En plus d’être omniprésente au quotidien, la maladie rare présente des effets qui entraînent des besoins particuliers au niveau scolaire, puis universitaire. La fatigue, par exemple, qu’elle soit aiguë ou chronique, liée à la pathologie ou au traitement, puise dans les ressources physiques mobilisées dans l’apprentissage.
« On n’a plus d’énergie à fournir, que ce soit pour réfléchir, pour centrer son attention, pour faire quelque chose… », me confie Mathieu, un étudiant en rémission d’un cancer, lorsqu’il évoque son état de santé physique durant le suivi de sa formation scolaire.
Faute de pouvoir mesurer concrètement ce ressenti, la fatigabilité est rarement prise en compte par les professionnels. Les soignants eux-mêmes peinent à la quantifier.
Une étudiante atteinte d’une maladie rare chronique relate une discussion qu’elle a eu avec son médecin généraliste : « Et le médecin disait ‘Ah mais vous savez, la fatigue c’est difficilement mesurable’. Et là j’ai cru que j’allais la tuer, que j’allais me mettre à pleurer et j’avais envie de lui dire ‘Ressentez la fatigue et vous allez voir que c’est quantifiable. Très rapidement, vous allez la ressentir, et venez vivre une semaine avec moi, me filmer, et vous allez voir ce que ça fait !’ »
Par ailleurs, les effets secondaires des traitements peuvent entraîner directement des dommages sur les capacités d’apprentissage. Les impacts d’ordre physiologique vont créer des besoins singuliers et variés en fonction de l’individu. Le besoin d’aller régulièrement aux toilettes, la possibilité d’être bloqué physiquement plusieurs jours, la nécessité de dormir davantage que la moyenne, le fait de devoir habiter proche d’un hôpital pendant le temps d’un essai thérapeutique sont autant de particularités que les jeunes adultes porteurs d’une pathologie rare rencontrent de façon variable. Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle permet de comprendre qu’une multitude de facteurs liés à la maladie peuvent entraver la scolarisation des étudiants malades.
Une trajectoire universitaire à contre-temps
L’obstacle majeur rencontré est celui du temps. 73,6 % des étudiants atteints d’une maladie rare estiment que la difficulté à gérer le temps consacré à leurs études a été amplifiée par leur problématique de santé. Du fait de leur trajectoire singulière, la temporalité de la maladie se détache progressivement de la temporalité habituelle de leurs pairs. Les traitements, les hospitalisations répétées, les rendez-vous médicaux et l’incapacité provoquée par la maladie ou par les effets des traitements font obstacle à la scolarisation du jeune tant ils sont chronophages. La durée passée chaque jour à réaliser les soins nécessaires est autant de temps perdu qui aurait pu être consacré aux devoirs scolaires.
Prenons l’exemple de la mucoviscidose, il s’agit d’une pathologie respiratoire chronique qui nécessite un suivi kinésithérapeutique quotidien. Malika, une lycéenne atteinte de cette maladie explique que les 30 minutes journalières qu’elle consacre à ce suivi sont un temps précieux qu’elle perd à chaque période de révisions.
De même, le manque de temps oblige à prioriser les besoins physiques par rapport aux besoins psychiques. L’histoire de Gauthier illustre bien ce constat :
Gauthier, un lycéen de 17 ans, atteint d’une maladie rare chronique diagnostiquée lorsqu’il avait 11 ans, doit suivre, de façon journalière, des séances de kinésithérapie. La mère de Gauthier pense qu’un accompagnement psychologique serait bénéfique pour son fils, notamment pour accepter l’emprise de sa maladie et prendre conscience de l’importance de ses traitements médicamenteux qu’il néglige régulièrement. Malheureusement, entre les séances de kinésithérapie et l’activité sportive intense de Gauthier nécessaire pour compenser ses déficits respiratoires, le temps disponible hors école n’est pas suffisant et les contraint à renoncer à un quelconque suivi psychologique.
Les problématiques liées à la temporalité de la maladie ont des effets aussi sur la perception de l’avenir. Le futur d’un jeune atteint d’une maladie rare peut paraître incertain et ses priorités sont centrées sur le désir de vivre, voire de survivre. Se projeter dans l’avenir pour les adolescents et jeunes adultes paraît difficile.
