Avec la prise en compte des restes animaux et végétaux dans l’étude globale des gisements archéologiques, et le développement des disciplines qui s’y intéressent, les corpus de données archéozoologiques et carpologiques se sont considérablement étoffés ces dernières années1, tandis qu’une analyse globale des établissements agricoles peut désormais être tentée, grâce à la mise en place d’une base de données spécifiques2. Il en résulte la possibilité d’appréhender les phénomènes agricoles dans la longue durée, sur de très vastes territoires. Ce changement d’échelle a permis la mise en évidence, pour la fin de l’âge du Fer, d’agricultures régionales possédant chacune leurs orientations et leurs propres rythmes d’innovation3. Une confrontation des données archéozoologiques et carpologiques issues de sites picards et franciliens a par ailleurs montré l’intérêt d’analyser conjointement ces corpus afin de mieux comprendre les types d’exploitation mis en œuvre4.
Les corpus réunis des archéozoologues, des carpologues et des archéologues permettent aujourd’hui des analyses croisées riches d’enseignements. Pour ces mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, il nous a semblé intéressant d’ouvrir le champ des enquêtes possibles sur les spécificités régionales, voire les spécialisations. Les sites inventoriés dans l’Ouest de la France d’une part et dans le Centre-Nord d’autre part, constituent l’assise de l’exercice. Les régions Bretagne, Pays-de-Loire, Poitou-Charentes, Centre, Champagne-Ardenne, Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais et Picardie sont prises en considération. Elles totalisent 462 sites pour lesquels 150 études archéozoologiques et/ou carpologiques ont été réalisées, soit près d’un tiers de l’ensemble. L’augmentation des études spécialisées autorise un traitement statistique des données, mais seulement 11 sites cumulent les études des deux spécialités. Pour cet exercice, l’échelle géographique est suffisamment vaste pour qu’il n’y ait pas d’incidence sur les résultats, mais cela montre à nouveau que les études conjointes doivent encore se développer, si l’on veut réellement aborder le monde rural par l’entremise de ses productions et pas seulement de ses structures.
Les données ont été analysées dans une perspective spatiale autant que temporelle. D’une part, l’espace géographique a été divisé en un ensemble “Ouest” et un ensemble “Centre-Nord”. Ce choix est en grande partie dicté par la séparation qui s’observe entre ces deux entités sur la carte pédologique de la France, ce qui offre la possibilité de confronter les résultats obtenus au potentiel théorique des sols (fig. 1). D’autre part, la chronologie a elle aussi été segmentée en deux périodes principales : La Tène moyenne et La Tène finale.
Les données carpologiques
Les données carpologiques proviennent d’ensembles détritiques ayant accumulé des déchets domestiques sur le long terme. Pour traduire ces témoins ponctuels, observés à l’échelle de la structure, en termes d’agricultures régionales, il faut s’appuyer sur des centaines d’ensembles. Un traitement statistique de ces données est susceptible de révéler, puis de valider, des choix individuels ou régionaux en matière d’économie agricole. Pour cette contribution, et compte tenu des limites chronologiques que nous nous étions fixées (milieu IIIe-Ier s. a.C.), nous avons retenu 47 occupations pour 43 sites ayant livré plus de 100 restes. 23 occupations sont datées de La Tène moyenne et 24 de La Tène finale à l’époque augustéenne. La zone d’étude s’étend vers l’est à la Champagne, et vers l’ouest au département du Calvados5. La zone “Ouest” regroupe 9 occupations pour La Tène moyenne et 3 pour La Tène finale.
Les résidus d’ensilage, qui apportent des informations plus ponctuelles et plus directes sur les récoltes, concordent avec les résultats obtenus pour les structures de rejet. Pour les périodes qui nous intéressent, les plantes compagnes des cultures témoignent d’un approvisionnement en grains à partir des ressources locales. Les “mauvaises herbes” d’origine exogène n’apparaissent qu’au début du Ier s. p.C., sans doute favorisées par la circulation de stocks de céréales et le développement d’un système d’approvisionnement des armées et des cités à partir de ressources non locales. Les modes de préservation des restes carpologiques sont communs à l’ensemble des sites, qui livrent du matériel carbonisé, au sein duquel prédominent les espèces cultivées par l’homme pour se nourrir.
