Lois semblablement ignorées, contournées, bafouées. Semblable recours à la ruse, plus ou moins violente, pour parvenir à ses fins, échapper aux autorités et aux instruments punitifs. L’époque médiévale ne serait-elle pas riche d’individus – gueux paradoxaux à la façon de Tristan, Border Reivers sans foi ni loi, outlaws à l’esprit de mètis – que l’on pourrait dire précurseurs des pícaros de la première modernité ?
Prenant comme corpus la matière de Tristan, élaborée ou diffusée dans l’espace anglo-normand aux XIIe et XIIIe siècles, Pierre Levron met en regard les personnages de Renard et de Tristan pour interroger trois modalités de la ruse tristanienne : l’inversion sociale, la valeur politique, la qualité clinique (« Tristan trickster, ou le picaresque avant le picaresque ? Enquête dans la matière de Tristan au XIIe et au XIIIe siècle »). Tristan est-il un pícaro ? Un gueux paradoxal ? Un mélancolique incurable, « dolent, murnes, tristes, pensis », atteint par l’amor heroicus ? Pierre Levron se penche sur Les Romans de Tristan de Béroul, puis de Thomas, les Folies Tristan de Berne, puis d’Oxford, et le Roman de Tristan en prose, et mène l’enquête en privilégiant trois pistes : la notion de renversement mélancolique, les formes et les structures du déguisement, la confrontation avec l’autorité.
Dans « The Ride to Rescue Kinmont Willie : Rogues Made Heroes in the Border Ballads », Alec Paterson nous conduit sur la frontière qui sépare l’Angleterre et l’Écosse dont la rivalité court depuis la fin du XIIIe siècle jusqu’à la fin du XVIe siècle. Il se penche sur une littérature populaire peu étudiée, essentiellement orale, celle que constituent les Border Ballads, ces ballades chantées qui racontent les actes de brigandages et de pillages sanglants commis de part et d’autre de la frontière transformée en zone de non-droit. Il analyse la plus emblématique d’entre elles, la ballade de Kinmont Willie, considérée comme « the high midnight of the reivers », qui retrace les actes violents des hors-la-loi, ces « lawless frontiersmen » connus sous le nom de Border Reivers, lesquels, bien que malmenant impunément loi et sens moral, sont transformés en héros populaires.
S’appuyant sur différents textes moyen-anglais – lais bretons, bourdes, contes satiriques et exempla –, Agnès Blandeau examine les formes de criminalité médiévales, les outlaws et les gredins de tous poils qui s’inscrivent dans la lignée des malfaiteurs qu’évoque Chaucer dans le prologue des Canterbury Tales, pour tenter d’en dresser une typologie (« “Strictly Criminal” : l’engeance des scélérats en Angleterre entre la fin du XIVe et la fin du XVe siècle »). Ce faisant, elle replace leurs méfaits dans le contexte historique de la Peste Noire et de la Guerre de Cent ans, dans ce que l’on appelait « an age of complaint », et elle repense les causes de leurs agissements condamnables ainsi que leurs effets sur les mentalités, sur l’évolution de la législation, sur les questions de rétribution et de réhabilitation par la repentance permettant de retrouver « the goode wey ».