Gauthier n’a pas encore de projet post-bac mûr, un mois avant la date butoir de l’étape des vœux sur Parcoursup. Sa mère explique : « Au jour d’aujourd’hui, on sait pas trop quels seront les besoins, on est un peu dans le vide, on va voir, on a pris l’habitude de ne pas trop anticiper les choses ». La future adaptation des besoins de Gauthier et la préparation des aménagements post-bac ne sont pas anticipées. Il en est de même pour Diane, lycéenne en Terminale aussi, atteinte d’une maladie rare chronique, qui déclare : « Mon état est toujours imprévisible, donc j’essaie de vivre au jour le jour. Et donc pour l’instant, l’objectif c’est mon bac, point. »
Du fait d’une incertitude de longévité, d’une temporalité limitée et obstruée par une pathologie difficilement contrôlable et aux traitements curatifs rares, les objectifs scolaires sont fixés à court terme. Une fois le lycée terminé, les étudiants regrettent de ne pas avoir eu le temps et les moyens de réfléchir convenablement, comme les autres, à une formation ou une profession qui pourrait leur plaire sur le long terme.
Une fois arrivé dans le milieu universitaire, non seulement l’étudiant va devoir trouver du temps supplémentaire pour rattraper ses absences, mais en plus il le fera tout en subissant les contraintes liées à sa pathologie. La temporalité estudiantine ordinairement basée sur une succession linéaire d’évènements prévisibles est remplacée par des phases de crises, d’avancées et de reculs1. Les jeunes adultes malades font face à l’impression de ne plus pouvoir maîtriser le cours de leur vie universitaire. La discontinuité de la trajectoire estudiantine peut être contraignante au niveau de la sociabilisation avec les autres étudiants.
« J’ai perdu mes amis. Eux, ils avançaient et moi, je redoublais », témoigne Natesh, lorsqu’il évoque sa première année de licence.
Bien que dans l’enseignement supérieur la différence d’âge soit moins problématique qu’au lycée, le parcours qui diffère de celui de ses « amis de promo » peut être mal vécu. Par ailleurs, contrairement au milieu secondaire dans lequel l’établissement en lui-même suffit à la sociabilisation, au sein de la vie universitaire, ce sont les activités extra-institutionnelles qui favorisent le mieux l’aspect social de la vie étudiante.
Elisa, 22 ans, étudiante en master et actuellement en traitement pour sa rechute de cancer, déplore ne pas avoir pu prendre part aux soirées étudiantes : « On ne sort pas les jeudis soir quand on est malade. Donc c’est une vie étudiante qui est totalement bouleversée. »
Ne pas être en capacité de vivre la vie étudiante dans son entièreté donne l’impression d’être en marge des normes sociales liées au statut d’étudiant. Or, la sociabilisation est indispensable durant le passage à l’âge adulte et elle s’opère majoritairement par la scolarisation. Le statut d’étudiant s’acquière socialement par des codes et des normes. Les soirées des jeudis soir en font partie intégrante. Les effets de la maladie empêchant Elisa, et bien d’autres, de prendre part à ses évènements, ils font obstacle à la sociabilisation si importante pendant cette période de la vie. La temporalité de la maladie se détache progressivement de celle des autres étudiants et de celle des institutions.
Une orientation postbac dépendant des effets de la maladie et des traitements
Dans ce contexte particulier d’une temporalité qui n’est plus celle de la scolarité, mais plutôt de la pathologie et du monde médical, l’élève ou l’étudiant se contente de réaliser des tâches sur le moment, sans penser à l’avenir.
