À propos de :
Marquette, J. B. (1977) : “Le Pays de Born à la fin du XIIIe siècle”, Bulletin de la société de Borda, 102, 55-105.
Marquette, J. B. (1983) : “Les pays de Gosse, de Seignanx et de Labenne (1200-1320”, in : Bayonne et sa région, Actes du XXXIIIe congrès d’études régionales tenu à Bayonne les 4 et 5 avril 1981, Fédération historique du Sud-Ouest, 45-75.
De la Haute Lande à la lande maritime, ou de Labrit à Mimizan pour le dire autrement, d’anciennes voies, moins connues que les grands itinéraires méridiens, traversaient le pays landais. Jean Bernard Marquette les a empruntées très tôt et n’a pas manqué de s’intéresser à la lande maritime. Il lui a consacré ces deux beaux articles totalisant près de 80 pages, publiés en 1977 et 1981. Le premier, sur le pays de Born, était la première de ses contributions au bulletin de la société de Borda, une des plus anciennes sociétés savantes de la région, basée à Dax, et dont le bulletin est publié depuis 1876. Le second, consacré aux pays de Gosse, Seignanx et de Labenne, a été présenté lors du XXXIIIe congrès d’études régionales de la Fédération historique du Sud-Ouest sur “Bayonne et sa région”, les 4 et 5 avril 1981, puis publié dans les actes de ce congrès. Il fait suite à un autre article que Jean Bernard Marquette avait livré en cette occasion, intitulé “Bayonne et les pays de rive droite de l’Adour : Gosse, Seignanx, Labenne (1200-1320)”, consacré à la politique de la ville de Bayonne pour s’assurer du contrôle du bas Adour aux XIIIe et XIVe siècles. Ce dernier article ayant été écarté pour la présente contribution car trop focalisé sur Bayonne, les deux articles sur le pays de Born (1977), dans l’ancien diocèse de Bordeaux, et sur les pays de Gosse, Seignanx et Labenne, au sud de l’ancien diocèse de Dax (1983) présentent assez de similitudes pour être présentés ensemble ainsi que quelques surprenantes dissemblances, malgré les caractères naturels communs, pour souligner le profit d’une démarche comparative.
Ces deux monographies régionales s’intéressent en effet, c’est leur premier point commun, à des “pays”, ces unités historico-géographiques souvent abordées dans l’œuvre de Jean Bernard Marquette, faits de groupements de paroisses, reconnus comme tels au moins depuis le XIIIe siècle sous la forme d’archiprêtrés ou de prévôtés. Avant la loi de 1857 généralisant la plantation du pin maritime dans les Landes de Gascogne, leur paysage était dominé, à l’arrière du cordon dunaire, par des étangs, des marais et des landes sauf dans les collines et les vallons des pays de Gosse et Seignanx. Ces deux ensembles ont par ailleurs été captés par les Albret, raison pour laquelle Jean Bernard Marquette s’y est intéressés très tôt. Au demeurant, même si les Albret avaient aussi intégré la Maremne et le Marensin, ce pourquoi la thèse y consacre de longs développement, Jean Bernard Marquette n’a pas livré sur ces derniers pays de monographie comparable. Il reste que, même s’il n’y a pas de continuité territoriale entre le bloc de pays du Bas Adour (les 5 paroisses du Seignanx, les 8 du pays de Gosse, et celle de Labenne), et le pays de Born au nord (11 paroisses), l’ensemble constitue une étude de référence sur la lande maritime au XIIIe siècle.
L’angle d’approche de ces deux articles présente aussi d’autres similitudes. Le cadre chronologique retenu, centré sur le XIIIe siècle jusqu’aux années 1320 principalement pour des raisons documentaires, installe l’étude durant la grande phase de croissance démographique et économique, avant le retournement de la conjoncture qui survient dans les premières décennies du XIVe siècle. Similitudes encore avec les sources, grâce à l’importance de la couverture des sources d’origine anglaise (Rôles gascons, Recognitiones feodorum, Gascon register..), à quoi s’ajoutent, de manière spécifique à l’article de 1981-1983 les sources bayonnaises (cartulaires de la cathédrale et de Saint-Bernard, sources communales). Similitudes encore dans le plan des deux articles, abordant successivement, après l’habituelle présentation des sources, les cadres administratifs de ces pays, les paysages naturels, les formes de l’habitat, puis les différents groupes sociaux : noblesse, clergé, paysannerie.
