Les vestiges de mobilier ou les amas de coquillages à pourpre répertoriés à ce jour ne sont pas connectés à des murs ou à des fossés de fondation, de sorte que nous ne sommes pas en mesure de dater la construction de ces ateliers. De ce fait, nous ne pouvons que tenter de situer la période d’occupation des ateliers. Dans bien des cas, il n’est même pas possible de déterminer la période d’occupation des sites archéologiques, mais seulement la durée approximative de la production de pourpre dans le lieu géographique dans lequel ils se situent, et ce, grâce aux sources textuelles. Par ailleurs, certains sites qui n’ont jamais fait l’objet d’investigation ne peuvent être datés : Aperlae (site 4), Délos (sites 2, 4 et 5), Gythion, Ibiza, (sites 3, 4 et 5), Oued Massa, Salamine, Thamusida, Tobrouk.
La première partie de ce chapitre sera consacrée aux sites pour lesquels nous disposons de données archéologiques assez précises pour établir une fourchette chronologique et dont nous pouvons cerner approximativement la durée d’occupation. La seconde partie traitera des sites pour lesquels nous ne pouvons établir aucune fourchette chronologique, mais pour lesquels nous disposons d’un jalon permettant de situer l’occupation de l’atelier ou la production de pourpre autour d’une période donnée. Les sites seront toujours classés de façon géographique : nous commencerons par les sites de Phénicie et nous poursuivrons dans le sens des aiguilles d’une montre.
Les sites occupés pendant
une période déterminée
Les sites dont la période d’occupation peut être délimitée sont : Sidon et Tyr au Liban, Meninx et Carthage en Tunisie, les îles Purpuraires, Septem et Metrouna au Maroc, Toulon en France, le Monte Circeo et Tarente en Italie, Délos en Grèce, Milet et Aperlae en Turquie.
Au Liban
Sidon (fin du Ier s. a.C.-IVe s. p.C.)
Les sources littéraires témoignent d’une production de pourpre à Sidon de la fin du Ier siècle a.C. (entre 27 et 19) au IVe siècle p.C. De Tibulle (3.16-19) au Ier siècle a.C. à Claudien (Carm., 8.552-553) au IVe siècle p.C, un témoignage par siècle vante la beauté de la pourpre de Sidon. Nous ignorons quand les Sidoniens ont commencé à se spécialiser dans cette production, mais il se pourrait que le IVe siècle p.C. ait marqué la fin de cette teinture si réputée.
La célèbre colline aux murex décrite à plusieurs reprises entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle a aujourd’hui disparu. À notre connaissance, aucune datation au carbone 14 des coquilles n’a été réalisée avant que ce site n’ait été totalement recouvert par des constructions modernes. Quant au fragment de cuve brisée retrouvé à même le sol sur le sommet de la colline, il n’est pas datable1.
Tyr (1re moitié du Ier a.C.-658 p.C.)
À notre connaissance, la première mention d’une production de pourpre à Tyr date de la première moitié du Ier siècle a.C.2 et celle-ci perdure sans doute jusqu’à la prise de la ville par les Arabes en 638 p.C. L’époque romaine nous livre de nombreux textes littéraires sur la beauté de la pourpre tyrienne. La première mention dont nous disposons est celle de Cornelius Nepos qui raconte qu’en 63 a.C., P. Lentulus Spinther provoqua l’indignation en osant porter de la pourpre tyrienne de double bain :
on blâmait P. Lentulus Spinther, édile curule, de l’avoir employée (la pourpre tyrienne double-bain) le premier pour la prétexte ; cette pourpre, dit Cornélius Népos, qui ne l’emploie aujourd’hui pour les lits de table ?3 (C. Nepos cité par Plin., HN, 9.136-138).
L’auteur précise bien que c’est le port d’une pourpre de double bain qui suscita cette indignation et on peut donc en déduire que les étoffes de pourpre tyrienne de bain unique étaient déjà connues et portées par les consommateurs romains de cette époque. Ensuite, nous disposons au moins d’un témoignage par siècle, de 29 a.C. (Verg., G., 3.305-307) au VIe siècle p.C. (Cassiod., Var., 1.1.2). Si l’on en croit Cornelius Nepos, la production de pourpre à Tyr remonterait donc au moins à la première moitié du Ier siècle a.C. Elle descendrait jusqu’en 658 p.C., voire au-delà.
