Introduction
Périgueux est une ville double constituée de la Cité, noyau épiscopal hérité de la ville antique, et du Puy-Saint-Front, lieu de culte associé à saint Front qui s’est élevé, mutatis mutandis, entre la fin du Xe et la fin du XIIe s., au rang de ville. Trois pouvoirs forts y coexistent : l’évêque, le comte et le consulat que la genèse puis l’affirmation, entre la fin du XIIe s. et la première moitié du XIIIe s., conduisent à monopoliser la vie urbaine des derniers siècles du Moyen Âge (fig. 1)1. L’évolution des espaces carcéraux périgourdins montre la façon dont l’institution consulaire s’est emparée progressivement de l’exercice justicier aux dépens des autres acteurs locaux. La prison de l’évêque est certainement la plus ancienne ; probablement intégrée au palais épiscopal, elle est mal documentée et tardivement attestée en 1321-13222 ; ruinée par un fait de guerre, elle n’est plus en état de servir à partir de juin 14443. De même, l’arest del comte intègre très certainement son château de la Rolphie élevé dans les Arènes vers 1150 ; il n’est attesté qu’en 1334-13354. Après la déchéance du comte (1391), les terrains de l’ensemble castral sont acquis par la ville (1397) et les constructions démantelées jusque vers 1460. La prison du consulat est la plus récente mais aussi la plus pérenne car elle ne quitte pas la maison commune de la place du Coderc, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime (elle est démantelée en 1830-1831). Elle est surtout, et de loin, la mieux documentée des trois prisons.
Les sources consulaires éditées par Jean Roux et dépouillées pour cet article sont de deux ordres : il s’agit principalement des séries comptables sous forme de cahiers rédigés en occitan, soient 45 années documentées entre 1314-1315 et 1454-1455, malgré de fortes disparités de répartition chronologique (fig. 2)5. En complément, le livre mémorial appelé Petit Livre noir (1360-1449) fournit une liste annuelle des sirvens6 municipaux impliqués dans la garde des prisonniers et livre une dizaine d’actes de procédure concernant la prison. À l’appui de cette documentation, l’étude souhaite s’inscrire dans le sillage des travaux récents sur l’enfermement7 et sur les agents de la justice8, en articulant ces sujets au renouveau des études sur les comptabilités urbaines 9. Pénétrer l’univers carcéral médiéval n’est pas aisé : les lieux ayant disparu, aucune étude du bâti n’est possible, ce qui oblige à recourir à la documentation iconographique moderne ; les sources, malgré leur apparente abondance, ont leur logique propre et celle des comptabilités urbaines dévoile en priorité ce qui a été quantifié et qui a suscité des recettes, et surtout ici des dépenses. Bien que non exhaustif10, le dépouillement des séries comptables aboutit néanmoins à un échantillon remarquable et statistiquement assez viable de 842 items (en moyenne, 3,9 % des items comptables) se rapportant directement à l’espace carcéral, aux prisonniers et à leurs conditions de vie, au fonctionnement de la prison et au personnage central qui en a la garde, à savoir le torier.
À l’instar du pilori et des fourches patibulaires11, la prison est une expression spatiale et temporelle du pouvoir judiciaire du consulat. Lieu central de la ville, quelles fonctions a-t-elle et comment est-elle équipée ? Qui sont les prisonniers et quelles sont leurs conditions de vie ? Quelles sont les missions du gardien et comment évoluent-elles ? Au-delà de ce triptyque de questions, cette étude doit sa singularité et son caractère contraignant à la saisie des pratiques carcérales au prisme des logiques comptables de leur administration. L’objectif n’est donc pas de répondre à toutes ces questions, ni d’exploiter l’ensemble des informations, mais de montrer la façon dont les séries comptables documentent, de façon explicite, les aspects matériels, temporels et humains des conditions carcérales en même temps qu’elles soulignent, de manière implicite, la façon dont la prison participe à l’expression emblématique du pouvoir consulaire.
La tor del Cossolat :
prison et emblème du pouvoir consulaire
La comptabilité consulaire, complétée par l’iconographie moderne, permet de restituer l’agencement et l’architecture de la prison communale de Périgueux. Implantée dans une tour, elle est au cœur de la maison commune dominant le flanc ouest de la place du Coderc12. On discutera d’abord des mots qui la désignent avant de présenter l’architecture des lieux et leurs équipements pour, in fine, saisir comment représentation sémantique et réalités matérielles mettent en scène le pôle de pouvoir consulaire.
Les mots de la prison
Les items comptables font d’abord apparaître la prison, non comme un simple espace dédié à l’enfermement, mais comme un ensemble de relations humaines normées par la maîtrise corrective exercée par le consulat et par la sujétion des détenus. En effet, sur 842 items, 629 (74,7 %) désignent la rémunération des hommes libres qui gravitent autour des prisonniers, signalés en deuxième position, à 523 reprises (62,1 %), alors que les termes faisant référence à l’espace carcéral ne sont employés que dans 133 items (15,8 %), le plus souvent en fin de phrase, 76 étant relatifs aux travaux d’entretien ou de rénovation. Ces chiffres sont néanmoins trompeurs car l’intertextualité des items permet d’associer au lieu signalé dans un item toutes les dépenses associées à la vie de la prison qui s’ensuivent, et cela, sans que l’espace carcéral ne soit à nouveau désigné. Par exemple, en 1346-1347, la milice consulaire conduite par le maire capture des hommes d’armes en secteur anglais, près de Saint-Privat ; une avance financière est alors consentie au torier G. de Cortes pour nourrir les XXX presgoniers qui eran en la tor : cet item précède immédiatement un chapitre de dépenses faites pour les besoins des prisonniers, constitué de 145 items dont aucun ne reprécise où ils sont enfermés13.
Dans le palmarès des termes et expressions topiques (fig. 3), vient d’abord la tour du consulat (tor). Aux 32 mentions explicites de l’édifice s’ajoutent 439 items qui s’y réfèrent implicitement (79,8 % du total). Dans la ville médiévale, la tour est un édifice majeur associant à son caractère défensif, des fonctions résidentielles et ostentatoires dont l’équilibre est délicat à cerner selon qu’elle est associée à une fortification et/ou à une habitation. À Périgueux, la trentaine de tours disposées sur le périmètre de l’enceinte de la ville sont captées par des lignages bourgeois et aristocratiques qui leur ont donné leur nom, tout en y adossant bien souvent aussi leur hostal14. De toutes les tours dont le consulat a la charge, celle de la maison commune n’est associée à aucun lignage spécifique, elle est la tor par excellence de l’universitas, notamment parce qu’elle abrite la cloche municipale (senh).
En deuxième position vient le cossolat, qui fait référence soit à l’institution consulaire, soit à la maison commune, soit au deux. Dans les items comptables, l’expression qui eran pres el cossolat se joue des deux sens (“pris au consulat” et “pris par le consulat”) et est souvent employée dans un contexte d’arrestation. Vient ensuite, en nombre à peu près équivalent, mais néanmoins en troisième position, le terme de preyzo15, par référence à la prise, à la capture, à la saisie de corps vif directement associée au pouvoir banal de la contrainte et de la punition. Enfin, sont regroupés dans une dernière catégorie les termes qui désignent une pièce spécifique de l’espace carcéral, le plus souvent parce que des travaux y sont effectués. Parmi eux, les rayats, grilles en fer forgé, servent à clore les baies ou portes de la tour et font l’objet d’installation16 ou de
réparation17. En 1371-137218, un rayat est implanté pour clore une ouverture à l’intérieur de la tour ; le lieu où est installé le rayat est ensuite désigné ainsi par métonymie : I cumpanho qui era estat mes al rayat (un compagnon qui était mis au rayat)19. En 1240, le traité d’union du Puy-Saint-Front et de la Cité spécifie qu’une maison du consulat sera établie au Puy20. Plusieurs indices suggèrent néanmoins qu’elle est aménagée à partir de structures préexistantes plutôt que créée ex nihilo21. Les sources iconographiques modernes22 (fig. 4 et 5) et la description réalisée par Wlgrin de Taillefer23 quelques années avant sa démolition, la présentent comme un édifice composite. La tour carrée de 23 pieds de côté (env. 7,5 m) pourrait en constituer le noyau initial24, antérieur à 1240. Haute de 87 pieds (env. 28 m, non compris son couvrement), elle se compose de six niveaux . La présence de baies géminées (face est) et d’arcatures aveugles en plein-cintre (autres faces)25, représentées sur le dessin de Claude Thiénon26 (fig. 5), sont des caractères romans qui l’apparentent aux principales tours maîtresses du paysage féodal périgourdin27. Le couronnement de créneaux et de mâchicoulis évoque des reprises plus tardives des XIVe et XVe s. ; le dernier niveau de la tour abrite la cloche communale (senh) et fait aussi l’objet d’aménagement en 1477-1478 au moment où Michel Malet est chargé d’y faire une horloge28. Une intervention préventive récente a permis d’appréhender une partie du massif de la tour sous la forme d’un puissant ouvrage de maçonnerie ; la petitesse de la fenêtre archéologique n’apporte pas d’information supplémentaire sur les mesures réelles de l’édifice ni sur la nature de sa relation topologique au corps de
logis29.
Contre cette tour s’appuie un corps de logis de même largeur, et profond de 37 pieds (env. 12 m) qui pourrait être assimilé aux aménagements consécutifs à l’acte de 1240 (fig. 6). On ne saisit pas la correspondance altimétrique entre les quatre niveaux de ce corps de bâtiment et ceux de la tour. Le mur écran crénelé qui couronne le quatrième niveau masque la toiture de l’édifice. Ce crénelage pourrait relever de la même phase de reprise que le couronnement de la tour ; s’y adjoindrait peut-être le système défensif à mâchicoulis du petit édicule qui couronne l’aile d’entrée plaquée côté sud. Au nord, un peu en retrait, on observe un troisième corps plaqué également contre la tour, percée d’une porte. Les entrées de chacun des édifices plaqués contre la tour sont de style très divers et attestent des préoccupations en ce qui concerne l’accès au bâtiment.
Les fonctions carcérales, judiciaires, politiques et administratives de ce complexe nécessitent en effet une maîtrise absolue des circulations, notamment intérieures. Le plan de l’édifice témoigne d’une limite franche mais peut-être pas durablement étanche entre la tour primigène et le corps de logis central qui paraît s’être greffé à elle. On pénètre dans ce dernier par deux entrées, la principale au rez-de-chaussée du bâtiment, côté place, est la porta primeyra, par opposition à la seconde, appelée porta detras cossolat, que l’on pourrait rapprocher de l’aile nord. Au rez-de-chaussée, un vestibule d’entrée (uysch) donne accès à la chambra del cossolat, auditoire public où siège la cour consulaire (cort, jutgaria) ; le premier étage du corps de logis pourrait être occupé par les officiers de l’administration consulaire (clerc de ville, comptable, procureur) circulant entre plusieurs salles d’audience ; le deuxième étage est la salle haute réservée aux consuls et aux prud’hommes, appelée sala (XIVe s.) puis auditori (XVe s.). Le troisième étage en revanche pose question car je n’ai trouvé aucun indice dans la documentation écrite permettant d’identifier son utilisation. Sert-il d’archives, d’arsenal municipal ou à d’autres usages ? Peut-être a-t-il été annexé à l’espace carcéral communiquant avec la tour, ce qui nécessiterait, de fait, les solides ferronneries installées en 1371-1372. L’hypothèse paraît probable comme le suggèrent les impressionnantes grilles qui ferment la baie de cet étage sur les représentations modernes, affichage ostentatoire de l’appareil judiciaire et carcéral, visible depuis la place du Coderc.
Dominant la place, mais largement en retrait, la tour semble munie d’une entrée et d’une porte autonomes (uysch et porta de la tor) accessibles depuis le Coderc, que l’on pourrait associer à l’aile sud, couronnée par l’édicule à mâchicoulis protégeant l’entrée conduisant au pied de la tour. Les travaux de gros œuvre effectués durant le XIVe s. et la première moitié du XVe s. impliquent, par ordre d’importance, des couvreurs, des maçons et des charpentiers (fig. 7). Maintenir l’édifice hors d’eau est la préoccupation première et suscite l’entretien régulier de la toiture. L’intervention des maçons et des charpentiers est plus espacée dans le temps. Des travaux d’ampleur ont lieu autour de l’année 1328-1329 et surtout de 1447-1449 ; entre ces deux opérations, les lacunes documentaires des années 1350-1420 (fig. 2) masquent certainement d’autres travaux d’envergure, peut-être autour des années 1370, eu égard aux ferronneries installées en 1371-1372. L’opération la plus tardive est une rénovation intégrale de la tour, probablement la première de cette ampleur depuis son érection. Elle débute en 1446-1447 par d’importants travaux de charpenterie des planchers, des escaliers et des portes de tous les niveaux et se poursuit l’année suivante en deux temps, d’abord par une reprise des maçonneries
(en lien avec un affaissement des structures dû au mauvais état des pièces en bois de soutènement du cachot souterrain), ensuite par une réfection intégrale de la toiture.
