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Introduction.
Mettre la ville en atlas : ambitions, productions et pratiques, des humanistes aux humanités digitales

par

Depuis Mercator qui passe pour l’inventeur de la dénomination empruntée à la figure grecque du Titan condamné par Zeus à porter le monde, le terme d’atlas n’a cessé d’évoluer sémantiquement jusqu’à épouser des applications multiformes ; désignant d’abord un recueil de cartes de tout le monde connu, il perd, dès le XVIIe siècle, sa prétention universelle pour se spécialiser et s’appliquer à des espaces géographiques particuliers, avant que ne se développent les atlas thématiques qui foisonnent à l’Époque contemporaine et encore plus depuis la révolution informatique. Dans leur ambition de mise en ordre du monde, les atlas placent les villes comme un objet géographique majeur, qu’elles soient des points repère, des vecteurs de normes ou une marque d’appropriation, de définition et de contrôle du monde connu ; au point que corrélativement, les espaces ruraux n’apparaissent souvent qu’en négatif, comme soumis à un centre, la plupart du temps, une ville relais du pouvoir central dans l’aménagement et la gestion du territoire. Déjà priorisée dans les représentations des cosmographies universelles, la ville est aussi devenue objet d’atlas, à vocation essentiellement historique, topographique ou urbanistique1. C’est à cette pratique de “mettre la ville en atlas” que s’intéresse cet ouvrage qui entend l’interroger sur la longue durée, des humanistes aux humanités digitales, à travers ses ambitions et ses productions.

La réflexion ici conduite a germé à l’initiative de la Société Française d’Histoire Urbaine (SFHU) qui nous a sollicités sur cette thématique pour l’organisation de son congrès annuel à Bordeaux. La rencontre organisée sur deux jours, les 16 et 17 janvier 2020 (UMR Ausonius, Ville de Bordeaux et Bordeaux Métropole) a réuni 18 intervenants qui ont balayé le sujet de l’Antiquité à nos jours. La première session a mis en scène des acteurs scientifiques de la géohistoire et de l’archéologie, qui réalisent aujourd’hui des atlas de villes ; la seconde a davantage suivi une perspective historique et a voulu mener une réflexion heuristique sur les producteurs, leurs ambitions et leurs pratiques. La publication des actes de ce congrès offre un panel resserré de huit de ces contributions, articulées selon les deux mêmes thématiques, présentées néanmoins dans un ordre inversé et sur un pas chronologique plus court, débutant au XVIe siècle. Le champ géographique a également été réduit à une partie de la France teintée d’un peu d’Italie et d’Allemagne, qui nous a fait délaisser Paris, Bordeaux, Rome, la Grèce, l’Espagne, le monde musulman et le Japon2.

La sollicitation de la SFHU a valu couronnement d’une “expérience bordelaise” qui, en matière d’atlas et d’histoire urbaine, est ancrée dans une tradition vieille maintenant d’un demi-siècle. L’Unité Mixte de Recherche Ausonius3 – plus précisément l’un des centres de recherche (Centre de Recherche sur l’Occupation du Sol) dont elle est issue, peut se targuer d’en être le lieu fondateur avec “l’école Charles Higounet”. C’est en effet au grand historien que l’on doit d’en avoir fait une spécialité bordelaise et de l’avoir inscrite dans la démarche géohistorique qu’il prônait. Et c’est bien dans cette perspective alors avant-gardiste d’une première histoire de l’espace qu’il a créé le laboratoire de cartographie historique, comme également, avec Philippe Wolff en 1973, la collection de l’Atlas historiques des villes de France, sous l’impulsion de la Commission Internationale pour l’Histoire des Villes (voir la contribution de F. Bocchi et R. Smurra dans ce volume). S’il n’a pas produit lui-même d’atlas, Charles Higounet en a réalisé la conception théorique et les premiers essais cartographiques du modèle français. C’est son successeur, le professeur Jean Bernard Marquette qui a assuré la publication, en un peu plus de deux décennies, de 48 fascicules à l’échelle nationale. La dynamique de la collection a été perpétuée par leurs disciples et successeurs. Aujourd’hui à la tête de la collection, nous en sommes la seconde génération, après celle de Jean Bernard Marquette, et tentons, dans le contexte favorable que nous offre le laboratoire Ausonius – avec notamment la présence des Éditions Ausonius sans qui l’aventure des Atlas n’aurait été possible – d’en maintenir, tout en les actualisant, les principes fondateurs d’interdisciplinarité, notamment de l’histoire et de l’archéologie, pour interroger la fabrique urbaine dans la longue durée. Lorsque nous est échue la collection à l’occasion de la réalisation de l’Atlas historique de Bordeaux (parution en 2009), elle demandait un nouveau souffle et nous avons essayé de le lui insuffler en faisant évoluer moins l’esprit qui la fondait que son rendu, par ajustements technologiques et épistémologiques. La maquette elle-même de l’atlas s’en est trouvée bousculée, dans son format comme dans sa composition ; si le plan historique en demeure toujours le document central, sa réalisation est désormais informatisée et contextualisée à l’aune de sa source cadastrale ; quant au commentaire textuel, il a considérablement grossi : les quelques feuillets originels de la Notice générale sont devenus de copieuses synthèses de centaines de pages sur la formation de l’espace urbain ; la nouveauté est surtout dans la conception d’un tome consacré aux sites et monuments cartographiés sur le plan. Dans ce nouveau modèle, l’Atlas historique des villes de France a vocation à fournir une somme référentielle de connaissances sur la fabrique urbaine, utile aux scientifiques comme à tous les acteurs de l’urbanisme. C’est dans les prolongements de ce laboratoire bordelais que nous avons lancé le programme Région “Les villes-têtes de l’Aquitaine : approches historique, cartographique et comparative” qui a suscité la réactualisation de cinq anciens atlas, ceux d’Agen (2017), de Pau (2017), de Mont-de-Marsan (2018), de Périgueux (2018) et de Bayonne (2019)4. L’objectif ultime est l’analyse comparative des cas urbains à l’échelle régionale, qui va faire l’objet d’un prochain volume. Enfin, la collection fera alors véritablement atlas en se prêtant à la comparaison et à la modélisation5.