Néanmoins, on ne sait à quand remontent, dans ce laps de temps, les structures et les dépôts de coquilles signalés par W. R. Wilde4 le long du littoral sud de Tyr et les restes de structures décrites succinctement par A. H. Cook5 qui ne sont d’ailleurs plus visibles de nos jours.
En Tunisie
Meninx (Ier s. a.C.-VIe s. p.C.)
La pourpre était déjà produite à Meninx, lorsqu’Horace écrivit ses Epîtres6 entre 19 et 14 a.C. Au Ier siècle p.C., elle était réputée pour être l’une des plus belles pourpres qui soit (Plin., HN, 9.125-129) et au IIIe siècle p.C., l’Empereur Claude le Gothique portait “un vêtement blanc de mi-soie orné de pourpre de Djerba”7 (SHA, Clod., 14.8). S’il n’existe aucun témoignage pour le IIe et le IVe siècle p.C., il semble néanmoins que la pourpre de Meninx ait connu une longévité assez exceptionnelle. Nous en voulons pour preuve la mention d’un “procurateur de l’atelier de pourpre de Djerba” dans la Notitia Dignitatum qui nous apprend que la pourpre était encore produite sur l’île de Meninx8 dans la première décennie du Ve siècle p.C.
- site 1 et site 2 : (c. VIe s. p.C.)
Les cuves et les bassins mis au jour au sud-est du site antique de Meninx auraient été construits au début du VIe siècle p.C.9. L’étude du matériel retrouvé en cours de fouilles10 et les indices d’abandon de ce quartier industriel montrent que la production a duré jusqu’au milieu du VIe siècle p.C. Selon E. Fentress, les murex retrouvés en dessous des structures dateraient du Ier siècle p.C., mais elle n’en précise pas la raison11.
- site 3 : (Ier-IIe s. p.C.)
Le site 3, situé au sud-ouest du site antique de Meninx, est constitué d’une quantité énorme de coquilles de murex brisées. Il n’y a pas eu de datation au carbone 14, mais A. Wilson a noté la présence de nombreux tessons d’amphores Mau 35 qui auraient servi à transporter les coquilles12. On peut penser que les coquillages étaient revendus à des ateliers de salaison, puisque qu’il ne manquait au corps du coquillage que la glande tinctoriale13. Ceci tend à indiquer que la production de pourpre était particulièrement intensive aux Ier et IIe siècles p.C.14. Cette datation corrobore celle qu’a faite E. Fentress des débris de coquillages à pourpre retrouvés sous les structures des sites 1 et 2 (voir ci-dessus).
Carthage (VIIIe s. a.C.-Ve s. p.C.)
Bien qu’aucune source textuelle n’y fasse allusion, la pourpre était exploitée à Carthage15. Si l’on en juge d’après les débris de coquillages à pourpre trouvés dans les différentes strates du port de Carthage, la pourpre y aurait été produite du VIIIe siècle a.C. au Ve siècle p.C. On note un ralentissement de la production entre 146 et 20 a.C. et on constate un manque d’indice archéologique pour le IIIe siècle p.C.16. Mais nous ne savons pas sur quelles observations reposent ces affirmations.
Au Maroc
Les Îles Purpuraires (25 a.C.-77 p.C.)
La date d’installation des ateliers sur les Îles Purpuraires est indiquée par un texte de Pline qui nous apprend que Juba II y “avait établi des fabriques de pourpre de Gétulie”17 (Plin., HN, 7.201). C’est en 25 a.C. que Juba II monte sur le trône et le premier témoignage sur la pourpre de Gétulie date de 23 a.C. avec Horace (Epist., 2.2.181-184) qui mentionne les “étoffes teintes avec les murex de Gétulie”18. Ainsi, si l’on suppose que les étoffes dont il est question venaient des Îles Purpuraires, la pourpre de Gétulie arrive sur les marchés romains moins de deux ans après l’accession au pouvoir de Juba II : l’installation des ateliers, la production de pourpre ainsi que sa commercialisation se seraient donc faites dans un laps de temps très court. Peut-être est-ce grâce à sa couleur particulière que l’importation de cette pourpre a été si rapide. Le roi Ptolémée n’avait-il pas “attiré tous les regards par l’éclat de son manteau de pourpre” (Suet., Calig., 35)19 ? Un peu plus tard, la pourpre de Gétulie est considérée comme l’une des plus belles de l’Empire avec celles de Tyr et de Laconie par Pline (HN, 35.44). Notons que c’est là le dernier témoignage connu sur cette teinture si prestigieuse. Ce silence des textes marque-t-il la fin de la pourpre de Gétulie ?
