UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Le paratexte1 du premier recueil paraît particulièrement développé, puisqu’il n’inclut pas moins de deux dédicaces et d’un échange épistolaire avec Annibale Caro sur la question de la langue. Les dédicaces, véritables manifestes de captatio benevolentiæ et parties intégrantes de la stratégie éditoriale commune à la production en langue vernaculaire de l’époque, sont, comme bien souvent, des instruments destinés à obtenir une protection. Les critiques que redoute l’auteur d’un ouvrage peuvent fustiger la qualité littéraire de l’œuvre, mais, au fil des années, concernent toujours plus souvent la morale et l’orthodoxie religieuse. La double dédicace du premier recueil, à un homme d’Église appartenant à la frange contre-réformiste de l’institution ecclésiastique, et à un seigneur auquel son sort est lié – en une période où le prince de Sanseverino était déjà accusé de sympathies pour les thèses réformées – se justifie ainsi pleinement. Il n’est pas indifférent à cet égard que le premier recueil s’ouvre sur les lignes dédiées non point à Ferrante Sanseverino, dont il dépend pourtant au quotidien, mais à Antoine Perrenot de Granvelle2, évêque d’Arras.

Ces mêmes textes préliminaires constituent également le moyen à travers lequel une œuvre se transforme en objet d’échange dans le cadre d’une relation entre un homme de lettres et un seigneur qu’il célèbre parce qu’il en espère quelques bienfaits. Au XVIe siècle, avec l’émergence d’une critique littéraire pointilleuse et souvent agressive, les auteurs ressentent toujours davantage le besoin d’être défendus contre leurs détracteurs par leur dédicataire3. Le Tasse se soucie dès ses premières lignes ou presque de motiver la composition de son ouvrage par la fidélité avec laquelle il sert le noble qui l’emploie ainsi que, vraisemblablement pour couper court à toute attaque sur ses changements de camps, par une prudente neutralité entre le royaume de France et l’empire de Charles Quint :

Spinto io da la povertà de lo stato mio, […] di servir vari Signori m’è stato di mestieri e io ufficio giudico d’uomo prudente e virtuoso, mentre che al servizio di un padrone si vive, correre con quella medesima fortuna e per quella medesima strada con il suo desiderio caminare che egli camina. Se ella troverà alcune lettere a Papa Clemente, al conte Guido Rangone o ad altri signori indrizzate e d’Italia e da la Corte di Francia, ne le quali la fortuna del Christianissimo più tosto che quella di Cesare io mostri di desiderare, consideri che ho avuto per costume di fare del desiderio de’ Signori, a cui m’ho proposto di servire, legge alla mia volontà4.

Une analyse de ses différentes dédicaces aux personnalités de l’époque révèle au demeurant que toutes sont composées en fonction de l’avantage que le poète pouvait en tirer, sans égard aux opinions politiques des destinataires. Ses vers en l’honneur de Marguerite de Valois comme ses sonnets sur la mort de Charles Quint laissent pareillement dubitatifs, de même que ses protestations d’amitié pour les Français en 1558, à un moment où il s’apprêtait à repasser au service d’un seigneur gagné à la cause espagnole. Ils n’ont sans doute pas d’autre but que de lui conserver les bonnes grâces des relations nouées à la cour d’Henri II. Pareille duplicité s’explique par l’ambiguïté de son statut d’homme de lettres et de courtisan, pour qui écriture et service s’entremêlaient étroitement ; la première devant nécessairement se plier aux impératifs du second. Il est par ailleurs vraisemblable, en raison de ce qu’on sait sur sa biographie, sur son amour des retraites paisibles et de son épouse comme de ses enfants, que ce négociateur de toutes les causes, cet observateur ballotté de guerre en guerre, de pays en pays, n’avait pas ou plus vraiment envie de prendre fait et cause pour un parti plutôt que pour un autre5 :

Dovreste pensare che l’amor della moglie e dei figliuoli, il desiderio della casa et delle comodità […] mi persuadono con efficacissime ragioni a ritornare […]. Io non trovo maggiori delitie, che lo starmi in casa mia con la mia moglie et coi miei figliuoli6.

