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L’armée romaine, la Gaule, la Germanie • Introduction

Le camp légionnaire de Mirebeau. Photo R. Goguey.
Le camp légionnaire de Mirebeau. Photo R. Goguey.

Vers le milieu des années 70, je présentai, en Sorbonne, le résultat de mes premiers sondages sur le site d’Arlaines, près de Soissons, que je prétendais être un camp militaire romain et non pas une villa, suivant d’ailleurs en cela des hypothèses anciennes qu’on avait entre-temps oubliées. Le résultat fut immédiat : “Mon pauvre ami, vous ne pouvez pas avoir trouvé un camp militaire romain en France, on sait bien qu’il n’y en avait pas !” me déclara alors l’un des grands maîtres de l’archéologie française, fort du témoignage de Tacite (Histoires, 1.16) qui décrit la Gaule “sans armes” au moment de la révolte de Vindex, en 68 après J.-C. On disait au même moment, dans les milieux universitaires, que Mirebeau n’était pas une forteresse mais une “ville militaire”, concept vague, mal formulé et jusqu’alors inédit, qui servait surtout à affirmer que les vestiges retrouvés n’étaient pas, malgré les apparences, ceux d’un camp légionnaire. 

De semblables préjugés expliquent naturellement la désaffection que connaissent, dans notre pays, les études consacrées à l’armée romaine. Rares sont aujourd’hui les chercheurs français qui s’intéressent à ce sujet, supposé réservé à nos voisins étrangers, et ce n’est évidemment pas un hasard si, jusqu’à une époque toute récente, les manuels français sur ce thème ont totalement fait défaut. Aujourd’hui encore, l’étudiant qui veut se renseigner sur les frontières de l’Empire doit, le plus souvent, puiser dans des ouvrages rédigés en anglais ou en allemand. 

La Gaule romaine s’est pourtant trouvée, dès l’époque de la conquête, au cœur d’un impressionnant dispositif militaire qui a laissé dans notre sol des traces plus nombreuses qu’on ne le croit. Rien de plus normal : dans une civilisation qui ignorait le service public, le soldat était l’homme à tout faire, chargé non seulement de conquérir avant de protéger, mais aussi de bâtir et d’organiser. Des villes sont nées des camps ou à l’ombre de ceux-ci, les colonies ont été peuplées de vétérans, les routes ont été tracées par les légionnaires qui les empruntaient ensuite pour aller d’une frontière à l’autre. Pays riche et prospère, la Gaule a fourni à l’armée romaine des Germanies ses vivres et ses produits manufacturés, mais aussi ses hommes. À cette époque, d’ailleurs, point de rupture “culturelle” entre civils et militaires, car ces derniers revenaient volontiers s’installer dans leur patrie d’origine, où ils faisaient figure de notables, une fois démobilisés. 

À bien des égards, la Gaule vaincue n’est pas sans intérêt pour notre connaissance de l’armée du vainqueur : sans parler des fouilles d’Alésia, qui révèlent aujourd’hui des dispositifs défensifs totalement inédits dans la poliorcétique antique, l’étude des tombes militaires de Belgique ou du centre de la France, celle du recrutement des soldats gaulois dans l’armée romaine, la présence de forteresses à des points stratégiques pendant les périodes de crise sont autant de révélations qui éclairent d’un jour nouveau l’histoire ancienne de notre pays et ses rapports avec Rome”.