La question est maintenant de savoir où se trouvaient les ateliers de Juba II.
- L’île de Mogador (c. 19 a.C.-époque de Pline)
La découverte de deux deniers d’argent frappés à l’effigie de Juba II ainsi que des tessons de vases d’Arezzo sur la petite plage sud-est montrent que l’île de Mogador était occupée en 19-18 p.C.20. Un ensemble de structures décrites sous le nom de “villa romaine” fut également mis au jour. La partie la plus ancienne de cette villa date de l’époque de Juba II comme en témoignent les tessons de céramique d’Arrezzo21 et la découverte d’un vase de type Dragendorff 11. Le reste de la villa a été construite dans la première moitié du Ier siècle p.C. et l’occupation de l’île a continué jusqu’à l’époque byzantine22. La coupe est-ouest du tertre a révélé, dans la couche romaine, la présence de coquilles dont la nature n’est malheureusement pas spécifiée, tandis que la coupe nord-sud du tertre, toujours dans la couche romaine, a révélé de la terre cendreuse et de la cendre pure23. Ces indices pourraient être les vestiges d’un ancien atelier de pourpre, mais le non-signalement de dépôt de murex laisse penser que le site principal devait se situer à Essaouira.
- Essaouira (c. 19 a.C.-époque de Pline)
Des dépôts de Stramonita haemastoma ont en effet été découverts sur la plage nord de la ville d’Essaouira. La deuxième des Îles Purpuraires ayant été rattachée au continent depuis seulement quelques siècles, ces dépôts constitueraient les restes des ateliers producteurs de pourpre établis à partir de l’époque de Juba II. Cette île étant à la fois plus grande et plus proche du littoral que l’île de Mogador, elle abritait peut-être les principaux ateliers producteurs de pourpre.
- Metrouna (Ier s. p.C.-IIe s. p.C.)
La céramique romaine trouvée sur le site permet de dater la production entre le Ier et le IIe siècle p.C.
- Septem (fin du Ve s. p.C.-début du VIe s. p.C.)
La datation de ce site localisé dans la ville actuelle de Ceuta est tardive : fin du Ve-début du VIe siècle p.C., entre 495 et 525, juste avant l’invasion vandale.
En France
Toulon (1er quart du Ier s. a.C.-1re décennie du Ve s. p.C.)
La production de pourpre en Gaule est encore très mal connue. Elle est évoquée par Vitruve (De arch., 7.13) qui fait allusion à la couleur de la pourpre fabriquée dans cette province à l’époque où il publie son œuvre, entre 27 et 23 a.C.24 L’autre témoignage, qui date de la première décennie du Ve siècle p.C., nous apprend que les villes de Narbonne et Toulon abritaient chacune un atelier producteur de pourpre appartenant à l’empereur25.
Le petit habitat découvert à Toulon dans le quartier appelé “îlot Magnaque” a été abandonné, puis transformé en chantier de récupération de matériaux aux Ve-VIe siècles p.C. Parmi les couches stratigraphiques datées des Ve-VIe siècles, un remblai contenait une énorme quantité de coquillages à pourpre concassés.
La durée de la production de pourpre à Toulon est attestée du premier quart du Ier siècle a.C. jusqu’à la première décennie du Ve siècle p.C.
En Italie
Monte Circeo, sites 1-3 (321 a.C.-111 a.C.)
Des amas de coquillages à pourpre ont été identifiés en trois endroits différents de la région du Monte Circeo, près de la ville de Torre Paola. Un échantillon de coquilles prélevées sur le site 1 a été daté au radiocarbone. Les résultats donnent une fourchette comprise entre 321 et 111 a.C. Néanmoins, la limite basse de cette fourchette semble erronée puisqu’un tesson de sigillée claire, retrouvé avec les débris de coquillages, pourrait indiquer que la production de pourpre se poursuit au-delà du Ier siècle p.C.26.
