UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Les femmes spectatrices au théâtre et à l’amphithéâtre dans l’Occident romain

par

Un certain nombre de travaux ont déjà été consacrés à la question de la répartition des places dans les édifices de spectacle du monde romain. Certaines études concernent les inscriptions retrouvées dans les monuments, réservant des sièges soit à un groupe social spécifique, soit à des individus1. D’autres reviennent sur la législation mise en place par Auguste2 telle que nous la décrit Suétone (Aug., 44), et que l’on peut mettre en relation avec la mention par Pline l’Ancien (33.32) d’une Lex Iulia Theatralis, probablement promulguée entre 26 et 17 a.C.3. En effet, ce texte évoque une stricte hiérarchisation du public lors des combats de gladiateurs et des jeux scéniques, présentée comme il suit :

(1) Spectandi confusissimum ac solutissimum morem correxit ordinauitque, motus iniuria senatoris, quem Puteolis per celeberrimos ludos consessu frequenti nemo receperat. (2) Facto igitur decreto patrum ut, quotiens quid spectaculi usquam publice ederetur, primus subselliorum ordo uacaret senatoribus, Romae legatos liberarum sociarumque gentium uetuit in orchestra sedere, cum quosdam etiam libertini generis mitti deprendisset. (3) Militem secreuit a populo. Maritis e plebe proprios ordines assignauit, praetextatis cuneum suum, et proximum paedagogis, sanxitque ne quis pullatorum media cauea sederet. (4) Feminis ne gladiatores quidem, quos promiscue spectari sollemne olim erat, nisi ex superiore loco spectare concessit solis. Virginibus Vestalibus locum in theatro separatim et contra praetoris tribunal dedit. (5) Athletarum uero spectaculo muliebre secus omne adeo summouit, ut pontificalibus ludis pugilum par postulatum distulerit in insequentis diei matutinum tempus edixeritque mulieres ante horam quintam uenire in theatrum non placere.

Il corrigea et organisa la manière de regarder les spectacles, où régnait jusque-là la confusion et le relâchement le plus complet. Emu de l’affront fait à un sénateur, qu’à Pouzzoles personne n’avait accueilli lors de jeux très courus où l’assistance était nombreuse, il fit décider, en vertu d’un décret du sénat, que chaque fois qu’un spectacle public serait donné quelque part, le premier rang des banquettes serait laissé libre pour les sénateurs. À Rome, il défendit que les ambassadeurs des nations libres et alliées s’assoient dans l’orchestra, car il s’était aperçu que certains de ces envoyés étaient même des affranchis. Il sépara le soldat du peuple. Il assigna aux hommes mariés de la plèbe leurs propres rangées de sièges, et aux jeunes revêtus de la prétexte leur propre cuneus, avec un autre, contigu, pour leurs pédagogues. Il interdit la media cauea à tout spectateur vêtu de sombre. Quant aux femmes, même pour les spectacles de gladiateurs, qu’il était d’usage de regarder pêle-mêle, il ne leur accorda d’y assister que depuis les places du haut et seules. Au théâtre il octroya aux Vestales un emplacement séparé et en face de la tribune du préteur. Mais en ce qui concerne les combats d’athlètes, il en écarta à tel point tout le sexe féminin qu’aux jeux pontificaux, comme on lui avait demandé de produire un couple de pugilistes, il le remit au matin du jour suivant et signifia par édit qu’il ne lui agréait pas que les femmes vinssent au théâtre avant la cinquième heure4.

Il semble cependant que peu d’études aient encore été consacrées à la question spécifique des places attribuées aux femmes5, qui fait l’objet de la fin du passage de Suétone. La raison en est sans doute le manque de précision sur ce point de Suétone, qui évoque ce public potentiel, représentant environ la moitié de la population, comme s’il s’agissait d’une catégorie sociale parmi d’autres. De plus, l’historien ne les mentionne que pour évoquer deux changements radicaux dans leur condition d’accès aux spectacles : à partir de la réforme d’Auguste, les femmes sont purement et simplement exclues des compétitions athlétiques, et forcées de s’assoir à part des hommes pour assister aux combats de gladiateurs. Mais à quoi correspond, dans l’esprit de l’historien, l’expression ex superiore loco par laquelle il localise les seules places désormais accessibles aux femmes évoquées ? Que recouvre, d’ailleurs, ce public désigné par le terme unique de feminae, alors que Suétone, dans le reste de son exposé de la réforme d’Auguste, distingue de si nombreuses catégories dans le public masculin ? Par ailleurs, l’expression ne quidem semble impliquer que si les femmes avaient jusqu’alors le droit de s’installer avec les hommes pour les combats de gladiateurs, ce n’était pas le cas pour tous les spectacles publics dès avant la réforme décrite par Suétone. Or, on sait que même après cette réforme, hommes et femmes purent continuer à s’assoir ensemble pour assister aux jeux du cirque, comme en témoignent plusieurs textes d’Ovide et quelques vers de Juvénal6, notamment. L’édifice déjà concerné par une ségrégation des femmes semble donc ne pouvoir correspondre qu’au théâtre. Mais si c’est bien le cas, à quelle époque cette séparation des hommes et des femmes est-elle intervenue ? Enfin, bien que le texte de Suétone puisse suggérer que la législation d’Auguste fut appliquée dans les provinces, il ne l’affirme explicitement qu’en ce qui concerne la réservation de places pour les sénateurs séjournant hors de Rome. Par conséquent, qu’en fut-il sur ce point des dispositions concernant les femmes ?

Nous tenterons de formuler quelques hypothèses sur cette question des places destinées aux femmes dans les amphithéâtres et les théâtres du monde romain avant et après l’intervention d’Auguste, en nous appuyant sur les sources disponibles sur la question. Compte tenu de l’ampleur de cette seule question, et dans la mesure où le Cirque semble ne pas avoir été concerné par la législation d’Auguste telle que l’évoque Suétone7, nous ne traiterons ici de la place des femmes spectatrices lors des ludi circenses que ponctuellement et en tant qu’élément de comparaison, bien que le sujet mérite lui aussi une étude spécifique. Nous limiterons aussi pour le moment notre étude aux provinces occidentales, où l’absence de tradition théâtrale antérieure permet de mieux mesurer l’impact éventuel de la législation d’Auguste.

Les femmes spectatrices à l’amphithéâtre

Les femmes spectatrices des munera républicains

Parfois elliptique ou obscur sur d’autres points, Suétone se montre très clair concernant la place des femmes dans le public des combats de gladiateurs avant la législation augustéenne : elles pouvaient y assister mêlées aux hommes (promiscue). Ce point se trouve également confirmé par un passage de la Vie de Sylla de Plutarque (35.3) évoquant la rencontre entre l’homme d’État et sa troisième épouse Valéria lors d’un combat de gladiateurs. L’historien prend en effet soin de préciser pour son lecteur qu’à l’époque du dictateur, “les places n’étant pas encore marquées dans les spectacles, les hommes et les femmes y étaient confondus ensemble”8, si bien que Sylla et Valéria étaient placés à proximité l’un de l’autre (πλησίον). Ils devaient donc regarder le spectacle depuis des places de qualité à peu presque équivalente, en dépit de la position éminente de Sylla. On notera cependant que Valéria était elle-même une aristocrate, membre d’une importante famille patricienne. De fait, sous la République les combats de gladiateurs à Rome étaient des initiatives privées émanant exclusivement de membres de la classe sénatoriale. Par conséquent, même s’il n’existait pas encore de loi leur réservant explicitement les meilleures places9, ils avaient un pouvoir à peu près discrétionnaire sur leur répartition lors de ces spectacles. Les sénateurs pouvaient aussi prévoir de mettre en vente certaines de ces places, si on en croit Plutarque dans un passage de sa Vie de Caïus Gracchus (12), où il raconte comment le magistrat fit abattre des tribunes payantes érigées par des notables10, rendant ainsi au peuple un libre accès au spectacle qui allait avoir lieu. On peut encore citer un passage du Pro Murena de Cicéron (72-3), qui présente comme une pratique habituelle la distribution par les élites de places “au cirque et au forum”11, ce dernier étant à l’époque l’espace privilégié des combats de gladiateurs. Ces places étaient donc en principe cédées gratuitement par les magistrats à leurs proches, à leurs clients et aux membres de leurs tribus.

Un autre texte révèle la participation des femmes de l’aristocratie à ce système de répartition des places, avant tout régi par les liens familiaux, amicaux ou de clientèle internes à cette classe sénatoriale. Il s’agit d’une Lettre à Atticus (2.1.5) datée de 60 a.C., où l’orateur évoque un entretien qu’il a eu avec Clodius :

quaerit ex me num consuessem Siculis locum gladiatoribus dare. negaui. ‘at ego’ inquit ‘nouus patronus instituam; sed soror, quae tantum habeat consularis loci, unum mihi solum pedem dat’

Il me demanda si ce n’était pas mon habitude de donner des places aux Siciliens lors des combats de gladiateurs. Je lui dis que non. “Quant à moi, dit-il, leur nouveau patron, je l’instituerai. Mais ma sœur, qui dispose d’une telle quantité de l’espace réservé aux consuls, m’en donne seulement un pied”12.

Ici, on apprend donc que lors de combats de gladiateurs, la fameuse Clodia disposa sur le site de ces spectacles, qui à cette époque était essentiellement le Forum, d’un espace comprenant un nombre important de places (tantum loci). Cet espace est qualifié de consularis, consulaire. C’est donc en tant qu’épouse de Quintus Caecilius Metellus Celer, l’un des consuls de cette année 60, que Clodia bénéficie de ce privilège. Qui plus est, il semble envisageable que Clodia fasse bénéficier son frère, pourtant un adversaire politique de son époux, d’une partie de ces places13. Nul doute que Clodia elle-même, comme auparavant Valéria, ait pu elle-même assister à ces spectacles depuis un excellent emplacement, environnée d’hommes et de femmes de sa classe.

Qu’en était-il des places occupées par les femmes des autres classes sociales lors des combats de gladiateurs d’époque républicaine ? Comme souvent, les sources littéraires ne nous apprennent rien à leur sujet de manière spécifique, mais Plutarque et Suétone semblent évoquer une mixité générale du public. Il est donc probable que les femmes des familles de rang équestre et de simples citoyens pouvaient bénéficier avec leurs parents masculins de tout emplacement réservé que leur aurait fait octroyer un membre du sénat. Cet accès devait cependant se faire en fonction du nombre de places obtenues car le pater familias et ses fils adultes avaient très certainement la priorité, en tant qu’électeurs potentiels.

Par ailleurs, dans le passage déjà évoqué concernant C. Gracchus, nous apprenons que ce dernier, en faisant abattre les tribunes érigées par les élites dans un but lucratif, remit l’espace ainsi dégagé à la disposition du peuple, ce qui prouve qu’il existait en principe des espaces libres d’où l’on pouvait venir regarder le spectacle debout, mais sans contrainte de placement. Un texte de Cicéron (Sest., 58.124) vient confirmer ce point, en évoquant les clameurs en sa faveur que fit entendre, lors d’un combat de gladiateurs, non seulement le public des tribunes (spectacula), mais aussi celui qui était massé derrière les barrières entourant le Forum (ex fori cancellis)14. Quant à l’expression usque a Capitolio, elle pourrait vouloir dire qu’il était possible de regarder le spectacle depuis la colline du Capitole, donc là encore sans placement imposé. Des femmes qui n’appartenaient pas aux élites ou à leur clientèle pouvaient donc certainement être présentes dans le public, soit en occupant dans les tribunes une place payante, lorsqu’il y en avait, soit en se mêlant à la foule qui assistait debout et de plus loin aux spectacles.

La réforme d’Auguste et la localisation des places réservées aux femmes ex superiore loco

Si le texte de Suétone établit nettement qu’à partir de la réforme d’Auguste les femmes furent séparées des hommes pour assister aux combats de gladiateurs, la nature et la localisation exacte des places qui leur étaient réservées sont beaucoup moins claires, puisque l’historien se contente d’indiquer qu’elles se situaient dans la partie supérieure des installations destinées aux spectateurs (ex superiore loco). L’historien a-t-il uniquement à l’esprit les gradins permanents des édifices de spectacle de son temps, ou la mesure concernait-elle aussi les structures provisoires qui, sous les premiers julio-claudiens, accueillaient encore souvent les munera sur le Forum ou dans les Saepta, en raison de la capacité insuffisante de l’amphithéâtre de Taurus15 ? Le texte ne permet pas de trancher, car même si dans les phrases précédentes l’historien emploie les termes de cauea et de cuneus, qui relèvent du vocabulaire du théâtre et de l’amphithéâtre, dans celle qui concerne spécifiquement les femmes spectatrices des combats de gladiateurs, il ne désigne pas d’édifice précis. Écrivant à l’époque antonine, où le site des munera est depuis longtemps l’amphithéâtre, il se peut que ce soit surtout cet édifice que l’historien ait à l’esprit. Cependant, toujours d’après les termes employés dans le texte, ce sont les combats de gladiateurs en général (gladiatores) que l’empereur ne permit plus aux femmes de regarder à côté des hommes, sans que des distinctions soient faites entre tel ou tel type d’édifice de spectacle. En outre, on peut rappeler que c’est seulement lorsqu’il évoque les spectacles du Cirque qu’Ovide, contemporain d’Auguste, mentionne explicitement la possibilité de s’assoir à côté d’une femme au spectacle16.

