La carrière de Belleforest, écrivain en quête de reconnaissance, est indissociable des changements qui affectèrent le royaume de France. Au début des années 1560, au moment même où les guerres de Religion embrasent le pays, Belleforest délaisse la voie ingrate des vers qui ne lui apportèrent pas le succès escompté pour suivre les chemins plus porteurs de l’histoire.
Parue en 1563, sa première œuvre historiographique, L’Histoire des persécutions faites en Afrique par les arriens sur les catholiques, une traduction de saint Victor (Victor de Vita), vaut comme une profession de foi d’orthodoxie religieuse. Dans cet ouvrage, la secte des ariens constitue – presque au sens scripturaire – une préfiguration du calvinisme dont elle annonce l’iconoclasme, l’esprit de division et la cruauté tyrannique. Belleforest explique, dans son épître dédicatoire, avoir trouvé de la consolation à la lecture du portrait par Victor de Vita de ces chrétiens qui, malgré la persécution qu’ils ont subie, ont fait preuve de patience et de constance :
[ils] ont jadis conceu une pareille ou pire fortune que celle que nous sentons par le moien de ce tempestueux orage suscité par les heretiques de nostre tems. Je voy dans cest auteur un tableau si bien effigié des miseres de nostre tems, et la rage des meschans si vivement tiree, qu’il semble qu’il n’y ait difference que des noms, et de l’intervalle du tems1.
Dès L’Histoire des persécutions, Belleforest défend et met en pratique une vision de l’histoire cyclique et dramatique : indépendamment des temps, les mêmes événements se produisent. Sur le théâtre du monde, c’est la même pièce qui se joue : seuls les noms et les masques différent. Qu’elle soit à but consolatoire ou didactique, l’historiographie du passé tire sa justification de sa capacité à éclairer l’actualité. C’est en raison de cette conception exemplaire, qui tend à aplanir les particularités historiques de chaque époque, que Belleforest multiplie dans son Histoire des persécutions des aller-retours narratifs entre les exactions perpétrées par les ariens et celles commises par les protestants2.
L’autre date charnière, selon Michel Simonin, est l’année 1567 : à partir de la Remonstrance aux Princes3, Belleforest entre « au service de la polémique la plus brutale4 » et sa production s’accroît brusquement. Dans cette pièce versifiée, dédiée au duc d’Aumale, Belleforest fustige l’idée d’une concorde avec le parti protestant et exhorte les princes catholiques à prendre les armes contre les hérétiques. Cette Remonstrance cristallise dans l’espace du texte le lien entre l’engagement tridentin de Belleforest5 et son soutien de la monarchie, menacée par le même ennemi protestant.
L’histoire n’est jamais neutre ni apaisée chez Belleforest, qu’il s’en serve comme miroir moral (dans les Histoires tragiques) ou qu’il l’enrôle à des fins polémiques pour justifier une cause qu’il défend6. Constamment aimantée par l’actualité agitée du temps, la production historiographique de Belleforest peut se concevoir comme une réplique ininterrompue aux multiples détracteurs de la monarchie française. Rien d’étonnant donc à ce que le scandale fasse partie intégrante de l’écriture de l’histoire de Belleforest, et ce même dans ses écrits les moins ouvertement pamphlétaires comme les Grandes Annales. Il s’agira d’étudier la place du scandale dans cet ouvrage et, particulièrement, le rôle qui lui est attribué au cœur d’une micro-séquence historique sur le tumulte de Saint-Marcel en 1561, prélude selon Belleforest des guerres civiles à venir. Outil à plusieurs facettes, le scandale est institué par le Commingeois comme une causalité historique opérante et comme un marqueur fort de sa conception historiographique. Dans les querelles auxquelles se livrent par ouvrages interposés Belleforest et ses rivaux, la reconnaissance comme scandale d’un événement est cette pierre de touche par laquelle l’auteur des Grandes Annales entend se distinguer.
Le scandale dans les Grandes Annales :
affirmation d’une conception historiographique
Fabrique d’un contexte éditorial polémique
Afin de bien saisir le contexte de parution des Grandes Annales en 1579 chez Gabriel Buon, il faut rappeler que Belleforest avait fait publier en 1573 les Chroniques et Annales de France dès l’origine des Françoys, et leur venue ès Gaules de Nicole Gilles, secrétaire de Louis XII, dans une version augmentée. Le genre des annales était pourtant délaissé dès les années 1560 par ces « nouveaux historiens7 » désireux de refonder le récit historique en le dégageant de l’emprise rhétorique8. En republiant cet ouvrage de Nicole Gilles, Belleforest prend position dans le débat historiographique du temps et marque son attachement à une ancienne conception de l’histoire certainement jugée préférable pour être peu critique, dans sa forme même, vis-à-vis de la royauté française.
Il s’agit aussi, et peut-être surtout, d’une réponse éditoriale à Du Haillan que le roi lui a préféré en 1572 pour écrire une Histoire de France9. Il faut reconnaître que les propos de ce dernier dans sa préface appelaient une mise au point de la part de Belleforest. Par rapport à l’« Histoire accomplie et parfaite » qu’il revendique, Du Haillan signale la faiblesse épistémologique du genre des chroniques qui « ne s’amusent pas à dire les causes et les conseils des entreprises ny des succez des affaires, ains seulement l’evenement et fin d’iceux par les années, sans narration du discours qui est necessaire et requis à l’Histoire10 ». Un peu plus loin, l’hommage qu’il rend à Belleforest pour avoir enrichi les chroniques de Nicole Gilles est ambivalent : Du Haillan lui sait gré de ses « immenses et indefatigables labeurs » et admet qu’il a pu y puiser çà et là « demye page, quelque fois une, deux, ou trois entieres11 ». On a connu éloge plus appuyé.
C’est dans ce contexte que Belleforest publie en 1579 son opus magnus historiographique, dédié à Henri III, Les Grandes Annales et histoire generale de France, dès le regne de Philippe de Valois, jusques à Henry III, à present heureusement regnant en deux volumineux in-folio de 1692 feuillets. Le titre complet signale à la fois la valeur encomiastique de l’ouvrage et l’ancrage réaffirmé dans le genre des annales12.
La question du scandale est largement conditionnée par les visées historiographiques définies dans trois paratextes d’importance sur lesquels il convient de s’arrêter13. Les Grandes Annales se présentent comme une apologie de la monarchie française des Valois que Belleforest défend pour trois grandes raisons : son origine fondamentalement gauloise (qu’il oppose au fallacieux mythe troyen14), la nature divine de la succession royale (contre l’idée que les premiers rois furent élus), l’ininterruption de la monarchie dans le temps qui garantit la continuité entre Gaulois et Valois (affirmation de l’ancienneté de la loi salique).
Dans sa première épître au roi, Belleforest inscrit opportunément ses annales dans un contexte polémique d’écriture. D’après lui, des historiens désireraient la « ruyne entiere » de la couronne lorsqu’ils affirment que les membres peuvent s’égaler au chef ou que le souverain est justiciable de la volonté de ses sujets15. Belleforest dresse ensuite la liste des arguments invoqués par ces historiens pour limiter le pouvoir du roi : autorité supérieure des nobles, établissement récent de la loi salique, ancienneté des États. On reconnaît là les positions des monarchomaques16. Face à ce qu’il considère des « calomnies », Belleforest emploiera les Grandes Annales à « remettre en ordre l’histoire par trop confuse des François » et à « repurger l’Histoire et de fables et de médisances17 ». La calomnie constitue le premier scandale, d’ordre intellectuel, auquel Belleforest souhaite répondre par ses Grandes Annales.
Dans l’épître à Henri III qui ouvre le second tome, Belleforest dévoile que deux objectifs ont guidé la rédaction des deux parties des Grandes Annales : le premier volume consiste « en la refutation des advis de ceux qui s’aheurtent à l’election », le second cherche à démontrer aux « Académiques de nostre temps », qui révoquent tout en doute et se déclarent les ennemis de la Couronne, quelle était « jadis la loy Salique » et comme elle fut établie pour conserver le sang royal18. Belleforest conçoit son travail comme une entreprise de clarification historiographique, notamment de la période qui va de Philippe VI à Louis XI, dont les « cartes ont esté estrangement broüillées11 », période sur laquelle les Politiques ont fait fond pour brider l’autorité du roi. Comme on le verra à propos du tumulte de Saint-Marcel, le scandale, par la polarisation extrême qu’il crée, joue un rôle de premier plan dans la clarification des événements historiques.