Dans sa dynamique, la collection de l’Atlas historique des villes de France se montre assez symptomatique des évolutions actuelles de la cartographie et des atlas urbains. À l’occasion de la parution de celui de Bordeaux en 2009, nous en avions déjà fait un bilan en organisant un colloque intitulé : Représenter la ville6 ; la production icono-cartographique sur la ville y avait été interrogée selon deux focales : d’une part, l’histoire de l’image urbaine à travers l’exemple des villes-ports ; d’autre part, le champ de la cartographie historique et de l’analyse spatiale qu’elle permet aujourd’hui. Ce second angle de vue nous avait donné l’occasion de dresser une première analyse critique de l’expérience de l’Atlas historique des villes de France et de questionner les ambitions de la collection en matière de restitution de la fabrique urbaine7. En nous demandant d’en faire la thématique de son congrès, la SFHU nous a donné l’occasion d’aller plus avant dans la réflexion et l’introspection, en confrontant notre expérience à celles d’autres producteurs d’atlas de ville dans le temps comme dans l’espace.

Objet des cartographes, outil de compréhension de l’œkoumène dont l’urbs est la manifestation civilisationnelle majeure, l’atlas fait intervenir des connexions disciplinaires, particulièrement et dès l’origine celles de la géographie et de l’histoire ; encore mal ajusté dans les premières productions, ce jeu de regards génère une image géographique souvent plaquée à une histoire descriptive et encore enchantée de merveilles, avant que ces disciplines ne fusionnent, à partir du XIXe siècle, dans la géographie historique puis, à partir des Annales, dans la géohistoire de Fernand Braudel ou de Charles Higounet ou encore plus récemment dans l’archéogéographie. Alors que la première se mettait au service du pouvoir central et d’une lecture administrative et militaire de l’espace, les suivantes ne sont plus serves et développent une pensée scientifique apte à restituer la fabrique urbaine dans la dialectique espace/société.

Pourquoi et comment mettre la ville en atlas ? Quelle est l’efficience de l’outil dans l’approche géohistorique de la ville ?

Quels sont les rôles de la ville dans la production des atlas ? Quelles sont ses caractéristiques de représentation et ses singularités au regard des autres objets géographiques ? Quelle est sa place parmi les acteurs commanditaires ? Quels raisonnements président au choix des producteurs ? Quelles normes de la sémiologie et des discours pour quelles représentations et projections de la ville ?

Quels enjeux sous-tendent les relations disciplinaires dans la fabrication d’atlas urbains ? Comment s’articulent (ou pas) les approches géohistoriques et urbanistiques ? Comment les atlas entrent-ils dans la constitution d’un savoir historique sur la ville et la fabrique urbaine ? Pour quelles réceptions et utilisations ?

Au regard de ses usages multiples, il convient d’explorer d’abord l’origine, l’invention et l’évolution du genre atlas.

Des Atlas à l’atlas : des origines cosmogoniques
au recueil ordonné de cartes

Dans plusieurs mythologies, le ciel est soutenu par une montagne8. Chez les Grecs, la figure du Titan – Atlas, dont la généalogie souligne ses rapports à l’Océan, à la Grèce, au Ciel et à la Terre – est étroitement mêlée à son lieu supposé de résidence9 – l’Atlas, dont les diverses localisations convergent tardivement vers la partie occidentale des montagnes du nord-ouest de l’Afrique. Dans Critias, Platon rappelle comment les dieux se partagèrent le monde : Athéna reçut Athènes et Poséidon l’Atlantide ; cette tradition met en exergue un second Atlas, aîné des dix enfants de Poséidon et de Clito, qui devint roi de l’Atlantide, l’île des Atlantes située à l’ouest des colonnes d’Hercule, qu’Atlas divisa en dix et dont il s’adjugea la montagne centrale. Diodore de Sicile, Alexandre Polyhistor, Jean d’Antioche et Pline font de l’Atlas ouranien le père de l’astronomie et l’inventeur de la sphère représentant la voûte céleste, tandis que Homère, Platon, Denys d’Halicarnasse, Ovide et Clément d’Alexandrie considèrent l’Atlas mauritanien comme le premier navigateur et le qualifient de roi des mers, le siège de l’un et de l’autre se rapprochant de l’Atlas. Ces récits cosmogoniques s’appuieraient sur les Atlas pour construire un projet religieux, politique et territorial visant à légitimer la suprématie grecque sur un vaste empire maritime par le biais des sciences et de la connaissance. Ces traditions jouent probablement de l’étymologie d’Atlas, formé sur la racine indo-européenne tel, qui signifierait “celui qui porte” ou “celui qui supporte”, la première mettant en valeur un sujet actif, le chef, la seconde un sujet plus passif, s’effaçant presque sous l’objet qu’il porte, l’idée de territoire.

Passons outre, quelques instants, sur le titre et le frontispice de l’Atlas de Mercator (c. 1583-1595), pour observer l’autre emploi du substantif masculin que l’on trouve dans le domaine médical, vers la même époque. Dans son Anatomie françoise (1612), Théophile Gelée dénombre les sept vertèbres du col : “La première est nommée athlas, parce qu’Atlas par une fiction poétique porte le ciel sur ses épaules, ainsi cette vertèbre porte & soustient toute la teste ; il y en a qui l’appelle épistrophe, c’est-à-dire tournoyante, parce que tous les mouvements de la teste se font sur icelle”10. Qu’il s’agisse des figures de la cosmogonie grecque ou de notre première vertèbre cervicale, l’atlas articule ciel et terre, tête et corps, sphère des idées et sphère des réalités matérielles. En mettant en relation mondes idéel et réel, Atlas incarne le processus de création porté par l’ambition de la connaissance, connaissance qui, en même temps qu’elle le surpasse, voire l’écrase, offre une focale inédite sur le monde. En livrant à l’observateur le travail qu’il a fait, Gérard Mercator saisit d’ailleurs Atlas dans la position du geste créateur et médiateur entre ces deux mondes : il le représente, non comme le Titan qui supporte la voûte céleste, tel l’Atlas Farnèse11, mais comme un démiurge entre les jambes duquel le globe terrestre est posé, tandis que de ses mains, il trace les méridiens d’une sphère vierge, sans océan ni continent autre que celui des idées.

