Introduction
L’ordre institutionnel propre à l’insertion par l’activité économique (IAE), celui de l’aide à domicile (AD), et les gouvernances territoriales spécifiques qui en résultent dans chacun des territoires, décrivent des processus d’élaboration de réponses à des besoins sociaux touchant différentes catégories de populations vulnérables : personnes éloignées des conditions d’accès à un emploi ordinaire pour l’IAE, personnes âgées dépendantes pour l’AD. Les processus décrits font émerger de nouvelles catégories de populations vulnérables, non seulement en tant que bénéficiaires des services proposés, mais aussi associées, selon les contextes territoriaux, à la mise en œuvre des réponses : des femmes disposant de faibles qualifications, les populations migrantes.
À travers les objectifs qui leur sont assignés, et les conditions nécessaires à leur satisfaction, ces processus soulignent l’émergence de deux types de questionnements. D’une part, l’empowerment des personnes bénéficiaires des activités et services, tout comme celui des personnes chargées de leur mise en œuvre, potentiellement lié par une réciprocité consubstantielle à l’objet même des prestations et services. La question qui en émerge est la place qu’occupent, pour chacune de ces activités, « usagers » bénéficiaires et opérateurs agissants, et ce, à titre individuel et collectif. Il s’agit dès lors de questionner, en les critiquant, les gouvernances tutélo-marchandes qui semblent s’imposer pour chacun des secteurs, et la faible place occupée par les bénéficiaires et les opérateurs directement agissants dans les communautés sectorielles qui les concernent. De quelle gouvernance partenariale le territoire peut-il être porteur si bénéficiaires et opérateurs y sont faiblement associés, car considérés comme des objets de prestations ou des sujets faiblement qualifiés ?
D’autre part, l’ordre institutionnel propre à l’IAE, tout comme celui de l’AD, renvoient à des décloisonnements sectoriels qui vont au-delà de coopérations intersectorielles. Dans le cas de l’IAE, la qualification même de l’activité avec sa visée d’insertion socioprofessionnelle conjugue des logiques sectorielles de l’action sociale, de l’emploi, de la formation, et du développement économique. Pour ce qui concerne l’AD, la comparaison interterritoriale met en évidence des croisements entre les secteurs de l’action sociale et de la santé. La difficile qualification de l’IAE et de l’AD en tant que secteurs spécifiques, ne renvoie-t-elle pas à la fabrique d’une nouvelle économie territoriale, qui placerait l’action sociale au cœur des logiques d’économie, d’emploi, de formation et de santé ? Elle vient questionner la place occupée par l’action sociale dans les dynamiques territoriales de développement, et la capacité de ces dernières à intégrer les besoins des populations vulnérables. Elle invite à montrer comment les effets d’encastrement entre l’économique et le social se donnent à voir, selon une approche polanyienne renouvelée.
L’empowerment, comme butée à l’extension marchande
Nous pouvons qualifier l’empowerment comme un processus de maturation personnelle, d’autonomisation et d’acquisition de la capacité à intégrer des informations de l’environnement sans être menacé par celui-ci, pour permettre à chacun d’autodéterminer sa vie et de réaliser ainsi les buts qu’il s’est fixés. Le processus permet à l’individu d’être doté d’un pouvoir venant de soi, un pouvoir de soi et sur soi. Cette capacité à formuler et à réaliser des objectifs peut s’inscrire dans la sphère personnelle, selon une approche par les capabilités (Sen, 1992), mais se prolonger aussi selon une perspective collective, voire politique (Giddens, 1991, Bacqué et Biewener, 2013). Très développé depuis les années 1990 dans le monde anglo-saxon, pour des champs variés (action sociale, éducation, développement international), « l’empowerment articule deux dimensions : celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder. Il peut désigner autant un état qu’un processus, cet état et ce processus étant à la fois individuels, collectifs et sociaux ou politiques – même si, selon les usages de la notion, l’accent est mis sur l’une de ces dimensions, ou au contraire sur leur articulation. Cela implique une démarche d’autoréalisation et d’émancipation des individus, de reconnaissance des groupes ou des communautés, et de transformation sociale » (Bacqué et Biewener, 2013 : 6). Bacqué et Biewener considèrent qu’en France l’empowerment commence à devenir une « méthode professionnelle dans le travail social, dans une chaîne d’équivalence encore en formation : solidarité sociale, service social collectif, approche territorialisée, prise en compte des contextes de vie, participation de proximité, développement local, activation, processus de changement social, repositionnement de la relation travailleur/usager » (ibid. : 134). Les mêmes auteurs soulignent qu’une appropriation large de ce concept selon une vision libérale le viderait peu à peu de sa dimension collective, et effacerait explicitement sa visée de transformation politique. Ils mettent finalement en évidence trois idéaux-types d’empowerment.