Le scandale au centre de la querelle des historiographes
Les Grandes Annales sont aussi l’occasion pour Belleforest de régler ses comptes avec Du Haillan. Pouvant être suspectée d’hérésie en raison de la sympathie que Du Haillan manifeste à l’idée d’une concorde entre catholiques et protestants, l’Histoire de France se signale également par son incomplétude puisque Du Haillan ne traite pas l’époque contemporaine en concluant son livre sur le règne de Charles VII19. Pour Belleforest, couvrir toute la période actuelle, dont les troubles religieux du temps, lui permet d’apparaître comme un historiographe plus exhaustif et idéologiquement impeccable. Dans les « Diverses considérations sur l’origine des François », Belleforest égratigne Pasquier et Du Haillan, soutenant contre eux que la première demeure des Gaulois restait la Gaule et non la Germanie20. Loin d’être une vétille d’historiographe sourcilleux, cette correction du Commingeois vise à renforcer l’autorité royale, en en établissant la pureté des origines, et ainsi à saper un des arguments des prétendants étrangers à la couronne de France.
Mais c’est surtout sur la question de l’élection21 que Belleforest se démarque de Du Haillan qui affirmait que, jusqu’à Pépin, « les Rois de France jadis estoient electifs, et non hereditaires22 ». Belleforest entreprend de prouver au contraire que depuis Pharamond « la succession de tout temps a esté pratiquee entre les François » et que jamais la monarchie ne fut élective23. Alors que Du Haillan – comme Hotman d’ailleurs24 – assure que Childéric, fondateur de la dynastie mérovingienne, a été élevé au trône grâce à l’élection des Francs et des Gaulois « tenans comme une forme d’Estats generaux, par consentement
mutuel25 », Belleforest s’emploie à récuser cette hypothèse agitée par :
[…] les remueurs de mesnage de nostre temps [qui] sont si aheurtez sur le monstre difforme d’election, et qu’ils se veulent ayder plus de quelque petit exemple mal pris, et encor pirement poursuivy, que non pas de la raison ny de la coustume ja envieillie26.
Le Commingeois s’excuse de devoir revenir à ce sujet de l’élection, dont l’étude vient rompre le fil narratif historique :
Je suis contraint de souvent venir à ce point, puis que la misere du temps nous force de discourir en lieu de poursuivre la simple narration de l’histoire, et puis que les Roys, et Princes naturels ont à present de si cruels ennemis, qui les veulent ramener sous la loy la plus inique qu’on sçauroit imaginer, et cecy sans nulle raison, mais par l’ombrage de quelques exemples, qui ne font aucunement à la cause, de laquelle ils pensent faire foy, et pretendent ensorceler tout le monde : et de ces serpens venimeux, si estes sages Roys, et Princes, vous en depescherez le monde : car s’ils taschent de rendre elective la couronne de France la mieux plantée et establie du monde, la plus ancienne de l’Europe, et celle qui ne veit onc rien de ce que ces galants gazoüillent, et imaginent, asseurez vous que le fait vous touche de si pres, que si vous n’y remediez, (peut estre) serez vous les premiers sur lesquels ces populaires pratiqueront leur forme de créer les Princes suyvant la volonté de la multitude, ou sur lesquels ils abattront la Monarchie, pour vivre et s’emanciper en communauté, ainsi qu’ont fait les rebelles, et sedicieux de Genève11.
Ce morceau d’éloquence indignée ne dépareillerait pas dans les Remonstrances aux Princes : le pamphlétaire scandalisé prend ici le pas sur l’historien. Si Belleforest élève la voix, c’est que la reconnaissance de l’origine élective des rois menace directement la monarchie actuelle puisque « monarchomaques » et protestants y trouveraient prétexte à légitimer la monarchie constitutionnelle. Dans ces querelles politiques, la nature du passé détermine la forme du présent.
La question de la souveraineté du peuple esquissée avec le cas de Childéric fait intervenir la notion de scandale chez Hotman bien qu’il ne prononce pas le mot. Pour l’auteur de la Gaule françoise, c’est bien le scandale de sa conduite (« homme dissolu » coupable de « detestables luxures » avec les filles du peuple) qui a conduit et autorisé le peuple à le déposer27. Du Haillan justifie de la même façon l’éviction de ce roi paillard et tyran : « les Françoys doncques indignez de sa volupté, de ses exactions, et de ses autres mauvais deportemens se rebellerent contre luy, et le chasserent du throsne royal28 ». Pour Belleforest, la chute de Childéric s’explique « plus par jugement divin, que par authorité que les subjets eussent de ce faire29 » et les mœurs scandaleuses du roi sont à relativiser (il était jeune et donc pouvait s’assagir avec le temps, il provenait d’un sang doux et affable). En revanche, en « dechassant [leur] Roy naturel », les Français ont commis une « faute » bien plus lourde que Dieu châtiera30. On voit bien ici comment Belleforest tente de réorienter la valeur de l’indignation, de déplacer la cause du scandale : ce n’est pas le comportement des monarques qui est scandaleux, c’est le fait que les sujets s’en scandalisent et s’en autorisent pour déposer leurs rois. L’importance que prend le scandale dans les Grandes Annales dérive de l’orthodoxie politique et religieuse intransigeante de Belleforest.
Le scandale comme transgression des lois fondamentales du royaume
Sur les deux tomes des Grandes Annales, une première enquête lexicographique permet de dénombrer plus de soixante-dix occurrences du terme « scandale » et de ses dérivés verbaux et adjectivaux. Ils sont employés pour désigner trois groupes de faits qui renvoient à trois ordres de valeurs : les mœurs, la politique et la religion.
Les occurrences liées aux mœurs sont les moins nombreuses et impliquent systématiquement un personnage lié à l’exercice du pouvoir. Belleforest parle de scandale au sujet d’un roi qui couche avec la nièce de l’évêque sous couvert de mariage
(f. 267 v°31), d’un divorce (f. 576 r°), d’une répudiation (f. 568 r°), de la subornation de deux princesses (un « non accoustumé scandale », f. 796 v°) ou encore de Jeanne la Pucelle qui a pris des habits d’homme (f. 1092 v°).
Plus nombreuses sont les occurrences politiques. Belleforest utilise le terme pour qualifier les actes ou les comportements qui viennent atteindre à l’intégrité ou à la dignité de la Couronne. Sont jugés scandaleux le fait de prêcher contre son roi (f. 1275 r°), d’aller en armes pour les Princes du sang (f. 1624 v°), la décapitation de nuit du connétable (f. 864 r°) ou encore l’assassinat d’un duc sur un pont (f. 1257 v°).
Le terme de scandale vient particulièrement désigner les errances religieuses : schismes, iconoclasme, opinions d’hérétiques. Ainsi Judas comme Luther servent de « scandale et de chopement » (f. 348 v° et f. 1350 v°), selon l’acception théologique première du terme. Les templiers sont régulièrement jugés scandaleux pour leurs opinions et leur cruauté (ff. 517 v°, 533 r°, 663 v°, 783 v°, 793 v°). Quant à Bérenger, archidiacre d’Angers et nécromancien, il crée le scandale en prétendant que l’Eucharistie est non pas le « vray corps et sang de Jesus Christ, ainsi seulement la figure du corps et du sang » (f. 412 v°). Le scandale est fréquemment associé à la question iconique : en ordonnant la mise à bas des images dans les églises les Empereurs Léon Isaurien et Constantin ainsi que l’évêque de Marseille provoquent un scandale (ff. 122 r°, 141 r°, 148 r°). Derrière ces schismatiques, hérétiques, contempteurs de l’Eucharistie et « Brise-Images » (f. 127 r°), c’est bien évidemment la figure du protestant qui se devine.