Gerardus Mercator, Atlas sive Cosmographicae Meditationes de Fabrica Mundi et Fabricati Fugura, 1595, frontispice (Library of Congress, Rosenwald Collection ; 
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Atlas_Cosmographicae_(Mercator)_b_005.jpg).
Fig. 1. Gerardus Mercator, Atlas sive Cosmographicae Meditationes de Fabrica Mundi et Fabricati Fugura, 1595, frontispice (Library of Congress, Rosenwald Collection ; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Atlas_Cosmographicae_(Mercator)_b_005.jpg).

Le terme d’atlas désigne aujourd’hui une foule “d’ouvrages cartographiques au caractère polymorphe”12. Stricto sensu, il est d’abord une “collection de cartes”13 et, à partir de la fin du XVIe siècle, autour de l’œuvre de Mercator, il devient un recueil, un album de cartes qui propose de définir et de décrire un espace donné14. En ce sens, l’atlas combine les deux dimensions déjà discutées de la sphère des idées (définition, approche quantitative) et de celle des réalités (description, approche qualitative). Pour conjuguer cette double approche, les auteurs ont organisé leur recueil en faisant une sélection raisonnée de planches et de textes autour du sujet qu’ils se sont assignés. Les actions de réunir et d’assembler de façon logique une série de cartes sur un sujet déterminé ont participé à définir plus précisément l’atlas comme un “recueil ordonné de cartes pour représenter un espace donné et exposer un ou plusieurs thèmes”15.

L’atlas : un essai de synthèse recomposant les savoirs
et interrogeant les autorités

L’atlas est une somme qui est le fruit d’une longue élaboration, dont les racines et radicelles puisent à un substrat de plusieurs époques, cultures, disciplines et types de sources textuelles et icono-cartographiques dont on souhaiterait saisir ici quelques aspects saillants car force est de constater qu’il manque encore sur le sujet une étude transversale, malgré le nombre très important de publications16. De l’Antiquité grecque, on peut retenir, par-delà plusieurs figures et œuvres pionnières, l’opposition des points de vue de la Géographie de Ptolémée, proposant une vision globale du monde, fondée sur une approche mathématique et théorique (cosmographie), d’une part, et, d’autre part, des Géographiques de Strabon17, offrant des tableaux locaux à régionaux basés sur la description empirique (chorographie). Incombant à Ptolémée lui-même, cet éclatement du savoir et de ses modes de construction, l’un quantitatif, l’autre qualitatif, est un héritage qui ne se transfère qu’au cours du XVe siècle en Occident18, à la suite de la redécouverte des œuvres du géographe. D’autres legs grecs, tel l’aristotélisme et ses piliers de raison et d’expérience, mais aussi des façons de concevoir le monde sous la forme du récit de voyage, à l’instar du fameux poème de Denys le Périégète, se transplantent plus tôt dans la culture occidentale, dès le XIIe siècle, grâce aux écoles de traduction byzantine et ibérique.

La plupart du temps, l’héritage des savoirs antiques chez les cosmographes de la Renaissance, qui élaborent, sous différents titres (itinéraire, théâtre, description, miroir, cosmographie, neptune) ce qui relève de façon générique de l’atlas, suscite des études qui éludent presque totalement la part du Moyen Âge19. Cette dernière, largement reconnue et étudiée en ce qui concerne la conservation, la transmission et la traduction des manuscrits antiques, demande à être réévaluée s’agissant des productions médiévales qui constituent un héritage spécifique interférant dans l’élaboration humaniste des atlas. À côté des itinéraires, récits de voyage et discours épidictiques sur la ville qui forment des sujets littéraires réappropriés par les auteurs médiévaux, se développent des styles nouveaux dont il conviendrait d’évaluer l’influence qu’ils ont eue sur la production cosmographique. On pense tout particulièrement aux traités d’éducation des princes, dont les titres (speculum, miroir) se retrouvent encore dans la terminologie allemande (Spiegel) et anglaise (mirror) comme synonyme d’atlas. De même, les ouvrages encyclopédiques et de taxinomie des disciplines, élaborés par les médiévaux, proposent un ordonnancement théologique et téléologique du monde, respectant les normes de la création divine ou conforme à l’autorité biblique, logique qui ne s’est pas substituée sans mal à l’expérience sensorielle que prônent les cosmographes.

Si l’on recomposait une cosmographie médiévale20, c’est-à-dire une façon de concevoir l’espace et le temps depuis la Création, il faudrait faire dialoguer la Bible, les mappae mundi, forme de cartographie théologique et morale du monde connu, et les chroniques universelles, livrant une lecture eschatologique de l’histoire. Comment passe-t-on d’un système normé par l’autorité sacrée de la Bible à un système cognitif d’appréhension du monde ?

