À propos de :
Marquette, J. B. (1983) : “Les pays de Gosse, de Seignanx et de Labenne (1200-1320”, in : Bayonne et sa région, Actes du XXXIIIe congrès d’études régionales tenu à Bayonne les 4 et 5 avril 1981, Fédération historique du Sud-Ouest, 45-75.
Marquette, J. B. (1985) : “Le réseau paroissial de la Grande Lande au début du XIVe siècle”, in : La Grande Lande : histoire naturelle, géographie historique, Actes du colloque tenu à Sabres à l’Écomusée de la Grande Lande les 27-29 novembre 1981, 147-176.
En 1980, alors que l’écomusée de Marquèze célèbre son dixième anniversaire, la direction du Parc naturel régional des Landes de Gascogne charge le Centre de recherches sur l’occupation du sol (CROS) de l’université de Bordeaux III, alors dirigé par Jean Bernard Marquette, et l’Institut de géologie du bassin d’Aquitaine de l’université Bordeaux I de réaliser une série d’études sur la Grande Lande. Ces premiers travaux sont présentés un an plus tard, lors d’un célèbre colloque tenu à Sabres, les 27-29 novembre 1981, sous la direction scientifique de Jean Bernard Marquette et d’André Klingebiel, sous la présidence de Charles Higounet, ancien directeur du CROS, et de Georges Henri Rivière, le grand muséologue à l’origine du concept d’écomusée. On mesure par cette première somme l’importance de l’élan suscité au sein de cette équipe pluridisciplinaire et l’émulation scientifique qu’avait éveillé la création de l’écomusée de Marquèze. Le volume, publié en 1985, rassemble pas moins de 37 communications réparties en trois parties : 1) “Le cadre naturel” (5 communications principalement consacrées à la géologie) ; 2) “Les étapes de l’occupation par l’Homme” (21 communications de la préhistoire au XIXe siècle) ; 3) “Mise en valeur des ressources naturelles. Perspectives d’évolution. Respect des équilibres naturels” (11 communications, sur la botanique et la biologie). Au même moment, le géographe Serge Lerat qui était parmi les conférenciers de Sabres, dirige la rédaction du monumental volume Landes et Chalosse (publié en 1985), auquel participent Jean Bernard Marquette et d’autres intervenants au colloque de Sabres (Jean-Pierre Bost, Jean-Pierre Lescarret, Jean-Claude Drouin).
À cette échelle, c’est la première fois que l’on assiste à un tel renouvellement des connaissances sur l’histoire et l’environnement de l’espace haut-landais. Jean Bernard Marquette, qui vient de succéder à Charles Higounet à la direction du CROS, est un des maîtres d’œuvre de cette dynamique scientifique, aidé en cela par une sensibilité à l’histoire de l’occupation du sol et du peuplement sur le temps long, ainsi que par un grand intérêt pour le patrimoine et les musées, ce dont témoignent par ailleurs ses fonctions de conservateur du musée d’Arts et de traditions populaires de Villandraut (1969-1995), ou de membre de la Commission régionale du Patrimoine historique, archéologique et ethnologique (COREPHAE) d’Aquitaine. Son investissement pour l’histoire des Landes s’est poursuivi. Par la suite, il co-organise avec A. Kingebiel le colloque “La grande lande. Géographie historique”, au Teich les 19-20 octobre 1985 ; il devient vice-président du conseil scientifique du Parc naturel régional des Landes de Gascogne et dirige le Programme collectif de recherche “Airiaux des Landes de Gascogne” (2005-2006) qui a débouché sur la fouille de l’airial de Guiraute, à Sabres (dir. Yan Laborit).
