UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Se je vous raiembroie, voldriés le vous ?
Les réclusions de Lancelot dans le Lancelot-Graal : l’enfermement carcéral aristocratique au prisme de la littérature fictionnelle du XIIIe s.

par

Introduction

Dans son prologue de la Chanson des Saisnes composé à la fin du XIIe s., Jehan Bodel écrit qu’il existe trois matières littéraires :

Ne sont que .III. matieeres a nul home antandant :
De France et de Bretaigne et de Rome la grant ;
Et de cez .III. matieres n’i a nule samblant.
Li conte de Bretaigne sont si vain et plaisant,
Cil de Rome sont sage et de san aprenant,
Cil de France de voir chascun jor aparant1.

À en croire le célébrissime trouvère, toute étude fondée sur les histoires de la Matière de Bretagne serait une gageure puisqu’il les qualifie d’inconsistantes. Il est vrai que dès les premiers récits appelés à devenir le socle de la Matière de Bretagne, on y a vu que des “fables”. “Tout le monde était séduit, mais personne n’y croyait. Plus important, personne ne prétendait y croire, alors que personne ne mettait officiellement en doute la véracité de la matière antique”2.

Toutefois, si tout roman est une fiction, il s’agit cependant d’une fiction où l’imagination s’abreuve aux sources de la réalité qu’elle transpose et transfigure. La critique a distingué deux catégories de romans : le roman-évasion3 et le roman-miroir4. Les romans arthuriens appartiennent à la première catégorie, c’est-à-dire à celle qui est la plus éloignée des réalités séculaires :

L’intrigue progressera de sortilèges en enchantements, dans un monde où se côtoient les fées, les nains méchants ou courtois et des géants invincibles pour tout autre que pour le héros hors de pair, chevalier de la Table Ronde, ami du roi Arthur. L’imagination des auteurs s’étourdira à multiplier situations et aventures extravagantes, et celles des lecteurs, au sortir de la dure réalité, se plongera avec délices dans ces fantasmagories5.

Ainsi, les histoires de la Matière de Bretagne seraient de pures fantasmagories. Il serait vain d’y chercher des éléments juridiques et historiques crédibles et exploitables. Cependant, il ne faut pas tracer entre ces deux genres de roman une démarcation trop absolue : le roman-évasion est toujours par certains côtés roman-miroir puisque c’est toujours dans la réalité qu’il puise la substance de ses merveilles : c’est ce que Roland Barthes a appelé “l’effet du réel”. Ce concept permet de justifier la présence d’éléments descriptifs qui semblent dénués de valeur fonctionnelle. Selon l’auteur, “l’effet du réel” n’a d’autre fonction dans l’intrigue que d’affirmer la contiguïté entre le texte et le monde réel ; c’est un élément dont la fonction est de donner au lecteur l’impression que le texte décrit le monde réel6. Ainsi, même dans les romans bretons, les auteurs ont prêté volontairement à leurs personnages les mœurs, les normes sociojuridiques, la psychologie et la religion de leurs contemporains7, mais en organisant la société fictionnelle sur les principes de la courtoisie8. À ce titre, le couple courtois idéal était composé d’une dame et d’un chevalier qui devait démontrer à celle-ci la force de son amour en multipliant les prouesses de nature chevaleresque, c’est-à-dire en augmentant sa propre valeur, et sa propre réputation. L’amour apparaît donc comme un perfectionnement concret de l’individu.

À ce premier pilier substantiel s’ajoute un second avec lequel il est intimement lié : l’honneur qui occupe une position centrale dans l’idéologie chevaleresque. Or, il n’est guère possible de conserver cet honneur comme on le ferait d’un bien matériel, en le thésaurisant9 : il faut l’accroître par des actions glorieuses qui sont dictées, dans les romans courtois, par l’amour de la dame. Dès lors, honneur et amour courtois apparaissent comme les deux pierres angulaires sur lesquelles les sociétés courtoises reposent. Mais l’honneur n’est-il pas également le principal enjeu de la société médiévale ?10 La fiction fait donc partie, en quelque sorte, du réel qu’elle contribue à construire et à informer dans une sorte d’aller-retour perpétuel, témoignant d’une hybridation féconde entre la fiction et la réalité11. Piliers romanesques et “ordre public” médiéval possèdent donc des caractéristiques communes. Compris ainsi, rien ne s’oppose à ce que l’historien puisse interroger la littérature courtoise, plus particulièrement les récits de la Matière de Bretagne, avec ses propres méthodes et ses propres questions, en la considérant comme une source : “document de l’imaginaire”, le texte littéraire se fait “document d’histoire totale […] pour peu qu’on sache y démêler les relations compliquées de la société, de la littérature et des pouvoirs”12.

Le vaste cycle romanesque de la Vulgate-Graal, écrit en prose entre 1215 et 1235 et conservé dans de très nombreux manuscrits, est composé de cinq branches de longueur inégale à savoir : l’Estoire del Saint Graal, l’Estoire de Merlin, la Queste del Saint Graal, la Mort le Roi Artu et le Lancelot qui occupe à lui seul la moitié de l’ensemble. Lancelot passe pour être un modèle de chevalier ainsi que l’archétype du héros courtois, se dévouant entièrement au service de sa dame, la reine Guenièvre, l’épouse du roi Arthur, son suzerain. Pour l’amour de celle-ci, il réalise des exploits héroïques, mais subit aussi de nombreuses souffrances voire humiliations. Lors de ses aventures, Lancelot est notamment confronté aux affres du système carcéral. Malgré la présence indiscutable de motifs littéraires liés aux enjeux idéologiques ou narratifs de l’œuvre, ces épisodes offrent néanmoins un panorama signifiant sur les représentations littéraires des prisons et permettent d’interroger les réalités historiques de l’enfermement au XIIIe s.