L’un, radical, repose sur une remise en cause du système capitaliste, grâce à une conscientisation et un pouvoir exercé par ceux d’en bas. L’autre est qualifié de social-libéral : les notions d’égalité, d’opportunités, de lutte contre la pauvreté, de bonne gouvernance, d’autonomisation et de capacité de choix sont liées. Le troisième, défini comme néolibéral, ne s’intéresse qu’aux capacités individuelles des individus, de telle manière qu’ils puissent être intégrés au monde du travail et de la consommation, et prendre leur place dans l’économie de marché, sans que la question de l’émancipation et de la justice sociale ne soit posée, sans remise en cause des inégalités sociales.
Nous tâcherons pour notre part de dégager les différentes formes, individuelles et collectives, de l’empowerment révélées à travers l’analyse de l’ordre institutionnel de l’IAE et de l’AD. Nous vérifierons de quelle manière elles contribuent à l’émergence d’un questionnement critique à l’égard des effets d’une extension marchande de la couverture des besoins des populations vulnérables, selon un modèle qui serait purement néolibéral.
La mise en œuvre des capabilités individuelles
Les travaux sur les capabilités (Sen, 1992) constituent une critique d’un paradigme utilitariste de l’analyse des inégalités développée par certains philosophes tels John Rawls (Hauchecorne, 2009). Sen considère que l’évaluation du statut des individus au sein de la société doit dépasser l’utilité, le revenu, les droits et autres ressources, pour s’orienter vers les libertés et les opportunités d’être et de faire ce que les individus ont raison de valoriser. L’ensemble des fonctionnements potentiels que l’individu peut réaliser est appelé capabilité (capability), venant consacrer la liberté de fonctionner de l’individu. Il s’agit donc de chercher l’égalité dans le domaine des capabilités ou encore des libertés, c’est-à-dire celui des opportunités, et non des ressources ou des accomplissements. Cette approche qui vient consacrer le primat de la liberté s’appuie également sur un idéal d’égalité. L’État, pour Sen, aurait ainsi pour rôle de viser la justice sociale par l’égalité des capabilités et de corriger les défaillances du marché à cet égard. L’analyse de l’ordre institutionnel propre à l’IAE et celle de l’AD sont illustratives de la recherche du développement des capabilités des personnes, en tant qu’objet même de l’activité ou en tant que condition pour répondre à l’objectif assigné à chacun des secteurs.
L’approche par les capabilités au sein de L’IAE
La finalité assignée à l’IAE vise l’insertion par l’emploi, mais afin de tenir compte des difficultés particulières des publics qu’elle touche, elle introduit la notion d’accompagnement socioprofessionnel, supposé répondre à la globalité des besoins des personnes accueillies. La comparaison entre les deux modèles territoriaux montre des voies différentes en termes de moyens mobilisés et d’évaluation des résultats, au regard du développement des capabilités. En termes de moyens mobilisés, l’organisation structurelle des entités impose ses propres contraintes ou avantages. Ainsi le modèle très intégré des entités promotrices/SIAE en Communauté autonome basque présente-t-il deux avantages : il permet de s’appuyer sur des travailleurs sociaux et formateurs des entités promotrices, de définir avec eux des parcours progressifs, de telle manière que l’arrivée au sein de la SIAE constitue une étape sans rupture dans un parcours d’accompagnement. La mise en emploi au sein de la SIAE, dans des conditions très proches de salariés de statut ordinaire, permet de travailler la double dimension accompagnement social/mise en emploi, sans que cette dernière ne marque le début d’une expérience où activité professionnelle et accompagnement social constitueront deux mondes dissociés.
La préoccupation éthique portée par Gizatea concerne notamment l’orientation de l’accompagnement socioprofessionnel au sein des SIAE, afin de ne pas réduire l’objectif de la SIAE à une simple mise en condition d’emploi. En Pays basque français, la dimension d’accompagnement social est beaucoup plus forte dans les ACI que dans les autres familles de l’IAE. Mais les accompagnateurs se situent dans une configuration où le caractère moins intégré de l’action sociale les oblige à travailler en partenariat avec les travailleurs sociaux d’autres entités (Conseil général, municipalités, mais aussi organismes de formation, associations) s’ils veulent éviter une rupture de prise en charge avec l’amont de la SIAE. En termes d’évaluation des résultats, le modèle de la Communauté autonome basque privilégie la mise en emploi, l’employment, comme critère de légitimation du secteur. Cette visée est d’autant plus forte que la survie économique des SIAE est conditionnée par leur capacité d’insertion marchande, et in fine par les performances productives des salariés accueillis. L’effet de la crise économique aidant, les salariés accueillis sont ceux pouvant répondre à ces critères de performance, sans réelle problématique sociale, au risque d’instrumentaliser l’accompagnement social et le développement des capabilités en les soumettant à des impératifs de performance économique à court terme.