Ces travaux permettent de mieux saisir la composition et les fonctions des différents niveaux (fig. 8). Au rez-de-chaussée, contrôlant l’entrée et l’accès aux étages se trouve la chambra del torier30 dans laquelle on construit en 1335-1336 une cheminée (fogier) : c’est apparemment la seule pièce chauffée de cette façon dans la tour. Elle donne également accès à une pièce en sous-sol servant de cachot (fons de la tor, plus rarement fossa) qui est creusée en 1328-132931. Au-dessus de la salle du torier s’élèvent quatre ou cinq étages, mais l’interprétation des sources est délicate sur ce point. Le 19 novembre 1397, le comptable rémunère sept ouvriers qui travaillent dans le cachot souterrain pour y installer des fers scellés (tressas), trois prisonniers ont alors été déplacés, deux au rayat, le troisième en la granda volta32. L’expression désigne l’auditoire public du corps de logis principal, mais on voit mal qu’on puisse y transférer un détenu. Il semble qu’elle désigne ici une pièce voûtée appartenant à la tour : la situer au rez-de-chaussée et l’assimiler à la salle du torier ne paraît pas conforme à la localisation habituelle de ce type de pièce. À ce titre, la mention de cette granda volta pourrait constituer le témoignage d’une salle d’audience originelle implantée à l’étage, antérieure à la construction du reste de la maison commune. Toujours est-il qu’au-dessus s’élèvent IIII soliers (étages) dont les planchers et deux escaliers sont intégralement reconstruits en 1446-144733 : les trois premiers étages servent d’espace carcéral, le dernier, au sommet de la tour, sert de salle de garde pour ceux qui assurent le guet (gach). Il est couronné par un lanternon entre les colonnettes duquel s’échappe le son de la cloche consulaire.
Ces niveaux ne sont pas tous occupés en même temps. Certaines pièces (les salles du torier et de garde ainsi que celle de la cloche) sont utilisées quotidiennement, tout au long de l’année. Quant aux niveaux carcéraux, on peut supposer une utilisation à géométrie variable, dépendante de conjonctures diverses et du nombre de prisonniers. Littéralement, le torier est le gardien de la tour, il en détient toutes les clefs au XIVe s., qui sont aussi des attributs du gouvernement urbain34. Le rôle du torier évolue cependant à partir de 1397-1398 : le 24 novembre, le comptable rémunère Helias de la Vila, serrurier, pour l’installation “d’une grande serrure dotée d’une verterelle et d’un verrou arrière qu’il mit à l’huis par lequel on entre pour sonner la cloche, et l’une [des deux] clef[s] fut confiée au maire et l’autre au torier”35. La détention conjointe des clés par le maire et le torier montre la valeur éminente que revêt le fait de sonner la cloche (senh comunau) ; dans le même temps, elle déprécie le rôle du torier qui détenait auparavant, seul, la mission de sonner. Cet aménagement n’est pas le seul à être réalisé au cours de la période, d’importants travaux de ferronnerie et de serrurerie sont effectués sur les équipements carcéraux.
Les équipements de la prison
Les comptes sont assez diserts sur les fournitures acquises pour équiper la prison36, parce qu’il faut justifier l’emploi des deniers communs au service de l’utilité publique. Les serrures et clefs des portes d’accès à la tour, au cachot, au rayat et à la cloche sont régulièrement entretenues (1323-1324, 1330-1331, 1331-1332, 1339-1340, 1346-1347, 1371-1372, 1398-1399, 1407-1408, 1446-1447, 1447-1448). Les entraves employées sont des systèmes semi-dormants constitués de fers scellés (tressas, fers) auxquels on peut attacher un anneau de chaîne retenue par une clavette ; le torier utilise un martel (marteau) e un sizel (burin) per enferrar e desenferrar
los pregoniers37, il dispose aussi d’une lime (lima)38 pour adapter les appareils.
L’année 1371-1372 marque un tournant dans la restauration et le perfectionnement des dispositifs de sûreté (14 items)39. À trois reprises, le motif invoqué pour ces travaux de ferronnerie est de faire que “les prisonniers ne puissent trouer [le mur de la tour] comme ils l’avaient fait d’autres fois”40. Précisons ici que la pierre dite de Périgueux (calcaire bioclastique blanchâtre du Coniacien moyen), exploitée localement dans l’Entre-deux-Villes et dans les fossés, connaît une rapide altération de sa composition chimique du fait des perturbations microbiologiques et climatiques auxquelles elle est sujette : les évasions se font souvent par la fracturation des murs au niveau des baies qui sont les plus vulnérables. Aussi, l’on obstrue les ouvertures des murs et les soupiraux du cachot souterrain (clarieyra) par des crampons de fer (grapas de fer), certains murs sont renforcés par des bandes de plomb et des chavilhas de fer, on renforce aussi les grilles et on équipe la fermeture du rayat de moraillon (moralha). Enfin, écrit le comptable, “je payai pour faire des menottes en fer, et je fis réparer un fer pour y mettre un prisonnier qui toute une journée s’était acharné à trouer la tour ; montant 5 s.”41.
Ces équipements sont signalés par un vocabulaire spécialisé et varié que l’on ne peut malheureusement pas confronter à du mobilier archéologique. Ils ont une valeur pécuniaire notable car leur fabrication demande compétence et savoir techniques. Les réduire à leur seule valeur et à leur fonction d’entrave ne rend pas compte de ce qu’ils représentent aux yeux des consuls. Leur emploi ne semble pas systématique et ne paraît concerner que les captifs les plus retors ou coupables des crimes les plus graves. En 1424, Tandon del Torn, habitant de la ville, a tenté de livrer Périgueux aux Anglais. Le traître (traydor) est passé à la question et, entre deux phases d’interrogatoire et de supplice, il est renvoyé als fons de la tor als fers42. Son incarcération dans le lieu le plus infâmant de la tour et son maintien aux fers font de l’entrave une expression de la puissance judiciaire du consulat. En 1443-1444, une mention du Petit Livre noir indique : “Qu’il soit mémoire que nos prédécesseurs du temps du seigneur du Puey ne rendirent point les fers que l’on met aux prisonniers”43. Cette mention dans le livre mémorial n’a rien d’anodin, la transmission des fers d’une mandature à l’autre rejoint celle de nombreux attributs du pouvoir consulaire et fait de l’entrave un objet qui symbolise la capacité de saisie des corps des criminels et des ennemis.
Mise en scène et rayonnement du pouvoir consulaire
Changeons d’échelle et observons la composition urbanistique du quartier. La maison commune présente un profil castral, sa tour est un repère paysager remarquable qui rivalise avec le proche clocher de la collégiale Saint-Front. Cette dernière est associée à la mémoire du saint et au chapitre qui veille au salut des habitants, tandis que la tour veille sur la communauté des vivants. L’étagement des fonctions est fort bien pensé : au rez-de-chaussée, le gardien ; aux étages intermédiaires, les espaces carcéraux, qui expriment la contrainte qu’exerce le pouvoir consulaire pour sanctionner, maintenir l’ordre et la paix, et, au sommet, le guet, qui veille sur le territoire de la juridiction et prémunit ainsi la ville des assauts. À Saint-Front, le temps de l’au-delà, au consulat, le temps de l’ici-bas, le temps communal du senh qui rythme la vie urbaine libre, mais dont le consulat peut priver certains, en mettant à l’arrêt fauteurs de troubles, criminels et ennemis.
Le Coderc est une place de marché qui agence deux équipements majeurs du consulat : sur le flanc est, la maison commune, côté nord, la maison des blés ou bladeries (bladarias) (fig. 6). Au sein de la maison commune, on repère également deux salles dédiées à l’entreposage des denrées alimentaires distribuées par le consulat lors des fêtes de charité : il s’agit de “la chambre où l’on met le pain qui est donné par amour de Dieu”44 à la Pentecôte et du saloir (salineyra) dans lequel on prépare le porc salé (baco) du Mardi Gras45 ; ces pièces (d’affectation temporaire ?) sont certainement situées dans les locaux qui jouxtent le corps de logis principal. En somme, le complexe municipal se présente comme un espace-ressource où les consuls s’assemblent et délibèrent, dispensent la justice, assurent et contrôlent l’annone et le marché, manifestent la charité. La complémentarité des missions qui s’y exercent, de la magnificence à la contrainte, peut être rapprochée de la distinction que fait Aristote entre justice distributive et commutative (corrective), même si l’on ignore les liens, conscients ou non, entre cette culture savante et la conception urbanistique où le pouvoir se met en scène. Chaque membre de la communauté sait néanmoins ce qu’il peut attendre pour sustenter ses besoins et ce qu’il risque par son mauvais comportement : un consulat qui contrôle et distribue autant qu’il peut punir46.
C’est bien la tour qui domine cette composition, elle en est l’expression emblématique la plus forte, rayonnant au-delà du site car on la voit et on l’entend de loin (cloche ou senh). Sa polarité est reconnue par les autres pouvoirs, à commencer par ceux du sénéchal47 et du connétable48 du roi de France qui utilisent à plusieurs reprises la prison consulaire – sans oublier le prêt, par le consulat, des fourches patibulaires d’Écornebœuf49 aux représentants du roi. De même, le prévôt épiscopal l’utilise parce que la prison de l’évêque n’est plus en état50. Un exemple signale la collaboration des pouvoirs concernant un même détenu : capturé dans la juridiction consulaire par le comte et le chapitre Saint-Étienne, il est transféré de la main du roi au pouvoir municipal, et enfermé au consulat pendant un an avant d’y trouver la mort51. Après avoir discuté du lieu, il faut désormais approcher ceux qui y sont incarcérés.
Les prisonniers et les conditions carcérales
Les motifs d’incarcération ne sont que rarement signalés dans les comptes, on ne les évoque qu’en certains cas, notamment lorsque la capture s’est faite loin de la ville et qu’elle suscite des frais de rapatriement52, autrement dit lorsque le comptable est obligé d’ouvrir sa bourse ! Dans l’immense majorité des cas, on ignore tout des raisons de la peine, on ne voit que ce qui est dépensé pour l’entretien des prisonniers, à commencer par leur nourriture. Il est donc vain de vouloir reconstituer la vie carcérale par le biais des sources comptables ; les informations qui nous parviennent passent, sous la plume du rédacteur, par le filtre de l’argent. On ne saisit ni les visiteurs, ni l’état d’esprit des prisonniers ou du gardien, ni même l’eau qu’on leur distribue, ni rien qui ne fasse sonner au moins une maille (mealha, demi-denier). Et pourtant, la logique comptable permet d’appréhender d’autres dimensions comme le nombre, le genre, le statut et l’identité des captifs ainsi que quelques caractéristiques des conditions carcérales (alimentation, mortalité) qui apparaissent assez épouvantables pour motiver l’évasion.
Population et régimes carcéraux
Le vocabulaire distingue deux groupes de personnes écrouées : d’une part, une majorité écrasante de pregoniers pour qui la détention est une peine en soi53 et qui effectuent en prison un séjour de durée variable avant d’être remis en liberté ; de l’autre, une part mineure de layros pour qui la prison n’est qu’un moment pénal, qui précède les peines corporelles et l’exposition au pilori de la Clautre, voire l’exécution aux fourches patibulaires d’Écornebœuf54. Les lépreux (digiets) sont les seuls à être qualifiés par leur état de santé, non seulement parce que leur caractère contagieux implique des mesures de “distanciation physique et sociale”, mais aussi parce que l’origine infamante de leurs maux est un argument du consulat pour se départir de toute responsabilité et justifier son action d’auxiliaire du bras divin. Pregonier est un terme générique derrière lequel on peut identifier deux groupes : celui des prisonniers que l’on qualifierait de “droit commun” aujourd’hui, sanctionnés pour avoir commis des actes ou prononcé des injures punies par la coutume, et qui sont soumis à un régime très draconien, et celui des prisonniers de guerre dont le consulat peut négocier la rançon. Ces derniers sont mieux traités et bénéficient aussi de l’exercice des charités de Pentecôte et de Mardi gras55.
La plupart du temps, les pregoniers ne sont pas nommément désignés. Les items dressent une liste de détenus anonymes, presque “fantômes”56, à moins que le prisonnier n’exerce dans la vie courante un office remarquable ou une mission diligentée par la ville. Deux cas exemplaires concernent la détention du gardien de prison lui-même. Le premier est le sirven Charrado que l’on suit entre 1328 et 1335 et qui occupe le poste de torier en 1331-133257. En 1334-133558, il est banni pour avoir “mis en cause le pouvoir de la ville”; d’abord emprisonné à l’arrêt comtal, il est transféré, l’année suivante, par l’intervention du sénéchal, à la tour où il est détenu pendant 56 jours59. Le second est le torier Arnaut de Carcassona, dit Arnauto, pilier de l’administration carcérale en poste pendant près d’un demi-siècle (1398-1443) : il est si indispensable que les consuls le font emprisonner trois jours en octobre 1407-1408 car il souhaitait quitter sa fonction, certainement parce qu’il estimait être mal rémunéré60.
En revanche, les layros condamnés à une peine corporelle ou à l’exécution sont le plus souvent désignés par leur nom/surnom ou par leur origine géographique61. En 1331-1332, un layro qui avia nom Helias de L’Escura meurt en prison, le comptable paie ceux qui le font ensevelir sous les fourches d’Écornebœuf62. Les layros occasionnent par ailleurs des frais supplémentaires de garde alors que les simples prisonniers ne sont surveillés que par le torier. Ainsi, en 1324-1325, le comptable rémunère 10 s. les sirvens chargés de surveiller le layro de Bordel (Bordeaux), il leur donne également 12 s. pour les frais d’entretien du prisonnier et à nouveau 10 s. pour sa pendaison.63 Dans l’écrit comptable, l’attention portée ou non à l’identité de l’individu est sans doute liée à la fama. Sans en faire une règle absolue, on peut penser qu’indiquer le nom d’un prisonnier commun ne paraît pas acceptable par le rédacteur. Garder la mémoire de l’incarcération infamante contrevient à la réintégration de l’individu dans la communauté, l’anonymat permet d’éviter cet écueil en réifiant temporairement le prisonnier ; à l’inverse, l’inscription du nom dans les cahiers jette l’opprobre sur ceux qui ont été sanctionnés de mort par le pouvoir consulaire64.