Les incarcérations judiciaires de Lancelot :
quand le droit est source du romanesque

L’une des premières incarcérations signifiantes de Lancelot est ordonnée par la dame de Malehaut dans La Marche de Gaule pour le meurtre du fils du sénéchal de cette dernière. En effet, celui-ci a été empêché par sa victime de traverser une chaussée au motif qu’elle haïssait les chevaliers appartenant à la maison du roi Arthur13 car l’un d’entre eux, qui n’est autre que Lancelot, a tué un de ses parents14. En vertu des obligations inhérentes à la solidarité familiale, les enfants, neveux ou proches parents se doivent de venger leur lignager comme il est par exemple indiqué dans Li livres de Jostice et de Plet, traité juridique anonyme datant de la fin du XIIIe s15. Toutefois, La Marche de Gaule ne présente pas les rouages d’une vengeance familiale. En effet, dès qu’il franchit les portes de la cité d’où était originaire le chevalier de la chaussée, Lancelot est attaqué par quarante assaillants anonymes, des bourgeois qui s’apprêtent à le tuer. Ils sont arrêtés dans leur action par la dame de Malehaut qui demande au chevalier d’Arthur de se rendre, puis l’emprisonne chez elle. On apprend un peu plus tard dans le texte qu’elle est le seigneur de la ville16.

Au XIIIe s., le pouvoir du seigneur justicier s’exerçait sur ses vassaux et sur tous ceux qui résidaient sur ses terres. Lancelot ayant tué le fils du sénéchal du seigneur local, le droit de seigneur justicier trouve à s’exercer. L’incarcération de Lancelot est donc décidée dans le cadre d’une juridiction laïque seigneuriale. Il est retenu dans une geôle qui :

estoit de pierre, si estoit lee par desous et par desus graille ; si avait .ii. toises en tous sens, et ert halte tresc’a la couverture de la sale. Et en chascune quarrure de la gaiole avoit .ii. fenestres de voirre, si cleres que cil qui estoient dedens pooient bien veoir tous ciaus qui entraient en la sale. Moult estoit bele la gaiole, et si estoit bien close de pronnes de fer hautes et fors : si pooit aler li chevaliers dedens tant com une chaine durait qui estoit fermee a ses aniaus17.

Comme l’écrit R. Telliez, plus de la moitié des geôles médiévales se situaient dans des tours, des châteaux ou dans des bâtiments souvent contigus aux lieux de pouvoir18, à l’image de la prison de Lancelot qui est située au fond de la grande salle dans le château seigneurial. Or, cet endroit était classiquement le lieu requis pour rendre des décisions de justice et dans lequel étaient organisées les cérémonies officielles comme les adoubements ou les mariages, en résumé un lieu de pouvoir. Par ailleurs, le texte indique que le protégé de la dame du Lac se trouve enchaîné au mur. Autrement dit, il est mis aux fers, c’est-à-dire attaché à l’aide de chaînes enserrant une partie de son corps (cheville, cou) pour éviter qu’il ne s’échappe comme c’était la règle en matière criminelle19.

Les éléments textuels suggéreraient donc que la détention pour meurtre de Lancelot se fasse dans le cadre d’une prison seigneuriale fermée. Ainsi que l’explique A. Porteau-Bitker : “Le principe de la détention des grands criminels en ‘prison fermée’ semble […] être un principe général”20. À l’appui de sa démonstration, l’auteur mentionne la Summa de Legibus Normanniae (1230-1250)21 et Les Établissements de Saint Louis, compilation juridique composée dans les années 127022. Toutefois, la dame de Malehaut procède à l’élargissement momentané de Lancelot et lui permet de participer à une bataille opposant les armées de Galehaut et celles d’Arthur, en lui faisant prêter serment23. Ce procédé est conforme avec l’esprit juridique du XIIIs. En effet, les autorités judiciaires exprimaient une certaine répugnance à l’emprisonnement même dans des cas où l’incarcération était pourtant prévue. Ainsi, “au Moyen Âge […] compte tenu d’une telle politique, la plupart des prisonniers [étaient] des ‘prisonniers sur parole’, tenus seulement de se présenter devant le juge au jour fixé”24.

Par conséquent, la fiction semble corroborer les pratiques juridiques contemporaines : la procédure décrite par le Lancelot-Graal correspondrait à emprisonnement préventif où Lancelot serait dans l’attente de son jugement pour meurtre. Or, le récit ne présente jamais cette phase judiciaire. En effet, au bout d’un an et demi d’incarcération, la dame de Malehaut propose à Lancelot de le libérer contre le paiement d’une rançon et lui promet de lui fournir un équipement lorsqu’il sortira25. Cependant, elle exige qu’il reste incarcéré jusqu’à la tenue de l’assemblée qui se déroulera lors d’une rencontre militaire entre les troupes d’Arthur et celles de Galehaut26. En tant que vassale d’Arthur, roi de Logres, celle-ci doit l’auxilium à son seigneur en lui apportant un soutien militaire. Même si les vassaux sont réunis en vertu de cette obligation, rien n’interdit que le roi en profite pour leur soumettre des sujets relevant du devoir de consilium27. Lancelot étant un chevalier d’Arthur qui a porté atteinte aux intérêts d’une vassale directe du roi, il aurait vocation à être jugé par la curia regis réunie à l’occasion de cette assemblée. Mais une nouvelle fois, nous ne possédons aucune description d’un tel jugement.