Pour le Pays basque français, la mise en place des conventions d’objectifs sur des critères de mise en emploi pour situer les performances et donc conditionner les financements des SIAE, pourrait signifier le même glissement. Si ce n’est que l’acception même de sortie positive ouvre vers d’autres issues que l’emploi, comme le choix d’une formation professionnelle, pouvant révéler une progression dans l’acquisition des capabilités. L’une des différences entre les deux modèles territoriaux est que le Pays basque français pourrait considérer, à travers les ACI surtout, l’acquisition de certaines capabilités comme un préalable à une insertion par l’emploi, alors que le modèle de la Communauté autonome basque privilégie des processus parallèles et itératifs. Dans les deux cas, de manière plus historiquement datée pour le Pays basque français, et du fait de la préoccupation éthique plus récente amenée par Gizatea en Communauté autonome basque, l’existence même de l’IAE renvoie à une question destinée à l’ensemble des acteurs économiques : tout emploi, par nature, ne génère pas la même aptitude à développer des capabilités. Si l’enjeu d’accroissement des capabilités individuelles est d’améliorer le processus d’expansion des libertés réelles, il peut se transformer en enjeu pour le développement des territoires et leurs propres dynamiques. Il devient alors un questionnement pour les dynamiques territoriales dans lesquels les modèles économiques se construisent.
L’approche par les capabilités au niveau de l’AD
Les travailleuses à domicile
Les personnes intervenant à domicile, des femmes de manière très majoritaire dans les deux territoires, sont à distinguer selon qu’elles relèvent d’un statut légal ou illégal. Pour les premières, soit la très grande majorité en Pays basque français, et une proportion moindre dans le Guipuzcoa, l’évolution des profils des travailleuses des structures professionnelles indique une progression dans le sens d’une élévation du niveau de qualification. Quel que soit le territoire et le statut juridique des structures employeuses, les entités, et notamment celles qui bénéficient de la plus forte antériorité, témoignent toutes de situations personnelles difficiles auxquelles sont confrontées certaines de leurs salariées. Des structures issues de l’ESS témoignent même du choix de l’aide à domicile comme secteur porteur d’alternative pour des femmes sans emploi peu qualifiées. L’aide à domicile devient donc un enjeu de support d’acquisition de capabilités pour des femmes qui en sont peu dotées. Les formations dispensées et la reconnaissance des qualifications correspondantes participent de ce même enjeu. Ceci, afin que l’orientation vers cette activité résulte d’un choix assumé positivement au regard d’autres choix possibles, ce qui traduirait de fait l’acquisition de nouvelles capabilités. Mais la reconnaissance de cette capabilité doit se traduire in fine par une « juste » rétribution, l’appréciation de cette dernière étant indissolublement liée à la mise en évidence de la plus-value d’une intervention professionnelle, au regard des besoins globaux de la personne âgée. C’est peut-être ce qui fait défaut aujourd’hui, de manière nuancée en Pays basque français, et beaucoup plus marquée dans le Guipuzcoa.
Car ici l’emploi illégal y est fortement prégnant, arrimé à des représentations culturelles qui associent tout aussi fortement le genre féminin, l’environnement familial, l’espace domestique, et la prise en charge de la personne âgée. L’accompagnement social de la personne âgée n’y prévaut pas, car il renverrait à un référentiel trop éloigné des représentations qui rendent l’emploi illégal possible. L’aide à domicile est devenue un service à rendre, et non pas une prestation professionnelle à accomplir. L’espace domestique ne se prête pas à des interventions réglées selon les usages contemporains de la prestation professionnelle. Il pourrait ainsi se prêter au retour d’une nouvelle forme de domesticité (Gorz, 1990), consacrant le renoncement à une perspective de développement de capabilités pour des femmes que les trajectoires migratoires ont conduites vers des domiciles autres que les leurs. Ces espaces privés sont devenus leur nouveau monde encastré dans celui de l’autre, selon des règles qu’elles ne maîtrisent pas. De ce point de vue, la priorité accordée à la rente dans le Guipuzcoa grâce aux prestations économiques non liées à un service professionnel, l’insuffisance du suivi et du contrôle, le cadre rigide dans lequel doit s’exercer le service professionnel, ne font qu’alimenter le terreau dans lequel l’emploi illégal a pris racine.
Les personnes âgées
Il peut sembler paradoxal d’envisager l’accompagnement de la personne âgée dépendante au regard d’une approche par les capabilités. La notion de dépendance vient heurter la possibilité d’exercer un pouvoir venant de soi et sur soi. Et pourtant, l’acception polysémique et protéiforme de la notion même d’accompagnement personnalisé n’exclut pas l’empowerment, et la reconnaissance des capabilités de la personne âgée. Le vieillissement étant un processus graduel, la dépendance qui en résulte l’est également, selon un curseur sur lequel autonomie1 et dépendance constituent les deux faces de l’inexorabilité de la condition humaine. Ainsi l’enjeu de l’accompagnement est-il de reconnaître les capabilités de la personne âgée, et de se situer justement par rapport à elles, dans un rapport qui ne nie pas la dépendance réelle, mais qui ne l’amplifie pas non plus. La justesse de ce rapport peut générer de nouvelles capabilités chez la personne âgée, en tant que sujet autonome capable de porter des choix. Nous sommes ici très loin de la réduction d’un service à son expression domestique. Envisager l’accompagnement de la personne âgée dépendante sous l’angle de son empowerment réhabilite ou conforte la perspective professionnelle dans laquelle se situent les acteurs de l’aide à domicile. Car évaluer avec justesse la nature de l’accompagnement, savoir se situer selon un processus évolutif, relèvent d’une prestation professionnelle, malgré la difficulté de qualification de cette dernière. Sous cet angle, l’empowerment des travailleuses à domicile et celui de la personne âgée sont solidairement liés.