La place des femmes est difficile à cerner, le corpus exploité ne mentionnant que trois femmes emprisonnées65, à deux reprises pour un comportement sexuel prohibé. Malgré l’impossibilité qu’il y a à identifier, derrière le terme pregoniers, les genres des prisonniers66, la population carcérale du consulat apparaît avant tout masculine. On saisit la présence des femmes dans la prison lorsque le comptable rembourse une telle pour le pain qu’elle a avancé (manlevar) aux prisonniers. Une figure se détache néanmoins, celle de la femme du torier qui distribue régulièrement le pain, telle la molher del torier Johan La Porta67. D’autres figures sont plus fantomatiques, comme cette femme qui porte des tuiles pour les couvreurs qui s’activent au sommet de la
tour68.
Quelle est l’ampleur de la population carcérale ? Les quatre niveaux carcéraux de la tour, le fons et les trois étages d’une superficie d’environ 40 m² chacun, offrent déjà un indice : la prison consulaire n’est pas la petite cellule du sheriff des westerns américains, mais s’apparente plutôt à une “maison d’arrêt” intégrant niveaux carcéraux et salle du gardien. Sur 523 items signalant la présence de prisonniers, de quelque nature qu’ils soient, trois cinquièmes (322) ne précisent pas combien ils sont, utilisant seulement un pluriel. Sur les deux cinquièmes (201) restant, 64 ne signalent qu’un prisonnier, 137 en dénombrent de 2 à 30. Plusieurs constats peuvent être établis. Le premier est que la prison ne paraît pas utilisée avec la même fréquence au cours du siècle et demi qui nous intéresse : on relève 12 années comptables sur les 45 documentées, soit un quart environ, où elle ne paraît pas occupée, mais il faut bien sûr amender ce chiffre en tenant compte des effets de sources et des contextes particuliers. L’état incomplet des cahiers des années 1345-1346 (CC61 et CC62), 1368 (CC65) et 1427-1428 (CC74), pour lesquels il manque tout ou partie des dépenses, fait déjà baisser la proportion au cinquième des années documentées. Sur les neuf restantes parmi ces 12 années, 1314-1315 (CC41) est la seule année du XIVe s. à ne rien signaler, pas même la tour ni son gardien, ce qui laisse augurer que la prison est rarement vide au cours de cette période. Le reliquat de huit années relève donc de la première moitié du XVe s. En expliquer les motifs n’est pas aisé. Apparemment vide de prisonnier, la prison est néanmoins présente par la mention des gages du torier et des travaux de la tour. La population carcérale des années 1400-1401 (CC70), 1420-1421 (CC73), 1430-1431 (CC77), 1436-1437 (CC80), 1449-1450 (CC84) et 1453-1454 (CC85) apparaît nulle ; c’est également le cas pour la période 1446-1448 (CC82 et CC83) mais, cette fois-ci, parce que la rénovation intégrale de la tour empêche sûrement d’y tenir des captifs.
Le deuxième constat est que le chiffrage précis résulte, la plupart du temps, d’une préoccupation comptable qu’il convient d’apprécier à sa juste mesure. Le cas le plus révélateur concerne les 27 prisonniers de guerre faits en 1346-1347 auxquels s’ajoutent trois prisonniers communs.69 Le comptable Johan Clopaut note très précisément le nombre de prisonniers nourris cette année-là, dans un chapitre spécifique de dépenses, sans distinguer ensuite prisonniers de guerre et prisonniers communs ; les 29 chiffres recensés de la mi-janvier à la Pentecôte70 se rapportent à quatre cycles et demi de diminution/augmentation. Les hausses signalent de nouvelles arrestations (en ville ou parce que les actions militaires se poursuivent), les baisses, des libérations de prisonniers communs mais aussi de prisonniers de guerre après l’acquittement probable d’une rançon. Malgré le mauvais état de la fin du cahier, on observe, dans la partie recettes71, une vingtaine d’items qui précisent des montants notoires, de plusieurs sous à quelques livres, dépensés pour le soin de telle personne incarcérée : “Item, je reçus de Robbertz de Cortes, au nom du capitaine de Razac, pour les dépenses qu’avaient faites 2 de ses sirvens qui étaient enfermés au consulat : 16 s.”. La recette ne correspond pas à la rançon mais au remboursement des frais occasionnés pour mener une vie plus acceptable en prison. La majeure partie des cahiers utilisent en effet les valeurs de la monnaie de compte selon l’équivalence classique (1 l. = 20 s. = 240 d., soit 1 s. = 12 d.), les frais d’entretien engagés et remboursés relèvent donc d’une écriture comptable, ce qui n’est certainement pas le cas de la rançon acquittée en valeur réelle de biens ou de monnaie de règlement. Ces rançons pourraient aboutir dans les caisses du consulat sans intégrer apparemment l’écriture comptable72.
Enfin, comme certaines informations bien chiffrées permettent d’évaluer le coût journalier des dépenses faites pour un prisonnier, on peut se risquer à évaluer le nombre précis de prisonniers dans les items qui ne les désignent que par le pluriel. Avant la peste, le coût moyen est de 2 d. par prisonnier et par jour73 ; en 1340-1341, les 3 s. 6 d. payés à W. lo torier pour la nourriture d’une semaine lui permettent de disposer de 6 d. par jour, ce qui impliquerait la présence de 3 prisonniers74. Un peu après, le même touche 6 s. pour la même durée, soit la possibilité de nourrir 5 détenus. Et l’on pourrait multiplier ainsi les exemples, en prenant cependant soin de saisir les seuils d’inflation qui marquent particulièrement les périodes de peste, de conflits armés et de crise agricole. Ce calcul permet de mieux saisir la valeur générique du pluriel de preygoniers, qui ne rend pas la mesure précise du nombre des captifs : le comptable l’emploie tant pour désigner plusieurs prisonniers qu’un seul.
La durée de la détention est très délicate à saisir, non seulement parce qu’elle est rarement mentionnée75, mais encore parce qu’elle varie selon les peines. Le risque est de projeter sur la prison médiévale le fonctionnement actuel de notre appareil judiciaire. Le prisonnier des XIVe et XVe s. va-t-il en prison pour une durée déterminée à l’avance par la cour consulaire ? Pas forcément. Ce qui est crucial pour l’autorité est qu’il y séjourne, vive un temps dans des conditions d’extrême rigueur pour être châtié et se repentir avant d’être libéré. Ce ne sont là que des suppositions puisque ni les durées, ni les libérations décidées ne sont scrupuleusement notées : le prisonnier apparaît dans la comptabilité pendant un séjour qui dure seulement le prix de son pain aux yeux du comptable, puis sort de la logique gestionnaire dès sa libération.
Conditions de vie carcérale
Les dépenses (despens, despensas), versements (baylas) ou frais (messio) réalisés pour le fonctionnement de la prison touchent les travaux d’entretien des lieux et des équipements, le paiement du personnel de garde et la nourriture des prisonniers. Le chapitrage des comptes ne traduit que très partiellement ces trois postes. La logique gestionnaire n’est pas celle des masses budgétaires de nos comptabilités administratives. La plupart du temps, ces frais sont intégrés parmi une multitude d’autres postes (achats de fournitures, paiement des lettres et ambassades diplomatiques, assises, travaux publics, aspects militaires, etc.) et forment le chapitre
principal76 de chaque cahier, qui expose tout ce qui a été dépensé per lo fach de la juridiccio, expression communément employée pour désigner l’exercice du pouvoir consulaire en lui-même, tous les frais relatifs à ses attributions, compétences et prérogatives.
Jusque dans les années 1360, seule l’ampleur des dépenses de tel ou tel poste conduit le comptable à l’autonomiser sous la forme d’un chapitre spécifique. En 1340-1341, on note ainsi, pour la première fois, un chapitre “des dépenses faites pour les prisonniers” (per los despens daus preygoniers) qui rassemble 40 items détaillant les paiements hebdomadaires du pain, sans qu’on sache si ce sont les mêmes qui sont détenus. De même, les travaux d’ampleur suscitent parfois la création d’un chapitre particulier, en 1328-1329 par exemple77. En 1366-136778, puis à nouveau en 1382-138379, semble se dessiner une gestion plus méthodique des types de dépenses sous la forme d’un chapitre spécifique dédié aux prisonniers, d’autant que chaque fois, ce chapitre ne comporte qu’un item qu’on a extraie volontairement du fach de juridiccio pour le mettre en évidence ; ce chapitre apparaît aussi lorsque la prison est utilisée plus intensément, comme en 1397-139880. Néanmoins, durant la première moitié du XVe s., c’est principalement le chapitre dédié à la juridiction qui intègre les dépenses de la prison ; un chapitrage plus finement ordonné et durable se met en place parallèlement sur d’autres sujets qui apparaissent essentiels au consulat ; cette logique comprend les dépenses carcérales qui sont à nouveau autonomisées en 1454-145581 et semblent l’être encore par la suite. Si l’étude demande à être élargie à l’ensemble des chapitres de la comptabilité, il appert toutefois qu’une culture administrative comptable se constitue avec une rationalisation progressive des comptes. Toutefois, la logique valorisant l’action des édiles persiste avec un regroupement pêle-mêle de tout ce qui relève du pouvoir et de l’identité de la juridiction consulaire.
Utilisés dans les titres mais aussi dans les items relatifs à la prison, les termes despens (dépenses), baylas (versements) et messio (frais) ont un sens générique : ils révèlent une logique comptable n’ayant pas vocation à détailler ce qui a été dépensé mais combien l’on a dépensé. Le titre du chapitre “des dépenses faites pour les prisonniers” valorise l’action consulaire par le menu, alors que le contenu réel des items se réduit à la fourniture du pain. Privé de ressources propres, les prisonniers sont nourris par le consulat, le pain étant acheté sur les deniers publics. Je ne pense pas qu’il faille considérer cette distribution gratuite de pain comme une expression charitable. En effet, le comptable ne manque jamais de souligner la charité de l’institution voire la sienne lorsqu’il agit en dispensateur. Ainsi, Helias del Puey, maire qui assume aussi la tâche de comptable en 1434-1435, note : “Item je payais, ce que je donnais par amour de Dieu à un compagnon qui avait était mis au rayat et qui n’avait pas de quoi vivre : 1 s. 4 d. ”82. Par ailleurs, pour le torier, la fourniture de pain permet de nourrir le détenu et de le surveiller, mais elle a aussi une dimension symbolique car la nourriture ingérée est une offrande qui peut aider à réparer le prisonnier, comme les espèces nourrissent le chrétien.
Les individus incarcérés sont donc soumis à un régime pénitentiel constitué de pain (pa) et d’eau, cette dernière, on l’a dit, n’étant pas signalée car elle ne génère pas de frais. En 1397-1398, le comptable achète une jarre de terre cuite pour porter le vin aux prisonniers83, ce qui indique, peut-être, la volonté de leur donner une alimentation plus roborative, afin qu’ils se fortifient et résistent mieux aux conditions carcérales misérables. D’autres dépenses en vin ne concernent pas directement les prisonniers, mais le torier prélève sans doute un peu de ce vin livré au consulat pour lui et les détenus84. On recense une seule mention d’achat de viande pour deux prisonniers incarcérés pour vol85 ; une nourriture plus variée est apparemment distribuée aux prisonniers de guerre, qui la financent par leur réseau de sociabilité. Ainsi le comptable rembourse Itier de Manha et Guilhet de Barriera qui avaient acheté en vi e en charn pour 14 l. 9 s. et 2 d. pour une durée de 14 jours de vivres pour les hommes capturés par le sénéchal près de Saint-Astier en 1346-1347 et détenus au consulat86. Les personnes capturées pendant des opérations militaires bénéficient également des distributions alimentaires des fêtes de charité87.
Le cachot et les étages carcéraux ne semblent dotés d’aucun équipement de confort (aisances, éclairage, ventail des baies88). Des faix de paille (fais de gluyos) sont livrés à la tour, et donc certainement à l’attention du torier mais aussi des prisonniers89. Néanmoins cet achalandage ne paraît pas systématique, à moins, encore une fois, que le gardien n’en prélève sur les stocks de la maison commune pour la litière des captifs et que cela échappe au comptable. L’éclairage (lum, chandellas) est également signalé pour la garde90, mais il est fort probable que le torier se serve également des chandelles achetées pour la maison commune. Une seule mention détaille un usage qui vaut pour toute la période et dans laquelle le comptable se donne le beau rôle :
“Item, je payai pour 15 livres et demie de chandelles, qui furent consommées quand les prisonniers se tenaient en prison, quand on leur portait à manger et que je leur laissais à cet effet la lumière allumée, et quand ils soupaient, et lorsqu’on entrait chaque jour pour voir et visiter s’ils ne s’évadaient point de leurs fers ni ne trouaient jamais la tour, et pour éclairer également à trois ou quatre reprises les maçons qui réparaient certains trous qu’il y avait à la voûte de la tour, et la livre de chandelle coûtait 2 ardits, montant tournois : 10 s. 4 d.”91.