L’autre hypothèse est que l’incarcération n’a pas lieu dans le cadre d’une prison préventive, mais dans celui d’un emprisonnement infligé au titre d’une sanction pénale. En effet, après que Lancelot a tué le chevalier de la chaussée, le récit se poursuit ainsi :

Lors les ont ataint doi esquier dont li uns portait l’escu au chevalier et li autres le hiaume, si s’em passent par delés le chevalier sans dire mot, et s’en vont les grans galos. Et li chevaliers oirre entre lui et la pucele vers la cité. Et quant il vint devant la porte, si leva uns moult grans cris : se li vinrent a l’encontre que chevalier que ser gant plus de .XL. et li laissent courre tout ensamble, et couvrent de lor lances et lui et son cheval si que il portent a terre et l’un et l’autre, si ont le cheval mort. Et il est remés a pié, si se desfent moult durement de s’espee : si lor decope lor glaives et lor ocist lor chevaus. Mais quant il voit qu’il ne porra durer, si se lance sor le degré d’une fort maison qui illoc estoit, et la se desfent tant com il pot, et tant que la dame de la vile i est venue. Et il l’avaient ja tenu si court que il l’avaient mis as jenous par .III. fois28.

Suivant la tradition franque, la procédure féodale avait organisé une méthode formaliste pour conserver au fait le caractère de flagrant délit pendant un certain temps après son accomplissement : c’était la poursuite avec la clameur de haro29. Philippe de Beaumanoir dans les Coutumes de Beauvaisis, recueil juridique composé à la fin du XIIIs., parle également de “cri”30. Or, l’extrait susmentionné semble décrire une telle procédure. Lancelot a tué le chevalier de la chaussée en flagrant délit et les écuyers qui portent l’écu et le heaume de ce dernier peuvent témoigner de la scène. À l’arrivée du meurtrier dans la ville de la victime, la clameur s’élève pour l’arrêter et ce serait la raison pour laquelle quarante personnes tentent de se saisir de lui31. En présence d’un flagrant délit, il n’était en effet pas nécessaire qu’il y ait un accusateur. Le justicier, entouré de ses hommes, à qui on menait l’individu pris sur le fait, devait juger immédiatement devant la foule. La dame de Malehaut ne procède-t-elle pas selon cette règle en emprisonnant directement le chevalier d’Arthur ? Dès lors, l’incarcération serait bien une sanction infligée à titre principal.

Même si l’emprisonnement pénal comme peine principale pour des crimes n’était pas la règle, la pratique judiciaire démontre cependant que de telles décisions pouvaient être décidées exceptionnellement32, la qualité du délinquant, celle de la victime et les circonstances du crime étant toujours prises en considération dans le prononcé de la peine. Or, Lancelot a tué le chevalier de la chaussée en état de légitime défense, reconnu au Moyen Âge comme une condition essentielle d’atténuation du crime. Philippe de Beaumanoir l’explique fort bien quand il s’efforce de définir ce qu’est le meurtre : en cas de péril de mort, le recours à l’ultime violence pour éviter sa propre mort est toléré33. Par conséquent, si en se défendant, on commet un meurtre, on ne doit pas subir les poursuites34. Ainsi, du point de vue de la théorie pénale, Lancelot aurait dû échapper à la sanction. Toutefois, ce serait oublier qu’il s’agit du deuxième membre du même lignage que le héros tue et que ce sont des parents d’un officier seigneurial. Dès lors, la sanction s’impose à la fois pour empêcher que naissent une guerre privée ou une faide familiale et afin de préserver la paix, en condamnant un crime portant atteinte à un familier du seigneur, membre de sa “maisnie”. Néanmoins, plutôt que la peine capitale, la dame de Malehaut choisit la prison comme peine de substitution en raison de l’état de légitime défense.

Dans la suite de l’histoire du Lancelot-Graal, Lancelot est incarcéré à de nombreuses reprises. À ce titre, il est emprisonné deux fois dans les geôles de la fée Morgain, la demi-sœur du roi Arthur, pour différents motifs. Le premier emprisonnement fait suite à la destruction des enchantements du Val sans retour, appelé encore le Val des faux amants. La fée enlève Lancelot car elle le soupçonne d’aimer Guenièvre35 et désire se venger de cette dernière36. Pour se saisir de l’amant de la reine, elle lui passe un anneau au doigt qui le maintint endormi et “si l’avalèrent en une charte profonde”37 située dans un refuge appartenant à Morgain au fond d’une forêt :

Or dist li contes que quant Morgue en ot mené Lanselot, ensi com li contes a devisé, si le fist avaler en un lieu parfont et noir, qui moult estoit bien tailliés a estre chartre anoiouse. Quant Lanselos i fu avalés, se li furent les mains et li pié loiié tout en dormant ; et lors li fu li aniaus ostés que Morgue li avoir mis el doit pour tenir dormir. Et quant il s’esveilla, si se vit en cel liu qui si estoit hidous, sien fu moult esbahis38.

Contrairement à l’épisode de l’emprisonnement chez la dame de Malehaut, cette geôle est des plus sommaires : ce puits rappelle l’aspect général des fosses qui, historiquement, servaient souvent de cachots au Moyen Âge. Elles se caractérisaient par leur étroitesse, mais surtout par leur hauteur et leur absence d’ouverture. L’accès se faisait en général par un oculus sommital, fermé d’une trappe ou d’une grille, par où l’on descendait le prisonnier, puis sa nourriture, à l’aide d’une corde ou d’une échelle39. Le texte insiste sur l’aspect lugubre40 du lieu auquel renvoient les adjectifs “anoiouse”, “hifous” et “parfont” qui mettent en évidence un manque de clarté41.

