La pourpre d’origine marine est un bien vaste sujet dont nous ne venons d’éclaircir que quelques aspects.
Nous tenons tout d’abord à signaler que nous ne serions pas arrivée à établir de tels résultats si nous ne nous étions pas familiarisée avec les coquillages à pourpre et la fabrication de la teinture. Concasser des murex, prélever des glandes tinctoriales, apprendre à réaliser une cuve à fermentation ont été des éléments révélateurs, car les sources textuelles et les vestiges archéologiques nous sont alors apparus sous un jour nouveau.
C’est ainsi que nos observations sur les coquillages à pourpre, leur pêche et leur traitement reposent à la fois sur les textes et sur l’expérience que nous avons acquise. La pêche à la nasse à laquelle nous avons eu la chance d’assister sur le lac de Bizerte en Tunisie, et qui n’est autre que la survivance d’une tradition ancienne, a permis de mettre des images sur les textes d’Aristote et de Pline. Nous avons ainsi pu dresser la liste des appâts préférés des murex, décrire avec précision la forme des nasses, leur mise à l’eau alors qu’elles étaient remplies de déchets en putréfaction et leur remontée, une journée plus tard, remplies cette fois-ci des précieux coquillages. Les conversations que nous avons eues avec la malacologiste J. Zaouali ont été très riches en enseignements et nous ont beaucoup éclairée sur le comportement des murex qui sont très sensibles aux variations de températures. Cela avait inévitablement des conséquences sur le fonctionnement des ateliers qui devaient alors choisir entre l’arrêt temporaire de la production ou la mise en réserve de murex vivants. C’est ainsi que nous avons évoqué trois façons de conserver les murex en vie après la pêche : la conservation à court terme, dans des corbeilles conçues à cet effet et baignant dans l’eau de mer, la conservation à moyen terme dans des structures semblables à des viviers que nous appelons “piscines d’attente” et enfin la conservation à long terme, évoquée chez Columelle, qui n’est autre que l’élevage des murex, cette fois dans de vrais viviers.
Le traitement des murex a été décrit étape par étape, du concassage de la coquille au prélèvement de la glande tinctoriale, afin de permettre aux néophytes de mieux comprendre la précision qui devait accompagner les gestes des ouvriers : il ne fallait pas briser la coquille d’une manière brutale et répétée, mais juste donner un coup sec sur l’avant-dernière spire, là où était localisée la glande tinctoriale. Celle-ci devait être détachée du corps du murex avec un outil coupant, mais qui évitait de la crever, ce qui l’aurait rendue alors inutilisable.
La fabrication de la teinture a, bien sûr, été traitée assez longuement, car c’est un des chapitres clés de notre travail. Le passage de Pline dans lequel est détaillée la fabrication de la pourpre a été étudié également étape par étape et des commentaires, qui sont le fruit de notre expérience, ont permis d’éclairer certains points : la macération des glandes tinctoriales dans le sel n’était pas une étape obligatoire, le liquide employé pour la fabrication de la teinture n’était autre que de l’eau. Désormais, la technique de fabrication de la teinture pourpre est clairement consignée : les quantités des ingrédients sont indiquées, la température ainsi que la durée de chauffage à laquelle devait être soumise la substance tinctoriale sont données, et les précautions à prendre, comme l’obligation de laisser la substance tinctoriale à l’abri de la lumière, ont été évoquées. Cependant, il ne s’agit bien évidemment que d’une recette de base qui ne permet pas a priori d’obtenir les superbes couleurs qui appartenaient aux gammes chromatiques du rouge et du violet. Le talent des teinturiers était en effet très grand et ces hommes d’expérience sont parvenus à obtenir des tissus aux nuances multiples grâce à la maîtrise du temps d’immersion, des couleurs foncées grâce à la maîtrise de la multiplication des bains tinctoriaux et des reflets uniques grâce à la maîtrise de la concentration de la substance tinctoriale.
D’après Vitruve, ces couleurs dépendaient également du suc tinctorial des murex, dont la couleur variait selon l’intensité de la lumière de la région dans laquelle ils vivaient. Nous avons décidé de développer cette théorie qui convergeait en partie avec les discussions que nous avons eues avec des biologistes et nous avons pu montrer que la répartition des couleurs selon Vitruve était parfois corroborée par d’autres sources textuelles.