La perspective d’un engagement collectif pour l’action publique
La théorie critique soulève une autre dimension de l’empowerment, qui est celle de la participation à la vie politique, à comprendre comme la participation à un processus de décision qui permettre de gouverner la cité. Giddens (1991), Bacqué et Biewener (2013) lient empowerment et espace politique permettant la résolution des droits et des obligations des uns et des autres par la génération de conflits. L’empowerment déborde alors la capacité à formuler et réaliser des objectifs personnels. Il devient empowerment territorial, soit un enjeu pour la gouvernance territoriale. Autant pour l’IAE que l’AD, les modèles territoriaux décrits par leur ordre institutionnel spécifique dessinent très faiblement cette perspective d’engagement collectif des bénéficiaires.
Dans le cas de l’IAE, elle se heurte à deux écueils. D’une part, l’individualisation du travail social, presque autant que sa personnalisation, vise des situations particulières qui s’inscrivent rarement dans des cadres collectifs, en France notamment. Dans le Guipuzcoa, les personnes en difficulté sont catégorisées selon des collectifs d’appartenance, mais cette dimension collective en amont n’est pas prolongée durant et à l’issue du processus d’accompagnement. Dans les formes associatives ou coopératives, les salariés en insertion sont rarement associés à la gouvernance interne de leurs structures, la brièveté de leur passage au sein des structures pouvant constituer une difficulté à l’envisager, sauf si leur emploi est pérennisé dans la même structure. Ensuite, le souci d’invisibilité pour éviter le risque de stigmatisation bien réel, notamment de la part des entreprises ordinaires, rend difficile une organisation collective. Ceci d’autant plus que la sortie positive est corrélée à l’intégration dans l’entreprise ordinaire, et in fine à la sortie des circuits sociaux. S’il s’agit de rendre son parcours invisible pour améliorer sa perspective d’intégration future, alors l’organisation collective témoin de ce parcours pourrait s’avérer pénalisante.
Dans le cas de l’AD, les deux modèles territoriaux indiquent la difficulté de regroupement des travailleuses à domicile sous la bannière d’une communauté d’intérêts. En Pays basque français, le fractionnement des entités selon leurs statuts juridiques et les différences de conditions qui s’ensuivent pour les salariées ne favorisent pas les perceptions communes. En Guipuzcoa, la faiblesse relative des personnes intervenant à titre professionnel, au regard de celles qui interviennent dans un autre cadre (familial, domestique ou illégal) rend difficile un sentiment d’appartenance commune. Pour les deux territoires, la représentation collective des personnes âgées et de leurs familles est peu structurée. Ni les personnes âgées dépendantes, ni leurs familles ne sont regroupées au titre de leur situation spécifique, au sein d’un quelconque collectif, hormis pour des commissions consultatives dans le département des Pyrénées-Atlantiques. Les coopératives et fondations, tout comme les associations (autant du Guipuzcoa que du Pays basque français) interrogées reconnaissent que les familles ne sont pas représentées dans leurs conseils d’administration respectifs.
Ces absences révèlent, dans le cadre de l’empowerment collectif de l’aide à domicile, une organisation du pouvoir sous une forme dissymétrique au profit des technostructures. Les prises en charge historiques du vieillissement par l’État providence et les cellules familiales individuelles, ainsi que le révèlent la prégnance de la cité civique pour le Pays basque français et de la cité domestique pour le Guipuzcoa, accordent encore peu de place aux organisations spécifiques qui pourraient s’inscrire dans des dynamiques collectives. Autant pour l’IAE que l’AD, la faiblesse soulignée traduit un éloignement des publics dans la conception des services sociaux qui leur sont destinés. Dans une perspective polanyienne, on voit bien ici comment le principe de redistribution, qui reste très tributaire de la croissance marchande, a pu s’opposer au réductionnisme économique. Mais il semble avoir oublié que « l’approche de la solidarité démocratique s’est d’abord organisée sous une forme réciprocitaire qui avait une vocation économique, puis s’est développée par la redistribution publique, insérant les associations volontaires dans une relation tutélaire. […] Ce sont des actions collectives basées sur la réciprocité qui ont fourni les matrices de l’action publique redistributive. […] L’inclination à aider autrui, valorisée comme un élément constitutif de la citoyenneté responsable, porte en elle la menace d’un « don sans réciprocité » (Ranci, 1990), ne permettant comme seul retour qu’une gratitude sans limites et créant une dette qui ne peut être jamais honorée par les bénéficiaires. […] Elle favorise un dispositif de hiérarchisation sociale et de maintien des inégalités adossé sur les réseaux sociaux de proximité… » (Laville, 2013 : 286 à 288). Cet éloignement peut signer la disqualification ordinaire qui prive les publics bénéficiaires d’un statut d’égal, en naturalisant leur place dans l’espace social. L’enjeu devient alors celui des modalités d’ajustement entre les institutions et les bénéficiaires, au moyen de médiations adaptées (Weller, 2008), afin d’éviter des stratégies individuelles adaptatives produisant des politiques du guichet (Dubois, 2010). Il s’agit in fine de définir les modalités de production des politiques publiques qui autorisent plus ou moins la définition des utilités par les destinataires eux-mêmes en lieu et place des professionnels, pour écarter les risques de retrait face aux dispositifs d’aide et donc une non-demande sociale (Warin, 2010).