Il est difficile d’en dire plus concernant les installations provisoires encore en usage au début de l’époque impériale. Mais on peut tenter en revanche de définir plus précisément la localisation des places ex superiore loco réservées à un public féminin dans les amphithéâtres. Pour cela, la recherche contemporaine s’est avant tout appuyée sur un passage de la Bucolique 7 (25-29) de Calpurnius Siculus, qui décrit l’amphithéâtre de bois de Néron, inauguré en 57 p.C. Le narrateur censé en avoir été témoin, le berger Corydon, évoque la place qu’il occupait dans les gradins :

emensique gradus et cliuos lene iacentes
uenimus ad sedes, ubi pulla sordida ueste
inter femineas spectabat turba cathedras.
nam quaecumque patent sub aperto libera caelo,
aut eques aut niuei loca densauere tribuni.


J’ai vu s’élever jusqu’au ciel un amphithéâtre fait de poutres entrelacées, dominant presque la roche Tarpéienne ; et ayant parcouru les gradins dont la pente s’élevait doucement, nous sommes arrivés jusqu’aux sièges où le bas peuple en vêtement sombre regardait entre les chaises à dossier des femmes. En effet toutes les places disponibles qui s’étendaient à ciel ouvert, ou des chevaliers ou des tribuns vêtus de blanc s’y pressaient.

Le texte indique clairement que toutes les places situées à ciel ouvert sont occupées par des citoyens des classes supérieures en toge blanche, ce qui ne laisse à la turba sordida vêtue de sombre que des espaces situés sous la galerie couverte qui devait couronner l’amphithéâtre de Néron comme plus tard le Colisée. Quant aux places réservées aux femmes, l’expression inter femineas cathedras semble signifier qu’elles se trouvaient au même niveau que les places attribuées aux hommes les plus pauvres, et donc elles aussi dans la summa cauea in ligneis. On peut imaginer que sur l’anneau concentrique que constituait la galerie couverte dominant les gradins, les secteurs réservés aux femmes encadraient ceux réservés à la turba sordida. Ces derniers se trouvaient donc plus probablement au centre des deux longs côtés de l’ellipse, les secteurs destinés aux femmes en occupant le reste, quelle qu’ait été la proportion réservée aux uns comme aux autres. Les femmes apparemment, étaient assises sur des cathedrae, des chaises à dossiers, et non directement sur des gradins.

Les principes de placement furent-ils exactement les mêmes dans l’amphithéâtre flavien ? Cela n’est pas certain. On peut en effet relever dans le texte de Calpurnius la particule explicative nam qui précède la description de l’affluence de spectateurs vêtus de blanc occupant “la totalité des places disponibles” (quaecumque libera loca) à l’extérieur de la galerie couverte. Il est possible que la relégation de tous les pullati sous cette dernière ait été soit une nécessité liée à la capacité insuffisante de l’amphithéâtre de bois, soit une disposition exceptionnelle en raison du caractère particulièrement couru du spectacle décrit, qui est probablement celui qui inaugura l’édifice. Il faut en effet rappeler que selon les dispositions d’Auguste telles que les décrit Suétone, c’est la media cauea qui était interdite aux pullati pour faire place aux simples citoyens vêtus de la toge, ce qui leur laissait la totalité de la summa cauea. Il est donc possible qu’à l’amphithéâtre flavien la summa cauea in ligneis ait été entièrement occupée par les femmes, comme dans le schéma proposé par J. Edmondson pour le théâtre (fig. 1)17.

Selon J.-C. Golvin18, la capacité de l’édifice était de 50018 places, estimation dont la plupart des autres chercheurs ayant travaillé sur la question sont assez proches19. Il évalue la capacité du podium à 3 318 places et celle du 1er, 2e, 3e et 4e maenianum respectivement à 9 120, 7 840, 8 032 et 9 440 places, ce qui fait un total de 37 822 places. Si on retranche ce chiffre de celui de la capacité estimée de l’édifice, on obtient un chiffre de 12 196 places qui correspondrait donc plus ou moins à la capacité du maenianum summum in ligneis20, soit un quart environ de la capacité totale, ce qui est bien évidemment très inférieur à la proportion des femmes dans la population.

La répartition des places dans la cauea d’un théâtre
 après la Lex Iulia Theatralis selon J. J. Edmondson 2002, 13 fig. 2.
Fig. 1. La répartition des places dans la cauea d’un théâtre après la Lex Iulia Theatralis selon J. J. Edmondson 2002, 13 fig. 2.

Des places largement occupées par les femmes des élites ?

Qui étaient, par conséquent, les femmes occupant ces places ? Suétone, si précis concernant les classes et groupe sociaux qui servaient de critères pour répartir le public masculin sur les gradins, semble à première vue ne donner aucune précision sur ce point. C’est pourquoi, la plupart des études sur l’amphithéâtre qui évoquent la répartition des places rappellent qu’après la réforme d’Auguste les “femmes”, sans plus de précisions, se tenaient tout en haut de l’édifice. Il est cependant improbable, compte tenu de la stricte hiérarchisation de la société romaine, que les femmes des ordres supérieurs n’aient pas été prioritaires pour assister au spectacle, et qu’elles aient eu à côtoyer sur les gradins des femmes du dernier rang social21.

Pour cette raison, et compte tenu du caractère incommode de ces places situées tout en haut de l’édifice au terme d’interminables escaliers, certains chercheurs22 ont estimé qu’elles devaient être destinées aux femmes du peuple, tandis que les membres féminins des familles équestres et sénatoriales pouvaient s’asseoir avec les hommes de leur famille sur les places des premiers rangs désormais officiellement réservés aux sénateurs, comme nous l’apprend le texte de Suétone, et immédiatement derrière eux aux chevaliers, comme on le sait par d’autres textes.

Cependant, de nombreux arguments peuvent être avancés contre cette hypothèse. Tout d’abord, pour reprendre les mots de E. Rawson23 “…it would be against all precedent and parallel in the long history of prohedria for magistrates, priests and bouleutai to suppose that their wives shared the privilege”. En effet, les femmes n’étaient pas officiellement rattachées aux ordines24, or ce rattachement était précisément ce qui donnait droit à ces places privilégiées dans l’édifice.

On peut aussi rappeler que même les femmes de la famille impériale étaient concernées par la séparation des sexes au théâtre et à l’amphithéâtre puisqu’on sait par plusieurs sources25 que Livie, les sœurs de Caligula et Messaline obtinrent parmi d’autres honneurs le droit de s’y assoir avec les Vestales, qui bénéficiaient, toujours selon la législation d’Auguste, d’un espace bien mieux situé que les places usuellement réservées aux femmes.

Surtout, des sources épigraphiques décisives nous apprennent que les places privilégiées des sénateurs n’étaient accessibles qu’à eux seuls. Il s’agit d’inscriptions, datées entre la seconde moitié du IIIe et le début du Ve siècle p.C. pour les plus tardives qui furent réalisées sur le parapet du podium de l’amphithéâtre Flavien26, et qui attribuaient nominativement des places à des individus de rang sénatorial. On peut en effet constater que toutes ces places portent un nom masculin, et que lorsqu’il s’agit d’un emplacement destiné à plusieurs personnes, le nom au génitif pluriel est accompagné de l’abréviation C.V, qui signifie classissimorum uirorum. Or, on sait que la répartition des places à l’amphithéâtre Flavien telle qu’elle transparaît dans les inscriptions conservées reproduisait bien l’organisation mise en place par Auguste plusieurs siècles plus tôt27. Dès le règne de celui-ci, les sénateurs siégeaient donc seuls aux places qui leur étaient attribuées. Parmi la documentation épigraphique concernant l’amphithéâtre Flavien, la fameuse inscription attribuant aux Arvales un certain nombre de loca peut aussi représenter un indice28. Les Arvales étaient en effet titulaires de places dans le premier et le second maenianum, ainsi que dans le maenianum summum in ligneis. Or, puisqu’on sait que ce dernier était occupé par des femmes, il semble vraisemblable que ce soit aux épouses des Arvales que ces places précises aient été réservées, comme le propose notamment S. Orlandi29.

Il existe aussi quelques autres textes qui, sans traiter précisément cette question, suggèrent aussi que quel que soit l’édifice de spectacle, les places réservées aux ordres supérieurs ne pouvaient être occupées que par des hommes. On peut notamment mettre en avant un texte de Dion Cassius (60.7.3-4) évoquant la loi de Claude selon laquelle les sénateurs se virent enfin réserver des places précises dans un secteur privilégié des gradins du Cirque. L’historien ajoute que les sénateurs furent cependant autorisés à se placer ailleurs s’ils le souhaitaient, pourvu qu’ils ne portent pas la toge qui signalait leur rang. Or, on ne voit pas pourquoi les sénateurs auraient souhaité s’assoir ailleurs qu’à l’excellente place qui leur était réservée si ce n’était pas pour pouvoir s’assoir à côté de personnes auxquelles ils ne pouvaient pas faire partager ce privilège, notamment les femmes de leur famille30. De la même manière, un sénatus consulte de 19 a.C. interdisait les métiers de l’arène et de la scène à toute femme dont le père, le grand-père ou le frère avait été autorisé à s’asseoir sur les sièges assignés aux chevaliers, ce qui semble bien impliquer que ce privilège ne pouvait concerner que les membres masculins de ces familles31.

Par conséquent,si à Rome les femmes des élites n’avaient pas accès aux places privilégiées des hommes de leur classe, seule la summa cauea in ligneis leur était ouverte. Dans la mesure où cet espace avait une capacité très inférieure aux besoins de la population féminine globale de Rome, il semble inévitable que les femmes des élites aient eu un accès prioritaire aux places en question32.

Or, c’est ce que semble confirmer le vocabulaire même employé par Suétone pour désigner les occupantes de ces places ex superiore loco. Il utilise en effet le mot feminae, qui comme l’ont déjà fait observer plusieurs chercheurs33 désignait souvent spécifiquement les femmes d’un rang social élevé, comme cela se vérifie d’ailleurs dans les écrits du biographe lui-même34. Le mot mulier, quant à lui, désigne le plus souvent une femme du peuple35, ou renvoie à l’ensemble de la population féminine. C’est d’ailleurs ce terme que Suétone utilise dans l’expression muliebris secus omne, précisément pour souligner que ce sont bien toutes les femmes, et non pas uniquement les feminae évoquées précédemment, qui se virent interdire les spectacles d’athlètes. On peut ajouter que le terme cathedra, que Calpurnius Siculus emploie pour désigner les sièges réservés au public féminin en haut de l’amphithéâtre de Néron, constitue lui aussi un indice du rang social élevé de ses bénéficiaires, car il est généralement associé dans les textes aux femmes des classes supérieures36.

Tous les indices concordent donc pour indiquer que les places ex superiore loco dont parle Suétone étaient avant tout destinées aux femmes de l’aristocratie, en dépit de leur position peu favorable. Une telle constatation ne peut en rien surprendre : le but essentiel de la réforme d’Auguste était visiblement d’organiser le public comme un microcosme du corps civique, en accord avec la nouvelle fonction attribuée par Auguste aux munera : jusqu’alors funéraires et privés, ces spectacles, devinrent un instrument de popularité presque exclusivement entre les mains du prince, qui les dispensait en diverses occasions liées à la célébration du régime et de sa personne37. La clientèle de l’empereur n’étant autre que le peuple tout entier, toutes les catégories de citoyens devaient pouvoir trouver place sur les gradins. Or, les femmes ne faisaient pas véritablement partie de ce corps civique. Elles n’avaient accès à aucune fonction publique, n’étaient pas officiellement rattachées aux ordines, comme nous venons de le rappeler, et ne figuraient pas sur les listes de l’annone, qui ne concernait que les citoyens mâles adultes38. Quel que soit l’édifice utilisé, la relégation aux moins bonnes places des femmes, fussent-elles des aristocrates, était donc en accord avec l’esprit général de la réforme d’Auguste, tout en rejoignant une autre des grandes préoccupations dominant la politique d’Auguste, la restauration de la morale, puisque ces places séparées et en hauteur mettaient les femmes plus à l’abri des regards masculins.

Quelle place pour les femmes du peuple dans le public des munera de Rome ?

À côté de la classe sociale une autre considération semble avoir affecté l’attribution des places : l’état matrimonial. En effet, Suétone mentionne l’existence d’un secteur spécial pour les mariti e plebe, les hommes mariés issus de la plèbe. Il s’agirait donc encore d’un secteur réservé aux hommes, ceux qui étaient munis d’une épouse39. Or, les sources nous apprennent qu’en 17 a.C., Auguste fit voter un sénatus consulte40 autorisant “ceux qui ne sont pas encore mariés” à assister aux Jeux séculaires, et qu’en 12 a.C. une autre résolution sénatoriale spéciale fut passée pour permettre aux hommes et aux femmes célibataires (τε ἀγύνοις καὶ ταῖς ἀνάνδροις)41 d’assister aux ludi et aux banquets organisés pour l’anniversaire du Prince. Ces deux informations semblent impliquer que les célibataires n’avaient pas accès aux spectacles, ou du moins à certains d’entre eux. Par ailleurs, la précision de Suétone selon laquelle ce secteur était réservé à des hommes mariés “issus de la plèbe”, semble impliquer que les membres des deux ordres supérieurs n’étaient pas concernés par le moindre accès aux spectacles des célibataires. Cette priorité donnée aux hommes mariés parmi les simples citoyens s’explique si on la met en rapport d’une part avec la capacité insuffisante des édifices de spectacles de Rome en regard de la taille de la population, surtout une fois mises de côté les places réservées aux élites, et d’autre part avec les objectifs natalistes affirmés d’Auguste42. Par conséquent, si les simples citoyens mariés avaient eux aussi un secteur spécial et que les femmes non mariées n’avaient pas toujours de places aux spectacles, cela semble impliquer les places réservées aux feminae dans les théâtres et les amphithéâtres de Rome étaient destinées en priorité, après les femmes des familles sénatoriales et équestres, aux épouses de simples citoyens, assez aisés toutefois pour être revêtus de la toge, qui occupaient le secteur réservé aux hommes mariés dont parle Suétone.

