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Chapitre 2 #
Pratiques professionnelles et ressources institutionnelles en faveur de l’inclusion

Au-delà des aménagements matériels et temporels, il s’agit, dans ce chapitre, de montrer que l’accueil proposé par l’institution est avant tout ancré dans une démarche individuelle réalisée par des professionnels de bonne volonté. Comme toute action humaine, celles liées à l’accompagnement des étudiants porteurs d’un handicap dépendent donc de la façon dont les interlocuteurs rencontrés sont emplis de bonnes intentions et sont habités ou non par une motivation personnelle et individuelle. 

En France, il a été constaté que les offres réelles des institutions sont en dessous des souhaits d’intégration énoncés1. Bien que les établissements d’enseignement supérieur français soient tenus, d’un point de vue légal, d’intégrer les spécificités des personnes handicapées dans l’environnement de l’institution et de se doter de moyens humains, techniques et financier les rendant accessibles sur un plan physique, psychologique et pédagogique, leur accessibilité repose majoritairement sur la volonté et les initiatives des professionnels référents ainsi que sur les capacités d’adaptation des étudiants. D’après l’enquête réalisée, les établissements d’enseignement supérieur sont adaptés pour 9 étudiants sur 10 (tout étudiant confondu) et pour les trois quarts de ceux présentant un problème de santé. Les adaptations réalisées par l’institution sont nombreuses, mais ne permettent pas d’assurer une accessibilité pleine et entière. Les aménagements proposés sont centrés sur les examens et sur l’accessibilité physique des locaux. 

Quelle que soit l’évolution des textes de loi, en France, il a été observé dans la pratique que l’intégration, puis l’inclusion, des étudiants à besoins particuliers dépendent avant tout de volontés individuelles et restent, encore actuellement, perçues comme une contrainte vécue par l’institution et ses acteurs. Malgré les injonctions des textes juridiques, les acteurs de l’enseignement se dédouanent aisément de l’intégration individuelle par le biais d’arguments tels que le manque de temps, de formation, de soutien et de moyens financiers. Ces prétextes n’en sont pas moins recevables, mais les acteurs de terrains insistent sur le fait que les ressources financières à elles seules ne suffisent pas : 

Lorsque l’on demande les moyens manquants, une responsable d’un service universitaire spécialisé dans le handicap a répondu : « Mais moi je n’ai pas de réponses à vous donner ‘il me faut des moyens, il me faut du fric…’, c’est pas ça, c’est pas en termes de fric. Moi j’ai pas besoin de plus de fric. Ce n’est pas une question d’argent. Moi je suis sûre que ce n’est pas une question d’argent. »

Ce sont les ressources humaines qui font défaut. Les chargés d’accompagnement représentent le soutien principal des autres professionnels en termes d’adaptation aux besoins particuliers des étudiants, mais ne constituent qu’une ressource interne à l’établissement qui n’a que trop peu d’accès à l’extérieur et sur laquelle tout repose. Des acteurs sont présents, mais les rôles de chacun sont trop flous pour permettre une réelle co-construction entre tous. Le système actuel souffre d’un cloisonnement des instances éducatives. La coexistence des secteurs scolaires, universitaires et médicaux est parasité par un clivage et de nombreuses segmentations. La coopération entre ces milieux paraît logique, mais demeure encore trop peu présente.

Une infirmière d’université déplore un manque de travail collectif, elle explique : « Chacun est de son côté avec ses contraintes. Bon, on essaie de communiquer, mais avec eux… on n’a pas forcément la même vision des choses. »

Première ressource de l’étudiant : les enseignants-chercheurs 

Dans l’enseignement supérieur, le principal interlocuteur de l’étudiant est l’enseignant. Il s’agit du premier professionnel auquel l’étudiant va confier ses difficultés liées à sa santé. 86,6 % des enseignants-chercheurs ont été confrontés à cette situation. Ceux travaillant dans un lycée (comme pour les classes de BTS, par exemple) endossent encore davantage ce rôle de confident et rencontrent plus fréquemment des étudiants malades. Or, nous avons vu que les étudiants malades sont plus nombreux, proportionnellement, dans les facultés que dans les autres structures. Le constat des limitations d’interactions enseignants/étudiants dans les UFR est, une fois de plus, démontré.

