Le Discours au vray & en abbregé, de ce qui est dernierement advenu à Vassi étudié par Ullrich Langer relevait d’une forme de communication politique sur le vif : le Duc de Guise réagissait rapidement face au scandale qui menaçait sa réputation en accusant les protestants. Dans cette dernière partie de l’ouvrage, les analyses permettent d’observer comment la prolifération des discours engendrés immédiatement ou presque par le scandale deviennent matière pour l’histoire et la réflexion historiographique. Chez Belleforest, ainsi que le souligne Thibault Catel, l’histoire reste profondément conflictuelle et polémique et on observe une continuité entre le récit qui est fait du massacre de Wassy dans le libelle présenté par Ullrich Langer et celui proposé dans Les Grandes Annales et histoire generale de France publiées en 1579. Pour Belleforest, le scandale est un outil historiographique de clarification – ce sont les mots de Thibault Catel – qui permet d’identifier ceux qui se sont opposés ou s’opposent encore à l’ordre du Royaume. Alors que Belleforest présente une forme d’adhésion à la lecture catholique partisane présente dans les libelles publiés durant les guerres civiles, les auteurs étudiés respectivement par Enrica Zanin, David El Kenz et Isabelle Moreau, à savoir Pierre de l’Estoile, Gabriel Naudé et Pierre Bayle prennent une forme de distance face à la perception immédiate et polémique des événements interprétés comme scandale, telle qu’on la trouve dans les libelles. Pierre de l’Estoile d’ailleurs après avoir mentionné plusieurs libelles scandaleux dont la Vie de Ste Katerine en vient à une considération qui montre sa méfiance face à la prolifération des publications à scandale et en particulier pour les Memoires de l’Estat de France qu’il cite en dernier : « quant à la Verité de l’histoire […], on n’en peut faire aucun estat. Ce qui estoit toutefois le plus recherchable. Mais aiant esté les dits memoires trop percipitamment [sic] mis sur la presse, n’ont peu eviter le nom de fable à l’endroit de beaucoup, au lieu de celui de l’histoire1 ». Quand elle analyse le regard que porte Pierre de l’Estoile sur le célèbre libelle écrit contre Catherine de Médicis, Enrica Zanin montre un Pierre de l’Estoile conscient (comme Catherine de Médicis) de la force politique de la parole des protestants persécutés. Et l’on peut dire que, d’une certaine façon, Pierre de l’Estoile et Naudé, lu par David El Kenz, font la même analyse et le même constat : les vaincus ont gagné la bataille de la mémoire. Le propos cynique de Naudé sur la Saint-Barthélemy dans les Considérations politiques sur les coups d’État publiées en 1639 consiste à dire qu’il aurait fallu les vaincre pleinement, c’est-à-dire les tuer tous et rendre le scandale inaperçu. Pierre Bayle porte, bien entendu, un tout autre regard sur les massacres passés et sur les récits partisans qui en ont été faits : il déplore la dimension polémique d’une théologie ou d’une histoire qui exhibe le scandale (entendu dans son sens théologique de péché et en particulier d’hérésie) pour condamner les égarements et attiser les haines. Sa lecture, précisément, n’est pas partisane puisqu’il condamne aussi l’instrumentalisation du scandale par les théologiens protestants. L’étude d’Isabelle Moreau révèle que Bayle invite finalement à une forme de tolérance pour l’erreur qui rappelle l’invitation thomiste à la charité pour les faibles, mais il ne le fait plus comme les catholiques pour préserver le pouvoir en place, mais pour construire la concorde.