Dans l’histoire des travaux que Jean Bernard Marquette a menés sur l’espace landais, cette contribution présentée à Sabres en 1981 marque une étape importante. Jusqu’alors, ses recherches s’étaient surtout déroulées dans le cadre de la thèse sur les Albret dont les seigneuries couvraient de larges parties du sud-ouest Aquitain, depuis le castrum éponyme de Labrit. Le travail sur leur fond d’archives comme les recherches de terrain avaient offert à Jean Bernard Marquette une connaissance intime de cette région et de son histoire ainsi que sur les particularités de son peuplement. Grâce à cette matière, il put se dégager de la matrice des Albret et se projeter vers de nouvelles directions, toujours marquées cependant par l’héritage scientifique de Charles Higounet et par les thématiques du CROS. En 1978, un premier article sur le pays de Born à la fin du XIIIe siècle est une somme sur les peuplements, l’occupation du sol, la société et les pouvoirs des 11 paroisses qui le composent.
L’ambition de cette communication est affichée dès les premières lignes. Il s’agit de prendre à bras le corps un matériau nouveau, sous exploré jusqu’alors, pour tordre le cou au lieu commun du désert landais : “L’histoire de la Haute-Lande au cours de l’époque médiévale, écrit-il, a, jusqu’à ce jour, bien peu retenu l’attention des historiens. La bibliographie de la question est d’ailleurs tellement mince que le chercheur hésite sur les priorités (…). Cet état de la recherche résulte pour une part de la médiocrité des sources écrites connues à ce jour, pour une autre, d’un mythe qui n’est pas propre à la période médiévale : celui du désert landais. Pourquoi se pencher sur l’histoire d’un pays vide d’habitants ?”.
Ce matériau nouveau est celui du réseau des paroisses reconstitué à partir des sources écrites des XIIIe et XIVe siècles, une période où la documentation commence à être assez consistante pour en établir une carte exhaustive des paroisses. Pour la géographie historique que promeut alors le CROS, la paroisse est alors un objet de recherche de premier plan pour faire de l’histoire du peuplement et de l’occupation du sol. Elle bénéficie, en outre, d’une méthode d’analyse renouvelée par les travaux de Michel Aubrun, dans sa thèse sur le diocèse de Limoges, soutenue en 1978 devant un jury comprenant notamment Charles Higounet. Pour Jean Bernard Marquette (qui ne fait cependant pas allusion au travail de M. Aubrun dans cet article), la reconstitution du réseau paroissial offre “la possibilité d’embrasser la totalité de l’espace retenu comme cadre d’étude (…), de couvrir toute la surface, c’est-à-dire, chaque point de l’aire retenue”. Le réseau paroissial est en effet saisissable de manière exhaustive puisque chacune des unités qui le composent peut être documentée à partir des XIIIe-XIVe siècle alors que, pour l’étude d’autres formes d’occupation du sol plus répandus, comme les cultures, les parcelles, les voies de circulation, l’habitat, etc. les inégalités de la documentation, écrite ou archéologique, sont telles qu’il est impossible d’en avoir une vision aussi globale. Quelle que soit la qualité des informations recueillie sur les cas d’espèces relevant de ces dernières catégories, il reste délicat de généraliser à partir de simples échantillons.
Le terrain où, pour la première fois, une telle approche est menée est un espace de 650 000 hectares correspondant à la Haute-Lande au sens large, et s’étendant de l’Océan à l’ouest aux sources de l’Ourbise à l’est, de Saint-Magne au nord, à Rion-des-Landes au sud. L’aire d’étude s’étend sur pas moins de six fractions de diocèses : Bordeaux et Agen relevant de la province ecclésiastique de Bordeaux, Aire, Dax, Bazas et Auch de celle d’Auch. Les sources écrites mobilisées sont des listes de paroisses ou d’églises fournies dans des pouillés édités ou inédits et dont la recension a été établie en 1972 dans les Pouillés des provinces d’Auch, de Narbonne et de Toulouse. À quoi s’ajoutent le pouillé du diocèse de Bordeaux du XIIIe s. édité dans les Archives historiques de la Gironde (t. 44), des chartriers seigneuriaux, comme celui des Albret ou de l’abbaye de La Sauve Majeure, ainsi que le procès-verbal d’une enquête royale en 1310 éditée dans le Gascon register A. Notons que sur le diocèse de Dax, à propos duquel Jean Bernard Marquette écrit : “la situation est vraiment dramatique puisque la source la plus ancienne intéressant l’ensemble du diocèse est un rôle de décime de 1527”, la découverte de la liste des 300 églises du Liber rubeus de la cathédrale de Dax, une vingtaine d’années plus tard apporte à l’auteur les informations plus anciennes qui lui font défaut en 1981.