La quasi-totalité des professionnels interrogés (93 %) pensent que les difficultés personnelles des étudiants doivent être prises en compte par l’institution de l’enseignement supérieur. 9 enseignants-chercheurs sur 10, tout type de structure confondu, estiment qu’il est de l’ordre de leur rôle d’accompagner les étudiants nécessitant des aménagements. Or, moins de 3 sur 10 s’estiment légitimes à intervenir concrètement. Pour la majorité d’entre eux, ils se sentent seuls, démunis, insuffisamment formés. La plupart des accompagnement réalisés par les enseignants est informel, réalisé en marge de leur emploi et sur un temps non rémunéré. Plus de la moitié d’entre eux aimeraient pouvoir réaliser ces pratiques d’accompagnement dans un cadre temporel formalisé.

Une enseignante-chercheuse travaillant en IUT explique que face à des temporalités académiques lourdes, elle doit prioriser ses tâches : « Ça [l’accompagnement] déborde, comme la plupart des tâches, ça déborde d’un 35 heures, évidemment, mais d’un 40 heures aussi, ça déborde les soirs, ça déborde les week-ends, ça déborde pendant les vacances. Tout autant l’enseignement que la recherche. Il y a toujours un côté qui est en souffrance. C’est le plus souvent la recherche, parce que finalement les cours ne se repoussent pas, la situation d’un étudiant qui a une demande, ça ne se reporte pas, les demandes administratives se reportent rarement. Donc c’est souvent le temps de la recherche qui lui a plus de souplesse et donc qui en pâtit… »

Compte tenu de la valorisation de certaines tâches dans l’enseignement supérieur et lorsque l’on met en perspectives ces pratiques avec la question des injonctions académiques, les universitaires interrogés expliquent qu’il est complexe de prendre du temps pour accompagner individuellement les étudiants qui en ont besoin.

L’isolement ressenti par les enseignants dans les pratiques inclusives avait déjà été mis en évidence dans l’enseignement secondaire2, j’ai pu m’apercevoir qu’il est transposable aux enseignants-chercheurs. Ces derniers se disent insuffisamment formés sur les problématiques de santé et sur l’inclusion de manière générale. Ils méconnaissent les dispositifs universitaires existants et ne peuvent donc pas réorienter les étudiants en demande auprès des services dédiés.

Le non-recours aux aides universitaires

Lorsque nous évoquons les aides universitaires, il est principalement question de ressources humaines accompagnant les étudiants. Tout au long de cet ouvrage, c’est l’approche de Maela Paul (2016) que j’utilise pour définir la notion d’accompagnement et le terme de professionnel d’accompagnement. Pour cette autrice, accompagner professionnellement revient à incarner une posture réflexive et critique, d’être au courant de l’enjeu relationnel et de se sentir légitime à intervenir, dans l’objectif final de favoriser l’autonomie de l’individu accompagné. 

Les ¾ des étudiants qui nécessiteraient un accompagnement personnalisé n’ont jamais fait appel au service universitaire dédié de leur établissement. Je me suis davantage intéressé à ce phénomène durant les entretiens que j’ai pu mener avec les étudiants. Leur discours apporte trois éléments d’explications :

  • Certains étudiants ne savent pas que de telles ressources existent ou déclarent en avoir été informés trop tard.
  • Certains ont le sentiment que les services dédiés au handicap ne les concernent pas. Ne se considérant pas comme handicapés, ils ne se sentent pas légitimes à avoir recours à ce type de dispositifs et pratiquent des stratégies d’auto-compensation. Ce phénomène sera plus largement expliqué dans le Chapitre 5 #.
  • Comme vu précédemment, certaines structures ne peuvent répondre aux besoins particuliers d’étudiants gravement malades.