Audrey, étudiante en rémission d’un cancer, retranscrit l’état d’esprit dans lequel elle était à la fin du lycée : « Je n’avais pas vraiment eu le temps de me poser et de répondre à la question de qu’est-ce que je voulais faire. »
Cette remarque est significative d’un manque de temps pour préparer le parcours universitaire. La priorité du lycéen gravement malade ne semble pas être son orientation postbac, mais sa santé. Rétrospectivement, les étudiants ne se sentent pas sur un même pied d’égalité par rapport aux autres étudiants ou lycéens non malades qui ont eu, eux, le temps de réfléchir sur leur futur. Or, la prise de décision du choix d’orientation se caractérise par une étape nécessitant un temps de réflexion. Bien que la poursuite des études concerne l’avenir du lycéen, elle dépend essentiellement de ses enjeux actuels perçus en tant qu’élève2. Mais pour les jeunes adultes malades, l’incidence de la maladie, les traitements et les rendez-vous médicaux sont au centre de leur esprit. Le futur scolaire, universitaire et professionnel est incertain car la santé, voire la survie pour certains, demeurent prioritaire. Il paraît donc logique, au vu de ces éléments, que l’étape de réflexion concernant l’orientation postbac soit bouleversée.
En dehors des contraintes de temps et de priorisation, l’incidence de la pathologie rare sur l’orientation postbac du lycéen est ambivalente. D’un côté, elle entrave les possibilités et réfrène certains choix perçus comme trop ambitieux. D’un autre côté, elle développe des capacités d’autonomie ou de résilience et crée des vocations.
Coralie, étudiante en rémission d’un cancer, a renoncé aux études scientifiques auxquelles elle se prédestinait à cause des effets sur la mémoire que provoquaient ses traitements. De même pour la lycéenne Diane, atteinte d’une maladie rare chronique, qui cherche une autre orientation que la médecine, voie qu’elle ambitionnait initialement mais qu’elle a dû abandonner au vu de sa fatigue actuelle.
Pour rappel, d’après les résultats de notre enquête, les filières médicales sont perçues comme les moins accessibles aux personnes en situation de handicap. Les étudiants présentant une problématique de santé sont surreprésentés dans les facultés et notamment dans les filières de sciences humaines et sociales. Ce constat s’explique par des réalités pragmatiques d’incompatibilité entre les compétences exigées et la capacité individuelle. L’exemple le plus édifiant est sans doute celui du métier de pompier qui requiert une certaine intégrité physique lors des interventions3. Mais il s’explique également par la perception de son handicap sur la projection de sa vie professionnelle.
Quelle que soit la pathologie, pendant une hospitalisation, le sentiment d’isolement et d’impuissance apporte souvent une réflexion sur le devenir de la personne hospitalisée, avec une analyse de sa situation. Une nouvelle conception de ce qui est important et désirable dans la vie va alors se développer. Dans cette perspective, la maladie peut préciser certains choix d’orientation (la proximité avec le milieu médical pendant l’enfance peut émerger des vocations de soignants), voire aider à développer des compétences :
Elisa, étudiante de 22 ans, en rechute d’un cancer déclare « Finalement, la maladie fait réfléchir et ça m’a ouvert. La maladie m’a fermé plein de portes mais m’a ouvert pas mal de fenêtres en fait ». Son parcours lui a permis de réaliser des rencontres qui n’auraient pas eu lieu dans d’autres circonstances. Elle s’est investie dans une association de jeunes atteints de cancer. Cette expérience a participé à sa construction personnelle et professionnelle.
L’accompagnement dans l’orientation universitaire des jeunes adultes malades nécessite de considérer deux éléments principaux :
(i) Le premier point est celui de la prise en compte de l’individualité du lycéen malade, de ses compétences et de ses capacités, au-delà de son éventuelle infirmité.
La MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) n’a proposé à Rosa, atteinte d’une maladie rare congénitale chronique et polyhandicapante, que des établissements et internats spécialisés et réservés aux personnes en situation de handicap. Proposition que Rosa a refusée et n’a pas trouvée pertinente. Elle ajoute : « Je pense aussi qu’il faudrait quelque chose pour aider à l’orientation parce que… je ne sais même pas les métiers que je pourrais faire ou pas ! Et je pense que ce serait bien qu’il y ait un spécialiste derrière qui puisse me dire si c’est réalisable ou pas. »
Le temps et les connaissances sur le handicap manquant souvent aux professionnels de l’orientation, ils peuvent avoir tendance à ranger les lycéens malades dans des cases. Nous le verrons dans le Chapitre 5 #, c’est un phénomène beaucoup décriés par les jeunes adultes atteints d’une maladie dont les particularités sont d’autant plus méconnues vu que leur pathologie est rare.