La sensibilité aux paysages, perceptible dans les deux articles, permet à Jean Bernard Marquette de tirer de chaque indication de la documentation écrite des informations sur le couvert végétal, les cultures, les padouens, les terrains de parcours, les landes et les marais, les ressources naturelles, comme le bois de construction ou les écorces à tan du Seignanx. “Vers 1300, écrit-il, le paysage de pays de Gosse et Seignanx était déjà celui que l’on connait à la fin du XVIIIe siècle”. Il s’attache à mettre en valeur les transformations de l’environnement, qu’elles soient anthropiques (l’équipement en moulins des ruisseaux et des étangs, les terres nouvellement mis en culture) ou bien naturelles, comme dans le cas du bas Adour dont Jean Bernard Marquette suit les divagations médiévales de l’exutoire, de Capbreton à Port d’Albret, ou bien avec l’étang d’Aureilhan, dont il documente le relèvement du niveau de l’eau à la suite de Thore et de l’abbé Dupart, par l’ennoiement des églises (Sainte-Eulalie et Saint-Paul) ainsi que par celui des mottes féodales du pourtour : “Une étude d’ensemble de ces phénomènes d’époque historique serait souhaitable” écrit-il.
Regardant les formes de l’habitat, il note la prédominance de l’habitat dispersé, avec dans le bloc méridional, des paroisses faites de quartiers comprenant de 3 à 12 exploitations, et dont l’église, le porche et le cimetière forment un pôle de sociabilité paroissial bien perceptible dans le cas de Tarnos. Les quartiers sont individualisés au point de posséder leurs propres padouens, comme celui de Seres, où l’on tient cour pour régler les différents sur le bétail. Sur cette trame, émergent trois bourgs dont Jean Bernard Marquette décrit la croissance, essentiellement à partir des sources écrites et sans recours à l’analyse planimétrique : Mimizan d’abord (sauveté se détachant progressivement de l’abbaye de Saint-Sever), Uza (dont le castrum, fondé par Richard Cœur de Lion, a été peuplé et repeuplé, et qui finit par échoir au vicomte de Tartas, au grand déplaisir de ses habitants) ; enfin Capbreton, dont le peuplement est confié à un Bayonnais en 1287-1289 et qui finit par supplanter Labenne. L’estimation du peuplement de ces contrées est un autre temps fort de l’étude : à l’aide d’un rapport établi en 1315 1316 pour financer la guerre d’Écosse et publié dans les annexes du tome IV des Rôles gascons, Jean Bernard Marquette évalue à 1300 feux la population du Marensin, à 220 celle de Labouheyre, 200 à Mimizan, et à 1160 foyers en Gosse et Seignanx.
Les pages sur la société de ces pays se font écho, même si, au-delà des similitudes, de réelles différences apparaissent. En effet, si dans ces deux groupes de pays, la petite noblesse est bien identifiée (par enquête prosopographique), caractérisée (avec des caveries et des “seigneurs d’hostau” dans le bloc méridional), et dénombrée (24 familles en pays de Born), Jean Bernard Marquette relève une différence majeure avec le fait que dans le pays de Born, cette petite noblesse ayant assez de conscience de classe pour dénoncer le caractère “ignoble” de Gaillard de Soler, bourgeois bordelais et néanmoins seigneur de Belin, rend hommage au roi-duc dans les Recognitiones de 1274 et possède des domus sur motte, deux traits de caractères que l’on ne retrouve pas chez les caviers du bloc méridional. Il faut certainement voir dans cette différence majeure de féodalisation de la société et de l’espace que Jean Bernard Marquette a souligné le premier, l’effet de la politique de la municipalité bayonnaise, soucieuse de ne pas voir émerger d’autorité concurrente au sein de ce qu’elle considère comme sa chasse gardée, ainsi que l’effet du contrôle que le roi duc entend exercer sur la voie littorale dans sa traversée du pays de Born. Des conditions naturelles équivalentes n’empêchent pas l’émergence de formes de féodalisation différentes.