La plupart de ses années d’existence ayant été rendues pénibles par de difficiles contingences financières, il est également possible que sa neutralité ait été motivée par la nécessité de demeurer au service d’un protecteur qui lui permette de vivre dignement. Son souci d’assurer son quotidien et celui de son fils (en ses dernières années) ne semble guère lui avoir laissé l’opportunité de s’enflammer pour de grandes causes. Il n’est pas indifférent à cet égard que, dans une allusion transparente à son père et à l’instar d’autres auteurs7, Torquato trace un portrait du parfait secrétaire dont la principale qualité réside précisément dans une loyauté sans faille envers son seigneur, quel qu’il soit. Ces deux définitions croisées justifient le destin de Bernardo qui, officiellement, c’est-à-dire d’après la version qu’il fournit dans ses lettres, abandonna tout en raison de son dévouement pour Sanseverino.

La première des épîtres dédicatoires est adressée à Monseigneur d’Arras et la seconde au prince de Salerne. Ainsi que le remarque Donatella Rasi, toutes deux déploient le même argumentaire :

Una esasperata denegazione di sé che riduce il picciolo libro, viziato da «errori» e «bassezze», a frutto di un «ingegno debile e stanco», alla cui stampa si è deciso «più tosto sforzato che volontario», e tirato «con la fune dell’ubidentia» […]. Le iterate richieste d’indulgenza, l’usuale ricorso al topos delle diminutio personae preludono in entrambe le dediche all’affermazione che il Tasso non intende accodarsi al successo altrui8.

Tout en faisant montre de ses qualités d’écrivain, le secrétaire cherche manifestement à justifier la publication de son ouvrage et à emporter l’adhésion des lecteurs. Dans un premier moment, qui correspondrait à la salutatio des épîtres latines, il s’adresse au prince de Salerne en alternant les reproches de pure forme et les témoignages de gratitude. Le choix de la parution de ses lettres semble initialement motivé par son obéissance, comme le démontrent les termes de « servitù », « comandate » et « v’ubidisco » et ainsi que le confirme, un peu plus bas, sa disponibilité absolue ; « soddisfare al vostro desiderio ». En exposant les craintes de l’auteur vis-à-vis de la réception du recueil et, en particulier, du témoignage que ses lettres livreront quant à son peu de savoir, ce passage correspond aussi à une opération de captatio benevolentiæ.

Le topos de la diminutio personæ illustré par une métaphore (« a guisa di cameleonte, che di vento e non di cibo si nodrisce »9) parcourt cette dédicace dans laquelle il motive et excuse à la fois la publication de ses lettres, d’abord par un désir de gloire légitime, ensuite par une recusatio, non dénuée d’ambiguïté, qui réfute toute intention initiale de publication :

Non voglio in alcun modo negare che io non sia vago di gloria e desideroso ovunque la nostra nobile e italiana favella si va distendendo, vivere ne la bocca de’ mortali10.

Io non iscrissi mai lettere perché sperassi che andassero in mano de gli uomini, fuor che di quelli a cui o per mio bisogno o per loro servizio erano indirizzate11.

Bernardo rejette la responsabilité de cette initiative sur ses amis12, ce qui laisse sous-entendre que ceux- ci, à l’instar du noble Napolitain, ont jugé que ses textes méritaient une publication. Cette réfutation est sous-tendue par des références à l’Antiquité gréco-latine, sciemment insérées dans le discours pour souligner le savoir et, partant, la qualification de celui qui écrit. En réhaussant le niveau du texte, elles le situent de facto parmi les bons auteurs capables de rivaliser avec les modèles classiques. Le ton se fait ensuite plus direct et le courtisan interpelle son protecteur par toute une série d’interrogations successives dont le contenu renvoie à l’« esasperata denegazione di sé »13 à laquelle il a été fait allusion plus haut, qui sert aussi à dynamiser le texte par l’introduction d’un dialogue fictif théâtral destiné à la fois à défendre l’œuvre et à s’attirer les faveurs d’un futur lectorat :

Et che potrete voi a quelli rispondere, che diranno che queste lettere mie povere sono d’invenzione? e che quella povertà eziandio con perfetto artificio ben ordinare e disporre non ho saputo? che io non avrò secondo la varietà delle materie variato gli stili? e quelle con parole, con locuzioni, con figure, con numeri e con altri ornamenti del dire di maniera vestite, che non paiano una vecchia rimbambita, inghirlandata e con la gonna fregiata di più colori?14

Pareille accumulation paratactique de questions, qui telle la petitio des lettres latines, est destinée à solliciter la protection du prince, cède la place à nombre de comparaisons et de métaphores. Non sans une certaine ambivalence, celles-ci démentent implicitement les accusations formulées contre son peu de savoir, puisqu’elles produisent un texte rhétoriquement très élaboré, formé sur le modèle d’une prose cicéronienne :

A guisa di semplice verginella, la quale vaga di lieta ghirlanda cingersi il crine, non i più odorati, ma i più belli fiori va cogliendo, […] anzi che le api, le quali tal ora di amarissimi fiori si nutricano per fare il mele dolcissimo […] non altrimenti che lungo le strade aspre e petrose, acanti e viole […] la vista ci dilettano15.