La communication est divisée en deux parties. Dans un premier temps Jean Bernard Marquette dresse la liste des églises et paroisses, chacune d’entre elle étant pourvue dans un riche appareil de notes infra-paginales des références aux sources datées attestant de son existence au XIIIe ou au XIVe siècle. Chacune est pointée sur l’imposante carte hors texte réalisée par le laboratoire de cartographie historique de Bordeaux III (67×53 cm). Pour ne pas suivre un cadre diocésain dont les délimitations ont tardé à se fixer, l’auteur suit un ordre géographique, par bassins versants : “le réseau hydrographique est, en effet, réparti entre quelques grands ensembles, isolés les uns des autres par de vastes zones de marécages qui compartimentent l’espace landais en cellules indépendantes”. On commence par le bassin des étangs (23 paroisses), puis celui du Ciron (39 paroisses), suivi du bassin de rive droite de la Douze (64 paroisses), le bassin des Leyre (17 paroisses) et, pour finir, les bassins de l’Avance et de la Gueyze. L’auteur ne manque pas de développer les circonstances d’une fondation paroissiale dès lors que la documentation le permet (ainsi les cas bien éclairés de Saint-Magne et Louchats en Bordelais, les fondations castrales de Sabres, Boricos, Belin, Arjuzanx, Labouheyre – dont il annonce l’édition des coutumes –) ; il étaye la probabilité de l’existence d’une paroisse seulement documentée sur le tard (comme celle de l’hôpital de Bessau), décèle des glissements de chefs-lieux (Lesperon par rapport à Arrast), et signale les paroisses disparues et non localisées.
Une fois pointées sur la carte toutes les églises et paroisses dont l’existence est avérée à la fin du XIIIe-début XIVe siècle, l’auteur s’intéresse dans la deuxième partie de la communication aux délimitations paroissiales, dont l’indication portée sur la carte hors texte montre qu’il en postule l’existence. Il fonde sa conviction non sur des textes détaillant précisément des délimitations paroissiales, car le corpus de sources n’en fournit pas, mais sur quelques cas d’espèce attestant de la conscience, chez les contemporains, de ces limites ou d’efforts faits pour délimiter de grands ensembles seigneuriaux (les affars). À cette dernière catégorie appartient le beau dossier sur l’affar de Bordessoules à Luxey, que Jean Bernard Marquette reprend à la suite de Félix Arnaudin et dont l’étude pionnière est restée inédite jusqu’à l’édition de ses Notes historiques (2003). Ces trois documents (reconnaissance de Bernard d’Auloède au roi-duc de ce qu’il tient dans l’affar, avec promesse d’échange ou de vente, le 2 avril 1273 ; vente à Édouard Ier de la moitié de l’affar, 7 août 1273 ; cession par le roi-duc Amanieu VI d’Albret de ses droits sur l’affar, le 24 août 1289) contiennent des descriptions précises des limites de l’affar, faites d’une suite de lieux-dits habités, repères naturels et anthropiques (comme des lagunes ou des barats), et que Jean Bernard Marquette, grâce à des recoupements sur des toponymes d’Époque moderne, parvient à localiser et reporter sur un tableau et sur une nouvelle carte. Il en déduit : “[La description de l’affar de Bordessoules] démontre de manière irréfutable que les habitants de la Lande avaient, dès cette époque, une connaissance particulièrement précise de l’espace landais (…). Il semblerait donc que dans la seconde moitié du XIIIe siècle, les limites des paroisses de la Haute-Lande étaient parfaitement jalonnées et que leur tracé était, à peu de chose près, le même que celui du XVIIIe siècle”. Autres éléments fondant sa conviction que les paroisses sont déjà délimitées : l’identification d’excroissances paroissiales relevées sur les cartes modernes dont on peut prouver qu’elles existent au XIVe siècle (exemples à Sabres, Luxey, Bernos, Cudos, Liposthey), ainsi que des noms de familles attestés au XIIIe et XIVe siècles correspondant à des hameaux et des quartiers encore signalés à l’Époque moderne (Hostens, Saint-Magne, Bernos, Cudos).