En revanche, les comptes sont plus loquaces sur les personnes qui alimentent les prisonniers avec le pain qu’elles avancent ou que le comptable fait acheter (469 items sur 842, 55,7%), ce qui nous permet d’aborder la question des visites aux détenus. En temps ordinaire, cette mission nourricière est dévolue au torier (389 items, 82,9% des 469 items documentés) ; lorsque les captifs sont nombreux, comme par exemple en 1346-1347 (30 prisonniers), il est aidé par son épouse ou par un ou plusieurs sirvens (28 items) et, lorsqu’il est absent, il est remplacé par un ou deux sirvens ou par sa femme (17 items). Ainsi en 1331-1332, on peut penser que le torier n’est pas là car Vidal lo sirven et Migo de La Branda – “qui détenaient les clefs de la tour”, précise le comptable – sont payés 12 d. pour le pain distribué aux prisonniers. Enfin, dans certains cas (35 items, 7,5 %), et sans que l’on sache ou puisse deviner si le torier est présent ou absent, ce sont d’autres membres de la communauté qui assurent cette tâche : des hommes et des femmes anonymes, des ouvriers qui réalisent des travaux à la tour ou même un consul sont payés, bien que l’on ignore s’ils ont dispensé eux-mêmes cette manne ou s’ils l’ont confiée au personnel habilité à circuler dans la prison.
Les modalités rédactionnelles décrivent plusieurs types de financement. Au XIVe s., coexistent deux types d’écriture. Près de 9/10e des items signalent une somme Y touchée par une personne X pour le pain des prisonniers (Item baylem a X, Y per pa aus preygoniers) ; on peut déduire de cette formulation que le comptable alimente une caisse à cet effet par le versement régulier d’argent. Par ailleurs, un gros dixième des items signalent que le comptable rembourse une personne X pour le pain qu’elle a avancé aux prisonniers pour une somme Y (Item baylem a X, per pa que avia manlevat aus preygoniers : Y). La coexistence de ces pratiques peut signaler des problèmes de provisionnement des fonds destinés à l’alimentation des prisonniers. Peut-être l’entourage proche du détenu intervient-il jusqu’à l’orée de l’espace carcéral pour assurer à un parent une condition meilleure ? Les comptes n’indiquent pas les liens de parenté entre les prisonniers et les personnes qui les alimentent. Les membres de la communauté urbaine peuvent également être mus par des motivations charitables (œuvres de miséricorde incitant à visiter et nourrir les malades et les prisonniers)92. Toutefois, cette pratique ne repose pas sur un don gratuit : les denrées alimentaires sont remboursées par le comptable et c’est souvent le torier lui-même qui assure l’avance des frais de nourriture. La logique gestionnaire apparaît en certains cas implacable lorsque le comptable stipule ne rien devoir dépenser car “quelqu’un de cette ville leur donna déjà à manger pour 2 s.”93.
L’alimentation des détenus est la dépense récurrente de la prison et constitue un véritable budget géré, au XIVes., par le torier qui aministrava los despens a hops daus pregoniers qui eran en cossolat94. Ce mode de gestion perdure au moins jusqu’en 1382-1383 (CC68) mais, à partir de 1397-1398 (CC69) – date à laquelle le torier perd la garde exclusive des clés – le comptable ne passe plus par le torier mais paye directement le pain, le sel, l’usage du four et l’œuvre aux boulangers et boulangères qui le fabriquent95 : l’emprise du comptable progresse aux dépens des missions du torier ; ce dernier continue à distribuer le pain, mais il n’en gère plus le budget.
Les conditions de vie des prisonniers (inconfort, entraves, régime alimentaire austère) sont difficilement restituables même si l’on peut imaginer qu’elles varient en fonction des saisons, du statut des captifs, des personnels et de la conjoncture des crises à partir des années 1340 (peste, guerre, récoltes). Le recensement des prisonniers morts en détention (pregonier/layro/home anonyme qui murit en la tor) témoigne de la précarité de la vie carcérale. Parmi la dizaine de cas, celui du fils de Johan del Janest, décrit par le comptable Jean Nebot en 1382-1383, suggère le rôle des mauvaises conditions carcérales dans la mort du détenu :
“Item, je payai pour le fils de Johan del Janest, de Bassillac, lequel fut mis au consulat pour quelques délits qu’il avait faits, et il tomba malade et je le fis garder 4 jours au consulat lorsqu’il mourut, et cela couta le montant de 8 s. 4 d.”96.
Il est probable que l’argent ait ici servi à acquitter les frais de sépulture du défunt97, façon pour le consulat de se racheter en se montrant économiquement solidaire de la famille du défunt, lorsque ce dernier est un prisonnier commun. Il lui arrive aussi de faire creuser une fosse à Écornebœuf pour les larrons mis au ban du cimetière chrétien98. En tout état de causes, les conditions insalubres sont un motif d’évasion.
De l’arrestation à l’évasion : le réseau sémantique carcéral
Autour du mot preyzo gravite un ensemble de substantifs, de verbes et d’expressions, mais pas d’adjectifs ou d’adverbe permettant d’apprécier le traitement des détenus. Ces mots s’articulent au sein d’un réseau sémantique illustrant la chaîne opératoire arrestation/détention/libération ou évasion. Si l’on s’attarde sur les verbes d’action, on constate que, dans la phase d’arrestation, le verbe prendre est le plus fréquemment employé : il manifeste l’appréhension au corps d’un coupable ou d’un ennemi au nom de l’autorité consulaire et le projette déjà vers la destination carcérale (preyzo). Arrestar est moins usité et se réfère plutôt à une rupture temporelle qui brise l’usage libre du temps en le soumettant à un arrêt forcé, à une mise entre parenthèse, à une suspension de la liberté, sous contrôle du consulat ; le coupable peut y souscrire en se constituant lui-même prisonnier (vener arrestat), il ne peut s’y soustraire lorsqu’il est retenu (estar arrestat)99.
Dans le temps de la détention s’agencent les rôles passif du prisonnier (estar en preygo : rester, se tenir en prison), réduit à un état captif (esser : être), et actif du consulat confiant à son torier et ses sirvens la mission de gardar, qui consiste à garder, surveiller, guetter (se rapportant alors au gach/guet), mais aussi à veiller, conserver, entretenir les prisonniers (rôle nourricier). D’autres verbes moins fréquents marquent une forme de réification des détenus, une dépendance absolue de ceux qui sont placés dans la main de ceux qui les tiennent (tener) et qui doivent aussi veiller sur eux (veilhar). Dans cette phase, les attitudes sont complémentaires car le lieu d’incarcération implique de cohabiter.
Au moment de la libération, les points de vue deviennent antagonistes. Lorsque cette dernière est décidée par l’autorité consulaire, elle apparaît plus souvent comme une purge : gitar de (libérer) ou gitar fora de preyzo (faire sortir de prison) marque la volonté du consulat de se débarrasser du corps d’un individu qui lui a nui. La métaphore du corps employée dans cette interprétation se réfère à l’imbrication spatiale de la prison au sein de la maison commune : la prison n’est pas un réceptacle de nuisibles, mais un organe qui en assure l’évacuation au moyen d’un purgatif que l’on peut assimiler aux règles et aux lois du pouvoir consulaire. Il arrive aussi que les prisonniers soient remis en liberté (tornar en franchisa), plus rarement encore que le consulat reconnaisse une erreur judiciaire et rende, voire réhabilite (reparar) un prisonnier, indûment enfermé. Les mentions des évasions décrivent le mode opératoire (crebar lo mur : percer, trouer un mur) et s’inquiètent de la fracturation du lieu, qui porte atteinte à l’institution elle-même (crebar la tor / la preygo del cossolat), ce qui est puni très sévèrement. D’autres verbes rendent compte de l’indéfectible état de faute des évadés (se panar : s’évader, formé à partir de panar : voler, dérober) ou de la chance dont ils ont su profiter (se n’issir : s’évader, s’en sortir, formé à partir d’issir : sortir, partir).
Dans cette chaîne opératoire, l’évasion apparaît comme une forme d’atteinte majeure au pouvoir consulaire100. Sur la dizaine de cas documentés, les modes opératoires sont multiples et se jouent de la vétusté du lieu, de l’élargissement des embrassures de baie à celle des planchers pourris. L’évasion bafoue l’image de l’institution qui doit rétablir son autorité et restaurer sa fama par deux biais, d’abord en effectuant des travaux et en perfectionnant les systèmes d’entrave, ensuite en réparant l’outrage par divers biais. Deux exemples illustrent les modalités de réparation : la punition du torier et la recherche des évadés. En 1407-1408, quatre prisonniers détenus en la tour sur ordre de Jaque de Ris, lieutenant du connétable de France, s’évadent en crevant un plancher de la prison ; le torier Arnaut de Carcassona ayant failli à sa mission “est pris à leur place” et emprisonné pendant 56 jours ; le comptable s’acquitte alors de la pitance du torier qui n’a plus de quoi vivre. Ce cas pourrait ressortir de la logique châtiment/rachat mais aussi apparaître comme une forme d’enfermement par substitution des détenus. En 1428-1429, le comptable maître Helias Fayart paie la boisson de trois hommes qui, en compagnie des consuls Aymeric de Merle et Jonisso de Rolet, “suivirent Esteve Robbert qui avait rompu les prisons du consulat et s’était défait de ses fers”101. On ignorerait tout du dénouement de cette histoire si l’on demeurait captif de la logique comptable. Or, par chance, le Petit Livre noir transmet un souvenir ample, précis et pérenne de ce cas, qui montre que le consulat peut se montrer plus clément malgré l’injure faite à son autorité102.
Reprenons cette affaire rocambolesque depuis le début, par le biais de la notice du Petit Livre noir. Elle relate comment, lors de la semaine de la Quasimodo (11 avril 1429), Esteve Robbert, appelé Lo Camus, fut arrêté pour avoir volé à R. de Saint-Esperit deux écus avec lesquels il escroqua la femme de Pero de Belet103. Il fut une première fois pris et mis aux fers au rayat pendant un “grand temps” puis, à la demande de Bonota de Chaumont, qui avait promis de l’emmener loin du pays de Guyenne, il fut libéré de ses fers par les consuls, qui lui firent jurer sur les évangiles de ne pas s’échapper du rayat. Quelques jours après, le Camus s’évada par une ouverture “sans dire adieu”, puis gagna Bergerac, puis Bordeaux, revint à Bergerac et près de la ville de Périgueux. Les consuls en éprouvèrent “une si grande crainte et un si grand mal” qu’ils entreprirent de le capturer – c’est ici qu’il faut insérer l’information de l’item comptable sur la dépense de 1429. Ils le firent prendre le 1er septembre et le mirent aux fers au fond de la tour. Plusieurs notables de la ville se portèrent alors caution pour lui, pour qu’il s’engageât à ne rien commettre envers quiconque et à quitter le pays pour une durée de 10 ans. Le conseil accepta cet arrangement à son de trompe et relaxa le détenu la veille de la Saint Martin 1431, après une incarcération que l’on peut estimer à deux ans.
Cette notice montre un pouvoir consulaire apte à la conciliation lorsqu’il est saisi par les notables de sa propre oligarchie, et ouvert à la discussion sur le sort d’un détenu pour imaginer une forme d’écrou plus lâche. Pourtant cette notice est muette sur le temps d’emprisonnement : le prisonnier est mis dans une parenthèse temporelle, le temps carcéral n’existe pas ou peu aux yeux du pouvoir, il s’écoule seulement dans le sablier de l’argent dépensé. Par ailleurs, la prison et le bannissement apparaissent comme deux formes complémentaires d’enfermement, l’un dans un espace clos, au sein de la juridiction, l’autre en espace ouvert, en dehors du détroit municipal. La prison est le réceptacle des membres qui vont être réintégrés à la communauté, qu’il s’agisse d’êtres humains mais aussi d’animaux malfaisants104 ; les individus non réintégrables sont bannis, condamnés à quitter le territoire105, tel Esteve Robbert. Toutefois, tous les prisonniers ne sont pas enfermés dans la prison : si un homme de la communauté se porte garant de leur engagement, ils peuvent aller et venir dans la juridiction municipale, voire au-delà, sans être toutefois considérés comme libres, ce que suggèrent les sauf-conduits de prisonniers délivrés par le consulat106.
À partir des années 1420, des items mentionnent la délivrance de salconduch de preisonier pour des personnes qui, avant d’être capturées, travaillaient dans d’autres villes (commerce, artisanat, activités de change)107 ou pour des personnes de la communauté périgourdine qui détiennent des sauf-conduits de prisonniers108. Ces papiers sont délivrés pour une durée déterminée de sept semaines109 et sont apparemment renouvelables. Pour le consulat, cette pratique de l’emprisonnement ouvert permet de maintenir des relations commerciales avec d’autres lieux et communautés, tout en engageant des recettes pour la délivrance des papiers. Ces cas, à rapprocher de ceux étudiés par Martine Charageat en péninsule Ibérique, montrent que l’espace carcéral, du point de vue du consulat, ne se limite pas à l’espace clos de la prison110 : le consulat envisage, au moins à partir du XVe s., d’autres formes d’incarcération, au-delà même de son territoire juridictionnel, telle la “prison” en espace ouvert, qui permettent de concilier contrainte et bienfait. Ces cas restent toutefois rares ; le système carcéral périgourdin demeure fondé sur des relations humaines de coercition et de sujétion en milieu fermé, qui ne peuvent fonctionner sans le gardien.
