Au sein du système médical, ce sont les « accompagnateurs en santé » qui se rapprochent le plus du métier de médiateur envisagé dans mon enquête. Ils travaillent au sein des Espaces de Rencontres et d’Information (ERI) depuis le début des années 2000. C’est lors des États Généraux des malades atteints de cancer, organisés en France pour la première fois en novembre 1998, que la nécessité d’avoir un espace à proximité de l’hôpital, ouvert sur l’extérieur et permettant de faire le lien entre le soin et la société, émerge. Le premier ERI ouvre ses portes en 2001 à l’Institut Gustave Roussy, à Villejuif. Le rôle de ces espaces informels est central dans la prise en charge globale des malades. Des professionnels non-médicaux interviennent pour traduire le langage médical et informer le patient et ses proches. La neutralité du lieu et le fait que l’accompagnateur ne soit pas un soignant est perçu positivement par les malades et leur entourage1. À la demande des patients, un second ERI a été créé en 2006 spécifiquement dans le département de l’oncopédiatrie.
Dans les espaces dédiés aux adultes, il est question de demandes d’informations vulgarisées et d’un temps d’écoute par un professionnel non soignant, sans rendez-vous, de manière ponctuelle. Du côté de la pédiatrie, les besoins sont plus globaux ;
Nathalie, ayant commencé son activité d’accompagnatrice en santé dans ces espaces explique : « Dans les ERI adultes, les gens passent sans rendez-vous, pour parler. Ce n’est pas prescrit par le médecin. C’est toi qui décides d’y aller. Alors que l’ERI en pédiatrie, les jeunes s’approprient vraiment l’endroit, il y a une forte fidélisation et c’est vraiment un accompagnement sur tout le parcours de l’enfant et de l’adolescent. »
Cet espace d’accueil et d’accompagnement des jeunes malades et de leur famille apporte une traduction de l’information médicale par des professionnels non soignants présents dans la structure auprès des populations vulnérables, tout en constituant un environnement favorable à leur santé psychique et social, en complément des soins physiques qu’ils reçoivent dans l’hôpital qui se situe à proximité. La non médicalisation du lieu engendre une atmosphère beaucoup moins pesante que celle des services hospitaliers.
« Surtout, ce qui compte, c’est que ce n’est pas l’hôpital », explique Nathalie, « à l’hôpital, t’as beau parler aux parents pendant 8 heures, ils sont en état de sidération, ils t’écoutent pas. Alors qu’une fois qu’ils sont en état de t’écouter, ils viennent à l’ERI, et là on peut les accompagner ».
Les premières rencontres avec les accompagnateurs sont facilitées lorsqu’elles sont réalisées dans un espace informel. Les ERI sont réfléchis pour être propices aux interactions et au « faire-ensemble ». Ils permettent aux patients d’échanger avec des professionnels, mais aussi avec d’autres patients ou ancien patients, afin d’être une ouverture sur le monde hors-hospitalier. Par ailleurs, davantage de liens avec l’extérieur, et notamment avec l’école, sont souhaités ;
Nathalie raconte : « Y a plein de parents qui me disaient ‘Ce que vous nous dites là, est-ce que vous pouvez pas aller le dire dans les écoles ? Parce que moi, je suis fatigué d’expliquer… l’école comprend pas… Pour eux c’est comme une grippe… soit ils pensent que mon enfant est entièrement guéri, soit ils lui demandent si il va mourir…’ et c’est là qu’est né ‘PAS-CAP !’2 dans les écoles. »
Dans l’ERI spécifique à l’oncopédiatrie, les adolescents et leurs parents peuvent bénéficier d’informations sur la scolarité. En revanche, le personnel des ERI n’intervient pas directement dans les établissements. Selon la médiatrice, de nombreux parents et jeunes ont témoigné d’un besoin de transmissions d’informations entre ces institutions, fortement cloisonnées.
Un cloisonnement familio-médico-scolaire
Dans le discours des jeunes adultes malades interrogés, j’ai pu identifier trois milieux qui participent à l’accompagnement de l’étudiant malade :
- Le milieu médical : il correspond – la plupart du temps – à l’hôpital, mais il englobe également toutes les institutions hospitalières, les rendez-vous médicaux et de manière générale l’ensemble des soignants que le jeune adulte rencontre ponctuellement ou régulièrement.
