Les nouveaux étudiants, ces non-héritiers
Ce premier chapitre est consacré à la présentation du contexte dans lequel se trouvent les jeunes adultes désirant poursuivre un cursus universitaire. Pour comprendre l’expérience estudiantine des individus porteurs d’un handicap, il est nécessaire d’aborder la manière dont l’enseignement supérieur et le statut d’étudiant ont évolué au cours des dernières années. Comment définir le public étudiant d’aujourd’hui ? À l’origine, l’université est pensée comme un enseignement dit « terminal ». Elle prépare à la vie professionnelle par l’obtention d’un diplôme. L’objectif premier des études est d’entrer dans la vie professionnelle et, par conséquent, de sortir de la vie estudiantine. La condition étudiante est donc vouée à sa propre disparition. Elle n’en reste pas moins un rite de passage devenu quasiment incontournable pour décrocher une place dans la société actuelle. Autrefois nommés « héritiers » par Bourdieu (1964), les étudiants n’appartiennent plus exclusivement à un certain âge, ni à un certain milieu social. Des personnes actives professionnellement et plus âgées peuvent poursuivre des études, en formation continue, par exemple. Par ailleurs, l’accès à l’enseignement supérieur mais aussi à la réussite des études ne sont plus autant déterminés par l’origine sociale. Depuis une vingtaine d’années, les formations postbac font face à une massification. De nouveaux profils d’étudiants, très éloignés des élites habituelles, se sont présentés à l’université. La diversification des trajectoires scolaires et des parcours de vie a rendu le public estudiantin sociologiquement hétérogène1. Il n’est plus possible de réduire les étudiants à un même sous-ensemble social. On précisera néanmoins que les facteurs socio-culturels influencent encore grandement l’accès à l’enseignement supérieur (notamment à certains secteurs spécifiques), ainsi que le parcours universitaire dans sa globalité. Ce phénomène sera d’ailleurs constaté dans les prochains chapitres de cet ouvrage.
Quoiqu’il en soit, une nouvelle temporalité des études est constatée. L’âge médian de la sortie d’études s’accroît. Pour les générations précédentes, l’obligation scolaire bornait étroitement les limites de la scolarisation. Aujourd’hui, l’enjeu est de repousser ces limites pour atteindre des diplômes et des niveaux plus élevés. Les rites du passage à la vie adulte et à l’insertion professionnelle sont repoussés dans le temps. L’enseignement supérieur est désormais une transition, un entre-deux, parfois considéré comme un temps de répit avant la vie professionnelle active. Il s’agit pourtant d’une période difficile durant laquelle l’étudiant devra agir de façon autonome pour identifier les démarches à réaliser et les outils à solliciter. Il sera contraint de développer des compétences physiques et intellectuelles nécessaires à son intégration au milieu universitaire. L’important taux d’échec en première année est l’illustration la plus probante de la complexité du passage à l’enseignement supérieur.
On ne naît pas étudiant : on le devient
L’enseignement tertiaire est un espace d’apprentissage où se concrétisent des formes de reconnaissances symboliques participant à la construction de son rapport à soi-même et à autrui2. Bâtir son estime n’est possible que par le processus d’inclusion vécu durant les études. La période du passage à l’âge adulte est riche en rites transitionnels d’un statut vers un autre. Elle correspond à une temporalité complexe de par son nombre d’évolutions et de croisements entre divers milieux sociaux. L’adolescent s’émancipe de certaines pratiques liées à son enfance et dont il doit faire le deuil pour renaître à travers d’autres rites soumis au nouveau statut d’adulte. Le passage du secondaire au tertiaire présente la particularité d’être une période de double rupture pour les étudiants : pédagogique et psychosociale3. Sur un plan éducationnel, l’entrée dans un nouvel établissement et un nouveau cursus correspond à un premier niveau de rupture. Le second est celui du devenir adulte, véritable transition développementale4. Cette transition douloureuse s’explique notamment par l’absence de lien entre le lycée et l’enseignement supérieur, l’éloignement géographique et le nouveau logement5. L’entrée dans l’enseignement supérieur est un temps de ruptures qui nécessite une adaptation scolaire, sociale et émotionnelle. L’intégration des étudiants requiert une appropriation des règles explicites et des attentes implicites du milieu universitaire. La nouvelle posture à adopter par l’étudiant est bien éloignée des habitudes qu’il avait développées au collège et au lycée. L’adaptation n’est possible que par une identification des ressources – à la fois internes et externes – à mobiliser. Il s’agit d’un processus réalisé en parfaite autonomie qui dépend de divers facteurs (individuels, sociaux et environnementaux). Avoir des parents ayant suivis des études supérieures, bénéficier de leur apport financier, ne pas avoir besoin de cumuler un métier dit « alimentaire » et habiter proche de son lieu scolaire sont d’autant de privilèges qui favorisent la réussite des étudiants. Des inégalités persistent, dans une moindre mesure, au niveau de l’accès à l’université et, de manière plus significative, en termes de choix et de sélection des différentes filières6. Bien que le dispositif d’injonction du 80 % de réussite au baccalauréat, daté de 1985, a eu des apports bénéfiques en termes d’ouverture de l’université à tous, on constate, plusieurs décennies plus tard, que cette politique a favorisé le dualisme entre les filières sélectives prônant un culte de la performance et l’individualisme, et la fac, parent pauvre de l’enseignement supérieur.