(ii) Le deuxième élément à prendre en compte est celui du message informatif rassurant et éclairant concernant les différentes possibilités et les ressources existantes pouvant faciliter l’accès aux filières perçues comme envisageables par les lycéens malades.
En effet, ils n’hésitent pas à rayer des orientations par peur de l’échec mais surtout par appréhension du futur quotidien professionnel.
Rosa explique : « Même quand je voulais être professeur des écoles, je me suis dit ‘mais c’est complètement pas réaliste, tu ne peux pas faire ça, comment tu veux faire apprendre quelque chose à des enfants alors que tu ne sais même pas enlever ton manteau ?’ »
La crainte de la double peine de devoir gérer sa maladie, en plus d’une formation chronophage qui pourrait ne déboucher que sur des métiers non accessibles, se fait largement ressentir. Ce sentiment d’inquiétude n’est pas unanime et dépend de la façon dont ces jeunes lycéens et étudiants ont intériorisé une certaine impossibilité liée à leur handicap.
Marie, étudiante en licence, atteinte d’une maladie rare chronique, a décidé de passer outre la maladie et de réfléchir à son parcours universitaire sans prendre en compte l’impact de ses problèmes de santé : « Si je faisais en fonction de ma maladie, j’arrêterais mes études, je ferais rien, voilà quoi ! »
Des réformes visent à faciliter la transition entre l’enseignement secondaire et tertiaire4. Des rapprochements existent entre le lycée et l’enseignement supérieur, notamment les évènements de type « portes ouvertes » organisés par les universités. Toutefois, ceux-ci n’évoquent pas suffisamment les dispositifs d’aide liés aux handicaps d’après les étudiants rencontrés. La recherche d’informations ciblées sur les compensations existantes nécessite un investissement personnel. La connaissance des parcours adaptés à ces jeunes et jeunes adultes est perçue comme manquante et permettrait pourtant de les rassurer :
Alicia, salariée, atteinte d’une maladie rare chronique, déclare : « Si j’avais été rassurée plus tôt, ça m’aurait permis d’être encore mieux armée par la suite pour construire mon identité professionnelle. »
Les barrières que les lycéens s’imposent au niveau de certaines filières qu’ils jugent non pertinentes pourraient être levées par des informations rassurantes et individualisées en fonction des lycéens et de leur pathologie, lorsqu’elles sont liées à un sentiment d’impossibilité intériorisé et faussé.
L’entrée en enseignement supérieur, une « vraie bataille »
L’entrée à l’université est vécue, pour certains jeunes malades, comme un combat. Il est vrai que les étudiants porteurs d’une maladie rare emploient souvent des mots provenant du champ lexical de l’affrontement lorsqu’ils évoquent la transition entre le lycée et l’enseignement supérieur.
Mathieu, étudiant en rémission d’un cancer, évoque son inscription en classe préparatoire aux grandes écoles : « Et du coup, là, on a commencé une vraie bataille. Une bataille où moi j’aurais pas pu le faire tout seul. » Il ajoute que du fait de l’obligation d’avoir un certificat médical attestant d’une aptitude totale à poursuivre ce cursus, sa maladie a fait obstacle. Il a dû argumenter auprès des structures envisagées sur sa capacité à poursuivre des études malgré sa maladie. L’acceptation ou non du responsable de l’établissement dépend de sa sensibilité et motivation individuelle. C’est ce qu’évoque la mère de Mathieu quand elle explique que chaque professionnel se « cache derrière les règlements et les institutions » pour se dédouaner de la responsabilité de la réponse qui pourtant est, en son sens, individuelle5.