Quelques estimations concernant le nombre des femmes relevant de ces trois catégories, mises en rapport avec les hypothèses formulées sur la capacité de la summa cauea in ligneis du Colisée, soit environ 12 000 places, sont susceptibles de conforter cette hypothèse. On sait que les sénateurs sous Auguste étaient environ 600 et qu’en 6 a.C. Denys d’Halicarnasse vit défiler à Rome, plus de 5 000 chevaliers lors de leur défilé annuel en grande pompe, la transuectio43. En supposant que la moitié d’entre eux étaient célibataires, cela nécessiterait cependant de prévoir 3 000 places environ pour leurs épouses, voire au moins le double si des places étaient aussi prévues pour les filles ou sœurs de ces mêmes personnages44. Il restait donc entre 9 000 et 6 000 places pour les femmes mariées des simples citoyens. En comparaison, les hommes d’un rang social inférieur à celui de chevalier disposaient d’au moins 25 312 places, correspondant à la capacité estimée de la media et summa cauea, même si on suppose, comme dans le schéma proposé par J. Edmondson, que l’essentiel de l’ima cauea était occupée, outre par les chevaliers, par d’autres catégories de privilégiés comme les soldats ou les praetextati45.

Qu’en était-il, par conséquent, de la place laissée au reste des femmes du peuple, celles qui n’avaient pu obtenir de place dans la summa cauea in ligneis en tant qu’épouse d’un citoyen marié et revêtu de la toge? Rien dans nos sources ne vient indiquer que les lois d’Auguste les écartaient officiellement des combats de gladiateurs, et le fait que Suétone souligne que seuls les combats d’athlètes furent interdits à toutes les femmes suffirait à prouver le contraire. Si on suppose que la loi prescrivant aux femmes de se placer en haut et seules n’aient concerné que les femmes d’un certain rang social, désignées par le terme feminae, il est possible d’envisager que des femmes du peuple aient pu se mêler au moins aux pullati, dont le secteur est distingué par Suétone de celui des citoyens mariés. Cependant, même en l’absence d’interdiction explicite, on peut se demander si leur accès effectif au spectacle n’était pas extrêmement limité, dans la mesure où même la summa cauea du Colisée restait très insuffisante pour accueillir tous les hommes de la catégorie des pullati qui avaient le désir et la possibilité de venir voir les munera. On sait d’ailleurs que la concurrence était parfois rude même pour les chevaliers, les 14 rangs qui leur étaient réservés étant apparemment insuffisants par rapport à leur nombre46. Il semble donc assez plausible que la distribution des places aux couches inférieures de la population n’ait tenu compte que très partiellement, voire pas du tout, des femmes rattachées à la famille des bénéficiaires. Tel était d’ailleurs le principe des distributions de l’Annone, qui répondait pourtant en principe à un besoin bien plus vital, et qui allouait à chaque citoyen une certaine quantité de blé à titre individuel, sans tenir compte du nombre de bouches qu’il avait à nourrir47.

La place des femmes dans les amphithéâtres de province avant et après la réforme

En ce qui concerne la question du placement des femmes dans les amphithéâtres de province, les sources littéraires sont presque muettes. On peut cependant citer un texte de Tacite (Ann., 4.62.1-4), qui semble mentionner la présence d’un public féminin relativement important lors d’un spectacle donné à l’extérieur de Rome. Il s’agit de son fameux récit de l’effondrement d’un amphithéâtre à Fidènes en 27 a.C. Cet amphithéâtre, construit par un particulier dans un but lucratif, fit venir de Rome, en raison de sa proximité “des gens avides de tels spectacles, parce qu’ils étaient sevrés de plaisirs sous l’empereur Tibère”48. La capacité de l’édifice dépassait donc les besoins de la ville de Fidènes. On ne sait rien du rang social des victimes49, mais les places étant payantes, on peut imaginer que le public comportait peu de membres des catégories sociales les plus pauvres. En revanche, si des membres des élites, sénateurs ou chevaliers, s’étaient trouvés parmi les victimes, Tacite l’aurait sans doute signalé, comme c’est souvent le cas chez les historiens pour les accidents survenus lors des spectacles50. Il semble donc que le public ait appartenu essentiellement aux couches intermédiaires de la population. Ce public, précise aussi Tacite, comprenait “des hommes et femmes, et de tous les âges”. Cette précision est peut-être destinée à opposer ce public à celui, majoritairement masculin, des munera de Rome, et confirme en tous les cas que les femmes, quand elles en avaient la possibilité, étaient aussi désireuses de voir ces spectacles que les hommes. L’auteur ne précise pas si une séparation des sexes était prévue dans cet amphithéâtre privé, même si son évocation des survivants de la catastrophe en train de chercher “leurs femmes et leurs enfants” parmi les victimes51 semble suggérer que c’était bien le cas. Quoi qu’il en soit, il s’agissait d’un amphithéâtre provisoire de caractère privé, dont l’organisation n’était pas nécessairement la même que celle des amphithéâtres des cités provinciales.

Concernant ces derniers, en l’absence de toute information par les sources littéraires sur le placement des femmes, il est nécessaire de se tourner vers d’autres sources. L’archéologie peut parfois fournir quelques indices. Par exemple, les loges fermées qui furent ajoutées à l’époque augustéenne tout en haut de l’amphithéâtre de Pompéi, entièrement séparées des autres places, pourraient bien avoir été destinées aux femmes, en accord avec la nouvelle législation, comme le suggère J.-C. Golvin52. De même, l’étude du système de latrines aménagé dans l’amphithéâtre de Nîmes, très bien conservé, permet de noter que sur les 120 urinoirs de l’édifice, situés dans les espaces de circulation, seuls 28, tous situés au niveau des accès aux secteurs supérieurs des gradins, sont installés de manière à les mettre à l’abri des regards, dans de petits réduits ménagés sur la gauche des couloirs débouchant sur les vomitoires. Cette disposition pourrait indiquer qu’ils étaient spécifiquement destinés au public féminin53, et donc que ce dernier était bien exclusivement placé dans la partie supérieure de l’édifice, la seule dont les accès étaient munis de telles latrines.

L’épigraphie a parfois aussi été mise à contribution pour affirmer l’extension en dehors de Rome de la législation d’Auguste. Par exemple, la Lex Ursonensis, texte de fondation de la colonie d’Urso près de Séville54, dont la première rédaction remonte à l’époque de César, prévoit dans ses paragraphes 125-127 la réservation des meilleures places aux ludi et aux combats de gladiateurs pour les sénateurs romains et leurs fils, les magistrats municipaux, les décurions, et enfin des personnes auxquelles étaient accordées des places in decurionum loco55. La loi mentionne aussi une hiérarchie dans la répartition de l’espace restant entre coloni, incolae, hospites (hôtes de marque) et aduentores (simples visiteurs)56. Des dispositions analogues concernant les notables, plus brièvement évoquées, apparaissent dans les sections 26 et 27 de la Tabula Heracleensis57, datée de 45 a.C. et qui fixait les principes à respecter par toute loi municipale d’une cité romaine. D’autres inscriptions, cette fois postérieures à Auguste et découvertes dans divers amphithéâtres, nous apprennent qu’on y prévoyait des places privilégiées pour les sénateurs, les chevaliers et les décurions, mais aussi pour des prêtres comme les Seuirs Augustales. Des places étaient aussi réservées à des curies, des catégories professionnelles, des représentants d’autres cités58. Cependant, ces individus ainsi distingués par classe sociale, fonction ou activité sont tous des hommes. Aucun de ces documents ne nous éclaire sur la place laissée aux femmes.

En revanche, les inscriptions attribuant nominalement des places découvertes dans certains amphithéâtres peuvent apporter des éléments de réponse. Par exemple, sur un bloc de calcaire provenant sans doute du parapet de la media ou de la summa cauea de l’amphithéâtre de Marruvium, on trouve côte à côte le nom d’une femme, Octavia, et celui d’un homme, comme s’ils avaient été l’un près de l’autre. Or, leurs caractéristiques permettent de considérer ces deux inscriptions comme contemporaines (Ier siècle a.C.)59. Deux autres inscriptions portant des noms de femme, elles aussi datées du Ier siècle, peuvent être relevées sur le revêtement du balteus de ce même amphithéâtre,ce qui implique qu’elles concernaient des places du podium. L’un de ces noms, qui se terminait par un cognomen en forme de diminutif d’origine grecque, Euposion ou Euposium pourrait être celui d’une affranchie60, qui comme un homme du même statut social aurait eu accès à cet espace privilégié grâce à sa générosité, ou à celle de sa famille envers la cité. L’autre nom féminin retrouvé par contre, Appuleia, est celui d’une citoyenne, et à côté sur le même bloc apparaît un nom masculin, ce qui implique que ces deux personnages étaient voisins. Au Ier siècle de notre ère, dans l’amphithéâtre de Marruvium, certaines femmes semblent avoir donc eu accès à des places à côté des hommes, y compris sur le podium61. On notera cependant que sur les 11 inscriptions retrouvées, seules 3 portent des noms féminins ce qui suggère malgré tout une sous-représentation des femmes, du moins en ce qui concerne les places attribuées nominalement.

Cette sous-représentation des noms de femmes est plus nette encore si on regarde les inscriptions attribuant des loca dans d’autres amphithéâtres, telles qu’on peut les retrouver notamment, pour la partie occidentale de l’empire, dans la série d’ouvrages Epigrafia anfiteatrale dell’Occidente romano. Ainsi, l’amphithéâtre de Nîmes a livré un seul nom féminin, le génitif Seuerinae, qui a été retrouvé sur un bloc appartenant au couronnement du mur du podium, avec un certain nombre de noms masculins62 appartenant très certainement aux titulaires des meilleures places de l’édifice. Cette unique inscription ne peut cependant pas suffire à invalider l’hypothèse déjà évoquée d’un secteur réservé aux femmes dans la partie supérieure de la cauea, inspirée par l’étude du système de latrines de l’édifice. Il est clair que cette femme devait son privilège à un prestige ou une position sociale exceptionnellement éminente. De même, une inscription émanant très probablement du podium de l’amphithéâtre de Bourges63 réserve un siège à Gavia Quieta, fille d’un duumvir local. Les deux inscriptions ne sont pas datées, mais compte tenue du fait que la construction de ces deux amphithéâtre remonte à l’époque flavienne ou antonine, elles sont nettement postérieures au règne d’Auguste64. Il s’agit cependant, on le voit, d’exceptions dans le corpus des inscriptions attribuant des loca, lui-même très partiel et inégal selon les édifices.

Tous les indices disponibles suggèrent donc que même hors de Rome, les hommes étaient très majoritaires parmi les titulaires individuels d’un locus, ce qui implique notamment qu’ils occupaient l’essentiel des meilleures places. Cependant, les quelques occurrences de noms féminins relevées ci-dessus suggèrent que la loi reléguant les femmes tout en haut de l’amphithéâtre et à l’écart des hommes était moins strictement appliquée dans les provinces qu’à Rome.

Si ces différences entre la métropole et les provinces devaient se confirmer, elles n’auraient en soi rien de très surprenant. En effet, à Rome, les munera étaient entièrement passés entre les mains du Prince, auquel ils servaient d’instrument privilégié pour communiquer avec son peuple. C’est ce face à face entre le pouvoir et le populus Romanus qui explique la stricte hiérarchisation des places faisant de la cauea un microcosme du corps civique lui-même, où la place des femmes devait être d’autant plus marginale que la capacité des plus grands édifices de spectacle de la métropole était très insuffisante en regard du million de personnes que comportait la Ville. En revanche, des études récentes65 ont montré que la capacité des édifices de spectacle hors de Rome était beaucoup plus en rapport avec la taille de la population, voire même l’excédait. De plus, s’il est vrai que l’organisation en vigueur à Rome semble avoir influencé celle des édifices de spectacles provinciaux, même avant la promulgation de législation d’Auguste, la répartition des spectateurs dans la cauea relevait d’une décision de l’assemblée locale66. Il n’y avait donc pas de raison pour que ces notables ne fassent pas de leur mieux pour assurer aussi de bonnes places aux autres membres de leur famille, femmes comprises. En outre, certaines femmes d’un rang social élevé, ou simplement fortunées, jouaient parfois par elles-mêmes un rôle évergétique important dans les cités d’Italie et des provinces67, ce qui pouvait éventuellement leur assurer un placement privilégié lors des spectacles. La situation était probablement différente en fonction de la taille de l’édifice et de sa capacité par rapport aux besoins locaux68. Outre les disparités locales, il est possible qu’ait existé des tendances régionales, plus ou moins favorables aux femmes, mais seule une exploitation plus systématique de cette documentation épigraphique en perpétuelle augmentation permettrait de les mesurer.

Les femmes spectatrices au théâtre

Comme nous l’avons dit en commençant, dans le texte de Suétone, l’expression ne quidem qui commence le court passage consacré aux femmes spectatrices implique que les combats de gladiateurs n’étaient pas les seuls concernés par leur séparation d’avec les hommes, et que pour d’autres spectacles cette ségrégation était déjà en place. Il ne peut s’agir des ludi circenses que sous Auguste hommes et femmes purent continuer à regarder côte à côte, ainsi que nous l’apprennent plusieurs passages d’Ovide. Il est donc depuis longtemps admis que les spectacles concernés sont les ludi scaenici, d’autant que tout ce qui précède dans le texte semble y faire référence, notamment l’emploi du terme orchestra. Mais il reste à établir à quelle époque s’opéra cette ségrégation et quelles en furent les modalités plus précises.