Ce même jeu entre dépréciation et louanges de ses écrits se poursuit et s’enrichit de nouvelles comparaisons destinées à illustrer les concepts de stylistique énoncés :

Sì come in una cena di varii cibi magnifica e abondante, non tutti piacciono a tutte le persone16.

Les lamentations sur les critiques qui ne manqueront pas de s’abattre sur l’ouvrage respectent cette même alternance entre mea culpa et plaidoyer pro domo sua en introduisant toutefois une notion jusque-là absente, la définition, le choix, d’un public qui ne saurait être constitué par « de gli invidiosi, de gli ignoranti e de’ maligni »17, mais bien au contraire par des « uomini dotti e giudiziosi »18, par des « persone di dottrina e di giudizio »19 et des « ingegni di perfetto giudizio »20. Dans cette dédicace, le Tasse s’adresse donc non seulement à son protecteur, mais aussi et surtout à une élite. Les lecteurs semblent perçus comme des juges appelés à se prononcer sur la qualité de l’œuvre, car nombre de termes relatifs à l’appréciation, voire chargés de connotations morales comme « riprensione e biasmo »21, « giudizio », « loda » ou encore « difesa » parcourent ce passage. Une telle exposition de stratégie communicative, de maîtrise stylistique, se conclut par un « come si sia »22 qui prélude à un retour aux prémices de l’argumentation, à savoir l’obéissance à son mécène qui, à l’instar de l’évêque d’Arras, autre dédicataire du recueil, le protègera de « l’universale censura de lettori »23. À l’analyse, ce texte d’hommage au prince – orné par tout un réseau de métaphores et fondé sur une véritable oscillation entre une autodévalorisation24 et une nette conscience de la valeur littéraire de l’œuvre qu’il précède – contient donc surtout, outre plusieurs déclarations d’assujettissement, une demande de protection contre les critiques qui ne manqueront pas de s’abattre sur l’ouvrage.

À la nuance près, tous ces éléments sont plutôt traditionnels et tendent à formaliser le rapport existant entre un mécène et un écrivain. En revanche, l’ambiguïté presque constante de la dédicace la différencie des autres lettres ; quant à l’humilité affichée, elle est de rigueur et relève de la topique la plus élémentaire si, à plusieurs reprises, le secrétaire laisse çà et là percer son ambition d’échapper à l’emprise du temps par le biais de ses écrits :

E […] vi soggiungo che, una gran parte del tempo in sentir quegli antichi […] che ragionano delle scienze, mi giova di consumare; un’altra in iscrivere, procurando (se fatto mi verrà) di tormi con gli inchiostri della mano della morte e allargandomi questo stretto e breve termine della nostra età, di vivere negli altri secoli25

Véritable manifeste de captatio benevolentiæ, destiné autant à s’attirer la bienveillance de l’aristocrate napolitain qu’à influencer un futur lectorat par la rédaction d’un autoportrait aussi humble qu’élogieux, ce texte est étayé par des évocations des plus grands hommes de lettres de l’Antiquité en accumulant les citations (de Cicéron, de Platon, des Stoïciens) dans une prose qui tranche sur les écrits rapides et concis du début du recueil et s’ouvre à un goût baroque d’images et de figures26 que l’on retrouvera surtout après les années 1525-152827. Cela autorise à penser que cette dédicace a peut-être été composée un peu avant la publication comme le suggère la datation proposée (1547). Sa position initiale lui confère une importance toute particulière, puisqu’il s’agit d’un des premiers textes qui est présenté aux lecteurs. Or, au moment où le recueil est mis sous presse, les tumultes napolitains ont déjà eu lieu et le secrétaire traverse une période troublée. Son ouvrage se doit pour lors d’obéir à l’impératif autopromotionnel d’un courtisan qui partage la fortune déjà vacillante de son mécène. Cette partie d’un paratexte particulièrement consistant est donc expressément conçue dans le but de mettre en valeur ses talents stylistiques, d’expliciter la finalité apparente du recueil – manuel de modus scribendi – mais aussi, vraisemblablement, de façon plus implicite, dans celui de contribuer à une opération d’amélioration de son image sur la scène du monde.