Les démarches de communication sur les aides institutionnelles possibles semblent insuffisantes pour compenser la méconnaissance de leur existence et les conceptions erronées des étudiants malades. Les journées portes ouvertes des institutions post-bac apportent peut-être une masse d’informations trop importante pour permettre aux services handicap de se faire remarquer. Depuis 2019, des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) sont déployés en France. Cette nouvelle organisation permet de faciliter la coopération entre les professionnels ressources, en mobilisant l’ensemble des personnels de l’équipe pédagogique et éducative, ainsi que les acteurs médico-sociaux qui interviennent dans les établissements du premier et du second degrés. Ces pôles ressources semblent être une perspective intéressante pour compenser les problématiques de communication. Les professionnels chargés de l’accompagnement des étudiants en situation de handicap doivent alors s’en emparer pour faciliter la transition lycée/post-bac.

Un accompagnement de proximité et des aménagements adaptés 

Dans l’enseignement supérieur, les demandes formalisées sont réalisées auprès de services d’accompagnement spécialisés et dédiés. Les professionnels travaillant dans ce type de service sont chargés de l’accompagnement des étudiants en situation de handicap et se sentent beaucoup plus légitimes que les enseignants à répondre aux demandes des jeunes adultes malades. Même si chaque établissement est spécifique et associé à des formations variées, les référents handicap proposent un accompagnement de proximité adapté. Les aménagements de scolarité possibles sont semblables à ceux proposés dans le second degré ;

  • Aménagement de l’emploi du temps (temps fractionné, étalement des études sur plusieurs années) ;
  • Majoration du temps pour les examens ;
  • Autorisation d’absence justifiée ;
  • Support pédagogique (plateformes numériques, photocopies, agrandissement de la police d’écriture, braille) ;
  • Aide matérielle et technique (aménagement des salles, lampe pour personne malvoyante, ordinateur portable, casier) ; 
  • Aide humaine (secrétaires, étudiants preneurs de note).

La principale différence avec le lycée est l’absence du statut d’AESH3 dans l’enseignement supérieur qui peut constituer une expérience difficile pour certains étudiants qui bénéficiaient de cet accompagnement au lycée. De façon générale, lorsqu’il y a un retrait d’anciens aménagements, celui-ci est vécu comme quelque chose d’insurmontable :

« Sans aménagement, j’étais […] comme un aveugle sans chien ou alors comme quelqu’un en fauteuil roulant sans son fauteuil ! » Compare Marie, étudiante de 20 ans, atteinte d’une maladie chronique congénitale diagnostiquée lorsqu’elle avait 13 ans.

La continuité de l’accompagnement à l’université reste majoritairement possible et dès lors que les aménagements sont mis en place, ils sont vus par les étudiants comme utiles et aidants. En revanche, il semblerait qu’il y ait un manque de compensation au niveau psychologique, les aménagements répondent principalement à des besoins d’ordre physique. 

Prenons l’exemple de Natesh, un étudiant de 26 ans dans une période de réorientation vers un cursus paramédicale. Il est en rémission d’un cancer diagnostiqué à l’âge de 24 ans. Il est expatrié, de nationalité étrangère et vit seul, en ville. La maladie lui a fait développer une dépression pour laquelle il a été hospitalisée. Lorsqu’il a voulu reprendre ses enseignements à la faculté, seule une majoration du temps supplémentaire pour les examens lui a été proposée. Il conclut son anecdote : « Un aménagement, ça n’amène rien quand tu es en dépression. »

Ce verbatim évoque l’inefficacité d’un aménagement physique pour une pathologie (ou un symptôme) psychologique ou psychiatrique. Ce même répondant ajoute ensuite que les besoins liés à des problèmes psychiatriques ne peuvent être justifiés auprès des professeurs car ceux-ci ne prennent en compte que les problématiques physiques.