Morgain, à l’image de la dame de Malehaut, lui propose rapidement d’élargir sa prison afin de lui permettre d’achever la quête de Gauvain s’il promet de réintégrer sa geôle une fois l’aventure terminée. La fée émet cependant une condition : il doit lui avouer l’identité de l’élue de son cœur. Devant le refus catégorique de Lancelot, elle modifie la condition en proposant de lui remettre comme gage l’anneau confié par la reine. Elle se voit opposer une nouvelle fin de non-recevoir et, finalement, accepte de le laisser partir car il engage sa parole à revenir se constituer prisonnier42. La demande de Morgain de lui laisser son anneau en gage rappelle la pratique du cautionnement dans le cadre d’une détention préventive : la mise en liberté s’effectuait en moyennant un cautionnement réel (d’une valeur conséquente) ou personnel (la remise d’otages). Pourtant, Morgain déclare à Lancelot qu’elle le retient, non pas en réparation d’une quelconque offense, mais parce que c’est sa volonté43. Il ne s’agirait donc pas de prime abord d’une incarcération prévue dans le cadre d’une procédure pénale. Cependant, ce serait omettre le contexte diégétique. En réalité, Morgane suspecte Lancelot d’entretenir une relation avec Guenièvre qui n’est autre que l’épouse légitime de son seigneur. Or, ainsi qu’il était mentionné dans les Établissements de Saint Louis, cette faute était constitutive du crime de trahison relevant de la connaissance du haut-justicier44, et c’est bien dans ce but que, lorsque Lancelot revient en sa prison, elle se saisit de l’anneau de la reine en endormant le chevalier une nouvelle fois45. Elle envoie une de ses suivantes à la cour du roi Arthur où cette dernière déclare que Lancelot “si se fist confés en oiant del vil pechié et de l’orible qu’il avait fait si com de son signour qu’il avait honni longement de sa feme46. Par ailleurs Lancelot aurait décidé de faire pénitence à la suite de son aveu et demandé à la jeune fille de venir à la cour pour dénoncer ses agissements et rendre son anneau à la reine. Dès lors, l’incarcération de Lancelot dans les “prisons morganiennes” doit être placée dans le cadre d’une procédure judiciaire pour trahison. Il s’agirait d’un emprisonnement préventif dans l’attente du jugement du couple d’amants. Cependant, Arthur, ne croyant pas à la culpabilité de son épouse47, ne donne aucun crédit aux dires de la suivante de Morgain : il n’y aura donc aucun procès.

L’incarcération de Lancelot pour violation de l’“ordre public courtois” : quand le romanesque est source du droit

Arthur ayant refusé la tenue d’un procès pour trahison, le désir de vengeance de Morgain n’a pas pu être satisfait. Aussi, décide-t-elle de retenir le chevalier afin que “la roïne en eüst si grant pesance qu’ele em presist la mort48. Lancelot reste si longtemps emprisonné qu’il commence à perdre ses forces et son envie de vivre. Nous constatons qu’à chacun de ses emprisonnements, le chevalier est incarcéré sur de longues périodes : un an et demi dans les geôles de la dame de Malehaut, plus d’un an et demi lors de son premier emprisonnement dans les “prisons morganiennes” et deux ans et demi lors du second, soit presque six ans de sa vie. Or, ces durées apparaissent relativement longues par rapport aux réalités historiques si on considère le temps d’emprisonnements dans les prisons laïques49.

Au détour d’un vers, nous apprenons que, dans le cadre de cette première incarcération, le chevalier détenu par Morgain a changé de prison : il est dorénavant retenu dans “une des plus beles chambres del monde et des plus delitables. Et dès lors en avant ne fu nule chose el monde qu’il n’eüst a mengier50. Si le texte ne précise pas expressément l’emplacement de cette nouvelle geôle, l’auteur insiste néanmoins sur l’abondance de nourriture. Cette profusion des aliments doit être mise en relation avec le rang social de Lancelot. En effet, si historiquement, les rations alimentaires dévolues aux détenus ordinaires étaient très faibles, les plus fortunés d’entre eux avaient la possibilité d’être accueillis à “la table“ des geôliers contre paiement, c’est-à-dire que ces derniers devaient fournir de la viande et du vin aux prisonniers solvables51. Dans le cas de l’emprisonnement de Lancelot, Morgain va bien au-delà de cette obligation en lui proposant une très grande variété de mets et en grande quantité.

Finalement, en raison du mauvais état de santé de Lancelot, Morgain consent à le libérer à la condition qu’il ne se retrouve “d’ici à Noël dans aucun lieu où se trouve la reine Guenièvre”52. Cette disposition est présentée comme une rançon53. Le protégé de la dame du Lac s’y engage. Il sort de prison et respecte sa parole en errant dans le pays54.

Cette deuxième phase de l’incarcération de Lancelot dans les geôles de Morgain s’éloigne des réalités historico-judiciaires au niveau de la justification de l’enfermement : la demi-sœur du roi Arthur retient prisonnier l’amant de la reine afin que celle-ci en meure de chagrin. Le romanesque prend le pas sur “l’effet du réel” et cette dynamique trouve son point culminant avec le second emprisonnement du chevalier par la fée.

Dans la partie suivante du Lancelot-Graal, la fée missionne douze jeunes filles à travers le monde pour retrouver Lancelot et le conduire jusqu’à son manoir sous un prétexte mensonger, afin de l’enfermer une nouvelle fois55. Morgain lui administre à son insu une poudre le paralysant dans un sommeil profond56. Elle le place alors :

Lors fait prendre Lanselot et le fait porter en une chambre forte et grans et large qui avoit bien .X. toises de lé et .XXX. de lonc eti avoit fenestres de fer qui ovroient devers un garding et i fist faire une couche autresi riche conme se li rois Artus i deüst couchier. Et dist que illoc gerroit il tant com il vivrait. Et ele quidoit qu’il n’en deüst jamais issir57.