Survivre dans la jungle universitaire
L’université se caractérise le plus souvent par une forme d’éclatement de sites, d’écoles, de composantes dans ou à l’extérieur des villes. Cette écologie particulière d’un espace universitaire fragmenté, pluriel sur bien des plans (physique, social, symbolique), est un marqueur des inégalités d’accessibilité et d’accueil des étudiants.
Bien que la plupart des formations postbac françaises aient adoptés le cadre européen des études supérieures en trois paliers (licence, master, doctorat), d’autres institutions demeurent en marge de ce système, tout en conservant, pour la plupart, des passerelles envisageables et des crédits d’enseignement transférables entre écoles. On retrouve des instituts universitaires de technologie (IUT) rattachés aux universités et qui délivrent le diplôme universitaire de technologie en deux ans (DUT). En dehors des campus universitaires, des formations peuvent être assurées dans des lycées, telles que les sections de techniciens supérieurs (STS) sanctionnées par un brevet de technicien supérieur (BTS) et les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Hors UFR (Unités de Formation et de Recherche) et hors lycée, on retrouve des écoles privées ou « grandes écoles » (formations ingénieurs, de management, de commerce, d’art) ainsi que des établissement spécialisés (notamment ceux préparant aux études paramédicales et sociales).
Institution d’études supérieures | Unités de Formation et de Recherchedédié à l’accompagnement) | Écoles spécialisées | Lycées | Grandes écoles |
Diplômes des filières | - Licence, master, doctorat-DEUST et DUT | - Licence professionnelle, - Diplômes d’état - Diplômes d’écoles | - Licence professionnelle, BTS - Diplômes divers (DN MADE et DCG) - CPGE | - Diplômes d’état- Master - Diplômes d’écoles |
Afin de pouvoir aborder le sujet des études supérieures dans leur globalité et d’évoquer les spécificités des différents secteurs, il convient d’informer le lecteur ou la lectrice de la signification des termes utilisés ; lorsque l’on évoquera l’université ou le milieu universitaire, il sera question de l’enseignement supérieur de façon générale en tant qu’entité propre. Le sigle UFR fera référence aux Unités de Formation et de Recherche (dénommés généralement « facultés » dans le langage courant).
Telle la jungle qui n’est qu’une forêt d’arbres inégalement répartis et un amas dense de végétation anarchique, l’université n’en est pas moins vaste et compte un nombre d’étudiants dont la proportion par filière est irrégulière. La comparaison des profils types du public de chacune des institutions n’est pas sans rappeler la chaîne alimentaire des animaux peuplant la jungle. Empruntons à Stéphane Beaud (2002) sa hiérarchie de l’enseignement postbac pour filler cette métaphore :
- Au sommet de cette hiérarchie des études supérieures, on retrouve les classes préparatoires, dont l’enjeu social implicite serait de reproduire les classes supérieures. Le recrutement et la pédagogie des classes préparatoires provoquent un processus de reproduction des jeunesses dominantes et forment des élites. Caractérisés par leurs capacités à faire face à une surcharge de travail intense et leur esprit compétitif, les étudiants en prépa correspondent, dans notre comparaison, aux tigres, se situant à l’extrémité haute de la chaîne alimentaire.