C’est une autre surprise que Jean Bernard Marquette exprime en faisant le constat que le groupe des “hommes francs”, qu’il a décrit en Bordelais et Bazadais (1979) ainsi que dans le pays de Born, soit aussi bien implanté sur les bords du bas Adour : “la présence en Gosse et Seignanx de représentants de ce groupe fort orignal que l’on rencontre surtout en Bordelais et Bazadais a de quoi surprendre car nous n’en avons jamais rencontré jusqu’à ici dans les autres terres du sud des Landes” écrit-il en 1983, s’étonnant en outre de ne pas les voir dans les reconnaissances féodales de 1274. Dans ce dernier ensemble, leur présence se remarque par les “prudhommes”, ces représentants des communautés d’hommes libres à qui le roi-duc transmet des ordres de paiement, ou des convocations d’arbalétriers à l’ost (1242, 1255). On les repère aussi par les “senhors d’hostau” signalés dans les cartulaires bayonnais, qui ne sont pas tous des damoiseaux et caviers, même s’ils en sont assez proches pour que dans ce milieu de fortes porosités on ne trouve pas d’expression d’une conscience de classe aussi marquée que dans le pays de Born. Pour pousser l’étude de cette société de voisins (besins), Jean Bernard Marquette use dans chacun des deux articles des coutumes plus tardives (celles de Mimizan et de Maremne), postulant de leur existence au XIIIe siècle, et regrettant que celles des pays de Gosse, Seignanx, Labenne et Marensin, pourtant évoquées en 1255, aient été perdues.
Jean Bernard Marquette est ensuite revenu sur ces pays landais à travers deux nouvelles études des paroisses et archiprêtrés des pays de Gosse, Seignanx et de Labenne (2001, 2004) ainsi que dans l’article de synthèse “Grande lande et lande maritime” pour l’Académie nationale des Sciences, et Belles lettres et Arts de Bordeaux en 2007. Au demeurant, les sillons qu’il a labourés ne sont pas restés en jachère. L’appel lancé à la poursuite d’études sur les transformations de l’environnement a été entendu. Les études d’archéologie sous-marine du lac de Sanguinet sur le site de l’ancienne station de Losa, par l’équipe du CRESS, fondé en 1976, a permis de mesurer l’importance du phénomène de relèvement du niveau de l‘eau d’un des étangs de ce chapelet de lacs littoraux, depuis le Néolithique et l’âge du Bronze. Il en est de même du cours du bas Adour, dont les divagations de l’embouchure et les paysages traversés connaissent un renouveau d’intérêt grâce à l’utilisation de sources écrites inédites, par Marie Fauré, et grâce aux analyses palynologiques de la tourbière du marais d’Orx (Hervé Cubizolles). Les travaux de Benoît Cursente et d’Anne Berdoy sur les abbayes laïques ont insisté sur les spécificités de la petite aristocratie du piémont pyrénéen et du sud des Landes, pendant que les nôtres ont reconnu derrière la notion de “seigneurie locale” le cadre théorique dans lequel se sont déployés différents faciès d’exercice des pouvoirs locaux de cette petite noblesse. Il en va de même du groupe des hommes francs, sur lesquels nous avons poursuivi les travaux de J. B. Marquette. Si aujourd’hui l’on éprouve davantage de réserves à utiliser des coutumes compilées sur le tard pour décrire des réalités du XIIIe siècle, ce qu’il donne à voir de leurs prérogatives dans les sources du XIIIe siècle fait des représentants non nobles des communautés d’habitants les témoins d’un système social de médiation ducale reposant sur les élites locales et que la mise en place des prévôtés royales a heurté frontalement.