L’entrée dans l’enseignement supérieur est généralement source d’angoisse. Et ce principalement parce que son organisation générale et sa prise en charge du handicap paraissent floues pour les étudiants et leur famille. On constate une absence de connaissances sur les aides dans la poursuite des études postbac :
« Je ne sais pas, par exemple, s’il y a un PAI qui se reconduirait dans une école supérieure. » Me confesse la mère de Léo, un lycéen en Terminale, atteint d’une maladie rare chronique, et ce bien qu’elle vive dans un milieu favorisé et qu’elle s’occupe de « beaucoup de choses seule » en lien avec la scolarité de Léo et de ses trois frères et sœurs.
Le PAI et autres protocoles inclusifs sont des dispositifs spécifiques au lycée, ils ne sont pas suivis en tant que tels dans l’enseignement supérieur. C’est d’ailleurs un élément qui est reproché par les étudiants :
Rosa, 22 ans, étudiante atteinte d’une maladie rare chronique congénitale, déclare avoir perçu une forme d’abandon de la part de l’institution universitaire lorsqu’elle est entrée en faculté : « Je regrettais vraiment le fait qu’il n’y ait pas de suivi plus… entre le lycée et la fac… Je me suis retrouvée du jour au lendemain d’un SSAD [Service de Soins et d’Aide à Domicile], un PPS [Projet Personnalisé de Scolarisation], enfin tout, à… rien du tout en fait ! À ‘débrouille-toi toute seule !’ ». Elle ajoute : « Il y aurait dû avoir un gros travail d’accompagnement entre le lycée et la fac, de se retrouver avec quelque chose qui a déjà été fait et qu’il faut juste renouveler et non pas quelque chose qu’il faut carrément créer de A à Z. »
Les démarches administratives réalisées au collège et au lycée ne peuvent pas être transmises dans l’enseignement supérieur et l’ensemble des aménagements qui étaient considérés comme acquis par les élèves doivent être redemandés et rejustifiés par le jeune nouvellement étudiant.
Les démarches de compensation des besoins éducatifs particuliers sont à réaliser à nouveau une fois arrivé dans l’enseignement supérieur. L’étudiant va faire face à une multitude de démarches pour mettre en place ses aménagements. Les procédures administratives obligent les jeunes adultes à organiser de nombreux rendez-vous auprès des différents services médicaux, rattachés à l’université/l’école ou spécialisés dans la pathologie rare en question. La fatigue provoquée par ces démarches, l’aspect chronophage et le temps d’attente entre la demande initiale et la mise en place de l’aménagement contraignent parfois l’étudiant à faire sans :
« J’en ai eu ras-le-bol… c’est pénible de faire tous ces papiers, toute cette paperasse, ça m’a saoulée. Donc, j’ai décidé d’acheter un ordinateur pour moi, parce que de toute façon, celui que j’avais était beaucoup trop gros à transporter et j’ai eu la flemme de demander un autre ordinateur parce qu’il aurait fallu demander encore plein d’autres choses. » Avoue Élisa, étudiante, en rechute d’un cancer. Bien qu’elle évoque la « flemme » comme excuse à son renoncement, le reste du verbatim montre les différentes contraintes liées à l’institution : l’administratif complexe, les documents multiples à remplir et le matériel non adapté.
D’après l’enquête par questionnaires réalisés dans le cadre du projet EMELCARA, j’ai pu constater que la complexité des démarches fait partie des modalités les plus citées à la question leur demandant les difficultés qui avaient été amplifiées du fait de leur problème de santé (près d’un quart des étudiants présentant un problème de santé et 30,2 % de ceux ayant une pathologie rare).
Une sollicitation du service dédié avant même le début de l’année universitaire serait la clé pour prévoir les démarches en amont et accélérer les procédures chronophages, d’après le discours des acteurs rencontrés. Toutefois, la méconnaissance des services existants est un obstacle à cette anticipation. Par ailleurs, il n’est pas rare que la maladie de l’étudiant surgisse en cours d’année. Dans ce cas, la plupart du temps, les aménagements sont réalisés de façon informelle, voire sont juste refusés pour cause de contraintes temporelles, dans certaines structures.