La deuxième lettre dédicatoire est suivie par l’insertion d’une correspondance de 1544 avec Annibal Caro concernant la langue, les formules de courtoisie et en particulier la diffusion de la troisième personne de politesse et des titres honorifiques. Cet échange s’inscrit dans un débat de type linguistique où s’illustrent notamment Tolomei, Muzio et Ruscelli28, pour ne pas parler de Giovanni della Casa29, et traite d’une question fort débattue en son temps, celle de l’abus des formes introduites par les Espagnols dans la Péninsule30. De fait, vers la moitié du XVIe siècle, alors que notre écrivain est déjà au service du prince de Salerne, Naples ressemble à un pays à moitié espagnol31, car la langue ibérique a pénétré tous les milieux y compris celui de la politique et des chancelleries. Cela entraîne une accentuation des cérémonies et des usages linguistiques emphatiques dans la vie sociale des Italiens et des Napolitains en particulier32.

La forme épistolaire représentant l’un des supports privilégiés de la question de la langue en Italie33, l’intérêt de la controverse réside plutôt dans la diversité des argumentations et des positions. Dans une lettre à Annibal Caro, Claudio Tolomei fonde son argumentation sur la raison et sur la tradition culturelle en se dressant contre la troisième personne au nom de la grammaire, de la clarté du discours, du respect du sens des mots34. En 1544, dans sa réponse à ce même Caro, le Tasse adopte quant à lui une attitude prudente qui consiste à bannir le « Lei » et l’abus des formules de courtoisie et à en revenir à l’exemple du latin et des grands écrivains italiens :

Perché non debbiamo noi più tosto i Latini imitare, approvati da la commune opinione de gli uomini dotti […]? Io mi rendo certo che se si ritrovassero le lettere del Petrarca, del Boccaccio e di quegli altri divini spiriti di quella età, che non era ancora piena di vizi e de le malizie delle quali è piena questa nostra, che non si leggerebbono per entro i loro concetti né Signorie, né Eccellenzie35.

C’est dans ce même écrit qu’il s’érige en pionnier du nouveau genre littéraire en déniant toute primauté en la matière à l’Arétin, ce qui lui valut la réponse cinglante qu’on sait36. Dans une des lettres des années 1542-1544, il maintient sa récusation de « la vanità delle parole » et réaffirme son refus de l’adulation, comme son imitation des Anciens plutôt que des Modernes :

Io son di mia natura sì nemico dell’adulazione che fuggo eziandio quelle cose che hanno qualche conformità e similitudine con esso lei; però s’io non comincio con l’Illustre e con l’Eccellenza, Vostra Signoria mi perdoni […] ma perché so che queste apparenze sono più tosto da riprendere che da lodare, e che voi più tosto amate l’essere che il parere, scrivo così […] rendendomi certo che amarete più la sincerità dell’affezione che la vanità delle parole, abuso e vizio più del presente secolo che dei passati37.

Quelques années plus tard, dans un éloge à Claudio Tolomei à l’occasion de la publication de son recueil épistolaire38, il se dresse de nouveau en termes très durs contre ces formes d’adulation définies « figliole infami del vano abuso e della viziosa adulazione » et « ribalde »39. Avec toute la prudence qu’on lui connaît – cette dénonciation ne concerne apparemment que l’abus des formules de politesse – le Tasse se fait vraisemblablement le porte-voix de la haine et des préjugés italiens contre les Espagnols. Dans la dénonciation du caractère ampoulé de leur élocution, on entend aussi les sarcasmes de la littérature de l’époque sur l’emphase, la pompe et la vanité des Ibériques40.