Même lorsque les dispositifs sont formalisés et jugés comme étant efficaces par les étudiants au regard de leurs besoins, il arrive que les enseignants ne soient pas au courant ou bien oublient de les mettre en place et ont besoin d’un rappel formel. Il se peut aussi que des professeurs refusent des aménagements pourtant formalisés. 

L’inclusion universitaire nécessite un travail collaboratif, il s’agit d’une responsabilité partagée entre l’ensemble des professionnels participant à l’enseignement. L’isolement des enseignants persiste et serait dû à une méconnaissance des aides extérieures et à un manque d’échanges avec ces partenaires4. Il en de même pour les acteurs intervenant auprès des populations vulnérables qui rencontrent un mépris institutionnel basé, en partie, sur la non-reconnaissance de leur profession5. J’ai pu identifier cette perception chez les professionnels de l’accompagnement universitaire :

Une référente handicap travaillant dans un service universitaire dédié à l’accompagnement des étudiants l’exprime clairement : « On a un travail avec des responsabilités et des enjeux qui ne sont pas reconnus. »

On constate un turn-over important dans les équipes, conséquence de la précarité d’une partie de l’effectif. La variabilité des statuts impacte sur la reconnaissance et la valorisation de ces professions. Le métier semble « s’apprendre sur le terrain » et est réalisé principalement par des femmes. Les métiers d’accompagnement s’inscrivent dans le travail du care et sont des professions féminisées, précaires et moins reconnues6.

Il a été identifié une certaine crainte exprimée par les professionnels de l’accompagnement de ne pas être reconnus dans leur profession et dans leur rôle. Ils ont la sensation d’être illégitimes dans l’exécution de certaines pratiques. La lutte pour la reconnaissance [au sens où l’entend Honneth (2000)] concerne chaque acteur dont l’identité n’est pas reconnue par la société. Si l’on veut s’intéresser au contexte professionnel des acteurs interrogés se sentant peu reconnus, on doit considérer leur identité professionnelle. Être reconnu permet au professionnel d’assurer l’identité pleine et entière de l’individu et de ses capacités7. L’identité professionnelle correspond au processus de construction d’un individu résultant d’une transaction « interne » à lui-même et « externe » entre lui et les institutions professionnelles avec lesquelles il interagit. Elle n’est jamais fixe et se (re)construit en permanence dans l’incertitude que son identité pour soi-même soit identique à son identité pour autrui8. La construction biographique de l’identité professionnelle ne peut se faire que par l’expérience des relations de travail et des participations aux activités d’une organisation faisant intervenir des jeux d’acteurs. Les transactions réalisées tout au long du parcours professionnel définissent, de par la façon dont elles se sont achevées, son identité professionnelle.

Les problèmes identitaires dans le domaine professionnel des personnes travaillant dans l’enseignement supérieur semblent s’expliquer par les interactions des professionnels entre eux et avec l’extérieur. L’identité professionnelle individuelle est fragilisée dès lors qu’il y a un manque de reconnaissance. Mais qui dit « reconnaissance », dit avant tout « connaissance ». En effet, comment les professionnels de l’accompagnement peuvent-ils être reconnus par leurs collègues si ces derniers ne connaissent pas leur rôle et leurs missions ?

L’information des besoins de l’étudiant :  quoi dire ? à qui ? et comment ?

Dans les situations de recours à un service d’accompagnement spécifique, la protocolisation des dispositifs est telle que les demandes informelles sont rares, car peu envisageables. Dans le cas où d’autres besoins surviendraient au cours de l’année, les demandes additionnelles sont réalisées essentiellement auprès de l’enseignant. Or, l’informalité est perçue comme une angoisse par les jeunes adultes malades car il n’y a pas de garantie que les compensations demandées soient acceptées.

Pour illustration, Rosa, étudiante de 22 ans en master, atteinte d’une maladie rare congénitale chronique et polyhandicapante, avoue avoir menti auprès d’enseignants qu’elle juge peu compréhensifs pour qu’ils acceptent ses absences.