L’office de torier
Le torier est l’un des rares offices consulaires dont la genèse peut être rattachée à une activité précise, la garde de la tour. La fonction pourrait avoir été pensée au moment même de la construction de l’édifice, à la fin du XIIes., à l’époque de la genèse politique de la communauté, bien que les lacunes documentaires interdisent de l’affirmer avec certitude. Au début du XIVe s., au moment où il apparaît dans les sources comptables, l’office semble déjà assez bien circonscrit. Le très grand nombre d’informations collectées à son propos outrepasse largement les limites de cette contribution : l’ensemble de la documentation doit être étudiée en détail afin d’estimer la place du torier au sein du personnel consulaire111. Je me limiterai ici à déterminer ses missions, à livrer quelques réflexions à partir de la prosopographie de l’office et à tracer quelques lignes directrices concernant l’évolution de ses fonctions.
Le premier des sirvens : double mission, double traitement
Si l’on peut qualifier d’emblée le torier d’office, c’est parce qu’il est nommé et rétribué par le consulat pour remplir un service (sirventia). Il fait partie des sirvens et, en ce sens, il fait plus fonction de serviteur ou d’agent subordonné que de sergent ou d’officier de justice subalterne, rôles trop restrictifs au regard des fonctions observées. Bien que le nombre de sirvens fluctue régulièrement d’une année à l’autre112, le torier apparaît de façon pérenne comme un homme du consulat qui, à la différence des élus (maire, consuls) et des sages électeurs (prud’hommes), fait partie du personnel de la maison commune et dont la charge s’exerce souvent sur plusieurs mandatures, même si le système de nomination des agents du pouvoir reste encore à éclaircir.
Le torier exerce plusieurs missions associées aux deux dispositifs de la tour : la prison et la cloche. Du point de vue comptable, des émoluments lui sont versés au titre de sa sirventia et de son toratge113, mais, dans les faits, ses missions sont plus larges. Le toratge désigne la garde de la tour, car le gardien veille sur le lieu comme sur les personnes. Le terme, étymologiquement centré sur la tour, est cependant trompeur car, dans un sens élargi, il désigne la garde de la maison commune – dont la tour est certainement le noyau initial ; par extension, le torier veille sur tous ceux qui s’y trouvent, à commencer par le maire et les consuls. Au XIVe s., toratge qualifie la garde des lieux et des hommes, libres ou captifs, de la maison commune ; au XVe s., il semble se concentrer plus fermement sur le consulat114, tandis que la mission de geôlier est plus fréquemment désignée de façon autonome (“garde des prisons”)115.
La sirventia du torier est associée à la garde (gacha) de la ville116 et à la cloche consulaire (senh). Le guet urbain est commandé par deux édifices du Puy-Saint-Front : le clocher de la collégiale Saint-Front, lieu le plus élevé, et la tour du consulat, moins élevée, mais dont la cloche sert à convoquer les gardes. En 1407-1408, dans un contexte de pression militaire, le torier Arnaut de Carcassona est rémunéré une livre pour la demi-année durant laquelle “il a sonné la cloche du consulat, le soir pour que ceux qui devaient faire le guet s’y rendent aussitôt, et le matin également pour qu’ils ne puissent le quitter que lorsque la cloche serait sonnée”117.
Les missions du torier sont donc plus diverses que la double terminologie (toratge, sirventia) ne le laisse supposer. La logique gestionnaire en tient compte au-delà même de ces deux missions car elle rétribue très souvent le torier le double des autres sirvens, voire plus. Ces rémunérations sont exprimées dans trois chapitres de dépenses que l’on retrouve de manière relativement stable dans les cahiers dépouillés : il s’agit d’abord des offrandes (proffertas, plus rarement pagas) distribuées lors de quatre fêtes religieuses qui scandent l’année (Noël, Pâques, Pentecôte et Toussaint). Quels que soient le nombre de sirvens et le montant de l’étrenne, le torier touche double proffertas. Ainsi, en 1328-1329, neuf sirvens touchent 5 s. tandis que Petit lo sirven est gratifié du double quar era torier118 ; en 1346-1347, sur les 18 sirvens, 17 touchent 4 s. aux quatre fêtes, tandis que le torier G. Cortes en reçoit 8119.
Vient ensuite, de façon plus irrégulière, l’achat de tissu pour les livrées (raubas) des sirvens et, là encore, le torier reçoit une part supérieure : “je payai pour 17 coudes et demi de drap vermeil que je donnai à 7 sirvens, à chacun 2 coudes et demi, et 3 coudes d’avantage que j’achetai pour le torier Arnauto, ainsi qu’il est accoutumé” précise le 5 décembre 1398 le comptable Forto de la Vayschieyra120. Les items relatifs au vêtement demandent des recherches complémentaires. La quantité reçue par le torier suggère peut-être deux tenues vestimentaires ; d’autres items signalent qu’il porte un vêtement rayé (rayat, vetat), d’autres encore un vêtement parti de couleurs… en somme, un beau dossier à étudier à la lumière des travaux de Michel Pastoureau121. Il semble toutefois que la tenue vestimentaire mette en évidence la double fonction de l’office et sa double valence, en articulant, par les couleurs et la façon, ses dimensions méliorative (veiller sur le consulat et la ville) et dépréciative bien qu’au service de l’utilité publique (surveiller la prison).
Enfin, le chapitre du fach de juridiccio enregistre aussi la rémunération du torier. On ne peut pas la comparer à celle des autres sirvens car le rôle de chacun est distinctement rétribué122. Il s’agit d’un salaire, tant dans la terminologie employée (salari) que dans les faits. Il est associé à l’exercice du toratge et constitue la somme d’argent remise au titre de son travail. Son montant fluctue en fonction du service à rendre à la maison commune ; la partie la plus fluctuante de ce travail pourrait être associée aux activités plus ou moins denses de la prison. Les salaires versés à W. de Born sont de 12 s. en 1335-1336123, 21 s. 8 d. et une maille en 1336-1337124, 60s. en 1339-1340125 et atteignent 2 l. 12 s. l’année suivante126. Le salaire du torier ne semble pas versé de manière régulière et annuelle. Ainsi l’activité de W. de Born, pour l’année 1338-1339127, ne donne lieu à aucun salari ; cela pourrait expliquer les sommes postérieures plus conséquentes, intégrant salaires et retards.
Approche prosopographique de l’office
L’approche prosopographique de l’office permet de dresser un certain nombre de constats (fig. 9) même s’il s’agit d’un travail en cours. On recense approximativement 27 individus qui occupent la charge sur un siècle et demi. Il est difficile de déterminer le nombre exact de toriers : s’il apparaît nettement que Guilhem de Born, G. lo torier et W. lo torier désignent le même individu, actif entre 1334 et 1340, rien ne confirme encore que P. lo torier (1325-1326) et Petit lo sirven (1328-1329) sont une seule et même personne. Les hésitations portent essentiellement sur les personnes dont le nomen proprium n’est constitué que de prénoms ou d’initiales confinant à l’homonymie128 et auxquels la fonction de torier/sirven est attachée à la façon d’un sobriquet, ce qui en dit beaucoup sur le poids de l’office qui pénètre la sphère anthroponymique au même titre que les noms de métier.
Le tableau (fig. 9) présente une recension chronologique de l’office qui appelle plusieurs remarques. La première est que, malgré les lacunes documentaires, l’office est d’une pérennité remarquable. Indispensables au consulat, le gardien et sa tour font fonction de basse-continue dans la partition du pouvoir consulaire et transcrivent la volonté de faire perdurer l’action publique. L’office n’est jamais vacant et, lorsque le torier est absent parce qu’à Auberoche129, Aubeterre130 ou encore Paris131, le consulat (ou le torier ?) confie à un sirven les clefs de la tour et la mission de surveillance des détenus. Le prisme des cahiers de compte fait qu’on ne saisit que ses “voyages professionnels” financés. Il est toutefois possible de mieux saisir sa mobilité en considérant les individus qui, un moment, le remplacent, et cela arrive régulièrement. Les comptables précisent alors systématiquement que tel ou tel individu tient les clefs de la tour, sans porter le titre de l’office132. La présence du torier au consulat marque une conception encore matricielle de l’espace-temps vécu par les hommes et femmes du Moyen Âge : pour que le système fonctionne, il faut que lieu (tor) et temporalité (présence du torier) demeurent associés.
La deuxième série de remarques concerne la durée variable d’exercice de l’office. Jusqu’au milieu des années 1330, la charge dure souvent un an, comme si elle s’égrenait au pouls annuel des élections consulaires. Certes, on note que Marquafava a d’abord occupé le poste en 1331-1332 puis à nouveau en 1334-1335, ce qui montre un certain intérêt pour la fonction, mais Bonet, P. d’Eschiduelh ou Helias de Barri ne se maintiennent qu’un an. Pour certaines années, on recense plusieurs toriers : cela ne signifie pas un partage de l’office entre plusieurs individus mais une succession rapide de personnes dans le temps. En 1334-1335, le torier Marquafava tombe malade et meurt133, il est alors remplacé par Guilhamot, qui ne reste que peu de temps et cède la place, pour une raison inconnue, à Guilhem de Born134. À ces années de forte rotation de l’office, faisant écho au climat paisible de la forte croissance démographique et urbaine, succède, à partir du service de Guilhem de Born (1335-1340) et jusqu’au milieu du XVe s., une longue période marquée par des individus qui s’installent plus durablement à la tour. Le contexte militaire suscite en effet un besoin accru de sécurité, et donc une certaine pérennité des individus qui occupent la fonction, peut-être en lien avec un changement du mode de désignation. Exceptée l’année 1340-1341 qui voit se succéder trois toriers, on dénombre 7 individus en poste pendant 2 à 5 ans, deux pendant plus de 6 ans et enfin deux cas exemplaires, l’un de 15 ans pour Aymiric Vigier dit Grazisso (1366-1382) et l’autre autour de la famille Carcassona qui sert à la tour de 1398 à 1455. La durée d’exercice exprime le besoin de l’autorité consulaire de s’appuyer sur des êtres fiables, dont la fidélité et l’expérience garantissent la sécurité.
Sorte d’unicum de l’histoire pénitentiaire, le cas de la famille Carcassona est exceptionnel. Résumons les principaux aspects de leur singulière trajectoire. Le père, Arnaut de Carcassona dit Arnauto apparaît en 1397-1398 comme sirven. L’année suivante, il devient torier et l’on apprend qu’il est marié, à l’occasion du dîner offert pour le jour de Mardi Gras. En 1407-1408, il est emprisonné à deux reprises pour avoir laissé s’échapper des prisonniers et pour avoir voulu quitter son office ; c’est certainement dans ce contexte que son épouse Arnoutona est officiellement qualifiée de torieyra et rétribuée en conséquence. Elle ne semble que palier temporairement l’incapacité de son mari qui reprend ses fonctions, une fois libéré. Le consulat ne dispose alors que d’une poignée de sirvens (entre 2 et 5), et il est fort probable qu’Arnauto cumule les charges de torier et d’arbalétrier du consulat (balestier), ce qui renforce son rôle et celui de son épouse. Le consulat effectue pour elle des achats vestimentaires, notamment un chaperon (chapeyro), signe de reconnaissance de ses fonctions. C’est par ce biais qu’on apprend, en 1429-1430, l’existence de leur fille, Jordo, pour laquelle le comptable s’acquitte d’une coudée de drap. À partir de 1435-1436, seul Arnauto bénéficie des offrandes des quatre fêtes, mais son épouse et leur fille reçoivent avec lui des traitements vestimentaires. Les activités d’Arnauto ne sont plus exclusivement tournées vers son toratge et sa sirventia : il est rémunéré pour diverses missions et c’est peut-être cette diversification qui explique que son épouse reprenne alors durablement le rôle de torieyra, terme qui apparaît jusque dans le titre des chapitres consacrés aux livrées. Le dernier témoignage du torier vivant remonte à 1442-1443, année qui témoigne également de l’implication de sa fille Jordo dans l’entretien de la tour. En 1446-1447, alors qu’Arnauto semble être déjà mort, le consulat ne nomme pas un sirven à sa place, mais confie l’office aux parentes du défunt. Pendant quelques d’années, la charge est exercée concomitamment par la mère et la fille, mais seule Arnoutona est désignée comme torieyra. Jordo se lance alors dans une affaire qui fait polémique : pendant sa grossesse, elle installe une boulangerie au consulat, peut-être pour approvisionner les prisonniers et augmenter ses revenus. L’autorité municipale la force à s’en départir. On ne trouve plus trace d’Arnoutona à partir de l’exercice de l’année 1449-1450 ; sa fille exerce en tant que torieyra jusqu’en 1454-1455, année où elle tombe malade et meurt.
Le cas de la famille Carcassona est exemplaire à trois titres : 1. la durée d’exercice, 2. la transmission de l’office au sein de la famille, qui s’apparente à une forme de patrimonialisation135, 3. l’exercice d’un office par une femme, jugée apte par le pouvoir consulaire à participer à l’exercice de la justice. L’enquête prosopographique doit être poursuivie et complétée pour évaluer plus précisément le rôle des femmes. Si Arnoutona est la première torieyra dont on connaît précisément l’identité, on peut noter un précédent anonyme en la molher de Johan de La Porta qui era torieyra en 1397-1398, pendant l’absence de son époux136. Les cas invitent à bien distinguer les épouses de torier (molher deu torier) – dont la rémunération prouve que leur rôle est reconnu, tout comme les frais de leurs funérailles pris en charge par le consulat137 – de celles qui portent, dès l’extrême fin du XIVe s., le titre de l’office, féminisé à dessein. L’expérience et la fidélité éprouvée semblent être des critères plus déterminants que le sexe.