On peut se risquer à ébaucher une prémisse de réponse en établissant d’abord un constat : on observe d’un côté, dès la fin du Moyen Âge central, une mosaïque de sources manuscrites, d’images et de textes qui ne forment in fine que les gloses de l’Écriture sainte ou conformes à elles, et, de l’autre, à l’époque humaniste, des ouvrages imprimés qui n’ont pas la prétention de se substituer à l’Écriture, mais qui relèvent le défi du grand écart, de la synthèse entre autorités profanes et biblique. Numa Broc21 et Frank Lestringant22 ont examiné en détail les enjeux des représentations et des pratiques de l’espace qui aboutissent à la crise de la cartographie23. Cette dernière se manifeste à la Renaissance sur trois plans. Le hiatus entre géographie mathématique et description régionale dont héritent les cosmographes – mais aussi qu’ils confortent en composant un “collage de la cosmographie mathématique sur la chorographie descriptive”24 – est d’autant plus délicat à résoudre que l’œkoumène ne cesse de s’élargir depuis la découverte du Nouveau Monde. Plus, cet écart s’aggrave et devient presque insoluble du fait de la difficulté qu’il y a à marier la géographie savante, renouvelée d’après Ptolémée, et la cartographique pratique des portulans. Enfin, la crise devient globale du fait de la remise en cause des autorités profanes et religieuses par l’observation visuelle, l’argument du témoin oculaire, cher à Hérodote, servant à asseoir pour vraies de nouvelles références. Le principe d’autopsie25 – la vue par soi-même – sert outrageusement le travail géographique à généraliser l’expérience visuelle et limitée du voyageur, témoignant de faits qu’il n’a pu observer par l’œil du corps mais qui sont créés par l’œil de l’esprit. On assiste chez un cosmographe comme Thévet par exemple, à une forme de substitution des autorités, celle de l’autopsie servant à garantir une vérité autrefois normée par les références saintes et savantes. Néanmoins, la force du projet éditorial et probablement du genre atlas est de constituer un “essai”, au sens montaignien du terme, une expérience, une épreuve nouvelle, tant par la forme que sur le fond, qui propose une approche à la fois taxinomique et heuristique du monde.

La réaffirmation des autorités religieuses, sous le double effet de la Réforme et de la Contre-Réforme, explique la fin de la vogue cosmographique, ou plutôt “la christianisation d’une discipline qui pêchait par excès de confiance en soi”26. Le changement terminologique des cosmographies aux atlas célèbre une nouvelle épiphanie qui arrive à concilier les autorités. Avec Gérard Mercator, la tradition27 des “médiations cosmographiques” implique en effet la mise en relation de deux livres, “du livre des créatures à la parole de Dieu, et vice et versa. Côte à côte, sur la table et dans le cabinet d’étude du philosophe naturel, on aura donc la carte et le Livre, la mappemonde et la Bible”28. La méditation entre le livre du monde et l’Écriture sainte, permet d’éclairer et rendre lisible l’atlas en se servant des “lunettes” de la Bible, comme le dit Calvin29.

Quelques repères dans la production des atlas
depuis l’Époque moderne

À la fin du XVIe siècle, le terme d’atlas est communément adopté en Europe par les cartographes, éditeurs et imprimeurs pour désigner tout type d’ouvrages reliés de cartes et plans. En 1752, le Dictionnaire de Trévoux définit ainsi l’atlas comme “un livre de géographie universelle qui contient toutes les cartes du monde, comme si on les voyait du haut de cette montagne, que les Anciens ont cru être la plus haute de la Terre, ou plutôt parce que ce livre porte en quelque sorte tout le monde comme Atlas”. Au-delà de leur caractère cartographique, universel et exhaustif, les modes de représentation des planches, adoptant des points de vue allant du profil horizontal à la projection zénithale, les singularisent tout autant. Instrument d’une construction visuelle du paysage, l’atlas qui positionne le regard “du haut d’une montagne” procure, en effet, toujours de la hauteur, favorisant une spatialité à vol d’oiseau, élargissant et unifiant des horizons géographiques encore souvent abstraits.

La géographie des atlas du XVIIe siècle perd la qualité métaphysique des productions du siècle antérieur pour s’ancrer dans une démarche plus raisonnée visant à recenser, dans une perspective statistique (genre des atlas nationaux) et militaire30, les ressources des États dans des ouvrages mettant en valeur les “richesses” et les “forces”. Parallèlement, le développement des collections de voyage conforte l’éclatement de la discipline géographique31 ; les éditeurs qui renoncent à homogénéiser les matériaux disparates de leur collecte procurent en quelque sorte des ouvrages qui préfigurent l’usage stratégique des ressources qui aboutissent au partage du monde entre les futures puissances coloniales. Au cours de l’Époque moderne, les productions se ramifient du fait du potentiel synoptique de la carte32 ; des atlas historiques émergent, certains pour éclairer les témoignages des auteurs passés et comparer mondes ancien et moderne, d’autres, plus tardifs, ont une dimension plus géopolitique et visent à cartographier les changements politiques et frontaliers qui affectent les États33.

Baromètres hypersensibles de l’actualité politique et militaire, les atlas modernes forment un corpus de référence exceptionnel pour saisir tant les politiques d’aménagement précoces des territoires d’Ancien Régime que les évolutions morphologiques et architecturales de nombreuses villes anciennes. L’étude des atlas de villes doit, en ce sens, être comprise de manière large et englobante. Si leurs plans documentent des sites et des architectures, ils permettent également de poser de nouvelles bases de réflexion sur les hiérarchies urbaines d’Ancien Régime.

Les atlas produits au cours du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle pâtissent du fractionnement des usages de la carte et de l’appauvrissement du dialogue entre plan et texte. La science géographique du XIXe siècle se complaît dans une “approche inventorielle et analytique”, sorte de “‘géographie à tiroirs’ s’accomod[ant] admirablement bien des atlas ‘à tiroirs’ : une planche sur le relief, une sur le climat, les sols, la végétation, etc., avec un bon index muni de coordonnées efficaces de repérage. Bref, c’était le bon temps de l’atlas ‘classique’, analytique, de l’ouvrage auquel on réfère pour aller chercher une information géographique, comme dans un dictionnaire”34. Décrire et situer, expliquer et comprendre le monde ou une région de savoir, telles sont les ambitions qui animent tout atlas, à la différence de la volonté de gestion et de contrôle qui n’est pas le but le plus communément avoué. Mais, alors que les premiers ouvrages (itinéraire, théâtre, description, miroir) faisaient la part belle à la description et à la localisation, à la représentation des lieux, la vocation universelle de l’inventaire des lieux fait très rapidement de l’atlas classique un “fichier des lieux”13, un recueil muni d’index et de nomenclatures variés. Sans limite ou presque sont les disciplines qui ont utilisé et utilisent l’outil atlas pour livrer leurs explications, leurs clefs de compréhension du monde et des régions de savoirs qu’elles étudient.