Tarente, sites 1-7 (100 a.C.-1re décennie du Ve s. p.C.)
Seules les sources textuelles permettent d’établir la fourchette chronologique de la production de pourpre de Tarente. Nous ignorons à quelle date a débuté cette production, mais on peut supposer que les colons grecs y avaient importé leur savoir-faire. Cependant, aucune source textuelle ne mentionne une production de pourpre avant le Ier siècle a.C. Elle était à la mode entre 100 et 90 a.C., c’est-à-dire au temps de la jeunesse de Cornelius Nepos27, puis entre 19 et 14 a.C., à l’époque où écrit Horace28. Dans la première décennie du Ve siècle p.C., un atelier de l’empereur y produisait de la pourpre29. Malgré le manque de témoignage, il est possible que la production ait été continue entre le Ier siècle a.C. et la première décennie du Ve siècle p.C.
Les amas de coquilles et les structures décrites par les érudits des XVIIIe et XIXe siècles n’ont donné lieu, jusqu’à présent, à aucune analyse chronologique.
En Grèce
Délos (269 a.C.-69 a.C.)
Des sources administratives révèlent qu’un impôt était déjà perçu sur la production de pourpre de Délos en 269 a.C.30. Le sac des pirates en 69 a.C. marqua définitivement la fin de la prospérité de l’île et donc certainement l’arrêt de la production de pourpre.
- site 1 : (Ier s. a.C.)
Deux “bassins”, une “cuve” ainsi que trois billots de concassage ont été mis au jour par P. Bruneau. La datation du bassin et de la cuve adjacente s’est avérée complexe, mais le sondage du second bassin a montré que cette structure ne pouvait être antérieure au Ier siècle a.C. et qu’elle n’avait probablement pas été utilisée après cette date : des fragments de coupelles en usage du IIe au début du Ier siècle ont été retrouvés dans la couche 5 qui est antérieure au sol d’utilisation de la cuve. Le sondage effectué dans le voisinage des billots a révélé que la couche 4, qui est sous-jacente, contenait un bec triangulaire de lampe d’Éphèse. Cette lampe fait partie d’une série datée entre le dernier quart du IIe siècle et le premier quart du Ier siècle a.C. : les billots ne peuvent donc pas être antérieurs au dernier quart du IIe siècle a.C. Les tessons retrouvés dans la couche 1 contemporaine des billots prouvent que ces derniers n’ont pas été utilisés après le Ier siècle a.C.31. Selon P. Bruneau, les billots n’auraient servi qu’au cours du Ier siècle a.C.
Les trois sondages effectués ont montré que les couches sous-jacentes comportaient des fragments de coquilles : il y a eu une production de pourpre à cet endroit avant l’installation des structures32.
Ainsi, la production de pourpre sur ce site commence et finit dans le courant du Ier siècle a.C.
- site 3 : (88 a.C.-69 a.C.)
Dans la rue longeant la façade ouest de l’îlot de la Maison des comédiens, d’énormes dépôts de coquilles d’Hexaplex trunculus sont l’indice d’une production de pourpre à cet endroit. L’îlot des Comédiens a probablement été abandonné en 88 a.C., car le matériel antérieur à 69 a.C., c’est-à-dire antérieur au sac des pirates, fait pratiquement défaut33.
La production de pourpre à cet endroit aurait donc débuté après 88 a.C. et a sans aucun doute été interrompue à la suite du sac des pirates en 69 a.C.
Si l’on ne peut pas dater plus précisément le début de la production de pourpre sur l’île de Délos, nous pouvons situer son arrêt probablement dans les années qui suivirent le sac des pirates en 69 a.C.
En Turquie
Milet (dernier quart du Ier s. p.C.-301 p.C.)
La première mention de la pourpre de Milet apparaît chez Martial34 dans le dernier quart du Ier siècle p.C. et elle figure à deux reprises dans l’Édit du Maximum35 promulgué en 301 p.C.
La présence de coquillages à pourpre a été signalée au début du XXe siècle, mais ce renseignement reste inexploité.
Aperlae, site 2 et site 3 (330 p.C.-650 p.C.)
