.C. Ces premiers travaux extractifs ont été démarrés à l’affleurement du filon et ouverts par le feu.
Le gîte de Causiat connaît une seconde phase d’exploitation à l’Époque moderne4. À partir de 1722, en vertu d’une concession générale, Jean Galabin fut autorisé à ouvrir des mines dans le royaume de France, ce qu’il fit notamment en vallée d’Aspe, à la montagne de Causiat. À la fin du XVIIIe siècle, en 1786, vingt-cinq ouvriers travaillent sur le site. La mine, qui comprend alors une galerie principale, un travers-bancs et deux puits, produit 28 quintaux de minerai de cuivre scheidé. Cette seconde phase d’exploitation a recoupé et approfondi les vestiges de l’exploitation antérieure.
Description des ouvrages
L’exploitation de Causiat a été menée sur un filon dirigé N 230°, incliné à 45° au nord-ouest, affleurant en rive gauche du torrent de Causiat (fig. 1). D’une puissance de 10 à 12 m, la minéralisation se divise en deux branches séparées par un massif stérile d’environ 7 m d’épaisseur (fig. 2). La branche du mur a été reconnue sur une largeur maximale de 6 m, sur une hauteur supérieure à 12 m et une longueur de plus de 50 m. La branche minéralisée du toit a été exploitée sur une puissance maximale de 5 m, une hauteur supérieure à 6 m et sur plus de 17 m de longueur. Témoin de la minéralisation exploitée, une bande massive de chalcopyrite d’environ 1 cm d’épaisseur a été laissée en place au front de taille du toit.
Les travaux miniers se répartissent sur les deux branches minéralisées du filon.
Au mur, les travaux se présentent sous la forme d’un grand chantier moderne vertical continu et de petits travaux en amont, à l’affleurement. La base des ouvrages est totalement masquée par de nombreux éboulis et blocs provenant de l’érosion des terrains sus-jacents.
Les travaux ont été menés en gradins droits et il est possible de reconnaître cinq niveaux d’exploitation superposés dans le grand chantier. Une traverse a été poussée vers le nord sur 5 m à partir du niveau émergeant des éboulis.
L’ensemble des travaux observés dans le grand chantier du mur a été réalisé à l’explosif à l’Époque moderne. À l’amont, sur l’affleurement du filon, quelques tirs témoignent d’une activité moderne et, dans l’état actuel des connaissances, l’existence de travaux plus anciens ne peut être écartée.
Les travaux visibles dans la branche minéralisée du toit forment un petit chantier unique. Aucune trace de travaux n’a pour l’instant pu être observée à l’affleurement, en amont du petit chantier. Tout comme dans les travaux du mur, la base des ouvrages du toit est encombrée de blocs et d’éboulis provenant de l’érosion et de l’effondrement partiel des épontes.
Directement en bordure du torrent, un petit chantier moderne a été ouvert à l’explosif, en reprise sur un ancien chantier au feu. Une partie de la mine ancienne a été conservée au-delà du front de taille moderne sur une dizaine de mètres de longueur. Ces travaux se présentent sous la forme d’un boyau étroit (fig. 3).
D’après les sources écrites, il semble qu’à l’Époque moderne, une galerie dans l’allongement, une traverse entre les deux branches du filon et deux puits aient été menés sur le filon. Ces ouvrages s’ouvraient vraisemblablement sous les niveaux d’éboulis de la base des travaux actuellement visibles, vers la cote altimétrique du travers-bancs nord.
Une petite halde révèle quant à elle l’emplacement d’un travers-bancs qui a permis de reconnaître et d’assécher les travaux à l’aval pendage de l’exploitation. L’entrée de cette galerie est effondrée.
Étude de la mine ancienne
Les opérations archéologiques menées en 2007 et 2014 concernent une partie du réseau minier souterrain que les prospections n’avaient pas permis de dater. Il s’agit précisément du petit ouvrage perché taillé au feu, réalisé sur la branche du filon située au toit.
D’un point de vue méthodologique, la fouille s’est attachée à étudier les niveaux de comblement couvrant le sol des travaux, à 3 m de l’entrée, sur environ 7 m de longueur et 0,3 à 0,8 m d’épaisseur. Des coupes stratigraphiques ont été réalisées tandis que les relevés en plan et en coupe des ouvrages miniers ont été effectués au 1/20e.
D’un point de vue architectural, l’ouvrage, réalisé dans un calcaire très dur, est bas et étroit (haut. 0,70 m à 1,50 m). Il se limite à la zone minéralisée et suit au plus près la géométrie du filon cuprifère. Il se présente sous la forme d’un boyau (long. 10 m) dont les parois lisses et arrondies portent les formes en coupoles caractéristiques de la taille au feu (fig. 4).
L’accès actuel au réseau ancien ne correspond pas à l’entrée originelle, la reprise d’exploitation minière moderne sur les dix premiers mètres de l’affleurement ayant amputé une partie des travaux du Néolithique final.
Ceux-ci s’étendaient vraisemblablement sur environ 5 m supplémentaires vers l’est. Les traces de coupoles résultantes d’un travail au feu sont encore visibles sur le front de taille moderne.
L’étude des niveaux de comblement du réseau souterrain a sensiblement enrichi la connaissance de la mine.
D’un point de vue stratigraphique, l’étude a mis en évidence une couche de remblais liée à l’exploitation minière sur le sol de l’ouvrage (fig. 5). Il s’agit d’un niveau composé de plaquettes de roche calcaire, de petits blocs minéralisés et de fragments de charbon de bois, autant de débris caractéristiques d’une exploitation minière par la technique de la taille au feu.
Les débris d’abattage étaient couverts de plusieurs niveaux argileux, formés postérieurement à la phase d’exploitation (effondrement partiel des épontes et arrivée de matériaux depuis l’extérieur par le lapiaz).