Les tendances synthétisées par Yves Tessier à propos des atlas produits jusqu’à la fin des années 1980 soulignent deux bifurcations. D’une part, le besoin d’étudier un phénomène dans ses multiples dimensions conduit, à la fin des années 1970, à une nouvelle conception d’atlas mue par l’approche systémique du géographe et aboutissant à des ouvrages faisant la synthèse d’informations diverses (images, textes, cartes, graphiques) autour d’une problématique traitée en plusieurs thèmes formant chacun une double page. D’autre part, l’accroissement presque exponentiel des données, l’avènement de la méthode quantitative et le développement de la sémiologie graphique ont conduit à la multimédiatisation de l’information géographique au cours des années 1980. La diversité des données et l’accroissement de leur mode d’expression (infographie de masse) n’ont cessé de croître depuis lors, phénomène accéléré par le développement des outils informatiques (géomatique, cartographie informatique), plus récemment par la révolution numérique. D’ouvrage, l’atlas est devenu un projet polymorphe, interactif et dynamique, qui sert tant en aval qu’en amont d’une quantité considérable de disciplines et de projets de recherche.

Bien qu’héritier et fondé sur le socle des normes et des classements et même s’il a une ambition universelle, l’atlas n’enferme pas le lecteur, il lui laisse la possibilité de naviguer dans le monde et dans les savoirs. Cette association de la norme sans contrainte vaut peut-être à l’atlas d’être bien reçu, d’être un mot paré de conceptions très positives à la différence de la froideur qui s’attache généralement aux recueils de normes, tel le “code”, ou, pour le médiéviste, le “digeste” qui ne l’est souvent pas ! C’est certainement cette valence très positive qui explique que l’atlas ne soit pas passé de mode, loin s’en faut… Dans cette trajectoire parcourue à grands traits, la ville occupe-t-elle une place centrale ou marginale ?

Si l’atlas a vocation à répondre à une série de questions simples, que l’on peut résumer à “où/quand, qui/quoi, comment/pourquoi ?” – pour en démontrer en réalité les dimensions complexes –, force est de constater qu’il assigne plutôt à la représentation figurée la mission de situer et de dire “où ?” et “qui/quoi ?”, et à la représentation textuelle de répondre à “comment ?” et “pourquoi ?”. Dans l’étendue du monde ou d’une région de savoir, il pointe des lieux et, second constat, ces lieux sont souvent et en grande majorité des villes35. La montée en puissance du phénomène urbain depuis le Moyen Âge central en fait un lieu majeur de commandement, traduit par un fort investissement dans la sphère des représentations littéraires et iconographiques. Par ailleurs, l’argument de l’autopsie met en valeur la qualité du dessinateur pour qui la ville est un sujet idéal et circonscrit, qu’il montre sous ses meilleurs auspices, a contrario de la campagne36. Point identifiable et identifié, lieu qui se distingue des autres, la ville est un objet géohistorique majeur, repère de civilisation, dont les fonctions exercées dans une région à une époque déterminée, font qu’elle est un repère fondamental de la carte et du discours textuel des atlas.

C’est bien ce rapport entre ville et atlas que ce congrès a souhaité interroger de manière diachronique et dialectique, tant pour observer les rôles de la ville dans la production d’atlas que pour saisir la place des atlas dans les réflexions sur la ville. Malgré les figures évoquées au début de cette brève présentation, nous ne nous plaçons absolument pas au niveau des Titans, mais plutôt dans l’humble position qui consiste à recueillir ce qui s’écoulera du dialogue entre les disciplines et les démarches qui interrogent la ville et étudient ou produisent des atlas.

Mettre la ville en atlas aujourd’hui :
réflexions et articulations de l’ouvrage

Nous avons tenu en effet à ce que le terme d’atlas, employé dans sa définition première d’une description, d’une tentative de mise en ordre historique et géographique du monde, ou pour le moins d’une globalité, traduite dans un couple entre carte et texte, dessiné et écrit, soit privilégié pour ce congrès. Nous avons aussi privilégié la place de la ville dans les atlas, mais nous avons également tenu à élargir – au lancement de l’appel à contributions de ce congrès pour le moins – cette notion d’atlas à ses acceptions les plus contemporaines ; celles qui prennent en compte les usages et les besoins de nos sociétés actuelles. Loin s’en faut que nous soyons parvenus à recouvrir et recouvrer toutes ces dimensions nouvelles du terme à travers les huit contributions présentées ici.

Une banale recherche internet avec pour mots clés “atlas des villes” fait d’abord apparaître L’Atlas des villes mondiales37, modeste ouvrage de 96 pages paru en 2020 aux éditions Autrement, qui n’en a pas moins l’ambition d’interroger la crise du modèle de 90 métropoles ou mégalopoles à l’ère de l’Anthropocène, loin devant la collection de l’Atlas historiques des villes de France mentionnée précédemment, ou encore l’Atlas des villes du journal Le Monde, hors-série de 200 cartes, retraçant 5 000 ans d’histoire pour : “comprendre le présent à la lumière du passé”, recensé par la Bibliothèque nationale38. Il faut aussi citer le remarquable Atlas des mondes urbains, publié en 2020 par l’atelier de cartographie de Sciences Po39, qui constitue sans doute la meilleure synthèse de l’actualité des problématiques urbaines mondiales et locales, doté qui plus est d’une cartographie à la sémiologie graphique originale.