Cette anecdote interroge le contenu de l’information qui doit être adressée aux professionnels. Une fois que cette information est transmise à un interlocuteur, informellement à un enseignant, ou formellement, à un service spécialisé, que devient-elle ? De quelle façon est-elle transmise ? D’après les données recueillies, il apparaît que dans de nombreux cas, l’information de l’aménagement ne parvient pas à l’ensemble des acteurs intervenants auprès de l’étudiant, dû à un manque de communication. Plus de la moitié des professionnels (61,4 %) estiment que la communication interne à leur établissement de rattachement est faible. 

Le manque de passerelles, de liens et d’échanges entre les services universitaires (déjà évoqué dans la littérature scientifique9) est une problématique centrale, dont l’incidence sur l’accueil des jeunes adultes est largement déplorée. Ce phénomène amène l’étudiant à devoir expliquer et justifier une énième fois ses problématiques de façon informelle et provoque une incompréhension de l’enseignant, sur qui repose la responsabilité d’accepter ou non d’aménager son intervention. Les jeunes adultes malades sont gênés de devoir évoquer leurs problèmes de santé. Néanmoins, ils préfèrent que l’équipe éducative de l’institution universitaire soit au courant : 

Je demande à Marie, une étudiante en licence, atteinte d’une maladie chronique rare, si le fait de devoir expliquer à de multiples reprises sa problématique de santé était gênant pour elle. Elle répond : « Je dirais oui, mais en fait… au moins, je suis sûre que c’est fait. […] je préférerais le dire une seule fois ou que je dise à une personne ce qu’il faut dire et qu’elle s’en charge. […] Je pense que je suis la mieux placée pour en parler, mais ça diminuerait mes efforts et ça serait un gain de temps si tout le monde a le même message en même temps. »

Cette réponse illustre l’ambivalence des étudiants malades par rapport à la diffusion de l’information sur leurs difficultés. Ils disent être gênés d’évoquer leurs problèmes de santé (principalement lorsqu’il faut les répéter à chaque professionnel), mais ils se sentent comme étant la seule personne légitime pour en parler. 

Rosa, étudiante, atteinte d’une maladie rare chronique, explique comment elle perçoit la situation lorsque ses besoins ont été clairement transmis à l’équipe éducative : « C’est top ! Et ça évite les mauvaises surprises, parce que nous on n’a jamais les mêmes professeurs donc si à chaque fois je devais les prévenir un par un… surtout qu’on n’a pas leur adresse mail, ça aurait été compliqué de les prévenir et de leur faire comprendre. »

Une transmission efficace de l’information sur les besoins de l’étudiant semblerait suffire pour éviter qu’il doive se justifier sans cesse. De plus, le verbatim ci-dessus indique que l’équipe éducative est difficilement accessible, notamment par leur nombre important et l’absence de leurs coordonnées. Sur l’ensemble des étudiants présentant un problème de santé, 48,1 % ont l’impression de devoir répéter et expliquer systématiquement les besoins liés à leur santé. Cette gêne de devoir se justifier est aussi bien présente vis-à-vis des enseignants qu’auprès des autres étudiants. Néanmoins, lorsqu’un interlocuteur parle au nom de l’étudiant, il peut le faire de façon maladroite : 

Elisa, étudiante, en rechute d’un cancer, relate une anecdote sur l’intervention d’un enseignant qui a évoqué le souci de santé de la jeune femme auprès des autres étudiants : « Il [Le professeur] en a parlé à tout le monde, qu’il fallait être gentil avec moi, c’était un peu gênant quand t’es en Licence 3, mais bon… ce n’est pas grave. » Je lui demande si elle a mal vécu cet évènement. Elle répond : « Bah oui, quand j’ai su que le prof en avait parlé comme ça, devant toute la classe… Puis apparemment la façon dont il l’a dit cela faisait un peu ‘bon soyons sympa avec elle, elle est malade’. »

Encore une fois, il semblerait que l’étudiant se considère comme étant le seul à être en capacité de livrer ses besoins ou d’évoquer ses problèmes de santé. 