Ce nouvel espace d’incarcération possède de grandes similitudes avec le lieu d’enfermement précédent, mais l’auteur fournit plus détails : il s’agit d’une chambre de dix toises de large et trente de haut, c’est-à-dire environ seize mètres de large et quarante-cinq mètres de haut, cette taille étant exagérée par rapport aux réalités architecturales contemporaines58. En fait, le lieu reçoit la dénomination de prison uniquement en raison de la présence des barreaux à la fenêtre. Cette description romanesque d’une prison de grandes dimensions (où la nourriture est certainement abondante comme lors de l’incarcération précédente) est typique de l’univers courtois où la largesse, conçue comme un comportement de classe, est au cœur du système de valeurs59. La dimension de cette prison peut également faire référence au principe général de la séparation des prisonniers en fonction de leur rang social. En effet, les geôliers devaient loger les prisonniers selon leur état. À ce titre, nous savons que certaines prisons comportaient une geôle spéciale pour les chevaliers60. Dès lors, la première incarcération dans un puits, où Lancelot reste très peu de temps, peut être analysée comme un moyen de pression pour le faire céder rapidement, le cadre de la prison ne correspondant pas à sa condition sociale.

De plus, les motivations de ce nouvel emprisonnement ont évolué : la conduite de Morgain n’est plus dictée par le désir de vengeance mais par l’amour. En effet, la demi-sœur d’Arthur est tombée amoureuse du protégé de la dame du Lac. Elle le garde prisonnier parce qu’elle espère le “mater à force d’ennui”61. C’est à l’occasion de ce séjour qu’il peint une fresque murale où il révèle son péché avec Guenièvre62. Malgré tous les stratagèmes de Morgain pour le retenir, Lancelot finit par retrouver ses esprits, casse les barreaux de sa chambre à mains nues, s’arme et s’enfuit63.

Selon M. White-Le Goff, Morgain manifeste explicitement une volonté, non seulement de séduire son bien-aimé, mais aussi de nuire à la société. Elle analyse l’emprisonnement de Lancelot sous l’angle du rapt qui représenterait une remise en question du fonctionnement social : les fées s’en prennent en général à des héros, rois ou preux chevaliers, qui manquent cruellement au monde auquel ils sont soustraits. En emprisonnant le protégé de la dame du Lac, la demi-sœur du roi contesterait l’ordre et le pouvoir de la société arthurienne, même si le rapt féerique s’avère finalement être au service d’une glorification de l’ordre courtois64.

En réalité, toutes les “incarcérations morganiennes” de Lancelot sont substantiellement de nature pénale car elles sanctionnent le comportement déviant de celui-ci par rapport au pilier fondamental de la courtoisie : l’amour du chevalier pour sa dame. À ce titre, Morgain apparaît comme la protectrice de cette composante de l’“ordre public” arthurien, n’hésitant pas à punir les contrevenants. Pour en avoir la confirmation, il suffit de rappeler en quoi consistait l’enchantement du Val sans retour : “Li Vals sans Retour avoit il a non pour ce que nus qui i entroit n’en rissoit, et i avoit non Li Vals as Fols Amans pour ce que tout li chevalier i remanoient, qui avoient falsé vers lots amies de quel mesfait que ce fust, nis de penser65. L’enchantement joue uniquement à l’égard des chevaliers qui ont trahi l’amour juré à leur dame. De plus, par cet acte de trahison, leur honneur était également remis en cause. Tous les hommes contrevenant aux règles de la courtoisie méritent d’être punis et l’enfermement dans le Val sans retour possède tous les aspects d’un emprisonnement. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur les raisons d’incarcération de Lancelot, lui qui a pourtant triomphé des enchantements du Val. Idéalement, l’amour courtois se voulait être un amour platonique : c’était l’amor purus. Or Lancelot a consommé charnellement l’adultère avec Guenièvre bien avant l’épisode du Val sans retour66. Ce faisant, même si l’amor mixtus était parfois reconnu67, ce passage à l’acte viole “l’ordre public” des romans arthuriens et doit être sanctionné. Ainsi, loin de contester l’ordre de la société arthurienne, Morgain apparaît en réalité comme étant son principal défenseur : elle punit les comportements déviants tout en réaffirmant les principes de la courtoisie qui commencent leur lente délitation.

Conclusion

En définitive, que peut-on déduire des incarcérations de Lancelot dans le récit du Lancelot-Graal ? Au niveau de la description des prisons, la fiction semble fidèle par de nombreux aspects aux descriptions établies par les historiens, et ce, malgré quelques exagérations typiques de l’idéologie courtoise. Conformément à la ségrégation sociale en vigueur dans le monde carcéral de l’époque, le chevalier est de préférence placé dans des geôles éclairées et spacieuses où il mange correctement et ne souffre pas de mauvais traitements. En cela, les conditions d’incarcérations de Lancelot se rapprochent plus de celles d’un otage offert en caution plutôt que de celles d’un prisonnier de droit commun.

