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L’exploitation des ressources minières, une activité aux implications multiples, apparaît comme un dénominateur commun du sud-ouest de la Gaule, entendu ici comme l’espace qui s’étend entre l’océan Atlantique, le versant nord des Pyrénées, la côte méditerranéenne languedocienne et l’axe Aude-Garonne, incluant la Montagne noire qui le borde (fig. 1). Cette activité est en effet pratiquée dans tous les massifs montagneux de la région, mais aussi tout au long de la chronologie prise en compte ici, qui couvre le second âge du Fer et la période romaine. Dans ce contexte, la reprise de l’étude du district à cuivre argentifère du massif de l’Arize (Ariège), intégrant les évolutions méthodologiques récentes de la discipline, vient compléter le panorama général et contribue à identifier des tendances communes à plusieurs secteurs miniers. À l’échelle régionale, l’identification de points communs ou de variations dans les pratiques minières et métallurgiques, sur la durée considérée, viendra nourrir des réflexions concernant les relations entre cette production de matières premières métalliques et le contexte archéologique et historique dans lequel elle s’insère.

Fig. 1. Extension de la zone d’étude. E. Meunier 2018

Le sud-ouest de la Gaule,
une région plurielle

Le sud-ouest de la Gaule est une région vaste aux profils variés, autant culturellement que géographiquement. Grandes vallées fluviales, aires littorales ou régions de montagne marquent des espaces aux potentiels distincts, habités par différents groupes et traversés par des courants d’échanges de direction et d’ampleur diverses. Cette variété culturelle est visible dès la fin de l’âge du Bronze. Elle transparaît par exemple dans les traditions funéraires connues jusqu’au premier âge du Fer (Adroit 2020), dans les pratiques de dépôt de mobilier métallique du Launacien (Guilaine et al. 2017, 349-351) ou encore, plus tardivement, dans les premiers monnayages en circulation (Bats 2011, 106-108 ; Hiriart et al. 2020). Plus spécifiquement au second âge du Fer, le Sud-Ouest est une région qui est aussi définie par contraste avec la Gaule intérieure (Fichtl 2012, 17-18 et 165-166), distinction accentuée par des héritages historiographiques (Colin & Verdin 2013, 235 ; Gardes 2017, 191). Le morcellement interne de cette grande région est toujours marqué pour cette période (Fichtl 2006, 51-52). Le fait que Strabon, dans sa description de la Gaule, indique la différence ethnique entre Aquitains et Celtes souligne cette hétérogénéité (Strab. IV.1.1 et IV.2.1). La diversité interne sera peu à peu atténuée par la mainmise de plus en plus forte des Romains sur ce territoire, qui commence avec l’intégration de la moitié orientale de cet espace à la province de Narbonnaise, dans le dernier quart du IIe siècle av. n. è. Après la conquête césarienne, mais surtout suite aux réformes augustéennes, le Sud-Ouest est désormais totalement absorbé dans l’orbite de Rome et soumis aux obligations de l’Empire. Les spécificités culturelles aquitaines retrouveront plus tardivement un moyen d’expression, sur le plan administratif, avec la création de la Novempopulanie dans le cadre des réorganisations de l’Empire sous Dioclétien (Bost & Fabre 1988).

Dans cette région, on peut distinguer six secteurs miniers qui sont, d’ouest en est, le Pays basque, les Pyrénées centrales, les Pyrénées ariégeoises, les Pyrénées orientales, les Corbières et la Montagne noire (fig. 2). Ce découpage, qui reflète avant tout les secteurs où des recherches ont été menées sur le terrain, servira de trame pour la présentation des sites miniers de la première partie. Un nouveau programme de recherche est en cours dans la haute vallée de la Garonne, sous la direction de J.‐M. Fabre, comblant un secteur où la recherche est lacunaire. Cependant, les résultats obtenus pour le moment se rapportent à l’âge du Bronze et à la période médiévale ; ils n’ont donc pas été intégrés ici. Dans l’ensemble, l’avancée des recherches est inégale, avec des sites connus seulement par des prospections de surface et d’autres qui ont fait l’objet de sondages et de datations absolues. La présentation des données permettra de mettre en évidence les aspects sur lesquels des comparaisons peuvent être faites.