L’évolution de l’office de torier : un factotum, vecteur de l’autorité consulaire
On a déjà évoqué deux évolutions significatives qui restreignent les missions du torier : la mainmise du comptable sur les dépenses alimentaires de la prison au cours des années 1380-1390 et, à partir de 1397-1398, la gestion conjointe de la cloche consulaire par le maire et le torier. Il faut néanmoins replacer ces deux ruptures dans une perspective plus large.
Les évolutions les plus anciennes constatées concernent l’implication du torier dans l’organisation des fêtes de charité. La charité est la principale confrérie consulaire qui tient une place essentielle dans la genèse politique du gouvernement. Organisée sous la forme d’une confraternité gérée par des bayles au XIIIe s., sa gestion passe entre les mains du pouvoir consulaire au cours du XIVe s., ce dont témoignent les séries comptables. Les distributions alimentaires et les aumônes réalisées à Pentecôte et Mardi Gras sont accompagnées de prières et de manifestations festives (courses, repas). L’organisation de ces événements mobilise les membres, l’argent, les produits alimentaires et le matériel de la communauté. Jusque dans les années 1330, pour les courses de Pentecôte et de Mardi Gras, les lisses du Pré-de-l’Évêque sont érigées, hors les murs, par des particuliers138. Puis, à partir du milieu des années 1330 et jusque vers 1370, cette mission est confiée au torier 139. Le consulat, voire le torier lui-même, a pu s’approprier cette mission en bon expert des espaces clos ! Si on ne le trouve plus ensuite rémunéré pour cette tâche, c’est moins parce qu’il l’a abandonnée que parce que son mode de rémunération a changé. En effet, c’est au même moment que le torier, son épouse et les sirvens sont associés aux dîners festifs des charités140. La logique comptable se transforme dans le dernier quart du XIVe s. : alors qu’elle mettait en valeur les individus au service du consulat par la rétribution de leur travail, elle met désormais en valeur le consulat qui gratifie ses serviteurs. Il faudra confirmer, nuancer ou infirmer cette lecture par une analyse plus approfondie, l’étude de l’évolution des missions du torier ne pouvant être conduite sans interroger les transformations des pratiques scripturaires et comptables auxquelles ces évolutions sont liées.
D’autres domaines, plus épars, manifestent l’évolution sensible de l’office. Tout d’abord, le torier participe épisodiquement aux travaux diligentés par la ville : au XIVe s., il est rémunéré pour une participation active (enlèvement des ordures, aménagement d’un batardeau)141, puis, à partir de la première moitié du XVe s., il est mis à contribution pour quérir des hommes et des animaux devant effectuer ce type de travaux142, rôle plus conforme à sa position d’autorité. La torieyra est, quant à elle, régulièrement rémunérée pour l’entretien de l’auditoire du consulat et d’autres salles de la maison commune, ou pour de menues tâches occasionnelles. Le couple participe à plusieurs reprises à l’entretien de la tour (réparer la corde de la cloche, porter des tuiles aux couvreurs, etc.), ce qui semble relever de leur office, mais les rétributions complémentaires qu’ils reçoivent donnent l’impression qu’ils font aussi fonction de factotum. Les derniers changements observés posent des problèmes d’interprétation notamment parce que le dépouillement des comptes n’est pas encore achevé et qu’on ignore si les nouvelles missions exercées par Arnaut de Carcassona perdurent après sa mort : Arnauto est ainsi rétribué pour plusieurs activités en lien avec ses compétences professionnelles, mais exercées en dehors de la tour. Il s’agit de prérogatives majeures qui confortent ses liens avec le groupe politique : il aide à la tenue des assises143, il garde la porte d’un particulier144, il intervient pour lever la taille145 et va quérir les électeurs des futurs consuls146. Son rôle dépasse ici nettement l’espace carcéral et atteint les sphères fiscale et politique.
Enfin, il faudra étudier plus précisément les listes des hommes du consulat contenues dans les comptabilités et dans le livre mémorial (ordre énumératif, mise en page)147 pour déterminer comment les scribes d’archives148 se représentent le groupe humain en charge du pouvoir. Un bref survol des sources montre que les sirvens sont les derniers de la liste (maire, consuls, agents de justice, de comptabilité et de clergie, sirvens), mais qu’ils forment aussi le socle sur lequel repose l’édifice administratif et politique. Dans ces listes de sirvens, les agents communs ne sont désignés que par leur prénom et nom, tandis que les serviteurs plus éminents sont distingués par leur office, parmi lesquels le torier, le sonneur de trompe (trompador) et le bourreau (servicial, borrel) sont les plus fréquemment cités149. À partir du dernier quart du XIVe s., cette énumération est le plus souvent notée dans cet ordre : torier, trompador, servicial. Les prérogatives judiciaires sont celles qui sont les plus incarnées parmi les sirvens et symboliquement les plus fortes ; elles s’inscrivent au commencement et à la fin de la liste et forment la clef de voûte de l’autorité consulaire.
Conclusion •••
Au terme de ce parcours, on peut tenter de mesurer les effets de source qui pèsent sur l’étude historique de la prison périgourdine. Les archives, la comptabilité et la justice consulaires s’institutionnalisent progressivement au cours des XIIIe-XVe s. parce qu’elles exercent de façon permanente des fonctions déterminées, s’ancrent dans des lieux, sont servies et tenues par des hommes et produisent des écrits qui ne sont plus simplement amassés et conservés, mais structurés et souvent réorientés au fil du temps150. Dans le paysage des institutions consulaires, la prison n’arrive pas à se hisser au rang d’institution : bien que remplissant les critères temporels, fonctionnels, topiques et humains énumérés, elle ne produit pas d’écrit, encore moins d’archives, et ne peut donc maîtriser ni son image ni sa mémoire. Dans la dénomination des livres municipaux périgourdins, aucun manuscrit centré sur la prison (registre d’écrou par exemple) ou produit par un torier n’est recensé parmi les archives conservées, ni parmi la liste des 24 livres perdus que j’ai pu reconstituer. Il faut néanmoins nuancer cette assertion et préciser que si la prison ne produit pas d’écrits durables et conservés, elle en génère des plus éphémères. À travers les items itératifs de paiement du pain qui, pour certaines années, dépassent les 100, on peut présumer l’existence d’un travail préparatoire à l’écriture comptable, impliquant que le torier soit en contact avec le comptable, qui prend des notes pour lui s’il ne sait écrire ou, s’il a un savoir de lettres et de chiffres, même minime, qu’il prenne lui-même des notes. L’existence de notes ou de cédules paraît probable, même si aucun de ces écrits n’a été conservé. La prison et le torier demeurent en marge de la littératie et de la numératie. Leur perception est modelée sous l’angle pragmatique par les comptables, qui contrôlent et justifient les frais de fonctionnement carcéral, et par les clercs de ville qui inscrivent les faits les plus mémorables pour qu’ils servent de repère et de guide à l’action consulaire et d’exemple à la population.
Et pourtant, aucune des institutions municipales ne sauraient exister s’il n’y avait pour point de départ la communauté urbaine, un projet politique et la tour pour leur permettre de se fixer. Jusque vers 1240, l’étroite imbrication de la tour et du corps consulaire montre leur action symbiotique. La construction de la maison du consulat extraie le corps politique de la communauté de la tour et participe de l’autonomisation fonctionnelle du lieu et de son gardien. La double mission de garde des prisonniers et de la communauté se joue de l’étagement du lieu et des relations de l’espace clos à l’espace ouvert. Cette dynamique des rapports de la prison au consulat et à la communauté urbaine semble mature vers 1320-1330 et a bénéficié de la croissance démographique et économique du XIIIe s., qui culmine dans le premier tiers du XIVe s. Plusieurs facteurs contribuent ensuite à la faire évoluer, à commencer par les crises démographiques et les guerres. Les phases actives de la guerre de Cent ans ou les conflits locaux comme celui qui oppose les consuls au comte marquent l’espace urbain (asymétrie Cité/Puy) et laissent une empreinte réelle de violence, sans pour autant freiner les avancées en matière de gestion urbaine. Jusque vers 1370-1380, le cordon matriciel tour/torier tient bon et fait écho à la résistance du consulat face aux agressions répétées du comte et de l’évêque, qui souhaitent réduire son pouvoir au périmètre de l’enceinte, dans un contexte d’attaques répétées des troupes du duc de Lancastre (1345, 1356) puis, du fait du traité de Calais-Brétigny, de passage de la ville sous l’autorité d’Édouard III entre 1361 et 1368. Durant cette période, la tour est une pièce maîtresse de l’échiquier consulaire, lui permettant de résister et d’exercer son pouvoir sur sa juridiction. Le dernier quart du XIVe s. est une phase de transition et de transformation : le conflit entre le comte et la ville sur des questions fiscales se clôt par la victoire du consulat et la déchéance du comte. On observe, au cours de ces décennies, un basculement des logiques comptables, qui modifient en profondeur le fonctionnement de la prison en la plaçant étroitement sous la main du comptable. Les années 1400-1460 sont marquées par des pestes récurrentes, une déprise démographique et spatiale sans oublier les périls militaires qui poussent le consulat à investir massivement dans l’entretien des fortifications et l’achat d’engins de guerre. Il doit agir sur de nombreux fronts et maintenir durablement ses efforts. La figure exemplaire d’Arnaut de Carcassona participe à n’en pas douter de cette stratégie. Toutefois, c’est au cours de cette période que le pouvoir consulaire différencie de plus en plus la tour du gardien : il confie la tour à la torieyra, donne au torier de nouvelles missions qui le font sortir de la tour, mettant à profit l’autorité de l’homme représentant les consuls. La prison n’est pas une institution autonome, mais l’incorporation de la tour à la maison commune et du torier aux hommes du consulat montre que ce qu’elle représente et ce qui s’élabore en son for intérieur participent activement à l’expression emblématique du pouvoir consulaire.
Sources éditées •••
Les sources conservées aux Archives départementales de la Dordogne et éditées par le professeur et philologue occitaniste Jean Roux sont disponibles en ligne sur
http://www.guyenne.fr/ArchivesPerigord/Accueil.htm [consulté le 04/06/2021]
- Livre mémorial (Petit Livre noir)
- BB13 (1360-1449)
Série comptable
CC41 (1314-1315) CC42 (1320-1321, incomplet) CC43 (1322-1323, incomplet) CC44 (1322-1323) CC45 (1323-1324, incomplet) CC46 (1324-1325, incomplet) CC47 (1325-1326) CC49 (1328-1329) CC50 (1330-1331, incomplet) CC51 (1331-1332) CC52 (1332-1333) CC53 (1334-1335) CC54 (1335-1336) CC55 (1336-1337) CC56 (1337, incomplet) CC57 (1338-1339) CC58 (1339-1340) CC59 (1340-1341) CC60 (1346-1347) CC61 (1345-1346, incomplet) CC62 (1346, incomplet) CC63 (1352-1353) CC64 (1366-1367) | CC65 (1368, incomplet) CC66 (1371-1372) CC67 (1375-1376) CC68 (1382-1383) CC69 (1397-1398) CC69bis (1398-1399) CC70 (1400-1401) CC71 (1407-1408) CC72 (1415-1416) CC73 (1420-1421) CC74 (1427-1428, incomplet) CC75 (1428-1429) CC76 (1429-1430) CC77 (1430-1431, incomplet) CC78 (1434-1435, incomplet) CC79 (1435-1436) CC80 (1436-1437) CC81 (1442-1443) CC82 (1446-1447) CC83 (1447-1448) CC84 (1449-1450) CC85 (1453-1454) CC86 (1454-1455) |
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- Treffort, C., dir. (2015) : Le cimetière au village dans l’Europe médiévale et moderne. Actes des 35e Journées Internationales de l’Abbaye de Flaran, Valence-sur-Baïse (Gers), 11-12 octobre 2013, Toulouse.
- Vartier, J. (1970) : Les procès d’animaux du Moyen Âge à nos jours, Paris.
- Villepelet, R. (1908) : Histoire de la ville de Périgueux et de ses institutions municipales jusqu’au traité de Brétigny (1360), Périgueux.
- Vivas, M. (2015) : “Prope aut juxta cimiterium : un espace d’inhumation pour les “mauvais morts” (XIe-XVe s.)”, in : Treffort, dir. 2015, 193-215.
- Vivas, M. (2016) : “Aux marges du cimetière chrétien. L’inhumation des “mauvais morts” d’après les sources textuelles et les représentations figurées (XIIIe-XVe s.)”, in : Gaultier et al., dir. 2016, 313-317.
- Vivas, M. (2017) : “Les fourches patibulaires d’Écornebœuf dans les registres de comptabilité du consulat de Périgueux (XIVe s.)”, Documents d’Archéologie et d’Histoire Périgourdines, 30, 173-180.
- Vivas, M. (2019) : “Le bourreau dans les registres de comptabilité de Périgueux (XIVe-XVIIIe s.)”, in : Charageat et al., dir. 2019, 101-140.