- Au milieu, les filières sélectives postbac professionnelles (de type IUT et BTS) présentées comme choix de prédilection pour les lycéens possédant un « bon dossier ». Ce sont les oiseaux possédant un beau plumage, tel le perroquet. La lectrice ou le lecteur aura noté que le plumage fait ici référence au dossier que le lycéen aura su se constituer pour être sélectionné dans ce type de cursus. Certaines similarités des filières de types BTS et IUT avec le lycée peuvent faciliter l’organisation du travail étudiant, plus proche de celle du travail lycéen.
- Au plus bas, se retrouve le premier cycle universitaire des UFR. Il est non sélectif et bien souvent le choix par défaut des lycéens n’étant pas sélectionné ailleurs. À l’extrémité basse de la hiérarchie de l’enseignement postbac, il va sans dire que les étudiants y figurant sont les insectes de notre allégorie. Ils grouillent, telles des fourmis, dans les amphithéâtres, entassés et tentant de se faire une place dans un lieu vaste et dont le travail est à réaliser principalement de manière autonome.
La métaphore proposée ici est volontairement caricaturale pour illustrer la grande variabilité du vécu des études et du profil des étudiants en fonction des filières suivies. Il convient de garder à l’esprit que l’enseignement supérieur est davantage accessible qu’il y a plusieurs dizaines d’années, mais que les inégalités en termes de répartition entre les établissements persistent.
La quadruple peine d’avoir des besoins particuliers à l’université
La nouvelle conception de la jeunesse actuelle repoussant la fin du cursus universitaire, évoquée en début de chapitre, surexpose les jeunes adultes présentant un besoin éducatif particulier aux vulnérabilités liées au passage à l’âge adulte7. Les limitations de l’accès au milieu universitaire produisent un handicap, celui de l’inaccessibilité à la connaissance. Ajouter le manque de savoir aux études engendre une double peine aux jeunes et jeunes adultes en situation de handicap désirant poursuivre un cursus universitaire8. Sur un plan social, la transition du lycée vers l’enseignement supérieur est source d’affiliation et de reconnaissance sociale. Ne pas pouvoir accéder aux études supérieures va alors provoquer une désaffiliation sociale9. L’étudiant à besoins particuliers pourrait affronter non seulement une double rupture propre à son statut d’étudiant et à son âge (psychosociale et pédagogique) mais aussi une double peine liée aux limitations d’accès aux études supérieures et aux contraintes liées à son besoin particulier non comblé. Je me risquerais presque à parler ici d’une « quadruple peine ».
Le rapport sur les conditions de transitions vers l’enseignement supérieur et vers l’emploi des lycéens à besoins éducatifs particuliers dans plusieurs pays développés (États-Unis, France, Danemark, Irlande, Norvège, Pays-Bas et République Tchèque)10 fait état de plusieurs inégalités entre les étudiants nécessitant des besoins particuliers et les autres. Ce rapport met en lumière plusieurs éléments corroborés par les résultats du questionnaire réalisé dans le cadre de mes travaux de thèse ; Les jeunes en situation de handicap sont inscrits majoritairement dans les UFR, notamment en sciences humaines et dans des filières artistiques et sociales. Le facteur premier conditionnant la réussite de l’étudiant lors de la transition postbac est le soutien de la famille. Le milieu social des jeunes en situation de handicap influe sur l’accès aux études supérieures. En effet, les jeunes adultes en situation de handicap provenant d’un milieu défavorisé ont moins de chance de parvenir aux études supérieures que ceux venant d’un milieu aisé. Par rapport à l’accompagnement dont ils bénéficient, la réussite des étudiants français dépend principalement de la capacité de l’ensemble des acteurs à pallier l’absence de politiques concrètes en matière de handicap au niveau des établissements d’enseignement supérieur. Il s’agit de processus compensatoires de la part des étudiants qui cherchent l’information eux-mêmes, demandent un soutien informel de la part des enseignants et/ou mobilisent leur famille. Parfois, la compensation provient des professionnels qui – sensibilisés ou motivés individuellement – s’investissent, en marge de leurs pratiques, dans la favorisation d’un environnement accessible aux étudiants en difficulté.