Fig. 2. Localisation des secteurs miniers du sud-ouest de la Gaule. 1. Pays basque ; 2. Pyrénées centrales ; 3. Pyrénées ariégeoises ; 4. Pyrénées orientales ; 5. Corbières ; 6. Montagne noire. E. Meunier 2018

Le choix de cet espace d’étude donnera l’occasion d’interroger les relations entre les exploitations minières et l’évolution historique de la région. Entre le IVe siècle av. n. è. et la fin de l’Empire romain, les situations ont beaucoup changé. Les types d’organisations politiques restituées sur cette période vont de la chefferie plus ou moins complexe à un véritable état. Les territoires concernés recouvrent de l’ordre du petit millier de km2 à des espaces s’étendant sur plusieurs milliers de kilomètres dans différentes directions (Brun 2007, 383). Dans des contextes si divers, l’organisation de l’exploitation des ressources naturelles, et minières en particulier, n’a pas pu être uniforme. Les données sont là aussi inégales selon que l’on se situe dans les phases d’activité les plus anciennes, pour lesquelles seule l’archéologie fournit des informations, ou dans des phases plus récentes, pour lesquelles les sources classiques voire l’épigraphie peuvent apporter des éléments de réponse.

La prise de contrôle progressive de Rome sur les territoires gaulois, dès le dernier quart du IIe siècle av. n. è. sur la côte languedocienne, après la conquête césarienne pour les territoires à l’ouest de la Garonne, donnera l’occasion de réfléchir aux modalités selon lesquelles l’exploitation minière est intégrée au cadre romain. Pour cela, la caractérisation archéologique aussi précise que possible des exploitations antérieures et postérieures à la conquête romaine sera prise en compte. Une attention particulière sera apportée en ce sens aux techniques employées, qui sont révélatrices d’une certaine organisation de l’exploitation. Des variations ou au contraire les continuités observées contribueront à estimer l’impact de la prise en main romaine sur cette production et l’importance des travaux initiés en contexte d’indépendance gauloise.

L’activité minière
au cœur d’un système

L’activité minière est ici entendue comme l’ensemble des étapes depuis l’extraction du minerai jusqu’à la production de métal brut, soit de la mine à l’atelier de métallurgie primaire. Cela inclut également l’étape de préparation et concentration du minerai, la minéralurgie. Ces étapes sont bien connues et ont fait l’objet de nombreuses présentations globales (par exemple : Davies 1935 ; Healy 1978 ; Tylecote 1979 ; Shepherd 1993 ; García Romero 2007 ; Domergue 2008) ou à travers des études de cas ciblées sur un métal (entre autres : Cauuet 2001a pour l’or ; Blas Cortina 2014 pour le cuivre ; Mangin 2004 pour le fer). Plusieurs chaînes opératoires ont ainsi été définies, dont on peut regrouper les étapes en fonction de leur spécificité par métal ou de leur application commune à plusieurs métaux (fig. 3).

Fig. 3. Les principales étapes de la mine au métal selon leur spécificité par substance. E. Meunier 2022

La prospection minière est le point de départ commun, qui permet de localiser les gîtes. Les modes d’exploitations varient ensuite en fonction du type de gisement : primaire, en roche, ou secondaire, en alluvions. Le premier type concerne tous les métaux, le second uniquement l’or et l’étain. Le type d’encaissant et la morphologie de la minéralisation vont déterminer la façon d’attaquer les gisements, indépendamment de la nature des minerais présents. Les mines peuvent ainsi être comparées entre elles même si le métal recherché n’est pas le même. Le produit de l’exploitation minière est constitué par un minerai ou un métal natif (or, plus rarement cuivre ou argent), associé à du stérile, qui lui est solidaire en contexte primaire et avec lequel il est simplement mélangé en contexte secondaire. La minéralurgie va consister à éliminer un maximum de ces stériles, par un concassage et tri manuel, par grillage ou encore en utilisant un courant d’eau maîtrisé pour évacuer les stériles légers. Les procédés varient alors en fonction de la nature de la roche encaissante et de la gangue*.