Que ce soit à propos des mœurs, du pouvoir en place, de l’orthodoxie religieuse, le « scandale » est ce qui vient transgresser l’ordre établi. Si la faculté de théologie met fin au scandale des Mendiants autorisés à prêcher durant les jeunes du Carême, c’est parce qu’il « romp[t] l’ordre, police et Oeconomie ancienne de l’Eglise » (f. 1033 r°). Belleforest dénonce la « collusion tant scandaleuse et dommageable » du concordat pour être une « corruption de l’estat ancien de l’Eglise » et un « pervertissement de la liberté gallicane » (f. 1414 v°). L’historiographe s’emporte aussi contre les conspirateurs qui s’attaquèrent à Saint Louis condamnés comme « traistres, symoniacles, homicides, perturbateurs de l’estat public, scandales et vituperes de l’Eglise » (f. 241 v°). Si les femmes sont souvent à l’origine de scandales chez Belleforest, c’est qu’en s’arrogeant un pouvoir auquel elles ne sont pas appelées elles perturbent l’ordre ancestral des choses : que ce soit Jeanne la papesse (f. 261 r°) ou les filles de Charlemagne qui réclament une part d’héritage qui doit échoir à leur frère Louis, « sans esgard aucun de la loi » (f. 208 r°). Le scandale advient quand les lois fondamentales sont bafouées et que la concorde nationale est menacée. Ainsi les ducs du Berry et de Bourgogne ne veulent pas déplaire au roi Charles VI de peur de « n’estre cause de quelque scandale, qui eut pu mettre la France en combustion » (f. 1008 r°). Le scandale ne se réduit pas à un jugement moral porté sur l’ordre des choses qui le cantonnerait à la seule sphère du discours. Lorsqu’il est reconnu comme tel, il entraîne des conséquences bien réelles sur le cours des événements. Il est un moteur de l’histoire comme l’exemple des guerres civiles le montre.
Quel scandale à l’origine des guerres civiles ?
Le chapitre XCIIII du tome II « De la sedition de sainct Marcel à Paris : Edict de Janvier, et commencement des guerres civiles en France32 » nous semble tout particulièrement intéressant à étudier pour comprendre l’importance historiographique que Belleforest assigne au scandale. En constituant discursivement cette sédition en « scandale », Belleforest en fait l’événement fondateur et déclencheur des guerres civiles.
Du point de vue du contexte historique, les événements rapportés prennent place après la promulgation en juillet 1561 du traité de Saint-Germain-en-Laye autrement appelé édit de Juillet, trois mois avant la tenue du colloque de Poissy. Manquant de cohérence (il était possible d’adhérer à la foi réformée mais les huguenots restaient privés de leur culte33), cet édit mécontenta tout le monde. L’édit de Saint-Germain, signé le 17 janvier 1562, souvent appelé édit de Janvier, représenta une avancée significative dans la direction de la concorde religieuse : on accorda aux protestants le droit de tenir des assemblées, mais seulement de jour et hors des villes par crainte des séditions. En contrepartie, ils devaient s’engager à restituer aux ecclésiastiques les églises et les biens dont ils s’étaient emparés. Défense leur était faite d’« abbatre et desmolir croix, images, et faire autres actes scandaleux et seditieux : sur peine de la vie34 ». Cette mention législative du scandale, que Belleforest ne pouvait ignorer, motive en bonne partie l’emploi du lexique du scandale dans le texte : parler de scandale, c’est mettre ses ennemis protestants en position d’illégalité bien plus que d’immoralité.
Le chapitre peut se décomposer en cinq grandes séquences narratives. Le début de l’extrait pose le cadre sombre et explicatif dans lequel advient la sédition de Saint-Marcel : l’insolence des protestants à Paris est sans bornes, ils ne respectent pas l’édit de Juillet et font régner le désordre. Forts de leur impunité, ils massacrent sans pitié les catholiques qui sonnaient les cloches pour la fête de saint Jean l’Apôtre (le 27 décembre 1561). Le deuxième moment du texte consiste en une présentation de l’Édit de Janvier (17 janvier 1562) dont l’effet principal, selon Belleforest, a été de « hausser le caquet des protestants35 ». La licence débridée des calvinistes est à l’origine directe de la constitution d’une « ligue » réunissant le duc de Guise, le connétable de Montmorency, le maréchal Saint-André et Antoine de Navarre (troisième temps). Est ensuite – brièvement – narré le massacre de Wassy. Enfin, le chapitre se clôt sur la menace que les seigneurs Coligny, d’Andelot et Châtillon font peser sur la ville de Paris, les négociations et réconciliations qui s’ensuivent entre les princes des deux partis et la réaction violente des huguenots parisiens36.
Belleforest emploie à trois reprises le terme de scandale (ou ses dérivés) : « un grand scandale, et le mal’heur des Calvinistes », « injures, convices, et parolles scandaleuses contre la messe, et cérémonies de l’Eglise Romaine », « grand scandale des petits, et des-honneur du Roy ». Le « scandale » appartient à une galerie lexicale qui comprend aussi les mots « usurpation » (5 occurrences), « troubles » (4), « insolence » (4), « licence » (3) qui en dessinent la signification politique.
Au théâtre du scandale
Le scandale apparaît d’abord comme un renversement dramatique, au sens théâtral, de l’ordre établi. Le chapitre commence par présenter un monde inversé où les « bons citoyens » démunis, privés de leurs droits et soumis à l’autorité de protestants insolents et irrespectueux des lois établies (ils violent l’édit de Juillet en portant des armes et, plus loin, l’interdiction faite à la publication de libelles). À l’insolence s’ajoute l’hypocrisie. Belleforest recourt à un vocabulaire théâtral pour dénoncer leur duplicité : ils savent « joüer leur personnage » lorsqu’ils parlent à la reine ; pour paraître plus nombreux aux prêches, ils n’hésitent pas à payer des pauvres et à les « vestir richement ». Parmi les comédiens du protestantisme, on compte « Pierre Craon surnommé le Champenois, et dit nez d’argent, et un autre surnommé le Cager » : les surnoms ainsi que la marque physique font signe à nouveau vers les personnages de théâtre37. Cet art consommé de la mise en scène sert une politique de la dissimulation et de la ruse qui vient berner les catholiques (qui leur accordent ce qu’ils veulent « sans y penser »). Ce portrait inaugural a pour but de créer les conditions d’apparition du scandale : un scandale n’est pas un mauvais acte isolé, mais le couronnement d’une suite d’actions ou de comportements réprouvables38.
C’est justement le scandale qui vient interrompre et révéler les menées souterraines calvinistes. Le refus des catholiques de cesser de sonner les cloches de l’église Saint-Médard comme l’exigent les huguenots provoque « un grand scandale, et le mal’heur des Calvinistes ». Associé au « malheur » à venir des calvinistes (cibles de la vindicte populaire), le scandale consiste en un revirement soudain de situation, un coup de théâtre39. Le scandale renvoie ici au massacre subi par le « pauvre peuple Catholique » et aux profanations perpétrées par les calvinistes : destructions d’images, piétinement sacrilège de l’hostie, irruption des chevaux en l’église qui foule les prêtres aux pieds. Chez Belleforest, auteur d’histoires tragiques, le scandale suscite l’horreur et la pitié (pour ces bons catholiques désarmés et passés au fil de l’épée). Le scandale ouvre ici une courte séquence digressive40, un micro-récit, une tragédie en miniature, qui se caractérise par sa dimension spectaculaire.
Du scandale théologique au scandale politique
Les deux occurrences suivantes de « scandale » interviennent dans le cadre d’une glose de l’édit de Janvier :
[…] on deffendit aux predicans, et Ministres de n’user en leurs Presches d’aucunes injures, convices, et parolles scandaleuses contre la messe, et cérémonies de l’Eglise Romaine ainsi que jusqu’alors ils avoient faict, au grand scandale des petits, et des-honneur du Roy, Princes, et Seigneurs qui suivoient la Religion Catholique11.
Comme les appositions l’indiquent, le scandale relève d’abord d’une parole injurieuse qui heurte les fondements de la foi (ce qui n’est pas étonnant dans cette bataille de la prédication qu’ont également été les guerres de Religion). La seconde mention du terme fait du scandale la réaction propre au peuple (quand celles des grands est le déshonneur). Ce n’est pas la première fois, dans les Grandes Annales, que le peuple, obscur dépositaire, dans son indignation, de l’orthodoxie religieuse, se scandalise41. L’expression « petits » a une résonance théologique : elle renvoie à ces « petits » décrits par saint Paul à qui il faut épargner le scandale et au « parvulus » que Thomas dit être prompt à se scandaliser au contraire des grands (« majores »)42. Cependant, malgré cette référence, la notion de scandale chez Belleforest semble délestée de son sens théologique. Le scandale n’est pas tant une occasion donnée de pécher qu’un juste moment d’indignation. Ce qui scandalise le peuple et déclenche les troubles à Paris, c’est que les protestants « prétendent y commander, et empescher le cours de leur police ordinaire ». Outrage plus politique que religieux, le scandale est une forme d’usurpation du pouvoir.