La fabrique d’une nouvelle économie territoriale
L’IAE et l’AD, à travers l’ordre institutionnel qui les décrit, soulignent les dynamiques sectorielles répondant à des besoins sociaux dans un contexte de crise d’État providence et de reconfigurations institutionnelles. Ces dernières s’inscrivent dans des processus de dés-encastrement et de ré-encastrement entre marché et protection sociale, posant des questions essentielles aux relations que les marchés entretiennent avec la société : celle du juste prix de la prestation, ou du juste salaire de l’opérateur réalisant cette dernière. Et in fine, celle de la juste qualification de cette même prestation. Nous avons pu voir également comment chacun des ordres institutionnels de l’IAE et de l’AD démontre la tentative d’un dépassement de blocage du duo État-marché, en inscrivant plus ou moins ce dernier dans des dynamiques de développement local, rendues possibles et renforcées par la cohésion de communautés sectorielles, et l’imbrication de chacun des secteurs dans leurs réseaux extra-sectoriels.
À travers leurs objectifs, les modalités de l’action publique, la composition de leurs communautés sectorielles et de leurs réseaux extra-sectoriels, l’IAE et l’AD posent une autre question : celle de leur délimitation en tant que secteurs d’activités spécifiques. C’est ainsi le thème de la frontière qui est amené, dans une perspective symbolique d’appartenance à un groupe. Où se situe le social, comment le distinguer de l’économique ou du sanitaire ? Nous avons pu voir que l’interaction par nature de l’économique et du social dans le cas de l’IAE et du sanitaire et du social dans le cas de l’AD, conduisent à postuler pour une forme de perméabilité entre secteurs, et donc entre frontières, ces dernières étant définies dans et par l’interaction (Barth, 1969). C’est ici la question de la définition du secteur qui est posée, sous l’angle à la fois du secteur de l’action publique, cet « impensé indispensable » (Muller, 2010), et du secteur d’activité. Ceci renvoie aux coopérations nécessaires pour construire l’intersectorialité, voire la transsectorialité (Muller, 2010, Bourgeois, 2015), cette dernière étant à comprendre du point de vue de l’intégration maximale. Un secteur serait alors incorporé à d’autres secteurs, ce dont témoigneraient des organisations intégrées, et la capacité à prendre en compte une dimension (l’accompagnement social, par exemple) dans toutes les politiques publiques.
L’espace socioéconomique : les limites d’une sphère sociale désencastrée du monde économique
La structuration de l’action publique à caractère social
Les deux modèles territoriaux développés autour de l’IAE interrogent l’action sociale à deux niveaux. D’abord celui de l’intervention publique, à travers les dispositifs d’accompagnement des personnes sans emploi, et les outils financiers et techniques correspondants. Ce niveau correspond à l’un des piliers de l’État providence, permettant de couvrir le risque de non-emploi, assorti de conditions plus ou moins restrictives pour y accéder et en bénéficier. Selon les territoires, l’organisation déconcentrée de l’intervention sociale fait intervenir une ou plusieurs institutions à cet effet (Pôle Emploi, Conseil général, municipalités/CCAS, diputación, Lanbide, associations et fondations, centres de formation). En termes de moyens humains notamment, les travailleurs sociaux correspondants peuvent être plutôt regroupés (cas de la Communauté autonome basque) ou dispersés par métiers, situations particulières des publics, domaines du social (cas du Pays basque français).
Le second niveau amené spécifiquement par l’IAE est celui de la capacité d’intégration du travail social par les entités (SIAE) personnalisant le secteur lui-même. Les textes réglementaires dans chacun des territoires font état de la présence d’accompagnateurs socioprofessionnels insérés dans les structures. Ces accompagnateurs, dont la fonction est d’aider les bénéficiaires à cheminer en fonction d’objectifs personnalisés définis dès leur arrivée dans la structure, incarnent une forme de continuité avec les travailleurs sociaux rattachés aux institutions publiques. Mais c’est là que chacun des deux modèles territoriaux renvoie deux configurations distinctes d’une action sociale plus ou moins intégrée. Alors que la Communauté autonome basque, par sa structuration entité promotrice/SIAE, révèle un caractère fortement intégré, le Pays basque français indique une déclinaison plus éclatée de l’action sociale. En Communauté autonome basque, l’accompagnement social est en effet dispensé dès l’amont de la SIAE par des travailleurs sociaux de l’entité promotrice. Sans équivalents en Pays basque français, ceux-ci sont représentés par des travailleurs sociaux rattachés à différentes structures (publiques ou associatives, dans certains cas) traitant séparément les domaines de l’orientation professionnelle, de la formation, de la recherche d’un logement…Cette intégration horizontale (entre le social et l’économique) en Communauté autonome basque n’a pas son pendant en Pays basque français, dans le domaine de l’IAE. Ceci n’est pas sans conséquence de deux points de vue. D’une part, le caractère intégré de l’action publique à caractère social. D’autre part, la forme et la qualité des articulations entre les sphères sociale et économique.