Dans l’enseignement secondaire déjà, l’adolescent et sa famille sont dépossédés de la réflexion des besoins à compenser. Il est stipulé dans la loi de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU de 2006 que les usagers (ou leurs représentants légaux) doivent participer aux solutions envisagées en termes d’accompagnement. Toutefois, l’enquête de Dupont (2020) révèle que ce n’est généralement pas le cas dans les établissements scolaires français actuels. Malgré cette difficulté à co-construire avec les familles, au lycée l’information des aménagements instaurés est beaucoup plus transparente que dans l’enseignement supérieur, via notamment la mise en place du PAI (projet d’accueil individualisé)10.

Généralement, dans le second degré, l’équipe éducative est mise au courant des problèmes de santé des lycéens (à la condition que l’élève ou ses parents en aient parlé à un interlocuteur et aient demandé à transmettre l’information). Dans l’enseignement supérieur, les étudiants perdent rapidement la maîtrise de ce qui est dit sur leurs problèmes de santé. Une fois qu’ils ont explicité leur maladie auprès d’un interlocuteur, ils ne savent pas ce qui est transmis : 

Audrey, étudiante en master, en rémission d’un cancer, n’est pas sûre que l’ensemble de ces formateurs ait été mis au courant de ses besoins particuliers : « J’imagine qu’ils [les responsables du master] l’ont dit à mes autres professeurs, parce que moi j’ai juste envoyé un mail à mes responsables. »

Rosa, quant à elle, a dû insister pour que l’information soit transmise : « Je pensais qu’ils le savaient tous, qu’ils envoyaient un mail à tous les professeurs, je pensais que l’administration était bien faite… en fait non (rire). Et donc à partir de l’année d’après, j’ai demandé au service [dédié] qu’il prévienne tous mes professeurs. »

Dans de nombreux cas, les étudiants malades n’ont pas de retour sur la transmission de l’information qu’ils ont donnée11. Ainsi, si les étudiants ne précisent pas qu’ils préfèrent que l’information soit transmise aux enseignants, la communication n’est pas assurée.

La formalisation des demandes auprès d’un service dédié est un véritable soutien. Lorsque l’étudiant parvient à identifier un interlocuteur qui puisse être un relai, il le vit comme un véritable soulagement. Néanmoins, l’information qui a été transmise sur la maladie leur échappe. La communication entre le professionnel ou service dédié et les enseignants est incertaine. Tout type d’établissement confondu, les professionnels eux-mêmes estiment que la communication interne de leur établissement est faible (pour 60,4 % d’entre eux). Tel le chat de Schrödinger12, l’information est à la fois transmise et non transmise du point de vue de l’étudiant malade qui, non concerté, n’a aucun moyen de savoir si l’enseignant est au courant ou non de ses problèmes de santé et s’il a prévu d’adapter son intervention. Seulement 5,8 % des étudiants malades déclarent que l’ensemble des professionnels qui les encadrent sont au courant de leurs difficultés liées à leur santé. 

Vis-à-vis des autres étudiants, la visibilité du handicap peut contraindre les jeunes adultes à expliquer leur état : 

Claire, étudiante de 22 ans en licence, atteinte d’une maladie rare chronique raconte : « Ils [Les autres étudiants] m’ont vu partir une fois et revenir avec une épaule en écharpe. On en parle et puis voilà. »

Les étudiants malades évoquent de façon informelle leurs problèmes de santé dès que ceux-ci deviennent visibles. Les stigmates physiques provoquent des questions, ce qui amène le jeune adulte à évoquer sa maladie de façon contrainte, à se « griller », pour reprendre un terme utilisé par les jeunes interrogés. Les absences répétées et la présence d’un preneur de note rendent également visible le handicap. La volonté d’évoquer la maladie avec les autres étudiants est, une fois encore, variable en fonction des étudiants que nous avons interrogés (pour rappel deux tiers des étudiants suivis pour une pathologie rare se plaignent de devoir systématiquement expliquer leurs problèmes de santé).