Les amas de coquillages trouvés le long du littoral près d’Aperlae n’ont pas été datés au carbone 14, mais les tessons de céramique retrouvés dans ces amas sont datés entre 330 à 650 p.C.36.
Les sites dont l’occupation
est ponctuellement attestée
L’occupation de certains sites n’offre pas de fourchette chronologique, mais un simple jalon. Elle se situe autour de ce jalon. Ces sites sont, en Libye et en Tunisie, Bérénice, Zuchis et Sabratha ; aux îles Baléares, Ibiza (site 1) ; en Grèce, Erétrie et Chersonisos ; en Turquie, Aperlae (site 1) et Andriake.
En Libye et en Tunisie
Bérénice (c. IIIe s. p.C.)
Un papyrus d’Oxyrhynque du IIIe siècle p.C. nous apprend que la pourpre de Bérénice était portée en Égypte : deux onces de pourpre de Bérénice étaient destinées à broder des robes ainsi que deux voiles37.
- site 1 : IIIe s. p.C.
Le site est représenté par une couche de 15 cm d’épaisseur de coquilles d’Hexaplex trunculus concassés retrouvées dans l’insula II (complexe J2, pièce 7). Ce dépôt serait peut-être en relation avec un autre dépôt de coquillages d’une nature indéterminée (murex ?) qui recouvre un sol démoli sur lequel on a recueilli de la poterie du IIIe siècle p.C. Trois fours domestiques ainsi qu’un four de type indéterminé ont été également retrouvés dans cette construction. L’épaisseur du dépôt trouvé sur ce site amène à penser qu’il y a eu production de pourpre et la présence d’un four à cet endroit n’est peut-être pas fortuite : peut-être s’agit-il d’un four destiné à chauffer la substance tinctoriale ?
- site 2 : IIIe s. p.C.
Des dépôts de coquillages sont visibles dans un haut talus situé derrière le mur de fortification du milieu du IIIe siècle p.C. Ce talus pourrait être soit de la terre apportée délibérément pour la construction du mur, soit des débris qui se seraient entassés avec le temps, soit de la terre provenant d’un déblai de fouille du rempart38.
A. Wilson39 a peut-être vu les mêmes vestiges et les localise plus exactement près du phare, au nord de l’église byzantine. Il semblerait que les dépôts de coquillages soient très importants, mais cette zone n’a pas fait l’objet de recherche chronologique. Cependant, il y a de fortes probabilités pour qu’ils datent du milieu du IIIe siècle p.C., date du papyrus mentionnant la pourpre de Bérénice.
Zuchis (dernier quart du Ier s. a.C.)
Nous savons grâce à Strabon que cette ville était réputée pour sa production de pourpre dans le dernier quart du Ier siècle a.C. :
Après la Syrte, voici Zuchis, un lac d’une grandeur de 400 stades ; il a un accès étroit et, à côté, il y a une ville portant le même nom qui renferme des teintureries de pourpre et d’autres ateliers de salaison de poissons40 (Strab., 17.3.18).
Les dépôts de coquilles brisées et les traces de combustion retrouvés sur la rive méridionale du lac El Bibèn, dans une installation de type industriel comportant des entrepôts, n’ont pas été datés41.
Sabratha (fin du IIe-IIIe s. p.C.)
Sur ce site, la production de pourpre est attestée grâce au réemploi des coquilles dans le mortier de construction. Le sol situé au nord du théâtre appartient à un quartier daté de la dernière moitié du IIe ou du IIIe siècle p.C. et un puits du IIIe siècle p.C. au nord du Mausolée A est rempli de murex. Ces indices font penser que la production de pourpre à Sabratha a eu lieu vers la fin du IIe siècle et au IIIe siècle p.C.42.
Aux îles Baléares
Ibiza site 1 (IIIe s.p.C.-IVe s. p.C.)
Le site de Pou des Lleo situé sur la côte nord-ouest de l’île, a révélé de grandes quantités d’Hexaplex trunculus et de Stramonita haemastoma ainsi qu’une structure. La stratigraphie montre que la production de pourpre a débuté au IIIe siècle p.C. et la découverte, parmi les coquillages, d’une petite pièce de bronze datée du IVe siècle p.C. prouve que cette production avait encore lieu au Bas Empire sur ce site43.