Placée juste à la suite des deux dédicaces nécessaires pour obtenir la caution de personnages illustres, la mise en exergue de cette correspondance consacre son auteur, d’une part en le mettant sur le même plan ou presque que Bembo ou Della Casa, d’autre part en l’adoubant comme défenseur de la langue italienne viciée et corrompue par l’usage excessif des tournures empruntées à la langue espagnole41. Par la teneur même de son épître, en accord avec un public choisi au-delà du prince, le Bergamasque s’élève volontairement et de façon ostentatoire au rang des écrivains cultivés qui lui avait été implicitement conféré par Annibal Caro42, et se défend d’écrire s’il n’en en a pas la nécessité (« Io mal volentieri scrivo lettere digiune e oziose »43), voire si le sujet ne lui semble pas digne de sa plume44. Il prend position dans le débat de l’époque sur la langue vulgaire et, à l’instar des Manuce, propose un modus scribendi pour ceux qui ne savent pas rédiger, une réflexion théorique sur l’usage de la langue. Il s’engage par rapport à l’écriture (et par rapport aux écrivains) de son époque, n’hésitant pas, par sa laudatio temporis acti, à jouer un rôle de censeur. Qui plus est, la position de cette lettre à fonction clairement autoapologétique – immédiatement après les dédicaces et avant le début du recueil – s’inscrit manifestement dans le cadre d’une stratégie littéraire et éditoriale, ne serait-ce qu’en raison du circuit d’amitiés prestigieuses dont elle témoigne.        