Natesh, étudiant, en rémission d’un cancer, a voulu décaler certains examens de fin d’année se déroulant durant sa période de traitement. Il lui a été expliqué que rien ne pouvait plus être aménagé : « On m’a dit ‘On peut pas. C’est trop tard. Ce sera zéro.’ On m’avait dit ça à l’époque. »
On sait que la transition entre le lycée et l’enseignement supérieur est celle qui est vécue le plus difficilement par les étudiants en situation de handicap6. L’enquête réalisée ici corrobore ce constat et en explicite les causes ; lorsque le jeune adulte entre à l’université, il est contraint de faire de nouvelles démarches administratives afin d’obtenir des dispositifs qu’il avait déjà au lycée. En plus des nouveaux codes propres à la vie universitaire que l’étudiant doit apprendre de manière autonome, il va devoir chercher les ressources liées aux compensations de son handicap qui se différencient, pour la plupart, de celles présentes au lycée7. Ainsi, les aménagements dont il pourra bénéficier et le temps qu’ils mettront à être mis en place dépendent des institutions. Plus de la moitié (55,3 %) des étudiants atteints d’une maladie rare pensent qu’une aide facilitant l’identification des professionnels ressources pour la compensation des besoins pédagogiques favoriserait la transition du lycée à l’enseignement supérieur (contre 32,8 % des étudiants qui ne présentent pas de problématique de santé particulière).
Un parcours universitaire heurté et des inégalités de traitements
Les altérités singulières, rares et méconnues augmentent le risque d’isolement et de décrochage scolaire et universitaire8. Dans ce sens, les résultats statistiques de notre enquête ont révélé que le parcours des étudiants atteints d’une maladie rare est significativement moins fluide que celui des autres jeunes. La figure ci-dessous révèle que les étudiants sans problème de santé interrompent significativement moins leurs études, s’absentent, redoublent et se réorientent moins. Sur cet histogramme, on peut s’apercevoir que les étudiants porteurs d’une maladie rare rencontrent plus fréquemment un parcours chaotique non seulement par rapport aux étudiants valides, mais aussi, dans une moindre mesure, par rapport aux étudiants porteurs d’un autre type de problème de santé.
Ces irrégularités dans le parcours peuvent être expliquées notamment par les aménagements proposés qui sont essentiellement d’ordre temporel (rattrapages, étirements des semestres, autorisations d’absences, etc.), mais elles sont aussi le marqueur d’un manque d’inclusion universitaire. La disparité des modalités inclusives des établissements d’enseignement supérieur oblige les étudiants malades à se réorienter dans d’autres structures. C’est parfois la filière en elle-même qui n’est pas compatible avec l’étudiant :
Charlie, étudiante en master, atteinte d’une maladie chronique, déplore le manque d’échange d’informations dans la continuité des parcours universitaires et l’absence de communication sur l’organisation des débouchées de formations : « Il y a beaucoup plus d’heures de cours en MEEF [Master Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation] qu’en licence, je savais pas. Ils auraient dû me le dire avant, parce que sinon je ne me serais pas tentée là-dedans. » Charlie ne pouvant plus supporter le rythme de travail de son Master, rédige une demande pour changer de formation. Après un refus, elle finit par choisir une formation à distance pour faciliter son organisation.
Lorsqu’un étudiant avec des besoins éducatifs particuliers change d’établissement (soit suite à une réorientation, soit pour un passage dans un niveau supérieur), il est contraint de réaliser à nouveau l’ensemble des démarches administratives pour bénéficier de ses aménagements.
Il a été conseillé à Rosa (étudiante, atteinte d’une maladie rare chronique congénitale) de poursuivre ses études dans un seul et unique établissement du supérieur afin que son dossier puisse être transféré plus facilement jusqu’au master.
Dans une même structure, les adaptations dont bénéficient les étudiants sont transposables aux diverses formations. Changer d’établissement durant son parcours universitaire (phénomène courant pour un étudiant lambda, notamment lors du passage en master) amène l’étudiant malade à s’exposer au risque de devoir recommencer la « bataille » de zéro. Au demeurant, il est possible qu’un étudiant soit inscrit dans deux types de structures en parallèle et ce pour la même formation.