L’inclusion du lycée à l’université
Le nombre d’élèves handicapés qui poursuivent leurs études est plus élevé qu’autrefois. Toutefois, des difficultés persistent, notamment durant les transitions. Le passage du lycée à l’enseignement supérieur est complexe pour tout individu. Identifier, de façon autonome, les démarches à suivre et trouver sa place dans ce nouvel environnement demandent des ressources physiques et intellectuelles importantes4. Cette transition est d’autant plus difficile à gérer lorsque le jeune adulte présente un handicap11. Dès lors que l’on compare le contexte d’inclusion du lycée à celui de l’enseignement supérieur, on remarque plusieurs différences ; l’enseignement supérieur est vaste, il répertorie un ensemble d’établissements pluriels, comme vu précédemment. L’hétérogénéité s’illustre également sur un plan juridique (structures privées, publiques), mais aussi sur un plan politique avec des institutions de rattachement diverses (les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, de la Culture, des Affaires sociales et de la Santé, de la Justice, des Armées, de l’Agriculture et de l’Alimentation, de l’Économie et des Finances). Il convient de ne pas amalgamer ces institutions. Et c’est là toute la difficulté. Lorsque l’on évoque l’inclusion dans l’enseignement supérieur, on doit considérer cette hétérogénéité d’établissements. Pour le lycée, bien qu’il existe aussi une distinction entre le public et le privé et que l’on retrouve quelques structures en marge du système général, la quasi-totalité des établissements sont régis par le même ministère, celui de l’Éducation nationale. En termes de mise en œuvre des aménagements, ceux du secondaire proposés aux élèves à besoins particuliers sont protocolisés selon des directives nationales. Dans l’enseignement supérieur, ce n’est finalement pas les coûts qui posent problème, mais leur organisation pratique. Alors qu’au lycée, les enseignants sont concertés et réunis lors de la mise en place des aménagements, à l’université, les aménagements sont régis par les services dédiés, les missions handicap, et requièrent ensuite l’assentiment des enseignants. Or, d’après la littérature scientifique12, leur accord n’est pas garanti et dépend d’une sensibilité individuelle.
Par ailleurs, la difficulté principale des étudiants en situation de handicap réside dans le passage du lycée à l’enseignement supérieur pouvant entraîner la perte de certains aménagements et compensations, considérés comme acquis par le lycéen, nouvellement étudiant. Alors même que l’enseignement supérieur demande une plus grande autonomie dans l’organisation des cours et du travail personnel, l’accompagnement dont a bénéficié l’élève en situation de handicap au cours de sa scolarité est modifié, voire disparaît. L’étudiant devra être contraint de réaliser de nouvelles démarches administratives pour faire valoir à nouveaux ses droits, sans être certain que les compensations qu’il avait au lycée puissent être transférables à l’université. L’enseignant référent, professionnel rattaché institutionnellement à l’Éducation Nationale, représente l’interlocuteur principal dans le projet de scolarisation des élèves en situation de handicap, du fait de sa proximité avec l’enfant. Il connaît son histoire, il rencontre l’ensemble des acteurs gravitant autour de l’élève et il maintient la communication entre tous. Toutefois, l’accompagnement réalisé par ce professionnel prend fin dès l’entrée à l’université.
Les politiques d’accueil des étudiants en situation de handicap dans l’enseignement supérieur français
La frise ci-dessous retrace la législation française en faveur de l’inclusion des personnes vulnérables, handicapées dans l’enseignement supérieur, au fil du temps.