Notes

  1. Sur la notion de « paratexte », voir Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987.
  2. https://www.wga.hu/art/t/tiziano/10/22/07granve.jpg.
  3. Pour les considérations qui précèdent, voir Alessandra Villa, « Tipologia e funzionamento del sistema della dedica nell’Italia del Rinascimento », I quaderni di Line@editoriale, 2010, 2, p. 36-38.
  4. Lettere, I, p. 5-6 : « Astreint à cela par la pauvreté de ma condition, […] il m’a été nécessaire de servir plusieurs seigneurs, et j’estime prudent et vertueux, lorsqu’on est au service d’un maître, de partager la même fortune que lui et de cheminer sur la même route que celle sur laquelle son désir l’amène à cheminer. Si vous trouvez quelques lettres adressées au pape Clément, au comte Guido Rangone ou à d’autres seigneurs d’Italie et de la cour de France, dans lesquelles je semble désirer davantage la fortune du Roi très chrétien que celle de César, considérez que j’ai eu pour usage de faire du désir des seigneurs, auprès de qui j’ai prêté service, une loi à ma volonté ».
  5. Cf. Lettere, I, CC, à M. Bernardino Sarresale, p. 360-363.
  6. CLXXXVII, du 20/06/1545, p. 331-332 : « Vous devriez pensez que l’amour de ma femme et de mes enfants, le désir de retrouver ma maison et ses commodités […] me persuadent par des raisons très convaincantes à revenir chez moi […]. Je ne connais pas de plus grand plaisir que de rester chez moi avec mon épouse et mes enfants ».
  7. Voir Nicolò Machiavelli, Il principe, chap. XXII ; De his quos a secretis principes habent ; Baldassar Castiglione, Il Libro del Cortegiano, a cura di Amedeo Quondam e Nicola Longo, Milano, Garzanti, 1981, V, p. 368-369.
  8. Lettere, I, Introduzione, p. XXXI : « Une dénégation excessive de soi qui réduit ce petit livre, entaché d’« erreurs » et de « médiocrité » au fruit d’un « esprit faible et las », dont on a décidé l’impression « plutôt forcé que volontairement » et tiré par « la corde de l’obéissance » […]. Les demandes d’indulgence réitérées, l’habituel recours au topos de la diminutio personae préludent dans les deux dédicaces à l’affirmation que le Tasse n’a pas l’intention de marcher sur les brisées du succès d’autrui ».
  9. Lettere, I, Al Sig. principe di Salerno, p. 7-14 : « Tel un caméléon qui se nourrit de vent et non d’aliments ».
  10. Lettere, I, Al Sig. principe di Salerno, p. 7-14 : « Je ne nierai en aucune manière mon rêve de gloire et mon désir partout où notre noble langue italienne se répand, d’être sur la bouche de tous ».
  11. Ibid. : « Je n’ai jamais écrit de lettres en espérant qu’elles parviendraient entre les mains des hommes, à l’exception de ceux à qui, ou par besoin ou pour leur rendre service, elles étaient adressées ».
  12. Ibid. : « Et volesse Iddio, che questi miei amici, i quali con tanta diligenza queste mie lettere hanno raccolte, o più giudiziosi o meno amorevoli stati fussero ».
  13. Lettere, I, p. XXXI.
  14. Lettere, I, Al Sig. principe di Salerno, p. 7-14 : « Et que pourrez-vous répondre à ceux qui diront que mes lettres sont pauvres en nouveautés ? et que je n’ai pas su bien agencer et disposer cette pauvreté même en usant de tout mon art ? que je n’ai pas, en fonction de la variété des matières, su varier les styles ? et que je n’ai pas su les habiller avec les mots, les locutions, les figures, les nombres et les autres ornements de l’écriture de telle sorte qu’elles ne ressemblent pas à une vieille demeurée, endimanchée avec une jupe chamarrée de couleurs ? ». La litanie des questions se poursuit sur dix autres lignes.
  15. Lettere, I, Al Sig. principe di Salerno, p. 7-14 : « Telle une simple jeune fille qui, désireuse d’orner sa chevelure d’une jolie guirlande, cueille non les plus odorantes, mais les plus belles fleurs, […] tout comme les abeilles qui, parfois se nourrissent de fleurs très amères pour produire un miel très sucré […] de la même manière que, le long des chemins accidentés et caillouteux, les acanthes et les violettes [… ] réjouissent notre vue ».
  16. Ibid. : « Tout comme dans un dîner où abondent de magnifiques plats, tous ne plaisent pas à tout le monde ».
  17. Lettere, I, Al Sig. principe di Salerno, p. 7-14 : « des envieux, des ignorants et des médisants ».
  18. Ibid. : « des hommes savants et assénés ».
  19. Ibid. : « des personnes instruites et sages ».
  20. Ibid. : « des esprits dotés d’un grand entendement ».
  21. Ibid. : « réprobation et blâme ».
  22. Ibid. : « quoi qu’il en soit ».
  23. Ibid. : « l’universelle censure des lecteurs ».
  24. Une estimation approximative permet de constater qu’environ un quart de la lettre est consacré à une dévalorisation de l’ouvrage par le recours aux topoi de la diminutio personae, de la recusatio, de l’excusatio.