Cette immédiateté de l’outil atlas pour comprendre le monde est en réalité bien plus répandue aujourd’hui qu’on ne l’imagine, dans des domaines qui dépassent largement le cadre urbain pour en revenir à des interrogations encyclopédiques et titanesques. Parmi le florilège des résultats internet obtenus avec les mots clés “atlas publications récentes”, on appréciera particulièrement les Atlas du français de nos régions, Atlas militaire et stratégique, Atlas de l’alimentation, Atlas de poche de l’hématologie, Atlas de la biodiversité communale…de l’Anthropocène, d’histologie, de la désertification, Atlas des séniors et du grand âge en France… de la mondialisation, de l’alimentation, de la santé, des zones inondables, des poissons d’eau douce, des Tsiganes, des carrières souterraines, des connexions, des coccinelles, des océans, du cosmos, du look et des contre-cultures, des orchidées, des orthoptères, des langues en danger, des migrations environnementales, des femmes, de l’Islam… Atlas du management et enfin Atlas des contrées rêvées !

L’atlas apparaît ainsi comme un outil de vulgarisation très actuel de la connaissance scientifique dont il convient de se demander s’il n’était pas plutôt davantage réservé à ses origines aux élites qui en étaient les commanditaires qu’à nos contemporains, dont les préoccupations sont bien celles du réchauffement climatique, de l’environnement, de la santé, de la sauvegarde des patrimoines culturels immatériels, de la déontologie ou encore des dangers des nouvelles technologies… En somme, ces atlas reflètent la terreur que nous inspirent une mondialisation rampante et une disparition inéluctable et quasi immédiate de notre planète ; on ne trouvera ici aucune contribution en ce sens. Bon nombre de ces formes, désormais numériques, sont innovantes, par exemple l’atlas des bruits de Paris40, celui de sa nature41 ou encore celui de ses espaces publics42.

Parmi les usages et les ambitions de ces “nouveaux” atlas, leur démarche semble limitée à des portraits/tableaux qui ne vont pas jusqu’au bout des possibilités d’analyse offertes, notamment leur démarche comparative inscrite dans leur tradition historiographique. C’est comme si l’on assistait à des descriptions – des textes – dans lesquels la cartographie n’apparaît finalement qu’au second plan, voire plus du tout. Et d’ailleurs, ces productions se montrent très conventionnelles quant à leurs modes de représentation sémiologique, qui peinent à transcrire des dynamiques, pourtant au cœur des préoccupations contemporaines. Force est de constater toutefois qu’une inventivité remarquable ressort dans ce domaine de la part des cartographes eux-mêmes, mais aussi des urbanistes et des économistes qui cherchent de nouveaux modes de représentation des problématiques contemporaines en lien avec l’urbanisation et la préservation du patrimoine43.

Le champ urbain ne laisse pas d’interroger les atlas, leur efficience dans une approche géohistorique de la ville, et inversement. D’une part, ceux qui les étudient pour faire l’histoire des villes se demandent quelles sont leurs caractéristiques de représentation et leurs singularités au regard d’autres objets géographiques ; la place et les raisonnements de leurs commanditaires ; les normes sémiologiques et discursives qui président à leurs représentations et projections de la ville. D’autre part, ceux qui les compulsent afin de leur donner d’autres sens interrogent les enjeux qui sous-tendent les relations disciplinaires dans la fabrication des atlas urbains contemporains. Comment s’articulent (ou pas) les approches géohistoriques et urbanistiques ? Comment les atlas entrent-ils dans la constitution d’un savoir historique sur la ville et la fabrique urbaine ? Pour quelles réceptions et utilisations ?

C’est ainsi que la première partie de cet ouvrage est consacrée aux usages et représentations de la ville dans les atlas anciens, tandis que la seconde fait intervenir les réflexions archéologiques, patrimoniales et urbanistiques, voire prospectives des atlas historiques urbains actuels.

Pour tenter de répondre à la première partie des questions de ce recueil “quels atlas pour quels raisonnements sur la ville ?”, Romain Landréa et Éric Grosjean en viennent d’abord au Liber Chronicarum, production cosmographique de la Renaissance allemande et s’intéressent aux descriptions textuelles et aux représentations iconographiques des villes en se focalisant plus particulièrement sur les vues “réalistes”. Ils s’interrogent sur son identité d’atlas urbain, d’abord dans sa comparaison avec d’autres atlas, puis dans “ce qui fait atlas”, avant d’envisager la complémentarité entre l’image et le texte, d’abord dans l’analyse des vues réelles puis dans celle des descriptions textuelles. Il va sans dire que l’atlas a d’abord pour vocation de faire l’éloge de la ville, ici prioritairement dans l’espace allemand : Nuremberg.

À l’inverse, d’autres productions sont plus pragmatiques. Émilie d’Orgeix et Isabelle Warmoes étudient ainsi 17 atlas urbains militaires inédits de places fortes françaises et étrangères, contrôlées sous Louis XIV et Louis XV et réalisées entre 1742 et 1774. Cela leur permet d’observer leurs nouvelles fonctions de gestion. Rompant avec la tradition des “atlas de places” au long des frontières, cette série devient un outil d’évaluation des forces et des faiblesses du patrimoine des bâtiments militaires et des besoins en hommes, qui participe à réactiver la connaissance des villes mais surtout celle des places considérées. Le dessin traditionnel des fortifications s’efface ainsi totalement au profit de celui des bâtiments militaires eux-mêmes.

Dans la lignée de ces atlas de “places”, Geoffrey Phelippot interroge les stratégies de l’entreprise éditoriale de l’atlas des Forces de l’Europe de Nicolas de Fer. Dans une première partie, centrée sur la conception d’un atlas de villes fortifiées, il démontre les stratégies politiques d’acquisition du titre de “géographe du Dauphin” et celles, matérielles, de composition d’un atlas dont huit livraisons permettent de brosser le portrait de 200 villes. Dans un second temps, l’auteur analyse les stratégies éditoriales, commerciales et publicitaires permettant à Nicolas de Fer de devenir un véritable entrepreneur de la carte.