- Le milieu scolaire/universitaire : il se rapporte à toutes les institutions éducatives dans lesquelles le jeunes adulte s’est inscrit ou envisage de s’inscrire.
- Le milieu intime/familial : bien souvent, pour les jeunes adultes, cet environnement englobe les parents, la fratrie, mais parfois aussi le conjoint et les amis.
Ces trois sphères encadrent la vie du jeune malade et participent à sa construction sociale. Tandis qu’un individu valide se contentera principalement, lors de son passage à l’âge adulte, d’un environnement scolaire et familial pour se réaliser socialement, l’évènement de santé grave fait émerger un pendant médical chronophage qui tient une place primordiale dans le parcours de vie des jeunes adultes malades. Dans le discours de ces derniers, on voit émerger un cloisonnement entre ces trois milieux. Il existe une distance non seulement géographique, mais aussi relationnelle et communicationnelle entre le monde hospitalier, l’environnement universitaire et la cellule familiale. Pourtant, la proximité entre ces trois milieux est fortement désirée par ces jeunes malades, ne serait-ce que pour une question de temporalité. Comme il l’a déjà été montré dans le Chapitre 4 #, le temps des individus gravement malades est précieux. Une proximité, dans un premier temps géographique est préférée par l’étudiant :
Claire, aujourd’hui étudiante de 22 ans, explique que la faible distance entre son établissement scolaire et son lieu de soin était facilitante pour elle : « C’est tout bête, mais la prépa était juste à côté de l’hôpital, ce qui me permettait de rater moins de cours aussi. »
Même après la fin du lycée, rester chez les parents est préféré pour des raisons, une fois encore, de logistique.
Malika, lycéenne de 17 ans et atteinte d’une maladie rare diagnostiquée dès l’enfance, explique qu’habiter chez ses parents est confortable vis-à-vis de son quotidien : « Là, je rentre, voilà ! Je sais que maman, elle aura fait à manger, j’aurais juste à prendre mes traitements, mon aérosol, manger, aller faire mes devoirs et dormir. »
La proximité avec les parents constitue donc un gain de temps pour l’étudiant. Elle n’est pas toujours possible selon l’emplacement de l’établissement d’enseignement supérieur, ce qui peut provoquer de l’anxiété chez le jeune :
Diane, lycéenne en Terminale S, atteinte d’une maladie rare explique : « C’est vrai que ça fait un peu peur parce que si je pars à la fac, je vais devoir prendre un logement, vivre toute seule […] et j’ai toujours besoin d’un adulte, donc oui, ça fait un peu peur. »
L’angoisse à l’idée de devoir quitter le logement familial est visible dans ce verbatim. Elle est liée à un besoin d’être accompagné et encadré par un adulte, et cela même après le lycée. Il y a donc un besoin d’une proximité entre le milieu scolaire/universitaire, médical et familial, non pas seulement au niveau géographique, mais aussi sur un plan temporel. En effet, lorsque l’étudiant est hospitalisé, il semblerait qu’aucun accompagnement vers le retour à l’enseignement supérieur ne lui soit proposé.
« C’est vrai qu’à l’hôpital […] il n’y a pas de personnes qui sont là pour les étudiants, donc il n’y a personne qui vient dans ta chambre pour te dire ‘Bon alors, est-ce que ça t’intéresse de continuer tes études ?’, ‘Oui, je peux t’aider dans tes démarches’. Parce que quand t’es malade, t’as la flemme de faire ces choses-là, donc si quelqu’un pouvait au moins nous dire. Puis on ne sait pas à qui demander parce qu’on n’a jamais été malade avant, donc on n’a jamais eu besoin de ces aides-là. Donc si quelqu’un pouvait faire le relais, qui te dise ‘Il existe ça’, ‘On va prendre rendez-vous’, ça serait pas mal », propose Élisa, étudiante en rechute d’un cancer.