Pour Marie, étudiante en licence, atteinte d’une maladie rare chronique, il serait préférable, afin de prévenir les risques liés à sa santé, que les autres étudiants soient informés : « Je me dis qu’il faudrait que je le dise à des filles de mon TD, parce que je suis aussi tout le temps avec elles. Et c’est aussi pour ma sécurité. Voilà, faudra que je le fasse, c’est indispensable, je me dis, faudra que je le fasse, je me dis. J’ai pas très envie, mais faudra que je le fasse. »

Delphine, étudiante de 23 ans, en rémission d’un cancer, déclare ne pas vouloir mentir ouvertement, mais pratique le mensonge par omission : « Ce n’est pas que je ne veux pas leur [les autres étudiants] en parler, c’est que je ne vais pas en parler si ça vient pas dans la conversation. »

En dehors de toute nécessité, les étudiants malades préfèrent dissimuler leurs troubles.

Alexandra voulait faire une présentation en classe pour expliquer ses problématiques de santé dans son école paramédicale privée : « C’est quelque chose qu’on ne m’a pas laissé faire, et qu’on a un peu balayé. »

Ce verbatim illustre le peu de liberté qui est laissée aux étudiants malades dans l’évocation de leurs propres problèmes de santé. Mais qu’en est-il du niveau de détail de l’information qu’ils souhaitent divulguer ? Les étudiants ne préfèrent pas donner les éléments médicaux de leur pathologie et se contentent généralement d’énoncer leurs besoins :

« Je leur ai pas donné le nom de la maladie, ni tout le reste. Voilà, ils ont juste qu’est ce qui peut se passer. […] ils ont juste vraiment le côté administratif et pas le côté personnel. » Déclare Claire en évoquant la connaissance qu’ont ses camarades de promotion sur ses besoins particuliers.

Ils préfèrent ne pas évoquer aux autres étudiants les éléments trop intimes, souvent liés à la santé.

Lorsque l’étudiant évoque ses besoins, cette démarche est systématiquement motivée par une demande d’aménagements informelle. Pourtant, c’est lorsque les enseignants connaissent le plus de détails qu’ils sont davantage à l’écoute. Il arrive que les enseignants réclament de connaître le contexte de l’étudiant au-delà de ses besoins. Néanmoins, expliquer et détailler la maladie ne suffit parfois pas pour avoir une réponse positive de l’équipe éducative.

Aurélie est une jeune femme de 23 ans qui a perdu ses cheveux à la suite des traitements de son cancer lorsqu’elle avait 14 ans. Aujourd’hui en rémission, elle garde ce stigmate physique. Au lycée, malgré des informations jugées exhaustives données par Aurélie auprès de ses professeurs, des remarques négatives sur le port de son bonnet en classe (porté pour camoufler une alopécie sévère) ont persisté de la part des enseignants.

Se contenter d’expliquer aux acteurs éducatifs les besoins associés aux problèmes de santé de l’étudiant semble parfois insuffisant : 

« Ils [les professionnels de l’enseignement] ne connaissent pas, c’est ça le problème, une fois qu’on a expliqué tout ça, il y en a qui n’arrivaient pas à s’imaginer en fait. » déclare Charlie, étudiante de 23 ans en master, atteinte d’une maladie rare chronique. 

L’explication donnée par les étudiants sur leur état de santé ne suffit pas toujours à légitimer certains aménagements. D’après le verbatim suscité, il semblerait que l’obstacle soit situé au niveau des représentations des professionnels. Un élément identifié par les jeunes interrogés est l’importance de la médicalisation des besoins en nommant la maladie pour légitimer les aménagements demandés : 

« Tant qu’on ne dit pas le mot ‘maladie’ ou ‘maladie neuromusculaire’, en fin de compte, les gens croient qu’on a un petit bobo. » Explique Alicia, salariée de 30 ans, atteinte d’une maladie rare chronique. 