La nature scandalisée : scandale et prodiges
Bien que de nature politique, le scandale provoqué par les protestants connaît des répercussions qui excèdent le strict cadre civil :
Ce qui debvoit succeder de ces licences desbordées, sembloit que l’air et autres Elements le predissent, et nous presageassent : d’autant qu’entre les Tonnerres, et orages plus effroyables que de coustume les grans soufflements de vents hors de saison, et le desbord des rivieres, on voyoit les Loups vaguer librement par les villes et villages, urlans de nuit comme s’il les eussent menassées de future solitude. Je ne vous discourray des Monstres nez soit en terre soit en Mer, bien que la saison en ayt esté fort fertille : ains me suffira vous declairer ce qui advint en cest an peu avant que les troubles prissent source : d’autant que par l’espace de plus de quinze jours on veit vers la porte sainct Michel à Paris du costé qui regarde Meudon, et lieux voisins une armée en l’air qui paroissoit tous les soirs à grands Escadrons de cavalerie et fanterie combatans pesle mesle ensemble : et y à plus de cinq cens personnes en vie, qui sont tesmoings de ce presage43.
Le dérèglement généralisé de la nature que sont les calamités vient ici traduire physiquement le désordre ouvert par le scandale dans la sphère publique. Certes, ces signes prodigieux servent à dramatiser le propos mais ils témoignent aussi de la conception du scandale comme cas excessif, passage à la limite, événement inouï44. Comme le monstre apparaît « outre le cours de nature » ou le prodige « du tout contre Nature45 », le scandale est ce qui vient « empescher le cours de [la] police ordinaire ».
Le massacre de Wassy : simple « faict » plutôt que scandale
Si le duc de Guise et le connétable de Montmorency sont appelés à la cour pour régler les troubles du royaume, ce sera donc non pas pour se venger d’ennemis particuliers mais pour rétablir un ordre bafoué. La « ligue » formée par le duc, le connétable et le maréchal de Saint-André (le fameux triumvirat) s’oppose aux divisions et fractures causées par les protestants. C’est une habile manière déjà pour Belleforest de disculper la conduite du duc de Guise lors des événements advenus à Wassy – « fondement de toutes les querelles » dressées par les protestants contre lui.
L’enjeu de la narration de cet épisode sanglant consiste justement à étouffer le scandale qu’a pu représenter aux yeux des protestants la réaction du duc de Guise et qui marque pour eux le début des guerres civiles. Belleforest commence par attribuer aux futures victimes la première provocation : l’évêque de Châlons fut « assailly de mocqueries, et injures », les protestants ont « usurpé la place », ils « offenserent ceux que le Gouverneur y avoit envoyez » (observation répétée quelques lignes après : « ayans offencez ceux qui leur avoient commandé de cesser leurs presches »). Le lexique employé (« injures », « usurpation », « offense ») est clair : le scandale premier est causé par les protestants. Pour rendre la répression du duc de Guise légitime, Belleforest recourt à des procédés de modalisation (« on dit », « on le compte diversement », « ceux de la Religion appellent le massacre de Vassi »), de minimisation (l’euphémisme « il y eut quelque meslée » ou la paraphrase « sentirent la main du magistrat ») et de requalification : le massacre est considéré comme un simple « faict ». Belleforest a bien saisi qu’un scandale se fabrique par le récit qu’on en offre. En cantonnant le massacre de Wassy à un détail du texte, Belleforest en fait un épiphénomène de l’histoire. La vraie origine des guerres civiles, le scandale fondateur est déplacé en amont avec le tumulte du quartier Saint-Marcel.
Le scandale des sans-noms
L’entreprise de dépréciation des protestants culmine à la fin du texte dans l’opposition entre les Grands, Condé et Guise, qui se réconcilient – on finit toujours par s’entendre entre gens de bonne compagnie – et les nouveaux troubles suscités par cette masse anonyme de huguenots qui conspirent contre l’État, se rendent coupables de menées dans le pays et forgent des scandales par les libelles qu’ils diffusent. Cette anonymisation de l’ennemi (presque toujours désigné par une identité collective) repose également sur son animalisation : les protestants sont une « vermine » qu’on voit « formillier ». Cette horde de sans grades prend parfois figure, on évoque « un Ministreau nommé La Riviere ». Mais l’article indéfini signale dans le même temps son appartenance à cette masse indécise, menace obscure, tapie dans l’ombre, toujours prête à surgir. Ces hommes de scandale ne font l’histoire qu’en négatif.
Du bon usage politique du scandale
Pour finir, un bref parallèle avec le récit que Pasquier propose des mêmes événements, dans une lettre « A Monsieur de Fonssomme46 », peut s’avérer éclairant. Le traitement des faits par les deux historiographes diffère nettement : alors que Pasquier, en restant vague sur la confession des victimes du « tumulte » (« Plusieurs homme qui navrez, qui tuez47 »), laisse entendre que les protestants connurent aussi des pertes, pour Belleforest les morts ne se comptent que chez le « pauvre peuple catholique ». Quand Pasquier s’abstient d’évoquer « toutes les particularitez » advenues, Belleforest détaille les exactions et profanations commises. Le premier tient à éviter l’indignation quand l’autre cherche à l’exciter. Pour Pasquier, la Cour du Parlement de Paris a procédé avec sagesse afin d’« obvier au scandale48 » que cette querelle était sur le point de faire éclater. Il rappelle ce mot de Michel de L’Hospital en matière de religion qu’il a sûrement fait sien : « tolerer ce scandale pour eviter un plus grand49 ». Il n’est pas anodin que les deux occurrences du mot « scandale » chez Pasquier se trouvent dans des constructions négatives : l’enjeu politique pour l’épistolier est de contrôler et de limiter le scandale. La position de Belleforest est l’exact opposé : il est nécessaire d’amplifier le scandale pour l’exploiter politiquement.
Il y a chez le Commingeois un scandale à ne pas se scandaliser. La construction du scandale passe alors par la mise en scène de l’ethos indigné de l’historiographe qui ne craint pas de parler en son nom propre et à se faire témoin de la cause qu’il défend (« J’estoy lors à Orleans », « cecy peux-je tesmoigner qui estois present au tout »). L’histoire du temps présent selon Belleforest exige un historiographe engagé : toute la valeur donnée au scandale découle de cet engagement.
Le scandale n’est pas un concept épistémologique neutre et les historiographes du XVIe siècle, surtout ceux qui composent une histoire de France, ne l’emploient pas indifféremment. Si Belleforest accorde une place de choix au scandale dans l’écriture de l’histoire, c’est que cette notion répond à la fonction apologétique qu’il assigne à l’historiographie (soutien de la monarchie) et qu’elle lui sert dans sa querelle avec les historiographes de son temps.
En recourant à cette catégorie du scandale, Belleforest poursuit deux buts : un objectif historiographique qui répond à la volonté d’assigner une cause à des événements intriqués et confus (le scandale comme origine des guerres civiles) et une visée plus polémique qui, par l’emploi même de cette terminologie, polarise de manière partisane le rapport aux faits. Le scandale fait inévitablement émerger deux camps opposés entre ceux qui en reconnaissent l’existence et ceux qui le dénient, et place de ce fait le lecteur dans une alternative piégeuse qui l’oblige à se positionner. Dans le fonctionnement du scandale, proche en cela de la controverse, il n’est pas possible de se défausser : refuser de parler de scandale à propos des incidents provoqués par les protestants à Saint-Marcel, c’est les soutenir en quelque manière. Le scandale a bien cette vertu de simplification à l’extrême des « cartes broüillées » de l’histoire.
Dans les Grandes Annales, Belleforest fabrique le scandale, le fait advenir par la construction du récit et par la publicité même qu’il confère aux événements en les relayant. Car, en dernière instance, le scandale relève d’un enjeu éminemment pragmatique : il s’agit de « créer un nous50 », de renforcer et d’unifier une communauté en la mobilisant autour d’un événement construit comme scandaleux donc fédérateur pour cette communauté. Dans l’idéal historiographique de Belleforest, l’écriture de l’histoire peut contribuer directement à l’action politique. Le scandale représente le trait d’union parfait pour arrimer le discours historique au champ pratique de la politique.
ANNEXE
• Belleforest, Les Grandes Annales et histoire generale de France, dès le regne de Philippe de Valois, jusques à Henry III, à present heureusement regnant, Paris, G. Buon, 1579, t. II, L. VI, fol. 1626 r°-1628 v°.