Le placement des spectatrices des ludi scaenici de l’époque de Plaute et de Térence

On sait qu’à Rome les femmes firent toujours partie du public des ludi scaenici. Bien des textes en témoignent, notamment un passage du prologue du Poenulus, souvent cité pour tenter d’analyser la place du public féminin des jeux scéniques à l’époque de Plaute (v. 17-18 & 28-35) :

nutrices pueros infantis minutulos
domi ut procurent neu quae spectatum adferat,
ne et ipsae sitiant et pueri pereant fame                                                 
30
neve esurientes hic quasi haedi obvagiant.
matronae tacitae spectent, tacitae rideant,
canora hic voce sua tinnire temperent,
domum sermones fabulandi conferant,
ne et hic viris sint et domi molestiae


Que les nourrices s’occupent des tout petits enfants à la maison et ne les amènent pas ici pour voir le spectacle, ainsi elles n’auront pas soif, les marmots ne périront pas de faim et ne vagiront pas comme des chevreaux affamés. Que les matrones regardent en silence, rient en silence, qu’elles s’abstiennent de faire retentir ici leurs voix éclatantes, qu’elles attendent d’être chez elles pour échanger leurs papotages afin de ne pas ennuyer leurs maris et ici et à la maison.

Certes, ces plaisanteries sur le bavardage des femmes sont des poncifs des comédies grecques sur lesquelles sont calqués leurs équivalents latins, mais elles devaient certainement correspondre à la réalité de la composition du public car, dans le cas contraire, elles n’auraient pas pu amuser les auditeurs69. En revanche, il n’est pas possible de déduire de ces quelques versqu’à l’époque de Plaute les femmes étaient placées à côté de leur époux70, car leur bavardage entre elles pourrait aussi gêner les maris pour écouter la pièce. L’emploi du verbe fabulor (“bavarder, papoter”) pourrait même nous orienter davantage dans cette direction. Il est tout aussi impossible, pour les mêmes raisons, de suivre F. Sear71 lorsqu’il fait du vers 35 du prologue de l’Hécyre, où Térence se plaint que les “cris des femmes” (clamor mulierum) ont gêné le déroulement de sa pièce, une preuve suffisante qu’elles étaient mêlées aux hommes. En revanche, un autre argument plus concluant vient supporter l’idée d’un public mêlé jusqu’au milieu du IIe siècle : selon Tacite (Ann., 14.20) Tite-Live (Per., 48) et Valère-Maxime (2.4.2), le peuple romain assistait alors debout aux représentations. Dans une foule placée debout, il semble difficile que le placement ait été organisé de manière assez systématique pour prévoir de séparer les hommes des femmes72.

Un autre passage du prologue du Poenulus (v. 19-22) semble cependant suggérer que certains spectateurs étaient assis, sans pour autant contredire l’idée d’un placement assez libre :

neu dissignator praeter os obambulet
neu sessum ducat, dum histrio in scaena siet.                                             20
diu qui domi otiosi dormierunt, decet
animo aequo nunc stent, uel dormire temperent.
serui ne obsideant, liberis ut sit locus,
uel aes pro capite dent;


Que le placeur ne passe devant les spectateurs en leur bloquant la vue, ni ne conduise quelqu’un pour qu’il s’assoit tandis qu’un acteur est en scène. Ceux qui se sont attardés à dormir longtemps chez eux, il convient qu’ils restent maintenant debout sans se plaindre, ou bien qu’ils modèrent leur temps de sommeil. Que les esclaves n’envahissent pas les banquettes pour qu’il y ait de la place pour les hommes libres, ou bien qu’ils se rachètent.     

Il est difficile d’envisager, pour résoudre l’apparente contradiction entre ce texte et les affirmations de Tite-Live et de Tacite, que Plaute reprenne simplement ici le prologue d’une pièce grecque, sans souci d’adaptation au contexte romain. En effet, Plaute fait aussi une allusion directe à un public assis dans l’Aulularia (v. 718), où l’avare Euclion s’adresse directement à des spectateurs “qui se cachent sous leurs toges blanchies et sont assis comme s’ils étaient des honnêtes gens”73 pour leur réclamer l’or qu’on lui a volé. On ne voit pas en effet pourquoi l’acteur s’adresserait à des spectateurs debout devant lui en employant le verbe sedere. Il faut donc envisager qu’avant même la construction des premières caueae provisoires, il ait existé malgré tout un certain nombre de places assises disponibles, même si la majeure partie des spectateurs, parmi lesquels sans doute des femmes, regardaient le spectacle debout. Quant aux places assises, certaines femmes y avaient-elles accès ? Rien dans le passage déjà cité du Poenulus ne permettrait de répondre par la négative. Cependant, les places assises mentionnées par Euclion sont apparemment occupées par des citoyens vêtus d’un “vêtement blanchi à la craie”, autrement dit d’une toge, leur rang social en faisant en principe d’”honnêtes gens”. Ces spectateurs assis auxquels Euclion s’adresse directement, de toute évidence au premier rang du public, sont donc des hommes et des citoyens. Dans la mesure où on sait que l’Aulularia fut représentée vers 194 a.C., date où des places dans l’orchestra furent désormais officiellement réservées aux sénateurs74, il est assez probable que ce soit à ces derniers que s’adresse l’avare. Quant au texte du Poenulus, il est daté entre 195 et 189 a.C., de sorte qu’il pourrait lui aussi faire allusion aux sénateurs lorsqu’il parle des bénéficiaires de l’activité du placeur. L’avertissement lancé par Plaute serait alors une plaisanterie destinée à leur enjoindre d’arriver à l’heure, ou d’accepter de rester debout au lieu de troubler la représentation en ayant recours au placeur après le début du spectacle.

Le nouveau privilège s’étendait-il aux épouses des sénateurs ? C’est ce que pensent certains chercheurs75, en s’appuyant notamment sur un texte de Lucrèce (4.75-80) qui semble associer les sénateurs et les matrones (patrum matrumque) dans leur énumération du public :

et uolgo faciunt id lutea russaque uela
et ferrugina, cum magnis intenta theatris
per malos uolgata trabesque trementia flutant;
namque ibi consessum caueai supter et omnem

scaenai speciem + patrum matrumque + deorum
inficiunt coguntque suo fluitare colore.

Et c’est ce que font communément les voiles jaunes, rouges et bleus lorsque, tendus sur les vastes théâtres entre des mâts et des poutres, ils flottent, frémissant, sur tout le public ; et en effet là, ces voiles les imprègnent de leurs couleurs, qu’ils font ondoyer, les spectateurs de la cauea assis ensemble au-dessous, et tout le tableau que forment la scène, les sénateurs, les matrones et les dieux.

Cependant, le passage concerné étant corrompu, il est difficile de s’appuyer dessus pour affirmer que les sénateurs et leurs femmes étaient assis côte à côte76, d’autant que l’association des patres et des matres aux dieux, ou plutôt à leurs statues, qui n’étaient bien entendu pas mêlées aux spectateurs, pourrait presque suggérer le contraire. Enfin, les conclusions déjà tirées sur ce point pour les places réservées aux sénateurs à l’amphithéâtre incitent à penser que les mêmes principes durent être observés dès l’apparition de telles places au théâtre deux siècles plus tôt : seuls les titulaires de ce privilège eux-mêmes pouvaient en user. Comme il est plus improbable encore que les femmes de sénateurs aient été vouées à regarder le spectacle mêlées au peuple, il faut donc envisager que dès la mise en place de la législation réservant des sièges aux sénateurs, d’autres places assises, ou du moins un périmètre réservé (où elles pouvaient apporter leurs propres sièges), ait été prévu pour les femmes de leurs familles77. Ces dernières pourraient être, éventuellement, les matronae auxquelles Plaute demande de cesser leurs bavardages.

L’extension des places assises et la lex Roscia theatralis

Telles sont nos connaissances, assez limitées, sur l’organisation du public à l’époque de Plaute et de Térence. Mais on sait que cette organisation ne cessa d’évoluer jusqu’à ce qu’au dernier siècle de la République, tous les spectateurs soient assis, comme le montrent les sources décrivant les somptueux théâtres provisoires réalisés par certains magistrats avant la construction du théâtre de Pompée en 55 a.C.78. Dans la mesure où il n’était plus possible d’assister de loin et debout au spectacle, l’accès à ce dernier était donc limité par la capacité de chaque cauea réalisée. Or, si on considère que le théâtre de Pompée, avec ses 21 000 places environ79, resta toujours le plus grand théâtre de Rome, il apparaît que même les plus vastes de ces édifices provisoires ne durent pas pouvoir accueillir plus d’1/50e de la population d’une ville estimée moins d’un siècle plus tard, sous Auguste, à 1 million d’habitants80. Il devenait donc de plus en plus nécessaire de marquer les places réservées aux membres de l’élite81. Si celles des sénateurs étaient depuis longtemps garanties par une loi, celles des membres de l’ordre équestre, la classe montante du dernier siècle de la République, purent se trouver d’autant plus menacées que l’élargissement du corps civique engendré par la guerre sociale avait aussi considérablement augmenté le nombre de citoyens susceptibles d’atteindre ce statut82. Telles sont sans doute quelques-unes des raisons qui amenèrent le vote en 67 a.C. de la Lex Roscia, prévoyant de réserver des places à l’ordre équestre dans les théâtres. Selon Plutarque (Cic., 13), cette loi fut la première à prévoir des places réservées pour les chevaliers qui jusqu’alors assistaient au spectacle mêlés au peuple. Pour Velléius Paterculus en revanche, (2.32.3) la loi “restitua” (restituit) des places réservées aux chevaliers. La contradiction peut sans doute être résolue grâce à un texte de Cicéron (Mur., 40), postérieur d’à peine trois ans à la promulgation de la loi, où l’orateur souligne surtout que la loi Roscia “rendit leur dignité” aux chevaliers83. Il est donc probable que la Lex Roscia permit de faire respecter ce qui était un droit déjà en usage sans avoir fait l’objet d’une loi. L’occupation des meilleures places de spectacle était en effet visiblement considérée comme essentielle au respect de la dignitas des membres des ordres supérieurs84. Il est donc très possible que l’usage, sinon la loi, ait réservé des places aux chevaliers avant même la lex Roscia, cette dernière restituant à l’ordre la jouissance de cette marque d’honneur que les limites de la capacité des théâtres avaient menacé de compromettre85.

Quoi qu’il en soit, la question se pose donc des places que pouvaient occuper les femmes des familles équestres dont les époux, fils ou frères avaient des sièges réservés. S’il est impossible d’affirmer quoi que ce soit pour la période où ce placement privilégié relevait de l’usage et non de la loi, il est en revanche peu envisageable que les femmes des familles équestres aient pris place à côté des hommes de leur famille dès lors que des places précises étaient réservées à ces derniers par une loi, pour les mêmes raisons que celles avancées pour les femmes de sénateurs86. Dans la mesure où elles ne pouvaient pas d’avantage s’assoir à côté d’hommes inconnus et de rang social inférieur, il est probable que lors du passage de la lex Roscia au plus tard, les femmes des familles de rang équestre se virent aussi attribuer au théâtre des emplacements réservés.

E. Rawson87 évalue entre 1 500 et 1 600 le nombre de places susceptibles d’avoir été réservées aux chevaliers dans le théâtre de Marcellus, commencé par César. C’était sans doute insuffisant pour accueillir tous les chevaliers88, mais ils n’étaient pas tous présents à Rome ou désireux de voir les jeux au même moment. Ce nombre, déjà considérable, doit faire supposer un nombre équivalent de places destinées aux femmes des familles équestres dans des secteurs moins favorables du théâtre. Désormais privées de leur escorte masculine, elles vinrent rejoindre les aristocrates dans ces espaces réservés, qui devaient donc mobiliser plus de 2 000 places.

Il reste alors à se demander où se plaçaient les autres femmes dans les théâtres de la fin de la République. Bien qu’aucune source ne vienne nous informer sur la question de façon précise, les chiffres énoncés ci-dessus montrent c’est la possibilité même d’accéder aux gradins, pour la majorité de ces femmes, qui se trouve en question, si on met en rapport la capacité nécessairement limitée des théâtres de Rome et le nombre important de places réservées à des catégories prioritaires à partir de la Lex Roscia. Certes, les modalités exactes de la répartition des places restantes ne sont pas connues, mais on sait que comme pour les munera, les magistrats en distribuaient à leurs proches, à leurs clients et aux membres de leurs tribus. Ces places devaient donc aller en priorité aux électeurs potentiels, c’est-à-dire aux citoyens mâles. Sans pouvoir s’avancer beaucoup plus loin faute de sources suffisantes, les chiffres concernant la capacité des théâtres, associés au fort respect de la hiérarchie dans la société romaine et à ce que nous savons des principes régissant la distribution des places constituent un faisceau d’indices suffisant pour supposer que déjà à la fin de la République, les femmes du peuple devaient être considérablement sous-représentées dans le public des théâtres.

La localisation du secteur des femmes dans la cauea des théâtres de Rome

Une étude du placement du public dans les théâtres républicains confirme donc ce que le passage consacré par Suétone à la réforme d’Auguste semblait impliquer : à Rome les femmes, ou du moins celles des deux ordres supérieurs, étaient déjà séparées des hommes au théâtre avant même la législation du princeps, qui ne fit donc que confirmer par une loi ce que l’usage avait déjà établi. Mais la précision ajoutée par Suétone sur la localisation ex superiore loco des places réservées aux femmes était-elle également valable pour le théâtre ? Si nous n’avons aucune information à ce sujet pour l’époque républicaine, pour l’époque d’Auguste c’est ce que l’on peut déduire d’un passage des Amours d’Ovide (2.7.1-6) :

Ergo sufficiam reus in noua crimina semper?
ut uincam, totiens dimicuisse piget.
siue ego marmorei respexi summa theatri,
eligis e multis, unde dolere uelis;
candida seu tacito uidit me femina uultu,
in uultu tacitas arguis esse notas.