L’université a pendant longtemps été considérée comme un lieu de formation facultatif et réservé aux élites. Il a fallu attendre les années 1970 pour qu’une politique intégrative soit encouragée dans l’enseignement supérieur et particulièrement la loi du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées. Celle-ci, présentée par Simone Veil, ministre de la santé de l’époque, vise à intégrer au maximum l’ensemble des individus. La loi du 30 juin 1975 fait de l’intégration sociale des personnes handicapées une obligation nationale en garantissant l’accessibilité aux locaux et aux diverses installations. Quelques années plus tard, par le biais de la circulaire de la direction des enseignements supérieurs du 7 février 1989, il est demandé aux établissements de désigner un chargé d’accueil parmi les professionnels enseignants ou administratifs de la structure afin d’assurer officiellement la coordination des actions en faveur de l’accueil des étudiants handicapés. Des circulaires successives ont précisé les conditions d’aménagements. Ce n’est qu’à partir de la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » que la catégorie « étudiant handicapés » apparaît dans le registre de l’action publique française et que l’intérêt pour les études supérieures est considéré par la législation française. Cette nouvelle législation reconnaît le droit aux adultes handicapés à poursuivre un cursus universitaire. Aux obligations de scolarisation qui existaient antérieurement, cette loi ajoute le secteur de l’enseignement supérieur. Des circulaires entre 2005 et 2011 prévoient des dispositions sur le développement des mesures d’accueil des étudiants handicapés, l’amélioration de leurs conditions d’étude et de vie, la mise en accessibilité totale des locaux, ainsi que l’amélioration de l’accompagnement pédagogique et des modalités d’aménagements et d’organisation des examens et concours. Un plan, nommé « Réussite en licence », a été lancé par le ministère de l’Enseignement supérieur à la rentrée 2008 pour une durée de 5 ans. Parmi les mesures prises, on retrouve un renforcement de l’encadrement, un meilleur accompagnement dans l’orientation des étudiants, des dispositifs d’accueil pour les nouveaux arrivants et la mise en place de tutorats par les enseignants. Bien que ces actions soient efficaces en termes de réduction des redoublements et des réorientations, elles n’ont un impact que sur les difficultés d’ordre scolaire et n’agissent pas sur le reste des causes du décrochage universitaire13.
Les chartes Université Handicap (signée en septembre 2007 puis renouvelée en mai 2012) et Grandes Écoles Handicap (signée en mai 2008, puis en février 2019) incitent le développement d’un engagement pour chaque université à s’inscrire dans une politique en faveur du handicap avec l’élaboration d’un schéma directeur pluriannuel du handicap. Ces chartes n’ont pas de valeur législative et il a fallu attendre la loi « Fioraso » du 22 juillet 2013 pour que la création d’un schéma directeur pluriannuel du handicap soit imposée dans chaque établissement du supérieur. Ces mesures ont permis de faciliter l’accessibilité et l’inclusion dans les établissements d’enseignement supérieur, notamment par l’augmentation des effectifs de personnels. Toutes les universités disposent désormais d’une structure d’accueil et d’accompagnement des étudiants handicapés avec un soutien financier du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Les réponses concrètes de l’enseignement supérieur au regard des mesures législatives
L’accès à l’université s’est démocratisé mais il est toujours sujet aux inégalités socio-culturelles. Bien que la base minimale d’actions en faveur des étudiants en situation de handicap commune à toutes les universités ne soit pas négligeable, l’engagement institutionnel varie considérablement d’un établissement à l’autre. La loi oblige toute université à se doter d’une mission handicap, mais les contours de cette loi ne permettent pas une harmonisation des offres institutionnelles. Ce sont les établissements qui sont responsables des aménagements proposés et mis en place. Dans chaque institution d’enseignement supérieur, il doit y avoir au minimum un responsable identifié qui porte la politique handicap de l’établissement. Certaines structures disposent d’une véritable équipe, tandis que d’autres ne détiennent qu’un seul professionnel. Les écarts d’organisation sont tels qu’il est possible de rencontrer des services structurés dans certaines universités et une absence totale d’organisation dans d’autres. Six types d’organisations ont été identifiés dans un rapport de l’inspection générale de l’Éducation Nationale14.
- Les associations. Elles sont subventionnées par l’université et l’action menée en faveur des étudiants en situation de handicap.
- L’absence de structure spécialisée (un quart des établissements). Au mieux, un professionnel exerçant déjà une mission dans l’établissement est désigné pour l’accueil des étudiants en situation de handicap. Le rapport précise que l’absence d’un espace dédié n’empêche pas forcément la bonne volonté des professionnels nommés, mais restreint le temps alloué au développement de leur action.
- Un service intégré. Il s’agit d’un service au sein de l’université non spécialisé qui occupe une mission d’accueil, en plus de celle initiale.