Chap. XCIIII. De la sedition de sainct Marcel à Paris ;
Edict de Janvier, et commencement des guerres civiles en France
Ja du temps mesme du Colloque de Poissi, on voyoit tant formillier de Ministres par la France, qu’on eut dit que c’estoient des essonis d’abeilles, et n’y avoit cité, ville, ny guere bourgade, où ceste vermine ne se ruast pour y gaigner quelque proye. J’estoy lors à Orleans (m’y estant retiré à cause du danger de la peste, qui estoit fort eschauffé à Paris) où dés le mois de Septembre, on avoit commencé de prescher publiquement hors la ville, du costé que l’on vient à Paris. Et en la grande cité capitale du Royaume, c’estoit pitié de ce qui s’y passoit, de l’insolence des Protestans, et orgueil de leurs Ministres, de l’abaissement des bons citoyens dessaisis de leurs armes, et de la puissance du Calviniste qui disposoit du tout de telle sorte, qu’il n’y avoit ordre, police, jugement ny justice, qui ne dependissent de la volonté de ces gens, qui alloient, et venoient en armes par ville, disposoient corps de garde par les boutiques et Carre-fours, tandis qu’ils alloient au Presche, fut-ce du costé de l’Université, ou vers la porte S. Anthoine. Les Princes et Seigneurs Catholiques, voyans cecy, ne pouvoient se contenter, et crioient de ce qu’on avoit si tost violé l’Edit de Juillet, sans qu’il y eut provision qui fut au contraire ; et d’ailleur les Calvinistes estans incitez d’avancer leur autorité, et augmenter leur nombre afin que la Roine mere, et le Conseil fussent contraints d’approuver leur usurpation en l’exercice de la Religion, n’avoient aussi garde de faillir à joüer leur personnage. De sorte que la Roine voyant la grande multitude qui affluoit aux presches à Paris (où les surveillans faisoient venir les pauvres vestus richement, qu’ils tenoient à gages, pour faire paroistre grand le nombre) entendit à l’ouverture qu’on luy feit d’une assemblée de tous les Parlemens de France, pour remedier à ces choses ; et l’intention des requerans ne tendant qu’à faire invalider l’Edit de Juillet, et en faire un qui donnast force, et faveur aux Calvinistes, lesquels avoient assez de gens qui deffendoient leur cause en Cour. Durant qu’on estoit sur l’establissement de ce miserable bastiment de mal’heurs de France, comme les freres Protestans priassent pour ceux seulement qui tenoient la main à ceste œuvre, et se tinssent desja pour tous asseurez de commander, voicy que sur la fin du mois de Decembre, et le vingt-septiesme d’iceluy, Malo predicant jadis Prebstre habitué à sainct André des Arts à Paris, et depuis faict Servetiste, et Arrien, faisant la presche en un lieu dit le Patriarche, aux Faux-bourgs sainct Marcel lez Paris ; les Catholiques se mirent à sonner Vespres, à cause que c’estoit le jour de la feste sainct Jean l’Evangeliste, durant les Feries de Noël. Duquel sonnement de Cloches le Ministre fasché, et les Catholiques sommez de cesser, et refusans de ce faire, advint un grand scandale, et le mal’heur des Calvinistes. D’autant que sortans de leur assemblée, ils se ruerent sur ce pauvre peuple Catholique, qui estoit à Vespres en l’Eglise S. Medard, tuans et bleçans hommes et femmes, abatans images, pillans les saincts vases, et ornemens de l’Eglise, et (qui est le pis de tout) foulans aux pieds le sainct et espouventable Sacrement du corps et sang de nostre sauveur Jesus-Christ ; faisans entrer les chevaux en l’Eglise, petillans les Prebstres aux pieds, et les conduisans (tous blecez et sanglans qu’ils estoient) en prison, comme seditieux, et cause de ceste esmeute. Ceste si grande insolence, et les deportemens des principaux conducteurs des presches bravans le peuple, et abusans de la faveur qu’on leur monstroit, fut cause que les Parisiens Catholiques prindent la chose tellement à cœur, qu’il fallut pour les contenter punir quelques uns des plus mutins, et remarquez de ceux qui s’estoient trouvez au sac et pillage de S. Medard ; tels que furent un nommé Pierre Craon surnommé le Champenois, et dit nez d’argent, et un autre surnommé le Cager, et quelques autres belistres qui furent pendus et estranglez pour contenter le peuple, les uns aux Hasles, et les autres au Patriarche où se faisoit la presche, au quel lieu les Catholiques mirent le feu, et feirent quelques insolences pour se revencher des maux commis par les Huguenots à S. Medard, qui finist ceste année pour en recommencer une autre toute pleine de tumultes. // J’ay dit qu’on faisoit une assemblée à S. Germain en Laye, où se trouverent deux Conseillers de chascun Parlement de France, et un President, afin d’autoriser ce qu’on y vouloit ordonner, qui estoit la liberté des Ministres Protestans, ausquels fut octroyé de Prescher hors les villes, et en fut accordé par le consentement des Princes du sang, et Seigneurs du Conseil, qui (sans y penser) se laisserent circonvenir à ceux de la Religion de s’assembler, prescher, et administrer les Sacremens à leur mode ; portant cest Edit (qu’on appella de Janvier) pource qu’il fut faict et invité et prononcé, le dix-septiéme de Janvier sur le commencement de l’an mille cinq cens soixante-deux. Que pour appaiser les troubles et seditions du Royaume, et faire droict aux sujets du Roy, ceux de la nouvelle Religion s’estans emparez des temples, maisons, et biens des Ecclesiastiques seroient tenus d’en sortir, et de rendre tous ornemens, vases, joyaux, et reliquaires qu’ils y auroient pris. Leur fut deffendu de s’assembler és ville de l’obeissance du Roy pour y Prescher en public ny en privé, ce qu’ils pouvoient bien faire hors desdittes villes ; et ne leur seroit permis de faire aucun Synode, ou Consistoire sans congé, et sans qu’un Officier du Roy n’y assistast pour juger de leurs actions, et s’ils diroient chose qui fut contre l’Estat, ou contre la Majesté du Roy et le salut de la republique. Leur estoit encor deffendu de faire cueillettes, ny impositions sur ceux de leur secte, et de garder, et chommer les festes commandées par l’Eglise Apostolique de Rome, et d’obeir aux loix d’icelle sur le faict des mariages pour les degrez de consanguinité, et affinité ; comme encor on deffendit aux predicans, et Ministres de n’user en leurs Presches d’aucunes injures, convices, et parolles scandaleuses contre la messe, et cérémonies de l’Eglise Romaine, ainsi que jusqu’alors ils avoient faict, au grand scandale des petits, et des-honneur du Roy, Princes, et Seigneurs qui suivoient la Religion Catholique. Et fut ce beau Edit (qui est la loy sacrée à laquelle les Huguenots ont tousjours depuis eu recours) publié en la Cour de Parlement à Paris, apres plusieurs jussions et commandemens du Roy et du Conseil, qui vouloit de puissance absolue qu’ainsi fut faict, le sixiesme de Mars le Procureur du Roy y consentant, et obeissant aux jussions, pour l’esgard de la misere, et necessité du temps, mais sans approbation de la nouvelle Religion, et le tout par provision, et sans le tirer en consequence. Et neanmoins ceste leur publication, abaissa le cœur des Catholiques et hauça le caquet des Protestans, qui se ventoient de tout gaigner, et d’envoyer le Pape, et sa puissance et la Messe hors de tout le Royaume de France. Les Princes, Prelats, et Seigneurs Catholiques, qui avoient assisté à ceste assemblée de sainct Germain en Laye, se repentirent d’avoir consenty au Roy de Navarre un si dommageable octroy estre faict aux Huguenots, ne pensans point que ce Prince (qui estoit trop facile) se laissast aller sitost, et consentit que les Ministres jouissent d’une telle licence. De ces malcontents furent les Cardinaux de Bourbon, Tournon, Lorraine, et Guise et les Ducs de Mompensier, de Guise, d’Aumale, et de Mommorency, et de tant plus croissoit leur ennuy et mescontentement, qu’ils voyoient en cour d’un costé chanter la Messe, et d’autre faire la Presche et les prieres à la façon de Geneve ; et les Ministres aller la teste hault levée et se pourmenans parmy les grands en la maison Royale. Ce qui debvoit succeder de ces licences