En Croatie
Zambratija44 (période augustéenne)
Les prospections ont permis de mettre au jour avec les débris de coquilles, un vase en sigillée de production augusto-tibérienne locale et de forme Ritt. 9A-Consp. 26, un vase globulaire à paroi fine (probable forme Loron I, 53-57) produit entre le règne d’Auguste et la seconde moitié du Ier siècle a.C. et une coupe hémisphérique à pâte grise et dégraissant de quartz (production augusto-tibérienne). Ces éléments permettent de dater le début de la production à la période augustéenne.
Sveti Ivan45 (Ier s. a.C.)
De la vaisselle de table à vernis noir d’Italie méridionale a permis de dater la production à partir du Ier siècle a.C.
Santa Marina46 (Ier s. p.C.)
Les débris de coquilles trouvés dans la baie étaient associés à du mobilier céramique qui permet de dater ce dépotoir du Ier siècle p.C.
En Grèce
Érétrie (Ier-IIIe s. p.C.)
Nous ignorons à quelle époque la production de pourpre a débuté sur cette île, mais un texte de Philostrate47 nous permet d’affirmer que les habitants d’Érétrie étaient versés dans la pêche aux coquillages à pourpre et dans la fabrication de la teinture pourpre à la fin du IIIe siècle p.C.
- site 1 : (Ier s. p.C.)
Au sud de l’île, des bâtiments comprenant plusieurs salles ont été fouillés. L’une des salles comprend deux “bassins” qui auraient peut-être servi à la production de pourpre. L’archéologue48 s’est fondé sur la technique de construction du sol de la pièce contenant les “bassins” pour dater les structures : la technique de construction employée pour les sols est la technique de l’opus spicatum qui ne peut être, selon lui, antérieure à la période augustéenne. Les installations auraient au moins servi jusqu’au IIe siècle p.C. en raison du matériel retrouvé en cours de fouille, mais nous n’avons pas plus de précision49.
- site 2 : (c. premier quart du IVe s. a.C.)
Dans le sud de l’île, plus précisément dans la maison des mosaïques, une pièce était recouverte de Bolinus brandaris. Cette bâtisse ayant été construite dans le premier quart du IVe siècle a.C.50, la production de pourpre ne peut pas être antérieure à cette époque.
La production de pourpre à Érétrie aurait donc eu lieu du Ier siècle au moins au IIIe siècle p.C.
Site de Chersonisos, Crète (c. milieu du Ier s. a.C.)
Des couches de coquillages ayant servi à la production de pourpre ont été retrouvées à Chersonisos sur le sol d’une maison qui daterait de l’époque romaine. Comme la conquête de l’île de Crète par les Romains date du milieu du Ier siècle a.C.51, la production de pourpre ne pourrait pas remonter en deçà du milieu du Ier siècle a.C.
En Turquie
Aperlae, site 1 (c. époque Julio-Claudienne
Les bassins ayant servi, selon les archéologues, de vivarium pour les murex sont faits en “briques romaines”. Elles correspondent probablement aux dimensions standards des briques romaines52.
Aucune source littéraire n’indique l’existence de cette production de pourpre à Aperlae.
Andriake (VIe s. p.C.)
Des morceaux d’amphores romaines tardives et des fragments de poterie LRD Hayesforme 8 permettent de dater la production de pourpre durant le VIe siècle p.C.
Datation
L’occupation des différents sites que nous venons d’évoquer est résumé dans des tableaux. Dans chacun d’eux, pour chaque site, figurent la durée de production de pourpre attestée par les sources textuelles en un lieu géographique ainsi que la durée d’occupation des sites attestée par des indices archéologiques. Les sites répertoriés dans les tableaux sont classés par ordre alphabétique.
Dans l’état actuel des recherches, sur 35 sites archéologiques, 22 sont occupés à une période déterminée qui peut aller du Ier siècle a.C. au VIe siècle p.C., sans considération d’éventuelles interruptions. Treize autres sites le sont à une période donnée, à savoir, selon les sites, entre le Ier siècle a.C. et le VIe siècle p.C., mais ils pourraient avoir servi avant ou après la période donnée. Tous ces sites archéologiques représentent a priori autant d’ateliers potentiels. Mais il peut arriver qu’un dépôt de coquillages n’indique pas forcément l’emplacement précis d’un atelier, par exemple quand les coquilles ont été déplacées sur un chantier de construction ; par ailleurs quand deux dépôts sont proches l’un de l’autre, ils peuvent appartenir au même atelier. Les résultats de cette étude sont parfois surprenants : l’occupation des ateliers les plus réputés de Phénicie n’est repérable que grâce aux sources textuelles qui sont heureusement très riches, tandis que des sites peu connus comme ceux de Monte Circeo ou d’Aperlae révèlent des indices permettant d’établir une fourchette chronologique précise.