C’est en ces termes que j’introduisais, en 1996, un petit ouvrage de synthèse intitulé L’armée romaine en Gaule1Je venais de publier le dossier de Mirebeau avec R. Goguey2 et les fouilles d’Alésia étaient en cours. Deux ans plus tard, en 1998, je commencerais celle d’Oedenburg, qui, depuis lors, ont été publiées3. Ces trois chantiers successifs consacrés à des travaux militaires romains en Gaule ont naturellement fait évoluer sensiblement nos connaissances, mais ils ont aussi, mécaniquement, généré une série d’études complémentaires qui ont accompagné les travaux de terrain mais ne pouvaient trouver place dans les monographies. On citera en premier lieu une synthèse consacrée aux fortifications de la Gaule, entendue au sens large puisqu’elle englobe la frontière de Germanie. Ce travail de longue haleine, écrit grâce à la collaboration de nombreux collègues de différents pays européens, fait désormais office de “manuel” en France, mais son catalogue demanderait aujourd’hui une sérieuse révision, tant la recherche a évolué, notamment à l’extérieur des frontières françaises. Elle nécessiterait donc une nouvelle collaboration internationale de grande ampleur4. Mais il y eut aussi d’assez nombreux articles, dont quelques-uns sont réédités ici. On a conservé ceux qui illustrent l’armée romaine à l’époque républicaine (1718), l’apport des aristocrates Gaulois à la défense de l’Empire (n°19), la mise en défense du Rhin supérieur (n°20), les révoltes internes de 21 et de 68-70, autour des camps d’Arlaines et de Mirebeau (2123), l’histoire de la VIIIe légion (n°24), la présence des soldats dans la Gaule civile (n°25), l’essor précoce des cultes orientaux dans l’armée romaine (n°26). Deux stèles funéraires de Strasbourg et de Karlsruhe illustrent le transport militaire (n°27). Une seule étude porte sur la crise du IIIe siècle (n°28). On citera à mesure des besoins les articles qui ont été omis pour éviter les répétitions ou remplacés par une version actualisée. 

Dans cette section ne figurent pas les articles consacrés à Alésia, qu’on trouvera réunis plus loin, dans un dossier particulier. 

“Oedenburg, une agglomération romaine sur le Rhin Supérieur”, Le Salon noir, Épisode du mercredi 6 juin 2007 par Vincent Charpentier (©RadioFrance, consulté le 24/12/22).

“Rome, l’armée des bâtisseurs”, réalisé par Raphaël Rouyer, 2020 (©Imagissime, RMC Découverte, consulté le 24/12/22).

Notes

  1. M. Reddé (dir.), L’armée romaine en Gaule, Paris, 1996.
  2. R. Goguey, M. Reddé, Le camp légionnaire de Mirebeau, Monographien RGZM 36, Mayence, 1995.
  3. Oedenburg I = M. Reddé (dir.) : Oedenburg I. Fouilles françaises, allemandes et suisses à Biesheim et Kunheim, Haut-Rhin, France. Les camps militaires julio-claudiens. Monographien RGZM, 79-1, Mayence, 2009, 438 p. Oedenburg II = M. Reddé (dir.) : Oedenburg II. Fouilles françaises, allemandes et suisses à Biesheim et Kunheim, Haut-Rhin, France. L’agglomération civile. Monographien RGZM, 79-2, Mayence, 2012 (2 vol. 537 p. + 294 p. + pl. h.t. + CD). Oedenburg III = M. Reddé (dir.), Oedenburg IIIFouilles françaises, allemandes et suisses à Biesheim et Kunheim, Haut-Rhin, France. L’agglomération civile. Monographien RGZM, 79-3, Mayence, 2018, 542 p. Une synthèse de ces différentes recherches a été publiée dans M. Reddé, “Vingt années de recherches à Oedenburg : un bilan”, Gallia, 76-2, 2019, p. 15-44, non reproduit ici mais disponible en ligne sur le site web de la revue [en ligne] 10.4000/gallia.4917 [consulté le 25/08/22].
  4. M. Reddé, R. Brulet, R. Fellmann, J.K. Haalebos, S. von Schnurbein, L’architecture de la Gaule romaine. Les fortifications militaires, DAF 100, Paris-Bordeaux, 2006, [en ligne] https://books.openedition.org/editionsmsh/22093 [consulté le 25/08/22].
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EAN html : 9782356134899
ISBN html : 978-2-35613-489-9
ISBN pdf : 978-2-35613-490-5
ISSN : 2827-1912
Posté le 23/12/2022
3 p.
Code CLIL : 4117; 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Reddé, Michel, “L’armée romaine, la Gaule, la Germanie. Introduction”, in : Reddé, Michel, Legiones, provincias, classes… Morceaux choisis, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 3, 2022, 237-241, [en ligne] https://una-editions.fr/larmee-romaine-la-gaule-la-germanie-introduction [consulté le 21/11/2022].
10.46608/basic3.9782356134899.20
Illustration de couverture • Première• La porte nord du camp C d'Alésia, sur la montagne de Bussy en 1994 (fouille Ph. Barral / J. Bénard) (cliché R. Goguey) ;
Quatrième• Le site de Douch, dans l'oasis de Khargeh (Égypte) (cliché M. Reddé, 2012)
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