Cette réflexion met en lumière le manque non seulement d’informations sur la continuité des études supérieures suite à une hospitalisation pour une maladie rare, mais également d’une aide humaine pour assurer cette transition de l’hôpital à la scolarité pour les étudiants malades. Par ailleurs, en termes de transitions scolaires, il a déjà été montré précédemment que les jeunes interrogés souhaiteraient un lien entre le lycée et l’enseignement supérieur. La transition postbac est, comme nous l’avons vue3, non accompagnée, la plupart du temps. Un suivi serait alors requis selon les répondants. La nécessité de lien n’est pas uniquement présente aux interstices des trois domaines suscités, elle se situe aussi intra-institutionnellement. Le souhait d’un renforcement de lien entre les différents types d’établissements scolaires est largement rapporté par les répondants. Ce besoin de lien est perçu aussi dans le monde médical ;
« Si peut-être il y avait une personne référente qui s’occupait de contacter un spécialiste, de contacter un autre spécialiste d’autre chose, un orthopédiste, pour pouvoir mettre en relation les différents médecins, ce serait peut-être plus simple », propose Claire, étudiante de 22 ans, atteinte d’une maladie rare chronique.
Faciliter le suivi médical passerait par le renforcement des liens entre les médecins des différentes spécialités que peut rencontrer le jeune malade ;
C’est ce qu’explique Diane, lycéenne, atteinte d’une maladie rare chronique : « À l’hôpital, je vais voir des spécialistes, donc ça va être un spécialiste pour le dos, un spécialiste neurologue, tout ça, mais il n’y a pas de personne qui fait le tout. Enfin… qui s’occupe de… qui fait un peu le bilan. Il n’y a pas de référent en fait. Et ça, c’est vraiment problématique parce que du coup, on prend les choses une par une. »
L’absence d’une coordination générale entre les services/les professionnels de santé complexifie le parcours médical du patient qui devient chronophage.
Selon la mère de Mathieu, il y a un manque de mise en relation des acteurs participant de près ou de loin à l’accompagnement de son fils et de « tout son univers ».
Utilisation de la théorie des graphes pour illustrer les mises en relation par l’action médiatrice
L’enjeu de la recherche-intervention menée était d’observer les actions réalisées par une médiatrice en santé dont le rôle est de médier l’information et de faciliter la communication afin de favoriser la compréhension et les échanges entre les trois milieux encadrant le jeune adulte porteur d’une maladie rare. Des freins potentiels émergent ; l’ajout d’un professionnel extérieur à l’institution peut sembler contre-productif dès lors qu’il ne connaît pas suffisamment l’établissement et ses acteurs. Par ailleurs, la fragilité du sentiment de légitimité du personnel institutionnel peut porter préjudice à leurs interactions avec un intervenant extérieur.
Au tout début de mon enquête, lorsque j’ai évoqué l’idée de ces interventions médiatrices avec des professionnels de l’accompagnement, une référente d’un service universitaire dédié au handicap a déclaré : « Je préférerais qu’on me donne les moyens de faire mon travail, plutôt qu’on m’en prenne une partie… »
L’attitude a priori défiante d’un acteur institutionnel peut potentiellement engendrer un accompagnement contre-productif dès lors qu’on ne respecte pas le périmètre d’action de chacun. La coopération se doit d’être construite et légitimée par une innovation, au risque sinon de se confronter aux identités individuelles professionnelles4.
Afin d’étudier l’organisation des professionnels, l’impact des interventions médiatrices sur cette organisation, ainsi que les relations entre les acteurs gravitant autour du jeune adulte malade, j’ai opté pour une version sociologique de la théorie des graphes à partir des structures en réseaux5.
Le graphe est une représentation schématique du réseau qui permet d’étudier les relations entre les acteurs, leur proximité, les chemins (directs ou indirects) que doivent utiliser les acteurs pour échanger entre eux. Ces échanges sont des interactions dont les stratégies sont soumises à des règles et normes complexes. Un graphe est un ensemble de points, nommés « nœuds », reliés par des traits, nommés « arêtes ». Les relations entre les nœuds sont appelées « chaînes ». Lorsqu’un chemin traverse tous les points, il constitue un cycle. Des constats géométriques visuels peuvent permettre de décrire un réseau. Par exemple, la connexité d’un graphe traduit mathématiquement la cohésion d’un groupe et la densité des relations (fig. 4). Dans un graphe connexe, il est dit d’un nœud qu’il est un point d’articulation si son retrait modifie le graphe en le privant de son caractère connexe. En sociologie, ce nœud pourra être interprété comme étant un acteur qui a une position privilégiée dans le réseau puisque l’existence de relations entre d’autres acteurs dépend de lui.