- Wlgrin de Taillefer, H. (1826) : Antiquités de Vésone, Périgueux, vol. 2.
- Zaremska, H. (1996) : Les bannis au Moyen Âge, Paris.
Notes •••
- Pour une présentation détaillée, Gaillard et al. 2018, 1, chap. 5 à 7, 159-251.
- Archives Départementales de la Dordogne (désormais A.D. Dordogne), CC43 (1321-1322), fol. 20v à l’envers. On peut douter, dès cette date, qu’elle soit encore en usage car l’item rétribue quatre garçons qui y apportent la dépouille d’un lépreux mort.
- A.D. Dordogne, BB13, fol. 126v : in carceribus dicti domini episcopi quas habet in civitate Petrag. incarcerare, quare erant fracte et rupte.
- A.D. Dordogne, CC53 (1334-1335), fol. 7v.
- A.D. Dordogne, CC41 à CC86. Les élections consulaires ont lieu le dimanche qui suit la Saint Martin d’hiver (11 novembre), d’où le tuilage de deux millésimes pour chaque année comptable.
- En occitan, le terme est très polysémique. Il désigne des “sergents” ou officiers/agents d’une institution (royale, municipale, etc.), des serviteurs mais aussi des hommes d’armes.
- Heullant-Donat et al. 2011, 2015 et 2017.
- Je pense tout particulièrement au programme de recherche MSHA 2016-2020 “Des justices et des hommes : gibets, bourreaux et exécution en Europe (Moyen Âge – XXe s.)” coordonné par M. Charageat, M. Soula et M. Vivas.
- Voir notamment Mattéoni & Beck 2015 et, parmi les volumes de la revue d’histoire des comptabilités : Comptabilités 2012 et 2019.
- Les séries comptables périgourdines perdurent bien au-delà de l’année 1454-1455. Plusieurs raisons motivent l’arrêt du dépouillement au milieu du XVe s. : d’abord, le temps imparti pour cette étude, ensuite, le souci d’articuler au mieux la chronologie des comptes à celle du livre mémorial (1360-1449), enfin, le désir de suivre le cas très particulier des membres de la famille Carcassona impliqués jusqu’en 1454-1455 (cf. infra). On a également laissé de côté le cahier CC48 car il relève d’une autre logique comptable, non annuelle (récapitulatif des obligations souscrites par les maires et consuls envers les créanciers de la ville pour les années 1327-1367) ainsi que le cas extraordinaire de l’enfermement et de la répression des lépreux, qui marque l’année 1320-1321 et qui devrait susciter de nouvelles études à la suite des travaux de Bériac 1983.
- Vivas 2017.
- Gaillard et al. 2018, 2, 109-115 (notice “Consulat et bladeries” rédigée par C. Lacombe et É. Jean-Courret). Cette contribution est l’occasion de mettre à jour et de détailler le plan du consulat publié dans l’atlas.
- A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 10-14.
- Gaillard et al. 2018, 2, 181-190.
- Pour simplifier, on n’utilisera qu’une orthographe du mot (excepté dans un contexte de citation) et non toutes ses variantes : preison/ preijon/ preyzo / preygo / presgo / prezo, très rarement presgoniera.
- A.D. Dordogne, CC47 (1325-1326), fol. 33v à l’envers : Item baylem a Johan de Faure XII s. e VI d., pel rayat del fer que fetz al cossolat en la tor segonda desus, pel comandamen de B. de Chaumon.
- A.D. Dordogne, CC43 (1321-1322), fol. 22v à l’envers : Item paget hom a Steve Lemozi per adobar lo rayat dal fer de la fenestra de la tor dal cossolat : X s.
- A.D. Dordogne, CC66 (1371-1372), fol. 27r : Item baylem per far I rayat de fer a metre en la clariera de la preygo que hom apela al rayat dedins la tor de cossolat, per que li preygonier no la poguessan crebar com avian fach d’autras vet […].
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 18r : lo Clerc de Muret e Thomas La Serra eran al rayat ; CC78 (1434-1435), fol. 3v.
- Villepelet 1908, 201, item 19.
- Gaillard et al. 2018, 2, 109-110.
- Higounet-Nadal & Lacombe 1990.
- Wlgrin de Taillefer 1826, 605-606.
- Déjà suggéré par Lacombe 1990, n° 74, mais sans argument.
- Le dessin de C. Thiénon ne représente que les arcades de la face sud. La description de Wlgrin de Taillefer signale aussi leur existence sur le flancs ouest et nord.
- Lacombe 1995.
- Gaillard et al. 2018, 2, 162.
- A.D. Dordogne, CC91 (1477-1478), fol. 9.
- Fouilles conduites par B. Garros (Hadès), le rapport n’est pas encore terminé.
- A.D. Dordogne, CC54 (1335-1336), fol. 19r ; CC69 (1397-1398), fol. 36v (fourniture d’une clef). Cette chambra est distincte de la maison du torier, que le consulat entretient aussi en partie (A.D. Dordogne, CC63 (1352-1353), fol. 15 r : travaux de couverture à la maison du torier), dont la localisation n’est pas précisée mais qui se situe à coup sûr au Puy, et certainement non loin de la maison commune.
- A.D. Dordogne, CC49 (1328-1329), fol. 3v.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 18r : Premieyramen baylem lo dilhus a XIX jorns de novembre per los despens que fezeren Cenaudet, Sergan, Cossaudo, Thomeli, Naudi, Johano de Sancta Fe e Perrot de Peyrot, li qual eran al fons de la tor, als quals faziam los despens – e lo Clerc de Muret e Thomas La Serra eran al Rayat, e Marot de Roffiac era en la granda volta, als quals no faziam ponch de despens – e despenden aquilh qui eran al fons de la tor en las tressas, monta : II s. VIII d.
- A.D. Dordogne, CC82 (1446-1447), fol. 5r-7r (achat de 60 arbres dans la forêt de Sept-Fons, ferronnerie, réfection des portes,etc.).
- Voir la contribution de S. Lavaud dans Jean-Courret et al. 2016.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 49r : Item baylem lo dissabde a XXIIII del dich mes a Helias La Vila frenier, per una plata granda de doas claus e per las bertuelas e per un trasverrolh que mes en l’uysch per ont hom intra sonar lo senh, e la una clau fo baylada al mayor e l’autra al torier, monta : VI s. VIII d.
- Sur les équipements et leur coût, voir Telliez 2011.
- A.D. Dordogne, CC47 (1325-1326), fol. 35r à l’envers.
- A.D. Dordogne, CC50 (1330-1331), fol. 6r.
- A.D. Dordogne, CC66 (1371-1372), fol. 25v-27r.
- Ibid., fol. 27r.
- Les menottes ne sont pas propres à l’espace carcéral, le bourreau en détient aussi une paire (A.D. Dordogne 24, CC59 (1340-1341), fol.17 : Item baylem al servicial per unas maniotas que comprem del pendart de Brageyrac son companho que avia aportat de fora, tornes IIII s.). Je remercie Mathieu Vivas pour cette information et plus largement pour la relecture avisée de cette contribution.
- A.D. Dordogne, BB13, fol. 99r-101r.
- Ibid., fol. 135v.
- A.D. Dordogne, CC71 (1407-1408), fol. 11r.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 15r.
- Il faut toutefois noter que le pilori consulaire n’est pas érigé au Coderc mais sur la place de la Clautre, devant la collégiale Saint-Front (Gaillard et al. 2018, 2, 123-124). Les peines infamantes d’exposition qui y sont exécutées visent peut-être ici à placer les pécheurs face à leur juge suprême.
- A.D. Dordogne, CC47 (1325-1326), fol. 36v à l’envers (paiement pour entretenir un prisonnier incarcéré sur ordre du sénéchal) ; CC50 (1330-1331), fol. 6v (paiement de lettres pour que le sénéchal reconnaisse que le maire et les consuls lui avaient prêté la prison du consulat et les fourches) ; CC51 (1331-1332), fol. 4r (commission par le sénéchal d’un homme remis au consulat pour sentence) ; CC53 (1334-1335), fol. 7v et CC54 (1335-1336), fol. 3v (le sénéchal fait saisir un homme emprisonné par le comte et le remet aux maire et consuls ; il est finalement transféré à la tour) ; CC60 (1346-1347), fol. 13r (paiement pour l’entretien de prisonniers faits par le sénéchal et enfermés à la tour du consulat).
- A.D. Dordogne, CC71 (1407-1408), fol. 5v (évasion et reprise de quatre prisonniers que Jaque de Ris, lieutenant du connétable de France, faisait tenir en ladite tour du consulat).
- Vivas 2017.
- A.D. Dordogne, BB13, fol. 130v (mars 1453).
- A.D. Dordogne, CC49 (1328-1329), fol. 10v : Item baylem VI s. e III d. aus cirvens per far cebelir I home qui murit en la tor, qui era a la ma dal rey pel comte e per lo chapitre, e fo pres a Colompnhes en nostre poder, e avia estat en la tor I an.
- Ce sujet fait l’objet du master 2 de Manon Copin, en cours sous la direction de M. Charageat et moi-même.
- À propos des caractères disciplinaires et pénales de la prison, voir les percutantes analyses de l’œuvre foucaldienne (Surveiller et punir) de Claustre 2013.
- Gaillard et al. 2018, 2, 120-124 (notices “Fourches patibulaires d’Écornebœuf” et “Piloris” par M. Vivas) ; Vivas 2017.
- Sur les prisonniers de guerre, voir la contribution de Bertrand Schnerb dans le présent ouvrage.
- Par allusion au “ghost detainees”, terminologie officielle de l’administration américaine pour désigner les personnes emprisonnées de manière anonyme et ne faisant pas l’objet d’un enregistrement officiel.
- A.D. Dordogne, CC51 (1331-1332), fol. 4r-5v et 6v.
- A.D. Dordogne, CC53 (1334-1335), fol. 7v.
- A.D. Dordogne, CC54 (1335-1336), fol. 3v-4v : 7 items de rémunération du torier W. de Born précisent que le comptable lui verse 16 d. par période de 8 jours, soit un coût journalier de 2 d.
- A.D. Dordogne, CC71 (1407-1408), fol. 5v.
- Les exceptions notées concernent un larron décédé en prison de mort “naturelle” (A.D. Dordogne, CC47, fol. 31r et 30r à l’envers) mais aussi d’autre cas, notamment pour des groupes de larrons pendus (A.D. Dordogne, CC49, 1328-1329, fol. 2r).
- A.D. Dordogne, CC52 (1331-1332), fol. 6r.
- A.D. Dordogne, CC46 (1324-1325), fol. 6v et 12r. D’autres items du cahier détaillent les frais de citation à comparaître et d’un acte (estrumen) envoyé à Cahors qui évoque un cas dont les ramifications dépassent largement la juridiction périgourdine.
- La mémoire des crimes les plus graves associés au nom de leur auteur ou les layros pour lesquels un examen judiciaire a été payé sont certainement les motifs les plus fréquents de leur nomination. Je remercie Mathieu Vivas pour m’avoir suggéré cette interprétation, également émise par Higounet-Nadal 1978, 237.
- A.D. Dordogne, CC45 (1323-1324), fol. 19v : Item baylem al torier per lo pa de IIII jorns d’una femna qui fo negada : XVI d. ; CC46 (1324-1325), fol. 3r : Item baylem VI s. aus sirvens qui velheren la puta H. Gelatz en la tor ; CC49 (1328-1329), fol. 7v : Item baylem X s. a Nadal lo cirven per la femna que pres am lo chapela. Dans ce dernier item, la femme est désignée comme femna, certainement pour ne pas porter trop atteinte à la renommée du religieux (chapela) avec qui elle a été prise.
- Heullant-Donat et al. 2017.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 16r.
- A.D. Dordogne, CC69bis (1398-1399), fol. 37r.
- A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 4v, 6r, 10r-14r.
- Ces chiffres sont précisément : 30, 16, 15, 14, 19, 24, 12, 10, 8, 7, 6, 5, 6, 25, 22, 18, 17, 14, 15, 13, 8, 9, 18, 17, 12, 15, 14, 12.
- A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 41v-42r.
- Cette proposition reste néanmoins à prendre avec beaucoup de précautions, dans l’attente d’une étude plus poussée.
- Par exemple : A.D. Dordogne, CC49 (1328-1329), fol. 1v : Premieyramen baylem VI d. a Petit lo sirven, torier dal cossolat, per pa d’un preygonier qui fo pres a Colompnhes, per III jorns, lo dilhus apres la Sant Marti d’ivern.
- A.D. Dordogne, CC59 (1340-1341), fol. 3r : Item baylem a W. lo torier, en la semmana davan la Senta Katerina, per aver pa aus preygoniers per VII jorn, tornes : III s. VI d.
- On pourrait la calculer à partir des dates du calendrier liturgique données dans certains cas par le comptable, mais il est malaisé de restituer précisément toutes les fêtes mobiles et les fêtes fixes. Par exemple, A.D. Dordogne, CC55 (1336-1337), fol. 4v-8r : 36 items pour des versements (hebdomadaires ?) de pain pour les prisonniers. Les dates sont les suivantes : avan la Senta Maria Chandaloyra ; l’endema de la Senta Maria Chandaloyra ; dimercres apres la Senta Maria Chandaloyra ; dugous apres la Senta Maria Chasta ; apres la S. Blavi ; (rien) ; divendres avan la Senta Maria Chasta ; dugous apres la Senta Maria Chasta ; apres Miey Caresme ; avan Rampalm ; divendre avan la Senta Crotz ; dimart avant la Senta Quiteria ; vespra de Roazos ; apres la Pantecosta ; jorn del Cor de Dieu ; vespra de S. Johan ; divendre avan la S. Marsal ; dimercres apres la octava de la S. Johan ; dimercres apres la S. Marti Filota ; digous apres ; dulhus avan la Magdalena ; l’endoma de la Magdalena ; apres la Magdalena ; jorn de S. Sist ; jorn de la S. Pey d’aout ; apres la S. Lauren ; avan la Senta Maria d’aout ; apres la Senta Maria d’aout ; avan la Senta Crotz ; dimart apres la S. Michel ; digous apres ; vespra de Totz Saints ; (rien).