Pour chaque site, les données carpologiques de l’ensemble des contextes étudiés et les fréquences relatives des différentes denrées de consommation : amidonnier (Triticum dicoccum), épeautre (Triticum spelta), orge vêtue (Hordeum vulgare), lentille (Lens culinaris), etc. (au total, 14 taxons), ont été calculées en pourcentage du nombre total de restes des espèces domestiques. Pour faciliter la présentation conjointe des résultats, ces données ont ensuite été synthétisées en cinq grandes catégories : blés nus (Triticum aestivum/durum/turgidum), blés vêtus (Triticum monococcum/dicoccum/spelta), orge (Hordeum vulgare), légumineuses (Lens/Pisum/Vicia) et avoines (Avena spec.). La part des blés par rapport à celle des orges est quelque peu sous-estimée, car le taxon Triticum (blé non déterminé à l’espèce) a été éliminé, faute de pouvoir le ranger dans la catégorie blé nu ou blé vêtu. Cette “perte” s’élève à 1% du nombre total de restes pour La Tène moyenne et à 8 % pour La Tène finale. Les pourcentages obtenus pour chaque catégorie ont été totalisés pour l’ensemble des sites de La Tène moyenne et finale. Quatre graphes sectoriels résument ces résultats globaux, pour les deux zones géographiques et les deux périodes considérées.
Dans les régions du Nord de la France, les céréales à grains vêtus constituent le socle des productions agricoles durant tout le Second âge du Fer ; les populations y ont privilégié la culture de l’orge vêtue, du blé amidonnier et du blé épeautre. La projection des mentions d’espèces sur des cartes diachroniques montre des regroupements qui s’opèrent à une échelle supra-régionale, en fonction des plantes de culture préférentiellement exploitées. Les transitions entre ces zones correspondent à des limites naturelles, mais coïncident également avec de grandes entités culturelles. Les exigences agronomiques des espèces et la composition des cortèges de messicoles éclairent certains aspects des régimes culturaux. On observe ainsi la juxtaposition, dans le nord de la France, d’au moins quatre systèmes de culture, plus ou moins sophistiqués et plus ou moins intensifs, dans le courant du IIIe au Ier s. Toutes ces variantes n’apparaissent pas ici, en raison du regroupement des sites en deux entités principales. Il est remarquable d’observer néanmoins des changements radicaux au niveau de la composition des graphes sectoriels, entre régions mais aussi entre périodes, pour ce qui relève des données carpologiques. Par contraste, les données archéozoologiques présentent une différentiation spatiale bien marquée, mais une stabilité complète entre La Tène moyenne et finale.
L’ensemble “Centre-Nord”
L’orge vêtue y est omniprésente, sauf dans l’extrême nord, où elle cède la première place aux blés vêtus. Elle comptabilise 82 % des restes durant La Tène moyenne. Les blés vêtus, qui viennent en seconde place, avec 17 %, comprennent essentiellement l’amidonnier et l’épeautre, l’engrain n’étant plus cultivé que de manière très marginale en Champagne.
Le rapport orge vêtue/blé vêtus se rééquilibre et même s’inverse, durant La Tène finale, les pourcentages de l’orge “tombant” à 40 % du NTR. Ce mouvement correspond à des phénomènes de spécialisation sur la culture des blés, à l’échelle de plusieurs établissements, à cette époque.
Les blés à grains nus ne représentent qu’une composante mineure des ensembles de l’âge du Fer. Leur usage va se généraliser à partir de la période romaine, sauf dans les régions localisées au nord de la Somme, où perdurent les céréales vêtues. Quelques établissements laténiens adoptent les blés nus avant la lettre6, ce qui explique un taux de 10 % aux alentours de la Conquête. L’absence des légumineuses dans les contextes de stockage et leurs très faibles pourcentages (moins de 1 % du total) durant toute la période laténienne laissent entendre que celles-ci ne sont pas encore cultivées dans les champs, à l’image des céréales. Le système agricole pratiqué dans les régions de l’Est et du Centre-Nord de la Gaule privilégierait donc une alternance des céréales d’hiver et des jachères travaillées, périodes pendant lesquelles la terre est régulièrement labourée de manière à en restaurer la fertilité et à en éliminer les mauvaises herbes7.
