Conclusion
Nous avons interrogé le processus de construction des terrains et notre expérience de travail en commun. Cette expérience « artisanale » du contemporain semble découler de la redéfinition constante du/des terrains en tant que trace, présence et/ou possibilité spatio-temporelle en fonction des acteurs. Puisqu’« un terrain serait […] un ensemble d’états et de processus prélevés dans des espaces matériels ou symboliques » (Quinton, op. cit., p. 2-3), nous considérons que la mission Argentine1 a permis, dans un premier temps d’élargir la « focale » pour permettre, par la suite, une refocalisation sur le terrain de Cenon.
Si le chercheur espère toujours rendre honneur à certains modèles, qu’il soit bien tendu par une quelconque intention et orienté par une réflexion avant même de fouler le terrain, il est nécessairement contraint et surpris par un contexte, l’amenant à créer et à inventer d’autres manières de faire. Pour citer Sennett, « l’atelier de l’artisan est un lieu où s’exprime le conflit moderne, peut-être insoluble, entre l’autonomie et l’autorité » (op. cit., p. 113) : lorsqu’il s’agit de pratiquer le terrain, rien ne semble aussi important que d’apprécier les modèles de la recherche pour les remettre en question.
Une telle capacité de mise à distance et de réappropriation d’un terrain – qui implique de « reconquérir en permanence son autonomie » (Althabe, op. cit., p. 4) – est permise par la mise en commun des expériences entre le chercheur, son terrain, mais aussi son équipe de recherche. C’est ce qu’évoque Ruffel lorsqu’il écrit que le contemporain est une « cotemporalité », c’est-à-dire une « synchronisation de temporalités multiples » (op. cit., p. 9). Il ne s’agit pas de tenir le contemporain comme étant une époque, un système de mœurs ou de valeurs, mais plutôt de le considérer comme un état de fait qui façonne à la fois le corps du chercheur et la matière à laquelle il se confronte. Le chercheur est ici et maintenant et doit prendre conscience de son état de contemporanéité afin d’aiguiser son regard et mettre en question ses certitudes. En comparant le chercheur à l’artisan, nous ne souhaitons pas construire un mythe autour de lui – comment peuvent l’entendre certains chercheurs (Crettaz, 1986), mais plutôt rendre compte de son adaptabilité vis-à-vis de ses méthodes de recherche.
On l’a vu « “faire un terrain” n’est pas seulement aller quelque part » (Quinton, op. cit., p. 3), puisque « le terrain, vu comme construction formelle propre à un chercheur, peut revêtir des formes très diverses » (ibid.). Nous pourrions dire que l’expérience contemporaine d’un terrain par le chercheur ne peut exister sans une « expérience ethnographique très particularisée, (…) [qui a su] instiller en lui des doutes […] profonds quant à ce qu’il tenait auparavant comme allant de soi » (Descola, 2005, p. 26).