Donc je serai toujours en butte à des accusations nouvelles ? J’ai beau en sortir vainqueur, combattre si souvent me chagrine. Si j’ai tourné la tête vers le sommet du théâtre de marbre, tu en choisis une dans la multitude qui puisse te fournir un motif de te plaindre, si une beauté fixe sur moi un regard muet, tu affirmes qu’il y a dans ce regard des signes secrets.

On pourrait objecter que ce texte, comme ceux qui vont suivre, pourrait désigner aussi bien l’amphithéâtre que le théâtre, les poètes augustéens n’employant jamais que theatrum pour l’un comme pour l’autre89. Cependant, ici le terme marmoreum semble plus applicable au théâtre de Pompée qu’à l’amphithéâtre de Statilius Taurus, inauguré en 29 a.C. Or, Ovide semble impliquer que s’il regarde vers le sommet de l’édifice, sa maîtresse peut en déduire qu’il regarde nécessairement vers une femme. On peut donc en conclure que cet espace, comme à l’amphithéâtre, était réservé au public féminin90 à l’époque où fut écrit le poème. Ce dernier pourrait même être antérieur à l’intervention d’Auguste, puisque la rédaction des Amours, œuvre publiée en 15 a.C, est contemporaine de la fourchette – assez large il est vrai – à l’intérieur de laquelle on peut fixer la promulgation de la Lex Julia Theatralis.

L’interdiction faite à un amant de jeter un regard vers le haut au spectacle apparaît également parmi les exigences jalouses de Cynthie dans les Elégies de Properce (4.8.73-78) :

admissae si uis me ignoscere culpae,
accipe, quae nostrae formula legis erit.
tu neque Pompeia spatiabere cultus in umbra,                                           
75
nec cum lasciuum sternet harena Forum.
colla caue inflectas ad summum obliqua theatrum,
aut lectica tuae se det aperta morae.


Si tu veux que j’oublie la faute que tu as admise, me dit-elle, apprends quels seront les termes de ma loi. Toi, tu ne te promèneras pas, la mise soignée, dans l’ombre du portique de Pompée, ni quand le sable d’une arène jonchera le Forum en fête. Garde-toi d’infléchir ton cou pour regarder vers le sommet du théâtre, ou de t’attarder auprès d’une litière ouverte.

Le poète vient d’évoquer le Forum comme site des combats de gladiateurs, ainsi que c’était encore souvent le cas à l’époque d’Auguste. Il est donc clair que le terme theatrum ne désigne pas ici les tribunes du Forum (auxquelles on le ne trouve d’ailleurs jamais appliqué), ni l’amphithéâtre de Taurus, mais bien le théâtre. De fait, le poète énumère ici une série de circonstances propices aux rencontres : une promenade sous le portique de ce même théâtre de Pompée, un spectacle de gladiateurs, une représentation théâtrale, et enfin une litière ouverte offrant son occupante aux regards. En outre, il s’agit d’un texte probablement postérieur à la législation d’Auguste, puisque le livre IV des Elégies est daté de 16 a.C. Il confirme donc que sous Auguste, les femmes occupaient bien dans les théâtres de Rome la partie supérieure des gradins, ceux de la summa caua in ligneis, comme le propose le schéma imaginé par J. Edmondson pour restituer l’organisation générale des places après la Lex Iulia Theatralis (fig. 1)91.

Par ailleurs, on peut noter que Cynthie associe cette interdiction à celle de s’attarder près d’une litière entrouverte, plus susceptible d’appartenir à une femme d’un certain rang social. Il s’agit donc d’un nouvel indice en faveur d’une quasi-identification entre les places réservées dans les théâtres au public féminin et les femmes des ordres supérieurs. Les termes généraux employés par Cynthie, fille d’affranchi, pour interdire à son amant tout regard vers le haut des gradins, comme si elle ne pouvait elle-même y accéder, va dans le même sens.

Par conséquent, où auraient pu s’assoir Cynthie, et les autres femmes du peuple ? Certains chercheurs92 ont très justement fait observer que si la maîtresse d’Ovide pouvait être sûre que le regard lancé vers le haut par le poète n’était pas pour elle, c’est qu’elle ne se trouvait pas elle-même dans cette partie supérieure des gradins. Comme nous venons de le voir, c’est sans doute parce que son statut social le lui interdisait93. Mais dans ces conditions, où était-elle censée se trouver ? Elle pourrait avoir appris le comportement de son amant par ouï-dire94, mais rien dans le texte ne l’indique. Sinon, elle est supposée être assise ailleurs, et dans ce cas, il faut admettre que les femmes du peuple, celles qui ne pouvaient être définies par le terme feminae employé par Suétone, avaient la possibilité de s’assoir dans tous les secteurs non réservés à une catégorie privilégiée, donc avec les pullati. Dès lors, on peut supposer que Cynthia a vu qu’Ovide regardait, depuis sa place dans les 14 gradins, vers un secteur situé plus haut dans le théâtre que sa place à elle, ou bien que le poète s’était assis près de sa maîtresse, ayant renoncé pour l’occasion à son privilège de chevalier, si un tel choix était possible95.

De fait, une fois de plus, un rapide calcul des places mobilisées par les membres des élites au théâtre en vertu de la législation d’Auguste suggère que ces places de la summa cauea, comme à l’amphithéâtre, étaient réservées aux femmes des classes supérieures. Comme nous l’avons vu plus haut, sous Auguste on peut évaluer à au moins 5 600 personnes le nombre cumulé des sénateurs et des chevaliers susceptibles de participer à la transuectio equitum. Il faut ajouter à cela une place réservée dans la partie supérieure du théâtre pour au moins un, voire plusieurs membres féminins de leur famille (épouse, mère, fille), dont on imagine mal qu’elles aient pu être mises en concurrence avec des femmes d’origine plus modeste. Avec un tel calcul, on obtiendrait donc un total minimal de 11 200 places potentiellement accaparées par les classes supérieures. Sans doute faut-il en réalité réduire un peu ce chiffre, si le pouvoir voulait laisser un nombre suffisant de places aux représentants du peuple, simples citoyens vêtus de la toge ou pullati. Mais quoi qu’il en soit, si on rappelle que la capacité du théâtre de Pompée, le plus grand de Rome et de l’Empire, était de 21 000 places, on se doute qu’en tous les cas l’accès aux spectacles laissé aux femmes de condition modeste devait être assez réduit quelle qu’ait été la manière exacte dont se faisait la répartition des places. Certes, il était parfois possible de mettre en service simultanément plusieurs théâtres provisoires, comme on le sait notamment par Suétone (Iul., 39.1 & Aug., 43.3) qui évoque des spectacles scéniques donnés “par région” (regionatim) par César lors de son triomphe de 44 a.C., puis par “par quartier” (uicatim) par Auguste à plusieurs occasions non précisées96. Mais l’insistance même de l’auteur sur cette munificence exceptionnelle suggère que seules de telles occasions assuraient un accès au spectacle à une part nettement plus importante de la population.

La place des femmes dans les théâtres en Italie et dans les provinces

À présent, comment se plaçaient les femmes sur les gradins des théâtres provinciaux, avant et après la réforme d’Auguste ? Les sources littéraires sur ce point étant une fois de plus presque inexistantes97, il convient de se tourner vers la documentation épigraphique, même si l’accès à celle-ci est limité par le peu de place faite aux inscriptions par la plupart des publications consacrées aux théâtres provinciaux98.

Dans la partie occidentale, différents documents déjà évoqués à propos des spectacles de gladiateurs99 attestent la présence de places réservées aux élites masculines dans les théâtres de province avant même la promulgation de la Lex Iulia Theatralis. Cette dernière ne put que renforcer cette organisation, comme en témoignent notamment des inscriptions trouvées dans les théâtres d’Orange et de Mérida100. En ce qui concerne le placement des femmes proprement dit, notre document le plus ancien est une inscription trouvée à Capoue et datée vers 94 a.C.101, qui mentionne, parmi d’autres travaux effectués dans l’édifice, la réalisation d’un cunium mulieribus. Une inscription trouvée à Terni en Ombrie et datée entre 30 et 1 a.C. porte elle aussi la mention de secteurs réservés aux femmes qui furent ornés d’objets de bronze, avec ici encore l’emploi du terme générique de mulier102. La datation très incertaine de cette seconde inscription ne permet pas d’établir si elle fut réalisée avant ou après la réforme d’Auguste. Et dans les deux cas, aucune indication n’indique la position de ces secteurs réservés aux femmes, ni si leur existence excluait que certaines femmes puissent s’assoir ailleurs. Il faut également observer que le terme employé pour désigner les femmes est mulieres, sans que l’on puisse en tirer des conclusions, en l’absence de toute étude sur une éventuelle différence entre mulier et femina dans ces sources non littéraires. L’emploi de ce terme ne permet donc pas d’exclure un éventuel rapport entre cette présence de secteurs réservés aux femmes et le fait que les élites masculines, y compris en dehors de Rome, avaient souvent des sièges réservés avant même la réforme d’Auguste, comme nous l’avons vu.

Cependant, des inscriptions retrouvées à Aquileia en Vénétie103 présentent des informations contradictoires avec les inscriptions de Capoue et Terni. Découvertes sur des dalles dont la localisation originelle n’est pas connue mais qui proviennent très probablement des gradins du théâtre, elles indiquent les noms des titulaires de telle ou telle place, parmi lesquels apparaissent aussi bien des noms de femmes que des noms d’hommes. D’après la typologie des inscriptions, elles sont datées pour l’essentiel entre le milieu du Ier siècle a.C. pour les plus anciennes jusqu’à l’époque proto-augustéenne104, et donc globalement antérieures à la Lex Iulia Theatralis. Chaque dalle comprenait deux ou trois places, ce qui explique la présence de plusieurs noms côte à côte. De plus, chaque place eut plusieurs propriétaires successifs, le nom du nouveau titulaire étant simplement ajouté au-dessus ou parfois au-dessous de l’ancien. Ceci explique la présence sur chaque dalle de deux ou trois colonnes de plusieurs noms, répartis des plus anciens aux plus récents entre quatre zones auxquelles S. Braito105 a attribué les lettres de A à D. Or, la plaque n°5 semble indiquer que les places correspondant aux colonnes 2 et 3 furent occupées à la même époque, correspondant à la zone C, donc une des plus tardives, respectivement par une femme, Maxima Cervonia, et un homme, Vigonius ou Viconius. Ces deux personnages étaient donc voisins dans les gradins. On relève aussi sur plusieurs dalles des cas où ce sont des noms de femmes qui ont replacé des noms d’hommes, et non l’inverse. Par exemple, sur la plaque n°2, où les premières inscriptions seraient d’époque proto-augustéenne d’après le style des lettres, deux noms de femmes, Alfena et Rutedia,  apparaissent dans la zone C. Ces femmes auraient donc occupé les places concernées entre les périodes où les hommes dont les noms apparaissent dans les zones B et D en auraient été titulaires. Sur la plaque n°1, une femme a occupé deux places dont deux hommes étaient précédemment titulaires. S’il est exact, comme l’affirme G. Bandelli106, que les plaques 1-4 et 8 présentent des gentilices de l’aristocratie tardo-républicaine de la cité, la mixité des places aurait concerné même les élites. Il faut cependant relativiser cette apparente place laissée aux femmes, car ces inscriptions d’Aquiléia portent en tout une quarantaine de noms d’hommes pour seulement sept noms de femmes.

Ces documents suggèrent que pour la période antérieure à la réforme d’Auguste, il existait des disparités régionales concernant le placement des femmes dans les théâtres de province. En effet, alors que dans certaines cités le placement est encore assez mixte, y compris en ce qui concerne les élites, d’autres semblent avoir prévu des places réservées aux femmes avant même la promulgation de la Lex Iulia Theatralis. Peut-être faut-il voir dans la séparation précoce des femmes apparemment prévue par le théâtre de Capoue une influence du monde grec107 où il semble certain que les femmes, si elles assistaient aux spectacles de théâtre, devaient être séparées des hommes108. Quant à l’inscription de Terni, l’incertitude de sa datation, précisément sur la période charnière qui vit la promulgation de la réforme d’Auguste, rend difficile de savoir la part que joua cette dernière dans la mise en place des dispositions qu’elle prévoit.

De plus, l’étude des inscriptions concernant des loca pour lesquelles une datation postérieure à la réforme d’Auguste ne fait aucun doute ne révèlent pas beaucoup plus d’uniformité. Par exemple, une inscription du Ier siècle attribuant un siège à une femme a été retrouvé dans la summa cauea du théâtre de Cordoue109, ce qui serait en conformité avec la réforme d’Auguste. Une autre dalle de gradin, provenant d’un secteur indéterminé du même théâtre, porte à la fois l’inscription d’un nom d’homme, datant de la première moitié du Ier s. p.C., et d’un nom de femme, de la seconde moitié du siècle cette fois, ce qui pourrait sembler cette fois en contradiction avec la législation du prince. Mais le gentilice de l’homme, Philotimus, peut évoquer un affranchi, ce qui est en accord avec les principes d’Auguste reléguant en haut de l’édifice à la fois le secteur des femmes et celui des hommes du petit peuple. Dans la mesure où les deux inscriptions ne sont pas contemporaines, un changement de la localisation des espaces attribués aux deux sexes, et non un principe de mixité, pourrait expliquer la cohabitation d’un nom féminin et d’un nom masculin sur la même dalle. Rien ne permet donc d’exclure une application de la Lex Iulia dans le théâtre de Cordoue.