Enfin, la métallurgie primaire permet d’obtenir un métal brut utilisable pour fabriquer des objets. Cette étape est plurielle car chaque substance à traiter aura sa propre chaîne opératoire. Nous pouvons tout de même les regrouper en fonction de la nature de la substance à traiter :

  • Les particules de métaux natifs sont agglomérées et affinées ;
  • Les oxydes subissent une réduction, qui élimine l’oxygène par l’apport en carbone des charbons ;
  • Pour les sulfures, on oxyde d’abord le minerai pour éliminer le soufre puis il est réduit pour produire le métal ;
  • Les minerais polymétalliques font l’objet de traitements plus complexes pour séparer les différents métaux présents.
  • À l’issue de ces opérations, le métal obtenu est mis en forme de lingot1 et diffusé pour la fabrication d’objets, parfois à très longue distance.

Le traitement minéralurgique se déroule en général à proximité de la mine. La métallurgie primaire peut être mise en œuvre à proximité ou plus loin. Par contre, les ateliers de métallurgie de transformation se trouvent rarement dans l’environnement immédiat des mines. Ils peuvent se situer dans des habitats proches ou à plus longue distance, faisant intervenir une étape de transport dans le cadre de circuits économiques variés, et donc une rupture spatiale dans la chaîne opératoire qui va jusqu’à l’objet.

Au-delà de ces éléments concernant les chaînes opératoires, il faut garder à l’esprit que la mine, qui ne permet pas d’alimenter directement ses travailleurs, ne fonctionne jamais seule (fig. 4, cercle central). Une exploitation minière est ainsi un complexe au cœur duquel se trouve bien évidemment la mine elle-même, mais toujours accompagnée d’un atelier et d’un habitat, insérée dans des réseaux d’échanges et donc, au final, ancrée dans un territoire (Stöllner 2003). C’est aussi une activité dont la pratique présente des implications dans trois grands domaines : environnemental, socio-économique et technique. Dans le domaine de l’environnement, on rassemble les caractéristiques géologiques du gisement et celles de son contexte géographique. Les aspects socio-économiques ont trait à l’organisation de la société et à ses choix en matière de stratégies de subsistance, ainsi qu’à la gestion de la diffusion du métal. Enfin, le domaine technique concerne tous les aspects pratiques de l’exploitation minière. Si l’on veut comprendre l’activité dans sa globalité, il faut prendre en compte tous ces aspects, qui varient dans le temps. Il faudrait également y ajouter la dimension culturelle, qui englobe l’ensemble, et qui peut influencer la façon de travailler, par exemple en définissant qui participe à l’exploitation (hommes, femmes, enfants) et de quelle manière, ou encore imposer des limites dans les investissements acceptables pour démarrer l’activité (Stöllner 2015b, 69). Ces éléments culturels demeurent majoritairement inaccessibles à l’archéologie, mais ont compté pour les populations impliquées dans l’exploitation.

Fig. 4. Modélisation de l’activité minière. Au centre, les prérequis au démarrage de l’exploitation. Autour, les déterminismes et impacts dans les domaines environnemental, socio-économique et technique, le tout étant en relation permanente avec le fond culturel du groupe concerné. E. Meunier 2018

Les facteurs environnementaux, socio-économiques et techniques correspondent à l’une des trois conditions minimales indispensables au démarrage de l’activité, qui ne peuvent se mettre en place que l’une après l’autre (fig. 4, au centre). Si les conditions géologiques ne sont pas réunies, aucun gisement n’est disponible. S’il n’y a pas de demande, le gisement ne sera pas considéré comme une ressource. Enfin, si la technique ne permet pas d’extraire le minerai puis de le transformer en métal, la ressource ne sera pas exploitée. Ces trois critères doivent être validés pour le démarrage de l’activité et se maintenir au fil de l’exploitation. Ils peuvent également influer les uns sur les autres. À partir du moment où la minéralisation existe, cela peut pousser à lui trouver une utilité et à développer des techniques adaptées. Chercher à satisfaire la demande pourra déboucher sur la recherche de nouveaux gisements et sur l’amélioration des techniques. L’expertise développée dans le domaine technique pourra rendre disponibles de nouvelles ressources.