desbordées, sembloit que l’air et autres Elements le predissent, et nous presageassent ; d’autant qu’entre les Tonnerres, et orages plus effroyables que de coustume les grans soufflements de vents hors de saison, et le desbord des rivieres, on voyoit les Loups vaguer librement par les villes et villages, urlans de nuit comme s’il les eussent menassées de future solitude. Je ne vous discourray des Monstres nez soit en terre soit en Mer, bien que la saison en ayt esté fort fertille ; ains me suffira vous declairer ce qui advint en cest an peu avant que les troubles prissent source ; d’autant que par l’espace de plus de quinze jours on veit vers la porte sainct Michel à Paris du costé qui regarde Meudon, et lieux voisins une armée en l’air qui paroissoit tous les soirs à grands Escadrons de cavalerie et fanterie combatans pesle mesle ensemble ; et y à plus de cinq cens personnes en vie, qui sont tesmoings de ce presage. Ceste publication d’Edit estant par contrainte à Paris, et en d’autres Cours de Parlement, fut cause que Messieurs de Guise se retirerent, le Duc en sa maison et le Cardinal de Lorraine au Concile de Trente bien suivy d’Evesques et docteurs ; et que plusieurs des seigneurs Catholiques feirent ligues ensemble, en intention de ne souffrir une telle abomination, en France, et de la vint ceste association des sus-dits seigneurs de Guise avec Monsieur le Connestable de Mommorency, qui s’estoit aussi retiré en sa maison fort irrité contre ses neveux de Chastillon qui portoient ouvertement la cause des Calvinistes, et s’en disoient les protecteurs avec Monsieur le Prince de Condé, en laquelle ligue fut joint le Mareschal de sainct André, et quelque temps apres le Roy Antoine de Navarre, auquel on feit veoir de quelle importance c’estoit que d’ainsi innover l’Estat d’un Royaume, et le tort qu’on faisoit au Roy durant sa minorité de changer l’Estat de la Religion, et oster la foy, et façon de vivre que les François avoient suivy des le temps que Clovis receut le sainct Baptesme. La Roine de Navarre Jeanne d’Albret, voyant que son mary se laissoit aller du costé des Seigneurs Catholiques, se retira en Bearn avec sa Cour et Ministres et plusieurs de la Religion feirent le semblable, sans que pour cela on desistast de faire les presches publiques tant à Paris qu’és autres villes du Royaume. Le Pape travailla grandement à cecy, sollicitant ce Roy Lieutenant General de nostre souverain, lequel avoit grands moyens d’esbranler l’Estat de la Religion en ce Royaume de France ; et furent faittes plusieurs pratiques, ouvertures, et negociations (ainsi qu’on faisoit courir le bruit avec le Roy Catholique, touchant ne sçay quelle recompence qu’il debvoit faire à ce Prince François pour le Royaume de Navarre usurpé par les Rois Castillans sur la maison d’Albret sans autre droict que de bien-seance). Quoy qu’il en soit, le Roy de Navarre se declaira contre les Huguenots, et des lors on nomma comme par mespris l’association d’iceluy avec le Connestable, et le Duc de Guise, le Triumvirat, mot usurpé de la domination des trois hommes à Rome, lors que la Republique fut esclavée soubs la puissance d’Auguste, de Lentule, et de Marc Anthoine ; si bien que les Calvinistes appelloient ces Seigneurs associez, tyrans, et usurpateurs de l’autorité et preéminence appartenant aux Estats de la France. D’autre-part le Prince de Condé, qui ouvertement faisoit profession du Calvinisme, alloit aux presches, et se declairoit deffenseur des Protestans, voyant ceste ligue, feit aussi une association avec ceux de la nouvelle Religion, se commença tenir sur ses gardes, et s’accompaigner de Gentils-hommes plus que de coustume. De cecy s’offençans la Roine mere, et le Roy de Navarre, et craignans que ces ports d’armes ne portassent quelque prejudice, se meirent en debvoir de les faire cesser ; mais voyans que de jour à autre le nombre croissoit, et oyans les doleances de ceux de Paris, se faschans devoir en leur ville tant Catholique, et la capitale du Royaume, les heretiques y commander, et empescher le cours de leur police ordinaire, fut advisé d’appeller en Cour les seigneurs de Guise, et le Connestable, afin qu’ils pourveussent avec eux à tous ces troubles ; où s’il estoit besoing de la force, qu’il[s] feissent service au Roy suivant le deu de leurs charges. En somme, le Connestable estant en Cour, le Duc de Guise, qui avoit faict un voyage en Allemaigne, pour visiter ses parens, refusoit de revenir en France, ne voyant moyen d’appaiser les grands troubles qui se preparoient ; mais ayant expres commandement du Roy, et de la Roine mere, et lettres amiables du Roy de Navarre, et du Connestable, il s’achemina en Cour sur le commencement du mois de Mars, qui est le fondement de toutes les querelles pretenduës par ceux de la nouvelle Religion contre le Duc de Guise. D’autant que comme les Protestans feissent leur presche à Vassi, petite ville appartenante à la Roine d’Escosse Doüairiere de France, et niepce du Duc de Guise, et au gouvernement de Champaigne dont iceluy Duc estoit Gouverneur, advint que l’Evesque de Chaalons passant par ce lieu de Vassi, fut assailly de mocqueries, et injures par les Calvinistes là assemblez ; lequel s’en plaignit au Gouverneur, contre l’autorité duquel, et la volonté de la Dame du lieu ils avoient usurpé la place pour y faire l’exercice de leur Religion. Cecy fut cause que le Duc les envoya sommer de ne faire point de presche, tant qu’il seroit au cartier, et de se deporter de plusieurs insolences par eux faictes ; mais eux se fondans sur la liberté qu’ils avoient de s’assembler, on dit qu’ils offencerent ceux que le Gouverneur y avoit envoyez ; ce qui fut cause que luy passant par là, au temps mesme que leur presche se faisoit, d’où qu’en vint l’occasion, (car on le compte diversement) il y eut quelque meslée en laquelle les Protestans furent les plus foibles, et y sentirent la main du Magistrat, de sorte qu’ayans offencez ceux qui leur avoient commandé de cesser leurs presches, ils furent si bien estrillez, que plusieurs demourerent là pour les gages ; et de ce faict (que ceux de la Religion appellent le massacre de Vassi, et duquel ils font une estrange parade de cruauté) provint l’occasion (ne sçay si le fondement n’estoit pris d’ailleur, et de plus loing) de l’assemblée que feirent les seigneurs Protestans, assemblans en grand nombre, et chascun attirant à foy tout ce qu’il pouvoit avoir d’amis, et de bons serviteurs. Et ce qui feit plus doubter ces Seigneurs, fut qu’on leur rapporta que le Duc de Guise venoit à main armée, et (comme s’il leur en voulut) ne prenoit point le chemin de Fontaine-bleau, où le Roy estoit, ains s’acheminoit à Paris, où aussi venoient le Roy de Navarre, le Duc de Mompensier, le Connestable, et les Mareschaux de sainct André, Brissac, Mommorency, et Termes. En somme, iceluy Duc de Guise arriva le premier jour d’Avril à Paris, où il fut receu fort honnorablement par les citoyens, et luy allans au devant et Princes et Officiers de la Couronne, et de la en avant se tint le Conseil au logis du Connestable, où tous les Seigneurs se trouvoient pour consulter sur ce qui seroit de faire pour empescher les menées qu’on entendoit estre faictes par ceux de la Religion, pour s’emparer de la ville. Au mesme temps vint à Paris, et tres bien accompaigné le Prince de Condé suivy des trois freres de Colligny, à sçavoir l’Admiral, Dandelot, et le Cardinal de Chastillon, du Comte de la Roche-Foucault, du Prince Portian, et autres Seigneurs suivans la nouvelle persuasion, et lesquels se disoient ennemis de la maison de Guise, qu’ils chantoient hautement avoit esté cause de la mort de tant de Noblesse aux tumultes d’Amboise. L’arrivée de ces Seigneurs, et la levée secrette d’hommes qui se faisoit en Paris, fut cause que le Roy de Navarre, comme Lieutenant general du Roy, feit publier à son de trompe, que tous Capitaines et soldats eussent à venir declairer ceux soubs la charge desquels ils estoient enroollez ; et en deffault