À l’aide de cette théorie des graphes, il a été réalisé des représentations graphiques des réseaux de lien entre les acteurs intervenant durant chacune des situations que j’ai observées. L’enjeu de cette schématisation est de décrire les relations et interactions entre les individus impliqués dans l’accompagnement médico-scolaire des jeunes auprès desquels la médiatrice est intervenue. J’ai réalisé trois graphes représentatifs des réseaux de l’accompagnement médico-scolaire des adolescents et jeunes adultes suivis. Seuls les liens entre les individus et les acteurs eux-mêmes (représentés respectivement par des chemins et des nœuds) dont la présence a été déclarée par les personnes interrogées ou constatée par moi-même durant l’observation ont été schématisés. La première figure illustre le profil-type d’un réseau entourant un lycéen concerné par une maladie rare (fig. 5). Ce dernier est en lien direct avec le lycée, sa famille et le milieu médical. L’enseignement supérieur fait partie du réseau car le lycéen projette de s’y inscrire6, mais comme nous l’avons vu précédemment, avant l’inscription universitaire, quasiment aucun lien n’existe avec le jeune adulte. La deuxième figure, présentée ci-après (fig. 6), représente le profil-type du réseau d’un étudiant malade désirant changer d’établissement (passage à un grade universitaire supérieur ou réorientation). On remarque que le lien avec la famille reste présent. Toutefois, le milieu familial n’a plus de lien ni avec l’enseignement supérieur ni avec le milieu hospitalier (comme vu précédemment). L’étudiant est en période de changement d’institution, le lien avec le nouvel établissement d’enseignement supérieur est donc en train de se construire, il est par conséquent faible pour l’instant.
La Figure 7 ci-après illustre le même cas généralisé des deux situations présentées précédemment (avec le réseau du lycée ou de l’étudiant malade), suite à l’intervention d’un médiateur ou d’une médiatrice. Il a été remarqué, durant les observations menées, que dans l’ensemble des situations suivies, la connexité des graphes augmente postérieurement à l’intervention médiatrice. Cette connexité traduit la cohésion d’un réseau et la densité des relations. Selon la théorie des graphes, si le retrait d’un nœud entraîne une diminution de la connexité, celui-ci peut être qualifié de point d’articulation. Ainsi, la médiatrice est un point d’articulation dans les situations observées. Elle constitue, d’une part, un relais pour le jeune car elle prolonge son chemin vers les acteurs/institutions et, d’autre part, un interlocuteur qui rapproche les individus et favorise la création de liens là où il n’y en avait pas. De surcroit, on peut constater que la médiatrice favorise les interactions sociales (représentées par les chemins nouvellement créés). Le diagnostic d’une maladie rare ainsi que les transitions universitaires provoquent un phénomène d’augmentation du nombre d’acteurs. Or, le manque de passerelles entre services universitaires a déjà été démontré7. Le rôle du médiateur ou de la médiatrice est donc de conserver (voire de renforcer) la cohésion du réseau lié à l’accompagnement médico-scolaire du jeune suivi pour une pathologie rare qui s’élargit durant des périodes vectrices de transitions, qu’elles soient médicales ou scolaires/universitaires.