Une fois l’exploitation lancée, on peut distinguer dans chaque grand domaine les déterminismes qui s’appliquent à l’exploitation et les conséquences induites par son développement (fig. 4, extérieur). Les facteurs qui influencent la mise en œuvre de l’activité sont nombreux2. Chacun des éléments peut être favorable ou défavorable et ils se pondèrent mutuellement. On peut considérer que chaque facteur représente une force qui va faire avancer ou freiner l’exploitation, légèrement ou plus fortement. En réaction, les trois domaines intègrent des impacts, positifs ou négatifs, issus de l’activité minière. Ces impacts peuvent à leur tour influencer les paramètres qui pèsent sur l’exploitation. L’équilibre entre tous ces facteurs est fragile et valable à une période donnée. Des changements dans l’un des domaines vont avoir des répercussions sur l’ensemble du système, qui impliqueront des adaptations, ou l’arrêt des exploitations. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la rentabilité du processus (fig. 5). Des perturbations dans les mécanismes d’obtention des bénéfices, suite à des problèmes pour diffuser le métal, pourront être rédhibitoires. Le maintien de la demande est également indispensable pour justifier la continuité de l’activité.

Fig. 5. Cycle de validation du maintien d’une exploitation minière. E. Meunier 2018

Trois aspects liés à l’exploitation minière se trouvent aux interfaces entre les différents domaines, témoignant de leurs interactions mutuelles (fig. 4, extérieur). La spécificité des techniques mises en œuvre dépend du contexte naturel particulier à chaque mine. Par exemple, la nature du minerai impose des procédés minéralurgiques et métallurgiques précis et adaptés. L’organisation socio-économique d’un groupe et les caractéristiques environnementales des chantiers miniers vont être à l’origine du schéma d’occupation du territoire adopté dans un district ou un autre (temporaire, permanent, regroupé, dispersé). Enfin, l’agencement observable au sein des travaux miniers est un compromis entre les nécessités techniques et les exigences économiques. Ainsi, lorsque les galeries sont suffisamment hautes pour y circuler debout et se croiser, grâce à un surcreusement du stérile, on peut en déduire que l’efficacité gagnée dans le transport du minerai a été jugée plus avantageuse que l’économie au moment du creusement.

L’étude archéologique de ces sites et leur caractérisation aussi précise que possible permettra ainsi de faire des propositions concernant les conditions dans lesquelles les exploitations ont pu se développer, en particulier dans le domaine socio-économique.

L’archéologie minière, une approche de terrain
et pluridisciplinaire

Des bilans historiographiques concernant les recherches archéologiques minières et métallurgiques ont été dressés par de nombreux chercheurs (par exemple : Pailler 1982 ; Bailly-Maître 1997 ; Orejas et al. 1999 ; Domergue & Leroy 2000 ; Cauuet 2005 ; Fabre & Coustures 2005 ; Rico 2005 ; O’Brien 2015, 16-26). Nous insisterons ici surtout sur les développements récents de la discipline et la façon dont ses dernières évolutions ont été prises en compte dans ce travail. Il faut toutefois rappeler que l’étude des mines anciennes est restée pendant longtemps l’apanage des géologues et des ingénieurs miniers, seuls confrontés au terrain, qui transmettaient les informations, avec plus ou moins de précision, sur les vieux travaux qu’ils recoupaient lors des reprises contemporaines (Domergue 2008, 41 ; Arboledas Martínez et al. 2011, 212 ; O’Brien 2015, 17). Certaines découvertes exceptionnelles, comme des roues d’exhaure* romaines en bois ou les tables en bronze de Vispasca et leur fragment de code minier (De Launay 1889 ; Domergue 1983 ; Domergue & Bordes 2004 ; Manzano Beltrán & Ojeda Calvo 2006), ont attiré l’attention des lettrés sur le monde de la mine, donnant pour plusieurs décennies un poids certain aux sources classiques dans l’étude de ces sites. Cela se retrouve en particulier dans les traditions historiographiques hispanique et française dans lesquelles les mines de la période romaine ont connu un vif intérêt.