La contribution de Philippe Jansen fait déjà transition avec la seconde partie de cet ouvrage dédiée à la création des atlas historiques contemporains. La ville de Nice a été particulièrement réticente à l’élaboration de documents fiscaux aux époques médiévale et moderne. La fiscalité indirecte semble pallier l’absence de documents de ce type et pourtant la ville se plie à la loi de Finances du 16 septembre 1807 relative à l’établissement d’un cadastre général dans l’Empire. Mais le propos consiste surtout ici à voir comment un corpus de 90 vues à vol d’oiseau des XVIe et XVIIe siècle peut participer à l’élaboration d’un atlas historique de la ville de Nice.

Ces quatre premières contributions, qui se présentent de manière moins humaniste que militaire et politique, permettent de glisser vers la genèse des réflexions contemporaines de production d’atlas, bien plus dédiées à l’étude des espaces civils de la ville qu’à celle de leurs capacités de défense.

Francesca Bocchi et Rosa Smurra discutent ainsi, du point de vue historiographique, des entreprises lancées par la Commission Internationale pour l’Histoire des Villes à partir de 1955. Parmi les trois outils de travail élaborés (bibliographies nationales, Elenchius fontium, atlas), les collections d’atlas apparaissent tardivement, presque laborieusement, du fait des contraintes économiques et de désaccords méthodologiques qui ont pesé sur leur élaboration. Paradoxalement, ce sont pourtant ces projets qui ont connu le plus de succès et qui se sont maintenus, alors que les premières productions ont disparu. Animés par un groupe de travail spécifique au sein de la CIHV, les atlas relèvent aujourd’hui les défis numériques de l’information géographique.

Avec l’ambitieux projet des Atlas topographiques des villes de Gaule méridionale, Marc Heijmans met en perspective la naissance de ce projet conjointement au développement de l’archéologie urbaine dans le cadre des grands travaux d’urbanisme des Trente Glorieuses. Cette entreprise permet de publier des Atlas topographiques des chefs-lieux de cités de la province de Narbonnaise. La démarche foncièrement heuristique est fondée sur l’exploitation exhaustive de la documentation ancienne et l’actualisation des connaissances qu’elle produit. Une coordination au niveau national de ces atlas s’avère sans doute nécessaire si l’on ne veut pas que cette entreprise soit menacée.

Avec Anne Pariente et Philippe Lamy, nous découvrons les différentes recherches et productions cartographiques d’atlas en cours pour la ville de Lyon. L’Atlas topographique de Lugdunum, le système d’information archéologique ALyAS et le pré-inventaire architectural du Vieux-Lyon permettent d’envisager les faisceaux de diffusion et de partage de ces recherches aux objectifs et aux regards croisés pour des publics variés. La mise en ligne des données archéologiques et cartographiques issues d’ALyAS, le projet FAP-PAT, inscrit au Labex IMU (Intelligence des Mondes urbains), permettent de s’interroger sur la cohérence d’un atlas historique à Lyon. Ces multiples expériences cartographiques, dont la coordination peut apparaître fragile, tant leurs visées ne sont sans doute pas exactement les mêmes, convergent au bout du compte vers un outil de préservation d’un site urbain historique tel que défini par l’UNESCO.

Enfin Hélène Noizet, à l’appui de deux exemples d’aménagement (lotissement médiéval des Halles à Paris et lotissement moderne de la rive gauche du Rhône à Lyon), montre comment la production cartographique, à partir de systèmes d’information géographique (SIG), met à disposition du chercheur des collections de cartes, dont le caractère n’est ni illustratif ni situationniste. Au contraire, l’atlas produit par SIG fonde l’analyse historienne et permet d’interroger les dynamiques spatio-temporelles de construction, transmission, renforcement/effacement des aménagements. Il apparaît ici comme un outil situé en amont, au départ de la recherche, non simplement comme un résultat.

Si, au bout du compte, les contributions rassemblées ici analysent d’abord comment les atlas forment un outil de raisonnement historique sur la ville pour ensuite observer comment les historiens produisent les atlas urbains d’aujourd’hui, on peut gager que les interactions entre les quelques productions humanistes et digitales observées ici n’ont pas fini de nourrir la réflexion sur le sujet.

Cette publication n’aurait pu voir le jour sans les institutions universitaires (Université Bordeaux Montaigne) et scientifiques (UMR 5607 Ausonius/CNRS/ LaScarBx), ainsi que les collectivités territoriales (Conseil régional Nouvelle-Aquitaine) qui lui ont apporté leur soutien. Parmi elles, Bordeaux Métropole et la Ville de Bordeaux ont fourni une aide précieuse. Quant à la Société française d’Histoire urbaine et son bureau, à l’origine du projet, sa collaboration scientifique a été décisive. Ajoutons tous les contributeurs qui ont bien voulu s’y associer. Que tous en soient vivement remerciés.