Ce chapitre ne permet pas de dégager de caractéristique particulière et la production de pourpre au sein de l’Empire semble avoir été assez homogène : chaque région a participé tout au long de la période romaine à la fabrication de la pourpre. Dans l’ensemble, chaque site dont la durée d’occupation est bien attestée a connu une production d’au moins un siècle, ce qui signifie que son installation était réfléchie, en d’autres termes, faite pour durer. C’est ce dont témoignent en particulier les sites de Tyr, Sidon, Meninx et Tarente qui se distinguent par leur longévité exceptionnelle.
Notes
- Catalogue, p. 156.
- C. Nepos cité par Plin., HN, 9.136-138.
- Hac P. Lentulus Spinther aedilis curulis primus in praetexta usus inprobabatur. Qua purpura quis non iam, inquit, tricliniaria facit ?
- Catalogue, p. 157.
- Catalogue, p. 158.
- Hor., Epist., 2.1.207-209.
- Albam subsericam unam cum purpura Girbitana (…).
- Not. Dign., 11.70 : Procurator bafii Girbitani, provinciae Tripolitanae.
- Fentress 2000, 83.
- Fontana 2000, 95-114.
- Fentress 2000, 81.
- Wilson 2000, 430.
- Macheboeuf 2007, 387-390.
- Zaouali, “Apport des études malacologiques à la connaissance historique des activités halieutiques dans la région de Carthage”, article non paru. Nous remercions ici vivement son auteur.
- Delmaire 1989, 462, signale un atelier producteur de pourpre à Carthage au IVe siècle p.C.
- Delmaire 1989, 462.
- Insulas…constat esse ex adverso Autololum a Iuba repertas, in quibus Gaetulicam purpuram tinguere instituerat.
- uestes Gaetulo murice tinctas sunt.
- hominum oculos fulgore purpureae abollae animaduertit.
- Jodin1966, 13.
- Jodin 1966, 32.
- Jodin 1966, 256.
- Jodin 1966, 35.
- Supra, p. 49 : la Gaule produisait selon Vitruve de l’ostrum atrum. Notons toutefois que la ville de Toulon est située très près du 43e parallèle en dessous duquel la pourpre produite était bleuâtre (ostrum lividum).
- Not. Dign., 11.72 : Procurator bafii Telonensis, Galliarum ; 11.73 : Procurator bafii Narbonensis.
- Blanc 1958, 193.
- C. Nepos cité par Plin., HN, 9.136-138.
- Hor., Epist., 2.1.207-209.
- Not. Dign., 11.65.
- Bruneau 1969, 760.
- Bruneau 1969, 775.
- Bruneau 1969, 785.
- Bruneau et al. 1970, 426.
- Mart., Epigr., 8.28.
- Édit du Maximum, 24.6-24.7.
- Foss 1984, 17.
- POxy., 2273.
- Reese 1980, 89.
- Wilson 2001, 31.
- Μετὰ δὲ τὴν σύρτιν Ζοῦχις ἔστι λίμνη σταδίων τετρακοσίων στενὸν ἔχουσα εἴσπλουν καὶ παρ´ αὐτὴν πόλις ὁμώνυμος πορφυροβαφεῖα ἔχουσα καὶ ταριχείας παντοδαπάς·.
- Drine 2000, 2005.
- Wilson 2002, 249.
- Costa & Sergi Moreno, 2004, 187.
- Machebœuf et al. 2013, 261.
- Ibid., p. 265.
- Ibid., p. 266.
- Philostr., VA, 1.24.2.
- Schmid 1998, 30.
- Schmid 1999, 275.
- “Histoire et Archéologie, Érétrie cité de la Grèce Antique”, Dossier d’archéologie, 94, mai 1985, 66.
- Sanders 1982, 4-5.
- Adam 1989, 65.