- Une « mission handicap ». Elle est dirigée par un chargé de mission qui élabore le schéma directeur pluriannuel définissant la politique handicap de l’établissement (depuis la Loi Fioraso de 2013, suscitée). À ses côtés, une équipe coordonne la prise en charge des étudiants en situation de handicap.
- Un service « handicap ». Un service autonome et uniquement dédié à l’accueil et l’accompagnement des étudiants en situation de handicap. Il peut contenir plusieurs statuts génériques, tels que des référents handicap (professionnels spécialisés dans l’accompagnement des étudiants) et correspondants handicap (professionnels spécialisés dans l’accompagnement des salariés en situation de handicap15).
- Un service interuniversitaire. Un service « handicap » commun à plusieurs universités avec une mutualisation des moyens humains et techniques.
La diversité des statuts et des modalités d’exercice des personnels travaillant en faveur des étudiants en situation de handicap est tellement importante que toute tentative de recenser ces professionnels serait vaine. On peut tout de même citer les enseignants, les personnels du secteur médico-social (médecins, assistants sociaux, infirmiers), les personnels administratifs, les contractuels sur ressources propres des établissements et les personnels précaires (emplois aidés). Il a été constaté un dévouement commun à tous ces acteurs. L’hypothèse d’une sensibilisation individuelle au handicap est soulevée.
« Elle [la secrétaire de la formation] a été très sympa. En plus, elle avait déjà eu un cancer du sein, donc elle était assez compréhensive », explique Audrey, étudiante de 23 ans, en master, en rémission d’un cancer diagnostiqué il y a moins d’un an.
L’implication dans l’accompagnement de l’étudiant dépendrait, entre autres, du vécu du professionnel.
Les dernières mesures législatives des années 2010, précédemment mentionnées, ont permis de faciliter l’accessibilité et l’inclusion universitaire. Néanmoins, les disparités persistent, tant en matière d’inégalités de personnel disponible par étudiant en situation de handicap, qu’en enveloppe budgétaire16.
Un accueil et une inclusion soumis aux spécificités de la structure
Comme évoqué précédemment, le milieu universitaire comprend une multitude d’institutions. Les établissements d’enseignement supérieur peuvent être des UFR, des grandes écoles ou encore des lycées. Ainsi, l’accueil réservé aux étudiants à besoins particuliers dépend du type d’institution.
Malika, lycéenne en classe de Terminale et atteinte d’une maladie chronique, doit choisir son orientation postbac. Elle déclare préférer éviter l’université car les professeurs de faculté lui semblent moins disponibles que ne le seraient des enseignants travaillant dans des établissements plus petits.
Coralie, une étudiante de 19 ans, en licence, en rémission d’un cancer, légitime cette peur par sa propre expérience. Elle explique : « Comme en [fac de] psycho on est très nombreux, en général, les professeurs ne font pas trop attention aux étudiants. »
La proximité avec les enseignants est réduite lorsque les promotions d’étudiants sont trop importantes. Les jeunes interrogés qui étudient ou ont étudié en faculté se disent lucides sur la difficulté pour les professionnels d’accompagner individuellement chaque étudiant nécessitant des adaptations particulières lorsqu’il est question d’encadrer plusieurs centaines d’étudiants. Après une expérience négative vécue ou par appréhension d’un éventuel refus, ils se résignent à ne plus demander d’adaptation, voire à se réorienter dans des filières à effectifs réduits.
Dans les établissements accueillant moins d’étudiants, l’accompagnement est rendu davantage possible par les conditions structurelles de fonctionnement.
Audrey, 23 ans, étudiante en rémission d’un cancer, inscrite à la fois en école d’ingénieur et en faculté a pu constater d’elle-même la différence : « Avec la fac, c’est toujours un peu plus… un peu plus difficile, justement parce qu’ils ne font pas de cas par cas. Donc à chaque fois, j’ai été obligée de me re-justifier. » Elle ajoute, en ce qui concerne le personnel de l’école d’ingénieur, « pour eux, ça a été hyper facile parce qu’il n’y a pas beaucoup d’étudiants, donc c’est vraiment du cas par cas ».
L’individualisation de l’accompagnement semble possible dès lors que les enseignants font face à moins d’étudiants. Les formateurs ont plus de difficulté à apporter leur soutien aux étudiants qui en auraient besoin lorsqu’ils enseignent auprès de grosses promotions.