L’appel à l’économie marchande pour se saisir d’enjeux sociaux
Les acteurs économiques sont invités à la table de l’insertion socioprofessionnelle. Logiques sociale et économique se rejoignent sans se confondre au service de ce rendez-vous qui ne peut être honoré autrement que par leur conjonction. Les logiques marchandes sollicitées interviennent à plusieurs niveaux. D’une part, les activités support soumettent les SIAE à des concurrences marchandes avec des entités issues de l’économie que nous avons qualifiée d’ordinaire. Pour atténuer l’âpreté de cette confrontation, la puissance publique est de plus en plus sollicitée à travers les marchés publics et les clauses d’insertion sociale. Nous avons vu que le Pays basque français, à travers le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques et certaines municipalités, est de plus en plus enclin à développer des marchés publics afin d’assurer à l’IAE ses conditions d’existence.
L’objectif de cette mobilisation étant d’abord de permettre à l’IAE d’exister, le risque est d’enfermer les publics dans des marchés réservés, aux conditions d’exécution particulières, les éloignant de l’entreprise ordinaire et d’un apprentissage permettant d’y accéder.
L’économie marchande est directement sollicitée pour contribuer aux objectifs de l’IAE. D’une part, certaines dispositions des marchés publics obligent les entreprises adjudicataires à embaucher des personnes en insertion. La puissance publique régulatrice vient ici imposer une règle assignant aux entreprises un objectif social à part entière, alors qu’elles en sont parfois très éloignées, décrivant ainsi une forme de ré-encastrement de l’économique et du social. D’autre part, en aval de la SIAE, les personnes sont supposées pouvoir postuler à un emploi qualifié d’ordinaire dans l’entreprise marchande. Ici encore, chacun des modèles territoriaux de l’IAE relève d’une configuration particulière. Ainsi dans le cas du Guipuzcoa, cette situation pourra être atteinte au sein même de la SIAE, en raison d’une mixité de publics (en insertion et hors processus d’insertion) positionnés sur des postes de travail identiques.
En Pays basque français, tout recrutement dans une entreprise ordinaire viendra signer la réussite de l’accompagnement en amont. Qu’elle soit sollicitée durant le parcours d’insertion ou à son issue, l’entreprise ordinaire est associée au processus d’insertion. Les réflexions développées autour de l’empowerment, comme possibilité de développement des capabilités individuelles, s’avèrent questionner l’économie marchande tout entière, y compris lorsqu’elle n’est pas directement associée à des dispositifs particuliers visant des personnes en insertion. Un certain niveau d’empowerment peut-il conditionner l’employabilité au sein de l’entreprise marchande ? Faut-il dans ce cas privilégier une approche utilitariste des capabilités, en s’intéressant uniquement à celles qui facilitent l’acquisition des codes nécessaires à l’intégration dans le monde marchand ? Quelle est la capacité de l’entreprise marchande à développer à son tour des capabilités auprès des personnes qu’elle emploie ? Mais par extension, il s’agit d’un questionnement sur l’aptitude de l’emploi marchand ordinaire à produire de l’insertion sociale, dont les acteurs économiques dans leur grande diversité pourraient se saisir, par effet de symétrie et de complémentarité avec les acteurs « du social », selon leur intérêt commun pour plus d’empowerment, au service des dynamiques territoriales. Comment l’effort conjoint entre travailleurs sociaux et entreprise marchande pour plus d’empowerment peut-il s’exercer, du dehors vers l’entreprise, et au sein de l’entreprise ? Quelle est alors la place du travailleur social dans cette dynamique ? Selon cette solidarité de fait liant objectifs sociaux et économiques, comment dessiner les contours territoriaux d’un espace socioéconomique en construction, tributaire à la fois de l’organisation de l’action publique en matière d’intervention sociale et des dynamiques territoriales ?
C’est en vertu de ces questionnements, parfois portés par les acteurs rencontrés eux-mêmes, que l’IAE contribue très clairement à effacer la netteté d’une séparation entre l’économique et le social, pour faire émerger un nouvel espace. Nous pouvons le qualifier, en restreignant le sens du social, d’espace socioéconomique. La sphère sociale et la sphère économique se rencontrent encore difficilement, ainsi que le souligne le caractère peu intégré des réseaux extra-sectoriels de l’IAE par exemple. Dans cette rencontre difficile, les acteurs de l’ESS pourraient jouer un rôle particulier, en raison de leur aptitude à se saisir de ces questionnements, à rechercher à la fois performance économique et responsabilité sociale. Ceci, dès lors qu’ils peuvent exister pour porter ces débats vers l’extérieur, en faisant valoir la puissance d’un réseau, ainsi que le démontre le cas émergent de l’organisation de l’ESS en Communauté autonome basque.