En revanche, la nature de l’emprisonnement arthurien s’éloigne des réalités historico-juridiques contemporaines afin d’exalter l’idéologie courtoise. Lancelot est emprisonné pour meurtre et libéré sans jamais être jugé (à moins qu’il exécute sa peine à la suite d’une procédure de haro), puis il est incarcéré à deux reprises dans les “geôles morganiennes”, passant du statut de traître à l’égard de son suzerain à celui d’un homme puni pour avoir refusé de se laisser séduire par sa geôlière. Nous ne sommes donc plus en présence de données exploitables sous l’angle de l’“effet du réel”, mais dans le cadre d’un motif littéraire conçu à des fins dramatiques et symboliques. En matière d’incarcération, l’“effet du réel” serait donc concurrencé par l’“idéalisation du réel”. Mais n’est-ce pas l’objectif de la nécessaire contextualisation préalable des œuvres littéraires servant à séparer le bon grain de l’ivraie ? Quand bien même l’emprisonnement du héros serait sublimé en raison de l’idéologie prônée par le texte, il n’en demeure pas moins que ses éléments fondamentaux restent définitivement insérés dans les carcans du réel du XIIIe s.

Sources éditées •••

  • Jehan Bodel, La Chanson des Saisnes (1989) : Jehan Bodel. La Chanson des Saisnes, éd. Brasseur, A. Genève.
  • Le Livre du Graal (2003) : Le Livre du Graal, 2, éd. Poirion, D. et Walter, P. Paris.
  • Le Livre du Graal (2009) : Le Livre du Graal, 3, éd. Poirion, D. et Walter, P. Paris.
  • Les Établissements de Saint Louis (1881) : Les Établissements de Saint Louis, 2, éd. Viollet, P. Paris.
  • Li livres de Jostice et de Plet (1850) : Li livres de Jostice et de Plet, éd. Chabaille, P. Paris.
  • Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis (1970) : Philippe de Beaumanoir. Coutumes de Beauvaisis, éd. Salmon, A. Paris.
  • Summa de Legibus Normannie (1896) : Summa de Legibus Normannie, 2, éd. Tardif, E.-J. Paris.

Bibliographie •••

  • Ambühl, R. (2013) : Prisoners of War in the Hundred Years War, Cambridge.
  • Barthes, R. (1968) : “L’effet du réel”, Communications, 11, 84-89.
  • Berthelot, A. (2005) : Le roman courtois : une introduction, Paris.
  • Boutet, D. et Strubel, A., dir. (1979) : Littérature, politique et société dans la fin du Moyen Âge, Paris.
  • Chauvaud, F. et Prétou, P., dir. (2013) : Clameur publique et émotions judiciaires, Rennes, [en ligne] https://books.openedition.org/pur/49036 [consulté le 20 déc. 2021].
  • Claustre, J., Heullant-Donat, I. et Lusset, É., dir. (2011) : Enfermements. Le cloître et la prison (VIe-XVIIIe s.), Paris, [en ligne] https://books.openedition.org/psorbonne/72874 [consulté le 20 déc. 2021].
  • Devard, J. (2015) : “La parenté médiévale au prisme de la féérie épique : la fiction comme nouveau territoire de l’histoire du droit (XIIe-XIIIe s.)”, Revue historique de droit français et étranger, 3, 445-469.
  • Flori, J. (2008) : Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Paris.
  • Foronda, F., Barralis, C. et Sère, B., dir. (2010) : Violences souveraines au Moyen Âge. Travaux d’une école historique, Paris.
  • Fourrier, A. (1960) : La courant réaliste dans le roman courtois en France au Moyen Âge, Paris.
  • Gauvard, C. (2002) : “Honneur”, in : Gauvard et al., dir. 2002, 687-689.
  • Gauvard, C. (2005) : Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris.
  • Gauvard, C., Libera, A. de et Zink, M., dir. (2002) : Dictionnaire du Moyen Âge, Paris.
  • Gonthier, N. (1998) : Le châtiment du crime au Moyen Âge, Rennes.
  • Haugeard, P. (2013) : Ruses médiévales de la générosité, Paris.
  • Jacob, R. (2002) : “Serment”, in : Gauvard et al., dir. 2002, 1327-1328.
  • Kouamé, T. (2010) : “Légitime défense du corps et légitime défense des biens chez les Glossateurs (XIIe-XIIIe s.)”, in : Foronda et al., dir. 2010, 19-27.
  • Le Goff, J. (1979) : “Préface”, in : Boutet & Strubel, dir. 1979, 9-18.
  • Menegaldo, S. et Fritz, J.-M., dir. (2012) : Réalités, images, écritures de la prison au Moyen Âge, Dijon.
  • Porteau-Bitker, A. (1968) : “L’emprisonnement dans le droit laïque du Moyen Âge”, Revue historique de droit français et étranger, 46, 211-245.
  • Prétou, P. (2013) : “Introduction. Élément pour une histoire de la clameur publique”, in : Chauvaud & Prétou, dir. 2013, 9-26, [en ligne] https://books.openedition.org/pur/49040 [consulté le 20 déc. 2021].
  • Rieger, D. (2009) : Guenièvre reine de Logres, dame courtoise, femme adultère, Paris.
  • Telliez, R. (2011) : “Geôles, fosses, cachots… Lieux carcéraux et conditions matérielles de l’emprisonnement en France à la fin du Moyen Âge”, in : Claustre et al., dir. 2011, 169-182, [en ligne] https://books.openedition.org/psorbonne/72994 [consulté le 20 déc. 2021].
  • Vickermann-Ribémont, G. et White-Le Goff, M., dir. (2014) : Rapts. Réalités et imaginaire du Moyen Âge aux Lumières, Paris.
  • White-Le Goff, M. (2014) : “Le rapt féérique. Motivations et enjeux d’un motif”, in : Vickermann-Ribémont & White-Le Goff, dir. 2014, 71-85.
  • Zink, M. (1992) : Littérature française du Moyen Âge, Paris.