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Notes

  1. Dès l’Époque moderne, les historiens ont élaboré des cartes de reconstitution de villes à un ou plusieurs moments de leur passé ; la cartographie historique qui se développe au XVIIIe siècle, notamment après la découverte de Pompéi, s’épanouit dans la topographie historique qui allie découvertes archéologiques, recension du patrimoine et analyses régressives des plans anciens. Néanmoins, il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que se multiplient les atlas historiques de ville ; voir Lavaud & Schmidt, éd. 2012, 199-205.
  2. Parmi les contributions non publiées : Sylvie Denoix et Dominique Valérian : “De la valeur heuristique de la production cartographique ou comment cartographier les villes du monde musulman médiéval” ; Maria A. Castrillo Romón : “L’Atlas et la description géométrique des villes dans la Théorie de la construction des villes d’Ildefonso Cerdà (1859)” ; Pascal Arnaud : “Ptolémée inventeur de l’atlas ? Le précédent des cadastres ruraux et urbains de l’ancienne Rome” ; Motoki Toriumi : “Du pourtraict et/ou plan. Représentations de Paris du XVIe au XVIIIe s.” ; enfin Lionel Bretin : “Atlas de l’espace métropolitain de Bordeaux : des clés de lecture cartographique renouvelées pour donner à voir les relations de Bordeaux avec ses voisins”.
  3. Institut de recherche sur l’Antiquité et de Moyen Âge. UMR 5607, Bordeaux.
  4. Agen : Lavaud, coord. 2017 ; Pau : Bidot-Germa, Devos & Juliat, coord, 2017 ; Mont-de-Marsan : Berdoy, coord. 2018 : Périgueux : Gaillard & Mousset, coord. 2018 ; Bayonne : Boutoulle, Jean-Courret & Lavaud, coord. 2019.
  5. Une première expérience de modélisation a été réalisée à la suite de l’Atlas historique de Bordeaux en recourant à la chrono-chorématique, telle que développée par l’atelier du CNAU de Tours et qui a donné lieu à une publication dans M@ppemonde (Lavaud & Pissoat 2015) ; la démarche devrait être dupliquée pour les autres villes-têtes de l’Aquitaine.
  6. Voir la publication des actes : Lavaud & Schmidt, éd. 2012, [en ligne] https://nakala.fr/10.34847/nkl.d3e40esd [consulté le 15/12/2021].
  7. Lavaud 2012. Pour les questions cartographiques relevant de ce sujet : Jean-Courret 2020.
  8. Ramin 1977.
  9. Les récits anciens font coexister le géant ouranien et le massif montagneux, alors qu’Ovide narre la façon dont Atlas fut pétrifié en montagne à la vue de la tête de Méduse que Persée lui infligea parce que le Géant lui avait refusé l’hospitalité.
  10. Gelée 1612, Livre second, chapitre 26, 93.
  11. Atlas est souvent représenté jambes fléchies et muscles tendus en train de soutenir une sphère. Dans la statuaire antique, tel l’Atlas Farnèse du Musée archéologique de Naples, les signes zodiacaux gravés sur la sphère montrent bien qu’elle est la voûte céleste alors qu’on l’assimile de façon erronée au globe terrestre, d’où l’image altérée transmise notamment par Victor Hugo dans la Légende des siècles : “Atlas porte le monde et l’on entend le pôle / Craquer quand le géant, lassé, change d’épaule”.
  12. Tessier 1989, 73.
  13. Brunet 1993, 48.
  14. Besse 2010.
  15. Définition du Glossaire français de cartographie cité par Tessier 1989, 73.
  16. Voir notamment les synthèses de Harley & Woodward 1987, Jacob 1992 et Woodward 2007.
  17. Pedech 1971.
  18. Aujac 1999 et 2012.
  19. Lestringant 1991 est certainement l’une des meilleures synthèses sur les questions d’héritages des savoirs géographiques, mais fait une place tout à fait minime à ce qui se passe au Moyen Âge.
  20. Hoogvliet 2007.
  21. Broc 1990.
  22. Lestringant 1991.
  23. Pelletier 1989.
  24. Lestringant 1991, 243.
  25. Hartog 1980, 275.
  26. Lestringant 1991, 255.
  27. Pour une approche de la méditation cartographique élaborée à partir du XIIe siècle, voir Gautier Dalché 2009.
  28. Lestringant 2009, 8 ; voir également Lestringant 1999 sur ce sujet.
  29. Ibid., p. 10.
  30. Orgeix d’ et al. 2003.
  31. Broc 1990, 95.
  32. Besse 2015.
  33. Pastoureau 1980 et 1984 ; Hofmann 2000.
  34. Tessier 1989, 74.
  35. Boutier 1997 et 2005.
  36. Besse 2005.
  37. Ruggeri 2020.
  38. Voir : Notice bibliographique L’Atlas des villes : Le Monde – La Vie hors-série : 200 cartes, 5 000 ans d’histoire : comprendre le présent à la lumière du passé / Le Monde – La Vie ; [président-directeur général de Malesherbes publications, directeur de la publication Michel Sfeir] | BnF Catalogue général – Bibliothèque nationale de France.
  39. Verdeil 2020.
  40. Voir : https://www.bruitparif.fr/cartes-de-bruit [consulté le 17/11/2021].
  41. Voir : https://www.paris.fr/pages/biodiversite-66#l-atlas-de-la-nature-de-paris [consulté le 17/11/2021].
  42. Voir : https://www.apur.org/fr/nos-travaux/atlas-espace-public-parisien [consulté le 17/11/2021].
  43. Par exemple Schoonbaert & Melissinos 2015.
ISBN html : 978-2-35613-410-3
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ISSN : 2741-1818
Posté le 25/01/2021
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Comment citer

Jean-Courret, Ézéchiel, Lavaud, Sandrine, Schoonbaert, Sylvain, “Introduction. Mettre la ville en atlas : ambitions, productions et pratiques, des humanistes aux humanités digitales”, in : Jean-Courret, Ezéchiel, Lavaud, Sandrine, Schoonbaert, Sylvain, dir., Mettre la ville en atlas, des productions humanistes aux humanités digitales, Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 13, 2021, 11-24, [en ligne] https://una-editions.fr/introduction-mettre-la-ville-en-atlas/ [consulté le 25 janvier 2022].
doi.org/10.46608/primaluna13.9782356134103.2
Illustration de couverture • Joan Blaeu, Atlas maior, Amsterdam, 1665, vignette extraite du frontispice du Ier livre du vol. X consacré à l'Asie et à la Chine (Bibliothèque national d'Autriche, ÖNB/Kar 389-038-F.K). DOI
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