de ce qu’ils eussent à vuider la ville dedans vingt et quatre heures, sur peine de punition corporelle, et en ce cry estoient compris tous Seigneurs sans nul excepter, afin que ces restrictions ne causassent plus grandes jalousies. On negotia cependant si bien, par le moyen de monsieur le Cardinal de Bourbon, lors Gouverneur de Paris, et assisté du Cardinal de Tournon, et du Mareschal de Brissac, que le Prince de Condé, et le Duc de Guise, sortiroient avec leurs trouppes de Paris, l’un du costé de Brie, et l’autre du Hurepois ; à cecy ayant travaillé la Roine par ses lettres, et par les jussions expresses du Roy ; car elle craignoit que si ceste Gend’armerie demouroit à Paris, il ne s’ensuivist quelque contention qui causast la ruine de la ville ; et tant plus ceste sage Dame poursuivoit ce deslogement, qu’elle oyoit le bruit (ne sçay si vray ou faux) de l’opinion qu’avoient les soldats de saccager Paris, et de s’enrichir des depoüilles de ceste riche, grande, et puissante ville. Tout aussi tost que ces trouppes furent sorties, on commença garder les portes à Paris, et y faire venir des forces, soubs les charges des seigneurs de Creve-coeur, de Banna, de Forcez, de Sarlaboz, de Noaillan, et autres jusqu’au nombre de seize enseignes, qui furent puis apres mises és Faux-bourgs la garde de la ville, et des portes demourant aux citoyens d’icelle ; estans nommez les Capitaines des quartiers, suivant l’ancienne coustume de la ville és affaires de pareille consequence, et où il estoit question de la conservation et salut du public. Il y en a qui tiennent que plusieurs furent d’advis qu’on donnast dessus le Prince, et les trois Collignis se retirans, et n’ayans encore grandes forces, plusieurs les ayans abandonnez au sortir de Paris ; mais le Conseil ne le trouva bon, ny ayant raison de les declairer pour ennemis, puis qu’ils avoient obey au mandement Royal, et que pour le faict de la Religion ny avoit apparence de les assaillir puis qu’ils estoient dispensez par la permission que leur donnoit l’Edit de Janvier de s’assembler. Tant y a que tous ces Princes et Seigneurs se trouverent à Fontaine-bleau, où estoit le Roy, et par le commandement de sa Majesté ; et feit on tant que le Prince de Condé, et le Duc de Guise parlerent ensemble, et s’accorderent sur le differend d’Amboise, et emprisonnement du Prince à Orleans, duquel le Duc de Guise se purgea, et dit n’en avoir onc esté cause ; et en fin s’embrasserent comme bons amis ; chascun estimant que la querelle fut du tout assoupie, d’autant que le Prince et les oncles (du costé de sa femme) les seigneurs Collignis se retirans, le Duc de Guise demoura en Cour, avec le Roy de Navarre, et monsieur le Connestable. Lesquels voyans et entendans que ceste paix estoit fourrée, et que par tout le Royaume se faisoient de grandes menées, et quelque faux bruit ayant esté semé qu’on vouloit enlever le Roy, et le mener à Orleans, se resolurent de le conduire à Paris, ville Capitale, et lieu de seure retraicte, et où les citoyens employeroient et vies et avoir, plustost que souffrir que mal ny injure fut faicte à leur Prince. A ceste cause monsieur le Connestable s’en alla devant, et arriva le quatriesme d’Apvril, qui estoit un iour de Sapmedy veille de Pasques closes, ou Quasimodo, où ne fut aussitost arrivé, qu’il ne constituast prisonniers quelques hommes seignalez de ceux de la Religion, pour estre soupçonnez d’avoir conspiré contre l’estat, et faire des menées, et bastir esmotions en la ville. Puis sortant ce matin mesme de la ville sur les huict à neuf heures du matin, fut suivy d’une belle trouppe de soldats, sur les fossez de Bracque entre les portes de sainct Marcel et sainct Jacques, abbatre le lieu où se faisoit la Presche des Huguenots en une maison dicte Hierusalem, à cause de l’enseigne pendant en icelle. Et après disner il en feit autant à Popincourt qui estoit vne ferme hors la ville du costé de la porte sainct Anthoine, les Ministres se sauvans, et les soldats qui estoient pour les garder, gaignans comme il peurent au pied ; lesquels peu de temps au-paravant avoient refusé d’obeyr au seigneur Comte de Candale, un des deputez pour la garde de Paris, de cesser d’y assembler, quoy qu’il se dit avoir ce commandement de la Majesté, et qu’il les priast, et exhortast, ne voulant user de la force qu’il avoit en main: et de cecy peux-je tesmoigner qui estois present au tout et veis la modestie et honnesteté de laquelle usa ce Prince Foixien envers un Ministreau nommé la Riviere qui respondit autant superbement que ce Seigneur luy avoit parlé doulcement, et sans user de menaces. Deslors les presches cesserent en Paris, et les Huguenots commencèrent à se deffier de la volonté du Roy, lequel vint le septiesme du mois d’Apvril mille cinq cens soixante-deux, faire son entrée à Paris, accompaigné d’Edoüard Alexandre de France Duc d’Orleans son frere, du Roy de Navarre, et Princes du sang, Officiers de la Couronne, Pairs de France, et Seigneurs en grand nombre, et fut receu avec la magnificence que le temps peut endurer, et selon les affaires, et miseres s’offrans lors en France. Ce fut lors que le descouvrirent les mescontentemens et partialitez, dés long temps encloses és cœurs d’aucuns qui s’aydoient de l’autorité des Princes qu’ils avoient attirez à leur party: car se saschans que les seigneurs de Guise, le Connectable et Mareschal S.André fussent respectez du Roy, et Roine mere, et que le Roy de Navarre se gouvernast par leur conseil, ils semerent des libelles diffamatoires, blasmans iceux Seigneurs de tyrannie, et qu’ils tenoient le Roy et la Roine sa mere en captivité ; disoient que les loix et Edits du Roy estoient violez, et les sujets de sa Majesté detenus en une miserable servitude.
Note
- François de Belleforest, L’Histoire des persécutions faites en Afrique par les arriens, sur les catholiques, du tems et regne de Genserich et Hunerich, roi des Vandales, faite en Latin par Victor, Evesque d’Utique, Paris, Gabriel Buon, 1563, A iij r°.
- Il est significatif, dans les Grandes Annales, que Jean Malo, pasteur protestant dont le prêche a été couvert par les cloches catholiques à l’église de Saint-Médard le 27 décembre 1561 – scandale à l’origine des guerres civiles selon Belleforest – se fasse justement par la suite « Servetiste, et Arrien » (François de Belleforest, Les Grandes Annales et histoire generale de France, dès le regne de Philippe de Valois, jusques à Henry III, à present heureusement regnant, Paris, Gabriel Buon, 1579, t. II, livre VI, f. 1626 v°, nous soulignons).
- Léger Duchesne, Remonstrance aux princes françoys de ne faire point la paix avec les mutins et rebelles, trad. François de Belleforest, Paris, D. Du Pré, 1567.
- Michel Simonin, Vivre de sa plume au XVIe siècle, Genève, Droz, 1992, p. 83.
- Sa traduction en 1577 du Trattato della communione de Cacciaguerra vient confirmer, deux ans avant les Grandes Annales, cet engagement. Belleforest se veut un proche des catholiques intransigeants. Il soutient ainsi par ses vers la Saint-Barthélemy et la famille des Guise, et dédicace son Histoire de la guerre qui c’est [sic] passée entre les Venitens et la Saincte Ligue contre les Turcs pour l’Isle de Cypre, ès années 1570, 1571 et 1572, Paris, Sébastien Nivelle, 1573, à Pigneron, « colonel des bandes bourgeoises du Cartier de l’Université de Paris », un des seize colonels chargés de la garde de la capitale (voir Michel Simonin, Vivre de sa plume au XVIe siècle, op. cit., p. 161-162).
- Voir par exemple : Remonstrance au peuple de Paris, de demeurer en la foy de leurs ancestres, Paris, Robert Le Mangnier et Vincent Norment, 1568 ; Discours sur les rébellions, auquel est contenu qu’elle est la misère qui accompaigne les trahistres, sédicieux et rebelles, et les récompenses qui les suivent selon leurs rébellions, Paris, Jean Hulpeau, 1572 ; Histoire de la Guerre qui c’est [sic] passée entre les Vénitiens et la Saincte Ligue, contre les Turcs, pour l’isle de Cypre, op. cit.