Ce fut le cas de Charlie, scolarisée dans un master à cheval entre deux universités, dans la même ville. Au niveau de ses aménagements, aucun lien n’a été possible entre les deux institutions. Dans un des établissements, des compensations lui ont été octroyées. Dans l’autre, elles lui ont été refusées, alors que des démarches identiques ont été menées de la part de Charlie. Par conséquent, les adaptations mises en place durant les examens dépendaient de l’institution organisatrice du partiel en question.
Cette anecdote illustre le manque de communication inter-institutions universitaires, largement déploré à la fois par les étudiants, mais aussi par les professionnels (64,6 % de ces derniers la trouve insuffisante). Dès lors qu’une formation est dépendante de plusieurs structures, la mise en œuvre d’actions compensatoires est complexifiée. L’élaboration de liens entre ces intermédiaires est à réfléchir.
Concernant les formes de discriminations (moqueries, mises à l’écart et injustices), l’enquête menée montre qu’elles sont plus souvent vécues par des étudiants présentant un problème de santé et encore davantage lorsque le problème de santé est lié à une maladie rare. Les analyses statistiques réalisées dans le cadre de l’étude révèlent qu’être atteint d’une maladie rare est un facteur augmentant significativement le risque d’être plus souvent discriminé et maltraité par l’institution. Ce n’est évidemment pas le seul déterminant. D’autres facteurs aggravant ce risque ont été mis en lumière, tel que le fait d’être précaire, d’être en état de détresse psychique et d’être une personne non-binaire9. De même, il a été mis en évidence que les hommes étudiants sont moins soumis aux discriminations (qu’elles proviennent de l’institution universitaire ou de leurs pairs) que les femmes, qu’ils aient une problématique de santé ou non. Le constat d’un milieu scolaire/universitaire stigmatisant et discriminant par rapport au genre, au milieu social et à la santé n’est pas nouveau. Cette analyse permet néanmoins de démontrer que les étudiants suivis pour une pathologie rare témoignent davantage de moqueries, de mises à l’écart et de traitements injustes que les autres. Ce phénomène est illustré par le discours des jeunes adultes que j’ai interrogés et qui font état de ce type d’expériences.
Pour illustration, Claire, une étudiante de 22 ans, atteinte d’une maladie rare chronique, explique qu’une enseignante, en licence, n’a pas respecté son aménagement de temps majoré pour les examens et qu’il a fallu qu’elle prenne contact avec le service spécialisé de son établissement pour faire valoir un droit qui était pourtant formalisé depuis le début de l’année universitaire.
Si l’on se fie au discours des étudiants malades, ceux qui ont subi des moqueries durant leur scolarité par leurs camarades, ou des refus de droits venant des professionnels, expliquent qu’ils sont principalement dus aux représentations négatives liées à la maladie et au handicap. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, la manière dont ils sont perçus où dont ils pensent qu’ils pourraient être perçus va influencer leurs interactions.
Notes
- Diasio, 2020.
- Boudrenghien et Frenay, 2016.
- Rappelons tout de même que juridiquement, depuis la loi du 11 février 2005, aucune profession n’est interdite à des personnes en situation de handicap. Ces derniers peuvent d’ailleurs postuler aux autres fonctions que l’intervention sur sinistre, tout en ayant le statut de pompier.
- Circulaire n° 2013-0012 du 18 juin 2013 « Renforcement du continuum de formation de l’enseignement scolaire à l’enseignement supérieur », 2013 ; Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, 2013.
- À noter que cette remarque est à restituer dans un contexte durant lequel le service mis à disposition par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche était encore Admission Post Bac, aujourd’hui remplacé par la plateforme Parcoursup.
- Caraglio et Delaubier, 2012.
- Il peut s’agir de la recherche de services dédiés au handicap ou des aménagements possibles dans des établissements d’enseignement supérieur hors lycée.
- Haut Conseil de la Santé Publique, 2016 ; Ministère des Solidarités et de la Santé et ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 2011.
- Le terme de non-binarité renvoie à toutes les identités de genre revendiquées par les individus comme se percevant en dehors de la norme binaire qui oppose le genre féminin au genre masculin (Poirier, Condat, Laufer, Rosenblum, et Cohen, 2018).