L’ensemble “Ouest” : un système de culture original
Les sites de Basse-Normandie offrent un tableau particulièrement contrasté en regard des autres contextes. À une alternance céréales d’hiver/jachères, ils opposent, pour le Second âge du Fer, et en particulier La Tène moyenne, un système qui intègre aussi des cultures de printemps, telles que l’avoine cultivée, et les légumineuses. La part des légumineuses représente plus de la moitié des restes dans le courant du IIe s. Les ensembles carpologiques assimilables à des résidus de récolte, directement issus de structures de stockage, comportent régulièrement des légumineuses, à hauteur de 75 % et plus, preuve qu’elles sont bien incorporées dans le système de culture en plein champ8. Dans les établissements de La Tène finale, la part des légumineuses semble devenir négligeable. Il faut souligner le très faible effectif de sites, pour cette période, dans la zone “Ouest” (3 sites), et le fait qu’il existe des disparités locales à l’intérieur même de cette zone, la culture des légumineuses ayant surtout été mise en évidence dans la Plaine de Caen et dans les sites de la vallée de la Seulles (plateau de Thaon).
L’avoine cultivée représente une autre composante remarquable de ces stocks, alors qu’elle est quasi absente de la zone “Centre-Nord”. Une première tentative de mise en culture de l’avoine domestique Avena sativa, au IIe s. a.C. dans ces régions, semble pouvoir être associée à une poussée dans la courbe des pourcentages de légumineuses, principalement représentées par le pois et la féverole9. La part de l’avoine se renforce encore dans les ensembles de La Tène finale, où elle atteint près de 7 % du total de restes.
L’incorporation de céréales de printemps à côté des céréales d’hiver suggère la mise en place de systèmes de culture à rotations plus complexes, qui permettent d’optimiser la quantité de nourriture produite pour une même surface. À ce titre, on peut parler d’intensification de la production. Un tel système se rapproche de dispositifs bien identifiés pour des périodes postérieures, notamment la période médiévale. C’est dans un but identique de rentabilité des surfaces qu’a été mis en place un assolement à rotation triennale en lieu et place de rotations biennales : au lieu d’envisager une récolte tous les deux ans, deux récoltes pouvaient être obtenues sur trois ans, en emblavant une pièce de terre en céréales d’hiver, l’autre en céréales de printemps10.
Comprendre comment et pourquoi un tel système apparaît à la fin de l’âge du Fer en Normandie nécessite encore un complément d’étude. Un début de réponse peut sans doute être trouvé lorsque l’on examine les spécificités de l’élevage et qu’on les rapporte aux types de culture pratiqués.
Les données archéozoologiques
Les assemblages fauniques dont nous disposons proviennent d’enclos, de fosses dont la fonction primaire est souvent inconnue, mais aussi de silos et de toutes structures excavées ayant servi de réceptacle aux déchets. L’analyse de ces données permet d’appréhender la part relative des espèces dans la consommation carnée, suivant les régions et les différentes gestions des cheptels. Les nombreux corpus mis à notre disposition permettent d’asseoir les hypothèses sur les spécificités régionales.
Nous disposons d’une base statistique solide comme pour les données carpologiques.
Les modes de préservation ne sont pas identiques entre les différentes régions. Ne seront ainsi retenus que les sites dont on sait qu’ils ont été assez peu affectés par les divers processus taphonomiques naturels, ce qui les rend comparables entre eux. Ainsi, l’éventail des corpus du Second âge du Fer permet la mise en exergue de diversités régionales bien marquées. Si les cinq espèces domestiques principales sont immuables, la fréquence de chacune d’elles au sein des troupeaux, suivant que l’on se situe en Picardie11, en Île-de-France, ou encore en Basse-Normandie, varie en privilégiant une espèce ou une autre, voire deux contre une. Ainsi, l’élevage des sites picards et franciliens est résolument tourné vers le porc et le bœuf dans la seconde partie de l’âge du Fer, alors qu’à la période précédente, le troupeau de caprinés peut dominer le cheptel, ce qui ne sera plus jamais le cas par la suite. Il en est tout autrement en Basse-Normandie où les troupeaux de bovidés prédominent dans le cheptel depuis le Hallstatt D jusqu’à La Tène Finale12. Les indices de romanisation restent ténus dans les décennies qui suivent immédiatement la Conquête, que ce soit en termes de changements des habitudes alimentaires ou d’évolution des tailles des animaux (procédés zootechniques).
Le cas particulier des sites de la Plaine de Caen
L’espèce préférentiellement élevée et consommée est indéniablement le bœuf qui, à quelques rares exceptions près, domine largement les spectres fauniques et ce, quelle que soit la période chronologique observée (50 % du NR). Les caprinés complètent la consommation carnée en quantité non négligeable (autour de 30 %). Quant au porc, même s’il est systématiquement présent, il est notable qu’il ne participe pas massivement à l’alimentation (autour de 15 %) comme cela peut être observé pour des périodes et des contextes similaires dans une zone géographique plus septentrionale. Ces résultats doivent bien évidemment être soumis à une analyse synchronique détaillée, mais aussi hiérarchique, dont ce n’est pas l’objet ici.