Audrey ajoute que la faible taille de son école d’ingénieur lui permet d’être connue du personnel (notamment administratif), ce qui lui facilite grandement ses démarches : « La secrétaire me contactait directement moi, au lieu de faire passer des mails administratifs […] Je pense que le fait que je sois dans une petite structure a bien aidé, parce que… les professeurs et le personnel administratif me croyaient. » Explique-t-elle, en opposition à la faculté dans laquelle chaque démarche auprès d’un nouvel interlocuteur nécessitait de re-justifier ses demandes et ses besoins spécifiques.
De manière générale, la relation de confiance s’instaure plus aisément dans une structure plus petite. Les étudiants sont plus sereins quand ils sont inscrits dans une promotion plus restreinte, ils ont moins de difficulté à parler de leur problématique de santé et ont davantage confiance dans la prise en compte de leurs demandes.
Elisa a 23 ans, elle est étudiante en master et a fait une rechute d’un cancer diagnostiqué trois ans auparavant. Durant sa licence, les étudiants étaient 250 dans sa promotion. Lorsqu’elle est arrivée en master, ils n’étaient plus que 40. « C’est quand même beaucoup mieux », déclare-t-elle. Elle raconte : « Je connaissais très bien la responsable de la formation. Donc je n’avais pas de tabou à lui dire que j’étais malade. J’ai librement demandé mes aménagements, je savais que ça allait être accepté, qu’on allait trouver une solution. […] On était quarante par promo, donc on se connaissait tous bien. Je savais en qui je pouvais avoir confiance. »
La proximité des petites structures facilite les relations avec l’équipe éducative et administrative, mais aussi avec les autres étudiants. On évoque la taille de l’institution, mais en réalité il s’agirait davantage de l’effectif des étudiants pris en charge par l’équipe éducative et administrative. Pour les étudiants qui restent dans la même faculté mais qui passent d’une licence à un master, le ressenti est unanime : à structure identique, c’est avant tout le nombre d’étudiants par promotion qui va impacter sur les interactions (entre étudiants et avec les enseignants). Pour les professionnels de l’enseignement supérieur, l’effectif des étudiants est d’ailleurs le facteur le plus discriminant de la complexité de l’enseignement supérieur. Pour les étudiants, il s’agit du manque de temps des professionnels octroyé aux étudiants, une caractéristique que l’on peut légitimement reliée au nombre d’inscrits.
Bien que la faculté ne permette pas un accompagnement personnalisé par l’enseignant, il s’avère que les étudiants présentant un problème de santé y sont davantage inscrits que les autres. L’UFR permet une certaine forme de liberté en termes d’absences. Cet élément est apprécié des malades qui sont souvent dans l’incapacité de se rendre en cours et qui doivent jongler entre les rendez-vous médicaux et les enseignements. La responsabilité de l’organisation du travail repose davantage sur les étudiants que dans d’autres types de formation. Les jeunes s’y orientent donc plus volontiers, dans l’espoir de pouvoir gérer leur emploi du temps, sans devoir rendre de compte à l’institution. Par ailleurs, l’entrée en première année de faculté est (dans la majorité des cas) non sélective et par conséquent moins effrayante que les filières à concours ou dites « élitistes » comme la médecine ou les classes préparatoires. Ces dernières sont d’ailleurs considérées comme les moins accessibles, aussi bien par les étudiants que par les professionnels ayant répondu à notre enquête. Concernant les BTS et IUT, leur familiarité avec le lycée est vue comme facilitante et rassurante. La perception de ce que sont en capacité de proposer ces types d’institution influence irrémédiablement le choix d’orientation postbac des lycéens malades.
Mathieu, 18 ans, en rémission d’un cancer, est étudiant en classe préparatoire. Lorsque je lui demande s’il bénéficie d’aménagement compte tenu de ses problèmes de santé, il déclare qu’aucune adaptation n’est envisageable dans sa filière. Sa mère l’interrompt : « Tu ne t’es même pas posé la question s’il y avait des aménagements ! » Mathieu réfléchit, puis avoue avoir considéré qu’en classe préparatoire, du fait de l’élitisme supposé de cette institution, il ne devait pas y avoir d’aménagement. Cette perception n’est pas un cas isolé et est directement liée à la hiérarchisation de l’enseignement postbac vue en début de chapitre.