Prenons une situation concrète que j’ai pu observer pour illustrer cette posture d’entre-deux ;
Édouard est un jeune adulte de 20 ans vivant chez ses parents, en zone rurale. Il est inscrit dans un BTS proposé par le lycée dans lequel il a réalisé la fin de son cycle secondaire. Il a été traité pour un cancer lorsqu’il avait 14 ans et qu’il était inscrit en 4ème et en 3ème, pendant trois ans. Il refuse les aménagements proposés par l’institution et a un parcours scolaire que sa mère qualifie de « chaotique ». Il a échoué au bac, mais a pu s’inscrire en BTS. Il doit cependant obtenir le diplôme du baccalauréat avant la fin du BTS. Aujourd’hui en rémission complète, les effets du traitement et de la maladie lui ont laissé des séquelles importantes au niveau moteur qui perturbent ses déplacements et qui nécessitent encore actuellement des suivis et des traitements médicaux lourds, notamment une greffe et l’implantation de matériels métalliques dans la jambe. Leur médecin traitant propose l’aide de la médiatrice à Édouard et à sa mère. Une fois l’accord de l’étudiant obtenu, la médiatrice propose à l’équipe éducative de la promotion de BTS d’Édouard d’organiser une rencontre pour parler du parcours universitaire du jeune homme et des problématiques et besoins associés. J’observe le rendez-vous réunissant Nathalie, la plupart des enseignants d’Édouard et l’infirmière scolaire. Malgré le fait qu’ils connaissent tous Édouard depuis plusieurs années, ils avouent ne pas être au courant de ses difficultés, mis à part de ce qui est visible (notamment son besoin de se déplacer avec des béquilles et le nombre d’absences justifiées par un avis médical). L’infirmière n’a jamais été mise en contact avec Édouard pour discuter de compensations de ses besoins. Nathalie explique les difficultés rencontrées par le jeune homme suite à ses problèmes de santé et les besoins qui en découlent. Les professionnels semblent intéressés et à l’écoute. « On a envie de savoir, mais on n’ose pas demander », confesse un enseignant. Lorsque Nathalie demande le type d’aménagements qu’il est possible de mettre en place au regard des besoins qu’elle a listés, l’équipe enseignante est force de propositions. La pression sur les épaules d’Édouard est plurielle ; en plus du BTS qu’il souhaite suivre et du stage obligatoire, il doit obtenir son bac dans l’année et subir plusieurs opérations chirurgicales. Un professeur propose de chercher un stage adapté et un autre enseignant explique qu’il est possible d’aménager la première année du BTS pour qu’Édouard puisse avoir le temps de préparer les examens du baccalauréat. Tous sont d’avis de lui faire suivre le BTS en trois ans au lieu de deux pour éviter un redoublement en première année qu’ils jugent inutile au vu de ses difficultés actuelles. En outre, en suivant le même cursus que ses amis pendant deux ans, ils pensent que cela lui permettra de conserver un lien social. À la fin de la réunion, les enseignants disent que le fait d’avoir eu ce rendez-vous avec la médiatrice les motivent davantage à parler avec Édouard de son parcours scolaire envisagé, initiative qu’ils n’osaient prendre avant. L’équipe éducative souhaite rester en contact avec Nathalie et propose un échange de coordonnées. A posteriori, du côté de l’étudiant, la relation avec ses enseignants semble s’être améliorée. Lorsque je leur demande ce qu’ils ont pensé de cette intervention, les professeurs expriment eux-aussi leur satisfaction à voir recadrer des pratiques qu’ils avaient l’habitude de faire de façon informelle et « toujours en bricolant ».
Ce constat est généralisable d’après l’enquête conduite précédemment ; les résultats de l’analyse des questionnaires à destination des professionnels montrent que les enseignants ont des difficultés à agir sans préparation et se sentent illégitimes dans leurs pratiques d’accompagnement à partir du moment où ils sont confrontés à un étudiant en demande. La recherche actuelle révèle que l’intervention de la médiatrice permet aux enseignants de se sentir davantage préparés à échanger avec le jeune adulte par rapport à sa maladie. De manière globale, l’action du médiateur ou de la médiatrice favorise la création de liens ou la revalorisation des liens existants entre les ressources présentes au sein des institutions et le jeune adulte malade.