Cette région se caractérise par un élevage principalement tourné vers les bovidés et en particulier les bœufs. Ce choix ne peut être uniquement dicté par l’environnement local, sachant que la Plaine de Caen est une zone relativement pauvre en réseau hydrographique – et que l’élevage des bovins nécessite non seulement de vastes espaces mais aussi de l’eau. Il doit plus vraisemblablement répondre à de réels choix économiques. L’importance de cette espèce peut également être mise en relation avec la densification des occupations – liée à une augmentation démographique – et par conséquent à un besoin toujours croissant en viande, là où d’autres peuples ont choisi d’augmenter l’élevage du porc pour sustenter des populations grandissantes.
On note, de plus, des variations sensibles dans les orientations de la gestion des troupeaux. Certains troupeaux sont élevés presque exclusivement pour leur viande, avec un abattage pratiqué soit avant la fin de leur première année, soit avant la fin de la quatrième. Certains sites ont montré l’importance des vaches laitières mais aussi leur utilisation comme animaux de trait. Dans ces cas, la part des animaux de réforme abattus est considérable. Leur entretien nécessite probablement des apports en végétaux, du type fourrage, dans des proportions beaucoup plus importantes que sur les sites où les bœufs sont abattus plus jeunes. Les légumineuses, récoltées en vert, ou les fanes de légumineuses, constituent un fourrage très énergétique qui pourrait fournir un complément alimentaire de très grande qualité, notamment dans le cadre d’un élevage orienté vers la production de lait.
Conjointement à cet élevage, on constate l’importance des troupeaux de chevaux sur la plupart des sites, espèce qui pourrait occuper une place très particulière pour les activités quotidiennes, de transport notamment, et dont la présence prégnante pourrait en partie expliquer l’importance de l’avoine dans les assemblages carpologiques13. Toutefois, l’importance des chevaux ne se limite pas à cette seule zone, mais s’étend aussi plus à l’est, en Picardie notamment, zone d’étude qui n’a pour le moment pas accordé à la culture de l’avoine une importance similaire. Ces différences doivent obéir à des règles particulières qu’il est difficile d’appréhender, compte tenu des multiples facteurs qui doivent entrer en ligne de compte.
Les systèmes de stockage
Les espèces végétales et animales en présence dans ces deux grands ensembles géographiques ont été confrontées aux structures de stockage rencontrées sur les sites. Elles sont représentées par quatre catégories : les greniers, les silos, les souterrains, les caves. Les questions qui sous-tendent cette esquisse comparative entre les deux entités géographiques interrogent la dotation des sites en structures de stockage adaptées à leurs productions carnées et/ou végétales. Au total, la base de données enregistre 1155 occurrences, dont 552 pour La Tène moyenne (226 au nord et 336 à l’ouest) et 603 pour La Tène finale (324 au nord et 279 à l’ouest). Quelle que soit la période, il existe une différence notable entre les deux aires géographiques. À La Tène moyenne, les caves occupent plus de 80 % du corpus, à l’ouest, tandis qu’au nord ce sont les greniers qui sont majoritairement utilisés pour entreposer les denrées. Quelle que soit la période, les souterrains restent une spécificité de la façade atlantique, mais dans une proportion très faible, puisqu’elle n’atteint qu’1%. Les caves sont quant à elles représentées sur un nombre limité d’établissements dans la région Centre-Nord. La part des bâtiments sur poteaux s’accentue nettement à La Tène finale au détriment des silos en Centre-Nord. À l’ouest, on observe une situation similaire avec les caves prédominantes dans la première séquence, qui accusent ensuite un net repli à La Tène finale, au profit des greniers dont la part s’accroît de plus de 30 %. La substitution des silos par des greniers au cours des trois derniers siècles qui précédent notre ère est un fait déjà documenté sur une vaste échelle géographique qui englobe toute l’Europe nord-occidentale14. Le même phénomène touchant les caves, on peut y voir les racines d’un mouvement ou d’une mutation lié au(x) rôle(s) économique(s) des sites. La dénomination de “cave” est attribuée à des structures qui se présentent sous la forme de fosses quadrangulaires à parois verticales et à fond plat. S’il est très tentant d’établir une corrélation entre l’abondance des légumineuses dans l’ouest de la France et la fréquence de ce type de structures, rien n’est moins évident. En effet, dans la plupart des méthodes exposées dans les encyclopédies agricoles pour la conservation des légumineuses, la cave n’est jamais mentionnée. Dans ces dernières, outre les boissons, les produits entreposés sont en contact avec l’air ambiant dans des conditions de température et d’humidité adaptées à leur préservation. Cela concerne principalement des plantes à racines comme les betteraves, carottes, etc. qui se dégradent à la lumière. A contrario, pour conserver des légumineuses, c’est principalement la dessiccation qui est pratiquée : une exposition à l’humidité accroît le risque de pourrissement et est donc vivement déconseillée. À moins que pois, féveroles et lentilles n’aient subi une préparation spéciale, il y a peu de chances qu’ils aient été disposés dans des caves.