À partir des années 1970, l’archéologie minière commence à prendre son véritable essor, avec un développement progressif des prospections et sondages pour compléter les inventaires de géologues (par exemple : Ramin 1977 ; Healy 1978 ; Domergue 1986 ; Blázquez Martínez 1991). Dans ce contexte, on assiste en France à la naissance, dès 1978, du premier laboratoire de recherche CNRS – Université, spécialisé dans l’étude des mines anciennes (Archéologie Minière et Métallurgique de l’Occident Romain – URA 997 du CNRS) à Toulouse. D’autre part, la Société Française d’Étude des Mines et de la Métallurgie (SAFEMM)3, toujours active, est créée en 1982. Cette prise en main par les archéologues des terrains miniers a conduit à une véritable démarche de datation des travaux, avec des sondages dans les chantiers, qui permet de leur attribuer leur chronologie réelle et de mieux restituer l’histoire des techniques employées.

La collaboration avec les géologues a toujours été une réalité dans l’étude des mines, permettant une meilleure compréhension des travaux (par exemple : Hérail & Pérez García 1989 ; Domergue & Hérail 1999 ; Cauuet & Tămaş 2012 ; Williams 2014 ; Fabre et al. 2017 ; Fernández-Lozano et al. 2019). Rapidement, les approches archéométriques pour caractériser les matériaux exploités et les productions métallurgiques ont aussi été développées. La restitution des chaînes opératoires métallurgiques et les recherches sur la provenance des métaux sont au cœur de ces démarches (notamment : Domergue & Leroy 2000 ; Baron et al. 2010 ; Béziat et al. 2016 ; Milot et al. 2016 ; Brügmann et al. 2017 ; Nessel et al. 2019 ; Baron et al. 2019). Les sciences de l’environnement sont aussi sollicitées pour compléter les études sur les sites miniers et métallurgiques. Il peut s’agir de xylologues lorsque des éléments en bois sont préservés dans certains chantiers qui étaient noyés ou d’anthracologues pour étudier les charbons utilisés pour la métallurgie ou lors de l’abattage au feu en contexte de roche très dure (Cauuet 1997 ; Py-Saragaglia et al. 2017). L’étude des pollutions engendrées par les mines a aussi donné lieu à des travaux spécifiques (à titre d’exemple : Hong et al. 1994 ; Camarero et al. 1998 ; Mighall & Timberlake 2010 ; García-Alix et al. 2013 ; Küttner et al. 2014). D’autres collaborations sont aussi mises en place avec des archéologues non spécialistes des mines pour aborder le territoire dans son ensemble. Cette approche a été adoptée fréquemment en péninsule Ibérique, dans le cadre de l’archéologie du paysage, qui définit ce dernier comme le résultat des activités humaines qui s’y sont superposées dans le temps (entre autres : Orejas 1995 ; Sánchez-Palencia et al. 2006 ; Rafel et al. 2008 ; Contreras Cortés et al. 2010 ; Martins 2014 ; Arboledas Martínez et al. 2018 ; Rafel Fontanals et al. 2019). Cette pluridisciplinarité est indispensable pour comprendre les exploitations minières dans leur globalité (fig. 6).

Fig. 6. Les apports des différentes disciplines à l’étude des exploitations minières anciennes. E. Meunier 2018

Si l’on se recentre sur la spécificité des mines, des méthodologies ont été définies pour s’adapter au milieu souterrain et en particulier aux besoins de documenter l’espace en trois dimensions. Ces méthodes ont été utilisées dans le cadre du travail de terrain réalisé dans le massif de l’Arize. Les relevés topographiques sont fondamentaux pour comprendre l’organisation des chantiers et identifier les secteurs qui correspondent à des reprises d’activité (par exemple élargissements ou percement de soles*). Deux niveaux de détail d’enregistrement sont utilisés. Le premier, qui permet d’avoir une vision d’ensemble du réseau, consiste à relever un simple cheminement à travers l’espace accessible, comme cela se pratique pour les cavités spéléologiques (Ancel 1997). L’orientation par rapport au nord, la longueur et l’inclinaison des segments du cheminement sont enregistrées puis reportées dans un logiciel de topographie spécifique, ici Visual Topo4, qui calcule les coordonnées de chaque point. Les représentations sont simples, mais elles permettent de connaître l’extension du réseau et son développement vertical, en offrant une visualisation en plan, coupe développée ou projection 3D (fig. 7).