En revanche, les inscriptions concernant des loca retrouvées dans un autre théâtre, celui de Volterra, datées au plus tôt de l’époque de Claude, témoignent clairement de la persistance dans cet édifice de la mixité des places même après la réforme d’Auguste. Ces inscriptions se trouvaient sur le dossier du dernier rang de la proédrie et devaient donc concerner des places réservées dans ce secteur. Or, on peut y relever quelques noms de femmes, certainement de haut rang : une Caecina, appartenant à la famille consulaire de ce nom, et une Persia, d’une famille équestre, qui voisinent avec ceux d’hommes de rang équestre ou même sénatorial. Cette présence de femmes aux côtés des hommes dans la proédrie du théâtre de Tarquinia, en pays étrusque, au moins jusqu’à l’époque de Claude, pourrait refléter la persistance dans la région des traditions locales prévoyant une mixité du public110, bien qu’il soit naturellement impossible de rien affirmer sur la base d’un seul exemple. Les noms féminins restent cependant très minoritaires sur l’ensemble du corpus.

Un travail considérable de collecte et de comparaison de ces inscriptions topiques, souvent non publiées ou dispersées dans de multiples publications, reste encore à mener avant de pouvoir tenter de tracer un tableau un peu plus clair de l’accès au théâtre des femmes du monde romain, en fonction de leur statut social et des spécificités de chaque région de l’Empire. Cependant, on peut tirer de la documentation examinée quelques observations générales, analogues à celles déjà faites à propos des amphithéâtres. D’une part, les femmes semblent avoir été moins strictement séparées des hommes dans les théâtres du reste de l’Italie et des provinces occidentales, de rares privilégiées ayant même accès aux meilleures places dans certains édifices. D’autre part, des disparités régionales voire locales subsistèrent sur ce point même après la réforme d’Auguste. Cela peut s’expliquer, comme nous l’avons vu à propos de l’amphithéâtre, par une capacité d’accueil plus importante des édifices par rapport à la population totale, et par le fait que l’organisation des spectacles et de leur public, dans les cités en dehors de Rome, était restée aux mains des notables, comme elle l’avait été dans la Rome républicaine.

Conclusion

 Au terme de cette analyse, il est possible de dégager, en dépit d’une documentation trop rare et sporadique, quelques hypothèses sur le placement des femmes au théâtre et à l’amphithéâtre. Tout d’abord, il semble clair qu’à Rome, les femmes séparées des hommes et placées en haut de ces édifices, dans la galerie couverte, étaient les femmes des élites, celles des familles sénatoriales et équestres. Dans l’amphithéâtre flavien, le calcul de la capacité de cette galerie, associé à l’existence de places privilégiées accordées à de simples citoyens mariés, mais assez aisés pour porter la toge, suggère que leurs épouses devaient occuper le reste de cet espace dévolu aux feminae. Quant aux femmes du peuple, même s’il semble qu’elles avaient en principe le droit de s’assoir avec les pullati dans le secteur réservé à ces derniers par Auguste, il est probable que leur accès effectif à des places de spectacle devait être assez limité aussi bien sous la République, où ces places allaient avant tout aux électeurs potentiels, que sous l’Empire, où la cauea devint un microcosme du corps civique faisant face à son Prince. En ce qui concerne les provinces, le rapport entre la capacité des édifices et la taille de la population semble avoir été souvent plus favorable qu’à Rome, ce qui était susceptible de permettre un meilleur accès de l’ensemble des femmes aux spectacles. La stricte séparation d’avec les hommes semble également moins appliquée, pour toutes les couches de la population. C’est ce que suggèrent les inscriptions topiques retrouvées dans plusieurs édifices d’Italie ou des provinces occidentales, qui nous apprennent aussi que l’accès de quelques femmes éminentes au podium ou à la proédrie, aux côtés des hommes, était parfois possible. Toutefois, pour chaque édifice où des inscriptions attribuant nominalement des places ont été retrouvées, la constance de la faible proportion des noms féminins, même dans les cas de figure les plus favorables, permet de conclure à une forte sous-représentation des femmes dans l’accès à ce privilège. Enfin, l’examen de ces inscriptions fait aussi émerger la diversité des options locales concernant le placement du public féminin, comme c’est le cas d’ailleurs pour l’organisation plus générale de chaque cauea provinciale, en dehors des constantes que représentent le placement privilégié des sénateurs, des chevaliers, des décurions et des prêtres. Au-delà des textes qui, lorsqu’ils évoquent les réactions féminines à tel ou tel spectacles, semblent souvent attribuer la même à toutes les spectatrices, lorsqu’on examine la question de leur présence et de leur position effective sur les gradins, c’est la diversité de la place faite à ce public qui semble donc dominer, en fonction des époques, de la capacité des édifices et des traditions locales.

Bibliographie

  • Adams, J.N. (1972) : “Latin Words for ‘Woman’ and ‘Wife’”, Glotta, 50, 3/4, 1884-1888.
  • Bandinelli, G. (1987) : “Per una storia della classe dirigente di Aquileia repubblicana. Le iscrizioni da un edificio di spettacolo”, in : Vita sociale artistica e commerciale di Aquileia romana, 1, Udine, Antichità altoadriatiche 29, 97-127.
  • Beare, W. (1939) : “Seats in the Greek and Roman Theatre”, Classical Review, 53, 51-55.
  • Berlan-Bajard, A. (2012) : “Le modèle de César dans les spectacles d’Auguste”, in : Devillers, O. et Sion-Jenkins, K., éd. : César sous Auguste, Bordeaux, Scripta Antiqua 48, 83-90.
  • Bollinger, T. (1969) : Theatralis Licentia, Winterthur.
  • Bomgardner, D.L. (2000) : The Story of the Roman Amphitheatre, Londres.
  • Braito, S. (2015) : “I sedili iscritti da Aquileia”, in : Donati, éd. 2015, 153-183.
  • Buonpane, A. (2015) : “Le iscrizioni esposte nei teatriromani: aspetti e problemi. un caso di studio”, in : Donati, éd. 2015, 149-152.
  • Chastagnol, A. (1979) : “Les femmes dans I’ordre senatorial : titulature et rang social à Rome”, RH, 103, 3-28.
  • Coleman, K. (2000) : “Missio at Halicarnassius”, Harvard Studies in Classical Philology, 100, 487-500.
  • Demougin, S. (1988) : L’ordre équestre sous les Julio-claudiens, Coll.EfR 108, Rome.
  • Dodge, H. (1999) : “Amusing the Masses: Buildings for Entertainment and Leisure in the Roman World”, in : Potter, D.S. et D.J. Mattingly, éd. : Life, Death, and Entertainment in the Roman Empire, Ann Arbor, 205-255.
  • Donati, A., éd. (2015) : L’iscrizione esposta, Atti del Convegno Borghesi, Epigrafia e antichità 37, Faenza.
  • Epigrafia anfiteatrale dell’occidente romano (EAOR), Rome, 1988-2017.
  • Edmondson, J. (1996) : “Dynamic Arenas: Gladiatorial Presentations in the City of Rome and the Construction of Roman Society during the Early Empire”, in : Slater, W.J., éd. : Roman Theater and Society, E. Togo Salmon Papers I, Ann Arbor, 69-112.
  • Edmondson, J. (2002) : “Public Spectacles and Roman Social Relations”, in : Nogales Basarrate, T. et Castellano Hernandez, A., éd., Ludi Romani : espectáculos en Hispania Romana (Museo Nacional de Arte Romano, Mérida, 29 de julio-13 de octubre, 2002), Mérida, 41-64.
  • Étienne, R. (1965) : “La naissance de l’amphithéâtre, le mot et la chose”, REL, 43, 213-220.
  • Fagan, G. (2011) : The Lure of the Arena: Social Psychology and the Crowd at the Roman Games, Cambridge.
  • Gabucci, A., ed. (2001) : The Colosseum, Los Angeles.
  • Golvin, J.-C. (1988) : L ‘amphithéâtre romain : essai sur la théorisation de sa forme et de ses fonctions, Publications du Centre Pierre Paris 18, Paris.
  • Hanson, J.W. et Ortman, S.G. (2000) : “Reassessing the Capacities of Entertainment structures in the Roman empire”, JRA, 124.3, 417-440.
  • Henderson, M.I. (1963) : “The Establishment of the Equester Ordo”, JRS, 53, 61-72.
  • Hopkins, K. and Beard, M. (2005) : The Colosseum, Cambridge (Mass.).
  • Jones, T.A. (2008) : Seating and Spectacle in the Graeco-Roman World, University of Guelph, M.A., McMaster University. https://macsphere.mcmaster.ca/handle/11375/15492
  • Kolendo, J. (1981) : “La répartition des places aux spectacles et la stratification sociale dans l’Empire Romain. À propos des inscriptions sur les gradins des amphithéâtres et théâtres”, Ktèma, 6, 301-315.
  • Letellier-Taillefer, É. (2022) : “Spectatum veniunt ; veniunt spectentur ut ipsae (Ovide, L’Art d’aimer I, 99), Les femmes spectatrices dans les édifices de spectacles romains”, in : Lochert, V. et al., éd. : Spectatrices ! De l’Antiquité à nos jours, Paris, 113‑130.
  • Letta, C. (2010) : “Le iscrizioni relative a posti riservati nell’anfiteatro di Marruvium”, Notizie degli scavi di antichità, serie IX, 19-20, 120-133.
  • Lilja, S. (1985) : “Seating Problems in Roman Theatre and Circus”, Arctos, 19, 67-73
  • Manas, A. (2012) : “New evidence of female gladiators : bronze statuette at the Museum für Kunst und Gewerbe of Hamburg”, The International Journal of the History of Sport, 28, 18, 2726-2752.
  • Migayrou, A. (2018) : Des femmes sur le devant de la scène. Modalités, contextes et enjeux de l’exhibition des femmes dans les spectacles à Rome et dans l’Occident romain, de César aux Sévères, Thèse de doctorat, Université Panthéon Sorbonne, Paris. https://theses.hal.science/tel-02013490v1
  • Monterroso Checa, A. (2010) : Theatrum Pompei : forma y arquitectura de la génesis del modelo teatral de Roma, Serie arqueólogica 12,Madrid.
  • Munzi, M. et N. Terrenato, ed. (2000) : Volterra: il teatro e le terme. Gli edifici, lo scavo, la topografia, Florence.
  • Nicolet, C., Ilbert, R. et Depaule, J.-C. (2000) : Mégapoles méditerranéennes : géographie urbaine rétrospective, Actes du colloque organisé par l’École française de Rome et la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, Rome, 8-11 mai 1996, Coll.EfR 261, Paris.
  • Nicolet, C. (1966) : L’ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 a. C), T. 1. Définitions juridiques et structures sociales, BEFAR 207, Paris.
  • Orlandi, S. (2004) : Epigrafia anfiteatrale dell’Occidente romano / a cura di Gian Luca Gregori. VI, Roma : anfiteatri e strutture annesse con una nuova edizione e commento delle iscrizioni del Colosseo, Vetera 15, Rome.
  • Perez, A.P. (1976) : “Los Espectadores, la Lex Roscia Theatralis y la Organizacion de la Cavea en los Teatros Romanos”, Zephyrus 26/27, 435-442.
  • Rawson, E. (1985) : “Theatrical Life in Republican Rome and Italy”, PBSR, 53, 97-113.
  • Rawson, E. (1987) : “Discrimina Ordinum: The Lex Julia Theatralis”, PBSR, 55, 82-114.
  • Santoro L’Hoir, F. (1992) : The Rhetoric of Gender Terms. Man, Woman, and the Portrayal of Character in Latin Prose, Mnemosyne Suppl. 120, Leyde-New-York-Cologne.
  • Scamuzzi, U. (1969a) : “Studio sulla Lex Roscia theatralis (con un breve appendice sulla gens Roscia)”, Rivista di Studi Classici, 17.2, 133-165.
  • Scamuzzi, U. (1969b): “Studio sulla Lex Roscia theatralis (con un breve appendice sulla gens Roscia)”, Rivista di Studi Classici, 17.3, 259-319.
  • Scamuzzi, U. (1970a) : “Studio sulla Lex Roscia theatralis (con un breve appendice sulla gens Roscia)”, Rivista di Studi Classici, 18.1, 15-57.
  • Scamuzzi, U. (1970b): “Studio sulla Lex Roscia theatralis (con un breve appendice sulla gens Roscia)”, Rivista di Studi Classici, 18.3, 374-447.
  • Schnurr, C. (1992) : “The lex Julia theatralis of Augustus: some remarks on seating problems in theatre, amphitheatre and circus”, Liverpool Classical Monthly, 17.10, 147-160.
  • Spadoni Cerroni, M. C. (1994) : “Donne e spettacoli a Roma ed in Italia in età imperiale”, RIL, 128, 215-250.
  • Taylor, LR. (1969) : “Seating Space in the Roman Senate and the Senatores Pedarii”, TAPA,100, 529-582.
  • Thuillier, J.P. (1985) : Les Jeux athlétiques dans la civilisation étrusque, BEFAR 256, Rome.
  • Trannoy-Coltellony, M. (1999) : “La place des sénateurs au cirque : une réforme de l’empereur Claude”, REA, 101, 3‑4, 487‑498.
  • Veyrac, A. (2008) : “La maîtrise de l’eau au sein des édifices romains de spectacle : l’amphithéâtre nîmois”, Cahier des thèmes transversaux ArScAn, 8, 13-22.
  • Virlouvet, C. (1995) : Tessera Frumentaria. Les procédures de distribution du blé public à Rome à la fin de la République et au début de l’Empire, BEFAR 286, Rome.
  • Virlouvet, C. (1994) : “Les lois frumentaires d’époque républicaine”, in : Le Ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains des débuts de la République jusqu’au Haut-Empire, Actes du colloque international de Naples, 14-16 Février 1991, Rome, Coll. du Centre Jean Bérard 11 – Coll.EfR 196, 11-29.
  • Welch, K. (1994) : “The Roman Arena in Late-Republican Italy: A New Interpretation”, JRA, 7, 59–80.
  • Welch, K.E. (2007) : The Roman Amphitheatre from its Origins to the Colosseum, Cambridge-New York – Melbourne.
  • Wiseman, T.P. (1970) : “The Definition of ‘Eques Romanus’ in the Late Republic and Early Empire”, Historia, 19, 67-83.
  • Wiseman, T.P. (1973) : “Review of Publicans and Sinners: Private Enterprise in the Service of the Roman Republic, by E. Badian”, Phoenix, 27, 189-198.