Notes •••

  1. Jehan Bodel, La Chanson des Saisnes, éd. Brasseur 1989, v. 6-11.
  2. Zink 1992, 138.
  3. C’est-à-dire le roman qui nous fait oublier notre propre situation et qui nous éloigne de nous-même.
  4. C’est-à-dire le roman qui nous ramène à nous-mêmes, qui nous peint notre propre vie.
  5. Fourrier 1960, 12-13.
  6. Barthes 1968, 84-89.
  7. Ibid., 13.
  8. Berthelot 2005.
  9. Flori 2008, 263-264.
  10. Gauvard 2005, 15.
  11. Devard 2015, 445-469.
  12. Le Goff 1979.
  13. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, La Marche de Gaule, § 476-477.
  14. Ibid., §. 452.
  15. Li livres de Jostice et de Plet, éd. Chabaille 1850, Lib. XIX, XLV, § 1 : L’en demande qu’en dit droiz ? Et l’en respont : Comme tex homme com li morz ait enfant, ou nevoz ou paranz pruchiens, et aient poer de vengier leur ami.
  16. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, La Marche de Gaule, § 485 : Pres d’illoc ert la cités de Maloaut ; et cele cités estoit a une dame qui avoit eü signour, mais il ert mors : si en avoit eü enfans. Et moult ert bone dame et sage et moult ert proisie et amee de tous ciaus qui le connoissoient.
  17. Ibid., § 478-479.
  18. Telliez 2011, 169-182.
  19. Ibid., 174.
  20. Porteau-Bitker 1968, 218.
  21. Summa de Legibus Normannie, éd. Tardif 1896, VI, 7 : Et notandum est quod per corpus nemo justiciandus est, nisi in casibus criminosis vel in quibus placitum spade fuerit.
  22. Les Établissements de Saint Louis, éd. Viollet 1881, 2, Livre II, § VIII, 343 : Recreance ne siet mie en chose jugiée, ne en murtre, ne en traïson, ne en rat, ne en encis, ne en agait de chemin ne en roberie, ne en larrecin, ne en omicide, ne en trive enfrainte ne en arson, selonc l’usage de la cort laie, car li plege si an porroient perdre ne vie ne mambre.
  23. Le serment promissoire était un moyen courant pour s’assurer du respect des obligations. En effet, celles-ci comportaient implicitement ou explicitement, une “automalédiction” conditionnelle, c’est-à-dire que, dans le cas d’une parole fausse, il appelait contre son auteur la sanction de Dieu, menace suprême dans la société christianisée du XIIe-XIIIe s. Voir Jacob 2002, 1327-1328z.
  24. Porteau-Bitker 1968, 223-224.
  25. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, La Marche de Gaule, § 525-526.
  26. Ibid., §.525 : Grans mercis, fait ele. Et je vous proi que vous remanés chaiens jusques a l’asamblee ; et je vous pourchacerai cheval et bones armes teles com vous les voldrés avoir. Si mouverés de ci a l’asamblee, et je vous ferai a savoir le jour qu’ele sera. – Dame, fait il, j’en ferai vostre volenté.
  27. Pendant de nombreuses années, la cour féodale, comme celle des seigneurs, n’avait pas de composition fixe, ni de siège, ni de périodicité déterminée : le seigneur jugeait où il se trouvait.
  28. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, La Marche de Gaule, § 478.
  29. Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. Salmon 1970, § 1571.
  30. Ibid., § 1187.
  31. Prétou 2013, 9-26.
  32. Porteau-Bitker 1968, 390.
  33. Gonthier 1998, 97.
  34. Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. Salmon 1970, § 888. On retrouve là une technique que la législation romaine avait entérinée sans en faire un principe généraliste. Voir Kouamé 2010, 19-27.
  35. Pour une étude sur ce personnage, voir Rieger 2009.
  36. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, Galehaut, § 298. Morgain s’est épris du neveu de Guenièvre prénommé Guiomar avec lequel elle entretient des relations sexuelles. Un jour, la reine les surprit et menaça son neveu de représailles royales s’il ne rompait pas avec la demi-sœur d’Arthur. Il l’abandonna enceinte et Morgain prit la décision de quitter la cour en nourrissant une haine féroce pour la reine.
  37. Ibid., § 301.
  38. Ibid., § 312.
  39. Ibid., § 312.
  40. M. Demaules, l’éditrice de Galehaut de notre édition de référence, a fait le choix de traduire “hidous” par l’adjectif “sinistre”.
  41. En effet, dans ce type de geôles, le manque de lumière et d’aération était souvent la source de maladie. Ibid., 178.
  42. Le respect de la parole donnée était sans conteste l’un des fondements de l’éthique chevaleresque. Elle témoigne de la puissante croissante du code d’honneur qui se mettait alors en place. Cette parole était solennelle mais dénuée de tout rituel religieux. Son respect n’engageait que la seule réputation de celui qui la prononçait. Elle se suffisait à elle-même. Voir Flori 2008, 172-174.
  43. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, Galehaut, § 312 : Je ne vos tieng pas, fait ele, pour chose que vous m’aiés mesfait, mais tele est ore ma volontés.
  44. Les Établissements de Saint Louis, éd. Viollet 1881, 2, Livre I, § LIV, 77-78 : Hom qui fait esquousse aà son seignor si pert ses muebles ; ou se il met main à son certain aloé  par mal respit, ou se il li  escout autresi ; ou se il desmant son seignor par mal respit ou se il a mise en fause mesure en sa terre ;  ou se il va defuiant son seignor par mal respit ; ou si il a peschié en ses estanz, au dessauü de lui ; ou se il li a amblé ses conins en ses garannes ; ou se il gist o sa fame, ou o sa fille, por coi ele soit pucele, il em pert  son fié,  por quoi il en soit provez.  Et droiz et costume s’i acorde.