Pour avoir une réponse positive de l’équipe éducative, il semblerait qu’il soit nécessaire de dire le nom de la maladie plutôt que de passer par une approche par besoin. La plupart des enseignants ont une idée des aménagements éducatifs à mettre en place lorsqu’ils savent qu’un étudiant malvoyant, malentendant ou encore dyslexique est face à eux, car ils sont habitués à rencontrés de tels cas. Mais qu’en est-il des pathologies inconnues du grand public ? Est-ce qu’avoir connaissance qu’un de ces étudiants est atteint d’une Leucémie, du syndrome d’Elher-Danlos ou encore de la drépanocytose leur apportera une quelconque information sur les moyens d’adapter leur enseignement ? Les maladies dites rares vont engendrer des particularités dans leur rapport à l’autre propres à cette aura d’incertitude et de méconnaissance qui les caractérise.

Notes

  1. Le présent ouvrage s’attache à parler spécifiquement du contexte français. Mais les politiques inclusives des autres pays ne sont pas toujours représentatives non plus des actions locales. Voir l’exemple du Québec décrit par Plaisance (2013).
  2. Plaisance et al., 2012.
  3. Contrairement, par exemple, aux preneurs de notes à l’université qui retranscrivent les interventions des enseignants, les AESH ont un véritable rôle d’accompagnement individuel et de compensation de plusieurs besoins particuliers chez les élèves en difficulté sur un plan pédagogique et/ou social. La création d’AVU (Auxiliaire de Vie Universitaire) est actuellement sujet à débat, mais n’est qu’à l’état de projet au moment de la rédaction de cet ouvrage.
  4. Plaisance et al., 2012.
  5. Dambuyant-Wargny, 2017.
  6. Courty, Sivilotti, Rollin et Dugas, 2019 ; Molinier, 2013.
  7. Ricoeur, 2004.
  8. Dubar, 2010 ; Dubar, Tripier et Boussard, 1998.
  9. Ebersold, 2012.
  10. Le PAI est un document rédigé qui précise de manière individualisée les aménagements et adaptations à apporter à un élève présentant des troubles de la santé, tout au long de sa scolarité (de la crèche au lycée).
  11. Sachant que légalement seules les conséquences de l’altérité liées aux besoins éducatifs peuvent être transmises, le nom de la pathologie à proprement dite relève du secret médical. Si l’étudiant choisit de révéler le nom de sa pathologie, les professionnels détenteurs de cette information, même s’ils sont non-soignants, sont soumis au secret professionnel. 
  12. Il est fait référence ici de l’expérience imaginée en 1935 par Erwin Schrödinger. 
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Posté le 25/11/2022
EAN html : 9791030008234
ISBN html : 979-10-300-0823-4
ISBN pdf : 979-10-300-0824-1
ISSN : 2823-8680
15 p.
Code CLIL : 3318

Comment citer

Sivilotti, Lucas, “Chapitre 2 # Pratiques professionnelles et ressources institutionnelles en faveur de l’inclusion, in : Sivilotti, Lucas, Accompagner les étudiants malades à l’université. Une médiation au cœur de l’inclusion des étudiants porteurs d’un cancer ou d’une maladie rare, Pessac, PUB, collection S@nté en contextes 2, 2022, 51-66, [en ligne] https://una-editions.fr/pratiques-professionnelles-et-ressources-institutionnelles-en-faveur-de-linclusion/ [consulté le 25/11/2022].
10.46608/santencontextes2.9791030008234.4

Au téléchargement

Contenu(s) additionnel(s) :

Accès à la publication Accompagne les étudiants malades à l'université
Illustration de couverture • (illustrateur : Damien Ridremont, 2022).
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