L’étude de l’exploitation de la pourpre passait par une étude des lieux producteurs qui s’est révélée difficile en raison de la pauvreté des vestiges. Notre troisième partie, qui est entièrement consacrée aux ateliers côtiers, principaux lieux de production, a été l’occasion de reconstituer un atelier type. Pour ce faire, nous nous sommes appuyée sur les vestiges de Délos, sur un témoignage de Pline et sur notre expérience sans laquelle nous ne serions pas parvenue à reconstituer huit structures, des piscines d’attente destinées à la conservation des murex aux séchoirs sur lesquels étaient accrochés les tissus fraîchement teints. Une fois le cadre mis en place, il ne nous restait plus qu’à y ajouter les acteurs de la production dont nous avons étudié le statut et son évolution jusqu’au milieu du Ve siècle p.C. quand cela était possible.
L’étude des différents articles produits à partir de la pourpre a été l’occasion d’exploiter des documents iconographiques exceptionnels : les stèles des deux purpurarii C. Pupius Amicus et M. Satellius Marcellus qui représentent les outils symbolisant le métier de purpurarius. La présence de bouteilles sur ces deux stèles nous avait intriguée dès le début de notre étude et nous avons essayé de comprendre ce qu’elles pouvaient bien contenir. Les expériences que nous avons pratiquées ont été couronnées de succès lorsque nous avons obtenu de la couleur à partir de glandes tinctoriales qui avaient été conservées dans le miel durant six mois. Grâce à cette découverte, il était désormais possible d’envisager une fabrication de teinture pourpre, à l’intérieur des terres, complémentaire de celle des ateliers côtiers. Nous avons ainsi pu mettre en évidence le véritable rôle des purpurarii qui étaient des fabricants commerçants. La commercialisation de la pourpre était, quant à elle, dominée par les mercatores et les negotiatores purpurarii qui allaient se ravitailler directement auprès des ateliers côtiers qu’ils atteignaient grâce à un voyage par mer ou par voie fluviale. À leur retour, la pourpre était mise en vente dans les tabernae purpurariae ainsi que sur les nundinae. Les πορφυροπώλαι sont, quant à eux, moins connus, mais nous avons tout de même réussi à montrer que certains d’entre eux n’hésitaient pas à parcourir des centaines de kilomètres afin d’aller acheter de la pourpre marine.
Tout au long de nos années de recherches, il nous a paru de plus en plus évident que la pourpre était un sujet interdisciplinaire. Nous ne pouvions appréhender totalement l’exploitation et la commercialisation de la pourpre marine qu’en nous familiarisant avec des spécialités très différentes telles que la chimie, la biologie et accessoirement l’écologie. Notre travail a fait apparaître des pistes de recherches encore vierges qui mériteraient d’être suivies à l’avenir. Tout d’abord, nous voudrions continuer à travailler sur la théorie de Vitruve pour savoir si la pourpre produite dans chaque région de l’Empire devait bien sa spécificité à l’écosystème dans lequel évoluaient les murex. L’étude de l’Édit du Maximum et de certains textes du Digeste a révélé que la pourpre végétale n’était en aucun cas considérée comme de la pourpre de contrefaçon. Cette constatation mériterait qu’une recherche à part entière lui soit consacrée, comme nous avons pu le faire sur la pourpre marine. Celle-ci permettrait de savoir véritablement dans quelle proportion la pourpre végétale était utilisée par rapport à la pourpre marine, ce que nous ne savons pas pour le moment.
La pourpre, qu’elle soit d’origine marine ou d’origine végétale, est un sujet qui est loin d’être clos. L’engouement des Anciens pour cette teinture n’a pas fini de nous étonner et de nouvelles découvertes archéologiques révéleront peut-être un jour non seulement un atelier producteur bien conservé, mais aussi des structures qui nous permettraient d’accréditer ou non nos hypothèses. Ce qui nous préoccupe dans l’immédiat, c’est de dresser le répertoire de toutes les applications de la pourpre, clavi, fasciae, vittae, couvertures et autres articles de confection afin de mieux mesurer la diffusion dans les différentes strates de la société d’une couleur dont on a peut-être trop fait l’apanage exclusif des hauts dignitaires de l’État.