Notes

  1. Sur ces inscriptions dans la partie occidentale de l’empire, voir par exemple EAOR 1988-2017 et les publications sur la question citées dans cet article : Munzi & Terrenato 2000 ; Letta 2010 ; Braito 2016 ; Buonpane 2016.
  2. Sur cette législation, voir Bollinger 1969 ; Pérez 1976, 435-442 ; Kolendo 1981, 301-315 ; Lilja 1985, 67-73 ; Rawson 1987, 83-114 ; Edmondson 1996, 69-112 & 2002, 41-64 ; Dodge 1999, 205-255 ; Jones 2008.
  3. Rawson 1987, 98 ; Edmondson 2002, 44. Selon Trannoy-Coltelloni 1999 (p. 493-494) la législation augustéenne des spectacles aurait plutôt pris la forme d’une série de senatus consulte et de lois, promulgués sur plusieurs années.
  4. Les traductions des textes cités sont celles de l’auteure.
  5. Letellier-Taillefer 2022 et Spadoni Cerroni 1994 se sont cependant spécifiquement intéressées aux femmes spectatrices.
  6. Ov., Ars Am., 136-142 : Multa capax populi commoda Circus habet./ Nil opus est digitis, per quos arcana loquaris, /Nec tibi per nutus accipienda nota est: /Proximus a domina, nullo prohibente, sedeto, /Iunge tuum lateri qua potes usque latus;/Et bene, quod cogit, si nolis, linea iungi,/Quod tibi tangenda est lege puella loci ; Tr., 2. 283 : hic sedet ignoto iuncta puella uiro ; Juv. 202-202 : spectent iuuenes, quos clamor et audax /sponsio, quos cultae decet adsedisse puellae. Voir aussi Ov., Am., 3. 2.19-20 (cogit nos linea iungi/ haec in lege loci commoda circus habet), même si le texte pourrait être antérieur à la réforme.
  7. Il semble bien cependant que plus tard dans son règne Auguste ait commencé à réglementer le placement dans le Cirque. Dion Cassius (55.22.4 & 60.7.3-4) nous apprend en effet qu’en 5 p.C. des dispositions furent prises pour séparer sénateurs, chevaliers et plébéiens sur les gradins du Cirque, sans mentionner ce que cette disposition impliquait pour les femmes. La question du placement des femmes dans les stades, d’où elles ne furent pas toujours exclues, nécessiterait également des études spécifiques.
  8. οὔπω δὲ τῶν τόπων διακεκριμένων, ἀλλ’ ἔτι τοῦ θεάτρου συμμιγοῦς ἀνδράσι καὶ γυναιξὶν ὄντος. Comme le fait observer Rawson 1987, Plutarque ici utilise certainement le mot θεάτροv en son sens général d’installation pour les spectateurs, étant donné qu’il a clairement précisé que le spectacle dont il parle est un combat de gladiateurs (μονομάχων).
  9. Le seul texte qui pourrait suggérer l’existence d’une loi est un texte de Flavius Josèphe (AJ, 14.210) qui nous apprend que sous la dictature de César, le grand-prêtre du temple de Jérusalem Hyrcan obtint par décret du Sénat le droit d’assister aux spectacles de gladiateurs “avec les sénateurs”. Cependant, dans la mesure où aucune source ne mentionne explicitement l’existence d’une telle loi, alors que celles concernant le théâtre sont bien connues, il est préférable de penser que le décret prévoyait simplement que le Sénat devait faire attribuer à Hyrcan une place parmi celles, privilégiées, que se réservaient déjà les sénateurs lors de ces spectacles.
  10. Selon Plutarque ces tribunes auraient été érigées par des magistrats (συναρχόντων). Pour Edmondson 1996, 87, n. 78, étant donné l’époque où se situe cet épisode, l’auteur de cette initiative fut sans doute l’éditeur des jeux, qui était quoi qu’il en soit nécessairement un sénateur.
  11. Quod enim tempus fuit aut nostra aut patrum nostrorum memoria quo haec siue ambitio est siue liberalitas non fuerit ut locus et in circo et in foro daretur amicis et tribulibus ?
  12. Les traductions des textes cités sont celles de l’auteure.
  13. On sait aussi, toujours par le Pro Murena (73) qu’une vestale parente de Muréna lui avait donné les places au Cirque dont elle disposait, pour qu’il puisse les distribuer.
  14. … tantus est ex omnibus spectaculis usque a Capitolio, tantus ex fori cancellis plausus excitatus, ut numquam maior consensio aut apertior populi Romani uniuersi fuisse ulla in causa diceretur.
  15. Rawson 1987, 86.
  16. Voir n. 6.
  17. Voir infra p. 134 ; Edmondson 2002, 13 fig. 2. Voir aussi Golvin 1988, 366 ; Elkins 2019, 53-54.
  18. Golvin 1988, 287.
  19. Bomgardner 2000, 234, n. 40 ; Welch 2007, 30-70 ; Fagan 2011, 17-20 & 97.
  20. Celui-ci, toujours selon Golvin 1988 (p. 364-365), comportait au moins 11 gradins.
  21. Rawson 1987, 90.
  22. Bollinger 1969, 19-20 & n. 22 ; Kolendo 1981, 305, n. 2
  23. Rawson 1987, 91.
  24. Les femmes des familles sénatoriales seules l’obtinrent à l’époque Antonine, et d’une manière purement nominale (Jones 2008, 19).
  25. Tac., Ann., 4.16 ; D.C. 59.3.4 & 60.22.2
  26. Orlandi 2004, 191-521.
  27. En effet d’autres inscriptions confirment l’existence de certaines des catégories de spectateurs mentionnées par Suétone. C’est le cas notamment de fragments qui se réfèrent aux secteurs réservés aux praetextati et à leurs pédagogues (CIL, VI, 32098, b, c, d). Des sources littéraires (Herod. 1.9.3. ; Arnob., Adu. Nat., 4.35) témoignent aussi de la persistance du système mis en place par Auguste. Voir Rawson 1987, 86, 109 & 112.
  28. CIL, VI, 32363 = ILS, 5049.
  29. Orlandi 2004, 171. L’hypothèse contredit celle de Rawson 1987 (p. 101), suivie par Jones 2008 (p. 44-45, n. 157) qui envisageaient que ces places aient été attribuées aux esclaves des Arvales.
  30. Arena 2007 (p. 38-39) s’appuie sur un texte de Dion Cassius (71.31.2) concernant les honneurs posthumes de Faustine la Jeune pour affirmer que les femmes des élites eurent désormais des places privilégiées dans le Cirque, autour de la statue de cette dernière. Le texte est cependant ambigu en raison de l’emploi par Dion du terme de theatron, et surtout parce qu’il semble évoquer plutôt un petit groupe de femmes de la cour que l’ensemble des épouses des sénateurs.
  31. Malavolta 1978 ; Levick 1983 ; McGinn 1992.
  32. Contrairement à ce que pense par exemple Sear 2006 (p. 2) ou Jones 2008 (p. 35-36) imaginant simplement une distinction spatiale et vestimentaire entre les matronae et les meretrices dans cet espace réservé aux femmes.
  33. Adams 1972 ; Santoro L’Hoir 1992, 2, 29-46 ; Coleman 2000, 498 ; Migayrou 2018, 48 & n. 60.
  34. Iul., 50.1 ; Aug., 21.4 ; 25.2 ; 69.2 ; Tib., 35.3 ; 45.1 ; 49.2 ; 50.5 ; 61.13 ; Calig., 17.4 ; 36.4 ; Claud., 15.3 & 13 ; 19.1 ; 35.2 ; Ner., 21.4 ; Dom., 8.4  ; Oth, 1.2 ; Vit, 3.1.
  35. Calig., 16.10 ; 35.5 ; Ner., 33 ; Vit. 2 ; 14. Le mot mulier appliqué à une femme de haut rang, peut aussi être péjoratif, (Iul., 52.6 ; Tib., 2.7. & 6.1 ; Ner., 28.5).
  36. T.L.L, art. cathedra : Sidon., epist. 2.9.4 inter matronarum -as [opp. subsellia patrum familias]) … metonymice : Juv. 6.91 famae apud molles minima est iactura -as (schol. Ad. I., 6.91 id est matronas).
  37. Balsdon 1969, 258 liait déjà cette ségrégation des femmes instaurée par Auguste pour les munera à la perte du caractère privé de ces derniers.
  38. Virlouvet 1994, 18. Par ailleurs, on sait que sous les Flaviens le responsable de l’attribution des sièges réservés au collège des Arvales dans l’amphithéâtre était un certain Laberius Maximus qui en 81 était aussi le préfet de l’Annone, ce qui peut faire supposer qu’il était en même temps procurateur de l’amphithéâtre (Bollinger 1969, 15 ; Orlandi 2004, 168-169 ; Kolendo 1981, 304, n. 26.) et que les destinataires des places réservées au peuple étaient les mêmes que les bénéficiaires des distributions de blé. Cette proposition n’est cependant pas unanimement acceptée (voir Rawson 1987, 95, n. 71).
  39. Martial (5.41.8), y fait également allusion.
  40. FIRA I 40.1.
  41. D.C. 54.30.5.
  42. Sur ce point voir par exemple Suet., Aug. 34.
  43. Denys d’Halicarnasse (6.13). Demougin 1988 (p. 15 n. 56 et p. 225) considère qu’il s’agit de la seule information sérieuse issue des sources antiques concernant les effectifs de chevaliers et que ces deniers sous les Julio-Claudiens comptaient plusieurs milliers de personnes, tous titulaires du privilège de l’equus publicus. Il faut ajouter que d’autres chercheurs considèrent qu’il existait de surcroît des chevaliers qui ne le possédaient pas. (Sur cette question voir Demougin 198-214).
  44. Comme nous l’avons vu, les hommes des deux ordres supérieurs n’étaient pas concernés par l’exclusion des célibataires. Si les femmes de ces familles l’avaient été, en forte contradiction avec les usages antérieurs, il semble probable que Suétone l’aurait mentionné.
  45. Ces enfants étaient accompagnés de leurs pédagogues, et appartenaient donc à des familles d’un certain rang social. En moyenne un cuneus, selon les estimations de Golvin 1988 (p. 376) correspondait dans l’amphithéâtre Flavien à environ 513 places. Il est donc tentant de rapprocher ce chiffre de celui des effectifs du Sénat et de voir là un souci de prévoir des secteurs dédiés aux membres des élites n’appartenant pas (ou pas encore) au corps civique, ce qui est en accord avec l’idée d’un secteur également réservé aux femmes de ces mêmes élites.
  46. C’est ce que montre notamment une anecdote relatée par Quintilien (Inst., 6.3.63) sur un chevalier préférant manger à sa place à l’heure du déjeuner de peur de la trouver occupée à son retour.
  47. Les femmes et les enfants, en principe, ne participaient pas aux frumentationes, sauf exception, par exemple au nom d’un parent masculin (Virlouvet 1995, 199, 237 n. 227, 285, 299). Par ailleurs, depuis la première législation frumentaire de Caius Gracchus, les rations distribuées se montaient à cinq modii (soit 35 à 40 kg) de blé par personne et par mois. On estime qu’une telle quantité pouvait nourrir environ une personne et demie. Donc elle excédait les besoins d’un individu isolé mais ne pouvait suffire à nourrir une famille (Virlouvet 1991, 17 & 1995, 2 n. 4). Il s’agissait en fait d’un privilège civique, et non d’une mesure destinée avant tout à secourir les plus pauvres, puisque beaucoup de ces derniers, étant non citoyen, se voyaient d’emblée exclus de la distribution. Il est envisageable que la distribution des places de spectacle ait obéi globalement aux mêmes principes, même si nous sommes beaucoup moins renseignés à leur sujet que sur les distributions frumentaires.
  48. Adfluxere auidi talium, imperitante Tiberio procul uoluptatibus habiti… ob propinquitatem loci effusius.
  49. L’adjectif muliebris, opposé à uirilis, est ici simplement générique et ne donne aucune indication sur le rang social de ces femmes.
  50. Voir par exemple chez Suétone la mention de deux sénateurs parmi les spectateurs étouffés par la foule lors des spectacles de César (Iul., 1.39) ou celle de la vingtaine de chevaliers et de matrones écrasés par une bousculade au Cirque sous Caligula, en même temps qu’“une foule d’autres personnes” (Calig., 26).
  51. qui per diem uisu, per noctem ululatibus et gemitu coniuges aut liberos noscebant.
  52. Selon l’hypothèse de Golvin 1988, 36.
  53. Veyrac 2008, 16.
  54. CIL, II, 5439. Voir Crawford 1996, no. 25 ; Jones 2008, 58. Le texte, cependant, est une copie flavienne, ce qui peut impliquer des interpolations (voir Rawson 1987, n. 24).
  55. On sait aussi par Cicéron (ad Fam., 10.32.2) et Strabon (3.5.3) que lors de jeux organisés par L. Cornelius Balbus, magistrat local et sénateur romain, les 14 premiers rangs du théâtre furent réservés aux chevaliers.
  56. Kolendo 1981, 301-315.
  57. II., 136-141 ; CIL, I2, 593 ; ILS,6058, 27; Crawford 1996, n. 24. ; Crawford 1996, n. 24 ; Jones 2008, 60.
  58. Kolendo 1981, 308-311 ; Jones 2008, 67-79.