- Expression de George Huppert pour désigner les historiens cherchant à rénover l’histoire (Pasquier, Vignier, La Popelinière). L’Idée de l’histoire parfaite, trad. Françoise et Paulette Braudel, Paris, Flammarion, 1973, « Vieille histoire et historiens nouveaux », p. 15-30.
- Michel Simonin nuance néanmoins en rappelant que les Chroniques et Annales de Gilles représentaient alors pour un libraire un « produit prestigieux, assuré de trouver asile dans toutes les bibliothèques des clients aisés » (Vivre de sa plume au XVIe siècle, op. cit., p. 152).
- Bernard de Girard Du Haillan, L’Histoire de France, par Bernard de Girard, Seigneur Du Haillan, Historiographe de France, Paris, Pierre L’Huillier, 1576.
- Ibid., « Preface aux Lecteurs », n. p.
- Ibid.
- Les Grandes Annales déploient un catalogue des rois depuis Pharamond, dont on suit les dynasties et lignées, jusqu’à Charles IX.
- Il s’agit des deux dédicaces à Henri III qui ouvrent chacun des deux tomes et le chapitre « Diverses considerations sur l’origine des Françoys » précédant le premier livre des Grandes Annales (op. cit., t. I, A-B iiij r°).
- Il faut « prendre les Francs Gaulois en la France tant seulement » plutôt qu’aller les chercher dans le cheval de Troie (ibid., A iij v°).
- Ibid., ã ij r°.
- Nous renvoyons pour une étude des conceptions politiques des monarchomaques au livre de Paul-Alexis Mellet, Les Traités monarchomaques. Confusion des temps, résistance armée et monarchie parfaite (1560-1600), Genève, Droz, 2007.
- Respectivement, Les Grandes Annales, op. cit., t. I, ã ij v° et B iiij r°.
- « Au Roy », ibid., t. II.
- Du Haillan justifie ce terminus ad quem par deux raisons : d’excellents historiens ont déjà traité les règnes suivants (Commines, Guichardin, Guillaume du Bellay, etc.) et ceux qui écrivent l’histoire de leur temps sont pris par des passions et des intérêts qui les contraignent à « mentir appertement » ou à « bigarrer les choses » et ne possèdent donc pas la « hardiesse et liberté de langage » nécessaires à l’historien (« Preface aux Lecteurs », Histoire de France, op. cit., **iiij r°).
- Voir Étienne Pasquier, Des Recherches de la France, livre premier. Plus, un pourparler du prince, Paris, Vincent Sertenas, 1560, chap. VI, f. 24 v°-29 v° et le « Discours de l’etymologie et origine des Francs et Francons qui depuis furent appelez François » que Du Haillan place en ouverture de son Histoire de France, op. cit. Pour Belleforest, les Cimbres, considérés comme un peuple celte, ne sont pas arrivés mais revenus en Gaule après l’avoir quittée et s’être momentanément installés en Germanie pour une raison obscure. La démonstration de Belleforest, dirigée contre les historiographes qu’il désigne de l’expression polémique « ceux qui nous font Germains », s’étend sur plusieurs pages (Grandes Annales, op. cit., t. I, A ij v°-B v°).
- Pour une mise en perspective historique de la question, voir Jelle Koopmans, « À l’ombre de Pharamond : la royauté élective », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 20, 2010.
- Du Haillan, L’Histoire de France, op. cit., p. 124.
- Si des élections ont eu lieu, c’est uniquement pour venir confirmer la succession et rendre hommage au nouveau prince (Grandes Annales, op. cit., t. I, B iij r°). Belleforest inverse ici un argument de Du Haillan qui faisait de la succession une marque d’affection des Français envers le roi décédé.
- François Hotman, La Gaule francoise de François Hotoman Jurisconsulte, trad. Simon Goulart, Cologne, Hierome Bertulphe, 1574, p. 61-62.
- Du Haillan, L’Histoire de France, op. cit., p. 24.
- Belleforest, Grandes Annales, op. cit., t. I, f. 14 r°.
- Hotman, La Gaule francoise, op. cit., p. 67.
- Du Haillan, L’Histoire de France, op. cit., p. 25.
- Belleforest, Grandes Annales, op. cit., t. I, f. 14 v°.
- Ibid., f. 16 r°.
- Afin d’alléger l’appareil de notes, nous avons choisi de placer toutes les références aux Grandes Annales, op. cit., t. I et II, entre parenthèses.
- Ibid., t. II, f. 1626 r°-1628 v°. Ce texte figure en annexe, nous y renvoyons pour toutes les citations suivantes.
- Pour l’analyse de cet édit, nous renvoyons à l’article de David El Kenz, « “L’avant-guerre” des guerres de Religion, d’après les lettres historiques d’étienne Pasquier », Les Dossiers du Grihl, 1, 2017.
- Edict du roy Charles neufvième de ce nom, faict par le conseil et advis de la Roine sa mère, du roy de Navarre, des princes du sang et seigneurs du conseil privé, appelez avec eux aucuns présidens et principaux conseillers des cours souveraines de ce royaume, sur les moyens les plus propres d’appaiser les troubles et seditions survenus pour le faict de la religion, Paris, Robert Estienne, 1561, A iiij r°.
- Cette remarque est une nouvelle pierre jetée dans le jardin de ceux qui croient encore à un règlement pacifique de la discorde. Belleforest est resté fidèle à sa position belliqueuse depuis la Remonstrance aux princes de 1567.
- Le chapitre se poursuit quelque peu au-delà de notre découpage : Belleforest développe alors les conséquences de cette défiance protestante qui conduira à l’abolition de l’édit de Janvier et à la prise d’armes des nobles.
- Sur ce personnage, voir Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La Violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990, t. I, p. 88-89.
- Comme le dit François-Xavier Petit au sujet de l’iconoclasme protestant, « il y a bien sûr scandale dans l’événement qui choque (en l’occurrence les ravages iconoclastes), mais celui-ci prend racine dans la construction des circonstances du scandale, c’est-à-dire dans la mise en place d’un contexte qui prépare la chute, qui place sur les chemins (des chrétiens) une pierre de scandale » (« Dire ou ne pas dire. Le scandale de l’iconoclasme protestant de 1562 par Charles de Bourgueville », Hypothèses, 16, 2013, p. 193).
- Le scandale, selon John B. Thomson, se définit comme un « drame de la dissimulation et du dévoilement » (cité par Damien de Blic et Cyril Lemieux, « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix, 71, 2005, p. 21).
- La séquence se conclut d’ailleurs sur une césure énonciative forte avec la réintroduction de la première personne : « J’ay dit qu’on faisoit une assemblée ». Voir l’annexe p. 156.
- Par exemple, le peuple est scandalisé après une dissolution du clergé (f. 133 r°), après que l’évêque de Marseille a décidé de retirer les images de son diocèse pour ne pas favoriser l’idolâtrie (f. 148 r°) ou encore après que le comte d’Auxerre a chassé les chanoines et s’est saisi de leurs biens (f. 594 v°).
- Voir pour ces notions, Anne-Pascale Pouey-Mounou, Panurge comme lard en pois. Paradoxe, scandale et propriété dans le Tiers Livre, Genève, Droz, 2013, p. 65-77.
- Annexe, p. 156
- Le texte multiplie les figures de répétition (« tête haute »), d’accumulation (« tout gaigner, et d’envoyer le Pape, et sa puissance ») de parallélisme (« un Ministreau nommé la Riviere qui respondit autant superbement que ce Seigneur luy avoit parlé doulcement ») qui valent comme équivalent stylistique de la saturation morale que crée le scandale.
- Selon la célèbre définition d’Ambroise Paré, Des Monstres et Prodiges (1573), éd. Jean Céard, Genève, Droz, 1971, p. 3.
- Pasquier, Les Lettres d’Estienne Pasquier conseiller et advocat general du Roy à Paris, Paris, L. Sonnius, 1619, t. I, L. IV, p. L. IV, p. 205-216. David El Kenz a également analysé cette lettre dans son article déjà cité (« “L’avant-guerre” des guerres de Religion, d’après les lettres historiques d’étienne Pasquier », art. cit.).
- Pasquier, Les Lettres, op. cit., p. 207.
- Ibid. p. 208.
- Ibid., p. 213.
- Expression reprise à Éric de Dampierre, « Thèmes pour l’étude du scandale », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 3, 1954, p. 336. Comme le sociologue le rappelle dans une formule énergique, « pas de scandale sans public » (p. 331).