Fig. 7. Plan et projection du cheminement du réseau du Goutil Est (Arize), obtenus grâce à Visual Topo. E. Meunier 2018

Pour les relevés plus précis, on place des axes à l’intérieur du réseau qui servent de base aux plans, coupes et sections. Ces axes sont installés de préférence à l’horizontale, mais des verticales sont parfois nécessaires pour relier différents étages de travaux. Dans le massif de l’Arize, l’inclinaison prononcée de nombreux chantiers, suivant celle des filons, a souvent nécessité l’implantation d’axes obliques et l’adaptation des techniques de dessin (fig. 8).

Fig. 8. Fig. 8. Mine de Rougé. Plans et coupes longitudinales sur axes horizontaux et sections sur axes inclinés. E. Meunier 2018

Toutes ces procédures permettent d’enregistrer les formes et dimensions des réseaux, dont on peut présenter une vue d’ensemble aussi bien que des plans, coupes et sections de détail. Pour tenter de mieux restituer le volume des travaux, les plans et coupes réalisés en 2D ont été replacés dans l’espace en 3D à l’aide de l’ancienne version libre du logiciel Drafsight5 (fig. 9), pour les mines de Rougé, Les Atiels et Hautech 9. Des vidéos faisant tourner ces modèles sur eux-mêmes ont pu être éditées pour faciliter la visualisation. Elles seront présentées avec les sites correspondant dans la partie 2. Ce système est intéressant pour faciliter la présentation des relevés, mais d’autres solutions logicielles doivent être trouvées depuis l’arrêt de la licence libre de Draftsight, qui avait l’avantage d’une prise en main plutôt simple.

Fig. 9. Comparaison de la DAO simple et du calage en 3D, vu sous trois angles différents. E. Meunier 2018

Des tests d’utilisation de scanner 3D et de photogrammétrie ont été réalisés dans des petits secteurs des réseaux du Goutil, pour l’enregistrement de chantiers aux formes particulièrement complexes. Pour l’utilisation du scanner 3D6, qui a l’avantage de pouvoir fonctionner dans l’obscurité, l’enregistrement de millions de points permet une précision largement supérieure à celle des relevés classiques. La lourdeur de mise en place des références dans un chantier aux formes complexes, puis du traitement des points pour obtenir des images et tracés utilisables, représentent toutefois des limites importantes à la généralisation de son utilisation. Le traitement photogrammétrique7, dont l’utilisation en contexte minier a déjà été décrite (Arles et al. 2013), est plus simple à réaliser, mais les fichiers sont eux aussi très lourds et ne permettent pas d’envisager raisonnablement un enregistrement complet d’une mine avec cette méthode à l’heure actuelle.

Cette phase importante de relevés topographiques a été accompagnée de sondages dans les chantiers pour pouvoir dater les travaux. L’implantation des sondages a été choisie en priorité en fonction de leur distance par rapport aux entrées, pour se rapprocher le plus possible du démarrage des travaux. D’autres sondages plus à l’intérieur des réseaux permettent de commencer à réfléchir aux rythmes d’avancement de l’exploitation. L’interprétation de la stratigraphie est importante dans ce contexte, car il faut différencier les niveaux liés au fonctionnement des galeries ou chantiers (niveaux de circulation, résidus de bûchers d’abattage laissés en place), à leur utilisation comme espace de stockage de stériles (remblais plus ou moins massifs) alors que l’activité s’est déplacée dans le réseau, ou encore à l’abandon de l’exploitation (formation de concrétions de calcite, colluvionnements près des entrées). En fonction de la configuration stratigraphique, il sera possible de dater l’ouverture d’une galerie ou seulement son comblement, fournissant alors un terminus ante quem pour son creusement (fig. 10).