Une neutralité institutionnelle, mais une partialité déontologique
La neutralité institutionnelle de la médiatrice a été facilitante dans l’accompagnement des jeunes adultes malades, notamment pour compenser l’absence de professionnel référent durant les transitions que l’on peut considérer comme l’angle mort de l’institution scolaire et universitaire. Toutefois, la posture physique de Nathalie durant les entretiens et réunions avec les jeunes, leur famille et/ou les acteurs institutionnels trahit une prise de position franche chez la médiatrice. Elle se place systématiquement à côté de l’élève, de l’étudiant ou de sa famille et en face du représentant de l’institution universitaire. Il s’avère que dans chacune des situations, la demande d’intervention médiatrice ne provient pas des services spécialisés des instances universitaires, compte tenu du fait que celles-ci ne sollicitent pas directement les étudiants. Ce sont aux jeunes et jeunes adultes malades de réaliser les démarches nécessaires auprès des services spécialisés afin d’obtenir des compensations. Or, dans chacune des situations observées, l’étudiant (ou futur étudiant) fait face à une transition, qu’elle soit de l’ordre d’un passage à l’enseignement supérieur ou d’une réorientation postbac. Durant cette période, il n’est pas connu de l’établissement. En dehors de toute institution, le jeune adulte n’a pas d’interlocuteur :
Manon, dont le diagnostic de cancer est tombé à la fin du son année de terminale, explique : « Quand on tombe malade pile au moment de quitter le lycée, on sait pas à qui on peut parler. »
Un des objectifs du médiateur ou de la médiatrice est d’accompagner l’étudiant dans cette période liminale non prise en charge par les institutions universitaires tout en tissant des liens avec l’établissement qu’il souhaite intégrer. Le développement des liens va de l’étudiant et de sa famille vers les acteurs institutionnels, au moins dans un premier temps8. La demande faite auprès de la médiatrice étant à l’initiative de l’individu malade, elle ne peut être impartiale.
Néanmoins, une fois les liens établis et la co-construction en place, la médiatrice peut faire preuve d’impartialité en fonction des mésententes. Bien que la médiatrice vise à faciliter le parcours universitaire de l’étudiant malade en défendant ses droits et intérêts, elle n’est pas dépourvue d’un certain recul, propre à son statut de professionnel tiers, qui lui permet de comprendre et de prendre en compte l’avis des acteurs institutionnels, dans le cas où il serait différent de celui du jeune accompagné.
Cela a été le cas pour l’accompagnement de Clémence, durant lequel Nathalie s’est positionnée différemment suite à un comportement revendicateur de la jeune femme : « Clémence a usé un peu le système et dans ces cas-là, les gens n’ont plus envie d’aider. Donc là, tu es complètement neutre. Et tu défends effectivement les intérêts de la jeune ou du jeune, mais tu entends aussi les plaintes des professionnels. »
Au niveau de l’espace, hors institutions, lorsque les jeunes adultes sont dans une phase de transition universitaire et ne sont rattachés à aucun établissement d’enseignement supérieur, Nathalie les reçoit dans son bureau, se trouvant dans une unité d’accueil pour les adolescents et jeunes adultes traités pour un cancer, excentré de l’hôpital. Cela leur permet de les mettre en relation avec les autres professionnels présents dans ce lieu, tels que des psychologues et des assistants sociaux. Des ateliers regroupant des jeunes patients et le personnel médico-social sont organisés régulièrement dans cette structure. Les adolescents et jeunes adultes apprécient pouvoir rencontrer des professionnels disponibles tout en socialisant avec d’autres jeunes ayant vécu des évènements et des parcours similaires. L’idée d’un lieu neutre permettant de regrouper des professionnels et des jeunes adultes malades (ou ayant été malades) tout en étant hors sphère médicale et hors sphère scolaire/universitaire a été jugée pertinente par l’unanimité des personnes interrogées. En plus de faciliter les mises en relation entre les professionnels médico-sociaux et personnes touchées par la maladie, cette unité d’accueil est un lieu où les différents acteurs peuvent échanger de manière informelle sur des aspects sanitaire, social et scolaire. En dehors de ce lieu, la médiatrice échange avec les étudiants dans tout type de structure (hôpital ou institution universitaire) et via d’autres canaux de communication (téléphone, visioconférence). L’espace neutre se situe de partout où se trouve le ou la médiatrice. Toutefois, l’unité d’accueil permet un regroupement de jeunes et de professionnels qui facilite les interactions.
Notes
- Yves Lusson, 2011.
- Il s’agit du dispositif de la recherche-action détaillée page 120.
- Voir Chapitre 4 #.
- Ebersold, 2015.
- Wasserman et Faust, 1994.
- Rappelons que la médiation a été ici proposée uniquement aux étudiants et aux lycéens désirant poursuivre des études supérieures.
- Ebersold, 2012.
- Dans un second temps, les liens peuvent être tissés de l’acteur institutionnel vers l’étudiant/sa famille.