- À quelques exceptions près, imputables à la nature même des cahiers (par exemple le CC48, 1327-1367), les cahiers d’exercice annuel se présentent de la même façon. Ils sont divisés en deux sections de dépenses et recettes (assemblées tête-bêche ou à la suite l’une de l’autre) mais la partie “dépenses” en constitue le début car elle seule expose, au premier folio, l’année consulaire d’exercice comptable et les membres qui composent le gouvernement urbain. Ensuite, deux chapitres détaillent sommairement les offrandes (proffertas) et les dépenses vestimentaires (raubas) faites en faveur des sirvens (parfois aussi du maire et des consuls). Le chapitre du fach de juridiccio apparaît donc en troisième position. Il constitue le chapitre principal de chaque compte : on y trouve rassemblées les dépenses les plus importantes aux yeux du pouvoir municipal et il s’agit du premier chapitre dont les items sont rédigés avec une certaine ampleur.
- A.D. Dordogne, CC49 (1328-1329), fol. 19v : Aysso a costat d’adobar lo cossolat e la tors dal dich cossolat.
- A.D. Dordogne, CC64 (1366-1367), fol. 20r.
- A.D. Dordogne, CC68 (1382-1383), fol. 9r.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 18r-19v.
- A.D. Dordogne, CC86 (1454-1455), fol. 14r.
- A.D. Dordogne, CC78 (1434-1435), fol. 3v. Le terme de compagnon (cumpanho) n’implique pas ici une relation entre le détenu et le maire ; on pourrait aussi littéralement le traduire par “copain”, ce qui renforce l’expression charitable.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 19r : Item baylem que comprem I gerla de terra per portar lo vi als dichs pregoniers, monta que costet : VIII d.
- Excepté justement en 1397-1398 : A.D. Dordogne, CC69, fol. 18v.
- A.D. Dordogne, CC50 (1330-1331), fol. 2v : Item baylem III s. al torier de cosolat, lo dissabde apres la Chandalor, per comprar vianda a II preygoniers qui eran en la tor, e l’us era acuzat que avia panat a la domna de Monier una bigota, doas destrals e autras chauzas, e l’autres era acuzat que panava la buscha d’En W. de Rey.
- A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 13r.
- A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 12v : Item baylem, lo dimercres ensegen, al dich torier, per aver pa a XV presgoniers, que lor donet om, de mandamen del mayor, a chascu lo jorn V deneadas de pa, per la gran charestia qui era, monten tornes : VI s. III d.
- Les items signalent les barreaux, sous forme de crampons métalliques (grappas de fer), mais aucune huisserie pour les baies.
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 4v (livraison à la chambre du consulat) et 6v : Item baylem a G. de Cortes torier, per II fays de gluoys qui foren mes en la tor, tornes : I s. VI d.
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC49 (1328-1329), fol. 11r ou CC51 (1331-1332), fol. 6v.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 19v.
- Esaïe 58, 7 ; Ézéchiel 18, 16 ; Matthieu 25, 35-40 ; Hébreux 13, 3.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 18v : Item lo dissabde a XV del dich mes de dezembre no lor donem re quar d’alcus d’esta vila lor doneren a mingar : II s. Cette mention signale qu’il existe bien des gens qui donnent sans être remboursés. On ne l’a rencontrée toutefois qu’une seule fois, le comptable étant probablement poussé à justifier pourquoi il n’a rien dépensé alors que le consulat a mission de nourrir les détenus. Je remercie Élisabeth Lusset pour cette remarque et plus largement pour les échanges que nous avons eus ; cet article doit beaucoup à sa relecture et aux conseils prodigués.
- A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 13r.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 19r : Item baylem a la mayre de Forto de la Veyschieyra per far lo pa del dich blat, per son trabalh e per la sal e per lo drech del forn, monta : IIIs. I d.
- A.D. Dordogne, CC68 (1382-1383), fol. 9r.
- Voir d’autres cas semblables, par exemple A.D. Dordogne, CC59 (1340-1341), fol. 19r : per far sebelir I home qui era mortz en la preygo de la viela.
- Par exemple A.D. Dordogne, CC51 (1331-1332), fol. 6r : dépenses pour la sépulture d’Helias de L’Escura qui murit en la preygo, e feyren lo sebelhir sotz las forchas d’Escornabuou. Voir Vivas 2015 et 2016.
- Pour d’autres considérations sémantiques ou concernant la représentation de l’arrestation, Prétou 2015 et Lafran 2015.
- Sur les atteintes portées à l’encontre d’autres institutions, voir Telliez 2011 et Carbonnières 2011.
- A.D. Dordogne, CC75 (1428-1429), fol. 18v.
- Si les comptes et le Petit Livre noir se réfèrent bien au même individu, ils présentent toutefois deux dates différentes. Ceci ne me semble en rien contradictoire car l’un et l’autre n’évoquent pas les mêmes temporalités de l’affaire. Le compte est figé sur une année d’exercice (1428-1429), tandis que le livre mémorial déploie toute l’affaire jusqu’à son issue finale qui a lieu le 10 novembre 1431.
- A.D. Dordogne, BB13, fol. 113r.
- A.D. Dordogne, BB13, fol. 130v (mars 1453) : autorisation accordée au prévôt épiscopal d’utiliser la prison consulaire pour y enfermer des animalia malifficientia. Les études consacrées aux procès d’animaux signalent à plusieurs reprises leur emprisonnement (Vartier 1970, Litzenburger 2011).
- Sur le bannissement, Zaremska 1996, Jacob 2000 et Demaret 2012.
- Excepté les sauf-conduits, on ne discerne pas bien dans les comptes d’autres peines intermédiaires entre bannissement et enfermement strict comparable au panel des détentions discutées par Carbonnières 2011.
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC73 (1420-1421), fol. 11r : Item beylem lo XIII jorn d’abriel, que tramesem Johan d’Ortix a Lemotges per parlar am Johan [Ma…mau] e am Jacme del Pon per lo fach de la moneda, e quar el no avia ponch de salconduch nos li logem P. La Sala qui avia bon salconduch de preisonier, e donem li per son trabalh e per sos despens, monta : IIII ll. t.
- Par exemple A.D. Dordogne, CC76 (1429-1430), fol. 26r : Item avem receubut de Ayc Ebrart per I salconduch que ac de nos de preyzonier, de que nos paget Giraut de Sirvento : I escut.
- Ibid., id. : Item avem receubut de Hel. del Sorbier preyzonier de Boria, per dos salconduchs chascu per set semmanas, IIII lb. de cera qui valen : XIII s. IIII d.
- Voir la contribution de Martine Charageat dans le présent ouvrage.
- L’enquête menée par Vivas 2019 sur le bourreau se combine bien avec celle du torier même s’il reste encore beaucoup à faire sur les sirvens de la ville.
- On en recense souvent plus de 10 (8 à 18) jusqu’à l’arrivée de la peste, leur nombre décroît ensuite globalement de 12 à 8 dans la seconde moitié du XIVe s. et se resserre autour de 2 à 5 pendant la première moitié du XVe s.
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC47 (1325-1326), fol. 34v à l’envers : Item baylem VII s. e VI d. a P. lo torier per sa sirventia. Item X s. per son toratge, la vespra de Nadal.
- L’expression de toratge del cossolat apparaît plus précisément dans la seconde moitié du XVe s.
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC75 (1428-1429), fol. 2v : A Arnauto de Carcassona, qui pren dobla profferta per causa de l’ufficy de sirven e aussy de garda de las presgos : X s
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC55 (1336-1337), fol. 30r : Item a W. lo torier, per lo selari que pren per razo del toratge e de la gacha : XXI s. VIII d. mealha. Le terme est polysémique : gacha désigne la garde et le guetteur mais aussi le quartier fiscal et militaire (“circonscription urbaine” pour le prélèvement de la taille, la constitution de la milice urbaine et le guet).
- A.D. Dordogne, CC71 (1407-1408), fol. 64v.
- A.D. Dordogne, CC49 (1328-1329), fol. 3r.
- A.D. Dordogne, CC60 (1346-1347), fol. 2v.
- A.D. Dordogne, CC69bis (1398-1399), fol. 2r.
- Notamment Pastoureau 1991.
- Parfois cependant, le torier est rémunéré le double des sirvens alors qu’ils ont agi ensemble pour une même action (A.D. Dordogne, CC71 (1407-1408), fol. 11r : Item baylem lod. jorn a VI sirvens, dont lo torier pres per dos, li qual ajuderen a donar l’almoyna, e donem lor per dinar, monta : VI s. X d.).
- A.D. Dordogne, CC54 (1335-1336), fol. 4v.
- A.D. Dordogne, CC55 (1336-1337), fol. 30r (le salaire est ici versé per razo del toratge e de la gacha).
- A.D. Dordogne, CC58 (1339-1340), fol. 16r.
- A.D. Dordogne, CC59 (1340-1341), fol. 3v.
- A.D. Dordogne, CC57 (1338-1339), fol. 1v-2v (26 items de dépenses pour l’achat de pain).
- Cela est certainement aussi le cas pour Guilhem de la Faya et Fayo (1332-1333) qui pourrait être son diminutif.
- A.D. Dordogne, CC70 (1400-1401), fol. 12v.
- A.D. Dordogne, CC81 (1442-1443), fol. 2v.
- A.D. Dordogne, CC52 (1332-1333), fol. 4r.
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC51 (1331-1332), fol. 3r : Item baylem a Vidal, que avia manlevat en pa aus preygoniers quant tenia la claus de la tor : II s.
- A.D. Dordogne, CC53 (1334-1335), fol. 5r (maladie) ; 7r (mort).
- Ibid., fol. 7r et 8v. À moins que Guilhamot (diminutif de Guilhem) ne soit que le jeune Guilhem de Born ?
- Les motifs de cette patrimonialisation pourraient tenir à la transmission de l’office au sein du couple (voir à ce sujet la contribution de Rudi Beaulant dans le présent volume) ou à la volonté du consulat de maintenir la charge au sein d’une famille dont l’expérience éprouvée répond aux attentes sécuritaires de la ville.
- A.D. Dordogne, CC69 (1397-1398), fol. 11v.
- A.D. Dordogne, CC59 (1340-1341), fol. 3v : Item baylem, que donem per amor Dieu a sebelhier (sic) la molher del torier qui era morta en cossolat, tornes : X s.
- Par exemple, A.D. Dordogne, CC49 (1328-1329) : fol. 5 : Item baylem XV s. pergozis a R. de Puey Luco, que’lh devian lhi cossol d’antan per razo de claure lo prat a la Panthecosta. Item baylem V s. a Amoros per far las lissas al prat al Dimart Lardier.
- A.D. Dordogne, CC54 (1335-1336), fol. 16v ; CC55 (1336-1337), fol. 20r ; CC58 (1339-1340), fol. 16r ; CC60 (1346-1347), fol. 17v ; CC64 (1366-1367), fol. 15v.
- A.D. Dordogne, CC68 (1382-1383), fol. 18v.
- A.D. Dordogne, CC59 (1340-1341), fol. 25r (enlèvement des ordures qui encombrent l’escalier de la rue Porte-Neuve) ; CC67 (1375-1376), fol. 47v et 48r (aménagement d’un batardeau au pont de Tournepiche).
- A.D. Dordogne, CC76 (1429-1430), fol. 16r (quérir un bouvier et ses bêtes pour installer un engin militaire) ; CC78 (1434-1435), fol. 3v (réquisition de la corvée publique pour la réparation du pont).
- A.D. Dordogne, CC69bis (1398-1399), fol. 32r.
- A.D. Dordogne, CC78 (1434-1435), fol. 2v : Item beylem a Arnauto lo sirven per que gatges las portas a Johan Boquier : VIII d. Johan Boquier est-il placé sous la protection d’Arnauto ou au contraire emprisonné à son domicile ?
- A.D. Dordogne, CC79 (1435-1436), fol. 4r.
- Ibid., fol. 4r ; CC81 (1442-1443), fol. 4r.
- Chastang et al. 2019.
- Le clerc de ville et le comptable ne sont pas les seuls rédacteurs des sources mémorielles et comptables : on trouve à leur côté un ou plusieurs scribes. L’expression est une référence aux travaux de Hermand et al. 2019 qui distinguent les scribes d’archives, “acteurs de la pratique scripturaire dans le champ immense du document d’archives” et maîtrisant l’écriture juridique, d’une part, et, d’autre part, les scribes de bibliothèques, “agents de la diffusion manuscrite des œuvres narratives, littéraires et apparentées”.
- Vivas 2019.
- Sur le phénomène d’institutionnalisation, voir les travaux de S. Barret sur les archives clunisiennes (Barret 2004a) et les archives ecclésiastiques (Barret 2004b).