Il est aussi possible que ces fosses peu profondes aient fait l’objet d’aménagements spécifiques, comme le planchéiage des parois, afin de les isoler de l’humidité. Le constat d’une production davantage axée sur les légumineuses dans cet espace géographique répond vraisemblablement plutôt à la nature et aux aptitudes culturales qu’il offre. Reste que la prépondérance de ce type de structures doit trouver une explication et que celle-ci est certainement à rechercher dans les produits de l’agriculture : produits baignant dans de la saumure, à l’instar des saloirs du siècle dernier, légumes à racines ne laissant pas de restes apparents, ou encore fanes des légumineuses, qui restent ainsi vertes et appétentes pour le bétail ? D’autres disciplines comme l’étude des phytolithes pourraient peut être permettre de répondre à certaines de ces interrogations. Pour les greniers et les silos, leur rapport avec le stockage des produits issus de l’agriculture ne fait pas de doute, du moins pour une bonne partie d’entre eux. La nature des produits reste néanmoins toujours sujette à discussion, tout comme leurs destinations : pour les hommes ou pour les animaux ? Les répartitions spatiales sur les sites ont montré que les greniers n’ont pas tous servi à conserver des graines, tout comme les silos, qui, d’après ce que nous enseignent les manuels agricoles, auraient pu aussi héberger du foin et des plantes fourragères.
L’ensemble des données pour la période laténienne montre que les agriculteurs disposent de tous les moyens techniques et immobiliers pour orienter leurs productions selon leurs choix. Malgré tout, on constate un usage de la terre et des pratiques diversifiées selon les régions. Elles sont incontestablement liées, pour une bonne part, aux aptitudes culturales des sols, à leurs caractéristiques, appropriées ou non, mais pour une autre quotité à des spécialisations régionales, dont il est encore difficile de cerner tous les aspects.
Conclusion
Si les progrès ont été fulgurants dans divers domaines ces deux dernières décennies, la réunion de données variées constitue un nouveau socle de recherche riche en perspectives15. Les agricultures en vigueur à l’époque laténienne sont probablement bien plus variées et complexes que ce qui a pu, pour l’instant, être mis en évidence. Les premières pistes sur l’élevage, les cultures, le stockage et la nature des sols conduisent, comme c’est invariablement le cas, à l’émergence de nouvelles questions. Loin d’être refermé, le dossier de la ruralité laténienne ne fait que s’enrichir.
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Notes
- Méniel et al. 2009 ; Zech-Matterne et al. 2009.
- Blancquaert et al. 2009.
- Ferdière et al. 2006 ; Zech-Matterne et al. 2009.
- Lepetz & Matterne 2003.
- Une enquête récente portant sur les établissements ruraux du Second âge du Fer (Zech-Matterne et al. 2009) a mis en évidence le déficit d’études carpologiques dans les régions du Nord-Ouest de la France : Bretagne, Normandie (haute et basse) et Pays-de-Loire. Le corpus d’analyses devrait néanmoins s’étoffer dans les deux années à venir grâce à la réalisation d’une thèse de doctorat, confiée à Elsa Neveu, laboratoire Pollen, université de Nantes.
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- Sigaut & Morlon 2008.
- San Juan et al. 1999 ; Besnard-Vautrin 2009.
- Ruas & Zech-Matterne 2012.
- Comet 1992.
- Auxiette & Méniel 2005.
- Méniel et al. 2009 ; Auxiette et al. 2011.
- Zech-Matterne et al. 2009, 390-391.
- Gransar 2000.
- Bertrand et al., dir. 2009.