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Partie IV. Histoires « à rebrousse poil »

Le titre de cette dernière partie fait référence à Walter Benjamin qui incita ses contemporains à questionner l’histoire « à rebrousse poil » et à l’écrire depuis les discontinuités dont elle regorge et qui introduisent un dysfonctionnement dans l’ordre existant. L’historienne féministe Michèle Riot-Sacey1 partage cette ligne de conduite qui incite à se prémunir de l’illusion et de la continuité, à ne pas lustrer l’histoire dans le sens du poil, et à accueillir la discontinuité comme une prise possible pour aller au-delà des apparences. Un siècle plus tard, cet apprentissage reste ardu à mettre en œuvre car « malgré les transformations considérables de l’historiographie, la vision progressiste et positive du passé l’emporte largement dans l’écriture de l’histoire ». (Riot-Sacey, 2003 : 18) Ce souci de l’histoire a influencé l’examen des troisièmes films de fiction d’Albertina Carri, La rabia, et de Lucía Puenzo, El médico aleman.Leurs représentations des rapports de pouvoir invitent en effet à « retrouver des significations oubliées et des compréhensions perdues par la lecture linéaire de l’histoire qui toujours privilégie le fait advenu et l’interprétation dominante » (Riot-Sacey, 2003 : 16).

Cette quatrième partie s’inspire également de la quête méthodologique de Dominique Mainguenau2 qui cherche à mesurer l’identité d’une œuvre « à travers la négociation de son propre droit à construire tel monde à travers telle scène de parole qui attribue une place à son lecteur ou son spectateur » (Maingueneau, 2004 : 201). Je m’intéresserai ainsi au rapport entre l’apparition de chaque film et sa configuration historique particulière, à l’exercice de la parole et à son contenu, car c’est dans cette articulation que se nouent à la fois la relation à la société et la légitimité des œuvres.

Mais en littérature, à la différence de ce qui se passe en médecine, il n’existe pas de diplôme reconnu qui confère le droit à la parole. Pour déterminer qui a le droit d’énoncer, un positionnement littéraire définit à sa mesure ce qu’est un auteur légitime. Chacun s’oriente en fonction de l’autorité qu’il est le mieux à même d’acquérir, étant donné ses acquis et la trajectoire qu’il envisage à partir d’eux dans un certain état du champ. (Maingueneau, 2004 : 118-119)

Le chapitre 7 est consacré à La rabia (2008) dont le titre s’inscrit dans l’ouverture buccale de l’affiche « comme un phylactère métaphorique qui identifierait la forme du langage à son contenu, le cri à la rage » (Dufays, 2013 : 758). Mon hypothèse est qu’au sein d’un continuum de violence historique nationale, Albertina Carri envisage la vulnérabilité depuis un angle inhabituel pour questionner « les dominantes sémiotiques du langage » (Guatarri, 19793) et de la représentation (Mullaly, 2014, 2016). Je m’intéresserai pour cela à la vulnérabilité de classe en prise avec la violence du monde rural, à la vulnérabilité des personnes, et en particulier des femmes et des enfants, ainsi qu’à l’expression du débordement de ses limites tel que l’envisage Albertina Carri.

Le chapitre 8 aborde le rapport à l’histoire qu’entretient Lucía Puenzo dans le film qu’elle réalisa à partir de l’adaptation de son roman Wakolda, tous deux témoignant de l’articulation complexe entre ces deux objets esthétiques ainsi que des conditions de leur émergence. Mon questionnement portera sur les tensions à l’œuvre dans la représentation des histoires réduites au silence par l’Archive historique et leur réappropriation contemporaine au cinéma.

Notes

  1.  L’historienne française Michèle Riot-Sacey, Continu/Discontinu. Puissances et impuissances d’un couple, Revue Espaces Temps, 82-83, 2003, p. 17-27, revient sur ce travail d’inversion dans « Questionner l’histoire à “rebrousse poil” », [en ligne] https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_2003_num_82_1_4215 [consulté le 24/10/22].
  2. Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004.
  3.  « Comment éviter que les enfants ne se connectent aux sémiotiques dominantes au point de perdre très tôt toute véritable liberté d’expression ? » demande Félix Guattari, cité par la sociologue féministe Liane Mozère dans « Babillages… Des crèches aux multipli­cités d’enfants », Recherches, 27, 1977, p. 182. Voir aussi Liane Mozère, « Devenir-enfant », Le Portique, 20, 2007 [en ligne] http://journals.openedition.org/leportique/1375 [consulté le 24/10/22].
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EAN html : 9782858926343
ISBN html : 978-2-85892-634-3
ISBN pdf : 978-2-85892-635-0
ISSN : 2741-1818
Posté le 25/11/2022
2 p.
Code CLIL : 3689; 3658
licence CC by SA

Comment citer

Mullaly, Laurence H., “Partie IV. Histoires « à rebrousse poil”, in : Mullaly, Laurence H., Esthétique et politique dans le cinéma argentin. Albertina Carri et Lucía Puenzo : des histoires de familles, Pessac, MSHA, collection PrimaLun@ 14, 2022, 193-196, [en ligne] https://una-editions.fr/histoires-a-rebrousse-poil [consulté le 25/11/2022].
Illustration de couverture • L'ombú, arbre de la pampa (wikipedia ; mise en lumière S. Vincent)
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