L’espace sociosanitaire : des imbrications plus que de simples coopérations
Les interactions suscitées par le bas
L’organisation territoriale mise en évidence pour le Pays basque français indique comment cette rencontre se dessine dans des espaces de terrain configurant des communautés informelles et des réseaux formels. Pour pouvoir répondre à leur mission, les opérateurs de l’aide à domicile ont eu besoin de construire des passerelles avec le secteur sanitaire. Comme peuvent en témoigner plusieurs de ces opérateurs, la question du maintien à domicile doit être traitée aujourd’hui dans un cadre partagé mêlant dans une communauté d’intérêts les acteurs issus des deux univers. Les opérateurs de l’aide à domicile représentent souvent la garantie d’une continuité et d’une permanence au domicile des personnes âgées dépendantes, ce qui leur donne une forme de primauté d’intervention, et une légitimité à ce titre pour les besoins de coordination avec les autres intervenants ponctuels engagés sur des questions de soins.
La construction de ces espaces de coordination informels et formels, et la reconnaissance du rôle qu’y jouent les opérateurs de l’aide à domicile, résultent d’un long apprentissage et de quelques frottements entre acteurs de l’intervention sociale et de l’action sanitaire. En Pays basque français, les témoignages concordent aujourd’hui en faveur d’un apaisement et d’une tendance à la coopération avec deux catégories d’intervenants essentiellement : les infirmiers et le médecin de famille. Les frottements doivent beaucoup à l’indétermination régnant quant à la délimitation entre le care et l’acte de soin. La question de la frontière détermine la qualification d’un métier et la reconnaissance d’une compétence professionnelle. La pratique de terrain, après des glissements par passages non autorisés de frontières, du social vers le sanitaire, crée de nouveaux équilibres et des besoins de redéfinition des frontières. C’est en ce sens que l’arrivée de nouveaux opérateurs privés dont quelques-uns intègrent la dimension sanitaire interroge tant les autres opérateurs de l’aide à domicile, tout comme le monde sanitaire.
La configuration, encore peu répandue en Pays basque français, de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) adossés à une activité d’aide à domicile, dont le Conseil général souhaite le développement, pourrait préfigurer une voie d’avenir pour une définition par le bas des frontières entre intervention sociale et action sanitaire. En Communauté autonome basque, les interactions entre sphère sociale et sanitaire sont également actives sur le terrain, comme peut le révéler la proximité entre les travailleurs sociaux de certaines municipalités et le personnel médical des centres de santé municipaux. La perméabilité entre l’action sociale et le soin peut s’avérer particulièrement forte, à l’image d’un groupe privé engagé dans le SAD qui est déjà amené à gérer du personnel médical dans les centres résidentiels.
Pour des rapprochements institutionnels en perspective
Ces interactions par le terrain renvoient à la nécessité de dessiner des espaces de coopération plus institutionnels, afin de dresser la carte d’un nouveau secteur sociosanitaire en construction. Plusieurs obstacles s’y opposent. En Pays basque français, la coexistence de trois types d’opérateurs en matière d’aide à domicile génère des espaces d’intervention aux logiques distinctes. Les CCAS/CIAS, établissements publics adossés aux communes et aux intercommunalités, interviennent en fonction de la compétence d’action sociale exercée par ces dernières. La définition de cette compétence vient déterminer la frontière du secteur, qui admet dans ce cas une faible porosité avec le secteur sanitaire2.
En matière de santé, la création en 2009 de l’Agence régionale de santé (ARS) révèle pour la France la maîtrise par l’État (Loncle, 2009) du processus de régionalisation des politiques d’offre de soins et de santé publique. L’ARS se situe en effet comme une instance de régulation de l’offre de soins hospitaliers, de la médecine de ville et de la santé publique. Elle pilote et coordonne l’organisation des moyens, dans le cadre d’initiatives portées parfois par les collectivités locales. C’est ainsi qu’en Pays basque intérieur, plusieurs collectivités se sont mobilisées pour faire face au processus de désertification médicale touchant les zones rurales et se traduisant par une inégalité territoriale en termes d’offre de soins. Ce qui dans le cas de la dépendance des personnes âgées, revient à en faire un problème de santé publique, et non pas seulement un problème médical relevant de la seule responsabilité des soignants. Ceci pose donc clairement la question du rôle et de la place des politiques locales, du corps social, des travailleurs sociaux (dans leur acception la plus large) dans la prise en charge de ce problème de santé publique. Les rapprochements institutionnels entre l’ARS et le Conseil général se traduisent par le droit de regard de la première sur le schéma départemental gérontologique élaboré par le second. Aujourd’hui, cette organisation institutionnelle territoriale dessine plutôt un ordre parallèle de deux institutions qui sont amenées à se rencontrer, sans pour autant élaborer la construction d’espaces communs en matière de prise en charge du maintien à domicile.