D’un point de vue chronologique, les datations des charbons de bois prélevés au sein des résidus d’abattage au feu ont mis en évidence une période d’exploitation très ancienne comprise entre 2580 et 2340 a.C.5
Ces résultats permettent de situer la mine de cuivre de Causiat à la naissance de l’activité minière en Europe occidentale. Ces vestiges constituent en outre les premiers témoins d’une activité minière dans la chaîne des Pyrénées au milieu du IIIe millénaire a.C.
Du mobilier archéologique a été mis au jour dans les niveaux anciens : trois baguettes en bois de noisetier appointées à une extrémité (fig. 6) et un galet de grès gisaient sur le sol de la mine. Les nombreux impacts qui marquent la surface du galet indiquent qu’il s’agit d’un outil percuteur, vraisemblablement utilisé pour l’abattage de la roche.
Perspectives de recherche
En premier lieu, il n’est pas encore possible de déterminer l’ampleur et l’étendue des travaux du Néolithique final et plusieurs secteurs encore non explorés peuvent recéler des travaux miniers anciens.
À l’affleurement, le filon a facilité les dissolutions du calcaire et la formation de fissures karstiques. Ces fissures, aujourd’hui encombrées par des blocs et des éboulis calcaires, ont pu faire l’objet d’une exploitation minière précoce.
À la base des travaux modernes, au toit et au mur du filon, les éboulis calcaires peuvent masquer des travaux anciens que l’exploitation du XVIIIe siècle a peut-être recoupés dans les parties basses du filon.
L’existence de travaux anciens est enfin envisageable plus en amont sur le filon ainsi que sur des minéralisations voisines, sur le versant espagnol à Sainte-Christine ou sur le versant français, plus en aval.
En second lieu, l’existence d’une zone dédiée au traitement métallurgique du minerai est tout à fait plausible dans l’environnement immédiat des travaux extractifs. Un tel cas de figure a par exemple été observé sur le site chalcolithique des Clausis à Saint-Véran dans les Alpes6 : un atelier de traitement du minerai y a été découvert au pied de la mine de cuivre d’époque chalcolithique. Il convient donc de localiser d’éventuels ateliers métallurgiques dans le voisinage des travaux extractifs de Causiat.
Conclusion
La mine de Causiat témoigne d’une extraction de minerai de cuivre en vallée d’Aspe dès la fin du Néolithique. Outre son intérêt historique à l’échelle régionale, cette découverte contribue à une meilleure connaissance du démarrage de l’activité minière en Europe occidentale.
Au cœur des multiples problématiques qu’éveille le site, trois axes de recherche fondamentaux se dégagent :
- le premier concerne la caractérisation des méthodes et des techniques d’extraction et de transformation du minerai de cuivre par les premiers mineurs-métallurgistes pyrénéens ;
- le deuxième concerne la diffusion de cette production métallique précoce ;
- le troisième, enfin, vise à restituer la place de la métallurgie du cuivre dans le système d’exploitation des espaces montagnards pyrénéens à la fin de la Préhistoire.
Bibliographie
- Barge, H., Ancel, B., Rostan, P., Guendon, J.-L. (1998) : “La mine des Clausis à Saint-Véran : exploitation et aire de réduction du minerai de cuivre protohistorique”, in : Mordant, C., Pernot, M., Rychner, V. dir. : L’atelier du bronzier en Europe. T. II : Du minerai au métal, du métal à l’objet, Paris, 71-82.
- Beyrie, A. (2010) : “La mine du Somport, une mine de cuivre exploitée au IIIe millénaire avant J.-C.”, in : Mistrot, dir. : De Néandertal à l’homme moderne, l’Aquitaine préhistorique, vingt ans de découvertes, Bordeaux, 216-219.
- Beyrie, A., Kammenthaler, E. (2008) : “Aux origines de l’activité minière dans les Pyrénées occidentales. L’exploitation du cuivre, du fer, de l’or et de l’argent”, Archéopages, 22, 28-33.
- Dietrich, F. Baron de (1786) : Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées, Paris-Genève.
- Galabert, L. (1831) : Carte minéralogique des Pyrénées dressée à l’échelle 1/420 000.
- Hellot, J. (1764) : État des mines du Royaume, Paris.
- Kammenthaler, E., Beyrie, A. (2007) : Activités proto-industrielles et industrielles dans le haut Béarn. État de la recherche en archéologie minière et métallurgique, Rapport de prospection thématique, IKER Archéologie, SRA Aquitaine.
- Palassou, M. (1784) : Essai sur la minéralogie des Monts-Pyrénées, Paris.
- Sément, E., Vié, G. (1973) : “Les minéralisations et les anciennes mines de la vallée d’Aspe”, Le génie civil, 158-160.
Notes
- Dynamiques Sociales, Spatiales et Environnementales dans les Pyrénées centrales – 2006-2008 (coord. C. Rendu et D. Galop).
- Découverte en 2006 dans le cadre d’une campagne de prospection menée dans la zone du Parc National des Pyrénées, la mine de cuivre du Causiat a été fouillée en 2014 (Resp. A. Beyrie, Programme triennal 2014-2016) : Kammenthaler & Beyrie 2007, 18-30 ; Beyrie & Kammenthaler 2008 ; Beyrie 2010.
- La mine de Sainte-Christine, relativement importante, comporte plusieurs chantiers d’exploitation modernes répartis sur plusieurs minéralisations distinctes. Elle n’a pas fait l’objet d’une prospection systématique.
- Dietrich 1786, 416-418 ; Hellot 1764, 49-51 ; Palassou 1784, 74.
- Datation Poz-22856 : 3970±35 BP.
- Barge et al. 1998.