UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Partie III. Race, classe, genre et sexualité : quand le regard (dé)partage le sensible

Parler de race en Amérique latine est une tâche d’autant plus ardue1 qu’elle constitue, selon l’anthropologue argentino-brésilienne Rita Laura Segato – dont les travaux développent ceux du sociologue péruvien Aníbal Quijano (1928-2018) sur la colonialité du pouvoir et surtout dialoguent avec ceux de la philosophe argentine María Lugones (1944-2020) sur la colonialité du genre – l’angle mort du discours latino-américain sur l’autre (Segato, 2010 : 16). La distinction entre la race comme fait social, qu’il convient de resituer dans une histoire, la race comme catégorie d’analyse, c’est-à-dire comme outil théorique pour penser les articulations de pouvoir ou, si l’on adopte le concept de racialisation, comme « processus de marquage des différences humaines en accord avec les discours hiérarchiques institués lors des échanges coloniaux et présents dans leurs héritages nationaux » (Appelbaum et al., 2003 : 2-32), est source de débat dans les sciences humaines actuelles qui prétendent éclairer cet angle mort :

Porque el mestizaje – crisol de razas, trípode das raças, cadinho – se impuso entre nosotros como etnocidio, como cancelamiento de la memoria de lo no-blanco por vías de fuerza. Un autoritarismo de los Estados republicanos, tanto en el campo de la cultura como de la seguridad pública, impusieron una clandestinidad de siglos a los cauces subterráneos de sangre originaria, a los Ríos Profundos de la memoria que a ellos se vincula. Por esto mismo, también e inversamente, el mestizaje podría ser – y de cierta forma siempre ha sido – , entre nosotros, otra cosa, mucho más interesante, vital e insurgente. (Segato, 2010 : 26)

Je propose dans cette partie d’aborder les manières dont le cinéma peut se saisir de cet impensé ainsi que des effets que produisent les représentations des imbrications multiples de domination et des rapports de force qui conditionnent « le partage du sensible » (Rancière, 2000). La perspective épistémologique et les travaux féministes apportent un éclairage nécessaire pour contextualiser la mise en fiction des rapports de domination qui s’exercent au sein des familles de classe moyenne, et en particulier de l’usage immodéré que celles-ci font des domestiques indigènes. Le chapitre 5 est consacré à l’analyse du film El niño pez (2009) et à la problématisation de la question de la race telle que l’envisage Lucía Puenzo. Je m’intéresse à la formule cinématographique hybride utilisée pour mettre en récit une relation amoureuse qui est à la fois le prétexte, le cadre et la limite de la représentation des expressions intersectionnelles de l’oppression. Dans le chapitre 6, j’aborde la façon dont Albertina Carri se saisit du tabou de l’inceste et en livre, dans Géminis, une représentation totalement différente de la perspective mélodramatique ou dramatique qui s’appuie sur la dimension spectaculaire et scandaleux ou tragique3. Mon hypothèse est que si Carri semble adopter les codes d’une comédie de mœurs bourgeoise, c’est pour mieux en dévisser les fondations idéologiques.

Notes

  1. Voir la revue Crítica y EmancipaciónRevista latinoamericana de ciencias sociales, Año II n° 3, Buenos Aires, CLACSO, Primer semestre 2010, et en particulier à : Rita Laura Segato, « Los cauces profundos de la raza latinoamericana : una relectura del mestizaje », p. 11-44 ; Julio Arias y Eduardo Restrepo, « Historizando raza: propuestas conceptuales y metodológicas », p. 45-64. En 2007, Rita Segato publia La nación y sus otros où elle étudiait les variations et les fonctions des processus d’altérisation.
  2. Nancy P. Appelbaum, Anne MacPherson, Karin Alejandra Rosemblatt, Race and Nation in Modern Latin America, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2003 : « proceso de marcación de las diferencias humanas de acuerdo con los discursos jerárquicos fundados en los encuentros coloniales y en sus legados nacionales. », traduction de Arias et Restrepo, 2010 : 50.
  3. Nancy P. Appelbaum, Anne MacPherson, Karin Alejandra Rosemblatt, Race and Nation in Modern Latin America, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2003 : « proceso de marcación de las diferencias humanas de acuerdo con los discursos jerárquicos fundados en los encuentros coloniales y en sus legados nacionales. », traduction de Arias et Restrepo, 2010 : 50.
Rechercher
Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782858926343
ISBN html : 978-2-85892-634-3
ISBN pdf : 978-2-85892-635-0
ISSN : 2741-1818
Posté le 25/11/2022
2 p.
Code CLIL : 3689; 3658
licence CC by SA

Comment citer

Mullaly, Laurence H., “Partie III. Race, classe, genre et sexualité : quand le regard (dé)partage le sensible”, in : Mullaly, Laurence H., Esthétique et politique dans le cinéma argentin. Albertina Carri et Lucía Puenzo : des histoires de familles, Pessac, MSHA, collection PrimaLun@ 14, 2022, 129-132, [en ligne] https://una-editions.fr/race-classe-genre-et-sexualite [consulté le 25/11/2022].
10.46608/primaluna14.9782858926343.10
Illustration de couverture • L'ombú, arbre de la pampa (wikipedia ; mise en lumière S. Vincent)
Retour en haut
Aller au contenu principal