En Communauté autonome basque, l’offre de soins est pilotée par Osakidetza, adossé au gouvernement régional, venant confirmer la tendance lourde à la régionalisation des politiques de santé dans le sud de l’Europe (DREES, 2006). L’organisation locale de l’offre de soins, reposant sur des centros de salud municipaux dont le personnel est payé par le gouvernement régional, favorise une proximité de fait avec les services municipaux en charge de l’action sociale. La distinction entre pilotage de l’offre de soins et santé publique a conduit le gouvernement régional à contrôler directement cette dernière à travers un service dédié. C’est à ce titre qu’il a mis en place le programme Etxean Ondo, défini comme un projet de prévention et d’accompagnement du vieillissement dans une perspective de santé publique devant associer acteurs privés et publics. La capacité à prolonger cette expérimentation pilote pourrait signifier une aptitude à intégrer les logiques institutionnelles diverses qui portent aujourd’hui l’aide à domicile (diputación et municipalités), l’offre de soins (Osakidetza), et la santé publique (gouvernement régional), au service d’un projet commun. Celui-ci pourrait traduire concrètement l’avènement d’un espace sociosanitaire invoqué dans la loi des services sociaux de 2008.
Conclusion
L’organisation des réponses à des besoins sociaux, finalité assignée aux secteurs de l’insertion par l’activité économique et de l’aide à domicile, met en évidence le rôle, les modalités d’intervention, les effets attendus du travail social. Nous constatons qu’il est attendu de ce travail social plus d’empowerment pour les bénéficiaires, et parfois pour les acteurs agissants (intervenantes de l’aide à domicile, par exemple). Que la perspective d’amélioration de l’empowerment individuel ne peut reposer uniquement sur le travail social, mais que l’économie marchande doit y prendre sa part. Que l’enjeu de plus d’empowerment individuel dans une perspective de développement territorial, pourrait être d’élever le niveau d’empowerment collectif, pour une gouvernance territoriale plus partenariale (et donc plus démocratique).
Nous pouvons voir également comment cette mise en tension entre travail social et économie marchande (ou quasi-marchande) dessine l’estompement de frontières entre sphères, voire secteurs d’activité, pour faire advenir de nouveaux espaces, comme autant de secteurs d’activité en devenir : l’espace socioéconomique, l’espace sociosanitaire. L’intersectorialité, voire la transectorialité (Muller, 2010 ; Bourgeois, 2015) sont ici au rendez-vous. Dans notre perspective polanyienne où nous souhaitons mettre en évidence les processus d’encastrement-désencastrement-réencastrement entre action sociale et économie marchande, il nous importe à présent de comprendre, et peut-être de vérifier, comment les dynamiques territoriales dessinent elles aussi la fabrique d’une nouvelle économie. Celle qui se saisirait de l’empowerment individuel, de l’empowerment collectif, celle qui donnerait corps à l’émergence d’espaces socioéconomiques et sociosanitaires, au-delà des secteurs spécifiques de l’insertion par l’activité économique et de l’aide à domicile, pour répondre aux besoins des populations vulnérables, que la vulnérabilité soit liée à des difficultés d’insertion socioprofessionnelle ou à la perte d’autonomie du fait du grand âge.
La notion, voire le concept, d’innovation sociale, telle que définie par certains auteurs (Richez-Battesti et al., 2012), pourrait aider à questionner les dynamiques territoriales dans un tel renversement de perspective. Il s’agira bien ici d’un renversement de perspective, dans le sens où nous ne chercherons plus à comprendre comment l’économie du social, à travers les deux secteurs comparés, plus ou moins inscrits dans leur champ « naturel » de l’ESS, influence ou pas les dynamiques territoriales en faveur de ses objectifs, et au bénéfice des populations dont elle essaie de pourvoir les besoins. Nous tenterons de comprendre comment les dynamiques territoriales contribuent à deux axes de l’innovation sociale :
- l’un visant un processus, en s’appuyant sur des règles de coopération fondées sur le partenariat et la réciprocité, invoqué notamment par l’avènement d’espaces socioéconomiques et sociosanitaires en construction ;
- l’autre visant des objectifs et des résultats, comme l’empowerment de groupes rencontrant des difficultés d’insertion sociale et professionnelle, pour une meilleure cohésion sociale et économique des territoires.
Ces deux axes rejoignent deux autres orientations proposées par Richez-Battesti (2007) pour qualifier l’innovation sociale dans son lien avec les dynamiques territoriales, selon une visée transformatrice. L’une s’intéresse à un processus à travers la mobilisation large de ressources monétaires et marchandes, mais également non monétaires et non marchandes. L’autre vise des objectifs et des résultats en assurant le développement d’activités délaissées par le marché ou l’État et les collectivités territoriales, en lien avec des enjeux collectifs. Nous optons ainsi pour une acception de l’innovation sociale centrée sur la participation de parties prenantes multiples, soit un processus collectif, dans une dynamique de transformation de la société. Il s’agit d’un processus spatialement situé qui accorde une place particulière au territoire et à la notion de gouvernance partenariale.
Notes
- Notons à cet égard que le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques parle depuis 2013 d’un schéma départemental de l’autonomie, le terme autonomie venant se substituer à celui de dépendance, comme c’est encore le cas dans d’autres départements français pour leurs schémas gérontologiques.
- Même s’il est possible pour un CCAS/CIAS de se doter d’un service de soins infirmiers à domicile.