  45. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, Galehaut, § 344-345.
  46. Ibid., § 347.
  47. Ibid., § 348.
  48. Ibid., § 353.
  49. Telliez 2010, 178 : “Quelle pouvait être, dans ces conditions, l’espérance de vie en prison ? Il est bien difficile de se prononcer tant la durée des séjours est variable : en schématisant à l’extrême, on peut dire que la plupart des prisonniers n’y restent que très peu de temps – parfois un seul jour – mais qu’un petit nombre y restent très longtemps. Des séjours de plusieurs années, quoique rares, sont bien attestés : deux ou trois ans d’emprisonnement avant jugement passent pour un scandale, mais un scandale assez répandu.”
  50. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, Galehaut, § 363.
  51. Telliez 2010, 179. 
  52. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, Galehaut, § 365.
  53. Ibid., § 364 : Voire, fait ele, se je vous raiembroie, voldriés le vous ? La référence à la rançon et la description du lieu de l’enfermement du protégé de la dame du Lac rappellent par bien des aspects la situation d’un otage qui, dans le cadre d’une caution réelle, devait être traité du mieux possible. Sur la condition des otages au Moyen Âge, voir Ambühl 2013.
  54. Ibid., § 382 : Or dist li contes que, quant Lanselos se fu partis de Sorelois et il fu fors de la terre, si fist doel chascun jour et menga petit et dormi, se li vuida la teste et forsena ; et fu en tel maniere tout l’esté et tout l’iver jusques au Noël et passa par toutes terres menant sa forsenerie. Aprés Noël avint que la Dame del Lac qui l’avait nourri le queroit.
  55. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2009, La seconde partie de la quête de Lancelot, § 411 : Ensi s’en vait Lanselos aprés la damoisele pour ce qu’il quide bien faire. Mais il fait son mal et son anoi, car la damoisele le traï, si l’en mena en la prison Morgain qui s’estoit herbergie en la forest et i avoit fait faire le plus fort manoir del monde. Car ele i quidoit bien Lanselot tenir a tous jours mais. Si avoit envoiié .xii. damoiseles par toutes terres pour querre Lanselot tant que unes d’eles l’eüst trouvé, et lor avoit dit qu’eles l’amenaissent en lieu d’aventure achiever. Si estoit cele une des .xii. qui en mena Lanselot.
  56. Ibid., § 413.
  57. Ibid., § 414.
  58. Telliez 2011, 172 : “Les dimensions des geôles varient naturellement en fonction de leur localisation […] Peu de textes fournissent des indications chiffrées, comme pour Rouen et Mortain où certaines geôles mesuraient 5 toises par 10 (plus de 8 m par 15) et 20 pieds par 30 (environ 7 m par 10). Ce sont là certainement les dimensions maximales de la plupart des geôles. Celles des tours, […], sont bien plus exiguës : 4 m de diamètre ou de côté à Villandraut ou Aigues-Mortes, mois de 3 m à Cambrai, 2 m à  Tournoël ou Folleville.”
  59. La largesse apparaît donc à la fois comme un comportement spécifiquement aristocratique et comme une vertu chevaleresque commandée par une éthique dans laquelle la générosité et la libéralité occupent une place privilégiée. Voir Haugeard 2013.
  60. Telliez 2011, 181.
  61. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2009, La seconde partie de la quête de Lancelot, § 417 : A une nuit vint Morgue laiens conme cele qui toutes les nuis i venoit si tost com il estoit endormis, car ele l’amoit tant conme feme puet plus amer home pour la gtant biauté de lui. Si estoit molt dolante de ce qu’il ne le voloit amer par amours. Car ele nel tenoit mie en prison pour haïne qu’ele eust a lui, mais vaincre le quidoit par anoi. Si l’en avoit ele maintes fois proiié mais il ne l’en voloit oïr.
  62. Un peu plus tard dans l’histoire, Arthur séjourne dans la demeure de Morgain et, voyant les fresques, comprend que sa femme l’a trompé avec Lancelot. Il décide de les faire surprendre en flagrant délit comme l’exigeait la procédure contemporaine en matière d’adultère (Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2009, La Mort du roi Arthur, § 71-78). Le flagrant délit est constitué mais, le roi trouvant la mort, la reine n’est jamais jugée.
  63. Ibid., § 426-427.
  64. White-Le Goff 2014, 71-85.
  65. Le Livre du Graal, éd. Poirion & Walter 2003, Galehaut, § 271.
  66. Ibid., La Marche de Gaule, § 873.
  67. Berthelot 2005.
ISBN html : 978-2-35613-413-4
Rechercher
Pessac
Article de colloque
EAN html : 9782356134134
ISBN html : 978-2-35613-413-4
ISBN pdf : 978-2-35613-414-1
ISSN : 2741-1818
Posté le 11/11/2021
11 p.
Code CLIL : 3385 ; 4117
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Devard, Jérôme (2021) : “Les réclusions dans Lancelot-Graal. L’enfermement carcéral aristocratique au prisme de la littérature fictionnelle du XIIIe siècle”, in : Charageat, Martine, Lusset, Élisabeth et Vivas, Mathieu, dir., Les espaces carcéraux au Moyen Âge, Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 15, 2021, 119-130 [en ligne] https://una-editions.fr/lancelot-graal-enfermement-carceral-aristocratique [consulté le 30 octobre 2021]
10.46608/primaluna15.9782356134134.7
Illustration de couverture • Montage à partir de
•Besançon, BM, ms. 148, fol. 182
•Chambéry, BM, ms.1, fol. 203v
•Tours, BM, ms. 52, fol. 2
•Avignon Bibliothèques (Ville d’Avignon), Dépôt de l’État, ms. 136, fol. 330v (Carole Baisson, Ausonius).
Retour en haut
Aller au contenu principal