Malheureusement, la crainte de rencontrer une institution hermétique à toute adaptation est parfois justifiée.
Cette situation a été rencontrée par Alexandra, une jeune femme de 23 ans, atteinte de deux maladies rares chroniques. Après le lycée, elle s’inscrit dans une école paramédicale privée. Lors de son inscription, ses problématiques de santé ne requièrent pas d’adaptation pédagogique ou physique particulière. En cours d’année universitaire, dû à une évolution de sa pathologie, elle doit être appareillée d’un fauteuil roulant pendant une durée indéterminée. L’institution ne lui étant plus accessible, ses camarades portent son fauteuil dans les escaliers afin qu’elle puisse accéder aux salles de cours. Lorsqu’elle demande des aménagements pédagogiques, les enseignants refusent sous prétexte qu’ils se seraient apparentés à des « traitements de faveur », rapporte-t-elle. Ne pouvant continuer sa scolarité dans ces conditions, Alexandra quitte cette école et s’inscrit dans un autre établissement, se trouvant dans la même ville et proposant la même filière. Les deux structures ne possèdent pas de service spécialisé, mais dans la deuxième, la présence d’une directrice motivée a permis l’adaptation de l’institution à ces besoins en termes d’accessibilité physique et pédagogique.
Au-delà du type d’institution, de sa taille, de son système d’inscription ou encore des aménagements qu’elle propose, ce sont les individus qui y travaillent qui feront la différence. Un étudiant sur deux qui reçoit des aménagements déclare que des limitations persistent. Près d’un tiers témoigne des difficultés à expliquer ses problèmes de santé17. Parmi l’ensemble des étudiants bénéficiant d’un aménagement d’examen, 77,3 % d’entre eux déclarent qu’il s’agit d’un temps supplémentaire18. Ce principe même de temps majoré quasi systématique est à interroger. Est-ce que les étudiants demandant un accompagnement adapté à leurs besoins spécifiques peuvent se contenter de ce qui est couramment nommé « tiers-temps » attribué de manière protocolaire aussi bien pour les étudiants dyslexiques que pour ceux qui ont une maladie respiratoire chronique ou un cancer ?
La société inclusive est un concept qui s’est largement popularisé ces dernières années. Elle rejette toute hiérarchisation des vies et repose sur le principe selon lequel la société appartient à tout le monde, sans distinction. Dans le domaine de l’enseignement, il est nécessaire d’adapter la quantité et la qualité des ressources pour répondre aux besoins particuliers des étudiants en situation de handicap. Néanmoins, on ne peut dissocier l’inclusion de la société inégalitaire et normative dans laquelle elle s’inscrit19. Conserver les institutions formatrices telles quelles, en ajoutant des aménagements, permet d’offrir un établissement davantage accessible, mais pas plus inclusif. Nous ne faisons face qu’à des changements superficiels qui amènent à tolérer l’exclusion de certains individus, demeurant en marge. L’inclusion ne se décrète pas, ne peut être considérée comme un paradigme achevé et elle se travaille sur la durée. Il s’agit tout au plus d’un processus prônant des valeurs d’équité dont l’adoption permettrait d’espérer faire évoluer les représentations collectives. L’acceptation de ce processus doit s’opérer, dans un premier temps, auprès des professionnels. Leur pratique est interrogée dans le chapitre qui suit.
Notes
- Millet, 2010.
- Honneth, 2000.
- Lahire, 1996.
- Boujut, 2007.
- Une partie importante des étudiants va habiter pour la première fois à l’extérieur du domicile familial.
- Jaoul-Grammare, 2020.
- Ebersold, 2017.
- Kahn, 2019.
- Ebersold, 2013.
- Ebersold, 2012.
- Caraglio et Delaubier, 2012.
- Ebersold, 2012 ; Rick et Ebersold, 2011.
- Beaupère et Boudesseul, 2009.
- Georget et Mosnier, 2006.
- À noter que des étudiants peuvent être salariés de l’université (c’est le cas notamment des doctorants).
- Martel, 2015.
- Segon, Brisset et Le Roux, 2017.
- Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2021.
- Capitaine, 2013.