  25. Lettere, I, CXXXVI, p. 250-251 : « Et […] j’ajoute que j’occupe avec profit une grande partie de mon temps à écouter les docteurs de l’Antiquité […] qui discourent des sciences, et une autre à écrire en tentant (si j’y parviens) de me soustraire par ma plume à l’emprise de la mort et, repoussant le terme limité et restreint de notre âge, de vivre dans les siècles à venir ». Voir aussi Lettere, I, XCIII, p. 167-170.
  26. À propos duquel l’expression « d’émulation programmée et élaborée du modèle cicéronien » formulée par Giacomo Moro au sujet d’un corpus de recueils épistolaires édités entre 1542 et 1552 serait tout à fait pertinente. Cf. Giacomo Moro, « Selezione, autocensura… », p. 68.
  27. Cf. Giorgio Cerboni Baiardi, « La lirica di Bernardo Tasso » in Letture, a cura di Guido Arbizzoni, Tiziana Mattioli, Anna Teresa Ossani, Manziana (Roma), Vecchiarelli editore, 2002, p. 53, n. 43 : « Una rapida e naturalmente sommaria esemplificazione (ristretta ovviamente, al periodo di cui qui si parla) potrebbe andare da Lettere, I, n. 8, Al Conte Guido Rangone, p. 32-34 : « Eziandio, Signore Illustrissimo, che il Reverendissimo Cardinale vostro fratello, e M. Gio. Pietro fussero di volere che io non parlassi di questa licenza con S. Santità, parendo loro che al tempo non si richiedesse; e che le cagione che vi muovono a dimandarla, piuttosto fossero pigliate da Vostra Signoria che datele da Sua Beatitudine; nondimeno, avendomene voi dato sì espresso ordine, e sì risoluto, ho piuttosto voluto che eglino si dolgano del mio poco sapere, che voi della mia inubbidienza » ; a Lettere, I, n. 27, Al Conte Claudio Rangone, p. 69-74, dove, « Discorrendo con saldissime ragioni quanto sia meglio servire a una Repubblica, che a un Signore assoluto, ed esaltando la Repubblica di Venezia, dissuade il Conte dal partirsi dal servizio di quella, per accostarsi al Re » ; sino a Lettere, I, n. 23, Al conte Claudio Rangone, p. 62-4: « Non vi scrissi io che doveste di continuo gli occhi del vostro giudicio tener fissi in que’ ritratti che vi mandai? Se lo aveste fatto, né voi sareste stato gabbato, né io averei causa di dolermi del vostro errore. Non sapete voi, Chiarissimo signor mio, che la magnanimità, che ama più l’essere, che il parere, nelle operazioni consiste, e non nella gloria? E che (come dicono gli Stoici) la fortezza dell’animo è virtù che per la giustizia ad ogni ora combatte, e per la equità? E che gloria potete voi sperare d’un atto che piuttosto merita biasimo, e riprensione che laude? Credete voi che il giudizio del vulgo ignaro vi possa glorioso fare; e nel numero porvi degli uomini eccellenti e magnanimi? Certo no […]. Né vaglia in voi più lo sciocco appetito d’una falsa gloria, che il ragionevole desiderio della vera; perché questa con radici salde e ferme contra ogni vento d’invidia, di malignità, di fortuna, di morte, e di tempo arditamente contrasta, e sempre verde si conserva; quella, come tenero fiore, ad ogni picciolo spirare d’aura perde le foglie, languida, e secca ne diviene; oltre che non sia atto di forte, né di grande animo, piuttosto dalla propria gloria che dalla comune utilità mossa, entrar ne’ pericoli; e che questa (siccome dice Platone) piuttosto audacia, che fortezza si debbia nominare ».
  28. Jeanine Basso, « Échos de la vie culturelle… », dans La correspondance…, vol. II, p. 222-223.
  29. Giovanni della Casa, Il Galateo, Milano, Rizzoli, 1988, p. 86 : « La quale usanza senza alcun dubbio a noi non è originale, ma forestiera e barbara e da poco tempo in qua […] trapassata in Italia ».
  30. Jeanine Basso, « La représentation de l’homme en société… », p. 141 : « De fait, alors que “tu” et “voi” satisfaisaient à tous les échanges aux XIIIe et XIVe siècles, on pouvait relever quelques rares exemples de troisième personne de politesse, grammaticalement justifiés par l’emploi d’un titre honorifique représentatif de la dignité d’un très grand personnage, comme on en trouve par exemple chez Boccace. Puis avec la diffusion de “Signore” et “Signoria”, la troisième personne semble avoir progressé sensiblement et d’une façon vite irréversible à Rome, sous le pontificat de Clément VII, à Ferrare, à Mantoue. Entre 1540 et 1550 bien des épistoliers, qui auparavant vouvoyaient leurs correspondants, passent à la troisième personne. Dès lors celle-ci ne s’arrête plus ; elle descend progressivement les degrés de la hiérarchie sociale, s’étend à de nouvelles fonctions comme capitaine, gouverneur de châteaux, évêques, et ainsi de suite. C’est alors que quelques humanistes parmi les plus célèbres s’interrogent sur cette intruse dans des lettres-discours, entre 1543 et 1551 ».
  31. Benedetto Croce, La Spagna nella vita italiana durante la Rinascenza, Bari, Laterza, 1949, p. 158.
  32. Mariacristina Mastrototaro, Per l’orme impresse da Ariosto, tecniche compositive e tipologie narrative nell’ “Amadigi” di Bernardo Tasso, Roma, Aracné ed., 2006, p. 76.
  33. Cf. Jeanine Basso, « Quelques réflexions sur… », p. 41.