  59. Letta 2010, 120.
  60. Letta 2010, 128.
  61. On peut en être d’autant plus sûr que le nom Appuleia a été ajouté dans un second temps, un autre nom précédemment inscrit à cet emplacement ayant été gratté (Letta 2010,129-130).
  62. CIL, XII, 3320 ; Jones 2008, 82 ; EAOR, V, 41-44 ; Jones 2008, 82 & n°30.2.
  63. CIL, XIII, 1197 ; Jones 2008 77, n.90 & n° 33.
  64. Une inscription de l’époque de Tibère trouvée dans l’amphithéâtre de Cumes (AE 1927, 158) pourrait aussi accorder une place privilégiée à une femme en même temps qu’à son fils dans l’une des tribunes, mais la formulation ne permet pas de savoir si le privilège ne concernait pas que le fils (Jones 2008, 82).
  65. Hanson 2020, 430-431.
  66. Kolendo 1981, 314 ; Jones 2008, 54-67 ; 99-105 ; 198.
  67. Sur les femmes évergètes dans le domaine des spectacles, en tant que membres d’une famille éminente ou prêtresses du culte impérial, voir par exemple Jones 2008, 80-83 & n. 100, 100-101. Un exemple célèbre est celui d’Ummidia Quadratilla, amie de Pline le Jeune. Deux inscriptions (CIL, X, 5183 et AE 1946, 174) nous apprennent qu’à Casinum elle construisit un amphithéâtre de ses propres deniers et restaura le théâtre.
  68. Letellier 2022, 134.
  69. Question déjà soulevée par Beare 1939, 55.
  70. Comme le supposent par exemple Lilja 1985, 68 ; Rawson 1987, 90 ; Jones 2008, 18.
  71. Sear 2006, 2.
  72. On peut noter d’ailleurs que dans le prologue du Poenulus, Plaute enjoint aux courtisanes de ne pas se placer sur le devant de la scène, ce qui est sans doute une plaisanterie mais semble bien suggérer une circulation et un placement des spectateurs relativement libres avant le début de la représentation.
  73. qui uestitu et creta occultant sese atque sedent quasi sint frugi.
  74. Ces places furent attribuées aux sénateurs par les édiles sur décision des censeurs si on en croit Tite-Live (34.44 et 54.3-8). Voir aussi Valère Maxime (2.4.3).
  75. Taylor 1952, 148-150 ; Schnurr 1992, 149-150.
  76. Rawson 1987, 91 n. 43 ; Jones 2008, 23, et n. 44.
  77. Comme le suggérait déjà Jones 2008, 19.
  78. Voir par exemple Pline l’Ancien (HN, 36.24) selon lequel C. Scribonius Curion en 51 ou 52 a.C. fit réaliser un édifice original, qui prévoyait deux hémicycles de gradins dos à dos qui pouvaient être retournés pour former un cercle complet pour des spectacles d’amphithéâtre. Selon Pline, pendant la transformation de l’édifice, l’assistance put rester assise à sa place. On peut aussi citer Valère Maxime (2.4.6) qui évoque un spectacle scénique donné par Q. Catulus, probablement en 69 a.C., lors duquel il fit protéger pour la première fois par un velum un public désigné par l’expression spectantium consessum.
  79. Monterroso Checa 2010, 296.
  80. Nicolet et al. 2000.
  81. Déjà Lilja 1985, 70-71 faisait observer qu’il y avait sans doute plus de différence au niveau de l’organisation des spectateurs entre l’époque de Plaute et celle de la réalisation du théâtre de Pompée qu’entre cette dernière et les époques postérieures à la réforme d’Auguste.
  82. Demougin 1988, 30-31.
  83. L– Otho, uir fortis, meus necessarius, equestri ordini restituit non solum dignitatem sed etiam uoluptatem.
  84. C’est ce que montre notamment l’incident qui aurait, selon Suétone, décidé Auguste à légiférer sur les places de spectacles : l’indignité subie par un sénateur (iniuria senatoris) auquel personne n’avait cédé sa place lors de jeux très fréquentés donnés à Pouzzoles (voir aussi un texte de Valère Maxime (4.5.1) citant l’exemple d’un sénateur qui bien que chassé du sénat en 184 a.C, se vit supplier par le public de bien vouloir prendre place à l’avant. L’auteur ajoute que même avant la loi qui réservait désormais des places aux sénateurs, “jamais aucun plébéien ne prit sur lui de se placer au théâtre devant les sénateurs”, numquam tamen quisquam ex plebe ante patres conscriptos in theatro spectare sustinuit. La Lex Roscia pourrait donc être la première loi protégeant un privilège jusque-là simplement conféré par le respect de la préséance d’un chevalier, reconnaissable à sa toge et à son anneau d’or, sur un simple citoyen. Sur cette question, voir Scamuzzi 1969, 133-165 & 265-319 ; Wiseman 1973, 189 ; Demougin 1988, 797-798, et dans le présent ouvrage l’article de M.-H. Garelli.
  85. L’augmentation des places réservées aux chevaliers devait du même coup réduire le nombre de places accessibles au peuple qui exprima d’ailleurs son hostilité à cette loi.
  86. Même sous l’empire, l’ordre équestre n’inclut jamais officiellement les femmes ou les enfants (Chastagnol 1979, 23).
  87. Rawson 1987, 105.
  88. En 67 a.C. déjà le nombre des chevaliers equo publico était supérieur à 1 800 personnes selon certains chercheurs (Henderson 1963, 61 ; Nicolet 1974, 120).
  89. Étienne 1965.
  90. Ce sont ces vers qui ont incité Bollinger 1969 (p. 19-20 & n. 22) et Lilja 1985 (p. 67) à supposer que les femmes et filles des chevaliers s’asseyaient avec eux : si la compagne d’Ovide peut remarquer le regard vers le haut du poète, ce serait parce qu’elle est assise à ses côtés. Mais il s’agit ici de la maîtresse du poète et comme le fait observer Rawson 1987 (p. 91) “the mind boggles at even the impertinent Ovid introducing his freedwoman mistress into the XIV”. Comme nous l’avons vu, on peut d’ailleurs exclure la présence même de femmes de familles équestres dans ces 14 rangs des chevaliers.
  91. Edmondson 2002, 13 fig. 2.
  92. Rawson 1987, 91 ; Jones 2008, 28.
  93. Jones 2008, 28.
  94. Jones 2008, 28 suggère cette hypothèse.
  95. Cette hypothèse suppose que les chevaliers aient été autorisés à s’assoir ailleurs qu’aux places qui leur étaient réservées. Or, si ce n’est pas certain en ce qui concerne les sénateurs, puisque Suétone prend la peine de préciser que cette latitude leur fut laissée au Cirque par la réforme de Claude, cela semble beaucoup plus probable pour les chevaliers puisqu’ils avaient souvent du mal, comme nous l’avons dit plus haut, à trouver tous place sur les gradins qui étaient réservés à leur ordre.
  96. Voir Berlan-Bajard 2012.
  97. On peut seulement relever que Vitruve, dans son De Architectura (5.3.1) paru sans doute peu après la réforme d’Auguste, évoque des spectateurs “restant longtemps assis au théâtre avec leurs femmes et leurs enfants” (Per ludos enim cum coniugibus et liberis persedentes delectationibus detinentur), ce qui pourrait indiquer un public qui restait généralement mixte. Cependant, l’allusion aux femmes et aux enfants pourrait renvoyer simplement à la partie du public la plus vulnérable, dans ce passage où l’auteur évoque l’importance de la localisation du théâtre pour assurer la salubrité de l’air durant les spectacles.
  98. Comme le souligne Buonpane 2016, 149-152. Il fait observer en particulier que le plus souvent les inscriptions les plus complètes sont les seules à être citées, et fréquemment de manière partielle, sans localisation ni photographie du support.
  99. Notamment la Lex Ursonensis et la Tabula Heracleensis, déjà citées. Voir aussi Cicéron (ad Fam., 10.32.2) et Strabon (3.5.3) évoquant des jeux organisés en 43 a.C. où les 14 premiers rangs du théâtre furent réservés aux chevaliers.
  100. Jones 2008, 231 et n° 29 & 50.
  101. CIL, XII, 2506 ; /LLRP 713. Texte : […] Q(uintus) Annius Q(uinti) l(ibertus) Fe(lix), / P(ublius) Biuellius T(iti) l(ibertus), / P(ublius) Messius Q(uinti) l(ibertus), / C(aius) Lusius C(aii) l(ibertus), / P(ublius) Ouius P(ublii) l(ibertus) Plutus, / C(aius) Antonius C(aii) l(ibertus) / [heisce magistreis […] tr]eib(unal) cunium muliereb[us] / […] ludosque fecurun[t] / […]o co(n)sul[…].
    Traduction : Quintus Annius Felix, affranchi de Quintus, Publius Bivellius, affranchi de Titus, Publius Messius, affranchi de Quintus, Caius Lusius, affranchi de Caius, Publius Ovius Plutus, affranchi de Publius, Caius Antonius, affranchi de Caius, pour ces magistrats […] ont fait la loge (du préteur), un secteur pour les femmes et des jeux.
    Cf. Frederiksen 1984, 282 n. 15; Rawson 1987, 90 ; Chamberland 2001, n. 59 ; Sear 2006, 2 ; Jones 2008, 63-64.
  102. CIL, XI, 4206 : C(aius) Dexius L(uci) f(ilius) Max[imus aedilis] cur(ulis) porticum thea[tr(i)] / cryptam perf[icienda cu]rauit quoi in operibus / publiceis quae s[upra s(cripti) s(unt) ex] s(enatus) c(onsulto) inscriptio data est / T(itus) Albius C(ai) f(ilius) Pansa IIIIuir i(ure) d(icundo) [p]ont(ifex) C(aius) Albius T(iti) f(ilius) Pansa filius IIIIuir / opus theatri perfect(i) in muliebrib(us) aeramentis adornauer(unt)
    Traduction : Caius Dexius Maximus, fils de Lucius, édile curule s’est occupé d’achever le portique du théâtre et la crypte. Sur les ouvrages publics mentionnés ci-dessus une inscription lui a été offerte par décision du Sénat. Titus Albius Pansa, fils de Caius, quadriumvir chargé des questions juridiques, pontife, Caius Albius Pansa, fils de Titus, quadriumvir, ont orné le bâtiment du théâtre, une fois celui-ci achevé, avec des objets de bronze dans les secteurs des femmes.
    Cf. Jouffroy 1986, 57.
  103. Braito 2015, 153-183.
  104. Il est cependant possible que certaines soient du Ier siècle p.C. donc après la réforme (Braito 2016, 180).
  105. Voir note 110.
  106. Bandinelli 1987, 97-127 & 103-106.
  107. Rawson 1987, 97 ; Jones 2008, 65-66.
  108. Jones 2008, 103-104.
  109. CIL, II2, 7 571 ; Jones 2008, 295, n° 42.
  110. Thuillier 1985, 632-634 a notamment bien démontré que certaines représentations du public des jeux dans l’art étrusque montrent des hommes et des femmes assis ensemble.
ISBN html : 978-2-35613-549-0
Rechercher
Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356135490
ISBN html : 978-2-35613-549-0
ISBN pdf : 978-2-35613-551-3
Volume : 23
ISSN : 2741-1818
Posté le 23/04/2024
31 p.
Code CLIL : 3385; 4117
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Berlan-Gallant, Anne, “Les femmes spectatrices au théâtre et à l’amphithéâtre dans l’Occident romain”, in : Bell, Sinclair W., Berlan-Gallant, Anne, Forichon, Sylvain, dir., Un public ou des publics ? La réception des spectacles dans le monde romain entre pluralité et unanimité, Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 23, 2024, 111-142, [en ligne] https://una-editions.fr/les-femmes-spectatrices-au-theatre-et-a-l-amphitheatre [consulté le 24/04/2024].
doi.org/10.46608/primaluna23.9782356135490.6
Illustration de couverture • Montage S. Forichon et SVG, à partir de :
Sezione interna del Colosseo con spettatori e finta caccia al leone (1769-1770), Vincenzo Brenna, Victoria and Albert Museum, Londres (d'après Gabucci, A. ed. (1999): Il Colosseo, Milan, p. 166-167) ; Relief dit de Foligno (130×55 cm), Détail, Museo di Palazzo Trinci, Foligno, Italie (photo de S. Bell) ; Mosaïque dite du Grand Cirque de la villa de Piazza Armerina, Détail, Sicile (d’après Gentili, G. V. et A. Belli (1959) : La Villa Erculia di Piazza Armerina: i mosaici figurati, Collana d’arte Sidera 8, Rome, pl. X) ; Diptyque en ivoire dit des Lampadii (29×11 cm), Détail, Santa Giulia Museo, Brescia (d’après Delbrueck, R. (1929) : Die Consulardiptychen und verwandte Denkmäler, vol. I-II, Studien zur spätantiken Kunstgeschichte, Berlin-Leipzig, vol. II, pl. 56) ; Mosaïque dite de Gafsa (4,70×3,40 m), Détail, Musée du Bardo, Tunis (d’après Blanchard-Lemée, M., M. Ennaïfer, H. et L. Slim (1995) : Sols de l’Afrique romaine : mosaïques de Tunisie, Paris, p. 196, fig. 143).
Retour en haut
Aller au contenu principal