Fig. 10. Différents types de comblements de chantiers miniers. E. Meunier 2022

En complément de ces approches archéologiques, des collaborations ponctuelles ont pu être mises en place dans le cadre de la thèse. Elles concernent tout d’abord la géologie, avec l’intervention sur le terrain de Călin Tămaş (Université Babeş-Bolyai, Roumanie) puis de Michel Lopez et Emmanuelle Chanvry (Université de Montpellier). Les informations sur les minéralisations exploitées proviennent de leurs observations. Pour l’étude des échantillons de minerai et de scories, Marguerite Munoz (GET) a procédé à leur identification métallographique et à leur analyse au MEB et à la microsonde. Des prospections géophysiques ont également été réalisées sur deux secteurs où la présence d’ateliers était envisagée, dans le cadre d’un stage de master encadré par Muriel Llubes (GET, Université Toulouse 3 Paul Sabatier). Deux sondages sédimentaires exploratoires ont été réalisés dans la berge du Pézègues, un ruisseau qui passe au pied d’une mine et d’un atelier métallurgique (Les Atiels), sous la direction de Jean-Paul Métailié (GEODE). Des sédiments ont été prélevés dans un des deux sondages et dix charbons par niveau ont été identifiés par Raquel Cunill (GEODE). Les résultats de cette petite étude pédo-anthracologique demanderaient à être approfondis pour en tirer des conclusions et ne sont donc pas inclus dans cette publication8.

Les résultats du travail de terrain sont présentés dans la partie 2 de cet ouvrage et servent de base à la discussion de la troisième partie, qui inclut les comparaisons avec les autres sites régionaux. Nous espérons que le lecteur osera se plonger dans les données du terrain – et du souterrain – pour découvrir l’histoire racontée par les mines.

Notes

  1. Le terme de lingot est utilisé ici pour désigner une masse de métal brut, sans préjuger du respect d’une métrologie quelconque.
  2. Pour une présentation détaillée et une discussion de ces aspects, se reporter au point I du chapitre 1 de la version originale de la thèse (Meunier 2018, 12-76).
  3. http://safemm.hypotheses.org/
  4. Ce logiciel libre est développé par Éric David et disponible en ligne : http://vtopo.free.fr/vtopo.htm [consulté le 15/06/2022].
  5. Le logiciel Draftsight, édité par Dassault Systemes (https://www.3ds.com/fr/produits-et-services/draftsight-cad-software/), est malheureusement devenu payant.
  6. Scanner Faro Focus du laboratoire TRACES. Le relevé en souterrain a été réalisé sous la direction de François Baleux, géomaticien, avec la participation d’Eymeric Gleye, stagiaire en géomatique, Jean-Marc Fabre, Béatrice Cauuet et Emmanuelle Meunier.
  7. Relevé et traitement photogrammétrique réalisés par Béatrice Cauuet.
  8. Les résultats peuvent être consultés dans le manuscrit de thèse (Meunier 2018, 297-305).
ISBN html : 978-2-35613-497-4
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EAN html : 9782356134974
ISBN html : 978-2-35613-497-4
ISBN pdf : 978-2-35613-499-8
ISSN : 2741-1508
10 p.
Code CLIL : 4117
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Comment citer

Meunier, Emmanuelle, “Introduction”, in : Meunier, Emmanuelle, L’exploitation minière dans le sud-ouest de la Gaule entre le second âge du Fer et la période romaine. Le district à cuivre argentifère de l’Arize dans son contexte régional, Pessac, Ausonius Éditions, collection DAN@ 10, 2023, 15-24 [en ligne] https://una-editions.fr/introduction-mines [consulté le 03/11/2023]
doi.org/10.46608/DANA10.9782356134974.3
Illustration de couverture • Première  : Dans les calcaires du massif de l’Arize, les mines de cuivre argentifère.
Quatrième : Filonet de cuivre gris curé à l’outil dans la mine du Goutil Est (photo : E Meunier).
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