  34. Jeanine Basso, « La représentation de l’homme en société… », p. 141 : « Il s’élève surtout contre un usage qui consiste à éliminer la deuxième personne (“tu” ou “voi”), au profit d’une troisième, imprécise qui renferme, “come in una voragine, ogni altra cosa che non sia voi o io” (“comme en un gouffre, tout, en dehors de vous ou de moi”). Rompant ainsi le lien entre le “parlatore”, la première personne, et l’“ascoltatore”, la troisième supprime cette relation essentielle, spécifique et naturelle indispensable à tout échange. Sans la deuxième personne “non può essere il ragionamento” ».
  35. Lettere, I, I, p. 17-21 : « Pourquoi ne devrions-nous pas, à l’approbation générale des hommes cultivés, imiter plutôt les Latins […] ? Je suis certain que si on retrouvait des lettres de Pétrarque, de Boccace et des autres divins esprits de cette époque, qui n’était pas encore pleine des vices et de la malignité qui emplissent la nôtre, qu’on ne trouverait dans leurs phrases ni Seigneuries, ni Excellences ».
  36. Voir le chapitre sur la transcription des lettres.
  37. Lettere, I, CXXIX, p. 235-236 : « Je suis par nature si ennemi de l’adulation que j’évite même ces choses qui n’ont que quelques analogies et ressemblances avec elle ; que votre Seigneurie me pardonne si je ne commence donc pas avec un Illustrissime ou avec une Excellence [ …] mais comme je sais que ces apparences sont plus répréhensibles que louables et que vous aimez plutôt l’être que le paraître, j’écris de la sorte […] et je suis certain que vous préférerez la sincérité de mon affection à la vanité des mots, qui fait partie des vices et des abus de notre siècle plus encore que des siècles passés ». Voir aussi I, CLX, A Scipione Capece, p. 294-296 : « Non vi maravigliate se io non vi dò della Signoria per lo capo, né crediate ch’io sia di sì poco giudizio ch’io non conosca che lo meritate assai più che molti altri; ma perché so che conoscete anco che questo è un abuso di questo secolo e una corotta consuetudine, degna più tosto d’esser fuggita che imitata, non ne voglio fare altra scusa con essovoi; e tanto più che, a dirvi il vero, mi pare, che s’abbia da schifare quanto più si può, percioché rende molte volte il sentimento della lettera oscuro e ambiguo ».
  38. La première édition des lettres de Claudio Tolomei, De le Lettere di M. Claudio Tolomei lib. sette. Con una breve dichiarazione in fine di tutto l’ordin de l’ortografia de questa opera, a été effectuée en 1547 par Gabriel Giolito de Ferrari, à Venise. Plusieurs autres éditions de Ferrari et d’autres éditeurs suivront. Cf. Anne Jacobson Schutte, « The “Lettere Volgari”… », p. 652, n. 41.
  39. Lettere, I, CCIX, p. 377-382 : « infâmes filles d’un vain abus de langage et d’une adulation vicieuse » et « ribaudes ».
  40. Sur la présence culturelle de l’Espagne dans la Péninsule, cf. Présence et influence de l’Espagne dans la culture italienne, (dir.) André Rochon, Paris, Université de la Sorbonne nouvelle, 1978, vol. VII.
  41. Il s’agit d’une déploration en termes sociolinguistiques des invasions subies par la Péninsule. Le sentiment d’une rupture de la paix du XVe siècle est entretenu dans la littérature en général par des auteurs aussi différents que Guichardin ou Boiardo. C’est sans doute à ce courant élégiaque qu’il convient de rattacher la diatribe du secrétaire contre les invasions espagnoles et contre les mutations qu’elles ont introduites dans les usages.
  42. Lettere, I, p. 15-17, Del Signore Annibale Caro a M. Bernardo Tasso : « Quando vedrò che un vostro pari ne sia divertito [de l’abus du « Lei » et des formules de courtoisie] e che il Tolomei sia saltato fuori […] m’arischierò ancor io. Voi sete due gran torrenti […] Starò a veder quello che voi farete e poi mi risolverò dietro a voi ».
  43. Lettere, I, CLX, p. 294-295 : « Je n’écris qu’à contre-cœur des lettres creuses et oiseuses ».
  44. Ibid., p. 295 : « Non aspettate che io vi faccia parte dell’ordine né della pompa di queste feste, perché è piuttosto materia da questi gentiluomini di casa spensierati, i quali non hanno altro dove occupare il loro intelletto, che da me ».
Rechercher
Pessac
Livre
EAN html : 9791030008227
ISBN html : 979-10-300-0822-7
ISBN pdf : 979-10-300-0810-4
ISSN : 2743-7639
8 p.
Code CLIL : 3387; 4024 ; 3345
licence CC by SA

Comment citer

Fratani, Dominique, « Le paratexte », in : Fratani, Dominique, Virtù et Servitù : Bernardo Tasso ou les tribulations d’un humaniste du XVIe siècle, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, collection S@voirs humanistes 3, 2023, 47-54 [en ligne] https://una-editions.fr/le-paratexte/ [consulté le 07/12/2023].
10.46608/savoirshumanistes3.9791030008227.4
Illustration de couverture • Portrait d'un gentilhomme à la lettre, Moretto da Brescia, Pinacothèque Tosio Martinengo – Brescia.
Retour en haut
Aller au contenu principal