Les conclusions de cette étude pionnière sont fondamentales : “On ne saurait trop souligner, écrit-il, l’importance que revêt pour l’histoire landaise cette carte paroissiale : elle prouve de manière indiscutable que la Haute-Lande avait atteint au cours des premières décennies du XIVe siècle un optimum paroissial, identique à celui que l’on retrouve dans le Bordelais et le Bazadais voisins. Contrairement à ce que l’on a pu penser et dire, il est désormais parfaitement clair que cette région a participé comme celles qui l’entourent et selon des modalités qu’il restera à préciser au vaste mouvement de peuplement des campagnes qui s’achève dans notre pays au cours des premières décennies du XIVe siècle.” Il ajoute : “À la fin du XIIIe siècle, non seulement la Grande Lande et ses bordures avaient atteint leur optimum paroissial, mais encore le réseau paroissial était parfaitement organisé et délimité, même dans les régions les plus inhospitalières. Cette conclusion revêt une importance considérable pour l’histoire de l’occupation du sol landais, car elle permet de prendre en compte dès le XIIIe siècle un ensemble de données telles que la surface des paroisses, le lieu d’implantation des églises et la typologie des territoires paroissiaux et d’envisager ainsi leur étude d’une manière statistique.”
Quatre décennies plus tard, ces conclusions n’ont rien perdu de leur force. Assises sur une démarche scientifique et une cartographie on ne peut plus rigoureuses, elles se sont trouvées confirmées par les travaux menés sur une plus vaste échelle, dans les années 90-2000 sur la territorialisation des paroisses1. Par ailleurs, en se limitant à la seule reconstitution du tableau des paroisses de la Haute Lande au tournant des XIIIe-XIVe siècles, Jean Bernard Marquette n’engage pas dans cette communication de développements sur la genèse alto-médiévale de ce réseau paroissial selon la méthode initiée par Michel Aubrun, dont il se sert pourtant dans Landes et Chalosse2, alors que c’est précisément ce sur quoi ont porté d’importantes remises en questions, exposées notamment lors du colloque de 2003 “Aux origines de la paroisse rurale en Gaule méridionale IVe-IXe s.”.
Par la suite, Jean Bernard Marquette a poursuivi les enquêtes sur les réseaux paroissiaux landais au Moyen Âge, vers les pays de Gosse et Seignanx (1983), la Marenne et le Marensin (1983), le Gabardan et le Marsan (1996). Couronnant cette partie de sa vie scientifique, en 2001, il étend l’enquête à l’ensemble du diocèse de Dax en utilisant la liste des 300 églises contenue dans le Liber rubeus, qu’on ne connaissait pas en 1981, ce qui lui permet de remonter d’un bon siècle le tableau des églises landaise de ce diocèse et de faire le constat qu’avant les vagues de création des castelnaux et des bastides, la Haute-Lande était déjà peuplée d’un réseau de noyaux d’habitats.
Bibliographie
- Iogna-Prat, D. et Zadora-Rio, E., dir. (2005) : La paroisse, genèse d’une forme territoriale, Méviévales, 49. [URL] https://journals.openedition.org/medievales/3132